Annales de la propagation de la foi. Tome vingt-troisième

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ANNALES D E LA

PROPAGATION DE LA FOI

MANIOC.org Conseil général de la Guyane


Avec approbation

des

LYON. —

Supérieurs.

IMPR.

DR

J.

B.

PÉLAQAUD,


ANNALES DE LA

PROPAGATION DE LA FOL RECUEIL

PÉRIODIQUE

DES LETTRES DES EVÈQUES E T DES MISSIONNAIRES DES MISSIONS DES DEUX MONDES

}

ET DE TOUS LES DOCUMENTS

RELATIFS AUX MISSIONS ET A L'ŒUVRE DE LA PROPAGATION DE LA F O I .

COLLECTION FAISANT SUITE AUX LETTRES ÉDIFIANTES.

TOME

VINGT-TROISIÈME.

A CHEZ

LYON,

L'ÉDITEUR

DES

ANNALES,

Rue du Pérat, n° 6 . 1861.



5

MISSIONS DE LA GUINÉE.

Lettre de M. Gallais, Missionnaire de la congrégation du Saint-Esprit sous l'invocation de l'Immaculé Cœur de Marie, à Mgr Kobès, Coadjuteur du Ficaire apostolique de la Guinée et de la Sènègambie.

J o a l , le 10 mars 1 8 5 0 .

«

MONSEIGNEUR ,

« Nous voici depuis deux ans a u milieu de noire bon peuple Sérer. Sans doute il n'est pas en mon pou­ voir de vous t r a n s m e t t r e tous les r e n s e i g n e m e n t s cu­ rieux et dignes d'intérêt, q u ' u n e plus longue expérien­ ce nous fournira s u r cette portion de la vigne que le Seigneur vous a confiée ; mais puisque vous me d e m a n ­ dez ce que j ' a i pu recueillir sur l ' é t a t , le caractère et les m œ u r s , aussi bien que sur le culte et les croyances des i n d i g è n e s , je vais m ' a r r a c h e r u n i n s t a n t e l'étude de la l a n g u e , ma p l u s délicieuse occupation, pour m'entretenir avec vous de ces enfants si chers à votre ТОМ. Х Х Ш .

134.

JANVIER

1861.


6 cœur paternel et à votre sollicitude pastorale. Vous les aimez tous d ' u n a m o u r qui veut la vérité ; il faut donc vous les m o n t r e r tels qu'ils s o n t , avec leurs vices et leurs vertus, afin de vous mettre plus à m ê m e de leur prodiguer les secours dont ils ont besoin. « Et d ' a b o r d , pour vous parler du village où nous s é j o u r n o n s , vous savez q u e Joal est u n m é l a n g e de Wolofs et de S é r e r s ; on y parle les deux l a n g u e s , et il nous faut des m i s s i o n n a i r e s qui a i m e n t à p r e n d r e pour bouquet spirituel ces paroles de l'Apôtre : Fides ex auditu. Quomodo credent in quem non audieruntP(1) Joal lut autrefois u n comptoir portugais. Des prêtres de cette nation réussirent, d i t - o n , à y fonder u n e c h r é ­ tienté assez florissante ; m a i s h é l a s ! qu'en restait-il à notre arrivée ? à peu près a u c u n vestige ; avec les pas­ t e u r s , la foi et la piété des brebis avaient disparu. Si quelques ministres zélés du Seigneur s'étaient montrés de loin en loin p o u r r a l l u m e r les étincelles d ' u n e foi qui s'éteignait, comme ils n'avaient fait p o u r ainsi dire que passer, ils n'avaient aussi produit que des fruits é p h é m è r e s . Nous trouvâmes d o n c ici des âmes plongées d a n s la dernière i g n o r a n c e , et incapables de répondre a u x questions religieuses les plus simples et les plus fondamentales. Le plus r e n o m m é du pays pour son savoir croyait qu'un j o u r Dieu devait m o u r i r . Notre Sauveur était i n c o n n u , son nom m ê m e était ignoré ; au lieu de se prosterner devant la croix du R é ­ dempteur, on adorait de vils fétiches, et l'on se c h a r ­ geait de tous les signes de superstition des infidèles; et pourtant Joal avait été u n village chrétien ! Les h a b i -

(1) La foi vient de l'ouïe. Comment croiront-ils en Jésus -Christ, s'ils n'en ont pas entendu parler ? Epitre aux Romains,

X, XIV et XVII.


7 tants se glorifiaient encore d e porter ce n o m , mais sans en comprendre le sens. C'était le paganisme d a n s toute sa vigueur : q u e l q u ' u n était-il m o r t , et l'heure fixée pour son inhumation était-elle arrivée avant qu'on eût eu le temps de confectionner la b i è r e , à la place d u mort on enterrait u n c h i e n , sans rien omettre des cérémonies et des pleurs accoutumés. Je n'ai pas b e ­ soin d'ajouter que les moeurs étaient aussi dépravées que les c r o y a n c e s , que la p u d e u r était à peu près i n ­ connue et que la polygamie était générale. « Au m o m e n t où j e vous é c r i s , Monseigneur, notre petite chrétienté de Joal promet un excellent avenir. Les enfants sont notre plus précieuse et notre plus r i ­ che espérance. Que n'êtes-vous ici pour voir leur e m ­ pressement à venir à l'église, à assister a u x catéchis­ m e s , et avec quelle facilité non moins g r a n d e que cel­ le de nos enfants d ' E u r o p e , ils r é p o n d e n t à toutes les questions ! Impossible de vous t r a d u i r e leur goût p r o ­ noncé pour le chant et la musique. Ils exécutent nos cantiques Wolofs et Sérers avec u n accent à ravir. Ces petits virtuoses n e disent jamais : C'est assez ; aussi, à l'issue des divers offices où ils ont chanté de tout l e u r c œ u r , font-ils encore retentir l'air de nos hymnes pieux jusqu'à ce qu'ils soient rentrés dans leurs familles. Leurs pères avaient oublié que le d i m a n c h e est le jour du Seigneur ; aujourd'hui ils savent tous qu'en ce jour sacré le travail doit être remplacé par la prière. J'ai vu de j e u n e s Sérer s e n qui la grâce du Sauveur a b o n d a i t , supplier leurs maîtres de les envoyer cinq jours d e suite à des corvées p é n i b l e s , plutôt q u e de leur faire violer le jour du Seigneur. Ces petits nous sont extrêmement attachés et font notre plus g r a n d e consolation. Vous les verriez se grouper autour de nous avec plus d'em­ pressement qu'auprès de leurs parents ; souvent noire


8 maison en est. remplie. Sont ils a b s e n t s , on ne s'in­ quiète pas de les chercher ailleurs q u e chez n o u s . « Ce ne sont pas les seuls enfants qui encouragent par leur piété le missionnaire dans ses travaux ; le peu d'expérience q u e nous avons nous a d é m o n t r é q u e Dieu sait se réserver partout ses fidèles a d o r a t e u r s . La p r e ­ mière personne adulte que j'ai eu le b o n h e u r de bapti­ s e r , suffirait seule pour m e d é d o m m a g e r de toutes les peines qui traversent la vie apostolique, et pour me faire surabonder de joie. C'est u n e vieille femme, aveugle et m a l h e u r e u s e , tant il est vrai qu'ici comme chez les Juifs, au temps de Notre-Seigneur, les infirmes et les pauvres précèdent les r i c h e s , les puissants et les h e u ­ reux du siècle d a n s le r o y a u m e du ciel. « Cette pauvre f e m m e , dont l'existence se m e s u r e bientôt par u n siècle, naquit chez les Dholas, et était encore j e u n e , lorsque des monstres à figure hu­ maine la chargèrent de chaînes pour en faire leur e s ­ clave. Mais e l l e , n e pouvant se persuader dans son i n ­ dignation qu'il pût y avoir de la g r a n d e u r d a n s les fers, se creva les yeux pour ne point servir ; et c o m m e , peu de jours avant son b a p t ê m e , je lui faisais quelques observations sur cette mutilation volontaire : « Coin­ ce«m e n t , me répliqua-t-elle ! Ce Dieu, Nôtre-Seigneur, « qui règne au-dessus de nos têtes, m'a créée libre, et « d'une liberté aussi éclatante que ce soleil qui nous a réchauffe de ses r a y o n s , et voici que des h o m m e s « me font esclave ! Et où aller ? loin de m o n pays et « d e ma m è r e , au milieu d'un p e u p l e que je n e con« nais pas et dont j e n'entends point le langage ! Mais « Dieu m e r c i , j e n e suis esclave de p e r s o n n e , et Dieu « seul est mon maître. » « Aujourd'hui c'est u n e fervente c h r é t i e n n e , v e n a n t à la messe tous les d i m a n c h e s , appuyée sur son bâton,

I


9 et répétant u n e courte prière qu'elle a faite elle-même dans la simplicité de son cœur. Je vous la transcris telle q u e j e la lui ai e n t e n d u dire; vous pourrez voir que les expressions n e sont pas tout-à-fait celles d'un théo­ logien : « Thi tur u bai, ak Dome , ak Jel mu sell ma. « Amen. Mariama, iadi suma bai ba iadi suma Ndei « dha , dindil ma bakarbi, mai ma Tuillabo te iobul ma « aldhana. » — « Au n o m du Père et du Fils et du « S a i n t - E s p r i t , ainsi soit-il. O Marie! vous qui êtes « mon père et ma mère dans les c i e u x , effacez mes « p é c h é s , faites-moi miséricorde et conduisez-moi en « paradis. » Elle la répète à n'en plus finir, à son le­ ver et à son c o u c h e r , avant et après les r e p a s , et toutes les fois que la cloche s o n n e . Si vous voulez u n modèle de style o r i e n t a l , écoutez le salut qu'elle nous adresse, genou en t e r r e , q u a n d il lui arrive de venir frapper à notre porte. « Salut à toi, fils de bénédiction, « enfant du c i e l , saint de Dieu. Que Notre-Seigneur « t'accorde des j o u r s éternels et te c o m b l e de bénédic« tions. » « Permettez, Monseigneur, q u e je vous parle encore d'une a u t r e f e m m e , la deuxième adulte q u e j ' a i eu le b o n h e u r de baptiser. Riche en terres et e n t r o u p e a u x , elle vivait h e u r e u s e avec son époux et ses e n f a n t s , lorsque tout à coup des Tiédos (soldats) furieux et i n ­ satiables de r i c h e s s e s , firent irruption s u r son village. On se précipite sur e l l e , on l'arrache d ' e n t r e les b r a s de son m a r i , on lui enlève ses enfants, o n la dépouil­ le avec brutalité de ses bracelets et de ses p e n d a n t s d'oreilles, et on la réduit à u n d u r esclavage. Aujour­ d'hui elle fait de sang-froid le récit de son m a l h e u r , et m o n t r a n t ses oreilles déchirées p a r la violence e x e r ­ cée à son égard q u a n d on lui arrachait ses boucles d'or, elle ajoute : « Et je n e pleurais pas ! Te ma don set


10 « Jalla sunu borum bi. — J'avais les yeux fixés sur le « Seigneur.» Tous ses enfants sont esclaves, à l'excep­ tion d'une fille qui recouvra la liberté. Il y a quelque t e m p s , lors de l'arrivée du roi de Sin en notre village, elle vint m e trouver au milieu des appréhensions les plus vives, et me dit : « P è r e , je n'espère plus qu'en « Dieu, Notre-Seigneur, et en t o i ; voici venir le r o i , « suivi de ses tiédos ; on m e dit qu'on prendra ma fille. « Dis-moi ce que tu en pensés ; n'as-tu pas vu d a n s tes « livres ce qui doit arriver à mon enfant ? Si tu ne le « sais pas e n c o r e , d e m a n d e à D i e u , Notre-Seigneur. « Si l'on prend ma fille de n o u v e a u , c'en est fait, je « ne puis plus vivre. » « N'est-il pas t e m p s , Monseigneur, de quitter u n instant Joal pour vous parler en général du peuple Sér e r , au milieu duquel nous vivons ? « Je n'affirmerai rien sur l e u r n o m b r e . Le roi de Sin renonce à pouvoir le connaître et dit que ses sujets sont n o m b r e u x comme la poussière; et encore ne possèdet il que la moitié des Sérers. Leur l a n g u e , é m i n e m m e n t p o p u l a i r e , se parle depuis le cap de Naze j u s q u ' à S a l u m , sans comprendre l'immense population qui h a b i ­ te l'intérieur. « De m œ u r s simples et c h a m p ê t r e s , les Sérers font leur principale occupation de la garde de leurs t r o u ­ peaux et de la culture de l e u r s terres. Q u e l q u e s - u n s fabriquent des s a n d a l e s , d'autres des lances et des i n ­ struments aratoires. Ils s'entendent aussi à confection­ n e r des vases en terre et à tisser le coton ; voilà toute leur industrie. « Leur nourriture est le kouskous, le riz et le l a i t , sans parler des vins de p a l m i e r s , de rôniers et a u ­ tres qu'ils savent fabriquer avec u n e habileté r a r e . « Leur caractère est le plus e n j o u é , le plus c h a r -


11

niant et le plus joyeux qu'il soit possible de rencontrer. Jamais vous n e les voyez le front soucieux ; ils sem­ blent inaccessibles au c h a g r i n , si ce n'est à la m o r t de leurs proches. Alors se développe toute la sensibilité de leur caractère. Un Sérer vient-il d'expirer, aussitôt règne un morne et profond silence ; puis une terrible détonation a n n o n c e les ravages faits par la mort. Le silence se fait e n c o r e , et de distance en distance se succèdent quelques autres détonations n o n moins sinis­ tres que la première. Le deuil ainsi a n n o n c é , ce n'est plus que pleurs et gémissements confus, que plaintes lugubres qui remplissent les airs. On a parfois calomnié comme factices ces accents de leur douleur ; mais pour moi ils ne sont point suspects. « Je n'oublierai j a m a i s u n e malheureuse m è r e dont l'enfant était mort au berceau. P e n d a n t plus de quinze jours consécutifs, je l'observai sortant seule et se d i r i ­ geant loin du t u m u l t e , triste et les larmes a u x y e u x , vers le rivage de la m e r ; et là , solitaire sur la g r è v e , elle chantait sa douleur. Je m e plaisais à aller réciter mon bréviaire n o n loin d'elle et à écouter sa plainte f u n è b r e , bien simple et bien touchante : « 0 m o n fils, « tu es m o r t , et je pleure ! » J e n'oublierai point n o n plus q u ' u n h o m m e , passant sur le c h e m i n , m o n t r a le ciel à la p a u v r e m è r e comme seul capable de la conso­ l e r , et lui dit : « Mets ta confiance en D i e u , setale « Jalla. » « Les Sérers ont du respect pour les morts ; aussi leurs t o m b e a u x sont- ils une des choses les plus c u r i e u ­ ses du pays. On e n t e r r e le défunt d a n s sa c a s e , dont on coupe les colonnes à moitié ; puis on la couvre entièrement de coquillages, si c'est sur la c ô t e , et de t e r r e , si c'est d a n s l'intérieur d u r o y a u m e . A N d o n g , à Fadhout et à Mbisel, vous diriez a u t a n t de petits c h a -


12 teaux en r u i n e , qui imposent par l e u r aspect sombre et m y s t é r i e u x , produit par l'épaisseur des bois qui les environnent. « Des funérailles passons aux croyances des Sérers au sujet de l'autre vie. A coup sûr jamais Pythagore n'aurait affronté les brûlantes chaleurs de nos c o n t r é e s , et voilà pourtant qu'on y croit quelque peu à la m é t e m ­ psycose. On dit que les bons renaîtront après leur mort. Plusieurs m'ont assuré avoir de leurs p a r e n t s , nés de nouveau d a n s u n autre pays qu'ils n e me n o m m a i e n t pas. Un noir peut revivre b l a n c , et m o i - m ê m e u n jour renaître noir. Non loin d'ici m o u r u t u n e fille à qui l'on coupa la lèvre s u p é r i e u r e , et neuf mois après elle r e ­ naquit de la m ê m e mère avec la lèvre lèvre mutilée. Telles sont les preuves que l'on nous apporte en toute confiance, et qu'on accepte ici comme irréfragables. Ce ne sont point là les seules erreurs de ce pauvre peuple ; le fond de la religion est le fétichisme, et leur idole principale le serpent. Ainsi l'ancien ennemi du genre h u m a i n se fait encore adorer et obéir sous la figure de ce vil reptile qui avait séduit nos premiers pères. Aussi les serpents semblent-ils faire leurs délices d ' h a ­ biter dans ce pays ; ils y sont d'une abondance alarmante; m a i s o n finit par s'y habituer comme à toute autre chose, et l'on en vient à les regarder presque comme des a n i ­ m a u x domestiques. Un jour que je revenais e x t r ê m e ­ m e n t fatigué d'une course faite aux ardeurs d'un soleil brûlant, j e m ' é t e n d i s sur m a couche pour p r e n d r e un peu de repos. Tout à coup je suis éveillé en sursaut par un bruit extraordinaire. C'était un énorme reptile qui s'élançait sur m o n chevet, et retombait sur les coquil­ lages de ma case. J e m e lève p r o m p t e m e n t , je saisis u n e a r m e pour le c o m b a t , et remporte la victoire après vingt coups redoublés. Une autre fois rentrant au logis


13 également harassé de fatigue, j e suis averti par le v a ­ carme qui frappe mes oreilles qu'un étranger s'est e m ­ p a r é de ma case. C'est un m o n s t r u e u x serpent dans le genre crocodile qui trône noblement sur mon lit. A mon arrivée, doutant sans doute de la légitimité de ses d r o i t s , il se précipite sur les coquillages. C e p e n d a n t il reste maître de la place et il s'agit pour moi de r e p r e n d r e m e s pénates usurpés. L'ennemi était trop formidable, et j e ne jugeai point à propos de l'attaquer à force o u ­ verte. Je saisis u n pieu et frappai à coups répétés le long des m u r s de la cabane. Ne pouvant résister à ce genre de sommations, il sort enfin, et sur-le-champ u n coup de fusil le punit de sa témérité. Sa grosseur était celle d'un h o m m e et sa longueur de deux mètres et demi. Même après sa mort ses yeux paraissaient encore si effrayants que le frère C l a u d e , qui avait eu l'intrépidité de tirer sur l u i , n'osait plus le regarder en face. Il m e fallut faire moi-même l'office de fossoyeur pour l'enfouir profondément dans la terre. C'était, dito n , le fils très-illustre du grand Maman Guéthie, prince des serpents de tous les villages d'alentour. « Un autre j o u r , nous récitions nos litanies à la chapelle avant l'examen particulier ; arrivé à ce verset: Ab omnimalo libera nos, Domine ( 1 ) , j ' a p e r ç o i s , j u s t e sur ma tète et suspendu à u n tableau du chemin de la croix, u n long serpent n o i r , de ceux dont la morsure est des plus vénimeuses. Inutile de vous dire que je lui fis payer bien cher son insolence d'avoir osé pénétrer jusque dans le sanctuaire du Seigneur. « Ici se trouvent le serpent à sonnettes qui e n t r e quelquefois jusque dans les c a s e s , et le boa q u i , au

(4) De tout mal d e l i v r e z - r m s , Seigneur,


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des des indigènes, ne craint pas d'attaquer les bœufs. Outre les reptiles, nous avons encore pour voisins des lions et des tigres très-nombreux. Ceux-ci ont dévoré cette a n n é e dix chiens de notre village. Naguère on en tua u n sous mes yeux ; on le revêtit des plus m a ­ gnifiques p a g n e s , e t , sur la g r a n d e p l a c e , au pied d e l'arbre du conseil, tous les chasseurs de venir le s a ­ luer en disant : « Salut, seigneur des forêts ! » et puis de tirer leurs coups de fusil, et la foule de claquer d e s mains au milieu des plus bruyantes clameurs. Mais, entre ces a n i m a u x , le serpent seul reçoit des h o m m a ­ ges religieux. On lui érige des sanctuaires, parfois m ê m e on le nourrit de s a n g de poulet, et on lui p r o ­ digue de larges libations de lait et de liqueur, s a n s parler des bœufs qu'on lui i m m o l e . Maman Guèthie est le fameux prince des serpents d a n s nos p a r a g e s . Est-il Dieu? personne n e vous le dira ; seulement il est, à n'en pas douter, u n grand Génie, qui se revêt de la forme du serpent, et se montre parfois sous l ' u n i ­ forme c h a m a r r é d'un vieil officier de l'empire. R é c e m ­ m e n t q u e l q u e s - u n s ont été honorés de son apparition sous mon c o s t u m e , avec le cordon qui m e ceint l e s reins, et les glands qui m e tombent aux pieds. Ces peuples sont extrêmement crédules, q u a n d il s'agit d e mensonges. Je me rappelle encore que, r e v e n a n t d'ac­ compagner u n de mes confrères, je me r e n c o n t r a i , avant le point du j o u r , avec u n h o m m e e x t r ê m e m e n t brave qui, pour le dire en passant, a tué quinze é l é ­ phants et nous a fait manger plus d ' u n e fois de sa chasse. Je l'aborde en lui t e n d a n t la m a i n ; m a i s b i e n ­ tôt je m'aperçois de son trouble. Je veux le r a s s u r e r , mais v a i n e m e n t ; je p r e n d s donc le parti de le laisser seul à ses réflexions. Le soir, il racontait aux a n c i e n s du village qu'il avait vu le Génie à tel lieu et sous t e l l e


