Rapport fait au nom de la Commission chargée de l'examen de la proposition de M. Passy sur le sort..

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(N°313.)

Chambre des Députés. SESSION 1838.

RAPPORT FAIT Au nom de la Commission * chargée de l'examen de lu proposition de M. Passy sur le sort des esclaves dans les Colonies françaises,

PAR M. DE REMUSAT, Député de la Haute-Garonne.

Séance du 12 Juin 1838.

MESSIEURS, La C o m m i s s i o n , à q u i v o u s avez c o m m i s le s o i n d ' e x a m i n e r la p r o p o s i t i o n d e M. Passy sur le sort des esclaves dans les colonies françaises, vient v o u s r e n d r e c o m p t e d e s o n travail. A p p e l é e par votre c h o i x à é t u d i e r u n e q u e s t i o n g r a n d e , difficile e t * Cette Commission est composée de MM. Guizot, Crois­ sant, Berryer, de Rémusat, le baron Roger(Loiret), le comte de Laborde, Passy (Hippolyte), Isambert.Galos.

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( 2 ) neuve e n c o r e , elle a porté dans cette étude la sévé­ rité d'attention, l'impartialité consciencieuse que lui commandait votre confiance. Elle sera heu­ reuse si elle a réussi à éclairer toutes les parties de la q u e s t i o n , a réunir tous les éléments d ' u n e b o n n e s o l u t i o n , à mettre enfin la Chambre à por­ tée de prendre en connaissance de cause u n e des plus graves décisions que puisse prendre un Gou­ vernement régulier. La question est grande en effet, Messieurs; car c'est une question d'ordre social. Il s'agit de tou­ cher à des sociétés p e t i t e s , l o i n t a i n e s , isolées. Mais enfin ce sont des sociétés c o m p l è t e s , des sociétés civilisées, a n c i e n n e s , qui ont des m œ u r s , des sou­ v e n i r s , une histoire. On vous demande de ne les pas laisser telles que le passé les a faites; on vous propose de h â t e r , d'achever ou d'entreprendre par la loi u n e réforme sociale : c'est u n e œuvre q u e d'ordinaire accomplissent seules les révolutions. La question est difficile; car l'état de choses qu'il faudrait modifier, n'est pas simple et naturel. C'est un état qui déroge aux lois , aux i d é e s , aux c o n d i ­ tions des sociétés actuelles. 11 repose sur u n e i n s ­ titution dont le nom est odieux en Europe. 11 a créé des intérêts puissants , des habitudes invété­ r é e s , des droits relatifs , peut-être des préjugés j a l o u x , peut-être des passions irricables ; attaqué souvent avec v i o l e n c e , il peut être violemment défendu. Bien des causes pourraient changer la discussion en u n e lutte et donner à une réforme les allures d'une révolution. O r , quand un Gouvernement entreprend telle chose q u ' u n e réforme de cet o r d r e , il contracte l'obligation d e la faire sans contrevenir à sa nature

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( 3 ) c'est-à-dire en gouvernant toujours. Gouverner la réforme d'une s o c i é t é , Messieurs, n'avions-nous pas raison de le d i r e , c'est la plus grande lâche et la plus difficile qui puisse écheoir à la politique. Pour être en droit de l'entreprendre, il faut l ' é ­ vidence irrésistible de la justice et de la nécessité. Pour compter sur le s u c c è s , il faut une confiance fondée dans ses lumières et dans ses forces. Heureu­ sement la question est pour nous plus grande en e l l e - m ê m e que le c h a m p où elle s'agite, et en pré­ s e n c e des sociétés c o m m i s e s â sa tutelle , la France p e u t , sans présomption , se confier dans ses forces et dans ses lumières. La proposition de l'honorable M. Passy parte qu'à dater de la loi à i n t e r v e n i r , tout enfant qui naîtra dans les colonies françaises sera libre; tout esclave aura le droit de se racheter. C'est l'é­ mancipation complète de la population à venir , c'est l'émancipation partielle de la population présente. Pour faciliter l'une et l'autre, l'État payerait le prix de l'entretien des enfants , et le tiers du prix du ra­ chat de l'esclave. Ce serait, c o m m e on le v o i t , l'a­ bolition plus ou moins l e n t e , mais certaine de l'es­ clavage des n o i r s . Prendre en consideration cette proposition , c'était donc prendre en considération l'abolition de l'esclavage ; q u e l q u e opinion qu'on ail d'ailleurs des mesures i n d i q u é e s , c'était déclarer que l'on croyait le but d i g n e d'attenlion , o u , ainsi qu'on l'a dit, mettre la question à l'ordre du jour. Messieurs , lorsqu'un pouvoir politique élève une pareille q u e s t i o n , il est.bien près de l'avoir résolue, l o r s q u ' i l dit que le t e m p s est venu de discuter l'abolition de l'esclavage, il d o n n e a penser que le temps del'abolir n'est pas l o i n . Ilannonce,'du m o i n s ,

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( 4 ) qu'il désire cette a b o l i t i o n , et un Gouverne­ ment qui la désire , est sur le point de la vouloir. Votre Commission la désirait; elle pensait de l ' e s ­ clavage tout ce qu'on en pense aujourd'hui; mais elle s'est prescrit de résister à tout penchant irré­ fléchi, à toute tentation légitime, de n'écouter enfin que la raison et la politique. R e c o n n a i s s o n s - l e , Messieurs, la prévention est facile, l'exagération est à craindre, quand il s'agit de quelque chose d'aussi irrégulier, d'aussi cho­ quant que l'est pour notre siècle et pour notre pays la servitude civile. Nous croyons aisément tout le mal qu'on nous en peut d i r e , et l'on a beau jeu à la calomnier. Contre e l l e , la déclamation a l'air de la v é r i t é , l'invective se croit l'expression mesurée d'une indignation permise. Les colonies ont eu sou­ vent à s'en plaindre; présentées sous d e sombres couleurs à la mère-patrie, elles ont s o u p ç o n n é la sincérité môme de haine ou de mauvaise foi. M é c o n n u e s , elles se sont cru persécutées et elles ont m é c o n n u à leur tour; elles méconnaîtront e n ­ c o r e , peut-être, et votre Commission ne se flatte pas d'échapper aux j u g e m e n t s hasardés d'une par­ tialité naturelle. Mais elle est sûre de sa conviction, de sa bienveillance, de sa volonté d'être j u s t e . Cela lui suffit. Elle n'avait jamais partagé les préventions inju­ rieuses d o n t , à d'autres é p o q u e s , nos colonies ont souffert. Elle savait d'avance, et son travail l'a con­ duite à savoir mieux encore combien nos concitoyens d'outre-mer méritaient l'intérêt et la protection de la mère-patrie. Les îles françaises ne ressemblent plus , elles n'ont jamais peut-être exactement

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ressemblé au triste portrait que l'imagination en a quelquefois tracé. Constituée sur u n e base injuste et fausse, constituée ainsi de l'aveu et par la vo­ lonté de la F r a n c e , la société coloniale essaye de racheter , par ses efforts s p o n t a n é s , le vice originel de sa constitution. Si l'injustice est dans ses l o i s , l'équité naturelle en tempère les c o n s é q u e n c e s . Et, depuis un temps surtout, l'intelligence et le goût des améliorations ont fait disparaître q u e l q u e s - u n s des plus odieux effets d'une institution inexpiable. Héritiers d'un état de choses qui n'est pas leur ouvrage, les colons éclairés cherchent à effacer, par le bien qui vient d'eux, le mal qu'ils n'ont pas fait, et s'ils ont le malheur d'avoir des esclaves , on peut dire d'eux qu'ils ne l'Ont pas mérité. Nous leur devions cette justice. Elle nous met à l'aise pour dire de l'esclavage toute notre p e n s é e . La Chambre n'attend pas de nous des déductions philosophiques. C e p e n d a n t , avant d'entrer dans l'exposition des faits et dans la discussion d e s m o y e n s , nous devons nous expliquer sur la q u e s ­ tion de principe. Nous le ferons en peu de mots. « L'esclavage,.dit Montesquieu , n'est pas bon par sa nature ; il n'est utile ni au maître ni à l'esclave... Il e s t , d'ailleurs, aussi opposé au droit civil qu'au droit naturel. » Nous croyons que ce sont là de ces vérités qu'on ne prouve plus. Malgré d'ingénieuses apologies, l'institution de l'esclavage e s t , en ellem ê m e , u n e violation permanente des droits de la nalure h u m a i n e . En vain l'histoire l'expliquerait-elle par des précédents de pays et de siècles divers; on n e justifie pas tout ce qu'on explique. Le droit a tou­ jours m a n q u é , il manquera éternellement à l'escla-

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( 6 ) vage de toutes les formes et de toutes les époques. Le b o n h e u r même d e l'esclave n'absoudrait] point l'esclavage; ceux qui ignorent cela n'ont point l'i­ dée du droit. Si la justice, avant l'humanité, c o n d a m n e l'escla­ v a g e , l'humanité le réprouve c o m m e la justice; son histoire dans nos colonies m ê m e s , ne motiverait que trop notre sévérité. Tant que le crime de la traite a duré, il lui a c o m m u n i q u é •quelquesu n s de ses odieux caractères. L'esclavage colonial réalisait plus c o m p l é t e m e n t que la servitude an­ c i e n n e la brutale fiction de la loi r o m a i n e , qui fait de l'esclave un bétail, une chose. Alors que l'homme étaitincessamment importé sur le marché, il devenait réellement marchandise et de marchandise propriété. Et c o m m e le marché s'approvisionnait sans cesse, le droit de propriété devenait à la lettre le droit d'u­ ser ou d'abuser ; trop s o u v e n t , le calcul seul posait une règle à l'emploi que le possesseur faisait de sa chose. Ces maux sont passés , mais la trace en s u b ­ siste; les esprits sont encore remplis d e s préjugés que la loi consacrait. Si l'extinction de la traite, secondant l'influence de la civilisation g é n é r a l e , a fait à l'économie et à la prévoyance une nécessité de ménager ce capital désormais irréparable, la vie des n o i r s , la relation du maître à l'esclave d e ­ meure tout e n t i è r e ; entre l'un et l'autre s'élève, dans toute sa force, le s e n t i m e n t corrupteur d'une inégalité essentielle et presque d'une diversité d'es­ pèce et de nature. 11 ne suffit pas d'ailleurs à l'hu­ manité que la vie et la santé de l'esclave soient mé­ n a g é e s ; c a r d e s animaux pourraient en obtenir au­ tant. L'humanité veut qu'on n'oublie pas que l'homme a une i n t e l l i g e n c e , un cœur, une c o n s -


( 7 ) cience. L'esclavage est fondé sur l'oubli, sur la n é ­ gation de tout cela. C'est m ê m e pour cette raison que la religion le proscrit. E n f i n , Messieurs, la politique aussi a prononcé sa s e n t e n c e . 11 n'y a de politique sage aujourd'hui que celle qui s'éclaire des lumières du siècle, qui marche avec l'opinion du monde et d o n n e satisfac­ tion à ses légitimes exigences. Or, il est trop évi­ dent que les principes qui président désormais aux destinées de l ' h u m a n i t é , sont incompatibles avec la servitude domestique. Un grand pays a d o n n é l'exemple en la proscrivant à jamais. Tôt ou tard, cet exemple sera suivi. On peut différer d'avis e n ­ core sur les m o y e n s , sur l'époque, sur l'utilité de l'extinction de l'esclavage; mais tout le monde sent qu'il ne peut durer. C'est sous l'empire de ces idées générales que votre Commission a examiné la question. Comment aurait-elle fait pour s'y soustraire? Il eût fallu qu'elle ne fût ni de son pays ni de son temps. Elle a reconnu qu'il en résultait une nécessité morale pour un gouvernement éclairé d'abolir l'esclavage; mais c e p e n d a n t , un gouvernement n'est sensé de 1'entreprendre que si sa situation lui d o n n e les m o y e n s de le faire, l'espérance fondée d'y réussir; que si la tentative ne lui impose pas des sacrifices au-dessus de ses forces ; que s i , e n f i n , il n'a pas à craindre de causer plus de mal en supprimant l'esclavage que l'esclavage n'en cause en se per­ pétuant. Ces conditions existent - elles pour la France ? Là e s t , à vrai d i r e , la sérieuse q u e s t i o n , la question positive et pratique. Nous avions hâte d'y arriver. C'est celle que la Commission s'est atta-


( 8 ) chée à approfondir par l'examen rigoureux des faits. Elle n'ignorait pas quels doutes , quelles objec­ tions , quelles inquiétudes s'élèvent, à cette q u e s ­ tion , dans beaucoup d'esprits, et balancent et réfroidissent souvent le désir naturel à tous de la tran cher selon le vœu d e l'humanité. Si l'esclavage est un m a l , c'est un mal ancien. L'habitude l'a r e n d u supportable , et la civilisation moins odieux. La loi l'a régularisé, e t , pour ainsi d i r e , justifié. Celle l o i , nous ne l'aurions pas faite; mais ses effets subsistent. Comme tout ce qui a d u r é , l'es­ clavage a d o n n é n a i s s a n c e , non pas seulement à des i n t é r ê t s , mais à des droits. 11 est difficile de l'attaquer sans les atteindre; et s'il fallait ménager t o u t , des sacrifices trop grands seraient imposés à l'État; maintenir ou tolérer ce qui e s t , en le m o ­ dérant , en l'adoucissant autant que p o s s i b l e , s e m ­ ble un parti plus sûr qu'une réforme hasardeuse ; et ce parti là suffit à la morale, en satisfaisant la pru­ dence. Tout autre offre au moins des incertitudes, des p é r i l s , peut-être des chances de désastre. Si le Gouvernement anglais a été plus h a r d i , rien n e prouve encore q u e sa hardiesse lui ait r é u s s i , et l'histoire contemporaine nous enseigne les funestes mécomptes de la révolution française. La dévasta­ tion et le meurtre sont les biens que l'émancipa­ tion a portés à Saint-Domingue. Notre époque fûtelle plus h e u r e u s e , la tentative des Anglais dûtelle couler m o i n s cher à l ' h u m a n i t é , rien ne peut garantir que de tels essais ne portent pas un coup mortel à l'activité productive des colonies. Une ré­ volution dans le régime du travail peut devenir la e s t r u c t i o n du travail m ê m e , et par suite la ruin


( 9 ) de nos établissements d ' o u t r e - m e r , grave d o m ­ mage pour la prospérité de la France. Où serait la sagesse de sacrifier à de pareilles chances les efforts , le temps , les ressources d'un g o u v e r n e m e n t ? Qui nous presse de donner au n ô t r e , de gaîté de c œ u r , une affaire d e plus , u n e affaire dispendieuse , p é ­ rilleuse , incertaine? N'a-t-il pas assez de besogne à se maintenir, à s'affermir, et doit-il aller au-devant des obstacles et tenter des nouveautés? En toutes choses la politique de conservation est le devoir d'un gouvernement nouveau. La réponse à ces objections sortira de l'examen des faits. La Commission n'a rien négligé pour les connaître; elle a procédé â u n e sorte d'enquête. De nombreuses publications ont passé sous ses y e u x ; elle a reçu de l'Angleterre d'utiles rensei­ g n e m e n t s ; elle a consulté les Chambres de c o m ­ merce de nos principales villes maritimes. Enfin le département de la marine a , sur sa d e m a n d e , mis à sa disposition u n e volumineuse correspondance et ses riches documents avec une libéralité dont elle aime à lui rendre grâce. Le résultat de ses recherches va enfin vous être soumis. 11 importe, avant tout , de bien connaître l'état des choses. La France possède cinq colonies à escleves : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane fran­ ç a i s e , l'île Bourbon et le Sénégal. La dernière doit peu nous occuper, et il n'en sera pas question dans ce rapport, non que l'abolition de l'esclavage, si elle a l i e u , ne doive s'y effectuer é g a l e m e n t , mais elle est dans u n e position particulière, soumise à un régime s p é c i a l , gouvernée exclusivement par N°313


(10) (1O) des o r d o n n a n c e s ; et la condition des noirs, q u i , sous le nom de captifs, y sont bien réellement es­ c l a v e s , diffère de celle des noirs des plantations co­ loniales. On sait que la plus grande difficulté de n o ­ tre question est de concilier la suppression de l'es­ clavage avec la culture des productions tropicales. Le Sénégal est un poste maritime, un comptoir de c o m m e r c e , u n e factorerie armée ; ce n'est pas une colonie agricole. Dans nos quatre autres p o s s e s s i o n s , la société se c o m p o s e , c o m m e on s a i t , de trois classes naturel­ les : les b l a n c s , les noirs et les sang-mêlés, ou h o m ­ mes de couleur. Pendant l o n g t e m p s , la l o i , et surtout la c o u t u m e , en avaient fait aussi trois classes d i s t i n c t e s , les libres, les esclaves et les affranchis, qui n'étaient pas les égaux des libres. Cette classe intermédiaire a légalement cessé d'exister. Aujour­ d ' h u i , les affranchis ( h o m m e s de couleur et noirs libres) o n t , c o m m e les b l a n c s , tous les droits c i ­ v i l s , e t , aux m ê m e s conditions que les b l a n c s , sont aptes aux droits politiques. La statistique la plus récente d o n n a i t , c o m m e il s u i t , l'état de la population au 3 1 décembre 4836. Martinique,

de

blancs couleur

10,230 29,813

Esclaves

77,459

Population totale

117,502

Guadeloupe.

13,672 18,387 95,609, 127,668

Guyane

française.

Bourbon.

1,100 3,956 J

36,803

16,592

69,296

21,648

106,099

Total.

113,61

258,956 372,917

C'est d o n c en réalité des droits de 2 5 9 , 0 0 0 h. et d e s i n t é r ê t s de 1 1 4 , 0 0 0 , en d'autres termes, de la destinée et du b o n h e u r de 3 7 3 , 0 0 0 que la Cham­ bre aura à délibérer.


