La Guyane française : notes et souvenirs d'un voyage exécuté en 1862-1863

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TOXICOLOGIE

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INDIENNE.

le ticunas, composé de trente sucs végétaux, ne serait pas aussi énergique que le poison fabriqué chez les Indiens Accawaus qui n'y emploient que cinq ingrédients. D'après le docteur Bancroft, voici la recette de ce poison, donnée par quelques pïayes de la tribu qui s'accordent sur [les substances et ne diffèrent que sur les quantités : Six parties de la peau de la racine de wourara, deux de l'écorce de warra-cobacourra, une de la peau de la racine de concassapi, une de baléti et une de hatchibali. On jette le tout dans une jarre et on fait bouillir. Après un quart d'heure d'ébullition, on en exprime le jus avec les mains, et on rejette les écorces. Il faut que la vieille femme préposée, dit-on, à cette opération ait les mains exemptes de toute excoriation. C'est ce qui rend son rôle si périlleux , c'est ce qui fait qu'elle est souvent la première victime de l'efficacité du curaré dont les vertus ne sont cependant pas arrivées à leur apogée et ne l'atteignent que par la concentration du principe par l'évaporation, c'est-à-dire , lorsque le jus réduit par un feu modéré obtient la consistance du goudron dont il a également la couleur. Alors, on le retire du feu et on le distribue aux guerriers de la nation. Il y a deux manières de conserver le curaré. Souvent, on le met simplement dans une petite calebasse que le chasseur emporte avec lui ; parfois aussi, tandis que le poison est encore chaud, on y jette de petits morceaux de bois de cokarito . Le curaré s'y attache et les recouvre comme d'un enduit gommeux. Quand cet enduit est sec, on renferme ces morceaux de bois dans une canne creuse fermée aux deux bouts par une peau. Pour empoisonner une arme, lance ou flèche, on en trempe la pointe dans le toxique de façon à ce qu'elle s'en imprègne et qu'il en adhère des parcelles aux encoches. Si le curaré est trop sec, on le ramollit à la fumée ou de toute autre façon, ce qui est facile, attendu qu'il est soluble dans tout liquide. La plus petite quantité de ce poison introduite dans les vaisseaux sanguins d'un animal de petite taille le fait périr en moins d'une minute, sans douleur apparente, sauf quelques légères convulsions au moment de la mort. L'homme et les gros animaux résistent davantage à l'action du poison, et la blessure peut ne pas être mortelle suivant la quantité absorbée, la force du toxique et la partie du corps qui est frappée. Il est démontré que l'effet se manifeste sur le système circulatoire; cependant, contrairement à l'opinion de la Condamine et de plusieurs savants américains, le physicien Fontana soutient que pris intérieurement, à certaine dose, ce poison est également mortel. Mis sur la langue, il a une saveur extrêmement amère; quant aux vapeurs de la fumée du curaré, elles sont inoffensives, soit qu'on les flaire ou qu'on les respire. M. de la Condamine s'était procuré des flèches empoisonnées. Il les garda trois 1

1. Cokarito,

sorte

de

palmier.


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