15 forme. Or, j e publiai le l e n d e m a i n que le Génie n'était autre que moi-même. « Ces prétendus Génies sont les protecteurs de la justice et du droit, et les vengeurs du crime. Personne n'oserait porter u n e m a i n sacrilége sur les richesses dé­ posées d a n s l e u r sanctuaire. J'ai eu l'avantage de voir l'immense sanctuaire de Massa-Uali, protecteur de Mbisel. Ce sont de vastes enceintes environnées d'une haie, et au milieu s'élèvent les arbres sacrés à la cime touffue. Adhoala Dhajanor, Génie du l i e u , exerce u n empire terrible, et quiconque oserait dérober le moin­ d r e dépôt confié à son temple, aurait la tète t o u r ­ née en arrière a v a n t de pouvoir p a r v e n i r à sa maison. « Quelqu'un a-t-il commis u n crime ? il est soumis immédiatement à la justice Sérère. Voici c o m m e n t elle s'exerce. On rassemble les vieillards, et si l'accusé est trouvé coupable, on lelivre aussitôt à la fureur du Génie; dès lors il est voué à u n e mort inévitable, à moins toute­ fois qu'avant l'époque assignée il n e consente à de p é ­ nibles sacrifices, c ' e s t - à - d i r e , bien e n t e n d u , à se dé­ pouiller de ses richesses. La fourberie des juges a tout p r é v u ; le coupable n'est point seul a b a n d o n n é à la justice Sérère, mais avec lui toute sa famille est enve­ loppée d a n s l'anathême. Vingt fois j ' a i été témoin de l'empire qu'exerce cette terrible croyance. On écrivait à u n débiteur : « Si à telle époque vous n e payez vos dettes, vous saurez toute la vertu de nos Canaris » ; et tout se payait parfaitement au t e r m e m a r q u é . Allant me p r o m e n e r , il y a quelques j o u r s , à F a d h o u t , j'assistai à u n spectacle imposant : c'était plus de soixante vieil­ lards à barbe blanchie, siégeant gravement à terre, et plaidant la délivrance d'un m a l h e u r e u x septuagénaire voué à la fureur du Génie pour cause d'adultère. Beau­ coup d'entre eux me paraissaient bons et simples ; il


16 n'y avait que l'Othur qui m e semblât d'une fourberie profonde. L'Othur est u n e sorte de Grand-orient ou chevalier sérer chargé de présider au culte. C'est lui q u i , au moyen de mille signes cabalistiques, voue l'accusé à la cruauté du Génie, m o y e n n a n t u n e somme de la part de l'accusateur, et qui délivre ensuite la victime à r a i ­ son d'une g r a n d e partie de sa fortune. « Nos pauvres Sérers ont encore u n e a u t r e croyance qui les rend bien dignes de p i t i é , c'est leur foi à cer­ tains Génies analogues à nos prétendus vampires. On les appelle Onaky. Ce n'est pas q u e , comme nos cada­ vres a m b u l a n t s , ils sortent de leurs tombeaux pour s'a­ breuver p e n d a n t la nuit du sang des vivants; mais ce sont des esprits mauvais qui revêtent des formes humai­ nes, et se repaissent de l'âme ou du principe vital des h o m m e s . Soupçonne-t-on q u e l q u ' u n d'être Onaky ou m a n g e u r d'âmes, on lui fait u n e guerre à mort. La plus g r a n d e et la plus i m p a r d o n n a b l e injure que l'on puisse adresser à u n Sérer est de lui d o n n e r cette épithète. Un jour, u n j e u n e h o m m e de notre village se permit cette qualification à l'égard d'un h o m m e de Sin, et, pour le dérober à la fureur de l'outragé, on fut obligé de le cacher huit j o u r s d a n s la forêt. « Jusqu'ici, Monseigneur, j e n e vous ai d é p e i n t le peuple Sérer qu'avec des traits assez noirs. Maintenant laissez-moi vous dire u n mot de son b o n cœur, qui se traduit par l'hospitalité la plus cordiale envers les étrangers. La véritable fraternité est comprise et pra­ tiquée par ce peuple. Avez-vous u n voyage à faire ? n e vous inquiétez pas de vos provisions de r o u t e ; à quoi b o n ? puisque vous ferez le b o n h e u r de tous ceux qui auront l'occasion de subvenir à vos besoins. Vous arri­ vez dans u n village, aussitôt vous voyez venir u n e g r a n d e calebasse d'eau pour vous laver les pieds, u n e


17 natte pour vous asseoir et du lait pour vous rafraîchir. Une case vous sera préparée pour y passer t r a n q u i l l e ­ m e n t la nuit. Le l e n d e m a i n , on vous servira u n excel­ lent kouskous et la meilleure poule du h a m e a u , et e n cela on ne cherche d'autre récompense q u e le plaisir de s'entretenir avec le voyageur. Q u e de fois ai-je été reçu de la sorte, sans qu'on m'ait d e m a n d é u n e seule obole ! A m o n arrivée dans u n village, le Sérer me di­ sait avec sa gaîté et son enjouement naturel : « E h ! pauvre étranger, te voilà bien fatigué ; viens-t-en m a n ­ ger, viens-t-en boire. » « Le peuple se distingue encore par u n g r a n d r e s ­ pect pour l'autorité. Quand les Sérers vont r e n d r e a u roi leurs h o m m a g e s , ils quittent leurs sandales et font u n e génuflexion devant le p r i n c e , en disant : « S e i ­ g n e u r , Dieu est avec vous. » Vient-il à éternuer, tout le monde bat des m a i n s . Ici on n'écrit pas l'histoire des princes, ce qui n'empêche point qu'on ne conserve l o n g ­ temps la mémoire de leurs g u e r r e s , de leurs combats, de leurs vices et de leurs vertus. « J'ai rencontré un bon vieux laudator temporis acti ( 1 ) , qui m'a fait la liste des douze derniers rois de Sin ; il m'a aussi ajouté que dans des temps t r è s - a n c i e n s , mais dont il ne pouvait m'assigner l ' é p o q u e , il y avait eu u n roi n o m m é Nagàne que ses sujets avaient d é ­ trôné. « Alors, dit-il, q u a n d il quitta ses E t a t s , le so­ leil devint tout s o m b r e , et la terre éprouva d e violentes secousses ; on crut que Dieu allait écraser le r o y a u m e du poids de sa colère. » « Voilà les Sérers avec leurs vices et leurs vertus.

(1) Louangeur

dupasse.


18 J e ne prétends point vous dire q u e la moisson soit déjà j a u n i s s a n t e , mais d u moins elle d e m a n d e des ouvriers. Venez à notre secours, Monseigneur, et e n ­ voyez-nous de bons m i s s i o n n a i r e s . « Les populations sont bien favorables à l'Evangile. Par deux fois j ' a i fait u n voyage a u p r è s du roi de S i n , à u n e q u a r a n t a i n e de lieues d e notre r é s i d e n c e , et partout j ' a i reçu le plus bienveillant accueil. On m e prenait par la soutane, et l'on s'efforçait de m e faire rester encore. Le roi et son vieux père sont d a n s les meilleures dispositions. L'année dernière, lors de leur visite d a n s nos parages, ils s'empressèrent de m e de­ m a n d e r chacun u n e croix et u n e médaille, et, à leur départ, j'étais heureux d e les voir dépouillés de tous leurs signes superstitieux et p o r t a n t à leur cou la m é ­ daille et la croix que je l e u r avais d o n n é e s . « Votre petit s é m i n a i r e est fondé d a n s l'endroit le plus s a i n , le plus fertile et le mieux situé de toute la côte. Q u a n t à votre établissement de St-Joseph, il sem­ ble offrir par sa position tous les avantages, et bien difficilement on aurait pu trouver u n e m p l a c e m e n t plus convenable pour u n e f e r m e - m o d è l e . Il est placé sur u n e hauteur d'où il d o m i n e la mer, a y a n t d a n s son voisinage la fontaine des biches et celle des éléphants, les deux plus belles qu'on puisse r e n c o n t r e r depuis Dakar jusqu'à S a l u m . « A F a d h o u t , village n o n loin d'ici, on me parait également a n i m é d'excellentes dispositions à notre égard. Déjà nous y avons u n e case, mais deux prêtres n e peuvent suffire partout. Nous avons u n besoin im­ m e n s e de Missionnaires et de ressources pour o p é r e r le bien. A h ! q u e ne m'est-il d o n n é de faire voir ce que j e vois, de faire sentir ce que je sens à t a n t de jeunes lévites hésitant d a n s leur vocation, et se t e n a n t


19 e

oisifs sur la place p u b l i q u e , jusqu'à la 6e, la 9 et la 11e h e u r e , tandis q u e le vaste c h a m p de la vigne du Seigneur reste en friche ! Que n e m'est-il donné d ' i n ­ spirer quelques sentiments de pitié et de compassion à tant de chrétiens d'Europe favorisés des dons de la fortune ! Des milliers de Lazare r é c l a m e n t ici quelques miettes de leur superflu ! . . . Je conjurerai du moins Votre G r a n d e u r d'élever les mains vers le ciel, afin qu'il bénisse l a r g e m e n t et étende de plus en plus l'Oeuvre si belle et si é m i n e m m e n t catholique de la Propagation de la F o i , et qu'il nous envoie de n o m b r e u x ouvriers ; car la moisson à recueillir est immense. « Agréez, etc.

« L . - M . GALLAIS, Miss.

Apost.

du St-Espril et de l ' I m m . Cœur de Marie. »


20

MISSIONS D U CAP D E

BONNE-ESPÉRANCE.

Extrait d'une lettre de Mgr Devereux, vicaire apostolique des provinces orientales du Cap de Bonne-Espérance, à MM, les Directeurs de l'Œuvre.

Grahams-town, 20 juillet 1 8 5 0 .

«

MESSIEURS,

« . . . Je me suis souvent d e m a n d é c o m m e n t il s e faisait que la F r a n c e , si prodigue de ses missionnaires q u a n d il s'agit de les envoyer au Thibet, en Corée e t jusqu'aux Iles Marquises, n'eût point de vocations apos­ toliques pour les millions d'indigènes qui peuplent cette extrémité du continent africain. Peut-être cela vient-il de ce que ces provinces ont été jusqu'ici c o m m e u n livre scellé pour l'Europe catholique. D'abord, la


21 Compagnie hollandaise des Indes orientales avait in­ terdit pour toute la colonie l'exercice de notre c u l t e , et sanctionné cette exclusion par des pénalités sévères. Vint ensuite la domination anglaise q u i , après s'être montrée à peine t o l é r a n t e , ne prête aujourd'hui qu'à regret son concours à notre ministère. O r , p e n d a n t q u e ces côtes nous étaient ainsi fermées, les diverses sociétés protestantes y jetaient leurs apôtres ; ils accouraient en foule de la P r u s s e , de la F r a n c e , de la Moravie, et fondaient des établissements n o m b r e u x . C'était bien le pays qu'il fallait a u x ministres de la Réforme : u n climat s a i n , des indigènes paisibles, nulle c h a n c e d u martyre, et outre la facilité de faire u n peu de com­ m e r c e , l'inestimable avantage qu'offrait la colonie d'être placée assez loin de la m é t r o p o l e , pour distribuer i m p u n é m e n t ses bulletins fabuleux à la crédulité b r i t a n ­ n i q u e . Aussi le Cap était-il cité en toute occasion com­ m e le théâtre des merveilles protestantes, et ces bons Caffres, qu'on disait convertir par m i l l i o n s , faisaient couler en a b o n d a n c e les larmes et l'or des évangéliques anglais. « Mais voici que l'Eglise a pénétré à son tour d a n s cette oasis protestante de l'Afrique méridionale. Ce n'est plus seulement la c ô t e , c'est l'intérieur m ê m e du pays qui s'offre à nos conquêtes. La découverte d u g r a n d lac (découverte dont j e vous envoie le récit authentique) ouvre u n e ère nouvelle aux populations qui habitent sur ses rives, sur les bords des fleuves qui lui portent leurs e a u x , et dans tout l'espace compris e n t r e ce vaste bassin et la rivière Orange. Déjà ces peuples tendent leurs mains suppliantes vers le chef visible de l'Eglise, pour qu'il leur envoie ces hommes de Dieu qui s a u r o n t leur prêcher la paix et leur a n n o n c e r la b o n n e n o u ­ velle...


I

22 DESCRIPTION DU GRAND LAC INTÉRIEUR DE L'AFRIQUE,

D'APRÈS

VERT

AU

LE

RÉCIT

MOIS

DE M.

O S W A L D QUI L'A

D'OCTORRE

DECOU

1849.

« Après avoir quitté le dernier village i n d i g è n e , nous poursuivîmes notre chemin fort agréablement sans rencontrer âme qui vive. La chaleur était excessive, et p e n d a n t cinq jours nous n e trouvâmes pas u n e goutte d'eau. Nous voyions de tous côtés des b a n d e s de bêtes fauves, des troupes de chevaux s a u v a g e s , de zè­ b r e s , et d'antilopes d e toute espèce. A notre approche les gazelles tantôt s'arrêtaient, tantôt nous regardaient avec surprise ; puis avec la légèreté et la rapidité du vent, elles s'élançaient loin de nous, amassant derrière elles des nuées de poussière à nous étouffer. La c h a l e u r et le m a n q u e d'eau firent beaucoup souffrir les pauvres bêtes qui t r a î n a i e n t nos wagons à pas lents et p a r e s s e u x , h a l e t a n t , et la l a n g u e p e n d a n t e . Je n e croyais pas a u p a r a v a n t q u e les bœufs du Cap fussent capables de supporter autant de privations et a u t a n t de fatigues. Fort heureusement la contrée que nous traversions pré­ sentait u n e plaine immense de verdure, sans m ê m e u n monticule çà et là pour en rider la surface, et le pays offre ce m ê m e aspect sur u n e étendue de q u a t r e ou cinq cents milles. Cette monotonie n'est i n t e r r o m p u e q u e par des troupes d ' a n i m a u x magnifiques confusément groupés sur cette vaste p l a i n e , ou parfois entremêlés avec les haies verdoyantes et les arbustes qui croissent ici en profusion. Nous voyions, d'un côté, paître le rhino­ céros ou l'énorme é l é p h a n t ; ailleurs, c'étaient des t r o u ­ peaux de buffles, qui à notre approche secouaient o r ­ gueilleusement leurs crinières en nous l a n ç a n t des ro-


23 gards de feu ; tandis que des antilopes de toute e s p è c e , depuis le majestueux é l a n jusqu'à la plus petite gazelle au regard timide, bondissaient p a r troupeaux a u - d e v a n t de nous. Plusieurs fois nous fûmes trompés par le m i ­ r a g e , et c'était u n spectacle pénible de voir nos pauvres bêtes s'efforcer d'atteindre les rivières qu'elles a p e r c e ­ v a i e n t , mais q u i , en approchant, s'évanouissaient comme u n e illusion. a Le sixième jour, nous commençâmes à désespérer. Notre petite provision d'eau était épuisée. Si n o u s r e ­ broussions chemin, la mort nous attendait; si nous avan­ cions, il n'y avait devant nous qu'incertitude : plusieurs jours pouvaient encore s'écouler avant de rencontrer a u c u n e source ou r u i s s e a u , et n o u s étions déjà presque épuisés. Nous délibérions entre n o u s sur le parti à pren­ d r e , lorsque tout-à-coup nos bœufs reprirent courage et s'avancèrent avec u n e vitesse i n a c c o u t u m é e . Le conduc­ teur r e m a r q u a que cette nouvelle é n e r g i e , acquise par l ' a t t e l a g e , indiquait qu'il y avait de l'eau p r o b a ­ blement proche. Nos chevaux aussi hennissaient et dres­ saient les oreilles ; alors le guide proposa de lâcher la bride a u x coursiers et de suivre la direction qu'ils p r e n d r a i e n t : ce que n o u s fîmes, et bientôt n o u s nous trouvâmes sur les bords d'un joli cours d ' e a u , à quel­ ques centaines de mètres du lieu où nos pauvres bêtes s'en étaient d'abord aperçues. J a m a i s musique n e m'a frappé l'oreille p a r des sons plus d o u x , que le m u r m u r e de ce ruisseau ; car il nous redisait des paroles d'encouragement, d'espérance et de vie. A partir d'ici, le pays prit u n tout autre aspect. Des o i ­ seaux au p l u m a g e le plus v a r i é , des fleurs de toute espèce, le d a t i e r , le p a l m i e r , le s a m e r a n d , le p a ­ p y r u s , toutes les plantes des Tropiques apparurent, à profusion. Malheureusement nos montres et nos c h r o -


24 nomètres s'étaient a r r ê t é s , de sorte qu'il nous fut impos­ sible de faire a u c u n c a l c u l , ou de p r e n d r e a u c u n e observation. « Nous n'avions pas encore r e n c o n t r é u n seul être h u m a i n , quoique les embûches de gibier q u e n o u s trouvions parfois nous indiquassent u n pays habile. Un j o u r , comme nous devancions d o u c e m e n t à cheval nos w a g o n s , j ' a p e r ç u s derrière u n e fourmilière d e u x visages noirs qui nous r e g a r d a i e n t avec curiosité ; n o u s d o n n â m e s aussitôt de l'éperon à nos montures pour n o u s rapprocher d'eux ; mais ils prirent la fuite, et ce n e fut qu'après u n e poursuite assez longue q u e nous p a r v î n ­ mes à les atteindre et à les r a m e n e r prisonniers jusqu'à nos chariots, où notre guide réussit à leur faire comprendre par signes ce q u e nous cherchions, le g r a n d lac. Ils furent longtemps terrifiés avant de nous r é p o n d r e ; mais dès qu'ils virent q u e nous n'avions ni l'intention de les t u e r , ni celle de les m a n g e r comme ils se l ' i m a g i n a i e n t , ils nous d o n n è r e n t les renseigne­ ments que nous s o u h a i t i o n s , et n o u s apprîmes q u e nous étions plus proche de l'objet de nos désirs que nous n'avions osé l'espérer. Ils signalèrent le lac comme n'étant qu'à dix soleils du lieu où nous étions (c'est-à-dire à dix j o u r n é e s ) . Nous leur d o n n â m e s alors des verroteries, et les renvoyâmes. Ces cadeaux produi­ sirent un effet magique ; bientôt nous fûmes assiégés p a r des foules d ' i n d i g è n e s , qui se rassemblèrent autour de nous et n o u s avouèrent q u e , depuis plusieurs j o u r s , c h a c u n de nos mouvements avait été épié et s o i g n e u s e ­ m e n t r e c u e i l l i , quoique nous-mêmes n e nous en fussions point aperçus. « Enfin nous atteignîmes ce lac tant d é s i r é , objet de si longues recherches. De vertes îles, a b o n d a m ­ m e n t peuplées p a r u n e race de couleur assez f o n -


25 c e e , o r n a i e n t la surface de son vaste sein ; ses rives fertiles é t a i e n t couvertes d ' h a b i t a n t s . L e s indigènes p a r u r e n t d'abord fort effrayés de nous voir ; ils e x a m i ­ n è r e n t avec é t o n n e m e n t nos étranges équipages (les w a g o n s ) ; m a i s petit à petit ils se h a s a r d è r e n t à nous approcher avec précaution et a r m é s de pied en cap. Ils s'imaginaient d'abord q u e cheval et cavalier ne faisaient q u ' u n , comme si n o u s étions des espèces de centaures ; mais n o u s les r a s s u r â m e s bientôt à cet é g a r d en mettant pied à t e r r e . « Ils n o u s d e m a n d è r e n t combien d'enfants nous voulions d'eux. Cette question nous fit c o m p r e n d r e que la m a i n b a r b a r e du pirate avait p é n é t r é jusqu'ici à u n e époque a n t é r i e u r e . D'abord nous n e p û m e s dé­ cider les insulaires du lac à c o m m u n i q u e r avec n o u s ; il nous fallut l e u r envoyer plusieurs a m b a s s a d e s , avant qu'ils consentissent à quitter leurs îles. A la fin nous vîmes de n o m b r e u x canots r e m p l i s d'hommes armés se diriger vers la côte. Ils croyaient aussi q u e nous étions venus enlever leurs enfants ; et ce n e fut q u ' a p r è s s'être pleinement rassurés sur nos i n t e n t i o n s , qu'ils les firent sortir de l'endroit où ils les avaient cachés. Ils voulurent ensuite nous a d o r e r , n o u s p r e n a n t p o u r des dieux. Mon compagnon ( un missionnaire protestant) leur parla de D i e u , du c i e l , et tâcha de se faire c o m ­ p r e n d r e p a r le moyen des divers dialectes africains qu'il connaissait ; mais ils étaient trop occupés à nous exa­ miner pour faire g r a n d e attention à ses paroles. Ce qui surtout m e f r a p p a , c'était q u e les insulaires et les h a ­ bitants des rives du lac formaient d e u x races de peuples distincts, n e se r e s s e m b l a n t ni p a r la p h y s i o n o m i e , ni p a r le l a n g a g e . Les traits des u n s étaient r é g u l i e r s , tandis q u e les autres avaient l'aspect des nègres de Mozambique. том. XXIII. 1 3 4 .

