Au pays de l'or

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AU PAYS DE L'OR

— Celui où nous avons pris la tortue ? — Et qui a deux ou trois barrages de roches superposées ? — Trois, c'est juste, dit Laveau. Le Patron regarde sa montre : — Il est onze heures moins trois ! fit-il. Continue Jean. Jean aurait mieux aimé ne pas être interrompu. Il avait les yeux fixés sur Catlia et la jeune femme le regardait aussi, mais d'un regard qu'il ne lui connaissait pas encore, plein d'une admiration profonde et de la plus véritable tendresse. Comme elle avait appris que le baiser est d'usage chez les blancs, elle porta sa main droite aux doigts effilés à ses lèvres. Et les lèvres claquèrent, lorsque, un peu gauche, elle retira sa main. Jean, à son tour, lui renvoya le baiser à distance. C'était la première fois qu'ils esquissaient un geste que les convenances permettent souvent et qui n'est pas souvent étranger à l'amour. Puis il continua la déclamation du poème dont il avait fini la première strophe : L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages, Et d'un souffle, il a tout dispersé sur les flots ! » Laveau dit à Jean : — Le grand poète qui a écrit ces vers a eu le malheur de perdre d'une façon tragique sa fille à Villequier. Le saut était tout près. L'eau coulait presque silencieusement... Jean continuait : « Combien de patrons morts avec leurs équipages ! « Où sont-ils les marins sombres dans les nuits noires? O flots, que vous savez de lugubres histoires ! » Le jeune homme était plein d'enthousiasme. Laveau se lève soudain ; il sonde du regard le lit du fleuve...


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