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MADININA, REINE DES ANTILLES
conçois volontiers l'étonnement de Louis Garaud qui, ayant assisté un jour aux fêtes du Carnaval de Saint-Pierre, écrivait le soir même : « C'est le vrai peuple chez lui, souverain dans la rue, en fête extravagante, en joie débraillée; c'est la mascarade étourdissante, c'est le parfum du tafia, c'est le ruissellement du soleil, c'est le bruit, c'est le tapage, c'est le vacarme, c'est la tempête, ce sont les vagues déchaînées d'une mer en rut. Et de ces corps humains en ébullition montent une vapeur moite de respiration, une odeur âcre de chair bouillante, quelque chose d'innommé qui vous saisit à la gorge, vous enveloppe, vous pénètre et vous saoule (1). » Le vidée ne prend fin que lorsque la nuit est venue; ceux qui y ont participé vont en hâte se déshabiller et dîner, mais ce ne sera qu'un intermède de courte durée : princes et bébés, dominos et diables se rencontreront à nouveau dans les bals masqués qui dureront toute la nuit. Avec le Mardi gras, Sa Majesté Carnaval est considéré comme mort, cependant les funérailles ne s'accomplissent que le Mercredi des Cendres, dans l'après-midi, et cette cérémonie nécessite un dernier cortège, une dernière fugue. Mais il convient, pour la circonstance, d'arborer un costume de deuil : hommes et femmes revêtiront alors le costume de la « guiablesse » (2) et accompagneront — toujours en musique — le «Bois Bois» à sa dernière demeure. Le costume « de la guiablesse », c'est une longue robe noire sur laquelle se croise un foulard blanc; un turban également blanc mais aussi haut que possible tient lieu de coiffure et remplace le « madras » ordinaire. Enfin, comme on ne peut concevoir des apparitions de damnés sans bruit infernal, ceux et celles qui, pour l'occasion, ont revêtu cette triste défroque, ne manquent pas d'attacher à leur suite un vieux bidon en fer-blanc ou (1) Op. cit. (2) La « guiablesse » (la diablesse) est considérée aux Antilles comme une manifestation de Satan. (Se reporter au chapitre XIX, Sorciers et sortilèges.)