2


26 « Au nord-est un g r a n d fleuve se jette d a n s le lac. Les indigènes nous ont raconté q u e le g r a n d E s ­ prit qui préside au cours de cette rivière, tue u n h o m ­ m e tous les ans et le jette d a n s le fleuve, ce qui en accélère le courant et cause le débordement du lac. Cette légende nous apprit que le lac débordait a n n u e l ­ l e m e n t . Ils parlèrent aussi d ' u n e chaîne de hautes m o n t a g n e s à sept j o u r n é e s a u - d e l à des eaux, si élevées, disaient-ils d a n s leur simple l a n g a g e , qu'elles tou­ chaient j u s q u ' a u x n u e s ( c e sont p r o b a b l e m e n t les montagnes de la Lune). Les canots de ces insulaires étaient si grossièrement construits, qu'il nous fut i m ­ possible de nous en servir pour explorer le fleuve, que nous croyons avoir q u e l q u e rapport avec le Nil b l a n c . Les indigènes me p a r u r e n t u n e race d'hommes s i m ­ p l e s , doux et intelligents ; ils saisirent avec empresse­ ment l'idée d'un être s u p r ê m e , que nous tâchâmes de leur faire comprendre p a r les moyens imparfaits q u e nous avions. « Mon g r a n d désir était m a i n t e n a n t d e retourner à la colonie, afin de m e procurer u n bateau et les i n ­ struments nécessaires pour poursuivre m e s recherches. Nous fîmes donc nos adieux au grand lac et a u x indi­ g è n e s , leur promettant de les revoir l'année s u i v a n t e , q u a n d nous irions r e n d r e visite au g r a n d Esprit du fleuve.


27

MISSIONS DE LA CHINE. Rapport sur la Mission du Hô-nan, adressé à MM. les Membres des Conseils centraux de la Propagation de la Foi par M. Delaplace, Missionnaire Lazariste.

Hô-nan , 26 août 1 8 4 8 ,

« MESSIEURS ,

« Depuis trois ans q u e le H ô - n a n est devenu Vica­ riat apostolique, vous avez déjà dû recevoir deux lettres qui vous exposaient l'état religieux de cette province. C'était d'abord de bien tristes d e u i l s à transmettre. Bon n o m b r e de familles autrefois c h r é t i e n n e s , e t , d e ­ puis soixante a n s , retombées d a n s l e paganisme par l'incurie des m a l h e u r e u x ancêtres qui n'ont ni instruit ni baptisé leurs enfants ; des Païens i n a b o r d a b l e s , auxquels la prudence défendait même d'annoncer la b o n n e nouvelle ; presque partout des gens r u d e s , or­ gueilleux, vindicatifs, t e r r e s t r e s , vraiment dignes en un mot d'occuper le centre de l ' e m p i r e , puisque c'est


28 p r i n c i p a l e m e n t chez eux que se trouvent placés les d e u x grands mobiles des passions chinoises, l'orgueil et la volupté : tel était, il y a trois a n s , le déplorable état du H ô - n a n . En c e l a , rien qui é t o n n e , puisque jusqu'alors ce pauvre p a y s , sans pasteur p r o p r e , et p a r conséquent sans administration r é g u l i è r e , n'avait été visité que de loin en loin et comme p a r occasion, par les Missionnaires des provinces voisines. C'était u n vaste corps m u t i l é , dont le K i a n g - n a n , l e C h a n - s i , le Hou-qouang avait chacun u n l a m b e a u ; c'étaient deux mille brebis e r r a n t e s , qui ne savaient en quel bercail se réfugier, jusqu'à ce que S. S. Grégoire XVI leur eut envoyé pour Pasteur Mgr B a l d u s , qui les réunit toutes sous u n e houlette c o m m u n e . « Les bénédictions de Dieu les plus abondantes a c ­ c o m p a g n è r e n t les premiers pas du nouvel Evêque. Dès l'année d e r n i è r e , c ' e s t - à - d i r e , u n an après sa c o n s é ­ cration, Mgr Baldus vous écrivait l u i - m ê m e que la se­ mence de l'Evangile commençait à germer d a n s cette terre si i n g r a t e , que les anciens chrétiens sortaient de leur mortelle indifférence, que les païens e u x - m ê m e s s ' é b r a n l a i e n t , qu'enfin nous étions riches d'espoir. « Cet espoir, Messieurs, se réalise aujourd'hui d'une m a n i è r e bien merveilleuse. D'abord pour nos chrétiens, on peut dire q u e le renouvellement est à peu près opéré. Exacts observateurs de la loi du d i m a n c h e , scrupuleux sur l'abstinence et les j e û n e s , prompts à se r e n d r e a u p r è s du Missionnaire qui les visite, et m ê m e , effet sans doute d ' u n e bonne conscience, presque intrépides au milieu des païens, ils n e dissimulent p l u s , c o m m e autrefois, les croyances et les pratiques de notre sainte Religion. Les faits seraient nombreux ; je n e citerai que ce que je viens devoir à Nan-yang-fou, d'où j'écris au­ jourd'hui cette lettre. Là, il y a cinq a n s , on n'osait


29 pas faire un demi-quart de lieue pour venir à la m e s s e , d a n s la crainte q u e les païens n ' e n prissent o m b r a g e . Eh b i e n , d e r n i è r e m e n t u n chrétien étant m o r t , ses parents vinrent m e prier d'accomplir les funérailles avec toutes les cérémonies de l'Eglise. La chose était faisable, je le savais : attendu la qualité de la f a m i l l e , et la masse de chrétiens réunis dans le m ê m e village, il n'y avait pas à nos yeux la m o i n d r e i m p r u d e n c e . C e p e n d a n t e n Chine on est en Chine, et il faut agir comme avec des Chinois. Nous craignîmes donc q u ' u n e telle demande ne fût que pour la face, c'est-à-dire, que nos gens voulussent par là se d o n n e r un air de c o u r a g e , et qu'ensuite le m o m e n t des funérailles v e n u , ils n'allé­ guassent mille prétextes pour reculer. Voilà pourquoi je ne m e rendis pas d'abord à leurs d é s i r s , je leur o p ­ posai ces difficultés que jadis ils savaient si bien plaider e u x - m ê m e s , à savoir que cela ferait trop d ' é c l a t , que les Païens en p a r l e r a i e n t , que le bruit en irait jusqu'à la ville, j u s q u ' a u x oreilles du Mandarin, etc, etc. Ils tinrent bon contre toutes ces prétendues r a i s o n s , de sorte q u e le l e n d e m a i n , après avoir fait dans l'intérieur les prières et cérémonies o r d i n a i r e s , n o u s organisâmes u n convoi, qui conduisit le défunt j u s q u ' a u lieu de sa s é p u l t u r e , éloigné d'environ deux lys ( 1 ) . La croix o u ­ vrait la m a r c h e , et le Missionnaire suivait en surplis et en étole. De tels faits passeraient inaperçus a i l l e u r s , où ils peuvent être c o m m u n s ; mais ils sont fort rares ici, e t , par comparaison avec le p a s s é , fort s a i l l a n t s . « Il fallait cette amélioration de nos anciennes chré­ tientés, pour qu'elles pussent correspondre a u x vues de la Providence, qui les appelle aujourd'hui à devenir

(1) Un Ly représente un dixième de lieue,


80 le modèle et la forme d'une foule de Missions nouvelles. Oh I Messieurs, combien nos cœurs sont consolés d e pouvoir vous apprendre les prodiges que la grâce vient d'opérer soudainement au milieu des gentils ! Je n ' e x a ­ gère pas en affirmant q u e , depuis l ' a n n é e d e r n i è r e , les catéchumènes se sont multipliés sur tous les points de ce Vicariat. Plusieurs m ê m e ont montré tant d'éner­ gie pour rompre avec le p a g a n i s m e , ont étudié les prières et la doctrine avec tant d ' a r d e u r , ont si fidèle­ ment observé tout d'abord les moindres préceptes d e l ' E v a n g i l e , qu'ils nous ont en quelque sorte emporté comme d'assaut la grâce d u Baptême. Et, Dieu en soit b é n i , nous n'avons pas à n o u s repentir d'avoir hâté l e moment de leur régénération en Jésus-Christ. Car u n e fois c h r é t i e n s , ils sont devenus apôtres, s e m b l a ­ bles à ces premiers néophytes de J é r u s a l e m , q u i , d i s ­ persés parmi les n a t i o n s , leur prêchaient la parole de Dieu. Ces Ho-nanais si c h a r n e l s , d'où leur vient donc tant de générosité? c'est ce q u e nous nous demandons souvent avec admiration. P a r e x e m p l e , à Kio-Tchang, sur quatre familles qui viennent d'embrasser la foi, j e dois citer u n néophyte d ' u n e q u a r a n t a i n e d ' a n n é e s , qui depuis son b a p t ê m e n'est plus ni H o - n a n a i s , ni Chinois, mais véritable Missionnaire. Cet h o m m e , appelé Tchang, commença par discuter ce qu'il avait à faire pour m e ­ n e r u n e vie aussi parfaite que possible ; il examina c o m mentil devait se conduire avec les païens de son villa­ g e , en quels lieux et de quelle manière il pouvait exercer plus chrétiennement le petit commerce qui le fait vivre. « Ici y a-t-il de la superstition ? Là, la loi « de Dieu est-elle bien scrupuleusement observée? » Sur tous ces points il alla prendre les décisions de son E v ê q u e , et q u a n d u n e fois sa ligne de conduite person­ nelle fut bien t r a c é e , il entreprit la conversion d e ses


31 compatriotes, à c o m m e r c e r p a r sa famille. Exhortations, c o u r s e s , d é p e n s e s , il n ' é p a r g n a rien pour leur faire connaître le vrai Dieu. Un de ses frères était loin d e penser à se faire chrétien ; Tchang l'appela dans sa propre m a i s o n , l'entretint, le nourrit un g r a n d m o i s , uniquement pour lui parler de son âme. Le j o u r , Tchang, tout en vendant ses marchandises, récite ses prières, et parle de la doctrine chrétienne en plein marché. Le s o i r , il s'en va dans les cours de ses voisins lire et expliquer le catéchisme à qui veut l ' e n ­ tendre. Dieu a béni ses efforts ; car d a n s sa famille et d a n s le voisinage voici déjà plusieurs nouveaux conver­ tis. Parmi eux se trouve u n v i e i l l a r d , q u i , après avoir croupi longtemps d a n s les erreurs et les vices du p a ­ g a n i s m e , court m a i n t e n a n t à g r a n d s pas vers le c i e l , ainsi que le prouve u n e de ses p a r o l e s , qui vous plaira peut-être. Ce vieillard n'habite pas le bourg de Tchang ; il vit seul comme u n reclus d a n s u n petit îlot que for­ me la r i v i è r e , à cinq ou six lys plus loin. Comme Mgr Baldus passait par l à , il y a trois s e m a i n e s , accompa­ gné de Tchang, celui-ci n e m a n q u a pas d'appeler le bon vieux, qui montra sa petite maisonnette à Sa Gran­ d e u r , et citant les paroles des p a ï e n s , qui travaillent à obtenir les h o n n e u r s divins après leur m o r t , il ajou­ ta en r i a n t , mais avec un profond sentiment de r e c o n ­ naissance pour les miséricordes de Dieu : « Evêque, « c'est ici que je travaille tous les jours à mon apo« théose. » « Grâces à ces heureuses dispositions de nos néophytes, T c h a n g - t e - f o u , Lou-y et Nan-yang-fou apportent aussi leur contingent de catéchumènes. Mais tout cela n e semble presque r i e n , tout cela n'est qu'un faible glanage, si on le compare aux moissons a b o n ­ dantes qui se recueillent m a i n t e n a n t dans les cinq


32 cantons de K o u a n g - t c h e o u , au sud-est de cette provin­ ce. Kouang-tcheou, il y a trois ans, n'avait pas u n seul chrétien ; d'après le cours ordinaire des choses, il n e pouvait m ê m e en avoir de sitôt, p l a c é , comme il e s t , à u n e distance énorme de toutes les autres chrétientés, et reculé dans un coin de la p r o v i n c e , par où les Mis­ sionnaires n'ont j a m a i s occasion de passer. C e p e n d a n t on y compte aujourd'hui plus de deux cents b a p t i s é s , et huit cents catéchumènes déjà bien instruits. Au dire de tous ceux qui connaissent le pays et les n é o p h y t e s , K o u a n g - t c h e o u , d a n s peu d ' a n n é e s , doit avoir dix mille nouveaux chrétiens. L à , en effet, l'Evangile n e s'annonce pas seulement à l'oreille, il se prêche v r a i ­ ment sur les toits, et trouve de l'écho p a r t o u t , à tel point que nous pouvons appliquer à cet arrondissement du H o - n a n , ce q u e Tertullien disait du m o n d e entier. « Nous ne sommes q u e d'hier ; et déjà nous avons tout « e n v a h i , les villes, les c a m p a g n e s , les écoles, les « t r i b u n a u x , les maisons des g r a n d s ; nous n e l a i s « sons vides que les temples. » O u i , Messieurs, cela est vrai au pied de la lettre. Les villes sont e n v a h i e s , puisque le chef-lieu lui-même a déjà son noyau de chrétiens ; les campagnes sont e n v a h i e s , car il n'est pas u n e m o n t a g n e des alentours où ne soit arborée la croix; les écoles sont e n v a h i e s , car c'est la classe lettrée qui a commencé le m o u v e m e n t , ce sont des bacheliers, ce sont les j e u n e s gens des c o n c o u r s , qui les premiers ont étudié et professé la sainte d o c t r i n e ; les t r i b u n a u x sont e n v a h i s , car deux fonctionnaires publics, et assez h a u t placés, ont quitté le Prétoire pour suivre N o t r e Seigneur. L'un des deux avait la charge de lai-chou, qui reviendrait en France à la charge d'avoué. Les maisons des g r a n d s sont également envahies, car des neveux de m a n d a r i n s ont embrassé volontiers l'igno-


33 minie de la croix. Enfin les temples de Fo et de Poussa vont rester vides, car les quatre plus belles conquêtes se sont faites au cœur même de l'idolâtrie ; un B o n z e , u n Tao-sse, et deux chefs de la secte de la Raison ont vu nos livres et se sont rendus. Le Bonze et le Tao-sse étaient supérieurs de P a g o d e , et tant par leur position que par leur science ils avaient sur leurs disciples u n a s c e n d a n t , dont ils veulent se servir m a i n t e n a n t pour faire adorer le vrai Dieu. Les deux chefs de la secte de la Raison promettent de nous a m e n e r chacun ses trois cents a d e p t e s , qu'ils vont chaque jour évangéliser avec un zèle et u n succès prodigieux. « D'où ces merveilles ? C'est Dieu seul qui les a faites, nous n'y sommes pour rien. En vérité, Messieurs, q u a n d on considère comment s'est formée cette belle m i s s i o n , impossible de n'y pas reconnaître le double cachet des œuvres du S e i g n e u r , qui choisit ce qui est infirme pour confondre ce qui est fort, et change à son gré les obs­ tacles en moyens. « L'Apôtre de K o u a n g - t c h e o u , est u n n o m m é Ou, v a g a b o n d , pauvre m a n œ u v r e , sans i n s t r u c t i o n , sans i n d u s t r i e , sans même cette a p p a r e n c e extérieure qui recommande si fort en C h i n e . En 1 8 4 4 , l'idée le prit d'aller chercher de l'emploi d a n s le Hou-qouang. Là il entend parler de la Religion chrétienne ; son cœur est touché ; il se convertit, reçoit le b a p t ê m e , puis revient dans son pays prêcher à sa m a n i è r e la nouvelle doctrine. Kouang-tcheou abonde en gens lettrés : c'est à qui in­ terrogera le nouveau prédicateur. Ou se multiplie pour r é p o n d r e à tout le m o n d e . Ses instructions sont courtes. « Il n'y a qu'un Dieu ; trois personnes en Dieu. La « seconde personne s'est faite homme ; Dieu fait homme « s'appelle J é s u s . . . Vous serez jugés. P u i s l'enfer ou le « paradis.» Voilà pour lefonds et la forme tout le déve-


34 loppement de ses prédications. Si quelque disciple trop éclairé pour lui avance des propositions plus transcen­ d a n t e s , Ou promet de lui procurer des livres, ou bien le renvoyé à l'Evêque. L u i - m ê m e est presque toujours en courses, soit pour prêcher, soit pour soumettre à Monsei­ gneur les cas particuliers qui se présentent. Je reste au dessous de la vérité en affirmant q u e , depuis deux a n s , Ou a fait plusde 6,000 lys pour les intérêts de la Religion. Dernièrement encore il vient de parcourir 1,800 lys. Le b u t et le fruit de son voyage a été l'érection d'une n o u ­ velle chrétienté d a n s le Kiang-nan. Chose vraiment ex­ t r a o r d i n a i r e , qu'un tel homme opère u n tel mouvement; q u e là où s'arrête u n v a g a b o n d , la Religion se propage avec plus de rapidité que sur les autres points de la Chine, où résident tant de fervents et zélés mission­ naires ! O u i , prodige vraiment incroyable, si nous n e savions par saint Paul q u e la Foi n e vient pas de la sagesse de l'homme, m a ï s de la vertu de Dieu !... « S'il faut en croire de simples b r u i t s , le démon luimême a u r a i t , à son i n s u , accrédité la Mission de notre fervent néophyte. On r a c o n t e qu'à l'époque où il reçut le baptême dans le Hou-qouang, le malin esprit, furieux de voir u n e telle proie lui é c h a p p e r , aurait fait le v a ­ carme dans la famille de son frère à Kouang-tcheou. C'étaient des a p p a r i t i o n s , des tapages n o c t u r n e s , des coups assénés sur les enfants ; Ou u n e fois de r e t o u r , tout-à-coup tranquillité parfaite. Le démon avait fui devant u n homme m a r q u é du signe de la croix. De là grande admiration, grand empressement à écouter la doctrine chrétienne. Voilà en abrégé ce que l'on racon­ t e , ce que je tiens même d'un prêtre du pays ; mais il n e faut pas oublier que nous sommes chez des Chinois, toujours portés à mettre le diable en scène. Mon­ seigneur et moi nous n'avons rien v u , rien constaté de