(11)

Quel est l'état de ces 2 5 0 à 2 6 0 mille esclaves ? Il est réglé à peu près de m ê m e dans nos quatre établissements, et il offre à peu près le môme as­ pect. 11 faut le faire connaître. On sait l'origine de l'esclavage aux colonies. Là , ce n'est p a s , c o m m e ailleurs, la c o n q u ê t e qui a d o n n é au vainqueur la terre et l'ouvrier de la terre. La force ne se justifie p a s , mais elle s ' e n n o ­ blit par la victoire. La servitude coloniale n'a pas u n e si noble origine. Les îles étaient récemment d é ­ c o u v e r t e s , la population indigène détruite o u fugi­ tive. On ne savait c o m m e n t cultiver ces contrées qui menaçaient de devenir désertes. La traite et l'esclavage des noirs étaient déjà c o n n u s des Por­ t u g a i s , dans leurs possessions d'Afrique. On leur emprunta cet odieux moyen de rétablir la popula­ tion et le travail. Le roi d'Espagne en autorisa l'usage qui s'étendit dans toutes les possessions e u r o ­ p é e n n e s ; et déjà il était admis par le fait dans les îles françaises , avant que le Gouvernement y eût institué et régularisé la traite et l'esclavage. La pre­ mière loi sur la traite est l'édit du 2 8 mai 1 6 6 4 , qui concède le privilége exclusif de ce trafic à la Com­ pagnie des Indes-Occidentales. La première loi sur l'esclavage est l'édit du mois de mars 1 6 8 5 , célèbre sous le nom de Code noir ; il est encore la base de la législation des esclaves dans tous n o s établisse­ ments. Sans d o u t e , le Code noir porte l'empreinte de l'époque où il a été rédigé. Vous n'en supporteriez pas la lecture à cette tribune. En droit c i v i l , il traite le noir c o m m e un m e u b l e ; en droit crimi­ nel , il le soumet à des peines cruelles ; il arme du fouet le bras du maître, et confie à cette triste ga-


(12) rantie la discipline des habitations. Mais la fiction insolente qui fait de l'homme u n e c h o s e , c'est l'es­ clavage m ê m e ; mais les châtiments qu'on décer­ nait contre les noirs ressemblent beaucoup aux s u p ­ plices infligés alors aux Français d'Europe ; mais le fouet n'est pas tombé des mains du planteur. E n r e v a n c h e , l'édit de 1 6 8 5 contient plus d'une dis­ position louable que la désuétude ou l'abrogation a fait périr. C'est le Code noir qui a réglé les obli­ gations du maître pour l ' e n t r e t i e n , la nourriture de l'esclave, avec une libéralité que la pratique n'a pas toujours égalée, et à laquelle la civilisation moderne a été h e u r e u s e de revenir. C'est ce Code q u i , par une honorable i n c o n s é q u e n c e , après avoir traité en brute le noir asservi, se souvient de son âme et p r o n o n c e en sa faveur des prescriptions r e ­ ligieuses dont l'exécution serait encore aujourd'hui un progrès véritable. C'est ce Code qui d o n n e au mariage religieux des noirs u n e régularité , u n e au­ thenticité que notre législation civile n'a pas osé répéter. C'est ce Code, e n f i n , qui a voulu que l'af­ franchi devînt l'égal d u libre de r a c e ; et, pour f o n ­ der cette é g a l i t é , il a fallu cent cinquante ans et la Révolution de 1 8 3 0 . Quoiqu'il en s o i t , le Code noir promulgué à la Martinique , à la Guadeloupe , à la Guyane , appli­ qué à l'île Bourbon avec quelques c h a n g e m e n t s par les lettres patentes de décembre 1 7 2 3 , a été c o n f i r m é , d é v e l o p p é , modifié successivement par u n e foule d'actes , tant du Gouvernement français que des autorités coloniales, et il a fini par pro­ d u i r e , en droit et en fait, la constitution de l'es­ clavage que nous allons esquisser telle qu'elle était en 1 8 3 0 .


( 13 ) 1°. Comme dans le droit romain , l'esclave étant dans le droit colonial u n e chose et non une per­ s o n n e , est sans aucun droit c i v i l , n e peut donner ni recevoir, acquérir ni posséder, il ne peut être t u t e u r , ni c a u t i o n , ni t é m o i n . Il est en droit un meuble, et, en tant qu'appartenant à telle ou telle plantation, un immeuble par destination. 2°. La législation criminelle admettant m o i n s a i s é m e n t les fictions que la législation civile, l'une est pour l'esclave moins exceptionnelle que l'autre. A i n s i , pour la juridiction , pour la p r o c é d u r e , il est dans le droit c o m m u n . Quelques peines plus graves , dans certains cas, quelques délits spéciaux rappellent cependant et signalent sa condition. Parmi ces peines , l'usage, si ce n'est la l o i , même avant la Révolution de j u i l l e t , avait supprimé les supplices o d i e u x , c o m m e la mutilation. Parmi ces d é l i t s , deux surtout avaient pendant longtemps encouru des pénalités cruelles. C'était la désertion à l'intérieur ou le maronnage, et la désertion à l'ex­ térieur ou l'évasion. Mais la législation qui les p u ­ nit s'était successivement adoucie au point de n e plus traiter ces d é l i t s , quand ils sont s i m p l e s , que c o m m e des fautes de discipline. 3°. Indépendamment des crimes et délits ordi­ naires, il y a en effet des fautes disciplinaires dont la surveillance et la répression sont confiées à l'au­ torité du maître. On conçoit que celle autorité, nécessairement arbitraire dans ses limites l é g a l e s , rencontrerait peu d'obstacles au cas où elle voudrait les franchir. Si par fois elle est favorable à l'esclave en répri­ mant par des punitions domestiques de vrais délits, d e s larcins que la justice frapperait plus sévèrement,,


( 14 ) elle est armée du pouvoir pénal contre la paresse , l'insubordination, le manque de respect. Pour p u ­ nir les fautes ou les omissions dont il est le seul j u g e , le maître peut faire d o n n e r au n o i r , à Bour­ bon , trente coups de fouet, dans les autres colonies vingt-neuf. Il peut le faire enfermer dans u n e geôle qui existe dans toute grande habitation et l'y d é ­ tenir un temps limité. 11 peut l'y faire attacher à u n e pièce de bois qu'on appelle la barre ou le bloc. Dans d e s cas p l u s graves et s'il le préfère, il peut s'adresser à l'autorité publique qui sur sa demande o r d o n n e le fouet, la g e ô l e , la chaîne de p o l i c e , sorte de travaux forcés correctionnels et qui ne peuvent être infligés pour plus de trois mois. A i n s i , le maître est un magistrat d i s c i p l i n a i r e , et le magistrat à son tour entre en partage de l'auto­ rité du maître. 4°. Les autres droits du maître l'autorisent, en vertu du droit de propriété sur la p e r s o n n e et le travail de l'esclave, à lui interdire de faire aucun c o m m e r c e , d'aller au m a r c h é , de sortir de l'habi­ tation , de disposer du fruit de son travail parti­ culier. Le maître permet seul le mariage de l'esclave et possède d e droit les enfants naturels ou légiti­ m e s de la mère esclave. 5°. Mais la loi dicte aussi des devoirs au m a î ­ tre : il doit à l'esclave le l o g e m e n t , la nourriture , le v ê l e m e n t , les soins dans un hôpital quand il est malade, enfin l'inhumation. Il y a dans chaque colonie des réglements a u ­ jourd'hui assez c o m m u n é m e n t observés , qui assi­ gnent au nègre des aliments aussi abondants que ceux de beaucoup de paysans français. L'usage s'est de plus introduit de lui concéder un terrain qu'il


( 15 ) cultive pour son propre compte et dont il con­ somme ou v e n d les fruits, et de lui laisser par­ tout, hors à B o u r b o n , un jour de travail à sa dis­ position , malgré l'interdiction un peu surannée de la loi qui n'avait pas voulu s'en rapporter à la pré­ voyance de l'esclave du soin de sa subsistance ni décharger le maître de l'obligation d'y veiller pour lui. Le noir peut d o n c ainsi acquérir un certain b i e n - ê t r e , amasser u n pécule assez considérable dont le maître lui laisse habituellement la posses­ sion et ne dispute pas l'héritage aux enfants de son esclave. Tout c e qui c o n c e r n e le régime des habita­ tions a é t é , en g é n é r a l , réglé avec humanité par l'ordonnance du 15 octobre 1 7 8 6 , q u i , suivant la tradition, a été retouchée par Louis XVI. 6°. L'autorité publique e s t , c o m m e on le voit, très-peu appelée à intervenir dans tout ce qui re­ garde l'esclavage. Cependant le principe de son intervention se trouve plusieurs fois posé dans la législation. A i n s i , d e s o r d o n n a n c e s non rappor­ tées chargent le gouverneur ou ses représentants de vérifier s i , dans chaque habitation, on cultive la quantité de vivres nécessaire pour la subsistance du nombre d'esclaves qu'elle c o n t i e n t ; mais ce droit de visite n'a guère été exercé. Des réglements nombreux ont prescrit la t e n u e de registres de naissances et de décès et des mesures pour constater la filiation des enfants légitimes. C'était un c o m ­ m e n c e m e n t d'étal civil ; mais , jusqu'en 1 8 3 0 , c e s formalités ont été très-mal o b s e r v é e s , et un d é n o m ­ brement exact de la population noire était impos­ sible. Le mariage , dit l ' é d i t d e 1 6 8 5 , doit être célébré avec les s o l e n n i t é s de l'ordonnance de Blois et d e


( 16 ) la déclaration de 1 6 3 9 . C'était le mariage légal de ce temps-là. 11 devait d o n c avoir des effets légaux, au m o i n s , en ce quitouche l'interdiction de saisir et de vendre séparément le mari, la femme et les enfants. Delà nécessairement des questions d'état. C'était a u ­ tant de limitations, on peut même d i r e d e violations du principe de l'esclavage. Mais le mariage n'était pas dans les mœurs des noirs , et ni les planteurs , ni le c l e r g é , ni l'administration n'ont jusqu'ici fait d'efforts pour l'y introduire. De m ê m e les lois a n c i e n n e s et des réglements assez récents o r d o n ­ naient d'instruire les noirs dans la religion catho­ lique ; mais à l'exception du baptême , réduit à une formalité matérielle, généralement o b s e r v é e , du m o i n s pour les noirs c r é o l e s , la religion , ce seul droit de l'homme que la loi n'osât pas contester à l'esclave , a été négligée c o m m e tout le reste et par tous. Point d'instruction morale; on n e parle pas d'instruction primaire. Enfin il est défendu au maître de traiter cruellement ses e s c l a v e s , sous peine d'être poursuivi criminellement ; mais le d é ­ lit n'est pas défini , et le droit de plainte et de d é ­ nonciation, ouvert par l'art. 2 5 contre les maîtres cruels ou n é g l i g e n t s , serait difficilement exercé par des gens dont l'existence appartient à ceux qu'ils d é n o n c e n t . Les magistrats s'accordent à reconnaître que la surveillance du ministère p u ­ blic n'est pas assez fortement organisée. Cependant les tribunaux ont eu quelquefois à juger ce genre de délit. Tel est l'état légal de l'esclavage. Quant à l'état r é e l , les relations s'accordent à le représenter comme a m e n é , par la douceur croissante des mœurs de n o tre époque, à un certain degré d'amélioration maté


( 17 ) riel. Mais sous le rapport m o r a l , aucun progrès, sérieux n'a été fait ni m ê m e essayé. Quoiqu'il en s o i t , et malgré ces améliorations matérielles, ce n'est que depuis ces dernières années que, dans la population esclave, le n o m b r e des décès a cessé, d'être supérieur à celui des n a i s s a n c e s , et cela d a n s deux colonies seulement. Du temps de la traite, la décroissance annuelle était évaluée à 3 0/0. 11 faut maintenant vous retracer, Messieurs, ce q u e , depuis 1 8 3 0 , le G o u v e r n e m e n t a fait, tenté ou projeté pour modifier le régime colonial en ce qui c o n c e r n e l'esclavage. 1. T o u s connaissez la constitution légale d e s . colonies. L'article 6 4 de la Charte qui les s o u m e t à des lois particulières a été exécuté. La loi du 2 4 avril 1833 leur a d o n n é des représentations é l e c ­ tives qui ont tous les caractères de n o s conseils généraux et q u e l q u e s - u n e s des attributions d'une législature. Mais elle s'est gardée de leur accorder cette latitude de pouvoirs des assemblées des îles anglaises, origine cl cause de tant d'orageux débats entre elles et la Grande Bretagne. Les pouvoirs des conseils coloniaux sont expressément limités. Les matières législatives ont été partagées entre les lois, les o r d o n n a n c e s du Roi et les décrets. Les modifica­ tions à la condition des esclaves ont été spéciale­ m e n t mises au n o m b r e des objets sur lesquels la législation a délégué le droit de statuer par o r ­ d o n n a n c e s , droit qu'assurément elle est toujours maîtresse de reprendre et d'exercer pour son pro­ p r e c o m p t e , mais dont il a paru q u e l'exercice habituel serait plus utilement confié à l'adminis­ tration publique. Ce pouvoir d'introduire des N°313 3


( 18 ) liorations dans la condition des personnes non libres, en respectant les droits acquis, n'a p e u t - ê t r e p a s été assez efficacement e m p l o y é par les m a i n s a u x q u e l l e s il a été r e m i s ; mais il subsiste tout e n t i e r , et n o u s e s p é r o n s qu'excitée par l'exemple e t la résolution d e cette C h a m b r e , l'action p r é v o y a n t e s'en fera sentir d é s o r m a i s davantage. II. Le p r e m i e r acte du G o u v e r n e m e n t a été l'abo­ lition réelle et définitive de la traite. Avant m ê m e qu'il se fût f o r m e l l e m e n t réservé le droit d e statuer sur cette matière (art. 2 de la loi du 2 4 avril 1 8 3 3 ) , la loi d u 4 mars 1 8 3 1 avait été r e n d u e , et la traite j u s q u e là t o l é r é e , é p a r g n é e ou m é n a g é e , avait pris fin. Un grave reproche doit e n effet p e s e r s u r la m é m o i r e du g o u v e r n e m e n t d e la restauration. 11 a été i n d i g n e m e n t d é ç u ou il a trompé la F r a n c e . S o u s s o n a u t o r i t é , malgré s e s lois , la traite n'a p a s c e s s é de se pratiquer. Le p r e m i e r acte l é g i s l a ­ tif qui l'interdit est d u 1 5 avril 1 8 1 8 . P e n d a n t l e s n e u f a n s qui o n t s u i v i , la prohibition a é t é à p e u p r è s illusoire. Moins vaine a p r è s la loi d u 2 5 avril 1 8 2 7 , elle n'a p o u r t a n t fait q u e r e n d r e p l u s diffi­ c i l e e t p l u s hasardeux ce qu'elle devait a n é a n t i r . La p o p u l a t i o n n o i r e a c o n t i n u é d'être r e c r u t é e parcet o d i e u x trafic , e n c o r e aggravé par l e s fraudes o b l i g é e s d ' u n e c o n t r e b a n d e h o m i c i d e . Cette i m p o r ­ tation c l a n d e s t i n e s'est o p é r é e d a n s d'assez g r a n ­ d e s p r o p o r t i o n s pour q u e le n o m b r e d e s n o i r s a i n s i a m e n é s d a n s n o s A n t i l l e s , soit évalué par d e s a u t o ­ rités n o n s u s p e c t e s à b e a u c o u p p l u s d u d i x i è m e e t p e u t - ê t r e au c i n q u i è m e d e la population esclave ; e t le v o i s i n a g e d e Madagascar et d e l'Afrique doit r e n d r e la proportion aussi forte au m o i n s d a n s lîle B o u r b o n . Des c o l o n s éclairés q u e n o u s a v o n s


( 19 ) e n t e n d u s n ' h é s i t e n t pas à regarder cette p r o l o n g a ­ tion illicite c o m m e - l e p l u s grand m a l h e u r qui ait atteint les c o l o n i e s . S i le régime de l'esclavage a lait trop p e u d e progrès d e 1 8 1 4 à 1 8 3 0 , ils l'attribuent à cette c a u s e . D'abord cette c o n t i n u e l l e i n f u s i o n d'Afri­ c a i n s tout à fait barbares au sein de la p o p u l a t i o n c r é o l e , rendait p l u s difficile et p l u s l e n t e l'action morale de la civilisation d a n s les ateliers. C o m p t a n t s u r cette r e s s o u r c e i n t e r d i t e , les propriétaires n'é­ taient p l u s e x c i t é s , par l'intérêt d u m o i n s , à s o i g n e r l'état p h y s i q u e des n o i r s , à e n t r e t e n i r les forces et la s a n t é , à p r o l o n g e r la v i e , à s e c o n d e r , par d e s m a r i a g e s r é g u l i e r s , la r e p r o d u c t i o n d e cette race f é c o n d e ; et l e s progrès q u e les représentants et les d é l é g u é s d e s c o l o n i e s a i m e n t à attribuer aux efforts d e s maîtres d e p u i s c e s h u i t d e r n i è r e s a n n é e s , a c ­ c u s e n t i n d i r e c t e m e n t l'emploi qu'ils o n t fait d e s q u i n z e p r é c é d e n t e s . Cette i n a c t i o n d e s particuliers s'explique ; celle du G o u v e r n e m e n t est s a n s e x c u s e et sans prétexte. La cause d e cette trop l o n g u e i n c u r i e n'existe p l u s . Déjà l e s effets b i e n f a i s a n t s d e l'extinction d e la traite, s e f o n t s e n t i r ; les c o l o n s a i m e n t à s'en prévaloir. Ils o n t r a i s o n ; mais il est i m p o s s i b l e d e ne pas leur rappeler q u e le t e m p s n'est pas l o i n p o u r t a n t où u n e voix u n a n i m e s'élevait des c o l o n i e s p o u r d é n o n c e r la s u p p r e s s i o n d e la traite, c o m m e l e s i g n a l et la cause de leur r u i n e . L'abolition d e la traite n'a pas été m o i n s v i v e m e n t attaquée q u e l'a­ b o l i t i o n d e l'esclavage. III. U n e autre m e s u r e législative c o n c e r n a n t l'é­ tat des p e r s o n n e s , m é r i t e d'être rappelée. V o u s avez vu q u e le Codé noir avait p r o m i s aux affranchis


( 2 0 ) u n e condition égale à celle des libres. Cette p r o ­ m e s s e n e s'était jamais réalisée. Des d i s t i n c t i o n s b l e s s a n t e s ou futiles séparaient les d e u x classes e n vertu de r é g l e m e n t s l o c a u x , et l ' o p i n i o n les e x a ­ gérait e n c o r e . U n e loi du 2 4 avril 1 8 3 3 les a toutes effacées, et l'exécution e n a m i e u x réussi q u ' o n n e pouvait l'espérer ; elle n'a point d o n n é n a i s s a n c e à de fâcheuses c o l l i s i o n s , et p e u à peu les m œ u r s paraissent se plier à la loi. Par rapport à l'escla­ v a g e , cette m e s u r e devait avoir deux r é s u l t a t s , s é ­ parer davantage les h o m m e s d e c o u l e u r des n o i r s n o n affranchis, et d o n n e r à la liberté u n prix de plus et un attrait n o u v e a u , p u i s q u ' e l l e n'admettait p l u s de restrictions et n'était p l u s d i s t i n c t e de l'égalité civile. IV. U n e autre m e s u r e , c o n ç u e d a n s le m ê m e esprit et au m ê m e m o m e n t , avait précédé la loi de 4 8 3 3 . L'affranchissement s o u m i s par l'édit de 1 6 8 5 , à la seule v o l o n t é d u m a î t r e , était par l'effet d e r é g l e m e n t s postérieurs , c o m p l i q u é par des for­ m a l i t é s , par des taxes et par la n é c e s s i t é d'obtenir d e s a d m i n i s t r a t e u r s u n e autorisation s o u v e n t r e ­ fusée. Les o r d o n n a n c e s royales d u ler mars 1831 , et d u 4 2 juillet 1 8 3 2 , firent deux c h o s e s : elles simplifièrent les formes et s u p p r i m è r e n t les frais de l'affranchissement. Le propriétaire en devint p r e s ­ que seul a r b i t r e , et si l'autorité fut e n c o r e appelée à i n t e r v e n i r , ce fut m o i n s (les i n s t r u c t i o n s l ' e n t e n ­ d e n t ainsi) pour approuver ou rejeter q u e pour ga­ rantir la régularité et l ' a u t h e n t i c i t é de l'opération. En s e c o n d l i e u , l'art. 7 de l ' o r d o n n a n c e du 4 2 j u i l ­ let d o n n a la liberté de droit à t o u s c e u x qui p o s ­ sédaient la liberté de f a i t . Ils formaient u n e classe assez n o m b r e u s e , et o c c u p a i e n t d a n s la société u n e


