L’espace de la plantation : étude comparée des systèmes espagnol (cubain) et français (martiniquais)

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souligner. N’oublions pas que nous avions déjà relevé l’importance du cloisonnement « socioethnique » au sein de l’habitation-sucrerie cubaine. N’éludons cependant point les oppositions de l’époque : « réunion » ne veut pas dire pour autant « communion »… Toujours dans cet espace limitrophe à l’habitation-sucrerie, nous relevons la présence de « tiendas », soient des boutiques, dites « proches » et où les Noirs ne peuvent également se rendre qu’en possession d’une autorisation de leur maître. Rien ne laisse supposer que ces boutiques ne soient pas intégrées au « système » de la plantation. Ce serait donc un nouvel espace dépendant de celle-ci. Nous terminerons cette présentation des divers espaces propres à la plantation cubaine par le lieu de clôture (spatiale et temporelle) maximum, c’est-à-dire le cimetière : « Le cimetière était situé sur l’habitation-sucrerie à dix ou vingt pas du barracón » 100 . Vie et mort fonctionnent en circuit fermé. Même mort, l’esclave demeure sur la plantation. La seule « sortie » réelle résiderait-elle alors dans le choix du marronnage ? Il serait possible de citer également la présence, fort logique, d’un cours d’eau attenant à chaque propriété 101 ainsi que celle d’une « reprensa », retenue d’eau nécessaire au bon fonctionnement de la sucrerie. Mais ce sont des lieux « naturels » ou qui n’ont pas une action directe sur l’espace de vie de l’esclave. Par contre, le phénomène appréciable à relever est le fonctionnement de ces lieux aqueux comme de véritables locus amoenus. Nous n’avons pas de fleurs ni de chants d’oiseaux -sans doute faut-il les considérer comme sous-entendus- mais la présence végétale et liquide est suffisante pour créer un espace propice aux rencontres sexuelles entre esclaves. Toutefois, cet espace amoureux ne fonctionne que les jours de tambour, associés aux bains, préludes aux ébats amoureux ; à savoir les dimanches 102 . La réponse de notre « auteur » face à ce monde clos (principalement celui du « barracón ») est la suivante : « Il était préférable d’être seul, mouillé par la pluie, que dans cette basse-cour dégoûtante et toute pourrie » 103 . Estebán Montejo choisit donc le marronnage et préfère la liberté à l’animalisation de l’esclavage. Il présente son désir de liberté comme inné (sa mère étant dite française, nous pouvons supposer qu’elle vient de Saint-Domingue où la révolte a déjà grondé…) et se décrit tout au long de cet ouvrage comme un être particulier qui choisit justement un espace à part, que ce soit dans l’habitation-sucrerie, puis hors de la plantation, soit l’espace du « monte », de la montagne et des bois, inconnue(s) et qu’il

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Op. cit. , p. 45: « El cementerio era en el mismo ingenio a dos o tres cordeles del barracón ». Op. cit. , p. 35: « Cerca de todos los ingenios había un arroyito». 102 Op. cit. , p. 36: « Toda esa agitación era para los domingos ». 103 Op. cit. , p. 43: « Era preferible estar solo, regado, que en el corral ése con todo el asco y la pudrición ». 101


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