35 bien certain. Je d o n n e donc ces faits pour tels que nous les t e n o n s , c'est-à-dire, pour fort contestables. « Devons-nous de la reconnaissance au démon pour les progrès de l'Evangile dans le H ô - n a n ? c'est d o u ­ teux. Mais il faut avouer, pour être justes, qu'un s u p ­ pôt du démon, u n m a n d a r i n supérieur, nous a grati­ fiés, sans le vouloir, d'une belle chrétienté nouvelle, ainsi que je vais le raconter, pour faire voir comment Dieu a bien voulu changer les obstacles en moyens. « 11 y a deux ans, le petit troupeau de catéchumènes commençait à se former à Kouang-tcheou, lorsqu'ils furent mis à l'épreuve. Des païens les accusèrent c o m m e Pê-lien-Kiao : ce sont des membres de sociétés secrètes, que quelques-uns appellent la franc-maçonnerie de Chine. Le m a n d a r i n de la ville lâcha aussitôt des satel­ lites qui saisirent et e m m e n è r e n t les d e u x frères Ou, comme chefs de rebelles. On fit m ê m e beaucoup d'éclat pour cette capture, au point de tirer le canon à l'arrivée du cortége. Dieu voulait r e n d r e plus éclatante l'ignomi­ nie de ses serviteurs, pour en tirer sa plus g r a n d e gloire. Cependant Mgr B a l d u s , informé de la p e r s é c u t i o n , se hâta d'envoyer son catéchiste, chargé de soutenir ces nouveaux combattants, qui entraient pour la p r e ­ mière fois dans la lice. Le catéchiste portait en m ê m e temps u n e copie des édits impériaux, qui pouvaient exercer u n e heureuse influence sur le m a n d a r i n de K o u a n g - t c h e o u , vieux courtisan, facile à é p o u v a n t e r , comme le prouvait son passé à l'égard de nos chrétiens. Les espérances de Monseigneur n e furent pas t r o m ­ pées. Les accusés e u r e n t à peine remis leurs pièces en plein tribunal, que le juge fut saisi comme d'une ter­ reur p a n i q u e . Il s'imagine q u e nos deux néophytes sont des hommes puissants, appuyés sous m a i n par d'autres plus puissants encore, qui peuvent à leur gré


36 soulever les cinq arrondissements, d o n t Kouang-tcheou est la métropole. « Malheureux, s'écrie-t-il, vous v o u « lez d o n c m e p e r d r e ! Les cinq c a n t o n s d u midi vont « d o n c se révolter contre moi ! . . . » Ensuite il conti­ n u a l'interrogatoire, m a i s s a n s orgueil et debout, sui­ v a n t les prescriptions du c é r é m o n i a l chinois, qui d é ­ fend a u x m a n d a r i n s de s'asseoir, m ê m e a u t r i b u n a l , en présence d ' u n e pièce é m a n é e d e l ' e m p e r e u r . Jugez de ce q u e pensait la foule. On se disait : « Quels sont « donc ces p e r s o n n a g e s ? Q u o i ! le m a n d a r i n en a « p e u r ! l e m a n d a r i n n'ose pas s'asseoir d e v a n t e u x ! « Quelle est d o n c leur s e c t e ? D'où sont-ils ? . . . » P e n ­ d a n t ce temps-là, le catéchiste se p r o m e n a i t d e v a n t la salle d'audience. Q u e l q u e s individus, qui l'avaient vu faire cause c o m m u n e avec les Ou, et c o n c l u a i e n t q u e ce devait être aussi u n Pê-lîen-Kiao, v i n r e n t lui d e ­ m a n d e r d e quel pays il était. Il r é p o n d i t : « De N a n y a n g - f o u . » Les i n t e r l o c u t e u r s n e d e m a n d è r e n t pas a u t r e chose, parce qu'ils a v a i e n t d a n s le c œ u r u n sen­ t i m e n t qu'ils n e voulaient pas révéler au t r i b u n a l du m a n d a r i n . Ils r e t o u r n e n t chez eux, r a c o n t e n t à leurs compatriotes ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont e n t e n d u de la nouvelle doctrine. On a d m i r e , on veut en savoir d a v a n t a g e . I m m é d i a t e m e n t on d é p u t e des émissaires à Nan-yang-fou pour avoir des livres c h r é t i e n s ; m a i s c o m m e ils t o m b è r e n t p r é c i s é m e n t d a n s les q u a r t i e r s où nous n'étions pas c o n n u s , on les adressa à H a n K e o u . C'était u n voyage d e d e u x mille lys, qu'ils entre­ p r i r e n t d e bon c œ u r p o u r se p r o c u r e r des catéchismes. P o u r comble d'épreuves, ils furent e n c o r e m a l r e n ­ seignés à Han-Keou, et r e v i n r e n t les m a i n s vides. Mais Dieu leur avait envoyé des ressources dans l e u r p r o p r e p a y s . Ou était sorti d'affaire, plus i n t r é p i d e et p l u s fort q u ' a u p a r a v a n t . Déjà il s'était r e n d u auprès de Mgr Bal-


37 dus, avait fait provision de livres, et en expédiait à ses nouveaux convertis du tribunal. Plus t a r d , il alla l u i m ê m e les visiter, les exhorter, et la chrétienté fut éta­ blie. Cent cinquante h o m m e s ont déjà abjuré le p a g a ­ nisme. « Voilà donc, Messieurs, que d a n s le Hô-nan la Re­ ligion se propage aujourd'hui p a r m i les masses. Il ne reste, ce semble, qu'à se prêter aux opérations de Dieu, et à soutenir l'élan de ceux qui, suivant l'expression d'Isaïe, ont trouvé le salut sans le chercher. C'est notre devoir, c'est notre plus grand b o n h e u r sans doute ; mais aussi, pour le moment, c'est u n fardeau qui nous écrase en quelque sorte, tant n o u s s o m m e s d é n u é s des ressources que réclament i m p é r i e u s e m e n t les circon­ stances actuelles. Autrefois, a v a n t l'érection du vica­ riat, les dépenses é t a n t ordinaires, des fonds o r d i n a i ­ res suffisaient aussi à les c o u v r i r ; m a i s aujourd'hui q u e le bien se fait comme à l'improviste, les obliga­ tions nous p r e n n e n t au dépourvu. P a r exemple : a u ­ trefois on recevait d a n s le H o - n a n des prêtres du pays prêts à se mettre à l'œuvre ; aujourd'hui le sacerdoce doit se recruter parmi les élèves qu'il a u r a lui-même formés. Nous en avons déjà r é u n i sept ; plus tard leur n o m b r e s'augmentera. L'entretien de ces j e u n e s lévi­ tes, le traitement de l e u r maître chinois, la construc­ tion d ' u n e petite maison retirée où ils puissent vaquer tranquillement aux exercices studieux d u séminaire, tout cela reste à notre charge : voilà déjà u n e dépense urgente. En outre, à L o u - y , les chrétiens se sont m u l ­ tipliés ; les trois petites c h a m b r e s qui servaient de sanctuaires n e suffisent plus. Il faut u n e église et même assez g r a n d e pour trois villages. A q u a r a n t e lys de N a n - y a n g - f o u , q u a t r e - v i n g t - d i x chrétiens réclament également u n e chapelle. Le terrain est offert ; on compte


38 sur nous pour les frais de bâtisse. Un lieu de prières semble de première nécessité dans ce pays où les païens dominent, et où les chrétiens isolés ne tarderont pas à se refroidir, s'ils n e se soutiennent mutuellement par des bonnes œuvres communes. Vers les frontières du Hou-qouang, u n e résidence est g r a n d e m e n t à désirer, t a n t pour les chrétiens disséminés sur u n e étendue de deux cent cinquante lys, q u e pour des villages entiers de païens, dont les ancêtres avaient connu et embrassé la foi. Il serait encore assez facile de rappeler ces i n ­ fidèles à la religion de leurs pères ; car on m'a assuré que les grandes superstitions n'ont j a m a i s pénétré chez e u x , que j a m a i s bonze n'a été invité d a n s le pays, que d a n s l'ancienne maison de prières on conserve même u n crucifix et n o s livres. Que dire de KouangtcheouP N'est-il pas pressant de réunir d a n s u n s a n c ­ tuaire tous ces néophytes et catéchumènes épars d a n s les m o n t a g n e s ? A raison de leur nombre et des distan­ ces, deux églises ne suffiront qu'à peine. Monseigneur va s'épuiser pour en construire immédiatement u n e bien modeste. Le reste, nous l'attendons de la g é n é ­ rosité des chrétiens d ' E u r o p e , des sacrifices de la Pro­ pagation de la Foi. A Kouang-tcheou, n'y eût-il pas d'églises à bâtir, les dépenses seraient encore énormes pour l'entretien des Missionnaires. Là, en effet, les choses se passent absolument comme saint François Xavier l'écrivait du J a p o n . Depuis la pointe du j o u r j u s q u e bien avant d a n s la nuit, u n e foule de question­ neurs assiége sans relâche la porte du prêtre. Ce sont des gens qui, d'ordinaire, sont venus de bien loin pour e n t e n d r e la doctrine. Or, q u a n d ils sont instruits et prêts à repartir, qui n e dirait avec notre Sauveur : « J e n e veux pas qu'ils s'en retournent à j e û n , de peur qu'ils n e viennent à défaillir le long de la route ? » De


39 la sorte, la somme moyenne des convives qui, p e n d a n t la dernière a n n é e , ont vécu sur le riz du Missionnai­ r e , était de quarante à cinquante par j o u r . « Telles sont, Messieurs, au premier coup d'œîl, les dépenses de plus urgente nécessité ; des églises à bâtir, des Missionnaires à élever, des néophytes à accueillir. Les écoles devraient nous occuper aussi ; mais pour faire face à d'autres besoins, n o u s sommes obligés de les rejeter en seconde ligne. Restent les dépenses quo­ tidiennes, qui ne peuvent qu'être également considé­ rables dans u n e province comme le H o - n a n , où les voyages sont toujours extrêmement dispendieux, soit à cause de leur longueur, nos districts é t a n t tous s é p a ­ rés les uns des autres p a r des distances de 4 0 0 , 800 et 1200 l y s ; soit à cause des frais d'auberges, dont sont exempts ceux qui ailleurs ont la facilité d'aller en b a r q u e ; ici pas u n cours d'eau d a n s la direction de nos chrétientés. « Mgr le Vicaire apostolique a la confiance que les conseils de la Propagation de la Foi voudront bien prendre en considération t a n t d'espérances d'une p a r t , et de l'autre le d é n u e m e n t complet de tous moyens pour les réaliser. O u i , Messieurs, c'est sur votre OEuvre que nous avons les regards fixés, atten­ dant de sa charité généreuse les secours de prières et d'aumônes, à l'aide desquels n o u s serons mis à même d'opérer ce bien, qui, à en juger d'après les prévisions humaines, doit être immense et i m m a n q u a b l e . « Agréez, Messieurs, l'assurance du profond respect et de la plus vive reconnaissance avec lesquels j ' a i l'honneur d'être « Votre très-humble et très-obéissant serviteur, » « L.

G.

DELAPLACE,

Missionnaire

lazariste. »


40

Extrait d'une lettre de Mgr Louis de Caslellazzo, Vicaire apostolique du Chang-tong, à Messieurs les Directeurs de l'Œuvre de la Propagation de la Foi. (Traduction de l'Italien).

le

25 novembre 1 8 4 9 .

« MESSIEURS,

« . . . Je veux vous raconter u n fait arrivé l ' a n n é e dernière d a n s ce Vicariat. Les chrétiens d'un certain vil­ lage appelé L a n - i a , d a n s le district de Lai-cou-fou, s'é­ t a i e n t concertés pour construire u n e petite église, afin d'engager ensuite le Missionnaire à venir fairel a Mission p a r m i eux. Ils se réjouissaient en m ê m e temps dans la pensée qu'ils auraient u n lieu consacré à la p r i è r e , où ils p o u r r a i e n t se r é u n i r avec plus de facilité, le m a t i n et le soir, p o u r louer le Seigneur et l e remercier de ses bienfaits. L e u r entreprise réussit, et u n j o u r , p e n d a n t que les chrétiens étaient rassemblés pour l e u r s pieux e x e r c i c e s , quelques j e u n e s p a ï e n s , attirés p a r la curiosité, a c c o u r u r e n t à l'entour d e la chapelle pour écouter et connaître c o m m e n t les chrétiens priaient. Le catéchiste de l ' e n d r o i t , s'en étant a p e r ç u , sortit de l'église, et s'approchant d'eux : « E n t r e z , d i t - i l , si vous « voulez voir de plus près ; cela vous est p e r m i s , p o u r « v u que vous vous teniez c o m m e n o u s , c ' e s t - à - d i r e « m o d e s t e m e n t et à genoux. » Ces j e u n e s gens accep­ tèrent, ils e n t r è r e n t aussitôt d a n s l ' é g l i s e , et s'y t i n -


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rent dans la m ê m e attitude q u e les fidèles. Les prières finies, c h a c u n se retira chez s o i , à l'exception d'un seul de ces jeunes g e n s , n o m m é L a m - m o n - c h i n , qui pria, le catéchiste de l'initier à nos doctrines ; c a r , disait-il, il voulait être chrétien. Le catéchiste refusa d'abord d'y croire ; mais telles furent les instances d u j e u n e h o m m e , qu'il finit par accéder à ses désirs. Cependant il n e d i s ­ simula point à son élève les obstacles qui lui seraient su­ scités., surtout de la part de ses p a r e n t s . A toutes ces observations, le j e u n e h o m m e r é p o n d a i t qu'il n e crai­ gnait r i e n , qu'il saurait braver l'opposition de sa famille comme celles des étrangers ; et ainsi dès le d é b u t il e n ­ courageait son m a î t r e . Sûr désormais des b o n n e s dispo­ sitions de L a m - m o n - c h i n , le catéchiste n'hésita plus à l'instruire des dogmes de notre Religion s a i n t e , et le bon j e u n e h o m m e correspondit si bien à la grâce d e sa vo­ c a t i o n , que le j o u r m ê m e il fut inscrit au n o m b r e des catéchumènes. « Depuis ce moment, il allait à l'église tous les jours avec les n é o p h y t e s , et faisait u n e sérieuse é t u d e de la doctrine c h r é t i e n n e , de telle sorte q u e ses p a r e n t s , s'apercevant q u e leur fils n e pratiquait p l u s a u c u n e des superstitions chinoises, c o m m e n c è r e n t à soupçonner que réellement il s'était fait chrétien. P o u r s'en assurer ils lui c o m m a n d è r e n t i m p é r i e u s e m e n t d'aller sacrifier au tombeau de leurs ancêtres ; mais le g é n é r e u x caté­ c h u m è n e refusa c o n s t a m m e n t , en disant q u ' o n n e d e ­ vait sacrifier qu'à Dieu. Alors ils cherchèrent à é b r a n l e r sa foi, d'abord p a r la séduction des promesses ; des promesses ils passèrent aux m e n a c e s , des m e n a c e s ils en v i n r e n t a u x coups d e b â t o n s , et un j o u r ils le traitè­ r e n t si cruellement qu'ils le laissèrent p r e s q u e sans vie. Le père d é n a t u r é de L a m - m o n - c h i n , voyant son fils d a n s cet é t a t , le prit et le jeta d a n s la c o u r de la


42 maison du catéchiste, afin de pouvoir l'accuser e n s u i t e devant le t r i b u n a l , comme assassin de son enfant. D'après les lois chinoises, en effet, lorsqu'on trouve u n h o m m e t u é aux alentours d ' u n e m a i s o n , celui qui l'habite est censé le m e u r t r i e r . Au bruit q u e fit le corps en t o m b a n t , le catéchiste accourut d a n s sa cour : quel spectacle pour lui ! Plus m o r t q u e vif, il p r e n d d a n s ses b r a s le j e u n e h o m m e e x p i r a n t , le porte chez lui et lui prodigue tant de s o i n s , qu'il finit par le r e n d r e à la s a n t é . Il l'exhorta ensuite à s'éloigner de ses p a r e n t s , p o u r leur é p a r g n e r u n n o u v e a u c r i m e , et d'après ses conseils le néophyte alla à P é k i n , où il eut le b o n h e u r de recevoir le baptême. Après avoir été r é g é n é r é dans les e a u x sacrées, il revint dans son pays. Cette fois, ses p a r e n t s , résolus d'en finir, lui mirent u n e corde a u c o u , afin de s'en débarrasser en l'étranglant ; p u i s , lorsqu'ils le c r u r e n t à p e u près m o r t , ils le jetèrent c o m m e la p r e m i è r e fois d a n s la cour du catéchiste. Ce­ lui-ci accourut encore au b r u i t , et mit tant de prompti­ t u d e à desserrer la corde f a t a l e , q u e pour la seconde fois il parvint à lui conserver la vie. « Deux fois sauvé de la m o r t , le j e u n e h o m m e s u i ­ vit les sages conseils d e son libérateur et s'éloigna de son pays pour toujours. 11 est m a i n t e n a n t au milieu d'une population c h r é t i e n n e , et s'adonne à u n travail m a n u e l qui lui fournit de quoi vivre. Q u a n t à son m a l ­ h e u r e u x p è r e , voyant q u e ses desseins n'avaient pas r é u s s i , et ne sachant comment d o n n e r cours â sa rage contre le catéchiste, il s'arrêta au parti désespéré d e le citer devant les t r i b u n a u x , et voici déjà u n an q u e le procès est e n g a g é , s a n s q u e r i e n puisse encore e n faire pressentir le résultat. « + Louis D E C A S T E L L A Z Z O , ficaire lique du Chang-tong. »

aposto-


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Lettre de M. Combelles, Missionnaire Lazariste, à M» Bardou, Aumônier de l'Hôtel-Dieu de Castres.

Yang-Kouan (Léao-tong), 2 3 septembre 1 8 4 8 ,

« MON BIEN CHER ONCLE.

