Voyages aux Isles de l'Amérique (Antilles) : 1693-1705 . Tome 2 (1)

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VOYAGES AUX ISLES DE L'AMERIQUE

comte de Gennes produisit pour sa justification : il convainquit de faux trois misérables, qui avaient déposé contre lui, et les plus honnêtes gens du pays lui rendirent service et déposèrent en sa faveur. Malgré tout cela, voyant que son affaire prenait un mauvais train, il récusa quelques-uns de ses juges, et même le sieur de Machault, et proposa ses causes de récusation, et comme il eut avis que le ministre avait ordonné qu'on fît entrer dans le Conseil de guerre le sieur de Saujon, qui commandait le vaisseau du Roi la Thétis, qu'on attendait à tous moments avec ses officiers pour examiner son affaire, il fit ce qu'il put pour retarder son jugement jusqu'à leur arrivée ; mais ce fut en vain, on passa par-dessus tous ces ordres, et sans attendre personne, le comte de Gennes fut transporté du Fort SaintPierre au Fort Royal, d'une manière dure et ignominieuse : la comtesse, sa femme, n'eut plus permission de le voir, à moins qu'elle ne voulût demeurer resserrée en prison avec lui sans en plus sortir, et il fut jugé dans le mois d'août 1704 et condamné, comme atteint et convaincu d'une lâcheté outrée dans ce qui s'était passé à Saint-Christophe, à être dégradé de noblesse et privé de la Croix de Saint-Louis et de tous les emplois dont il était revêtu. Le comte de Gennes appela de ce jugement au Conseil du Roi et prit ses juges et leur greffier a partie, et peu de jours après le vaisseau du Roi la Thétis arriva, dont le capitaine avait ordre de porter en France le sieur de Gennes avec les procédures qui se trouveraient avoir été faites contre lui. A l'égard des sieurs de Valmeinier et de Château-Vieux, tous deux lieutenants de Roi de la même île, il ne fut rien statué touchant le dernier, et à l'égard du premier, il fut suspendu de l'exercice de sa charge pour six mois, parce qu'on prétendit qu'il ne s'était pas opposé assez vivement à la reddition de Saint-Christophe, comme si, dans la situation où étaient les choses et vu la faiblesse de la colonie, il avait pu faire autre chose que de conseiller d'attaquer les ennemis du côté de Cayonne et de la Cabesterre pour se joindre à l'autre partie de la colonie, ou la chose n'étant pas trop faisable ni trop sûre, il ne mérita pas plutôt des louanges que du blâme d'avoir su tirer des Anglais le meilleur parti qu'on en pouvait attendre, comme on l'a vu par la capitulation. Le comte de Gennes fut embarqué sur ce vaisseau avec le sieur de Valmeinier, mais ils eurent le malheur d'être pris par les Anglais et conduits à Plymouth, où le comte de Gennes mourut lorsqu'il était sur le point de passer en France, où son innocence n'aurait pas manqué d'être reconnue et sa réputation rétablie ; ce qui est si vrai que depuis sa mort le Roi a donné des pensions considérables à sa veuve et à ses enfants, et pour faire connaître l'estime qu'il faisait de lui et combien il était éloigné de faire la


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