La Guyane française : notes et souvenirs d'un voyage exécuté en 1862-1863

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CAYENNE.

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Sur cet effectif, l'île de Cayenne entre pour environ la moitié et la ville pour le tiers. En faisant des études comparatives entre les divers recensements, on est amené à une fatale conclusion : c'est que le chiffre de la population tend plutôt à baisser qu'à augmenter. En effet, l'année 179.0 donne un effectif de 14 520 personnes; l'année 1820, 15 090; l'année 1830, 22 666; l'année 1862 n'en a que 19 559. Il y a donc entre 1830 et 1862 une diminution de 3107 dans le chiffre de la population. La production et les cultures ont marché dans la même progression décroissante. Il est triste d'avouer l'état actuel de l'agriculture. Sur une étendue de pays de plus de 16 000 lieues carrées, la statistique de 1861 ne présente que 5213 hectares cultivés, parmi lesquels 2822 sont employés à la culture des denrées alimentaires consommées dans le pays; il ne reste donc que -2391 hectares en cannes à sucre, café, cacao, coton, girofle et roucou, c'est-à-dire en produits d'exportation. Et encore sur les 1031 hectares sous roucou, beaucoup restent inutiles, attendu le grand abaissement de la valeur de cette teinture végétale qui fait que la récolte est parfois négligée. Le décret de 1848, qui a aboli l'esclavage, a fait à la Guyane française une plaie peut-être incurable. Le coup imprévu a trouvé la colonie sans défense. Le travail a manqué brusquement, inopinément. La prime d'indemnité de 500 francs accordée aux propriétaires par tête d'esclave libéré a été loin de parer au préjudice causé par la mesure. De plus, le gouvernement de la république semblait peu assis, peu assuré; on croyait peu à ses promesses. On spécula sur les primes comme sur des actions d'une société chancelante. Il y eut un agiotage coupable et des opérations frauduleuses qui ruinèrent beaucoup de propriétaires. La Guyane n'est pas dans les mêmes conditions que les Antilles et Bourbon. Dans ces îles, la propriété est limitée, est connue; le bien de chacun est déterminé; les terres d'un habitant ne se confondent pas avec celles du voisin. Le noir qui ne possédait pas fut obligé de travailler pour vivre, à moins de se mettre en révolte ouverte contre la propriété. Il tenta bien de le faire; mais, dompté et ramené par la force à sa vraie position sociale, il reprit le travail avec le salaire. Les fortunes coloniales reçurent, il est vrai, de violentes secousses; plusieurs sombrèrent dans le naufrage, mais d'autres surnagèrent. Le prix des denrées coloniales n'augmenta pas en proportion de l'accroissement des frais et du prix de revient; mais, malgré la rude concurrence faite par la betterave à la canne, l'exploitation du sucre continue, ce qui prouve cependant que les habitants, sans gagner beaucoup, font encore un certain bénéfice. Il n'en fut pas ainsi à la Guyane. L'étendue considérable du pays nuit à sa


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