« Si je n e connaissais tout l'intérêt q u e vous me portez et le désir q u e vous avez de c o n n a î t r e mes loin­ taines aventures, j e m e dispenserais volontiers de vous raconter mon voyage de Macao au L é a o - t o n g ; car je prévois q u e m a lettre sera longue, et, e n d e v e n a n t chinois, j e suis devenu très-paresseux. « C'est le 2 juillet q u e , vers les onze heures du soir, je dis adieu à Macao, en compagnie de d e u x autres confrères, d o n t l'un partait pour Ning-po, l'autre pour le Ho-nan. Vers les neuf h e u r e s du m a t i n , n o u s mouil­ lions en racle d e H o n g - k o n g . L'hospitalité la plus cor­ diale nous fut accordée p a r M. Libois, procureur des Missions étrangères. Dès m o n arrivée, je m e mis a u x enquêtes pour savoir s'il n'y avait p a s quelque bâti­ m e n t en p a r t a n c e pour C h a n g - h a i ; m e s recherches n e furent point infructueuses, et dès le même j o u r n o t r e passage était arrêté, m o y e n n a n t la m o d i q u e somme de c e n t c i n q u a n t e francs pour nous trois. Nous voilà

donc lancés dans les passes et entre les nombreux


44 îlots qui encombrent l'embouchure de la rivière de C a n t o n . Un vent du s u d - e s t n o u s favorisa c o n s t a m ­ m e n t et nous permit de naviguer avec toute notre voi­ l u r e . Le 10, au m a t i n , n o u s laissions l'archipel C h u s a n à notre gauche, et, bientôt après, la couleur j a u ­ n â t r e des e a u x n o u s a n n o n ç a q u e n o u s étions à l'em­ b o u c h u r e du Kiang. O n dirait q u e ce fleuve superbe, appelé fils de l'Océan « Y a n g - t z e - K i a n g » , paye à r e ­ gret son tribut à la m e r , t a n t ses e a u x ont de p e i n e à se confondre avec les flots, t a n t il conserve au loin sa teinte fauve et b o u r b e u s e . C'est ici qu'il faut voyager p r u d e m m e n t , la carte et le c o m p a s toujours devant les y e u x : l'embouchure du fleuve est pleine d'écueils et d e bancs de sable ; les t e r r e s , e x t r ê m e m e n t basses et b i e n souvent a u - d e s s o u s d u n i v e a u de la m e r , n e peu­ v e n t servir de point de mire. O n se dirige longtemps s u r u n e île nommée Gurtlaff, et l'on e n t r e ainsi d a n s le Kiang. Le c o u r a n t est si r a p i d e q u ' e n g é n é r a l les bâtiments n e se h a s a r d e n t pas à lutter contre lui, à m o i n s qu'ils n e soient secondés d'un bon v e n t . A droite, o n aperçoit u n e terre d'alluvion qui doit son existence à ces m ê m e s e a u x qui la p r e s s e n t de tout côté ; c'est l'île de Tsoung-Ming. Vous avez b e a u la p a r c o u r i r , vous n'y trouvez pas u n caillou, pas u n rocher ; le Yang-tze-Kiang, d a n s son cours r a p i d e , dépose e n c o r e tous les j o u r s de n o u v e a u x détritus sur cette île d e sa formation. « Le 15 au soir, le navire jetait l'ancre d e v a n t O u soug, au milieu des autres bâtiments anglais et a m é ­ ricains qui stationnent d e v a n t cette petite place p o u r le commerce de l'opium. O u - s o u g est situé sur u n e petite hauteur, d'où l'on domine le H o a n g - p o u d'un côté et le Kiang de l'autre. Ce point était n a g u è r e trèsbien défendu à la m a n i è r e chinoise, c'est-à-dire que


45 le rivage était g a r n i d'artillerie ; mais sa prise ne fut q u ' u n jeu pour les Anglais, qui b o m b a r d è r e n t le fort, emportèrent les redoutes et enclouèrent les pièces. O n voit encore q u e l q u e s - u n s de ces i n n o c e n t s c a n o n s , q u i sont là d a n s les embrasures couvertes d ' u n e herbe v e r ­ doyante, muets et dévorés par la rouille, comme p o u r montrer a u x Chinois qu'ils n e peuvent se m e s u r e r avec les enfants de Japhet. Du reste, le site est c h a r m a n t ; on découvre au loin, d a n s les plaines de P o u - t o u n g , d'immenses rizières, des champs plantés de c o t o n n i e r s , et de jolis villages ombragés par des touffes d e b a m b o u . Nous eussions bien voulu quitter notre bâtiment et n o u s r e n d r e aussitôt à C h a n g - h a i , dont n o u s étions e n c o r e éloignés de quinze milles ; mais il était déjà t a r d , la m a r é e descendait et les b a t e a u x de passage n e se présentaient point ; n o u s nous résignâmes d o n c à p a s ­ ser la fête d u Carmel à b o r d , sans dire la sainte messe. Le j o u r suivant, à trois heures du soir, n o u s descen­ dions chez les Missionnaires italiens, et, à la cordialité avec laquelle n o u s fûmes reçus, n o u s pouvions croire que nous étions chez n o u s . M. de Montigny, consul de France, dont la maison est attenante à celle des Mis­ sionnaires, nous fit l'accueil le plus a i m a b l e , et n o u s invita à dîner pour le l e n d e m a i n . « Voilà seulement trois ans que les cinq ports s o n t ouverts a u x E u r o p é e n s , et déjà C h a n g - h a i compte u n n o m b r e très - considérable de maisons anglaises et américaines ; le c o m m e r c e s'y développe et s'accroît avec u n e é t o n n a n t e rapidité. Au mouillage se trouvent toujours u n g r a n d n o m b r e de bâtiments, et tout le long d ' u n beau quai ou plutôt du rivage, on voit s'élever d e véritables palais où les fils d'Albion et des E t a t s - U n i s retrouvent tout le confortable de la m è r e - p a t r i e . Les étrangers ont l'avantage d'être sur le bord de la ri-


46 vière, d a n s u n e position moins basse et p a r conséquent moins malsaine q u e le reste du pays. Car le K i a n g - n a n est un véritable marécage, o ù les grenouilles et les can­ cres pullulent en plein c h a m p , et remplissent parfois de leurs légions aquatiques l'étage inférieur des maisons. Quoique des canaux le découpent en tout sens, le ter­ rain est comme u n e vase molle et spongieuse qui, à la moindre pluie, renvoie à la surface l'eau dont elle est sa­ turée.De plus, l'abaissement du sol, q u i est u n e i m m e n s e plaine au niveau des irrigations qui la sillonnent, p e r ­ met à la marée de se faire vivement sentir jusqu'à quinze lieues dans l'intérieur. Or, supposé u n fort vent avec la haute marée, cette pression des e a u x les lance hors de leur lit, et voilà u n e inondation. C'est ce qui est arrivé le 20 juillet dernier. La m e r , poussée par un t y p h o n , s'éleva au-dessus de toutes les rives, et le pays disparut sous les flots. Dans ma chambre j'avais deux pieds d'eau; on allait en bateau d'une maison à l'autre ; le terrain offrant peu de consistance, chaque famille craignait d'être ensevelie sous sa demeure ; les vastes magasins de M. Mathésou s'écroulèrent avec fracas. Après trois heures de séjour, la mer se r e t i r a , laissant u n e grande partie des immondices qu'elle nous avait apportées. Estil étonnant, après cela, q u e le Kiang-nan soit appelé le Tombeau des Européens. Sous l'action énervante d'un air chaud et humide, avec les vapeurs malsaines qui se dégagent continuellement des rizières et des canaux, bien rares sont les personnes qui n'ont point eu, ou n'ont point la lièvre ; et cependant le pays est très-peu­ plé, très-beau et très-fertile ; mais les maladies vien­ n e n t de la m ê m e cause qui lui donne sa fécondité. « Le 19 juillet j'offrais le saint sacrifice devant le corps du Père Estéve, un d e mes compagnons de route sur l'Erigone. Il avait succombé à un accès de fièvre


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maligne. C'est dans l'ancien cimetière des RR. P P . Jésui­ tes, à la porte orientale de C h a n g - h a i , que je célébrai la sainte messe pour mon a m i défunt. Mgr Maresca pré­ sida la cérémonie de l'enterrement. Notre consul y avait été invité, et était là en tenue avec son interprète polonais, M. Kleezowsky. Après les funérailles, j ' a c ­ compagnai les RR. P P . Jésuites à leur résidence d e Su-ka-ve, située à d e u x lieues environ de Chang-hai. Su-ka-ve signifie maison de la famille Su. Vous savez q u e Su est le nom du fameux ministre q u i , sous la dy­ nastie des Ming, se convertit à la religion chrétienne et fut toujours l'ami du P è r e Ricci. Ce petit village est habité p a r ses descendants, qui gardent respectueuse­ ment son portrait. Mais, hélas ! quel changement s'est opéré parmi eux ! ils sont pauvres, ignorants, et, qui plus est, quelques-uns sont païens. Le tombeau du p r e ­ mier ministre est à quelques pas de là ; n o u s allâmes le visiter ; les c o l o n n e s , les tigres et les chevaux q u i ornaient autrefois ce m o n u m e n t funèbre, sont renver­ sés, brisés, épars çà et là dans les rizières, dans l e s champs de coton, ou ensevelis sous de hautes h e r b e s . J e cherchai vainement quelque inscription, je n e p u s en découvrir a u c u n e . Les arrière-petits-fils du g r a n d h o m m e vont et viennent en ce lieu plein d e souvenirs, et, à l'apathie q u e vous remarquez sur leurs figures, vous diriez qu'ils ignorent ou qu'ils ont oublié le passé glorieux d e leur a n c ê t r e . « Les j o u r s suivants, m e s confrères p a r t i r e n t l'un après l'autre, et moi j e restai, a t t e n d a n t i n c e s s a m m e n t le départ de m o n bateau p o u r le Lèao-tong, où j e v o u ­ lais me r e n d r e . Tandis q u e nous étions encore à l'ancre, j e fus témoin d'un bien triste spectacle. Le Kiang agi­ t é soulevait des vagues é n o r m e s . Le v e n t mugissait avec furie. Tout-à-coup chavire sous nos yeux u n b a -


48 telet renfermant cinq personnes et u n petit enfant de cinq ou six a n s . Ils se réfugièrent à notre b o r d , t r e m ­ p é s , m e u r t r i s et grelottants de froid. Eh bien ! ils y furent accueillis par des malédictions et des sarcasmes. Leur petit bateau, qui était leur u n i q u e fortune, flot­ tait renversé à peu de distance ; il n e vint c e p e n d a n t à la pensée de personne d'aller le sauver ; on n e quitta même pas la partie de cartes qu'on avait c o m m e n c é e . Où étiez-vous, matelots français? vous vous seriez élan­ cés à la nage pour disputer aux flots la vie et le bien de ces m a l h e u r e u x . Mais des idolâtres ! pourvu qu'ils soient bien et qu'ils n e courent aucun danger, que leur impor­ te les a u t r e s ! Le p a g a n i s m e éteint tout sentiment g é ­ n é r e u x . Je ne m'étonne plus q u e le christianisme ait tant de peine à faire des progrès p a r m i les Chinois. C'est u n peuple souverainement égoïste ; et là où il n'y a point de cœur, comment l'Evangile, cette loi d ' a m o u r , pourrait-il p r e n d r e racine ? J e distribuai u n e aumône à ces pauvres gens, et on leur fit la charité de les porter au r i v a g e . « Le 7 août on partit, et, secondés du c o u r a n t , n o u s descendions rapidement le Kiang ; n o u s étions sous tout tes v o i l e s , q u a n d soudain une commotion insolite se fait sentir ; le gouvernail craque et la b a r r e est tordue ci brisée comme u n roseau : nous étions s u r u n écueil. Bientôt la marée descendante nous laissa à sec sur u n vaste banc de sable, dont la ceinture s'étendait au loin. Après la confusion du premier m o m e n t , l'équipage, ou­ bliant le danger, s'amusait à folâtrer, à rire, et à courir comme des enfants à la recherche des coquillages. Une particularité du caractère chinois, c'est q u e j a m a i s , dans a u c u n e circonstance, l'heure du repas n ' a été changée, et q u e tous, capitaine et matelots, ont fait h o n n e u r à la table, le m a l h e u r et la tristesse n'ayant


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aucune prise sur leur appétit. Tout entiers a u moment présent, ils n e se préoccupent point de l'avenir. Aussi, c h a c u n était-il allé dormir ou s'amuser sans n u l l e m e n t s'inquiéter du b a t e a u . P o u r moi, j'étais là sur l'écueil comme un oiseau auquel un chasseur aurait brise l'aile: « S i c u t p a s s e r s o l i t a r i u s . » Je regardais passer des j o n ­ ques chinoises, des bâtiments européens, j e faisais des signaux auxquels personne n e répondait, et, dans cet a b a n d o n , j e voyais u n juste châtiment de la d u r e t é q u e mes c o m p a g n o n s d'infortune avaient montrée, le j o u r précédent, a u x naufragés qui étaient venus leur d e m a n d e r asile. Après six heures d'attente, la m a r é e nous souleva peu à peu, et bientôt nous fûmes à flot. On parcourut la cale en détail ; le bâtiment avait fati­ gué sous le poids de son é n o r m e m â t u r e ; m a i s on n e découvrit qu'une seule voie d'eau dont on se rendit maître facilement. La nuit fut passée à quelque distance du banc de sable. Le lendemain le capitaine ne voulut point appareiller, sous prétexte q u e le vent n'était pas favorable, mais en vérité pour m a s q u e r les avaries q u ' o n avait faites; il craignait la colère du propriétaire du bateau. Mes instances le d é t e r m i n è r e n t enfin à lever l'ancre, et le soir, à sept h e u r e s , n o u s étions devant Ou-soug. « Avant de quitter le Kiang, j ' a i pu compléter m e s études sur le caractère chinois par u n e dernière obser­ vation. Une tempête, qui d u r a deux j o u r s , n o u s avait contraints de nous abriter d a n s u n e baie de T s o u n g m i n g . Il y avait là, au m ê m e mouillage que n o u s , p l u ­ sieurs bateaux de g u e r r e . J e m'informai de la mission qu'ils pouvaient remplir d a n s ces parages, et il me fut r é p o n d u q u e ces navires, sous l ' i n t e n d a n c e et le b o n plaisir du m a n d a r i n , se livraient de temps en temps à la piraterie. Sous prétexte d'escorter et de protéger les

том.

xxiii.

134.

3


50 barques de commerce, ils les pillaient Q u a n d ils étaient au large ; bien e n t e n d u que le magistrat avait sa large part du gâteau. Et les Chinois trouvent cela tout sim­ ple c'est u n e spéculation si lucrative ! Comme ce b r i ­ gandage officiel me révoltait, le capitaine ne fit que rire de mon indignation, et, pour toute excuse en fa­ veur de ses compatriotes, me dit que ces bateaux, n e se livraient pas toujours à la piraterie, mais seulement sur u n permis du m a n d a r i n ; vous voyez que c'était fort innocent. « E n f i n , le 19 au matin , nous quittons le Kiang et n o u s gagnons le large. Je fus alors témoin d'un i m ­ posant spectacle. Le ciel était serein ; le soleil levant brillait sur les flots, que caressait u n e brise légère ; la vaste n a p p e des eaux se déroulait sous nos yeux avec cette teinte azurée q u e l'œil contemple au firmament d a n s les belles nuits d'été. Mais quelle fut ma surprise de d é c o u v r i r , à tribord et à b â b o r d , d'immenses zones d ' u n e eau rougeâtre c o m m e du s a n g ! Ici l'on eût dit un marais rougi p a r le c a r n a g e , là c'était u n e i m m e n s e ceinture qui se perdait au loin sur l'Océan. Les lignes de cette écharpe s a n g l a n t e étaient vivement dessinées, et contrastaient d ' u n e m a n i è r e étrange avec l'azur des flots q u e nous traversions en silence. Je n e pouvais m e lasser de contempler cette scène grandiose, s a n s pouvoir m e r e n d r e compte d'un p h é n o m è n e q u e d'au­ tres plus doctes expliqueraient sans doute. Du reste, la zone était profonde, c a r nous sillonnions en tous sens ces vagues e m p o u r p r é e s . « Après six j o u r s de m e r , après avoir eu quelques alertes de la part des pirates, et avoir été poursuivis p a r eux p e n d a n t u n e nuit e n t i è r e , nos m a r i n s fati­ gués sont allés plier leurs voiles d a n s la baie de Liouk o u n g - t a o , à la pointe orientale du C h a n g - t o n g . Cette


51 baie présente deux, passes séparées par u n e petite île jetée au milieu. A. droite se dresse u n fortin ou p a ­ lissade en terre à moite r u i n é e ; à gauche est la c a ­ s e r n e militaire, c'est là qu'habite la milice garde-côte; devant vous, au pied de hautes m o n t a g n e s chauves, s'élève un petit village, dont le sol est planté de p o m ­ miers et autres arbres à fruits. En vérité, c'est u n e belle r a d e que celle de Liou-koung-tao. Je n e sais si nos m a r i n s en goûtaient les douceurs ; mais toujours est-il qu'ils y ont perdu u n temps considérable. « Nous étions à l'ancre depuis deux j o u r s , q u a n d nous vîmes arriver u n e flotte de bateaux k i a n g - n a n a i s . Ils revenaient de Tsieu-tsin, où ils avaient porté le tribut a n n u e l de riz à l'empereur ; ils s o n g e a i e n t . eux a u s s i , à se reposer un peu dans cette baie de Liou-koung tao. Mais, pourquoi ces pétards et ce bruit confus de voix en signal de détresse? On a vu à l'horizon trois b a ­ teaux Tonquinois qu'on suppose montés par des pira­ tes, et cela suffit pour jeter la panique d a n s toute celle flotte, qui compte au moins 2 , 0 0 0 h o m m e s . Voilà u n échantillon du courage chinois. O n mouilla aussi près d u rivage q u e l'on put. Chacun se désolait et cachait ses objets les plus précieux. Le subrécargue m e d e ­ m a n d a mon argent qu'il enfouit d a n s le riz. Enfin on en fut quitte pour la peur et pour la privation d'une nuit de sommeil. Deux j o u r s s'écoulèrent ainsi sans q u e la flotte osât appareiller. Q u a n d elle sortit, nous défilâmes avec elle, et, le 14 septembre, nous tou­ chions à l'embouchure du Cha-ho, a u t r e m e n t dit Tachoang-ho, sur la côte orientale du golfe du Léao-tong. « Je n'entrerai pas d a n s le détail des persécutions q u e j'ai eu à souffrir à bord p e n d a n t les huit derniers j o u r s ; votre cœur en serait trop péniblement affecté. J'ai cru qu'on se déferait de moi en me j e t a n t à la


52

mer, oU en m e déposant sur q u e l q u e île déserte. J'étais résigné à tout ce qu'il plairait au S e i g n e u r de p e r m e t ­ tre. Pour m e dégoûter de mes aliments, on mettait du plâtre d a n s mon riz ; à ma boisson on mêlait u n e h u i l e très-purgative qui, dès le premier j o u r , m'enleva les forces. Heureusement je conservais m o n énergie, mal­ gré la privation de sommeil ; car mes c o m p a g n o n s se faisaient un j e u de verser de l'eau s u r moi, d u mo­ m e n t qu'ils m e voyaient

fermer

l'œil ; d'autres fois ils

jetaient à poignée sur mon lit ces dégoûtants insectes dont la gent chinoise est a b o n d a m m e n t p o u r v u e . Ils sont allés j u s q u ' à dresser u n e croix a u pied du g r a n d mât, m e m e n a ç a n t de m'y s u s p e n d r e

Et p o u r q u o i

cette fureur ? c'est qu'on ne m e p a r d o n n a i t pas d'avoir pris le parti de la morale publiquement outragée. La conscience d'un prêtre pouvait-elle se taire d e v a n t les turpitudes de ces brutes à figure h u m a i n e ?

Pour se

venger de moi, l'équipage a fait à dessein fausse r o u t e ; son b u t avoué était d'avoir plus de temps pour

me

t o r t u r e r . En dépit des h o m m e s , m e voici arrivé au Léao-tong. L'amitié avec laquelle m'a reçu Mgr Verrolles m e fait complètement o u b l i e r les misères passées. « Il me reste encore deux cents lieues à faire pour arriver à Sivan, et ce n'est pas la partie la plus a g r é a ­ ble d e mon voyage. Il faut m ' a t t e n d r e à avoir les os brisés sur ces chariots chinois qui, à défaut de route, roulent à travers c h a m p s . D e Cha-ho à Kai-lcheou,

sur

un espace de trente lieues q u e j ' a i déjà p a r c o u r u ,

j'ai

r e m a r q u é q u e les principales récoltes d u Léao-tong sont les haricots et les fèves,

qu'on é c h a n g e en

grande

quantité contre la toile du Kiang-nan, le sarrasin et le millet dont la g r a i n e , réduite en f a r i n e , sert d'aliment, tandis que la tige de cette céré d e se brûle en guise de bois pour les usages domestiques. Ajoutez à cela les


53 vers à soie sauvages, qui se nourrissent dehors s u r les chênes, et vous aurez u n e idée des productions de ce pays m o n t a g n e u x et presque désert. « Voilà, mon cher oncle, u n r é s u m é de mon j o u r n a l . Veuillez le c o m m u n i q u e r à mes parents, et prier pour moi qui suis toujours avec la plus vive affection, « Votre tout dévoué n e v e u ,

« À.

COMBELLES.

Nous avons a n n o n c é précédemment q u ' u n e d e ces persécutions locales qui éclatent encore à l'intérieur de la C h i n e , avait amené l'arrestation de Nosseigneurs Rizzolati et Novella d a n s le H o u - q u o u a n g , et par suite leur expulsion du territoire chinois. Ces deux illustres confesseurs avaient choisi H o n g k o n g p o u r refuge, en a t t e n d a n t l'occasion favorable d e r e n t r e r au sein de l e u r troupeau. Déjà Mgr Novella a p u r e t o u r n e r à son p o s t e , mais son collègue moins heureux est toujours en exil. Il fallait rappeler ces faits pour e x p l i q u e r , d ' a ­ bord la présence de ces Prélats d a n s u n e île étrangère à leur Mission, et en second lieu les dates en a p p a r e n c e contradictoires des lettres qu'on va lire.


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extrait d'une lettre de, Mgr Novella, Coadjuleur de Mgr Rizzolati, Vicaire apostolique du Hou-quouang, au R. P. Louis d'Apricale, Mineur Reformé à Turin, (Traduction de l'italien).

Hongkong , 19 juillet

1848.