( 21 ) situation i n d é c i s e qu'il était bon d e régler. Vous avez vu q u e législation postérieure au Code n o i r , avait r e n d u l'affranchissement difficile. C'était sur­ tout l'effet des o r d o n n a n c e s d e s 2 i octobre 1 7 1 3 et 15 j u i n 1 7 3 6 . C e p e n d a n t , a u c u n e loi n e p o u ­ vait e m p ê c h e r le propriétaire de se désister de s e s droits sur s o n e s c l a v e , et de le laisser maître de luim ê m e s o u s sa protection ou son patronage. Ce s o n t ces affranchis par d é s i s t e m e n t ou libres d e fait, qui portaient le n o m , aux A n t i l l e s , d e patronés ou libres de savannes, cl à l'île B o u r b o n , d e cartesblanches, et d o n t l ' o r d o n n a n c e de 1 8 3 1 a facilité ou régularisé la libération définitive. Ces o r d o n n a n c e s o n t eu le double effet d'accroî­ tre définitivement la classe des affranchis d'un n o m b r e d'individus q u i , à la fin d e l 8 3 6 , paraissait, pour les d e u x îles d u V e n t , approcher d e 1 8 , 0 0 0 , et de multiplier les affranchissements n o u v e a u x e n les r e n d a n t p l u s faciles. Par là , ces d e u x m e s u r e s a p p a r t i e n n e n t au s y s t è m e de l'abolition de l'escla­ vage par l'émancipation partielle et progressive. V. Après avoir ainsi modifié les é l é m e n t s m o ­ biles de la population c o l o n i a l e , il était nécessaire d'en assurer le r e c e n s e m e n t exact. Le d é n o m b r e ­ m e n t , qui n'est en France q u ' u n e opération admi­ nistrative assez s i m p l e , a toujours été aux c o l o n i e s u n e m e s u r e grave et difficile; D ' a b o r d , les noirs a y a n t été l o n g t e m p s s o u m i s à u n droit de capitat i o n , les propriétaires n'avaient nul e m p r e s s e m e n t à faire c o n n a î t r e e x a c t e m e n t la quotité de la matière imposable. P u i s l'exactitude des r e c e n s e m e n t s est difficile à o b t e n i r , si l'on ne fait pénétrer les a g e n t s de l'Administration dans les h a b i t a t i o n s , et cet exercice si simple des droits de la p u i s s a n c e p u b l i -


( 22 ) q u e , a t o u j o u r s é t é r e p o u s s é par les c o l o n s , avec u n e excessive défiance. De p l u s , les déclarations et les r e c e n s e m e n t s d e v i e n n e n t n é c e s s a i r e m e n t pour les n o i r s , les é l é m e n t s d ' u n e sorte de registre d'état c i v i l ; et ces mots d'état civil, s o n t c o n s i d é r é s par q u e l q u e s esprits c o m m e i n c o m p a t i b l e s avec l ' e s ­ clavage. E n f i n , u n r e c e n s e m e n t a n n u e l bien f a i t , est le c o m p l é m e n t et la garantie de la prohibition légale d e la traite. E n d o n n a n t les m o y e n s d e constater les varial i o n s s u r v e n u e s d a n s la population des ateliers, et d'en r e c h e r c h e r l'origine, il décèle les r e c r u t e m e n t s f r a u d u l e u x , là où ils o n t été pratiqués. Aussi, par­ tout o ù l'on n e s'est pas r é s i g n é à la s u p p r e s s i o n d e la t r a i t e , n e s'est-on pas prêté au d é n o m b r e m e n t des n o i r s . P e r s o n n e n'ignore quelles luttes la Grande-Brelagne a dû soutenir contre quelques unes de ses c o l o n i e s pour le s o u m e t t r e à des formes a u ­ t h e n t i q u e s . Les actes d ' e n r e g i s t r e m e n t des esclaves s o n t d e v e n u s l'occasion d ' u n e sorte de guerre c i ­ vile e n t r e le p a r l e m e n t anglais et l'assemblée de la Jamaïque. S o u s la restauration , c o m m e la traite était mal r é p r i m é e , les r e c e n s e m e n t s se faisaient m a l . Après la loi du 2 4 a v r i l , l'administration dut vouloir s'as­ surer u n e c o n n a i s s a n c e exacte de l'état d e la p o p u ­ lation , et l ' o r d o n n a n c e du 4 août 1 8 3 3 fut r e n d u e . Elle prescrit la r e m i s e a n n u e l l e à l'autorité m u n i c i ­ pale d'états d e r e c e n s e m e n t affirmés par les maîtres d'esclaves, et d r e s s é s d a n s u n e forme et avec d e s détails e x p r e s s é m e n t e x i g é s . E n m ê m e temps le devoir est i m p o s é aux maîtres d e d é c l a r e r , d a n s un certain délai , les n a i s s a n c e s , mariages et d é c è s qui auraient lieu sur leur habitation. Ces p r e s c r i p -


( 23 ) t i o n s s o n t s a n c t i o n n é e s par d e s a m e n d e s assez c o n ­ sidérables. A u s o u v e n i r d e s difficultés s é r i e u s e s qu'ailleurs u n e pareille m e s u r e avait r e n c o n t r é e s , le Gouver­ n e m e n t pouvait c o n c e v o i r q u e l q u e s i n q u i é t u d e s ; l ' é v é n e m e n t n e les a pas justifiées. L ' o r d o n n a n c e n'a point r e n c o n t r é de r é s i s t a n c e , et si d ' a b o r d , à la Guadeloupe à la G u y a n e , elle a c a u s é q u e l ­ q u e s alarmes , c h e z c e u x qui y voyaient le c o m m e n ­ c e m e n t d'un état civil pour les e s c l a v e s , elles se s o n t p r o m p t e m e n t d i s s i p é e s . L'article 2 d e l'or­ donnance permettait d e d é s i g n e r d a n s la lo­ calité le f o n c t i o n n a i r e chargé de recevoir les déclarations. A Bourbon et à la G u y a n e , l'au­ torité m u n i c i p a l e réunit la t e n u e d e l'étal c i ­ vil à s e s f o n c t i o n s administratives ; et c'est pro­ b a b l e m e n t e n vertu d u caractère q u e c e l l e s - c i lui d o n n e n t qu'elle y a été chargée d e la r é c e p t i o n d e s d é c l a r a t i o n s . 11 e n a é l é de m ô m e à la Guadeloupe ; mais là, l'autorité m u n i c i p a l e n'était p o i n t chargée de l'état civil. E n f i n , à la Martinique, o ù le soin e n était aussi confié à d e s officiers s p é c i a u x , o n n'a fait n u l l e difficulté de l e s d é s i g n e r pour t e n i r le registre des déclarations. L ' o r d o n n a n c e a d'abord été e x é c u t é e très-impar­ faitement ; mais peu à peu o n s'y est m i e u x pris et mieux p r ê t é , et d e p u i s 183G o n peut dire qu'elle est e n vigueur : c e p e n d a n t elle pourrait être m i e u x o b ­ s e r v é e e n c o r e , et les t r i b u n a u x o n t m i s d e la m o l ­ l e s s e d a n s la répression d e s c o n t r a v e n t i o n s . U n a n avant qu'elle fût r e n d u e , u n projet d e loi avait é l é préparé pour le m ê m e objet par la C o m m i s ­ s i o n de législation coloniale p r è s le Ministère de la m a r i n e . C o m m u n i q u é e n 1 8 3 2 et e n 1 8 3 3 aux c o n -


( 24 ) seils privés et aux c o n s e i l s c o l o n i a u x , ce projet un peu plus c o m p l i q u é q u e l ' o r d o n n a n c e , p r é s e n t é c o m m e un corollaire de la loi c o n t r e la traite, n'avait pas reçu unbienveillant accueil. 11 n'avait pas traversé la discussion sans a m e n d e m e n t s ni c r i t i q u e s , q u o i q u e te p r i n c i p e en eût été approuvé. En consé­ q u e n c e , on renonça à la voie législative, et l'on se borna à une o r d o n n a n c e . N o u s v e n o u s de dire q u e l'exécution en a produit d e b o n s effets. Il paraît c e p e n d a n t q u e l'Administration n e fut pas d'abord satisfaite d u résultat, car elle p r é ­ para un nouveau projet, d ' o r d o n n a n c e plus s é v è r e , probablement plus efficace, et q u i , d a n s son arti­ cle 6, rétablit le droit de visite des habitations par les officiers de police judiciaire pour la vérification des étals de r e n c e n s e m e n t . En 1 8 3 4 , il a été s o u ­ m i s aux divers c o n s e i l s et approuvé d a n s s e s d i s p o s i t i o n s , à l'exception des deux articles p r é ­ cités . Nous n e p o u v o n s trop e x h o r t e r l'Administration à n e pas a b a n d o n n e r ce p r o j e t , e t , e n a t t e n d a n t , à tenir la main à l ' e x é c u t i o n la plus rigoureuse d u r é g l e m e n t actuel. Il n e p e u t y avoir nulle raison valable, n u l p l a u s i b l e p r é t e x t e d e c o n t e s t e r au Gou­ v e r n e m e n t le droit et la faculté d'acquérir, par tous m o y e n s , les é l é m e n t s statistiques de l'état et du m o u v e m e n t de la population coloniale. Ce sont d e s faits de la p l u s grande i m p o r t a n c e pour éclairer et le pouvoir et la société sur sa marche de progrès o u de d é c a d e n c e . Ce s o n t des d o n n é e s i n d i s p e n s a b l e s pour la décision de toute question relative à l'une des classes i n t é g r a n t e s de la population , el toute omission o u dissimulation en c e l l e matière pourrait


( 25 ) d o n n e r lieu à de fâcheux s o u p ç o n s , ainsi <|u'à de dangereuses méprises. Vf. Avant d e p r e n d r e un parti sur l'avenir de la société coloniale, avant m ê m e d'inférer a u c u n e c o n s é q u e n c e sérieuse des faits constatés et d e s m e ­ sures prescrites, l'Administration avait tout à la fois un devoir à remplir et u n e instruction à c h e r ­ cher dans le g o u v e r n e m e n t des noirs qui s o n t s o u s ses ordres. Car le d o m a i n e aussi est proprié­ taire d'esclaves, m ô m e d'habitations ; et le p o u v o i r , c o m m e administrateur du d o m a i n e , c o m m e repré­ s e n t a n t le propriétaire , doit l'exemple à t o u s . Par une lettre du 19 juillet 1 8 3 6 , le Ministre de la m a r i n e d e m a n d a des r e n s e i g n e m e n t s sur le n o m b r e , l'état, la c o n d u i t e des noirs dits du d o ­ m a i n e , c o m p o s a n t ce q u ' o n appelle l'atelier c o l o ­ nial, et prescrivit d e leur appliquer un régime q u i , s o u s les rapports d e l ' e n t r e t i e n , d u travail, de la discipline , s o u s les rapports plus i m p o r t a n t s de l'instruction morale et religieuse et d e s e n c o u r a ­ g e m e n t s à d o n n e r au mariage, fût c o n ç u d a n s un libéral esprit de p e r f e c t i o n n e m e n t et de progrès. Suivant les lieux il fut d i v e r s e m e n t r é p o n d u à ses q u e s t i o n s et à ses o r d r e s . A la Martinique, peu de noirs a p p a r t i e n n e n t à la c o l o n i e , et la c h o s e fut, à ce qu'il paraît, j u g é e s a n s i m p o r t a n c e . La Guadeloupe n'a pas d'atelier colonial e n régie. Les noirs qu'elle possède sont placés d a n s des propriétés d o m a n i a l e s affermées. A la G u y a n e , le n o m b r e d e s noirs d u d o m a i n e est de (616. S u r ce n o m b r e , 3 5 0 ne sont pas exclusi­ v e m e n t cultivateurs. E m p l o y é s tour à tour aux tra­ vaux de q u e l q u e s petites plantations q u e l'État p o s ­ s è d e , à divers travaux p u b l i c s , au service des m a N°313 A


( 26 ) g a s i n s , des h ô p i t a u x , de l'administration , ce sont des d o m e s t i q u e s c l des o u v r i e r s , n o n des noirs d e culture. G é n é r a l e m e n t actifs, laborieux, ils g a g n e n t de l ' a r g e n t ; s o u m i s à u n régime c o n v e n a b l e , ils n'ont pas b e s o i n d ' u n e discipline s é v è r e ; mais leur instruction est n u l l e , leurs moeurs d i s s o l u e s , et ils c o n n a i s s e n t à p e i n e le mariage. 11 n'en est pas de m ê m e à la Gabrielle, belle habitation d o m a n i a l e où 2 1 6 n o i r s cultivent les arbres à é p i c e r i e s . Dans cet atelier sain et b i e n t e n u , ils p e u v e n t amasser u n p é c u l e c o n s i d é r a b l e . Le travail étant d o n n é à la. tâche , c o m m e au reste d a n s tous les ateliers de la c o l o n i e , ils le t e r m i n e n t quelquefois en deux h e u r e s et l o u e n t le reste de leur temps au m ê m e , prix que les ouvriers libres. Là on retrouve q u e l q u e s restes de tradition r e l i g i e u s e , e t , ce qui est plus r e m a r q u a b l e , sur 1 6 6 individus des deux s e x e s , a u - d e s s u s de 2 1 a n s , . 6 6 vivent d a n s les l i e n s du m a r i a g e . On dit qu'il sera facile d'y multiplier les u n i o n s l é g i t i m e s , en promettant un trousseau, un terrain à cultiver, e t c . Toutefois il n'y a c h a n c e de répandre u n peu d ' i n s ­ t r u c t i o n , m ê m e r e l i g i e u s e , qu'en s'adressant aux e n f a n t s . Aussi l'Administration a-t-elle le dessein de placer u n prêtre à la Gabrielle, et d'y ouvrir deux salles d'asile, s o u s la direction d e s s œ u r s de la c o n grégalion de S a i n t - J o s e p h . Le G o u v e r n e u r de l'Ile B o u r b o n , interrogé c o m m e c e u x de n o s p o s s e s s i o n s a m é r i c a i n e s , a r é p o n d u que l'atelier colonial é t a i t , sous tous les rapports, s u p é ­ rieur à tous c e u x d u p a y s . S u r 1 , 0 9 0 n o i r s q u i le c o m ­ p o s e n t , 2 1 5 s e u l e m e n t s o n t esclaves. Mais ils n e s o n t pas c o n s a c r é s à l'agriculture ; c e s o n t les travaux p u b l i c s , les services publics qui o c c u p e n t leurs bras.


( 27 ) Mieux nourris q u e les autres n o i r s , ils s o n t rare­ ment p u n i s . Leur travail est e x c e l l e n t , et ils o n t d o n n é à la c o l o n i e de belles r o u l e s . Ils n'ont point de p é c u l e ; ils sont à peu près étrangers à toute r e l i g i o n , et n e se marient pas. Là a u s s i , toute réforme morale devrait c o m m e n c e r par les enfants. L e G o u v e r n e m e n t d o i t , ce nous s e m b l e , profiter de la situation , d o n n é e c o m m e si satisfaisante, d e s ateliers c o l o n i a u x , pour y réaliser s a n s retard t o u tes les améliorations projetées. Telles seraient la c é ­ lébration régulière des c é r é m o n i e s du c u l t e , a u x ­ quelles les esclaves seraient obligés d'assister ; une instruction religieuse mise à leur p o r t é e ; d e s m e s u ­ res qui favoriseraient l'éducation des e n f a n t s et la multiplicité des m a r i a g e s ; la r e c o n n a i s s a n c e légale -du pécule; l'affranchissement accordé c o m m e récom­ p e n s e à celui qui aurait g a g n é une s o m m e suffisante pour a i d e r a la subsistance de sa famille; p e u t - ê t r e l'institution d ' u n e Caisse d ' É p a r g n e , e t c . VII. Mais u n e autre e x p é r i e n c e p l u s c u r i e u s e , et m a l h e u r e u s e m e n t fort l i m i t é e , est sur le point de s'accomplir sous les auspices de l'autorité. Au m o m e n t de la révolution d e j u i l l e t , parmi les noirs d u d o m a i n e il y e n avait qui n'étaient pas légalement esclaves : c'étaient c e u x qui prove­ naient de saisies faites e n vertu des lois répressives de la traite. E n c o n s é q u e n c e , l'art. 10 de la loi du 4 mars 1 8 3 1 les déclara libres , mais en les s o u m e t ­ tant à un e n g a g e m e n t d o n t la durée n e pouvait e x ­ céder sept a n s . Ils s o n t , d a n s l e s d i v e r s e s c o l o n i e s , au n o m b r e d'environ 1 , 5 0 0 . Voilà d o n c u n e certaine masse de noirs affranchis en p r i n c i p e , investis déjà de leurs droits c i v i l s , mais r e t e n u s au travail par


( 28 ) un e n g a g e m e n t forcé qui expire cette a n n é e . Ils vont être libres. C'était là u n e position nouvelle fort d i g n e de l'at­ tention du Ministère de la m a r i n e . V o u s avez tous , M e s s i e u r s , e n t e n d u parler de l'établissement de la Mana. V o u s savez q u ' u n e tentative assez m a l h e u ­ reuse d e colonisation a été faite, il y a e n v i r o n dixhuit a n s , sur la partie nord de la G u y a n e qu'arrose cette rivière. me

En 1827 , mad Javouhey, supérieure générale de la congrégation des s œ u r s de S t . - J o s e p h - d e - C l u n y , institution qui e n t r e t i e n t d e t r è s - u t i l e s m a i s o n s d'é­ d u c a t i o n dans les c o l o n i e s , proposa d e former d a n s c e l i e u , sous sa direction , u n e c o m m u n a u t é agri­ c o l e . Le d é p a r t e m e n t de la marine y c o n s e n t i t , et u n e expédition c o m p o s é e de s œ u r s et de familles de cultivateurs et d ' o u v r i e r s , e n tout 9 8 p e r s o n n e s , alla p r e n d r e la résidence , jusqu'alors si m a l h e u ­ r e u s e m e n t o c c u p é e par des i m m i g r a n t s q u e dirigeait u n e autorité militaire. S o u s le g o u v e r n e m e n t a b ­ solu et religieux de madame Javouhey , la p e l i l e colonie s'est s o u t e n u e , et en 1 8 3 5 la supérieure a offert d'y recevoir , moy ennant un prix convenu , les e n g a g é s des ateliers c o l o n i a u x , pour y fonder u n atelier libre. Le désir de faire un utile e s s a i , et p e u t - ê t r e aussi de séparer les esclaves du d o m a i n e d u contact des noirs e n g a g é s , fit accueillir la pro­ p o s i t i o n , q u ' u n e décision royale approuva le 14 août de la m ê m e a n n é e . Aussitôt tous les e n g a g é s d e l'atelier colonial de la G u y a n e furent transpor­ tés à la Mana , au n o m b r e d e c i n q c e n t s ; et l'on offrii a u x autres c o l o n i e s de r é u n i r sur ce point c e u x d e leurs nègres qui se trouvaient d a n s la même p o s i t i o n . Mais la d é p e n s e qu'exigeait cette e m i g r a -


( 29 ) tion ne permit pas aux c o n s e i l s locaux d e s'y prê­ ter. Q u o i q u ' i l en soit, l'essai paraît avoir réussi , et d'après un rapport du mois de septembre der­ nier , adressé par le gouverneur de la Guyane française , le zèle et la fermeté de madame Javouhey étaient, p a r v e n u s à m a i n t e n i r d a n s son établis­ s e m e n t , l'ordre , l'union , le travail, et à d o n n e r aux noirs q u e l q u e s habitudes religieuses. Les ma­ riages étaient t r è s - f r é q u e n t s . Au m o m e n t de leur libération , c h a c u n des e n g a g é s doit recevoir e n propriété , pour lui et sa famille , u n e case et un terrain en plein rapport. Dans deux c o l o n i e s , il est resté un assez grand n o m b r e de ces libérés de traite. Les 8 7 5 que l'Ad­ ministration de Bourbon e m p l o i e , c o n j o i n t e m e n t avec ses e s c l a v e s , aux travaux des routes , lui o n t paru trop utiles pour les e n v o y e r à la Mana. T o u t e s les autorités s o n t d'accord pour attester leur b o n n e c o n d u i t e . Le Gouverneur s'est o c c u p é d'un projet de r é g l e m e n t sur le r e n g a g e m e n t , après l'affranchissement définitif; ce projet méritera d'ê­ tre rappelé q u a n d on s'occupera de faire succéder à l'esclavage un s y s t è m e mixte de travail obligé et d e liberté civile. Quoi qu'il en s o i t , le conseil c o ­ lonial a protesté contre L'arrêté du Gouverneur , qui p r o n o n ç a i t la libération légale d e s noirs de t r a i t e ; c'était au fond protester c o n t r e la loi. D'autres résistances o n t a m e n é b i e n t ô t la d i s s o ­ lution du c o n s e i l , et l'arrêté du Gouverneur est exécuté. A la M a r t i n i q u e , o n fut l o n g t e m p s s a n s s'occu­ per de la situation des e n g a g é s . Enfin , pressé par M. l'amiral D u p e r r é , M. d e Mackau s'enquit avec sollicitude de cet ordre de faits, et découvrant la vé­ rité à travers d e s rapports i n f i d è l e s , il constata.


