Le Roi Blanc de la Gonave : le culte du vaudou en Haïti, 1915-1929

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PREMIÈRE PATROUILLE

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Jusqu’à ce jour, je ne puis expliquer ce qui se passa en moi ; mais il y eut quelque chose de déconcertant qui me fit baisser mon fusil devant le calme de cet homme, face au danger et regardant fuir ses soldats. Je n’avais jamais tué un homme. Je sentis une vive répugnance à prendre la vie à quelqu’un en dehors d’un combat ; cela ressemblait trop à un assassinat. J'ignorais que les officiers révolutionnaires seuls portaient l'uniforme bleu, et que cet homme, appelé Olivier, était le meneur Caco le plus important du district. Même si je l’avais su, je ne crois pas que j’eusse agi différemment. Une fois Olivier disparu, je me ressaisis et me rendis compte de mes responsabilités. Je fis disperser mes hommes pour une escarmouche et nous approchâmes du camp par bonds successifs faisant quelques pas dans l’herbe haute, puis un arrêt, pour recommencer ensuite. Après le premier bond en avant, on nous tira dessus de derrière le camp. Les Cacos devaient se servir de vieux fusils, car, chaque cartouche passant pardessus nos têtes faisait un bruit formidable. Les hommes qui tiraient étaient en embuscade derrière les cabanes. Le tir le plus fort semblait venir de derrière la clôture d’où le chef Caco avait disparu. Nous rampâmes vers eux, tirant bas dans la direction générale d’où venait le tir. Nous avions de la chance : tous les évolutionnaires des tropiques étaient de mauvais viseurs, car nous étions plutôt en vue, du moins ils pouvaient voir remuer l’herbe où nous nous vautrions, mais pour nous, rien ne révélait leur emplacement précis. Quand l’assaut qui nous mena à cinquante mètres du camp fut achevé, subitement, ils s’arrêtèrent de tirer, nous ne vîmes pas un seul homme vivant ou mort. Comme j’ai eu l’occasion de le constater plus tard, les gendarmes étaient de mauvais tireurs aussi. Nous trouvâmes le camp plus grand qu’il ne nous avait paru à distance. Apparemment, ils venaient de cuire leur repas de midi ; une vache venait d’être tuée, il y avait des sacs de haricots, de riz et un tas de maïs non dépiqué. Ajoutez-y un certain nombre de peaux de vaches, quelques machines à coudre et une quantité de munitions. Sans commandement, mes hommes allèrent achever de préparer le


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