Rapport sur les questions coloniales T1 Première partie (1)

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JAMAÏQUE. N° 19. TROIS LETTRES DE M. RICHARD HILL, CHEF DES MAGISTRATS SPÉCIAUX. Cette correspondance de M. Richard Hill contient des idées pratiques de l'ordre le plus élevé. Elle mérite une attention toute particulière, surtout en ce qui concerne les observations sur le salaire et sur les dispositions morales que l'état social des régions tropicales, encore peu cultivées et mal peuplées, entretient chez les personnes de toute race. Eu tenant compte de nombreuses différences de situation, il ne sera peut-être pas impossible de tirer quelque parti, pour les colonies françaises, des indications données sur le payement de l'indemnité et sur le régime de rachat légal adopté dans l'île de Cuba. Les lettres de M. Richard Hill témoignent d'une grande sagesse et d'une grande modération. Cet honorable magistrat a été, cependant, présenté comme un homme passionné, ennemi des planteurs et de la race blanche en général. M. Richard Hill est, à la vérité, un homme de couleur et un éclatant exemple de toutes les facultés et de toutes les aptitudes que peuvent manifester les personnes de cette race; mais il est, en même temps, un des plus loyaux sujets et un des employés les plus utiles du Gouvernement britannique dans les Indes occidentales. Chef des magistrats spéciaux, honoré de la confiance intime de plusieurs gouverneurs, M. Richard Hill a eu la plus salutaire influence sur l'exécution pratique de l'émancipation à la Jamaïque. Je lui dois cet hommage comme réparation des attaques injustes dont il a été l'objet. On trouvera, dans la suite des Pièces justificatives, plusieurs travaux importants de M. Richard Hill. 1" LETTRE. — SUR L'APPRENTISSAGE. Saint-Yago de la Vega ( ville capitale de la Jamaïque), 10 septembre 1839. MON

CHER

MONSIEUR,

Dans nos conversations sur l'apprentissage, considéré comme situation intermédiaire entre l'esclavage et la liberté, nous sommes tombés d'accord sur ces deux points: i° que, pratiquement, l'apprentissage était plein de dangers et d'inconvénients ; 2° que, théoriquement, cette mesure ne contenait aucun bien qui n'aurait pu être atteint par des voies moins détournées. Je vous écris la présente lettre, non pour établir les bases d'un meilleur système, mais pour vous indiquer quelques-uns des maux qui se sont révélés à nous pendant que l'apprentissage était en cours d'exécution, et quels moyens très-simples s'offraient d'eux-mêmes pour les combattre. Le but qu'un Gouvernement se propose en établissant un régime intermédiaire avant d'octroyer la liberté sans condition, c'est la préparation de l'esclave aux devoirs du ciloyen. L'acte de

nération. Le seul changement qui résultait du système d'apprentissage, c était la substitution du magistrat au maître, quant au droit de punir le travailleur, en cas d'infraction au devoir et à la discipline. Mais, dans un état de choses où l'obéissance et le zèle pour le travail du maître, au lieu de dépendre de nos besoins, de nos intérêts, et de cet ensemble d'impulsions naturelles qui exercent un empire invincible sur la volonté de l'homme, n'ont pas d'autre sanction ni d'autre stimulant que le fouet, changer la main qui inflige la punition, n'en rend ni moins évidente ni moins dure la nécessité du travail non salarié , ce fléau de l'esclavage. Le nègre a-t-il pu acquérir une nolion meilleure et plus claire de ses rapports avec la société, en voyant le magistrat renforcer les exactions et les injustices du maître? Certes la protection que l'apprenti trouvait chez le magistrat contre des injustices acci-

prudence dont le Gouvernement accompagne en pareil cas la liberté de 1 esclave, a pour objet d'empêcher que la concession

dentelles, ne pouvait cire l'équivalent de cette injustice permanente qui le contraignait de travailler sans salaire ; mais, malheureusement, l'absence du bien n'était pas la seule chose dont

faite a la justice et a 1 humanité ne se transforme en mesure désastreuse pour l'intérêt national cl individuel.

l'ancien esclave eût à se plaindre dans le régime de l'apprentissage: à chaque pas il avait à lutter contre des maux très-réels.

L'éducation préparatoire de l'esclave, en vue de la liberté, est parfaitement définie dans la citation suivante, extraite de Froissard 1 : «Avant de leur accorder le titre et les privilèges de ciloven , il faut qu'ils aient acquis des idées saines de leurs devoirs ; qu'ils

Ayant obtenu par le payement de l'indemnité, qui eut lieu dès de l'apprentissage, tout l'avantage qu'il pouvait attendre début le des vieillards et des infirmes devenus incapables de travail, des

soient convaincus que le bonheur particulier naît du bonheur général, et surtout qu'ils sachent qu'en les délivrant des chaînes de l'esclavage, on ne brise point les liens qui les unissent au

enfanls au-dessous de six ans exemptés de l'apprentissage, cl des enfants venus au monde après le î" août 1834, et, par conséquent, nés libres , le maître n'a pu voir dans tous les individus de cette sorte qu'un surcroît d'embarras. La négligence et l'in-

souverain comme sujets, et à la patrie comme citoyens; que rien ne les dispensera du travail, et que les seuls avantages qu'ils retireront de leur émancipation, seront de recueillir tous les

différence qui s'ensuivirent à l'égard des enfants et des vieillards attirèrent non-seulement de grandes souffrances sur les

fruits de leur industrie, de n'être soumis à d'autres peines qu'à celles que mérité le crime ou l'oisiveté, et do ne reconnaître <1 autre autorité que celle du prince, ou des magistrats qu'il a

par exemple, le sentiment d'intérêt personnel qui entretenait la

chargés de l'exécution des lois. » L apprentissage remplit mal les conditions énumérées par I écrivain français. Le système présente encore la même injustice qui exige qu un homme travaille sans percevoir le salaire de son labeur, et témoigne de la môme folie qui consiste à croire que l'homme peut devenir industrieux sans y être stimulé par une rému1

Auteur français qui a écrit sur Saint-Domingue.

individus, mais rompirent malheureusement plusieurs des liens qui existaient précédemment entre le maître et l'esclave, comme, sollicitude du propriétaire pour tous ceux qui contribuaient directement ou indirectement à sa richesse. Grâce à ce sentiment, le maître se montrait attentif au vieillard parvenu au terme de sa carrière de travail , aussi bien qu'à l'enfant au début de la vie. Lorsque le Gouvernement anglais eut recours à l'apprentissage comme moyen de transition entre l'esclavage et la liberté, il aurait dû prévoiries résultats que je viens de constater, et il aurait


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