( 30 ) que sur les 1 8 3 e n g a g é s , 3 0 s e u l e m e n t avaient d o n n é lieu à de j u s t e s plaintes ; 1 1 6 paraissaient capables de supporter la liberté et de se suffire à euxm ê m e s ; le reste était infirme. 11 s'occupa dès lors et augura bien d e leur amélioration morale. Plusieurs étaient déjà mariés. Le g o u v e r n e u r déclare dans sa d é p ê c h e qu'il v o i t , avec sécurité , approcher le terme de leur complète é m a n c i p a t i o n . Par m a l h e u r , ces noirs sont e n c o r e des ouvriers ou des d o m e s t i q u e s . Vingt-trois s e u l e m e n t o n t é t é , à litre d ' e s s a i , attachés à u n e habitation c o l o n i a l e ; quatorze s o n t de b o n s cultivateurs q u i , suivant M. de Mackau , c o n t i n u e r o n t de se livrer, m o y e n ­ nant salaire, au m ê m e travail, q u a n d leur libéra­ tion e n t i è r e sera p r o n o n c é e . Ce s o n t là de petits résultats ; mais ils ont q u e l ­ que prix et p e u v e n t jeter un peu de lumière sur le problème d e la conciliation du travail et de la liberté. D'ailleurs, il d é p e n d du G o u v e r n e m e n t de c h e r c h e r à agrandir l'expérience, On a r e m a r q u é , avec r a i s o n , q u e les noirs e n g a g é s ne sont p a s , n o t a m m e n t à B o u r b o n , dans u n e situation assez différente de. celle des noirs du d o m a i n e . Ne s e ­ rait-il pas facile d'y r e m é d i e r , en convertissant tous les noirs du d o m a i n e en noirs e n g a g é s ? N o u s r e c o m m a n d o n s c e l l e idée aux méditations du G o u ­ vernement. VIII. La question des e n g a g é s appelle naturelle­ m e n t l'attention sur la position et la c o n d u i t e des nouveaux affranchis, de c e u x surtout d o n t l'ordon­ n a n c e du 1 2 juillet 1 8 3 2 a fixé l'état. Suivant b e a u ­ coup d e t é m o i g n a g e s , ni l'une ni l'autre n'est sa­ tisfaisante. Dociles à l'esprit qui avait dicté l ' o r ­ d o n n a n c e , les autorités locales n'ont mis nulle e n -


( 31 ) trave à la facilité croissante des c o l o n s à p r o n o n ­ cer des m a n u m i s s i o n s . On n'a pas regardé assez sévèrement à la réalité des m o y e n s de subsistance d o n t l'arlicle 3 exigeait la preuve, c o m m e u n e c o n d i ­ tion de l'affranchissement. N o n - s e u l e m e n t u n e partie des libres de fait é m a n c i p é s par l'art. 7, mais plusieurs de ceux des n o m b r e u x affranchis q u e la faiblesse ou le caprice a j e t é s d a n s la société l i b r e , o n t d o n n é aux c o l o n i e s le spectacle d'une vie o i s i v e , misé­ r a b l e , errante, et c o m p r o m i s la liberté e n se m o n ­ trant peu capables d'en user. C'est u n e e x p é r i e n c e de fâcheux augure pour l'émancipation à venir ; d u m o i n s e s t - c e u n e preuve q u e l'affranchissement s a n s garantie n'est pas u n e b o n n e c h o s e . Aussi le Ministère s'est-il occupé de réviser la législation sur les affranchissements. Des projets d ' o r d o n n a n c e ont été rédigés dans les c o l o n i e s . Tous tendaient avec raison à r e s t r e i n d r e , en matière de m a n u mission , le bon plaisir du maître par le c o n t r ô l e de l'autorité. T o u s c o n c l u a i e n t à encourager la formation des pécules et le rachat de la liberté par l'esclave à prix d ' a r g e n t , c o m m e autant de g a r a n ­ ties de l'esprit d'ordre et des habitudes laborieuses qu'il faudrait propager dans les ateliers. Ces p r i n ­ cipes n e furent pas repoussés par les c o l o n i e s , n o m m é m e n t par le conseil de la Martinique. Ces travaux sont restés en projets. L'Administra­ tion fera bien d e les r e p r e n d r e , et sans doute elle aurait d û s'occuper plus t ô t , et avec p l u s de suite , des moyens] d'éclairer, d'améliorer e t , s'il est pos­ s i b l e , d'occuper a c t i v e m e n t les affranchis. P e u t ôtre y aurait-il m o y e n d e les attacher à de certains travaux p u b l i c s ; toujours v o i t - o n q u ' u n colon fort éclairé a réussi à faire creuser un canal à la


( 32 ) Guadeloupe par des mains libres ( 1 ) , et d a n s u n e dépêche du 3 0 avril 1 8 3 7 , le g o u v e r n e u r de la Martinique parle du s u c c è s obtenu par q u e l q u e s habitants dans leurs tentatives d'appel d'industrie volontaire,aux travaux agricoles. Les nouveaux affranchis ne paraissent n u l l e m e n t m e n a c e r la tranquillité p u b l i q u e . Leur n o m b r e s'est accru sans que les délits se s o i e n t multipliés ; mais l'inaction et le d é n u e m e n t s o n t d'un mauvais exem­ ple , et p e u t - ê t r e y aurait-il lieu d'appliquer aux co­ l o n i e s q u e l q u e s - u n e s d e s m e s u r e s u s i t é e s en F r a n c e c o n t r e le vagabondage. IX. N o u s d e v o n s aussi rappeler, en q u e l q u e s m o t s , le projet c o n ç u , un m o m e n t , par l ' A d m i n i s ­ tration , d e rédiger un nouveau code de l'escla­ vage. R i e n général , en ce s e n s , n'avait été fait, si ce n'est une o r d o n n a n c e du 3 0 avril 1 8 3 3 , qui s u p p r i m e la mutilation et la marque. Par l'ordre du M i n i s t r e , une C o m m i s s i o n fut f o r m é e , d a n s c h a q u e c o l o n i e , pour préparer u n plan de législa­ t i o n . Nous a v o n s eu sous les y e u x celui de la G u y a n e et celui de Bourbon ; c e sont deux ouvrages i n t é ­ r e s s a n t s . La t e n d a n c e d e l'un et de l'autre serait d e c o n v e r t i r , en obligations légales pour le maître, les octrois ou c o n c e s s i o n s que des r é g l e m e n t s ou des usages locaux l'ont j u s q u ' i c i c o n d u i t à l'aire à l'esclave , d ' é t e n d r e , sur la tenue des h a b i t a t i o n s , la surveillance du Ministère public , d e modérer les p e i n e s de d i s c i p l i n e , d'en régulariser 1'application , en obligeant le propriétaire à tenir un j o u r n a l des (1) Réflexions sur l'affranchissement des esclaves dans les colonies françaises; par A de Lncharrière , président à la Cour royale de la G u a d e l o u p e . 1 8 3 8 .


( 33 ) c o n d a m n a t i o n s qu'il aurait p r o n o n c é e s . C'est cette dernière disposition qui parait avoir indisposé s u r ­ tout le conseil colonial de Bourbon appelé à d o n ­ n e r s o n avis sur le projet de Code , et e n défini­ tive il a refusé d'en délibérer ( 2 8 octobre 1 8 3 5 ) . X. S a n s attendre la refonte toujours difficile d'un corps d e législation , il y a d e s m e s u r e s q u e l'Àdministralion pourrait i m m é d i a t e m e n t p r e n d r e ou provoquer, et q u i , d a n s tous les s y s t è m e s , n e sauraient q u e c o n t r i b u e r à la sécurité et au progrès des c o l o n i e s , m e s u r e s aussi propres à adoucir l'es­ clavage qu'à c o n t e n i r la liberté. Par e x e m p l e , celles qui seraient relatives au c u l t e , à l'instruction reli­ gieuse , à l ' e n s e i g n e m e n t primaire. On y a p e n s é s a n s d o u t e , mais on a fait bien peu d e c h o s e . On parait s'être b o r n é à intéresser la c o n g r é g a t i o n des frères d e s écoles c h r é t i e n n e s de Ploërmel à l'é­ d u c a t i o n d e s n o i r s , et c i n q m e m b r e s de cet institut o n t été e n v o y é s à la Guadeloupe (octobre 1 8 3 7 ) p o u r y former un é t a b l i s s e m e n t principal qui servît d e c e n t r e et de m o d è l e aux é c o l e s analogues à f o n ­ der d a n s les d e u x îles d u V e n t . N o u s d e v o n s dire q u e , pour les a m é l i o r a t i o n s de ce g e n r e , les p o u ­ voirs c o l o n i a u x m o n t r e n t des d i s p o s i t i o n s favora­ bles d o n t on aurait p u tirer meilleur parti. XI. Enfin la réforme la plus sérieuse q u e le G o u v e r n e m e n t ait m é d i t é e , est la c o n v e r s i o n du p é c u l e e n u n e propriété pour l'esclave, et d e la fa­ c u l t é d e racheter sa liberté par s o n pécule e n un droit. Le 3 d é c e m b r e 1 8 3 5 , d e u x projets d ' o r d o n ­ n a n c e sur ces deux objets furent c o m m u n i q u é s au conseil des d é l é g u é s à P a r i s , qui douta q u e cette double q u e s t i o n fût du d o m a i n e des o r d o n n a n c e s , la j u g e a n t du ressort d e s conseil c o l o n i a u x . On N°313

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( 34 ) passa o u t r e , et l'on n e d e m a n d a à c e u x - c i qu'un avis. Les deux projets furent par e u x l o n g u e m e n t et vivement d i s c u t é s , et b i e n q u e l'année p r é c é ­ d e n t e un d ' e u x , au m o i n s , eût paru en admettre le p r i n c i p e , les quatre c o l o n i e s rejetèrent tout à l'una­ n i m i t é , e n ajoutant q u e la matière appartenait au décret c o l o n i a l , et n o n à l ' o r d o n n a n c e d u R o i . Et m ê m e le conseil de la Martinique, pour cette r a i s o n , refusa de délibérer sur le f o n d . On se fonda sur les motifs que voici. Quant à la f o r m e , l ' o r d o n n a n c e royale n e peut statuer sur les améliorations à introduire d a n s la c o n d i t i o n des p e r s o n n e s n o n l i b r e s , qu'en respectant l e s droits acquis (art. 3 de la loi du 4 avril 1 8 3 3 ) . Or, les projets sur le p é c u l e et le rachat t o u c h e n t aux droits a c q u i s , puisqu'ils a t t e i g n e n t , d ' u n e p a r t , le droit illimité d u colon sur tout ce que peut avoir l'esclave, e t , d e l ' a u t r e , la liberté absolue d'accorder o u de refuser l'affranchissement. D o n c ils n e pourraient être votés q u e par la représentation coloniale , c'est-à-dire s o u s forme de d é c r e t s . Quant au f o n d , les d e u x projets ont l ' i n c o n v é n i e n t d e c h a n g e r u n état de choses satisfaisant. En fait, le maître laisse à l'esclave la propriété de s o n p é c u l e ; e n f a i t , il n e lui refuse g u è r e sa liberté q u a n d il a le m o y e n de la payer. P o u r q u o i d o n c substituer le droit au f a i t , la loi à l'équité , et transformer e n rapports forcés d e s rapports d e b i e n v e i l l a n c e et de r e c o n n a i s s a n c e ? C'est affaiblir l'autorité morale du maître. Dans la p r a t i q u e , la d o u b l e faculté q u e l'on accorderait à l'esclave , pourrait à la fois l'encourager au vol afin de s'enrichir pour se l i b é r e r , et désorganiser le travail en privant les p l a n t a t i o n s , par le rachat forcé, d e leurs meilleurs ouvriers. E n p r i n c i p e , l'incapa-


( 35 ) cité de posséder est u n e des c o n d i t i o n s de l'escla­ vage. L'innovation proposée l'altérerait dans s o n e s s e n c e ; la qualité de propriétaire e n t r a î n e r a i t , pour le n o i r , la faculté de s o u t e n i r e n j u s t i c e des a c t i o n s , soit par l u i - m ê m e , soit par l ' e n t r e m i s e du m i n i s t è r e public. Tout cela est au vrai u n a c h e ­ m i n e m e n t à l'abolition de l'esclavage, et le rachat forcé est déjà u n e é m a n c i p a t i o n partielle. N o u s e x a m i n e r o n s plus tard la valeur d e ces o b ­ j e c t i o n s ; m a i s , dès à p r é s e n t , n o u s d e v o n s r e m a r ­ quer que ces deux m e s u r e s avaient été c o n s e i l l é e s par t o u s les p r o c u r e u r s g é n é r a u x des c o l o n i e s , et q u e , bien loin d'être des i n n o v a t i o n s , elles n e s o n t q u e l'application de p r i n c i p e s approuvés par les c o l o n s , et la c o n s é c r a t i o n d'usages qu'ils p r é t e n ­ d e n t respecter u n i v e r s e l l e m e n t . On peut a j o u t e r : 1°. Qu'il est difficile d e d o n n e r le n o m d e droits acquis à t o u s les avantages qui r é s u l t e n t des i n n o m ­ brables d i s p o s i t i o n s d ' u n e législation i n c o h é r e n t e et c o m p l i q u é e . A u t r e m e n t , l ' o r d o n n a n c e royale n'en pourrait c h a n g e r a u c u n e , et la faculté d ' i n ­ troduire des améliorations dans la c o n d i t i o n des es­ c l a v e s , se réduirait à r i e n . 2 ° . Le droit acquis peut résulter du c o n s e n t e m e n t c o m m u n et de l'équité n a t u r e l l e , n o n m o i n s q u e de la loi é c r i t e , et il s e m b l e q u e c'est aussi l'esclave q u i , d'après l ' u s a g e , aurait acquis un droit à son p é c u l e et à s o n rachat. 3°. Dans tous l e s c a s , si l ' o r d o n n a n c e n'était pas c o m p é t e n t e , c'est la loi qui le serait ; car apparem­ m e n t , ce n'est pas la c o l o n i e qui a d é l é g u é des p o u ­ voirs législatifs à la m é t r o p o l e , et celle-ci, lui e û t elle fait u n e c o n c e s s i o n , resterait maîtresse de la reprendre.


