La Guyane française : notes et souvenirs d'un voyage exécuté en 1862-1863

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INSECTES ET DYPTÈRES.

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mille misères de la vie des bois auxquelles ils sont en proie et que peu d'Européens peuvent surmonter dans ces conditions, les fugitifs sont traqués par les nègres Bosh et par les Indiens alléchés par l'appât d'une prime et peu soucieux de voir rôder autour de leurs carbets des maraudeurs chez lesquels le vol et le crime deviennent de fatales nécessités. Un célèbre faussaire, Giraud Gâte-Bourse, qui émit tant de billets de banque de sa fabrique et que ce rare talent d'imitation conduisit à la Guyane, chercha à fuir de Saint-Louis par l'intérieur du pays, espérant atteindre la Guyane anglaise. 11 chercha d'abord à faire croire à sa mort pour détourner les poursuites ; mais ce n'était qu'une nouvelle prématurée. Il succomba effectivement après deux mois de souffrances. Depuis quelques années, on a enregistré un ennemi de plus à l'homme qui vit dans la forêt. C'est une petite mouche sans dard ni venin, inoffensive en apparence et cependant plus redoutable que le tigre et que le serpent. Les naturalistes l'ont baptisée Lucilia homini-vore, et cette épithète justifiée par une fatale expérience dépeint ce terrible fléau. La mouche anthropophage, puisqu'il faut l'appeler par son nom, n'a ni l'aiguillon de la guêpe ni le bourdonnement du frelon ; elle ressemble fort à la mouche vulgaire de la viande, rien ne la signale ni ne la dénonce aux victimes qu'elle va frapper. Elle s'introduit dans le nez ou dans les oreilles de l'homme endormi, et dépose ses œufs dans ces cavités qu'elle se hâte d'abandonner. Les sinus du nez et le tympan deviennent des ruches où se consomment toutes les métamorphoses de l'insecte et d'où l'essaim prendra son vol. Les désordres occasionnés par la présence de ces milliers de larves aux abords du cerveau amènent une méningocéphalite qui emporte le malade au bout de quelques jours avec des souffrances intolérables. La plupart des transportés attaqués par la Lucilia homini-vore ont succombé malgré les secours de la science. Les cures que l'on a obtenues sont des exceptions. Sur une douzaine de morts constatées, on cite trois ou quatre guérisons. La térébenthine pure et le chloroforme ont été quelquefois des agents efficaces, mais ont le plus souvent échoué. Du reste, l'action de la térébenthine sur la larve n'est pas mortelle, mais elle la fait se contracter et tomber. Plusieurs larves ont été plongées dans un bain de chloroforme, dans une solution concentrée de bichlorure de mercure, qui ont cependant la propriété de détruire tous les animaux inférieurs, et elles ont résisté à la vertu corrosive de ces agents chimiques, prouvant encore leur existence par un reste de sensibilité. M. Coquerel, chirurgien de la marine, qui a étudié les mœurs de cette terrible mouche, fait remarquer qu'elle s'attaque plus particulièrement aux hommes malsains et exhalant par les narines une odeur qui attire cet insecte et lui est sympathique à la façon des viandes corrompues pour certains oiseaux de proie. Cette assertion semble ressortir des divers cas soumis à l'analyse médicale. On avait été jusqu'à émettre l'idée d'une génération spontanée.


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