« MON RÉVÉREND P È R E ,

« . . . La nouvelle mission de la ville naissante d e Hong-kong ou Victoria va en progressant. Son église est suffisamment spacieuse, et sa beauté est telle qu'on la r e m a r q u e r a i t m ê m e à Rome. Elle possède u n excellent jeu d'orgues venu de France, lequel contribue beaucoup à donner aux fonctions sacrées la pompe qui leur con­ vient. Si vous eussiez assisté a u x cérémonies pontificales du Jeudi - Saint et du jour de Pâques , célébrées l'une par Mgr Rizzolati, l'autre par m o i , vous auriez cru être d a n s u n e cathédrale d'Europe. De temps en temps le bon Dieu opère ici la conversion de quelques protestants ou chinois, comme pour récompenser le zèle vraiment apostolique des Missionnaires. Ainsi le n o m -


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bre déjà considérable des catholique* va toujours en augmentant à la gloire du Seigneur. « Lorsque je vis pour la p r e m i è r e fois h o n g - k o n g , c'est-à-dire le 8 juin 1844, j'éprouvai pour cette ville u n s e n t i m e n t d'horreur. 11 y a peu d ' a n n é e s qu'on pouvait l ' a p p e l e r , et elle l'était v é r i t a b l e m e n t . , une caverne de voleurs et le refuge des pirates qui infestent ces m e r s . M a i n t e n a n t , sans établir a u c u n e c o m p a r a i s o n sous le rapport religieux, j e préférerais presque ce sé­ j o u r à celui de Rome elle-même. Il y a ici beaucoup d e bons catholiques et plusieurs c e n t a i n e s d e soldats Ir­ landais qui sont l'exemple de la cité. Les Anglais se comptent par plusieurs mille. On t r o u v e , de p l u s , bon n o m b r e d ' I n d i e n s , d'Américains, de P e r s a n s , de Portugais de Macao et des Indes, et d'Espagnols des îles P h i l i p p i n e s , tous pacifiques m a r c h a n d s ou habi­ tants de la ville. Les Français et les Italiens forment u n e faible minorité. Quant a u x Chinois, ils s'élèvent à trente mille environ. P a r m i ceux-ci, il n ' e n m a n q u e pas qui consacrent le jour aux affaires et la nuit à voler. Mais ils commencent à s'apercevoir que désormais on trouve à Hong-kong, en pareil cas, au lieu d'or et d'ar­ g e n t , des chaînes et la potence. L'on peut d o n c vivre en paix sous ce rapport. Il existe déjà b e a u c o u p de belles maisons bâties à l'européenne ; ce sont bien les plus riantes et les plus commodes habita­ tions que j'aie vues. Les rues et voies de c o m m u n i c a ­ t i o n s , tant au dehors qu'à l'intérieur de la v i l l e , sont larges et magnifiques, les p r o m e n a d e s a g r é a b l e s , les m o n u m e n t s s o m p t u e u x , élevés à g r a n d s frais et b â t i s , ce semble, pour l'éternité. Les ponts et acqueducs sont construits en pierres de taille. On a applani des m o n t i ­ cules, qui ont été jetés à la m e r , pour servir de base à d'autres édifices publics et privés, ou pour niveler des


56 places . Tout cela excite l'admiration de ceux qui a n i vent ici et fait b e a u c o u p d'honneur aux Anglais qui, en fait de c o l o n i s a t i o n , n ' o n t peut-être point d'égaux. « Pour ce qui est du c o m m e r c e , bien qu'il n e soit pas actuellement très-florissant à H o n g - k o n g , on dit q u e sous peu la situation pourra s ' a m é l i o r e r , et que cette ville deviendra p e u t - ê t r e ce que Calcutta est pour les î n d e s , mais j ' a i peine à p a r t a g e r cette o p i n i o n . Ce cequ'ily a de c e r t a i n , c'est q u e ce sera toujours u n e trèsforte place d ' a r m e s , d'où l'on tiendra l'orgueil chinois d a n s l'abaissement et d'où l'on protégera le commerce européen. « Le terrain de cette i l e , à première v u e , n e paraît pas susceptible de culture ; il semble n'être composé q u e de pierres t e n d r e s , ou plutôt n'être q u ' u n amas de briques presque pulvérisées. De fait, j ' a i vu ici plu­ sieurs m u r s construits en entier avec celte terre mélée à u n peu de c h a u x , et ils acquièrent u n e telle solidité qu'on les dirait formés d'un seul bloc. Malgré cette a p p a r e n t e a r i d i t é , quelques jardins qu'on voit çà et là, d é m o n t r e n t bien que le sol est susceptible d'une ex­ ploitation avantageuse, d ' a u t a n t plus qu'il est arrosé par de fréquentes sources d'une eau fraîche et limpide. On p o u r r a i t donc retrouver ici u n peu de cette végétation l u x u r i a n t e qu'on a d m i r e à Malacca, à Cochin, à Syncapor et dans les contrées voisines de l'équateur, et q u i n'existe pas en Europe. Mais les Anglais semblent peu se soucier de cultiver ce terrain, circonscrit, du reste, a u pied d e montagnes assez ardues qui occupent la presque totalité de l'île. Si les Anglais ont choisi H o n g - k o n g , c'est principalement à cause de son vaste port naturel, q u e plusieurs t i e n n e n t déjà pour le meilleur du m o n d e . « Hong-kong est situé sous la zone t o r r i d e , par le 2 2 degré 15 m. de latitude s e p t e n t r i o n a l e , à environ e


57 80 milles géographiques de Canton, et à 4 0 de Macao. Toutefois, comme l'air est souvent rafraîchi par la brise et que les pluies d'été sont excessivement a b o n d a n t e s , comme, d'autre part, la ville est tournée au nord et abritéecontre les vents du sud, la chaleur y est très supporta­ ble. Aussi en ai-je beaucoup moins souffert ici que d a n s le Hou-quouang. P e n d a n t l'été de 1846, alors que j ' é t a i s à H a n - k e o u , où je fus arrêté plus t a r d , le thermomètre d e Réaumur m a r q u a i t 3 5 degrés à m i n u i t , tandis qu'à Hong-kong, cette a n n é e du moins, il n'a pas dépassé 2 7 . Bien p l u s , il y a un m o i s , lorsque n o u s avions le soleil à notre z é n i t h , et par u n ciel s e r e i n , le m ê m e thermomètre ne s'élevait qu'à 26 degrés. « Généralement on jouit à Hong-kong d'une b o n n e s a n t é , excepté dans les mois de juillet et d ' a o û t , épo­ que où les maladies sont fréquentes et la mortalité assez c o n s i d é r a b l e , principalement parmi les soldats, il s'en trouve actuellement plus de cent à l'hôpital m i ­ l i t a i r e , et chaque jour plusieurs périssent ; mais je ne saurais l'attribuera l'influence de l'air plus qu'à toute autre c a u s e , car le chiffre des décès d a n s la milice est sans proportion avec celui du reste de la population. Quoiqu'il en soit, on peut dire que s i , d a n s les p r e ­ mières a n n é e s de l'occupation a n g l a i s e , l'atmos­ phère de Hong-kong était i n s a l u b r e , m a i n t e n a n t elle est au moins aussi bonne qu'à Macao. La cause de cette amélioration est due à l'érection de d vers acqueducs destinés à assainir les m a i s o n s , en fa­ cilitant aux eaux stagnantes un plus libre écoulement. 11 faut ajouter à cela la diminution des exhalaisons p e r n i c i e u s e s , résultant des grandes excavations qui avaient bouleversé u n terrain vierge et marécageux. « C'est tout ce que j e peux vous dire de Hong-kong, après un court séjour dans cette île q u e je vais quitter


58 sans aucune espérance de la revoir, comme trèsprobablement aussi j e n e reverrai j a m a i s mes b o n s p a r e n t s , mes a m i s , tout ce que j ' a i de plus cher au monde et que j ' a i a b a n d o n n é pour l'amour de Dieu... « + F . JOSEPH, Mineur Reformé, Evêque de Patare et Coadjuteur du Vicaire apostolique du Hou-quouang. »

Lettre de Mgr Novella, Coadjuteur de Mgr le Vicaire aposto ique du Hou-qnouang, aux deux Conseils centraux de Lyon et de Paris. (Traduction de l'italien).

Hou-quouang, 2 8 avril 1 8 5 0 .

« MESSIEURS,

« J'ai r e ç u , il y a peu de t e m p s , u n e lettre de Mgr Rizzolati, qui m'annonce l'envoi de nouveaux secours à ma Mission. Celle nouvelle m'est arrivée bien à pro­ pos : je commençais vraiment à croire au bruit r é p a n ­ du d a n s ces contrées q u e , par suite des événements survenus en E u r o p e , les a u m ô n e s de la Propagation de la Foi avaient cessé, et déjà j e pensais à ce q u e nous


59 allions d e v e n i r , ainsi destitués de votre a s s i s t a n c e , au milieu de la détresse profonde de ce Vicariat. La lettre de Mgr Rizzolati m e relève de cet a b a t t e m e n t , et j ' e n bénis Dieu de tout mon cœur. J e remercie aussi, au n o m de mes prêtres, les associés d e votre OEuvre n o n moins admirable que nécessaire. Je l'appelle n é c e s ­ s a i r e , c a r , bien que rien ne soit impossible au Sei­ g n e u r , h u m a i n e m e n t parlant c'en serait fait de ces Missions et de bien d ' a u t r e s , sans le concours de votre charité. Combien est donc précieux ce sou que nos frères consacrent chaque semaine à l'apostolat ! après D i e u , les missionnaires seuls peuvent en apprécier la juste valeur. Mais que pourrais-je ajouter aux louanges d'une OEuvre que le m o n d e entier admire et bénit ! Du m o i n s , de ces contrées lointaines de la Chine où j e me t r o u v e , je prierai le Seigneur d'écrire dans le livre de vie les noms de tous ceux qui y p r e n n e n t part et qui la soutiennent de leurs efforts. « J'avais besoin de vous dire m a reconnaissance ; j e passe m a i n t e n a n t à ce qui regarde ce Vicariar. D e ­ puis les déplorables événements de 1847 et 1 8 4 8 , qui nous avaient séparés de nos c h r é t i e n s , nous n ' a v o n s plus été molestés par le gouvernement chinois ; mais nous ne sommes pas pour cela tranquilles. Certaines re­ cherches q u i , par l'ordre du v i c e - r o i , se font encore dans le Hou-quouang, pour s'assurer s'il n'y a pas quelq u e e u r o o é e n , nous t i e n n e n t constamment en haleine. Aussi ne puis-je avoir de demeure permanente ; il m e faut incessamment résider de côté et d'autre, courir d'une extrémité à l'autre de la Mission. Il résulte de cette espèce de mouvement perpétuel u n e lenteur inévitable d a n s l'expédition des affaires, des dépenses considér u h l e s , souvent même des périls pour la vie, en voya­ geant sur nos fleuves où les naufrages sont si fréquents.


60 Mais mes prêtres et les plus expérimentés de mes ca­ téchistes me disent tous d'une v o i x , que c'est u n e n é ­ cessité de m'astreindre à cette existence vagabonde, tant que l'horizon ne deviendra pas plus serein. Je m e sou­ mets à leur a v i s , c a r , bien que ma vie e r r a n t e me pro­ mène au milieu de la d é s o l a t i o n , et q u e j'aie c o n t i ­ nuellement sous les yeux les incalculables ravages qu'ont souffert ces malheureux p a y s , je n e crains rien tant que d'être une fois encore déporté honorablement à Canton. « Du r e s t e , p a r suite de la mort récente de l'em­ pereur T a o - K o u a n g , les circonstances peuvent c h a n ­ ger pour nous d'un m o m e n t à l'autre, soit en bien, soit en mal. Nous attendons avec u n e sorte d'anxiété quelle s e r a , à l'égard du christianisme et des européens, la con­ duite du nouveau prince Hien-foum. C'est en vain qu'on essayerait de le prévoir : la Chine est véritablement u n e nation mystérieuse ; et plus on la c o n n a î t , plus en la trouve difficile à définir. Il est probable c e p e n d a n t q u e Hien-foum laissera d'abord courir les choses comme a u p a r a v a n t , parce q u e T a o - K o u a n g étant mort d a n s les premiers jours de l'an c h i n o i s , qui a commencé le 12 février, cette a n n é e , suivant la cou­ tume du pays, doit être attribuée à son règne et n o n à celui de son successeur. Celui-ci ne datera donc son avènement au trône q u e du premier j o u r de l'année s u i v a n t e , qui s'ouvrira le 1 février. Si Hien-foum venait à mourir dans cet intervalle, il n ' e n t r e r a i t pas d a n s le catalogue des e m p e r e u r s chinois. On sait qu'en Chine on ne connaît d'autre époque que celle du règne de chaque souverain ; et c'est p o u r ce motif, sans doute, qu'on adjuge à l ' e m p e r e u r défunt le reste de l'an­ née qui s'écoule après sa m o r t , dès lors qu'il l'a commencée. Cet art de fixer les dates est favorable e r


61 aux traditions de la chronologie chinoise, mais il est peu en rapport avec l'exactitude des faits. A i n s i , par exempte : si le nouveau m o n a r q u e déclarait cette an­ née q u e le christianisme est la religion de la C h i n e , cet événement prodigieux serait rapporté dans les an­ nales de l'empire à la trentième a n n é e de Tao-Kouang, et non à la première de Hien-foum. Peut-être cette manière de compter pourrait-elle jeter quelque lumière sur l'histoire des peuples anciens. « On dit q u e Hien-foum est le q u a t r i è m e des enfants de Tao-Kouang ; il est âgé de 19 ans. Vous n'ignorez pas qu'en Chine chaque e m p e r e u r est choisi secrète­ ment par son prédécesseur, lequel prend celui de ses fils qui lui convient le m i e u x , et le réserve, pour ainsi dire in petto, jusqu'à sa mort. Alors les principaux personna­ ges de la cour ouvrent avec les formalités d'usage le pli cacheté qui contient le nom du prince é l u , auquel ils promettent aussitôt obéissance, puis ils le proclament empereur. Un des premiers actes d'Hien-foum a été d'amnistier, mais avec différentes exceptions, ceux qui étaient condamnés à mort ; ensuite il a d o n n é le Tim-sou, comme on dirait en Europe la croix-d'honneur, à tous ceux qui avaient soixante-dix a n s , et une décoration plus relevée encore aux octogénaires. Ainsi tout vieillard c h i n o i s , fut il dépourvu de bon s e n s , p e u t , s'il le v e u t , monter d'un seul trait au rang des n o b l e s , m a r c h e r l'égal des lettrés qui n'obtiennent un pareil honneur qu'après beaucoup d'études et d'exa­ mens. C'est, sans d o u t e , un chose digne d'éloge que la vénération professée en Chine pour la vieillesse; mais tous les enfants sont loin de respecter l e u r s vieux pères comme l'exigerait la piété filiale. « Si le gouvernement ne nous a pas persécutés ces d e u x dernières a n n é e s , exception rare d a n s le Hou-


62 quouang , nous n'avons eu que trop à souffrir des deux dernières inondations, et particulièrement de la plus r é c e n t e , dont nous déplorerons bien longtemps les con­ séquences funestes. Comme je vous ai déjà écrit à ce sujet, j e me bornerai à dire aujourd'hui que deux de nos r é ­ sident es ont été emportées par les e a u x , et que plusieurs autres ont croulé en partie. Mais ce q u i , au milieu de nos désastres, nous a percé l'âme de d o u l e u r , c'est la perle d'un assez grand n o m b r e de chrétiens morts de faim et de froid, soit dans leurs d e m e u r e s , soit sur les roules, où ils expiraient a b a n d o n n é s de t o u s , sans sacrements et sans consolations religieuses. Deux chrélientésont perdu ainsi plus de trente de leurs habitants; j'ignore quel est le total des victimes, mais je n e l ' a p ­ p r e n d r a i que trop par la suite. J e n e sais comment j ' a i pu tenir au spectacle de tant de calamités. Un j o u r , e n t r e a u t r e s , en entendant le récit de si poignantes désolations, le cœur me faillit et je tombai sur ma natte, presque sans espérance de me relever jamais. Un c h r é ­ tien qui me vit dans cet é t a t , pâle et presque sans res­ p i r a t i o n , se plaça auprès de moi en sanglotant, sans pouvoir me dire un mot. Mais un autre néophyte étant survenu : « P o u r q u o i , m e dit-il, vous affliger à cet « excès pour nous? Est-ce ainsi que vous remédierez « à nos maux ? Si l'évêque meurt, quel avantage en r é « sultera-t-il pour son troupeau ? Dieu veut que nous « fassions pénitence de nos péchés ; pourquoi ne le « voudrions-nous pas? Bien souvent l'évêque nous e n « courage à nous conformer à la volonté divine ; qu'il « se souvienne de ses leçons et qu'il ne se laisse pas « aller à d'inutiles douleurs ? » Cela dit, il se retire. Etourdi de ces paroles, je me sentis animé d'une force nouvelle ; j e m e levai, et me traînant jusqu'à ma bar­ q u e , j e repris ma course vers d'autres m a l h e u r e u x ,


63 admirant et louant la Providence divine qui s'était servie d'un chrétien bien simple pour m'humilier de ma faiblesse, et me consoler en m ê m e temps par des paroles dignes du meilleur ascétique. « Au fléau de l'inondation a succédé dans la ville de Ou-chan-fou, capitale du Hou-quouang, le fléau non moins terrible du feu. D a n s la nuit d u 1 janvier de cette a n n é e , s'alluma sur les navires u n incendie tel qu'on n'en a jamais vu, et dont le souvenir seul fait fré­ mir d'horreur. P o u r s'en faire u n e i d é e , il faut savoir que le long du Kiang, sur u n espace de vingt lys ( 1 ) , se trouve ordinairement ancré un si grand nombre de jonques qu'en les regardant de la rive opposée du fleuve, c'est-à-dire de Han-yan fou et de Han-keou, on croit apercevoir u n e épaisse forêt, tandis que vues de près, on dirait u n e immense cl populeuse cité flottant sur l'eau. Celte agglomération de navires se prolon­ ge m ê m e à quarante lys plus l o i n , mais sans être aus­ si pressés q u ' a u mouillage dont je viens de parler. Le tout ensemble forme un port de soixante lys d'étendue, où stationnent d'innombrables v a i s s e a u x , et présente u n spectacle que ne pourra jamais imaginer celui qui ne l'a pas contemplé de ses yeux. O r , p e n d a n t la nuit du l janvier u n ouragan furieux éclata sur celte flot­ te i m m e n s e , et dans la confusion qu'il y p o r t a , le feu prit à u n des navires. Aussitôt l'incendie, attisé par le v e n t , alimenté par le goudron et par les matières com­ bustibles dont, u n grand nombre de vaisseaux sont chargés, se propage avec la rapidité de la foudre sur les bâtiments voisins. Sous l'action de l'orage et du feu les amarres sont rompues ; les navires incendiés sont er

e r

(1) Vingt Lys font deux lieues.


64 dispersés par la t e m p ê t e , c o m m e p o u r semer p a r t o u t à la lois la destruction ; tout ce qu'ils touchent ils l'em­ brasent, et en un clin d'oeil ils ont p r o m e n é sur toute la ligne la flamme qui les dévore. Ce n'est plus q u ' u n gigan­ tesque brasier dans lequel une m u l t i t u d e prodigieuse, en proie au désespoir, broyée par l ' o u r a g a n , poursui­ vie par le feu, cernée de tout côté par les flots en cour­ r o u x , se d é b a t , hurle et m e u r t d a n s les tourbillons qui la c o n s u m e n t , ou d a n s les abîmes du fleuve qui l'engloutit. Des témoins oculaires m'ont dit q u e , sur u n e étendue de soixante lys, le Kiang était comme u n e m e r de feu, et q u e dans le court espace de trois heures tous ces navires et les pauvres gens qui les montaient ont misérablement péri. On s'accorde u n a n i m e m e n t à croire que le nombre de ces b â t i m e n t s , d'après les cal­ culs les plus m o d é r é s , s'élevait à plus de trente mille. Chacun sait aussi q u e d a n s les barques chinoises, m ê m e les plus petites, a coutume de séjourner, outre les ba­ t e l i e r s , toute la famille du capitaine ; car il existe là des ménages entiers qui n a i s s e n t , vivent et meurent d a n s leur n a v i r e , sans savoir de quel pays ils s o n t , venant au monde cà et là où se trouve leur d e m e u r e a m b u l a n t e . D'autre part on m'assure q u e plusieurs vaisseaux incendiés étaient de g r a n d e dimension, que beaucoup d'entre eux c o n t e n a i e n t q u a r a n t e , cin­ q u a n t e et même soixante personnes. Mais quelle q u e soit l a moyenne de ces c h i u r e s , toujours es -il certain qu'on arrive a un total effrayant de victimes. Le nombre des cadavres, horriblement défigurés et mutilés par le feu, que l'on a pu r e t i r e r du fleuve, s élève déjà à soixante-dix mille. 11 faut noter enfin que ces navires étaient chargés de marchandises et ap­ partenaient à des Chinois de toutes les provinces. On peut se former dès lors une idée de la perte i m m e n s e ,


65 de la désolation presque générale qui résulte de cet horrible incendie, le plus considérable peut-être qu'on ait vu, je ne dis pas en Chine seulement, mais dans tout l'univers. « Je termine ce lamentable récit par quelques traits d'humanité, auxquels ont donné lieu tous ces malheurs. Ces faits sont d'autant plus remarquables qu'on devait moins les attendre d'un peuple chez qui l'avarice et le froid égoïsme forment le caractère national. « Un païen de Han-yan-fou eut à peine vu la catas­ trophe dont je viens de parler q u e , ne doutant point du nombre infini des victimes, il commanda à ses frais dix mille quam-zais ou bières pour ensevelir autant de cadavres. On m'assure que chacun de ces quam-zais coûte au moins cinq ou six francs. Ce prix est celui des pauvres. Les cercueils ordinaires se payent de trente à quarante, et ceux des riches vont à plusieurs milliers de francs, car ces pauvres idolâtres s'imaginent que mieux le cadavre est traité, plus l'âme doit être heureuse. C'est peut-être de là que vient l'usage où sont les chefs de famille de se pourvoir pendant leur vie d'un beau quam-zai, afin qu'ils y soient plus à leur aise et mieux à leur goût ; en sorte qu'ils en viennent à faire un objet de vanité de ce qui est pour l'homme un si grand sujet d'humiliation. Ces païens font un tel cas de ces cercueils, que si un père oublieux n'en a pas fait acquisition de son vivant et montre une trop grande peine à quitter ce monde, il se tranquillise aussitôt que son fils lui promet de lui acheter un quam-zai b e a u , commode et de grand prix. De ce que je viens de d i r e , on peut conclure que si l'action du bienfaiteur chinois est digne d'éloge, même aux yeux d'un Européen, elle est bien autrement appréciée par ces peuples super­ stitieux : et dans le fait, pendant plusieurs mois, on n'entendit parler que des 10, 000 quam-zais.