( 36 ) 4°. Quant aux m e s u r e s e n e l l e s - m ê m e s , elles n e p e u v e n t avoir de d a n g e r s n o u v e a u x pour la sûreté des propriétés o u l'organisation du t r a v a i l , p u i s ­ qu'on avoue, et q u ' o n s'enorguellit d'avouer qu'elles n e feraient q u e c o n t i n u e r et légaliser ce qui se pra­ tique partout. D'ailleurs , il serait facile de stipuler des c o n d i t i o n s et des garanties qui p r é v i e n d r a i e n t les abus qu'on r e d o u t e . 5°. 11 n e faut pas regarder si elles i n n o v e n t en p r i n c i p e , mais si elles s o n t j u s t e s . Modifier q u e l ­ q u e s - u n e s des c o n d i t i o n s civiles de l'esclavage, ce n'est pas l ' a b o l i r , c'est le r e n d r e m o i n s i n j u s t e et p l u s d o u x . Si l'on s'effraie de voir s u c c é d e r le droit à l'arbitraire, et remplacer l'action des v o l o n t é s particulières par celle de la loi c o m m u n e , il faut repousser toutes les réformes m o d e r n e s ; car c'est à t o u t e s , leur t e n d a n c e et leur but. 6 ° . Il n'est pas exact q u e les deux mesures propo­ sées fussent n é c e s s a i r e m e n t le p r é l u d e de l'abolition de l'esclavage. Le G o u v e r n e m e n t n e les avait c o n ç u e s q u e c o m m e des m e s u r e s d e j u s t i c e et d'amélioration ; et c e r t e s , le m o y e n de conserver l'institution de l'esclavage, si elle devait être c o n s e r v é e , n e serait pas d e la préserver de tout a d o u c i s s e m e n t , de toute r é f o r m e , de tout progrès. L'édifice c r o u l e r a , s'il n'est réparé. P o u r le G o u v e r n e m e n t au reste , il a dû sortir de la résistance des Conseils un utile e n s e i g n e m e n t . Elle a été si a n i m é e , si peu m e s u r é e d a n s l'expres­ sion , qu'elle d i m i n u e a n o s y e u x l'autorité morale q u e n o u s a i m o n s à leur r e c o n n a î t r e . S'ils p r e n a i e n t l'usage d e d é n a t u r e r par l'exagération des c h o s e s aussi s i m p l e s , le G o u v e r n e m e n t serait e n droit de fermer l'oreille à leurs plaintes pour n ' é c o u l e r q u e


( 37 ) la voix de l ' o p i n i o n e u r o p é e n n e . Les d i s c u s s i o n s d e la M a r t i n i q u e , d e la G u a d e l o u p e , de la Guyane (juin 4 8 3 6 ) et d e l'île B o u r b o n (août m ê m e a n n é e ) , j u s t i f i e r a i e n t , il faut l'avouer, q u e l q u e s - u n e s des p r é v e n t i o n s des adversaires des c o l o n i e s . Tel est le r é s u m é des actes et des projets du Mi­ nistère de la m a r i n e d e p u i s 4 8 3 0 , en ce qui t o u c h e l'esclavage. Les b o n n e s i n t e n t i o n s o n t été é v i d e n t e s , les b o n n e s p e n s é e s n o m b r e u s e s , mais ce n'est pas assez, et n o u s d e v o n s rappeler au G o u v e r n e m e n t que son rôle est la résolution et l'action. 11 a médité, il a c o n s u l t é , il a peu fait. La j u s t i c e , c e p e n d a n t , n o u s oblige d e remarquer q u e , p e n d a n t un t e m p s , la c o r r e s p o n d a n c e ministérielle a été dirigée avec u n e décision et u n e fermeté d'esprit qui font h o n ­ neur à M. l'amiral D u p e r r é . Toutes les m e s u r e s q u e n o u s vous avons retra­ c é e s , M e s s i e u r s , t e n d a i e n t à adoucir ou à retran­ cher les maux de l'esclavage, n o n à l'abolir. La p e n s é e de l'abolition a c e p e n d a n t o c c u p é le G o u ­ v e r n e m e n t ; m ê m e en l ' a j o u r n a n t , il fallait bien la prévoir : l'exemple de l'Angleterre ne permet ni l'oubli ni l ' i n a c t i o n . Au m o i s d'août 4 8 3 3 , Je Ministère avait écrit : « Le G o u v e r n e m e n t du Roi veut rester paisible » spectateur d e s graves m e s u r e s q u e l'Angleterre » s'est décidée à p r e n d r e pour l'abolition de l'escla» vage d a n s ses c o l o n i e s . » En avril 1 8 3 5 , M. l'a­ miral Duperré disait à la Chambre des D é p u t é s q u e « la grande tentative d e n o s v o i s i n s imposait au » G o u v e r n e m e n t l'obligation d'attendre de l'expé» r i e n c e et dcs résultats c o n n u s les m o y e n s d'entrer » dans la m ê m e voie. » — Deux m o i s a p r è s , il a n ­ n o n ç a i t qu'il s'occupait de la q u e s t i o n , et l ' a n n é e


( 38 ) suivante il informait la Chambre (séance du 9 mars) qu'il avait s o u m i s la question aux conseils colo­ n i a u x , et q u e le G o u v e r n e m e n t , dès qu'd aurait reçu d'eux les r e n s e i g n e m e n t s d é s i r é s , s ' o c c u p e ­ rait d'y d o n n e r suite. En effet, d è s le mois de j u i n p r é c é d e n t , il avait fait c o n n a î t r e au conseil des délégués q u e le t e m p s lui semblait v e n u de s'occuper d'un s y s t è m e d ' é m a n c i p a t i o n , et il leur demandait s'il ne serait pas c o n v e n a b l e d e eon sulter sur la q u e s t i o n les a s s e m b l é e s locales. Les d é l é g u é s , s a n s admettre l'urgence de la r é s o u ­ d r e , n'avaient p o i n t fait d'objections à la p r o p o s i ­ tion ni à l'abolition e l l e - m ê m e , pourvu que la mé­ tropole promit i n d e m n i t é et sécurité. A cette double c o n d i t i o n , ils croyaient les c o l o n i e s disposées à l'accueillir. En c o n s é q u e n c e , par u n e circulaire d u 1er a o û t , le Ministre e n j o i n t aux G o u v e r n e u r s de d e m a n d e r aux c o n s e i l s c o l o n i a u x leurs vues et leur avis sur les bases qu'il c o n v i e n d r a i t de d o n n e r à l'émancipation des esclaves. Il déclare en m ê m e t e m p s q u e l ' i n t e n ­ tion formelle d u G o u v e r n e m e n t est de n ' e n t r e p r e n ­ dre cette œ u v r e qu'autant qu'il pourra procurer aux c o l o n s i n d e m n i t é et s é c u r i t é . L'ordre fut e x é c u t é et les c o n s e i l s c o l o n i a u x m i s e n d e m e u r e d e s'expliquer sur la p l u s g r a n d e q u e s ­ tion qui p u i s s e j a m a i s être agitée dans leur s e i n . Le 1 août 1 8 3 6 , celui d e la Martinique e n t e n ­ dit le rapport d e la C o m m i s s i o n chargée de prépa­ rer u n avis. On y déplorait cette i m p a t i e n c e refor­ matrice qui n e sait ni c o n s e r v e r ni a t t e n d r e ; o n y repoussait é g a l e m e n t u n e é m a n c i p a t i o n générale d o n t l'expérience anglaise d é m o n t r a i t , disait-on , t o u s les- d a n g e r s , et les m e s u r e s p a r t i e l l e s , c o m m e l e s affranchissements d o n t la multiplicité i m p r u e r


( 39 ) d e n t e venait d e si mal réussir, c o m m e le pécule et le rachat forcé d o n t le grand i n c o n v é n i e n t était de gêner l'action d u meilleur des a b o l i t i o n i s t e s , le maître. On y concluait à des m e s u r e s d'amélioration morale , et sur le reste à un système absolu d'attente. Cette c o n c l u s i o n fut adoptée par le c o n s e i l qui d é ­ clarait l'émancipation désastreuse pour les c o l o n i e s et pour la F r a n c e , pour le propriétaire et pour l'esclave. Le c o n s e i l de la Guadeloupe ne délibéra p o i n t ; mais son o p i n i o n s'était assez manifestée d a n s la d i s c u s s i o n sur le p é c u l e et le r a c h a t , et le gouver­ n e u r le p r é s e n t e c o m m e disposé à n ' e n t e n d r e p a r ­ ler d e l'émancipation que lorsque le temps l'aura é c o l e s , et trouvé le m o y e n de conserver intact le travail de la c u l t u r e . E n effet, d a n s son adresse au Roi d u 1 0 août dernier , le m ê m e c o n s e i l dit : « Deux motifs c o m m a n d e n t u n e grande réserve d a n s » les c i r c o n s t a n c e s actuelles , le défaut d'organisa» tion i n t é r i e u r e et l'attente d u résultat de l'expé» r i e n c e qui se fait autour de n o u s . L o r s q u e le dé» cret sur le régime m u n i c i p a l , volé à cette s e s s i o n , » aura été mis e n v i g u e u r , lorsque cette institution « a u r a fondé la c o m m u n e , q u e l'instruction reli» g i e u s e , marchant à sa suite, se sera infiltrée d a n s » les m a s s e s , les aura moralisées , lorsque l'essai » qui se c o n t i n u e d a n s les îles voisines , aura achevé » de parcourir ses diverses p h a s e s , n o u s aura pro» c u r é des f a i t s , fourni des l u m i è r e s q u e l'expé» r i e n c e seule peut d o n n e r , alors n o u s c o n n a î t r o n s » mieux ce qui est possible et n o u s serons en m e » sure de l'exécuter. » Suivant le rapport p r é s e n t é à la G u y a n e , le t e m p s , à lui tout s e u l , a m è n e r a i t l ' é m a n c i p a t i o n , et il f a n -


( 40 ) «drait la d e m a n d e r au t e m p s et n o n à la loi. Diverses m e s u r e s peuvent la hâter, par e x e m p l e l ' i n t r o d u c ­ tion d e n o u v e a u x e n g a g é s l i b r e s , de race africaine. Mais, e n tout c a s , l'abolition n'est légitime q u ' a v e c le c o n s e n t e m e n t du colon ; c e c o n s e n t e m e n t n'est possible q u e m o y e n n a n t u n e i n d e m n i t é ; l ' i n d e m ­ n i t é n'est j u s t e que si elle r e p r é s e n t e n o n - s e u l e m e n t la valeur d e l'esclave , m a i s e n c o r e celle du travail de la terre ; car d a n s u n e plantation le sol n'a a u ­ c u n prix s a n s l'atelier. Le c o n s e i l d é c i d e , e n c o n s é ­ q u e n c e , qu'il faut a t t e n d r e les résultats des m e s u ­ res prises par le g o u v e r n e m e n t b r i t a n n i q u e , mais q u e , d'ailleurs , l'émancipation est d a n g e r e u s e et l'indemnité indispensable. La m ê m e o p i n i o n , pour d e s motifs a n a l o g u e s , a été e x p r i m é e par la C o m m i s s i o n et par le conseil de B o u r b o n . L à , p o u r t a n t , c o m m e à la G u a d e ­ l o u p e , o n s e m b l e c o n c e v o i r , p o u r le s u c c è s de l'é­ m a n c i p a t i o n , plutôt des d o u t e s q u e d e s r é p u g n a n ­ ces, et l'on se p r o n o n c e pour u n s y s t è m e d'attente et d'observation. Avec s e s q u e s t i o n s générales sur l'émancipation , le Ministère avait t r a n s m i s trois n o t e s c o n t e n a n t trois s y s t è m e s d ' é m a n c i p a t i o n partielle sans i n d e m ­ n i t é , soit par le rachat f o r c é , soit par l'affranchissem e n t d e s e n f a n t s , soit par la faculté d o n n é e aux n o i r s â g é s d e 1 5 à 4 0 a n s d e se libérer , partie a u m o y e n d ' u n e s o m m e q u e l'État leur allouerait, partie par u n e n g a g e m e n t d ' u n e d u r é e qui serait déter­ m i n é e . Dans les c o l o n i e s o ù ils o n t é t é e x a m i n é s , a u c u n de c e s p l a n s n'a été accueilli. C'est d a n s cet état de la q u e s t i o n q u e votre c o n ­ fiance , Messieurs , n o u s a appelés à e n faire un nouvel examen ; il devait n a t u r e l l e m e n t avoir pour but d'éclaircir les points suivants :


(41) On n o u s disait q u e le nègre était impropre a u travail d a n s la liberté ; que rien , d'ailleurs, n'avait été fait p o u r l'y préparer ; Qu'aux c o l o n i e s anglaises un r é g i m e i n t e r m é ­ diaire , de l'abolition de la traite à celle de l'escla­ v a g e , a v a i t , p e n d a n t vingt-cinq a n s , et surtout p e n d a n t les dix d e r n i è r e s a n n é e s , d i s p o s é la p o p u ­ lation pour cette g r a n d e réforme ; Que c e p e n d a n t aux c o l o n i e s anglaises elle n'avait pas r é u s s i , et menaçait d'aboutir au désordre et à la r u i n e ; Qu'en tout cas , l'expérience n'était pas t e r m i ­ n é e , et qu'il était sage d'en a t t e n d r e la fin ; Qu'après t o u t , l'état actuel était satisfaisant et q u e rien n ' o b l i g e a i t , rien n e pressait d'y porter a t ­ teinte. P o u r n o u s éclairer sur tous c e s p o i n t s , deux c h o s e s n o u s o n t paru i n d i s p e n s a b l e s ; 4 ° . C o n n a î t r e b i e n la marche et les résultats de la révolution qui s'opère d a n s les p o s s e s s i o n s a n ­ glaises ; 2°. Interroger , sur ces m ê m e s p o i n t s , tous c e u x q u e la C o m m i s s i o n jugerait c o n v e n a b l e d ' e n t e n d r e . N o u s e x p o s e r o n s b r i è v e m e n t c e qui ressort pour n o u s d e l'étude des n o m b r e u x d o c u m e n t s qui n o u s o n t été fournis sur ce q u e font les A n g l a i s . L'abolition de l'esclavage avait été d é c r é t é e e n p r i n c i p e le 1 5 mai 1 8 2 3 . E n 1 8 3 2 , le p a r l e m e n t prit la résolution d'accomplir cette grande m e s u r e . C'est a s s u r é m e n t u n e des p l u s g é n é r e u s e s et des p l u s hardies r é s o l u t i o n s qu'ait j a m a i s pris un Gou­ vernement. L'acte d u 2 8 août 1 8 3 3 abolit à jamais l'escla­ vage d a n s l e s c o l o n i e s anglaises à. c o m p t e r du N°313 6


( 42 ) er

1 août 1 8 3 4 ; mais il o r d o n n e que les individus re­ t e n u s à cette é p o q u e e n esclavage et âgés de plus de six a n s , resteront s o u s le titre d'apprentis travail­ l e u r s , e n g a g é s à leur ancien m a î t r e , p o u r u n t e m p s d é t e r m i n é . Les apprentis s o n t divisés e n trois classes : les apprentis travailleurs ruraux (prœdial apprenticed labourers) attachés au s o l ; les a p p r e n t i s travailleurs ruraux n o n attachés a u sol; les apprentis travailleurs n o n ruraux (artisans et d o m e s t i q u e s ) . L'apprentissage d e s deux p r e m i è r e s classes n e pourra se p r o l o n g e r au delà d u 1 août 1 8 4 0 ; celui de la t r o i s i è m e au delà d u 1 août 1 8 3 8 : passé ces deux t e r m e s , la libération d e t o u s sera c o m p l è t e . L'apprentissage a pour effet de d o n n e r p e n d a n t toute sa d u r é e u n droit d e propriété au maître sur le travail d e l ' a p p r e n t i ; mais la d u r é e de ce travail n e pourra e x c é d e r , n o t a m m e n t p o u r l e s d e u x p r e ­ m i è r e s classes 4 5 h e u r e s par s e m a i n e . D'ailleurs le maître {employer) devra à l'apprenti tout ce qu'il doit à l'esclave. L'accomplissement des conditions de l'appren­ tissage est confié , n o n à l'autorité du m a î t r e , mais à la p u i s s a n c e p u b l i q u e ; à cet effet, d e s j u g e s de paix spéciaux rétribués , sont chargés d e statuer sur toute contestation e n t r e le maître et l'apprenti, et d'user des m o y e n s d e c o a c t i o n nécessaires pour m a i n t e n i r l'ordre et le travail. Par le m ê m e a c t e , 2 0 m i l l i o n s sterling ( 5 0 0 m i l l i o n s de francs) o n t alloué p e u r être distri­ b u é s , à titre d ' i n d e m n i t é , a u x p o s s e s s e u r s d'esclaves des 19 c o l o n i e s a u x q u e l l e s le bill est appli­ cable. e r

et

Il faut ajouter q u e l'article 2 3 du m ê m e acte a u ­ torisant les législatures c o l o n i a l e s à p r e n d r e l e s me-


( 43 ) sures d'exécution qu'elles j u g e r o n t les m i e u x a d a p ­ tées à l'état et au régime d e s c o l o n i e s , leur d o n n e virtuellement le d r o i t , s o u s l'approbation r o y a l e , d'abréger o u de supprimer cette c o n d i t i o n i n t e r m é ­ diaire de l'apprentissage placée e n t r e l'esclavage et la libération. Les 1 9 colonies s o u m i s e s à cette loi apparte­ n a i e n t toutes aux Indes O c c i d e n t a l e s , à l ' e x c e p ­ tion du cap d e B o n n e - E s p é r a n c e et de Maurice. E l l e s c o n t e n a i e n t u n e population de p l u s d e 7 0 0 m i l l e esclaves ; elles faisaient avec la métropole u n c o m ­ m e r c e d e 1 0 millions sterling d'importations, et de p l u s de 6 millions d'exportations. Dans dix-sept c o l o n i e s , le s y s t è m e d'apprentis­ sage a été adopté. A A n t i g u e et aux B e r m u d e s , les esclaves o n t é t é , sans t r a n s i t i o n , livrés à la liberté complète. P o u r j u g e r si u n e telle réforme r é u s s i t , il faut voir si elle se c o n c i l i e d ' u n e p a r t , avec le maintien d e la paix et de la sûreté p u b l i q u e , d e l ' a u t r e , avec le m a i n t i e n d u travail. S o u s le premier r a p p o r t , il y a e u d'abord quel­ q u e i n q u i é t u d e ; l'ordre m ê m e a été m e n a c é , trou­ blé d a n s u n certain n o m b r e d e c o l o n i e s . Au p r e ­ mier m o m e n t , p l u s i e u r s ateliers e u r e n t p e i n e à c o m p r e n d r e que la liberté n e fût pas l ' i n d é p e n d a n c e absolue d ' u n e vie d é s œ u v r é e . 11 y eut d e s r a s s e m ­ b l e m e n t s ; mais p o i n t d'attentats sur les p e r s o n n e s , ni sur les p r o p r i é t é s , p o i n t d e violence ; la police suffit en général pour rétablirl'ordre. A Saint-Chris­ tophe , la loi martiale fut p r o c l a m é e , et il fallut r e ­ courir à la force des a r m e s . On dit q u e c'est le seul p o i n t o ù u n e telle nécessité se soit m a n i f e s t é e , e t l'on ajoute q u e , du t e m p s de l ' e s c l a v a g e , les désordres


(

44 )

fréquents forçaient très-souvent à déployer cet étendart de la répression légale. On cite d e s c o l o ­ nies o ù la loi martiale était p r o c l a m é e t o u s les a n s ; à la Jamaïque m ê m e , elle n e l'a pas été depuis 4 8 3 4 . N o u s c r o y o n s , à prendre les c h o s e s dans l ' e n ­ s e m b l e , q u e , s o u s le rapport de la paix et de la s û r e t é , l'application d u bill d'émancipation a réussi au delà de toute e s p é r a n c e . Quant au travail, la q u e s t i o n est m o i n s s i m p l e ; il est certain q u e l'apprentissage n e s'est presqu'en a u c u n lieu établi s a n s difficulté. Ce s y s t è m e d é c e ­ vait les e s p é r a n c e s exagérées de b e a u c o u p de n o i r s . 11 n e satisfaisait pas les b l a n c s d o n t il contrariait les o p i n i o n s et paraissait c o m p r o m e t t r e les i n t é r ê t s . E n f i n , par ses l e n t e u r s n é c e s s a i r e s , par les m e s u ­ res coërcitives qu'il e n t r a î n e , il n e contentait pas les abolitionistes zélés. De plus , l e s difficultés qu'il a r e n c o n t r é e s d a n s l'exécution lui o n t r e n d u peu favorables les auto­ rités chargées de l'établir. 11 est d o n c e n général assez s é v è r e m e n t j u g é . 11 faut r e c o n n a î t r e qu'il a soulevé de vives r é s i s t a n c e s , qu'il a n é c e s s i t é s o u ­ vent l ' i n t e r v e n t i o n rigoureuse des magistrats s p é ­ ciaux et l'emploi d e m o y e n s c o r r e c t i o n n e l s , tels que le f o u e t , la p r i s o n , la d é t e n t i o n s o l i t a i r e , le tread-mill. S u r q u e l q u e s p o i n t s , les délits q u ' e n ­ fante le vagabondage se s o n t m u l t i p l i é s ; e t , par s u i t e , le travail m o i n s actif et m o i n s uniforme a moins produit. On répond q u e , d'abord, il faut t e n i r c o m p t e de la nouveauté d'un régime et de l ' i n e x p é r i e n c e de ceux qui s o n t d e s t i n é s à le subir o u chargés de l'or­ ganiser ; q u e les magistratures s p é c i a l e s , créées toutes à la f o i s , improvisées en u n j o u r , o n t p u ,


(45) d a n s les premiers t e m p s , n e pas toutes r é p o n d r e au but de leur i n s t i t u t i o n ; q u e d a n s q u e l q u e s îles le mauvais vouloir des législatures locales, leur o p ­ position à l'administration d u g o u v e r n e u r o n t jeté un trouble et u n e i n q u i é t u d e d o n t s'est ressentie la société tout entière. E n f i n , ajoute-t-on , la m e s u r e aura r é u s s i , si elle a réussi d a n s la majorité d e s cas. O r , o n cite les habitations o ù le désordre a éclaté ; o n n e parle pas d e celles qui sont restées paisibles. Les p u n i t i o n s o r d o n n é e s par les m a g i s ­ trats sont n o m b r e u s e s : m a i s o n en tient registre, et celles qu'infligeaient les maîtres restaient i n é d i t e s . La liberté p e u t , il est v r a i , a m e n e r p l u s de d é l i t s , par cela m ê m e qu'elle est la liberté ; mais ce qui est e n c o r e plus v r a i , c'est q u ' u n r é g i m e légal les m a ­ n i f e s t e , tandis q u ' u n r é g i m e d'arbitraire les dissi­ m u l e . E n tous cas, ce qui i m p o r t e , c'est q u e le tra­ vail soit m a i n t e n u d a n s son e n s e m b l e . Une infério­ rité m o m e n t a n é e , p e r m a n e n t e m ê m e , d a n s la p r o d u c t i o n , n e serait pas la c o n d a m n a t i o n du s y s ­ t è m e n o u v e a u , Ce n'est pas l ' é c o n o m i e politique se le qui veut l'abolition d e l'esclavage, Votre C o m m i s s i o n a eu s o u s les y e u x des d o c u ­ m e n t s b i e n d i v e r s , elle a e n t e n d u des t é m o i n s o c u l a i r e s , et rien jusqu'ici n e lui a paru justifier e n effet les c o n j e c t u r e s a l a r m a n t e s q u ' o n se plaît à former aux c o l o n i e s sur l'avenir des îles anglaises. Si le t e m p s n o u s permettait d e les passer e n r e v u e , v o u s les verriez d a n s u n e situation q u i , sans doute, a ses c h a n c e s , mais d o n t o n p e u t bien augurer. A A n t i g u e d ' a b o r d , o n s'accorde à reconnaître que, l'abolition i m m é d i a t e d e l'esclavage a réussi. La paix p u b l i q u e a été respectée ; le travail n'a pas d i m i n u é , il est m o i n s cher et le produit a u g m e n t e .


