Nos Antilles

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qui sont cause de tous les désordres qui arrivent dans les ménages : pour peu qu'elles aient de chagrin contre une jeune femme, elles trouvent bientôt moyen de la décrier dans l'esprit de son mari, et de lui faire naître une infinité de soupçons, et quand elles n'ont rien de plus positif à dire contre les jeunes, elles les accusent d'être sorcières et d'avoir fait mourir quelqu'un : il n'en faut pas davantage, tout autre examen est superflu, l'accusée passe pour convaincue, on lui casse la tête et on n'en parle plus. » Où donc Rousseau avait-il pris que les Caraïbes étaient les moins sujets à la jalousie? Et plus bas : « Il n'y a que les femmes à qui on commande dans ce pays-là... Elles obéissent sans réplique, ou plutôt elles savent si bien leur devoir et le font avec tant d'exactitude, de silence, de douceur et de respect, qu'il est rare que leurs maris soient obligés de les en faire souvenir. Grand exemple pour les femmes chrétiennes, qu'on leur prêche inutilement depuis la mort de Sara femme d'Abraham, et qu'on leur prêchera selon les apparences jusqu'à la fin du monde avec aussi peu de fruit qu'on prêche l'Évangile aux Caraïbes. » Et feuilletant sans relâche, en même temps, le gros livre du père Du Tertre, les petits livres du père Labat, Barbarin essayait de faire la balance du bon et du mauvais dans l'existence des Sauvages. Il se disait : Ces hommes sont libres et fiers ; ils n'obéissent à personne et ne font jamais que ce qui leur plaît. Mais cette indépendance, qui les rend impropres à servir, les empêche aussi d'entreprendre les travaux où un homme a besoin du secours d'un autre. C'est un orgueil déraisonnable que celui d'où est venu le proverbe que regarder de travers un Caraïbe c'est le battre, et que le battre c'est le tuer ou s'exposer à en être tué... La matinée d'un Caraïbe doit être assurément plus agréable que celle d'un gentilhomme de la Chambre, au petit lever du roi. Sitôt qu'ils sont levés, ils courent à la rivière pour se laver tout le corps et ils allument après un grand feu dans leur carbet, autour duquel ils s'asseoient tous en rond, pour se chauffer. Quand ils sont secs, leurs femmes viennent peigner leurs cheveux et les barbouiller de rocou par tout le corps, en commençant par le


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