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« Je dois encore faire mention spéciale d'une com­ pagnie de riches m a r c h a n d s de Han-yan-fou. Cette so­ ciété a , comme toutes les autres de même g e n r e , une maison commune qui sert exclusivement aux réu­ nions où ses membres traitent de leurs intérêts commer­ ciaux. Ces n u i s o n s communes s'appellent générale­ ment Kum sou. Ce sont les bâtiments les plus vastes elles plus beaux des cités marchandes ; mais je n'en ai point vu de comparable pour la grandeur à celui dont je par­ le. IL s'appelle Ium-gan-kin. Donc, après l'inondation de 1 8 4 9 , à peine l'eau commençait-elle à se retirer de la ville, que la corporation des négociants ouvrit à ses frais u n asile pour y abriter et y nourrir la multitude des malheureux qui m o u r a i e n t de faim. A cet effet, elle fit imprimer une proclamation où elle invitait le public à lui prêter u n généreux concours. En même temps elle fit savoir aux pauvres et aux malades qu'elle leur avait préparé un refuge. Comme j'ai sous les yeux un exemplaire de celte pièce, j e crois devoir en insérer ici la traduction « L ' i u m - g a n - k i n vous exhorte à secourir le peuple « p a u v r e , infirme et désolé, et à en avoir compassion. « Les calamités de cette année sont extrêmes. Les pau« vres cherchent à appaiser leur faim et ne trouvent « point d'aliments ; ils cherchent à se reposer et n'ont « pas un abri. Exposés à l'excessive chaleur du soleil, « à l'humidité, cl aux exhalaisons de la t e r r e , ils de« viennent gravement m a l a d e s , et plusieurs tombent « dans les chemins publics où ils meurent. .Notre Société « voyant c e l a , en a le cœur percé de la plus vive dou« leur, et elle se propose d'imiter la pieté du premier « Mandarin. La maison commune lum-gan-kin, située « à l'intérieur de la grande porte orientale de la ville, « a ouvert une salle de bienfaisance. Les pauvres et les


67 « infirmes y sont reçus et soignés; d'abord on les lave, « ensuite on leur fournit des vêtements, on leur pro« cure des médecins, des remèdes et du riz. On espère « avec des soins et u n e bonne nourriture les préserver « de la mort et les guérir. Le secrétaire du premier man« darin y réside c o n s t a m m e n t , afin de veiller à ce « que les malheureux ne périssent pas d a n s les ca« riaux et dans des fossés, ce qui propagerait i'épidé« m i e , sèmerait la contagion sur les routes et peut« être parmi les hommes. Cet asile de bienfaisance a « donc été o u v e r t , n o n - s e u l e m e n t par compassion « envers les pauvres et les m a l a d e s , mais encore pour « q u e les rues de la ville n e soient pas infectées. Ce« p e n d a n t , ceux qu'on reçoit sont i n n o m b r a b l e s , et « on les nourrit pour u n temps indéfini. En s o m m e « les dépenses sont fort g r a n d e s . Pour a u g m e n t e r le « bienfait de cet établissement il faut q u e chaque h a « bitant d o n n e l'exemple, offre de l'argent, et appor­ te te son concours aux gens de bien. O n espère que « les personnes charitables et vertueuses se laisseront « toucher de compassion et verseront d e l'argent et « du riz. Qu'on offre beaucoup ou p e u , il n ' i m p o r t e ; « le mérite de celte œuvre de charité est i m m e n s e . « Exercer la bienfaisance est la même chose qu'ap« peler sur soi tous les b o n h e u r s . Le c œ u r de celui qui « s'y dévoue est admiré du Ciel et en o b t i e n d r a toutes « sortes de biens et de joies. Concourez donc tous à « cette bonne œuvre. » « Bien que de semblables exhortations restent ordinairement inutiles, on ne peut nier qu'elles ne partent d'un bon cœur. Il est permis d'en conclure q u e si la Chine se convertissait, elle ne m a n q u e r a i t pas de bien­ faiteurs insignes, qu'on pourrait comparer avec avan­ tage aux personnes les plus charitables d'Europe. Je


68 crois môme qu'alors nous n'aurions plus besoin des se­ cours étrangers. Mais en attendant, nous avons toujours nos yeux et nos espérances tournés vers cette sa inte OEuvre de la Propagation de la F o i , qui me p a r a i t u n véritable prodige de ta divine Providence. « Je s u i s , etc. « + F . JOSEPH NOVELLA., Min.

Evêque de Patare,

Coadjuteur.

Réf.

»

Une autre lettre de C h i n e , également signée p a r un vénérable E v o q u e , nous a n n o n c e la catastrophe de Ou-cham-fou ; mais cette d e r n i è r e c o r r e s p o n d a n c e , tout en constatant u n i m m e n s e d e s a s t r e , réduit de beaucoup le total des pertes et le n o m b r e des victimes. Cette différence d a n s le récit des d e u x Prélats tient peutêtre à ce q u e le premier est a u x portes de la ville i n c e n ­ d i é e , tandis que le second en est placé à u n e g r a n d e distance. Tous deux ont écrit d'après les bruits qui cir­ culaient autour d ' e u x , et on comprend q u e dans la province m ê m e qui a été frappée, sous l'impression des flammes et des cadavres q u ' o n a v u s , en face de rui­ nes qui sont pour ainsi dire personnelles, le sinistre p r e n n e d'autres proportions que d a n s u n e île éloignée et devenue par la conquête des Anglais é t r a n g è r e à l'Empire. Une a u t r e cause a pu influer également sur la diversité des appréciations ; c'est qu'il s'est écoulé entre la lettre de Mgr Rizzolati et celle de Mgr Novella assez de temps pour révéler au der­ nier Prélat bien des pertes encore inconnues lorsque le premier nous écrivait. En attendant que les faits soient mieux éclaircis, nous joignons la version de Mgr le Vicaire apostolique du H o u - q u o u a n g a celle d e son Coadjuteur.


69

Extrait d'une lettre de Mgr Rizzolati, Vicaire apostolique du Hou-quouang , à MM. les Directeurs d e l ' Œ u vre. (Traduction de l'italien).

Hong-kong, 15 avril 1 8 5 0 .

« MESSIEURS,

« ... Aux différentes calamités qui ont affligé le Houquouang, il faut ajouter l'horrible incendie de Ou-chanl o u , capitale de cette p r o v i n c e , qui a c o n s u m é dans l'espace de deux h e u r e s , non-seulement tous les n a ­ vires et les barques amarrés le long de la rive du Kiang, mais encore toutes les maisons des immenses faubourgs. Une prodigieuse multitude d'hommes qui peuplaient ces habitations et ces vaisseaux, ont été victimes des flammes. Le total des grands navires qui ont été b r û l é s , je parle de ceux qui égalent en grandeur les bâtiments e u r o p é e n s , s'élève à plus de sept c e n t s , sans compter un n o m b r e infini de barques et de nacelles qui ont été réduites en cendres, ainsi que leurs équipages et les marchandises qu'elles portaient. On m'écrit q u e le nombre des cadavres déjà retirés du fleuve dépasse cinquante mille. « L'incendie se manifesta d'abord sur la première ligne des grandes jonques qui étaient à l'ancre a u nord, côté d'où souillait le vent. Beaucoup de barques qui étaient accourues de Han-yan-fou et de H a n - k e o u , deux villes populeuses qui occupent le rivage opposé à


70

la ville incendiée, furent également dévorées par le feu qu'elles venaient é t e i n d r e , en sorte que p e r s o n n e , pas même les négociants les plus opulents de la c i t é , ne put sauver ses navires et ses marchandises du m i ­ lieu de cette immense fournaise. « Vous serez peut-être étonnés, Messieurs, en en­ tendant parler d'un nombre si elevé de navires et de morts ; et cependant la chose e s t ainsi. Du r e s t e , il est à la connaissance de tous que O u - c h a n - f o u , avec les deux autres villes placées en face d'elle, forme un lieu central qui est le rendez-vous de tout le com­ merce des dix-huit provinces de la Chine. Ces trois grandes cites, en E u r o p e , n'en feraient qu'une s e u l e , parce qu'elles ne sont séparées que par le Kiang. C'est, il est v r a i , le plus grand fleuve de la C h i n e , et il est tout couvert de gros navires, que les Chinois ont cou­ tume de lier étroitement les uns aux a u t r e s , par grou­ pes de quinze à vingt, sur une m e n é ligne. Le nombre des bâtiments de moindre g r a n d e u r , qui sont à l'ancre çà et là, est incomparablement plus grand encore, sans compter une infinité de petites barques qui vont et viennent d'une rive à l'autre. Un étranger placé à u n e certaine distance, resterait stupéfait en voyant u n e si g r a n d e quantité de vaisseaux à l'ancre sur ce fleuve majestueux ; il se croirait en face d'une forêt i m m e n ­ se et touffue. J'ai dû plus d'une fois perdre beaucoup de temps avant de pouvoir, avec ma petite b a r q u e , m e dégager du milieu de tous ces navires. « En présence d'une si g r a n d e calamité, j e ne puis qu'appeler de nouveau sur ma mission vos secours et vos prières. Je compte s u r vous et j e suis, etc. « + Rizzolati, Vicaire apostolique Hou-quouong. »

du


71

MISSION DE LA CORÉE. Lettre de Mgr Ferrèol, Vicaire apostolique de la Corée, à M. Barran, Directeur du séminaire des MissionsEtrangères à Paris.

Corée, 30 décembre 1 8 4 9 .

« MONSIEUR E T CHER CONFRÈRE,

« Cette a n n é e a été pour nous eu Corée u n e vérita­ ble disette de lettres ; c'est à peine si le Post-scriptum qui annonçait la révolution française nous est parvenu. Depuis celte mémorable é p o q u e , n o u s sommes sans nouvelles. Au milieu de tant d'événements qui ont dû s'accomplir dans l'espace de deux a n s , n e sommes-nous pas arriérés d'un siècle? Souvenez-vous, j e vous p r i e , que nous habitons le bout du m o n d e , séquestrés du genre humain. Vraiment, pour le bruit qui se fait icib a s , je crois que notre solitude vaut bien celle de la Thébaïde. « Dieu nous conserve toujours sa protection ; et mal­ gré les voix ennemies et les menaces de persécution


72 72 qui se firent e n t e n d r e l ' a n n é e d e r n i è r e contre n o u s , l'adm i n i s t r a t i o n des chrétiens a pu s'achever s a n s fâcheux accident. Si n o u s n'avons pas la p a i x , telle q u e n o u s la d é s i r o n s , n o u s n'avons p a s n o n p l u s la g u e r r e o u ­ verte; j e dirai m ê m e q u e des j o u r s m o i n s o r a g e u x s e m ­ b l e n t vouloir se lever s u r la p a u v r e Eglise de Co­ r é e . Nous avions u n petit roi de vingt-deux a n s q u i n o u s gouvernait ; il vient d e m o u r i r s a n s laisser de p o s ­ térité : c'était le d e r n i e r rejeton de la b r a n c h e q u i r é ­ gnait d a n s ce p a y s . O n a choisi p o u r lui s u c c é d e r u n j e u n e prince de dix-huit a n s , q u i d e p u i s p l u s i e u r s a n ­ nées languissait d a n s l'exil et vivait d a n s un état voisin de la m e n d i c i t é . Le voilà d u fond d e la m i s è r e placé au faîte des g r a n d e u r s . Si la P r o v i d e n c e n'était l à p o u r s'occuper d e ce m o n d e , n e d i r a i t - o n pas q u e c'est u n j e u de la f o r t u n e ? Son g r a n d - p è r e fut, en 1 8 0 1 , mis à m o r t pour c a u s e d e religion et d é n o n c é à l ' e m ­ p e r e u r de C h i n e comme coryphée d e s c h r é t i e n s . Le roi, son petit fils, d o i t , d i t - o n , e n v o y e r u n e a m b a s s a d e à P é k i n p o u r réhabiliter sa m é m o i r e . P r o b a b l e m e n t o n p a r l e r a de la religion d a n s cette affaire ; j e n e s a u r a i s vous dire si ce sera en bien ou en m a l . « Le p r i n c e défunt n ' é t a i t pas a i m é ; ceux q u i l ' a p ­ p r o c h a i e n t d e près p a y e n t a u j o u r d ' h u i p o u r ses f a u t e s . Son p r e m i e r m i n i s t r e v i e n t par o r d r e d e la c o u r d ' a v a ­ ler u n e potion mortelle : plusieurs a u t r e s h a u t s fonc­ tionnaires o n t été e n v o y é s e n exil. Ce petit r o y a u ­ m e a a u s s i , c o m m e les a u t r e s , ses r é v o l u t i o n s ; et il est r a r e q u ' u n roi q u i t t e ce m o n d e s a n s e n ­ t r a î n e r après lui la chute d'un g r a n d n o m b r e d e g e n s e n p l a c e . Naguère était au pouvoir u n e faction de tout t e m p s fort hostile à la religion ; sa p u i s s a n c e d i m i n u e c h a q u e j o u r et passe aux m a i n s d u parti o p p o s é , d o n t les d i s ­ p o s i o n s n o u s sont favorables. Le j e u n e roi est sous la


73 tutelle d e la vieille r e i n e , d o n t le frère, dit-on, m o u r u t c h r é t i e n e n 1840. Cette p r i n c e s s e , n o n p l u s , n'est p a s e n n e m i e des c h r é t i e n s . Les c o m m e n c e m e n t s d e ce n o u v e a u r è g n e n o u s font d o n c p r é s u m e r q u ' u n e p e r s é ­ cution n'est pas p r o c h e d'éclater. Au r e s t e , n o u s s o m ­ m e s e n t r e les m a i n s d e D i e u ; il fera d e n o u s c e qu'il voudra. « Celte a n n é e e n c o r e , M. Maistre n ' a p a s p a r u au r e n d e z - v o u s q u e j e lui avais d o n n é d a n s la m e r d e Co­ r é e . L'occasion e u t été b e l l e p o u r lui : la b a n q u e q u e j ' a i e n v o y é e p o u r le recevoir a p u c o m m u n i q u e r l i b r e ­ m e n t avec les j o n q u e s c h i n o i s e s . J e n e sais e n c o r e q u e l s obstacles l'ont a r r ê t é . J ' e n v o i e à la frontière d e C h i n e p o u r tâcher d ' i n t r o d u i r e u n p r ê t r e i n d i g è n e . Dieu v e u i l l e diriger ses p a s et le r e n d r e à sa p a t r i e ; il y a assez l o n g t e m p s qu'il frappe à la p o r t e . V r a i m e n t il s e m b l e q u ' u n e m a i n invisible r e p o u s s e d e la C o r é e tout n o u ­ veau m i s s i o n n a i r e , et p a r a l y s e les efforts q u e n o u s n e cessons d e faire d e p u i s q u a t r e a n s p o u r e n faciliter l'en­ trée. Le S e i g n e u r n o u s voudrait-il seuls d a n s ce p a y s ? v o u d r a i t - i l n o u s laisser l e n t e m e n t n o u s consumer d a n s les t r a v a u x et les fatigues ? C o m m e il n'est p a s cer­ t a i n q u e ce soit là sa v o l o n t é , j e d e m a n d e à M . Libois d e u x m i s s i o n n a i r e s p o u r 1 8 5 1 ; ils p a r t i r o n t d u K i a n g N a n a v e c M. M a i s t r e , et v i e n d r o n t s u r u n e b a r q u e chinoise à la r e n c o n t r e d e la m i e n n e s u r les côtes d e la Corée. Ce n'est l à , c o m m e v o u s le v o y e z , q u e d u futur contingent. « V e u i l l e z , j e vous p r i e , Monsieur et c h e r C o n f r è r e , n o u s accorder l e secours d e vos prières et m e c r o i r e votre t o u t d é v o u é et affectionné s e r v i t e u r , « + J . J O S E P H F E R R É O L , Evèque de Belline, Vicaire apostolique de Corée. »

том.

XXM.

134.

4


74 « Catalogue des Sacrements administrés pendant l ' a n n é e , en Corée. Nombre des chrétiens, y compris les enfants et les catéchumènes, 1 1 , 0 0 0 . Confessions 6,844 Communions 4,929 Baptêmes d'adultes 356 Catéchumènes 156 Baptêmes d'enfants. . . . . . 680 Confirmations 202 Mariages 146 Extrêmes-Onctions 85


75

MISSIONS DE L'ORÉGON.

Extrait d'une lettre du R. P. Chirouse, Missionnaire de la Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, au R. P. Ricard, Supérieur provincial de la même Congrégation dans l'Oregon.