( 46 ) L'apprentissage l u i - m ê m e , si vivement et si d i v e r ­ s e m e n t a t t a q u é , s'est paisiblement établi d a n s beaucoup de localités. Au témoignage de deux voyageurs qui o n t visité les Antilles dans les p r e ­ miers mois de l'année d e r n i è r e , Mont-Serrat, La D o m i n i q u e , S a i n t e - L u c i e , étaient calmes et p r o ­ ductives; Barbade n'avait jamais été si prospère. Un magistrat f r a n ç a i s , peu porté pour l'émancipa­ t i o n , a tracé un tableau très-satisfaisant de l'état présent de la Trinidad. A Maurice, tout se présente sous un aspect favorable, et les magistrats spéciaux o n t fait beaucoup de b i e n . C'est à la Jamaïque q u e les choses o n t le m o i n s h e u r e u s e m e n t t o u r n é . Mais d a n s cette île m ê m e , ceux qui sont le plus d i s p o s é s à un j u g e m e n t sévère c o n v i e n n e n t que les p l a n t a ­ t i o n s où r é g n e n t l'ordre et l'activité sont les plus n o m b r e u s e s , et la masse des exportations de la c o l o n i e n'a guère baissé q u e d'un n e u v i è m e . On y remarque p l u s d ' u n e habitation qui a gagné e n produits et en population. Dans b e a u c o u p de c o l o ­ n i e s , le prix d e s terres s'est r e l e v é , et l'avenir y parait m o i n s i n q u i é t a n t q u ' o n n e le j u g e d u d e ­ hors (1). E n f i n , lord Brougham a déclaré e n p l e i n parlement q u e , s o m m e t o u t e , l e travail colonial n'avait point baissé ( 2 ) , et le secrétaire d e s c o l o -

(1) Mémoires sur Antigue et la Jamaïque ; par le p r o c u ­ reur général de la G u a d e l o u p e . — Note sur l'Abolition de l'esclavage à la Trinidad; par M . A u b e r t A r m a n d , c o n ­ seiller à lu Cour royale d e la M a r t i n i q u e . — T é m o i g n a g e de M . Mallac , négociant à M a u r i c e . — T h e West Indies, in 1837 ; par Joseph S t u r g e et T h o m a s Harvey. L o n d r e s , 1838. (2)

Séance de la Chambre des Lords, du 2 0 février 1 8 3 8 .


( 47 ) n i e s , lord G l e n e l g , écrivait le 6 novembre dernier à tous les gouverneurs : « Jusqu'ici les résultats de » la grande expérience de l'abolition de l'esclavage » ont été de nature à justifier les plus confiantes e s » pérances des auteurs et d e s défenseurs de cette » m e s u r e . . . . . Je m e s e n s e n droit d'affirmer que,» » u n e amélioration pour la s o c i é t é , u n e a u g m e n » tation d a n s la s o m m e d u b o n h e u r h u m a i n , d o n t » » » » » » » » » » » » » »

l'histoire n e fournit aucun autre e x e m p l e Ce grand progrès n'a été a c c o m p a g n é d'aucun t r o u b l e , d'aucune c o m m o t i o n , d'aucun r e n v e r s e m e n t d'institution p o l i t i q u e , ni du m o i n d r e rel â c h e m e n t des liens qui u n i s s e n t le souverain pouvoir et le p e u p l e . A u c o n t r a i r e , il y a e u un p l u s grand respect pour les lois qui assuraient u n e protection p l u s égale à toutes l e s classes de la c o m m u n a u t é ; en m ê m e t e m p s o n a vu s'accroître le s e n t i m e n t de la sécurité et s'élever la valeur de la p r o p r i é t é , et ainsi s'est fondée l'espérance de l'heureux a c c o m p l i s s e m e n t de la transition dernière q u e n o u s a v o n s m a i n t e n a n t e n perspective (1 ) . » Tout e n r e c o n n a i s s a n t q u e r i e n , d a n s l'expérience tentée par n o s v o i s i n s , n e doit faire désespérer de la possibilité d'allier la liberté et le travail d e s n o i r s , n o u s d e v o n s observer : 1° q u e les i n c o n v é n i e n t s et les difficultés qui o n t jusqu'ici accompagné cette e x p é r i e n c e méritent la plus sérieuse attention , sur­ tout de la part d e c e u x qui a u r o n t p o u r leur c o m p t e (1) P a p i e r s parlementaires. — Abolition de l'esclavage , part. V . — C i r c u l a i r e de lord Glenelg à tous l e s gouver­ neurs des c o l o n i e s des I n d e s - O c c i d e n t a l e s .

dan


( 48 ) à chercher les m o y e n s de les éviter ; 2° q u e les ré­ sultats o b t e n u s j u s q u ' i c i , bien que satisfaisants en g é n é r a l , n e d o n n e n t pas la certitude d'un entier succès après la libération définitive, et qu'une im­ portante épreuve reste à faire. N o u s avons dit que la C o m m i s s i o n avait institué une e n q u ê t e . N o n - s e u l e m e n t elle a eu u n e confé­ r e n c e avec M. le Président d u conseil et M. le Mi­ nistre de la marine , mais elle a appelé dans s o n sein toutes les p e r s o n n e s qui lui ont été d é s i ­ g n é e s c o m m e pouvant lui d o n n e r des r e n s e i g n e m e n t s utiles. "Voici les n o m s de celles qu'elle a e n t e n ­ dues : MM. le vice-amiral de Mackau , ancien gouver­ neur d e la Martinique; Le brigadier général Sainclair, p r é c é d e m ­ m e n t c h e f des magistrats s p é c i a u x , à Saint-Vincent; Le baron D u p i n , 1 Délégués d e la MartiDe C o o l s ,}DéléguésdelaMartinique. De J a b r u n , délégué de la Guadeloupe. Conil, S u l l y - B r u n e t , } d é l é g u é s de l'ile B o u r b o n . F a v a r t , délégué de la G u y a n e . Pelisson , a n c i e n b â t o n n i e r de l'ordre des a v o c a t s , au F o r t - R o y a l (Martinique). Mallac , négociant à l'île Maurice. Nous d o n n e r o n s l'analyse d e leurs r é p o n s e s aux principales questions qui leur ont été s o u m i s e s . Première question. — L'esclavage peut-il être m a i n t e n u dans les c o l o n i e s françaises? Si on les c o n s i d è r e e n e l l e s - m ê m e s , dans leur état i n t é r i e u r , il n'y a rien qui rende urgente ni n é c e s ­ saire l'abolition de l'esclavage. Le régime d e s habí-


( 49 ) tations est doux et progressif, et a u c u n e p a s s i o n , a u c u n e o p i n i o n indigène n'en d e m a n d e la transfor­ mation radicale; m a i s , e n p r é s e n e e de l'opinion publique d ' E u r o p e , sous l'influence des mesures qu'elle a déjà c o m m a n d é e s , des d i s c u s s i o n s graves qu'elle provoque et multiplie , des effets m ê m e que ces causes produisent sur l'état moral et é c o n o m i ­ que des c o l o n i e s , le maintien intégral et durable de l'esclavage n'est plus possible. 2° Question. — L'émancipation des esclaves d e s c o ­ lonies anglaises n'influe-t-elle pas sur les d i s p o ­ sitions à la soumission des noirs de la Martinique et de la G u a d e l o u p e ? Les noirs sont aussi s o u m i s qu'à a u c u n e époque. Leur d o c i l i t é , l e u r d o u c e u r n'ont p e u t - ê t r e j a m a i s été si grandes. Ils savent c e p e n d a n t ce qui se passe aux îles anglaises. Leur imagination en est frappée, et ils souhaitent leur é m a n c i p a t i o n . 3° Question. — Ce qui se passe dans les colonies anglaises ne rendrait-il p a s , en cas de guerre, la défense d e s colonies françaises i m p o s s i b l e ? Ce résultat n e serait à c r a i n d r e que si des émis­ saires étaient e n v o y é s d a n s nos î l e s , et des m e n é e s pratiquées' dans l e s e n s d'une propagande insurrec­ tionnelle. e

4 Question. — Les évasions d'esclaves sont-elles d e v e n u e s plus fréquentes depuis quelques années? Il est certain qu'il y en a eu un assez grand n o m b r e , du m o i n s à la Martinique, d a n s les a n n é e s qui ont i m m é d i a t e m e n t suivi le bill d'émancipation. Mais les noirs qui s'étaient réfugiés aux îles a n ­ glaises ont été refroidis par le spectacle d e s sévérités nécessaires au maintien de l'apprentissage. P l u ­ sieurs sont r e v e n u s , beaucoup ont d e m a n d é à N°313 7


( 50 ) r e v e n i r . Enfin, depuis u n a n , les évasions paraissent avoir c e s s é . 5 Question.—Y a-t-il entre l'état de la population. noire des p o s s e s s i o n s f r a n ç a i s e s , et l'état où se trouvait la m ê m e population dans les possessions anglaises e n 1 8 3 3 , des différences b i e n caracté­ risées, et quelle est la cause d e ces différences? Depuis l'abolition de la traite e u 1 8 0 7 , l ' A n g l e ­ terre n'a cessé de s'occuper de ses c o l o n i e s à n è g r e s . L'esprit religieux-et p r i n c i p a l e m e n t le zèle des sectes d i s s i d e n t e s , surtout des frères Moraves, des Métho­ distes , des Baptistes, y a multiplié les m i s s i o n s , les i n s t r u c t i o n s , les c h a p e l l e s , les écoles. E n ce. g e n r e , tout a été négligé dans n o s établissements. Aux colonies a n g l a i s e s , les débats du p a r l e m e n t métropolitain , ceux des p a r l e m e n t s l o c a u x , c e u x d e la presse partout libre et active , o n t familiarisé, les esprits avec les q u e s t i o n s nouvelles et répandu, des l u m i è r e s c o m m u n e s sur les intérêts s o c i a u x , sur la nécessité, le s e n s et l'autorité des lois. Le n è g r e anglais a d o n c c o m m u n é m e n t plus de r e l i g i o n , p l u s d'idée de la loi et de la p u i s s a n c e publique q u e le nègre d e n o s îles. En r e v a n c h e , c e l u i - c i paraît p l u s i n t e l l i g e n t , plus avisé sur ses i n t é r ê t s , p l u s disposé aux s e n t i m e n t s b i e n v e i l l a n t s . De tout t e m p s les Français o n t passé pour les meilleurs maîtres de l'archipel des Antilles. Ils sont p l u s d o u x , plus, c o m m u n i c a l i f s q u e les planteurs anglais, et t i e n n e n t avec m o i n s d'opiniâtreté et de m i n u t i e à l'exercice rigoureux de leurs droits. Nul d o u t e que si la traite n e s'était pas p r o l o n g é e , n o s nègres n e fussent plus civilisés q u e ne l'étaient c e u x d e n o s voisins en 1 8 3 3 ; mais d a n s ce m o m e n t , ils sont certaine­ m e n t m o i n s capables de recevoir l'émancipatione


( 51 ) e

7 Question.—Est-il possible d'améliorer et d'éle­ ver la condition intellectuelle et morale des esclaves, d'encourager le mariage, de seconder la formation de la famille, de répandre et de fortifier l ' i n s t r u c ­ tion religieuse ? S o u s tous ces rapports, les c o l o n i e s o n t été pres­ q u e e n t i è r e m e n t a b a n d o n n é e s depuis 4 7 9 3 . Le clergé y est trop peu n o m b r e u x , trop livré à l u i m ê m e , e t , q u e l q u e f o i s , choisi avec trop peu de s o i n . 11 m a n q u e d'autorité et n e c h e r c h e pas à en acquérir. 11 ne s'occupe n u l l e m e n t des n o i r s . Cependant c e u x - c i sont naturellement r e l i g i e u x , du m o i n s e n A m é r i q u e ; c a r , à l'île Bourbon , ils n'ont guère que des traces d ' u n e idolâtrie g r o s ­ sière. Mais, e n général , ils sont portés au r e s p e c t , et les c é r é m o n i e s du cuite les intéressent et leur en i m p o s e n t . Les p l a n t e u r s se prêteraient a i s é m e n t à toutes les m e s u r e s , m ê m e à toutes les d i s p o s i ­ tions réglementaires d e s t i n é e s à favoriser la reli­ gion , pourvu q u ' o n eût s o i n d'y associer les c o n ­ seils c o l o n i a u x . C'est aussi à l'intervention , m ê m e à l'initiative de ces c o n s e i l s qu'il faut recourir pour obtenir des e n c o u r a g e m e n t s au mariage. B i e n n e serait p l u s utile ; mais c'est u n e chose p l u s diffi­ cile , parce q u e les dispositions qu'on prendrait dans ce b u t , pourraient avoir l'effet de restreindre les droits du maître sur son esclave. 11 est certain c e p e n d a n t q u e si les a d m i n i s t r a t e u r s , les prêtres et les maîtres étaient d'accord pour favoriser les u n i o n s l é g i t i m e s , elles seraient b i e n t ô t assez c o m m u n e s , et il e n résulterait un progrès n o t a b l e , tant dans la c o n d i t i o n morale d e l'esclave q u e dans son apti­ tude à l'existence sociale. 7 Question. — Si la résolution était prise d'ae


( 52 ) bolir l'esclavage, quel m o d e d'abolition paraitrait le plus c o n f o r m e aux intérêts de t o u s , le s y s ­ tème de l'émancipation en masse ou celui des af­ franchissements successifs et partiels? Le s y s t è m e de l'émancipation en masse a paru préférable. L'affranchissement partiel perpétue l'opposition-qui e x i s t e , dans les idées des n o i r s , e n t r e la liberté et le travail. Le travail reste le si­ g n e de la servitude et il est en horreur c o m m e elle. Il est p l u s difficile d'appliquer des mesures d'amélioration morale aux affranchis qu'aux escla­ v e s . L'émancipation par catégories d'âge ou de s i ­ tuation a m è n e r a i t , entre les différentes c l a s s e s , d'envieuses rivalités; et de là peut-être des pertur­ b a t i o n s . Par l'abolition s i m u l t a n é e , on reste libre de choisir le m o m e n t . Ce s y s t è m e , d ' a i l l e u r s , n e va pas s a n s l ' i n d e m n i t é , et l ' i n d e m n i t é , si elle est réglée c o n v e n a b l e m e n t , assure à l'Administration le c o n c o u r s des propriétaires, s a n s lequel l'opération n e saurait réussir. Du reste, on n e doit pas se hâter d'en fixer l'époque. 11 faut attendre l'effet des m e ­ sures déjà prises et de celles que l'on pourra p r e n ­ d r e , e t , en toutes choses , se ménager l'appui b i e n ­ veillant des conseils c o l o n i a u x . Tel e s t , Messieurs, l'exposé fidèle de toutes les recherches auxquelles n o u s avons dû nous livrer et de tous les résultats auxquels elles n o u s o n t c o n ­ d u i t s . 11 est temps d'en tirer des c o n c l u s i o n s et de motiver devant vous les résolutions q u e votre C o m ­ mission vous propose. I. Elle est d'avis de l'abolition de L'esclavage. E l l e ne reviendra pas sur la question de j u s t i c e . S u r ce p o i n t , le doute n e lui parait

pas permis ;


( 53 ) l'honneur de la civilisation c o m m a n d e et la cons­ cience publique fait loi. Dès q u e de telles questions s'élèvent à u n e tri­ b u n e dans le m o n d e , dès q u ' u n e grande puissance a pris le noble parti de les résoudre n o b l e m e n t vainement voudrait-on les o u b l i e r , les écarter; rappelées sans cesse par l'opinion , elles r e v i e n n e n t chaque jour plus p r e s s a n t e s , plus impérieuses. Les intérêts qu'elles t o u c h e n t , . les passions qu'elles e x c i t e n t , s ' i n q u i è t e n t , s ' i r r i t e n t , et b i e n t ô t ce qui n'était que possible devient i n é v i t a b l e , ce qui n'é­ tait que difficile devient dangereux. En toute m a ­ tière grave, l'indécision e t l'ajournement ne sont pas des procédés de G o u v e r n e m e n t . U n e seule objection serait légitime : l'impossibi­ lité. Or sur quel fondement l'établir? Dirait-on que le noir est dans un abrutissement naturel qui le rend incapable de changer de condition ? Mais si l'on a jadis s o u t e n u cette thèse dans l'intérêt des c o l o n s , e u x - m ê m e s l a d é m e n t e n t aujourd'hui, et les mesures qu'ils proposent pour l'amélioration m o ­ rale de l'esclave , prouvent qu'ils le regardent c o m m e p e r f e c t i b l e , c o m m e accessible à toutes l e s influences de la civilisation. On a craint q u e l q u e ­ fois que l'émancipation n e pût s'entreprendre sans a m e n e r le massacre et l'incendie , et l'exemple de S a i n t - D o m i n g u e a été cité avec effroi. Mais quand la liberté des noirs a été proclamée à S a i n t - D o m i n ­ g u e , la guerre civile régnait parmi les blancs euxm ê m e s . On sait d'ailleurs avec quelle irréflexion , q u e l l e précipitation, quelle brutalité s'improvisaient alors les réformes les plus périlleuses. C'était u n e m é t r o p o l e en révolution qui commandait à la société coloniale de changer de face, sans s'inquiéter u n


( 54 ) m o m e n t des intérêts de l ' h u m a n i t é , de l'ordre et d u travail. Ce qui s'est fait alors n'a rien de c o m m u n avec ce qui se ferait a u j o u r d ' h u i , et l'exemple des colonies anglaises prouve que cette grande rénova­ tion peut s'accomplir pacifiquement, Nos c o l o n i e s sont peu n o m b r e u s e s , peu é t e n d u e s ; tous les points où la population y est répandue sont facilement accessibles. La surveillance peut aisément s'éten­ dre sur tout leur territoire; la force publique se porter en quelques heures là où elle serait n é c e s ­ saire; elles s o n t , e n un mot, dans la main de la F r a n c e , et, pour en rester maîtresse a b s o l u e , la France n'a qu'à vouloir. IL est enfin u n e dernière impossibilité qu'on a c o u t u m e d'alléguer, celle d'amener les noirs à tra­ vailler, autrement que par l'esclavage. Mais d'a­ bord cette paresse i n d o m p t a b l e d u noir n'est rien m o i n s q u ' u n fait prouvé. L'influence énervante du climat d o n t on parle b e a u c o u p , agit p l u s , on en c o n v i e n t , sur les blancs q u e sur les n o i r s ; et c'est au m o m e n t de la plus grande ardeur d u soleil q u e ceux-ci a i m e n t à se livrer à leurs travaux. C o m m e artisans des villes, c o m m e ouvriers des ports , c o m m i s s i o n n a i r e s , portefaix, canotiers, ils se m o n ­ trent actifs, au b e s o i n , et d é p l o i e n t , d i t - o n , u n e grande é n e r g i e . Ce sont les travaux de la culture qui leur inspirent seuls u n e vive r é p u g n a n c e ; mais celte r é p u g n a n c e paraît m o i n s fondée sur la réa­ lité que sur l'opinion ; l'agriculture est à leurs y e u x un travail servile. Planter ou récolter des c a n n e s à s u c r e , c'est être esclave. Il y a là un pré­ j u g é naturel qu'il faut s'attacher à détruire et que p r é c i s é m e n t le régime actuel de l'esclavage e n t r e ­ tient.


( 55 ) La question n'est pas de savoir, au resto, s'il n'y a point de difficultés à concilier le travail avec la liberté, mais si ces difficultés t i e n n e n t à des causes indestructibles et s o n t par c o n s é q u e n t i n s u r m o n ­ tables. Elles le seraient si elles t e n a i e n t à la nature du sol et du climat, à la nature du n è g r e ; n o u s c r o y o n s , n o u s , qu'elles t i e n n e n t p r i n c i p a l e m e n t à la nature de l'esclavage. On peut en d o n n e r d e u x ordres de p r e u v e s ; on peut montrer, d ' u n e part, l'esclavage produisant, sous toutes les latitudes, les m ê m e s effets; de l'autre , le n è g r e laborieux et libre s o u s le ciel des tropiques. L'esclavage n'est pas si a n c i e n n e m e n t détruit en Europe. Il ne faudrait pas l o n g t e m p s chercher pour l'y trouver e n c o r e . Aux lieux où il était établi il a m a n q u é rarement d'inspirer à c e u x qui le s u ­ bissaient l'aversion du travail s i g n e de leur c o n ­ dition ; et l'on en a c o n c l u q u e la servitude leur était bien nécessaire : esclaves , ils travaillaient mal ; d o n c libres ils n e travailleraient pas. Et en effet, quand leurs fers ont été brisés, c'est souvent par l'oisiveté qu'ils ont célébré leur d é l i v r a n c e . C'est parce qu'elle était a c c o m p a g n é e de la néces­ sité de pourvoir à leur propre s u b s i s t a n c e q u ' o n a vu dès paysans l i v o n i e n s refuser la l i b e r t é ; et plus d ' u n e fois, e n P o l o g n e , les serfs affranchis en masse par la générosité de leurs s e i g n e u r s , s o n t t o m b é s d a n s la paresse, le désordre et l'ivrognerie. (1) « E n Ga-

(1) An essay on the distribution of W e a l t h , by Richard Jones, p. 38 et 39.—Burnett's view of the present slate of Po- land, p . 1 0 5 .


( 56 ) » » » » » » » » » » »

litzie, dit un auteur (1), le paysan n'a pas de propriété. II tient tout e n fief, ses c h a m p s , ses chevaux, sa hutte de bois.... S o n â m e n'a point d'espoir, point de vigueur. Le fouet seul peut lui d o n n e r d e l'activité. Les ordres, les prières du maître n'émeuvent pas les p a y s a n s . S'il va jusqu'à leur offrir d e l ' a r g e n t , l'insolence r e d o u b l e . Ils savent q u e le maître a perdu le droit de les frapper. Il faut d o n c qu'il e m p r u n t e le bras de la loi, et qu'il fasse venir les archers d u Cercle pour faire travailler à coups de fouet ces

» serfs indociles La paresse d'esprit est tour à » tour la cause et l'effet de la paresse corporelle. » N'est-ce pas ainsi q u e parlaient d u nègre ceux qui regardaient le fouet du c o m m a n d e u r c o m m e la première garantie de la prospérité coloniale ? A ce tableau on peut opposer celui de beaucoup d'habitations des îles anglaises , d o n t le bill d'éman­ cipation a développé la p r o s p é r i t é , où le n è g r e , plus libre, est plus laborieux, où le travail, qui coûte un c i n q u i è m e de m o i n s est plus productif (2). À S a i n t - D o m i n g u e m e m e , on a vu les cultures redeve­ nir florissantes et les exportations se relever sous le g o u v e r n e m e n t de Toussaint-Louverture. En 1 8 3 2 , on comptait à P o r t o - R i c o , sur u n e p o p u l a t i o n de 400,000 â m e s , 4 5 , 0 0 0 esclaves s e u l e m e n t , et l'on estimait q u e le travail de 3 0 , 0 0 0 , qui é t a i e n t a d o n ­ nés à la c u l t u r e , n'entrait q u e pour un quart au plus d a n s la production totale de l'île, et q u e 8 0 mille quintaux de s u c r e , 4 0 0 , 0 0 0 galions de m é (1) Annales des Voyages, t. 15.— Lettres par Scbulter. (2), The il est Indies in 1837 , passim.

l'a Galitzie ;


( 57 ) l a s s e , 6 , 0 0 0 p u n c h e o n s de r h u m et 2 0 0 , 0 0 0 q u i n ­ taux de café étaient produits par des m a i n s libres ( 1 ) . A Caraccas, les blancs travaillaient d a n s les plantal i o n s avec les esclaves avant m ê m e q u e Bolivar les eût affranchis, et aux îles Bahamas, où les Africains dérob é s à la traite étaient r é u n i s et initiés à la religion, à la propriété, au mariage, o n n'a point r e m a r q u é q u e les noirslibres fussent m o i n s i n d u s t r i e u x q u e les noirs esclaves (2). Et ces exemples n'existeraient p a s , q u ' a u c u n e e x p é r i e n c e n e serait nécessairepour prou­ ver que le noir peut être un bon ouvrier des c h a m p s : il l'est par c r a i n t e , par h a b i t u d e , par devoir envers son maître; il ne s'agit d o n c pas de changer sa nature, mais de changer ses motifs. Il suit q u ' a u c u n e impossibilité ne peut être o p ­ posée r a i s o n n a b l e m e n t à l'émancipation des escla­ ves. II. La Commission est d'avis que le principe de l'abolition de l'esclavage doit être proclamé i m m é ­ diatement. En effet, ce qu'il y a de plus dangereux d a n s cette question , c'est l'incertitude; elle e n t r e ­ tient des espérances d é r a i s o n n a b l e s , elle entretient u n e inaction i m p r u d e n t e , elle peut exciter des p a s ­ s i o n s d a n g e r e u s e s . Tant q u e le d o u t e plane sur les i n t e n t i o n s de la C h a m b r e , le G o u v e r n e m e n t n'est pas très-assuré des s i e n n e s ; il h é s i t e , il flotte, il n'agit pas. Tant q u e le G o u v e r n e m e n t n'est pas d é c i d é , les autorités coloniales i m i t e n t , en l'ou-

(1) An account of the present state of Puerto Rico.—By colonel Flinter.—London, 1834. ( 2 ) T é m o i g n a g e du v i c c - a m i r a l Fleming devant un c o ­ m i t é de la Chambre des C o m m u n e s . — Analysis of the re~ port, etc.—London, 1833.

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( 58 ) t r a n t , s o n i n d é c i s i o n ; et les représentations c o l o ­ niales n e s'attachent qu'à gagner d u t e m p s . Nous s o m m e s c o n v a i n c u s q u e , du j o u r o ù u n e volonté nette et précise se sera p r o n o n c é e , bien des o b s ­ tacles s ' a p l a n i r o n t , bien des résistances s'affaibli­ r o n t . La nécessité se fait obéir q u a n d elle se m a n i ­ feste ; et l'intérêt de tous ralliera les efforts du plus grand n o m b r e au s u c c è s d e l'œuvre c o m m u n e . Nous vous c o n s e i l l o n s d o n c d'écrire dans votre loi ces deux mots : Abolition de l'esclavage. La Chambre n'est pas dans l'usage de procéder par voie d e r é s o l u t i o n ; n o u s ne lui proposons pas de déroger à son u s a g e , mais un m o y e n naturel se p r é s e n t e d'exprimer sa volonté. Il n'est a u c u n e grande m e s u r e de g o u v e r n e m e n t à laquelle elle ne c o n c o u r e , au m o i n s par des votes financiers, lors­ qu'elle n'y participe pas a u t r e m e n t . Pour préparer l ' é m a n c i p a t i o n , q u e l q u e s d é p e n s e s seront n é c e s ­ s a i r e s ; il n o u s a paru qu'en les classant au nombre des d é p e n s e s de l'État, vous d o n n e r i e z la preuve la plus formelle de votre résolution d'abolir l'escla­ vage et d'y contribuer par vos propres sacrifices. III. Nous m e t t o n s , avec tous ceux qui se s o n t o c ­ c u p é s de la question , au premier rang des m o y e n s moraux de faciliter l'abolition de l'esclavage , la re­ ligion et l'éducation primaire. La r e c o n n a i s s a n c e de l'humanité attribue au christianisme l'extinction de l'esclavage d a n s l ' a n ­ c i e n m o n d e , et sans doute il est bien dû quelque c h o s e de cette grande délivrance à la religion qui a proclamé l'égalité des h o m m e s devant D i e u , et qui a dit : « P u i s q u e vous avez été r a c h e t é s , n e devenez » pas esclaves des h o m m e s . » Les c o l o n i e s sont à q u e l q u e s égards d a n s la situation des peuples dont


( 59 ) la religion a s e c o n d é l'affranchissement. Nul doute qu'elle n e puisse , seule p e u t - ê t r e , et rappeler aux blancs les maximes de la charité , de la fraternité h u m a i n e , - e t parler aux noirs de leurs d r o i t s , s a n s leur laisser oublier leurs d e v o i r s , mettre enfin la loi universelle d u travail s o u s u n e autorité sainte et près d u s e n t i m e n t de la dignité de notre n a t u r e , placer la notion et le respect d'une règle supérieure à n o s passions 11 importe d o n c de d o n n e r les plus grands soins à l'organisation , à la composition du clergé c o l o ­ nial , et d'élever le n o m b r e d e s ministres de l'au­ tel au niveau des nouveaux b e s o i n s qu'il faut susci­ ter et satisfaire. Ceux qu'on y enverra doivent être pénétrés du grand intérêt de leur m i s s i o n , p o u r ­ vus d'une instruction spéciale qui les rende propres à la r e m p l i r , zélés et s a g e s , actifs et prudents, ré­ s o l u s à n e se laisser ni entraîner, ni d é c o u r a g e r , ni a n n u l e r . Pour obtenir l'unité de d i r e c t i o n , pour que les prêtres exercent les u n s sur les autres cette surveillance indirecte qui résulte de la solidarité., n o u s a p p u y o n s fortement l'idée de les demander à u n e congrégation s o u m i s e d'ailleurs à la juridiction de l'ordinaire , c o m m e celle des lazaristes ou le sé­ minaire d u Saint-Esprit. Dans l'état actuel il y a, o u plutôt il doit y avoir, A la Martinique 3 3 prêtres. A la Guadeloupe 29 A la Guyane f r a n ç a i s e . . 7 Au Sénégal 3 A l'île Bourbon 49 91 C'est u n peu plus d'un prêtre pour sonnes.

4,000

per­


( 60 ) A la Jamaïque , le n o m b r e des ministres de l ' é ­ glise établie é t a i t , en 1 8 3 4 , (de 6 5 Ministres p r e s b y t é r i e n s . . . . 5 Missionnaires Moraves 20 Missionnaires m é t h o d i s t e s . . 17 Missionnaires anabaptistes. 2 6 Prêtres catholiques 2 135 C'est u n ministre pour 2 , 0 0 0 , et c e n o m b r e a , dit-on , fort a u g m e n t é depuis 1 8 3 4 . A A n t i g u e , la proportion est de 1 pour 1 , 0 0 0 . L'organisation de notre clergé colonial est é v i ­ d e m m e n t insuffisante. 11 faut qu'il y ait au m o i n s deux ou trois prêtres par quartier. Les populations, c o m m e on sait, n e sont pas agglomérées par villages, elles sont distribuées par groupes dans les habita­ t i o n s . L'église est souvent trop é l o i g n é e pour qu'il soit facile d'y r é u n i r régulièrement et f r é q u e m m e n t les esclaves. La c o n s t r u c t i o n d'oratoires o u de cha­ pelles vicariales sera d o n c nécessaire. P e u t - ê t r e aussi des propriétaires éclairés se r é u n i r o n t - i l s p o u r bâtir, à frais c o m m u n s , u n e chapelle d e s t i n é e à leurs ateliers. C'est à l'Administration à leur d o n ­ ner l'exemple. Ce q u e n o u s v e n o n s de dire des prêtres et des é g l i s e s , peut se dire des frères de la doctrine c h r é ­ t i e n n e et des é c o l e s . Il faut apporter à la propagation de l'instruction primaire les efforts d e t o u s . Le s u c c è s exige le c o n c o u r s de là métropole, d e s c o l o ­ nies, des colons eux-mêmes. N o u s avons voulu n o u s rendre c o m p t e de la d é p e n s e probable qu'entraîneraient ces salutaires


( 61 ) innovations. Voici les aperçus q u e n o u s devons au Ministre de la marine : A c t u e l l e m e n t , les colonies d é p e n s e n t sur leur budget, pour le clergé, 2 8 1 , 3 8 0 fr., savoir : Martinique 9 7 , 2 0 0 fr. Guadeloupe 88,900 Guyane française 30,180 Bourbon 53,500 Sénégal 11,600 S o m m e égale 281,380 Il faudrait, pour y entretenir un nombre de prê­ tres à peu près'double de celui qui existe aujourd'hui dans les c i n q é t a b l i s s e m e n t s , u n e d é p e n s e a n n u e l l e de 4 5 6 , 0 0 0 fr. Martinique ( 2 4 p r ê t r e s ) . . . 4 8 , 0 0 0 fr. Guadeloupe ( 2 8 id.)..... 56,000 Guyane (6 id.) ... 12,000 Bourbon ( 4 8 id.) Sénégal (2 id.)

...

36,000 4,000

S o m m e égale (78 i d . ) . . . 1 5 6 , 0 0 0 11 faut y ajouter, e n frais de trousseau pour pre­ mier é t a b l i s s e m e n t , u n e s o m m e , pour les cinq c o l o n i e s , de 4 6 , 8 0 0 fr. S o m m e totale pour le p e r s o n n e l 2 0 2 , 8 0 0 fr. Pour l'installation de nouvelles c h a p e l l e s , il s e ­ rait d e m a n d é : Martinique ( 4 0 chapelles). 1 5 0 , 0 0 0 fr. Guadeloupe ( 1 2 id.) 480,000 Guyane (2 i d . ) 30,000 Bourbon (6 id.) 90,000 Total 450,000 Cette dernière s o m m e paraît bien forte; u n e r é ­ duction serait sans doute p o s s i b l e , et la d é p e n s e


( 62 ) est de celles auxquelles les colonies devraient c o n ­ tribuer. Mais en p r e n a n t les évaluations ci-dessus pour b o n n e s , et n o u s n e les avons pas discutées, o n voit que la d é p e n s e n e pourrait pas s'effectuer toute entière la p r e m i è r e a n n é e , ni s e reproduire toutes les a n n é e s ; et il suffirait p r o b a b l e m e n t de porter au budget de l'État, dans l'hypothèse o ù les c o l o ­ nies n e paieraient rien ; 1°. P e r s o n n e l

..

7 8 , 0 0 0 f.

2°.Premierétablisse-ment23,4003°.Construction 326,400 P o u r la seconde année.

1°. 2°.

Personnel........ 156,000 Premier établisse­ ment 23,400 3°. C o n s t r u c t i o n . . . . . 2 2 5 , 0 0 0

4 0 4 , 4 0 0 f. P o u r l e s a n n é e s suivantes , la d é p e n s e n e s'éle­ verait pas à 2 0 0 , 0 0 0 fr. Q u a n t a l'instruction p u b l i q u e , elle coûte a u ­ jourd'hui : Dans les c o l o n i e s 2 1 1 , 3 5 4 fr. Martinique Guadeloupe Guyane Sénégal Bourbon..

1 6 , 5 0 0 fr. 18,088 19,605 8,684 1 4 8 , 4 8 0 (1)

S o m m e égale 211,354 La d é p e n s e d e l'envoi et d e l'entretien d e 2 5 frères à la Martinique , d'autant à la Guadeloupe , de 1 0

(1) B o u r b o n a un collége qui lui c o û t e 75 à 8 0 , 0 0 0 fr.

225


( 63 ) à la G u y a n e , de 2 0 à B o u r b o n , de 5 au S é n é g a l , s'éleverait à 3 1 2 , 7 7 8 fr. En r é s u m é , n o u s c r o y o n s que la d é p e n s e ordi­ naire dans le cadre dressé par l'Administration n'excéderait p o i n t par la suite 5 0 0 , 0 0 0 fr. par a n . Nous proposons à la Chambre de d é c i d e r , en p r i n c i p e , qu'il sera porté tous les a n s pour cet ob­ j e t un crédit a n n u e l au b u d g e t de l'État ; cette al­ location aura lieu , bien e n t e n d u , sans préjudice de celles q u e les colonies sont d a n s l'usage d'ac­ corder sur leurs propres fonds pour les d é p e n s e s ordinaires du m ô m e service , lesquelles pourraient être c l a s s é e s , e n c o n s é q u e n c e , parmi les d é p e n s e s obligatoires. IV. Si la religion et l'instruction s o n t nécessaires pour élever la moralité et l'intelligence des n o i r s , le mariage n e l'est pas m o i n s pour les i n i t i e r à la société. La famille est le c o m m e n c e m e n t do la so­ ciété. On a vu d a n s le c o u r s d e c e rapport qu'à l'é­ gard du mariage, l'ancienne législation était p l u s li­ bérale , e n quelque s o r t e , que la loi actuelle ; c a r , e n s o u m e t t a n t le mariage des noirs aux formes c a ­ n o n i q u e s , elle les mettait d a n s le droit c o m m u n . Cette législation est e n c o r e en vigueur ; c'est-à-dire q u e le mariage religieux subsiste seul pour les n o i r s , et n o u s n'hésitons pas à penser qu'il n e doive avoir e n c o r e à leur égard c e u x des effets civils q u e lui at­ tachait le droit a n c i e n . M a i s , é v i d e m m e n t , cette partie de la législation a besoin d'être révisée et c o m p l é t é e . Il f a u t , o u instituer pour les noirs le mariage civil d o n t o n réglerait les formes et les con­ s é q u e n c e s , ou d o n n e r e x p r e s s é m e n t au mariage r e ­ ligieux toute autorité l é g a l e , e n réglant les f o r m a ­ lités d o n t le prêtre devrait l'accompagner pour que


( 64 ) l'acte eût toute son authenticité. Le curé pourrait, par e x e m p l e , être astreint à tenir un registre qui serait visé par le procureur du R o i , et adressé a n n u e l l e m e n t au greffe. N o u s n ' i n d i q u o n s au­ c u n e disposition ; mais il y a c e r t a i n e m e n t q u e l ­ que chose à faire au m o m e n t où l'on va prendre tous les m o y e n s d'introduire le mariage dans les m œ u r s . Si la tentative r é u s s i t , si les mariages se m u l t i p l i e n t , l'interdiction nécessaire de sépa­ rer le m a r i , la femme et les e n f a n t s , acquiert u n e grande importance et peut a m e n e r , dans la pra­ t i q u e , des difficultés i n s o l u b l e s , à m o i n s qu'on n'ait les m o y e n s de constater l'union et la filia­ tion. L'Administration , d'ailleurs , n e devra pas se borner à encourager les m a r i a g e s , il faudra bien aussi q u e , dans le cas où le m a î t r e , par un motif q u e l c o n q u e , s'opposerait à une u n i o n raisonnable entre des esclaves qui lui a p p a r t i e n n e n t , ou d o n t u n s e u l e m e n t lui a p p a r t i e n t , l'autorité publique puisse intervenir et accomplir l e v œ u de la loi nouvelle. C'est le but des articles 3 et 4 du projet de loi que n o u s vous s o u m e t t r o n s . V. L'institution du pécule e s t , sans aucun d o u t e , u n e des plus propres à faciliter les mariages, à donn e r a u noir l'esprit de prévoyance et d ' é c o n o m i e . Le pécule est admis par l'usage. Il appartient par le fait à l'esclave. Nulle objection sérieuse à la pro­ position de lui assurer par la loi c e l l e propriété. Cette m e s u r e , formellement promise à la t r i b u n e , e n 1 8 3 6 , par M. l'amiral D u p e r r é , donnera les m o y e n s d'établir, pour les n o i r s , des caisses d'épar­ g n e , et elle aura le grand avantage d'habituer l ' e s ­ clave à l'idée qu'il doit quelque chose à la protec­ tion et à la justice de la loi. U n e c o n s é q u e n c e de


( 65 ) l'institution légale d u p é c u l e , c'est le droit de r a ­ c h a t . C o m m e n t refuser la liberté au prisonnier qui paye sa rançon ? L o r s q u e , par s o n travail et s o n é c o n o m i e , un h o m m e a p é n i b l e m e n t acquis la valeur à laquelle l'usage du c o m m e r c e a prisé sa p e r s o n n e , c o m m e n t lui refuser le droit de rentrer e n payant d a n s u n e propriété qu'il n'aurait jamais d û p e r d r e ? Les i n c o n v é n i e n t s qu'on allègue s o n t p o u r la plupart c h i m é r i q u e s , et des précautions faciles p e u v e n t n'en laisser subsister a u c u n . R e f u ­ sez par e x e m p l e la faculté d u rachat au nègre repris d e j u s t i c e ; soumettez m ê m e l'exercice de celte faculté à l'approbation du g o u v e r n e u r . Entourez-la, v o u s le p o u v e z , de formalités r a s s u r a n t e s ; mais n e mettez pas d'obstacle à u n e forme d'affranchissement q u i porte sa garantie avec elle m ê m e . Nous c o n c e ­ vrions b e a u c o u p p l u t ô t q u ' o n restreignit celte liberté p r e s q u e illimitée d'affranchir m a i n t e n a n t a c c o r d é e au maître, et q u e le g o u v e r n e u r eût le pouvoir de met­ tre son veto à toute m a n u m i s s i o n qui lui paraîtrait d é n u é e de motifs louables d a n s le passé, de garan­ ties satisfaisantes pour l'avenir. Au r e s t e , l'article 5 laisse au G o u v e r n e m e n t le soin de c o m b i n e r toutes les c o n d i t i o n s qui doivent accompagner la c o n c e s s i o n à l'esclave de la p o s ­ s e s s i o n de son p é c u l e et de la faculté de racheter sa liberté. Il n e prescrit pas a u G o u v e r n e m e n t de délai p o u r l'exécution. Il pourra la faire précéder d e me­ s u r e s qui préservent les n o u v e a u x affranchis de c e t état qui risquerait d ' e n g e n d r e r le p a u p é r i s m e . Votre Commission n e veut ni augmenter d é m e ­ s u r é m e n t le n o m b r e des affranchis, ni désorganiser les ateliers. Dans sa p e n s é e , le rachat doit avoir p o u r but d'intéresser le noir au travail, d'assurer N°313 9


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u n e r é c o m p e n s e à l'esclave m a r i é , s'il est laborieux et prévoyant. L ' A d m i n i s t r a t i o n , en introduisant c e t t e innovation l é g a l e , ne devra pas la considérer c o m m e u n e mesure d'émancipation p a r t i e l l e , mais c o m m e un m o y e n d'amélioration morale , et surtout c o m m e u n e restriction apportée aux affranchissem e n t s i n c o n s i d é r é s que multiplient le désordre des m œ u r s et la faiblesse des caractères. VI. Les mesures que n o u s v e n o n s de c o n s e i l l e r , c o m m e celles que le G o u v e r n e m e n t saura prendre pour atteindre le m ê m e b u t , ont besoin d'être diri­ gées avec e n s e m b l e , surveillées dans leurs effets et dans leurs détails. La vigilance , l ' a c t i v i t é , l'influence de l'administration coloniale sont les c o n d i t i o n s du s u c c è s . Le projet de loi tend à lui imposer u n e grande responsabilité; il faut d o n c lui conférer u n e grande puissance. Il faut que le G o u ­ v e r n e m e n t , dans les c o l o n i e s , p r e n n e en quelque sorte la direction de la s o c i é t é , et q u e , dès à p r é ­ s e n t , les noirs destinés à passer u n j o u r sous l'au­ torité de la l o i , fassent c o n n a i s s a n c e avec la puis­ s a n c e publique. N o u s n e voulons p a s , tant que l'esclavage s u b ­ s i s t e , placer entre le maître et l'ouvrier u n m a g i s ­ trat spécial, u n protecteur actif qui v i e n n e régir les habitations sous les y e u x des h a b i t a n t s ; mais n o u s v o u l o n s que le Gouvernement sache c o m m e n t elles sont régies. Nous voulons qu'il puisse c o n s t a ­ ter tous les p r o g r è s , tenir compte de tous les ef­ f o r t s , décerner avec justice l'éloge et l'encourage­ m e n t . A partir de ce m o m e n t , l'amélioration morale d e s noirs devient un des premiers devoirs de l'Ad­ ministration des c o l o n i e s . Il faut que l'autorité puisse inspecter u n a t e l i e r , c o m m e un h o s p i c e , c o m m e


( 67 ) u n e é c o l e , et pour que cette inspection ne soit ni blessante ni tracassière, il faut qu'elle parte d'un p o i n t é l e v é , qu'elle é m a n e du chef m ê m e d e la c o ­ l o n i e , et soit exercée par ses délégués i m m é d i a t s . N o u s proposerons d o n c à la Chambre de faire les fonds nécessaires pour o r g a n i s e r , sous l'autorité d u gouverneur , un service d'inspecteurs d e s t i n é s à veiller à l'exécution de la nouvelle loi et des di­ verses mesures administratives qui s'y rapportent. Tel est l'ensemble des dispositions que votre Com­ mission s u b s t i t u e , M e s s i e u r s , à la proposition d e M. Passy. Celle-ci c o n t e n a i t , vous le savez, un s y s ­ t è m e d'émancipation partielle d ' a b o r d , mais que le temps aurait infailliblement c o m p l é t é e ; plus lard on y pourra r e v e n i r ; mais pour le m o m e n t , n o u s n e vous parlons ni du mode ni de l'époque d e l ' é m a n c i p a t i o n . Décider et préparer l'abolition d e l'esclavage, voilà toute la portée du projet de loi. Nous vous devons c o m p t e de n o s raisons. 11 n o u s paraît suffisamment prouvé que l'aboli­ tion immédiate et complète de l'esclavage serait pré­ maturée. Aujourd'hui, des é m a n c i p a t i o n s partielles seraient seules possibles, et p e u t - ê t r e m ê m e trou­ veraient-elles la société coloniale imparfaitement préparée. Quelque s y s t è m e qu'on adopte pour c o n ­ s o m m e r cette grande réforme, les mesures que n o u s c o n s e i l l o n s seraient un préalable n é c e s s a i r e , et augmenteraient les c h a n c e s de s u c c è s . D'un autre c ô t é , l'opinion s'est accréditée qu'il serait difficile d'adopter un plan et d'entamer l'exécution avant l'an­ née 1 8 4 0 , où l'Angleterre verra s'achever sa grande e x p é r i e n c e , c o m m e aussi n o u s ne c r o y o n s pas qu'il fût aisé ni p o l i t i q u e , aussitôt cette époque arrivée , d e tardera prendre un parti.


( 68 ) A l o r s , deux s y s t è m e s se p r é s e n t e r o n t , et l a F r a n c e sera libre de choisir. Ne p r e n o n s d o n c a u ­ c u n e n g a g e m e n t ; n o u s a u r o n s p l u s tard l'option» e n t r e l'abolition c o m p l è t e et s i m u l t a n é e , et l ' e x ­ t i n c t i o n partielle et progressive de l'esclavage. Le second s y s t è m e parait, au premier a b o r d , l e p l u s p r u d e n t ; il ne saurait amener de c r i s e ; il peut v o u s c o n d u i r e au but par u n e transition p r e s q u ' i n s e n s i b l e ; il peut s'accomplir sans charger laF r a n c e du poids d'une i n d e m n i t é générale. Avec q u e l q u e s sacrifices a n n u e l s , on compléterait le p é ­ c u l e de ceux q u i , par leurs propres forces, e n a u ­ raient réalisé la moitié ou le t i e r s , ou bien o n d o n ­ nerait au propriétaire les m o y e n s d'élever s a n s a u ­ c u n e perle les enfants n é s sur s o n habitation e t affranchis au berceau. La difficulté serait d'obtenir que le noir libre tra­ vaillât à côté du noir esclave. Si l'on appelle succes­ s i v e m e n t u n e classe q u e l c o n q u e de travailleurs à la l i b e r t é , c'est-à-dire à u n e situation supérieure à celle des h o m m e s qui travaillent a u j o u r d ' h u i , il e s t à craindre qu'ils ne c o n t i n u e n t à regarder l'affran­ c h i s s e m e n t c o m m e une promotion à l'oisiveté; et si vous cherchez à parer à ce danger par l'établisse­ m e n t d'un r é g l e m e n t de travail, ou par u n e n g a ­ g e m e n t à t e r m e , vous serez obligés de déployer à, p e u près autant de force q u e pour tenir paisible et laborieuse la population entière é m a n c i p é e d'un s e u l c o u p . Cependant le s y s t è m e des m e s u r e s p a r ­ tielles, des réforme progressives, surtout l'idée d'af­ franchir les e n f a n t s , mérite b e a u c o u p d'attention et n e doit pas être a b a n d o n n é s a n s u n m û r examen. T o u t e f o i s , s'il fallait choisir a u j o u r d ' h u i , la Cora


( 69 ) mission déclare qu'elle préférerait l'autre s y s t è m e . E n l'adoptant, le Gouvernement reste maître de l'o­ pération : si ses mesures sont bien prises, il peut faire passer sans secousse la population noire d'un régime à un autre et, substituant l'engagement à terme à la servitude p e r p é t u e l l e , mettre partout la puissance de la loi à la place de celle d u maître. L ' i n d e m n i t é , s a n s d o u t e , est alors n é c e s s a i r e ; mais elle d o n n e le m o y e n de c o m p t e r davantage sur le c o n c o u r s des propriétaires. Elle est u n e prime d'assurance c o n t r e les c h a n c e s possibles du nouveau régime , u n m o y e n de libérer une propriété grévée de d e t t e s , un capital d'exploitation dont profilent l'agriculture et l'industrie du planteur. 11 n'est pas indifférent q u e la réforme s'opère au milieu d'une société p r o s ­ père et r i c h e , ou d'une société nécessiteuse et souf­ frante. Tout est facile à qui se s e n t en confiance et e n progrès. L ' i n d e m n i t é , s a n s doute, serait u n e charge pour n o s f i n a n c e s , mais il y aurait telle c o m b i n a i s o n qui la réduirait à u n e avance rembour­ sable , o u à u n e s i m p l e perte sur les intérêts. Peut-être aussi y aurait-il m o y e n d'en d i m i n u e r le fardeau par u n e modification au système de d o u a n e qui lie la m é t r o p o l e et les c o l o n i e s . Il est évident que l'industrie sucrière subit e n ce m o m e n t u n e r é v o l u t i o n . Les c o l o n i e s qui ont sacrifié d e p u i s q u i n z e ou v i n g t a n s toutes leurs autres productions à une s e u l e , p e u v e n t difficilement persister d a n s la m ê m e m a r c h e . On doit s'attendre à d e s c h a n g e ­ m e n t s d a n s leur é c o n o m i e agricole et commerciale q u ' u n G o u v e r n e m e n t prévoyant fera tourner a u proiit d e l'émancipation. Ce sont autant d e q u e s t i o n s à examiner; n o u s le r é p é t o n s , les deux s y s t è m e s restent à la disposition


( 70 ) de la Franco, et dans un ou deux a n s , pro­ noncera. C e p e n d a n t , un grand pas aura été l'ait, et le p r i n ­ cipe de l'abolition de l'esclavage aura été proclamé. La France aura aussi acquitté sa part de la dette, q u ' o n t , il y a l o n g t e m p s , contractée envers la race africaine, toutes les nations complices de la traite et e n r i c h i e s par l'esclavage. La l i b e r t é , m ê m e tar­ d i v e , efface bien d e s maux el rachète bien des i n ­ justices. C'est la mission de notre siècle q u e d'être le réparateur des loris des siècles passés, La Commission vous propose l'adoption du projet de résolution suivant.


( 70 )

PROPOSITION.

PROPOSITION

De M. Passy.

PROPOSITION

De la

Commission.

Article p r e m i e r .

Article premier.

A dater de la p r o m u l g a ­ tion de la présente loi , tout enfant qui naîtra dans les colonies françaises sera l i ­ bre , q u e l l e que soit la c o n ­ dition d e ses parents.

Les dépenses auxquelles donneront l i e u les mesures destinées à préparer l ' a b o ­ l i t i o n de l'esclavage dans les colonies françaises, sont des dépenses de l'État.

Art. 2 .

Art. 2 .

Les enfants , nés de p a ­ rents esclaves , resteront confiés aux soins d e leurs mères et u n e i n d e m n i t é de 50 fr. par tête d'enfant sera a l l o u é e aux propriétaires des mères pendant dix années c o n s é c u t i v e s . Cette i n d e m ­ nité cessera d'être p a y é e dans le cas où l'enfant , dont la naissance y aura donné droit , viendrait à décéder avant d'avoir atteint l'âge de dix ans a c c o m p l i s .

En conséquence, chaque année les lois de finances porteront au budget du M i ­ nistère de la marine et des colonies les s o m m e s n é c e s ­ saires pour concourir avec les fonds a n n u e l l e m e n t v o ­ l é s par les conseils c o l o ­ niaux , tant à l'extension du service religieux qu'à la propagation de l'instruction primaire.

Art. 3 . T o u t esclave aura droit de racheter sa liberté à un prix fixé par des arbitres d é -

Art. 3. Dans les trois mois qui suivront la promulgation de la p r é s e n t e loi , des o r d o n ­ nances du Roi régleront les formes dans lesquelles seront célébrés et constatés les


(

71 ) PROPOSITION

De M.

Passy.

signés à l'avance par l ' a u t o ­ rité m é t r o p o l i t a i n e . L'indemnité due aux p r o ­ p r i é t a i r e s , pour les enfants nés de mères e s c l a v e s , r e ­ viendra de droit à celles des mères qui rachèteront leur liberté. Les esclaves mariés n e pourront être séparés , en cas de v e n t e , de leurs p e r ­ s o n n e s . Les maris ou f e m m e s qui racheteront leur l i b e r t é n'auront à payer q u e l e s deux tiers du prix arrêté par les arbitres ; le troisième tiers sera payé par l'État. Art. 4 . Des ordonnances royales , dont i! sera donné c o m m u ­ nication aux Chambres dans ta session qui en suivra l a p r o m u l g a t i o n , statueront sur les mesures à prendre pour le recensement et la p r o t e c ­ tion des enfants nés d e mères esclaves , pour la répartition et le choix des arbitres char­

gés de régler les conditions des rachats de liberté , p o u r l'établissement de Caisses d'épargne et pour tout c e qui concernera l ' a m é l i o r a ­ t i o n du sort des esclaves et J'exécution de la présente loi.

PROPOSITION

De la

Commission.

mariages des personnes non l i b r e s , ainsi q u e leurs effets civils. A r t . 4. Les m ê m e s o r d o n n a n c e s régleront les cas où l ' A d ­ ministration publique p o u r ­ ra autoriser le mariage e n t r e l e s personnes non l i b r e s , à défaut d e l'autorisation «le leurs m a î t r e s . Art. 5. Des ordonnances du Roi d é t e r m i n e r o n t dans q u e l s cas et à q u e l l e s c o n d i t i o n s l'esclave aura la libre d i s ­ position de son p é c u l e et le droit de racheter sa l i b e r t é à prix d'argent. Art. 6 . 11 sera établi aux frais de l ' É t a t , dans les c o l o n i e s , u n service d'inspection à l'effet de v e i l l e r , sous l'autorité des gouverneurs , à l'exécu­ tion de la présente loi et d e toutes les mesures a d m i n i s ­ tratives prises pour préparer l'abolition de l'esclavage. Art. 7. Chaque a n n é e , il sera r e n d u c o m p t e aux Chambres des résultats de l'exécution de la p r é s e n t e l o i .

A . H E N R Y , I m p r i m e u r d e la C h a m b r e des D é p u t e s , . r u e Gît-le-Cœur, 8 . — (Juin 1838.)


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