Sainte-Croix de Simkoné , le 1 2 janvier 1 8 4 9 ,

« MON RÉVÉREND P È R E ,

« Peu de jours après mon retour de Nesqually, je me suis rendu au camp de Kamayarken, où j'ai élevé u n e petite c a b a n e avec l'aide du bon Frère Verney et des sauvages. S. Joseph est le patron que Monseigneur a voulu d o n n e r a cette pauvre petite maisonnette, et ce grand saint m'y a protégé jusqu'à l'hiver. Le froid com­ mençant à se faire s e n t i r , le chef et tous ses Indiens se sont disposés à partir pour le campement des neiges, sur la rivière Y a k a m a , à u n e j o u r n é e de Sainte-Rose. Ils m'ont prié d'aller passer la r u d e saison au milieu

d'eux. Je n'ai accédé à leur demande qu'à condition


76 qu'ils me construiraient u n e seconde cabane pour me mettre à l'abri des vents et des neiges. En moins d'un mois, la maison a été élevée avec des troncs de p e u ­ pliers. Mon nouveau logement, de trente pieds de long sur quinze de l a r g e , me d o n n e l'agrément d'avoir deux chambres, l'une pour moi et l'autre pour la réunion des sauvages à la prière. C'est là, mon Révérend Père, q u e les peines, les misères et les croix de tout genre tom­ bent sur moi comme la grêle sur la j e u n e plante qui commence à b o u r g e o n n e r . C'est pourquoi j'appelle ma nouvelle résidence du n o n de Sainte-Croix, doux nom qui m'inspire toujours la conduite à tenir dans les épreu­ ves de celte vie. « E n ce moment se trouvent réunis à Sainte-Croix des sauvages de presque toutes les nations voisines. Je compte soixante cabanes dans m o n village, cent famil­ les environ. L à , j'ai pour contradicteur Serpent-jaune avec sa troupe. Il préside l u i - m ê m e à toutes les abominations qui se disent ou se commettent dans sa loge infernale. Un vieux jongleur l'aide de son mieux à se débarrasser de moi : irrité de ce q u e mes enseigne­ ments étaient contraires à ses maximes et à ses actions diaboliques, il a inventé celte étrange calomnie pour que l'on me mit à mort : « La robe-noire, dit il, prend des serpents-à-sonnette et leur fait vomir un venin noir, avec lequel il empoisonne le t a b a c , d a n s l'intention de tuer tous les hommes. » Ce qui est cause que je n e donne plus d e tabac à p e r s o n n e . L'effet de cette résolution a été très-heureux : j e conserve ainsi mon peu de tabac pour m o i , et tous les hommes sont furieux contre le vieux calomniateur. Je n e crains qu'une c h o s e , c'est qu'on n e le p e n d e au premier jour. « Malgré tous les traits de l ' e n n e m i , j e n'ai que des


77 actions de grâces à r e n d r e au Seigneur et à m'applaudir des nombreuses bénédictions qu'il répand sur mes faibles travaux. Dans l'espace d'un mois ou d e u x , j'ai pu baptiser plus de trente enfants cl sept a d u l e s , assez bien instruits des principes de notre sainte Religion. La plupart de nos nouveaux chrétiens de Sainte-Rose s o n t venus passer l'hiver à Sainte-Croix, où ils ont plus édifié par leurs bons exemples que moi p a r mes prédi­ cations. « Jusqu'à présent j'ai pu sans crainte visiter les sau­ vages de m o n village et les instruire en public. La plu­ part d'entre eux sont atteints en ce moment d e la fié­ vre ou de la grippe. Dans chaque loge, il y a des morts ou des m o u r a n t s . En moins de quinze j o u r s , plus de t r e n t e personnes ont déjà été victimes de ce fléau. De p l u s , le froid est si intense q u e plusieurs d e n o s chas­ seurs ont été gelés à cheval ; les a n i m a u x succombent à ces ligueurs unies à la d i s e t t e , car la famine se joint à tant de m a u x pour accabler mes pauvres néophytes. O n se régale lorsqu'on peut avoir à manger d u cheval, du chien ou du loup. La calamité publique n e m'épar­ gne p a s , m o n R. P è r e , et j e m'estime très-heureux d'avoir encore en réserve u n chien et deux loups pour provisions d e bouche. J'espère que cela me conduira jusqu'à la fin du carnaval, et qu'à cette é p o q u e , le bon Dieu, é m u d e compassion pour nous, nous enverra d u chevreuil ou d e l'ours. « Au milieu de cette désolation, j e n'ai de repos ni le j o u r ni la nuit. Le j o u r , j e cours d'une cabane à l ' a u t r e , pour baptiser les e n f a n t s , pour instruire les grandes personnes qui veulent m'écouter, et ensevelir les nouveaux chrétiens q u e la mort nous enlève. La n u i t , j e baptise e n c o r e , puis je dis m o n office, si les premiers rayons du soleil ne me surprennent pas au-


78 près d'un agonisant. E n ce m o m e n t , j'ai auprès de moi un petit ange qui dort d u sommeil des justes ; je dis u n petit a n g e , c a r il n'a encore q u e six mois. Hier j e l'ai purifié dans l'eau sainte, et ce matin au point du jour sa belle âme s'est envolée au ciel ; ce soir je l'accompapagnerai au cimetière. Cinq de mes nouveaux r é g é n é ­ rés ont refusé le ministère diabolique du jongleur ; ils se s o n t , d'après m o n avis, tenu c h a u d e m e n t , o n t transpiré et ils jouissent m a i n t e n a n t d ' u n e santé par­ faite. Le jongleur furieux de n e p o u v o i r , malgré ses infernales contorsions, guérir a u c u n m a l a d e , n e cesse de vomir contre moi mille malédictions. « Voyez-vous, « a-t-il dit en m o n t r a n t ma c a b a n e , voyez-vous cette « maison de bois, surmontée de la croix blanche, c'est d e « là q u e vient notre misère, c'est delà q u e s'échappe la « m o r t ; c'est la robe-noire qui nous t u e p a r sa p r i è r e , « par sa parole et sa médecine de l'eau (le baptême). Brû« lez sa cabane et coupez lui la tête, j e me charge ensuite « de vous guérir tous. » Les m é c h a n t s croient aux dis­ cours du jongleur et plusieurs sont très-mal intention­ nés contre moi. J e n e me dissimule point q u e je suis vraiment en danger ; mais qu'importe 1 Je mourrai avec joie pour la cause de Jésus-Christ. Avec sa g r â c e , je n e cesserai pas de porte secours a u x m a l h e u r e u x . N o n , j e n e laisserai pas m o u r i r sans baptême tous ces pauvres enfants qui expirent chaque j o u r . Le bon Dieu n e m ' a b a n d o n n e r a pas. « D'après les nouvelles q u e je r e ç o i s , il parait que la mortalité s'étend aussi chez les nations voisines, sur­ tout près des montagnes ; chez les Nez-percès, les Cayouses et les Têtes-plates, on compte déjà plus de cinquante victimes. Les chevaux et les bœufs périssent, ensevelis dans la neige. On m ' a n n o n c e qu'il y en a sept à huit pieds à la Conception. Le pauvre Père P a n


79 dosy et le Frère Verney n e peuvent plus sortir, et sont obliges de grelotter la nuit et le j o u r sous un toit à mille fenêtres. Heureusement, ils ont tué deux b œ u f s , il y a peu de temps. Je leur ai envoyé un porc de 190 livres, quatre sacs de froment et deux de pommes de t e r r e , ce qui est cause q u e j e suis réduit à manger du chien et du loup. Ils pourront donc souffrir d u froid ; mais non de la faim. « Vous me d e m a n d e z , m o n R. P è r e , de vous faire connaître la route la plus sûre pour le transport des ob­ jets qui nous sont nécessaires. Il conviendrait q u e nous allassions chercher ces objets aux D a l l e s , et delà on les ferait conduire à Vancouver. Nous ne repasserons plus p a r les sentiers dangereux des montagnes de Nesquall y , où l'on est exposé à se briser la tête à chaque i n ­ stant et à m o u r i r de faim avant de revoir la plaine. Com­ m e vous m e pressez de vous signaler m e s besoins t e m ­ p o r e l s , je vous dirai que je n e souffre pas encore de la f a i m , puisque j ' a i u n chien et deux loups dans mon garde-manger ; mais en fait de meubles et de vête­ m e n t s , j e ne suis pas si bien pourvu. N'ayant plus qu'une soutane en l a m b e a u x , qui n e me défendait pas contre la b i s e , j ' e n ai fabriqué u n e avec u n e grosse couverture de laine blanche, que j'ai trempée dans l'eau d e bluet ; elle s'est trouvée violette, et j e m e suis cru evêque : m a i s la pluie étant s u r v e n u e , ma soutane a repris sa première couleur blanche, et tout-à-coup j e me suis trouvé p a p e , mais u n pape si pauvre qu'ayant p e r d u mon unique aiguille, j e n'ai pu en trouver u n e autre dans tout mon palais Quirinal. Cependant il me fallait b o u c h e r i e s trous de mon antique soutane n o i r e , qu'aije fait ? J'ai enlevé la tête à une épingle et j ' e n ai fait u n e aiguille. Cette invention m'a réussi : l'aiguille est grossière, mais solide ; elle plie et n e casse jamais. J'a-


80 vais pour tout bien douze clous p o u r la construction d e ma maison de Sainte-Croix, et on me les a voles. Envoyez-moi les petits objets qui plaisent a u x sauvages, je m'en servirai pour les gagner à notre sainte religion. Par l'appât delà récompense on les réunit pour les faire travailler, et on profite de ces réunions pour les in­ struire. Grâces à Dieu je m e fais assez bien c o m p r e n d r e , et la plupart de mes adultes sont très-attentifs quand j e leur parle. Il y a réellement du bien à faire à SaintJoseph de Simkoné ; mais jamais le pauvre petit Chirouse seul n e pourra défricher ce vaste c h a m p , il faudrait a u moins ici deux Pères et deux Frères. Voilà plus de quatre mois que je suis solitaire ; je n e puis m'entretenir familièrement qu'avec m o n chat et mon chien ; avec les sauvages, grande réserve : la familiarité gâterait tout. Le grand chef vient souvent m e faire des visites ; mais quel plaisir de s'entretenir avec des p r i n c e s sans vête­ m e n t s , qui ne savent que vous d e m a n d e r a fumer ou à manger !!!... Pensez donc à m o i , mon R. P è r e , et envoyez-moi le R. P è r e Sempfrit et le F r è r e Sareau ; nous ferons ici merveille ! « Je m e recommande instamment à vos ferventes prières et à celles de tous nos Frères et Pères de Nesqually, et je vous prie d'agréer l'hommage de mon respect,

s C. Chimouse, O. M. I

»


81

Un tableau q u e nous aimons à r e p r o d u i r e sous les yeux de nos lecteurs, parce qu'il est un de l e u r s plus beaux titres et une de leurs plus douces récompenses, c'est le concert de ces trois cents Evêques q u i , depuis vingt-huit a n s , se lèvent tour à tour et se répondent de l'ancien au Nouveau-Monde p o u r nous b é n i r ; c'est le spectacle de ces j e u n e s chrétientés qui font des solennités de notre OEuvre les fêtes de l e u r r e c o n n a i s s a n c e , et qui nous renvoyent leurs ferventes prières en échange de nos bienfaits; c'est le suprême adieu des martyrs et des vétérans de l'apostolat q u i , du bord de la t o m b e , tien­ nent à nous assurer q u e l e u r p r e m i è r e intercession dans le ciel, comme l e u r dernière pensée sur la terre, sera p o u r nos Associés. Mais au-dessus de ces glorieux suffrages, il e n est u n q u e nous sommes encore plus h e u r e u x de recueillir, c'est celui des Souverains Pon­ tifes qui met le sceau à tant d ' a u t r e s faveurs. Aux e n ­ couragements dont ils nous o n t t a n t de fois h o n o r é s , aux n o m b r e u s e s Indulgences dont ils o n t d a i g n é nous enrichir, Sa Sainteté Pie IX vient d'ajouter u n nouveau trésor de grâces spirituelles. Nous les portons à la c o n ­ naissance de nos Associés, qui verront avec n o u s , dans ces gages réitérés de la bienveillance A p o s t o l i q u e , u n nouveau motif de pieuse gratitude pour le S a i n t - S i é g e , et de dévouement à l'OEuvre de la Propagation de la Foi.

TOM. XXIII. 135.

MARS

1851.

6


82

DÉCRET

POUR ROME ET L'UNIVERS AUDIENCE DB SA SAINTETÉ , DU 17 OCTOBRE 1 8 4 7 ,

Comme la pieuse autant qu'illustre Association, connue sous le titre de la Propagation de là F o i , depuis l'époque o ù , par un admirable dessein de la Providen­ ce divine, elle naquit en F r a n c e , il y a déjà plusieurs a n n é e s , a toujours contribué puissamment à r e n d r e plus facile l'extension de la foi catholique j u s q u e dans les régions les plus r e c u l é e s , surtout en fournissant des secours à ceux qui cultivent la vigne du S e i g n e u r , les Pontifes Romains n'ont pas m a n q u é de la p r e n d r e sous leur tutelle ; bien p l u s , d e leur autorité aposto­ lique, ils l'ont enrichie de grâces spirituelles et d'indul­ gences, en vue de p r o c u r e r , et le plus g r a n d accroisse­ ment de l'Association e l l e - m ê m e , et le bien des fidè­ les inscrits d a n s ses rangs q u i , avec u n e faible au­ m ô n e et quelques prières q u o t i d i e n n e s , concourent néanmoins d'une manière si louable au but de cette m ê m e Association. Touché de ces considérations, notre TRès-Saint Père


83

DECRETUM

URBIS ET URBIS ; ÀUDIENTIA. SANCTISSIMI,

DIE 17

OCTOBRIS

1847,

Cum p i a , aeque ac p r e c l a r a Socielas P r o p a g a t i o n s Fidel titulo n u n e u p a t a , ex quo multis abhinc a n n i s mirabili d i v i n a e Providentix C o n s i l i o ortum habuit in Gallia, media praesertim vineae dominicae cultoribus suppeditando ad Catholicam fidem in remotissimis licet regionibus facilius disseminandam p l u r i m u m semper contulerit, b i n e earn Romani Pontifices in s u a m recipere tutelam baud praetermiserunt, immo spiritualibus Gratiis, atque Indulgentiis apostolica auctoritate d i t a r u n t , quo et majori Societatis ipsius i n c r e m e n t o , et illorum Christifidelium bono c o n s u l e r e t u r , qui Societati huic adscripti modica pecunia, paucisque quotidia nis precibus ejusdem scopo laudabiliter a d m o d u m in serviunt. His permotus SSmus Dominus Notre Pius P P . IX. cum et Ipse eosdem Christifideles peculiaribus favoribus, et gratiis prosequi, novasque I n d u l g e n t i ,


84 Pie IX, ayant aussi résolu d'accorder à ces mêmes fi­ dèles du Christ des faveurs et des grâces s p é c i a l e s , de nouvelles indulgences et de n o u v e a u x privilèges, et de faire participer à cette largesse généralement et en tous lieux l'Association tout entière; à cette fin, confirmant les Indulgences et Privilèges accordés par ses prédéces­ seurs, et qui néanmoins sont contenus dans ce décret, a daigné dans sa bonté apostolique confirmer à perpétuité et concéder à tous les fidèles de l'un et de l'autre s e x e , q u i , par tout l'univers, dûment agrégés à cette pieuse Association, auront apporté l'obole hebdomadaire en l'espèce ou quantité statuée légitimement en chaque l i e u , et de plus auront tous les jours récité, n'importe en quel i d i o m e , u n Pater et u n Ave avec cette i n v o ­ cation : « Saint François-Xavier priez pour nous » , les privilèges suivants et indulgences, applicables aussi p a r mode de suffrage aux âmes retenues d a n s le Pur­ gatoire. e

1° Indulgence Plénière, soit le 3 j o u r de mai, fête de l'Invention de la Très-Sainte Croix de Notre-Seigneur J é s u s - C h r i s t , et anniversaire de la fondation de cette Société à L y o n , l'an 1 8 2 2 , soit le 3 jour de d é c e m b r e , fête de Saint F r a n ç o i s - X a v i e r , patron céleste d e la m ê m e Association ; Indulgence qui pourra se gagner à partir des premières vêpres j u s q u ' a u coucher d u soleil du dernier j o u r de l'octave de ces d e u x fêtes, mais u n e fois seulement d a n s l'espace de ces huit j o u r s , pourvu que les agrégés véritablement p é n i t e n t s , confessés, et nourris de la sainte c o m m u ­ n i o n , visitent dévotement l'église ou l'oratoire public affecté à cette pieuse Association, ou leur propre église paroissiale, et y prient quelque temps suivant l'intention de Sa Sainteté. e

Que si ces fêtes sont célébrées en d'autres jours p a r la


85 no-vaque privilegia eisdem conferre, quaeque j a m alicubi generaliter universae Societati elargiri staluerit ; hinc confirmando Indulgentias et Privilegia a Suis Praadecessoribus concessa, quae tamen in hoc continentur D e c r e t o , Omnibus utriusque Sexus Christifidelibus universi T e r r a r u m Orbis piœ huic Societati rite a d scriptis, quique hebdomadalem o b u l u m in ea specie, seu quantitate contulerint, quœ legitime quolibet loco statuta erit, quique u n u m insuper Pater et Ave cum hac Invocatone : « Sancte Francisce x a v e r i , ora pro nobis, » quolibet idiomate quotidie recita verini, de Benignitate Apostolica dignatus est in perpetuum confir­ m a r e , et concedere sequentia privilegia, ac Indulgent í a s , a n i m a b u s quoque in Purgatorio detentis p e r n i o d u m suffragii applicabiles, videlicet : 1 Indulgentiam Plenariam tum die 3 . Maji in festo Inventionis SSma3 Crucis D. N. J. C . , quœ anniversa­ ria est Fundationis hujus Socictatis, quœque Lugduni contigit a n n o 1 8 2 2 . , tum die 3 . Decembris in festo n e m p e S. Francisci Xaverii, ejusdem Societalis Patroni cœlestis, incipiendam a primis vesperis usque ad ulti­ mae utriusque lesti Octidui diei solis o c c a s u m , semel t a n t u m ejusmodi dicrum spatio a c q u i r e n d a m , dummodo adscripti vere poenitentes, confessi, sacraque comm u n i o n e refecti, vel Ecclesiam, seu publicum Orato­ r i u m pue Societati a d d i c t u m , vel propriam Ecclesiam parochialem devote visitaverint, ibique per aliquod temporis spatium juxta Sanctitatis Suœ meutem o r a verint. Quod si festa hujusmodi a pia Societate in locis ubi legitime constituta e s t , celebrentur debitis c u m facultatibus aliis d i e b u s , et hœc celebratio transferatur post utriusque Octavœ d i e m , Sanctitas Sua i n d u i s i t , ut adscripti, qui dictam Plenariam Indulgentiam die


86 pieuse Association, dans les lieux où elle est légitime­ ment instituée, et q u e cette célébration soit transférée après leurs octaves, Sa Sainteté a bien voulu q u e les agrégés qui n ' a u r o n t pas gagné ladite Indulgence Plénière, le 3 j o u r de mai et le 3 jour de d é c e m b r e , ou pendant les octaves respectives de ces deux fêtes, puissent gagner la même Indulgence P l é n i è r e , à p a r ­ tir des premières vêpres du j o u r auquel l'une ou l ' a u t r e de ces fêtes est transférée jusqu'au coucher d u foleil du même j o u r , s i , dûment disposés comme ci dessus, ils visitent dévotement l'église ou oratoire public où l'on célèbre lesdites fêtes, et y r é p a n d e n t quelques temps devant Dieu de pieuses prières. Et toutes les fois que p e n d a n t les trois jours immédiats qui précédent les­ dites fêtes, soit qu'on les célèbre le jour m ê m e où elles t o m b e n t , soit dans le cas où elles seraient transférées, les agrégés assisteront d ' u n cœur au moins c o n t r i t , à la célébration de ces Triduo faite p a r la pieuse Association ; a u t a n t de fois Sa Sainteté leur accorde u n e Indulgence de trois cents j o u r s . e

e

2° Autre Indulgence Plénière à g a g n e r par tous les membres de la pieuse Association, le j o u r o ù , en tous l i e u x , avec les autorisations r e q u i s e s , se fera u n e fois par an la solennelle commémoraison de tous les agrégés qui sont morts ; et le jour o ù , en lieux divers et avec les autorisations de d r o i t , u n e c o m m é ­ moraison semblable sera faite par les Conseils Diocé­ s a i n s , par les Divisions, les Centuries ou les Décu­ r i e s , pour les fidèles défunts respectifs qui apparte­ n a i e n t au m ê m e Conseil Diocésain, à la m ê m e Divi s i o n , Centurie ou Décurie ; celle-ci à gagner p a r les Chrétiens fidèles qui y sont respectivement affi­ l i é s , pourvu é g a l e m e n t , comme ci-dessus, que v é r i ­ tablement p é n i t e n t s , confessés et fortifiés au sacré


87 5. Maji, ac die 3. Decembris, vel infra respectiva eorum festorum octidua b a u d lucrali f u e r u n t , eamdem Plenariam I n d u l g e n t i a m , s i , ut s u p r a , rite dispositi Ecclesiam, vel publicum o r a t o r i u m , ubi festa prsedicta c e l e b r a n t u r , devote visitaverint, ibique per aliquod lemporis spatium juxta mentem Sanctitatis Suae pias ad Deum preces effuderint, lucrari valeant a primis vesperis d i e i , in quern u n u m , vel alterum ex diclis fesiis transfertur, usque ad occasum solis ejusdem diei ; et quoties ipsi adscripti respectivis Triduis dicta festa, vel cum celebrantur d i e , quo i n c i d u n t , vel etiam in c a s u , quo eadem transferri contingat, immediate praecedentibus, a pia Societate celebrandis, corde saltem contrito interfuerint, toties tercentum dierum Indulgentiam concessit. 2 Item Indulgenliam Plenariam tum l u c r a n d a m ab omnibus pise Societati adscriptis in d i e , q u a u b i q u e locorum debitis cum facultatibus semel in a n n o fiat s o lemnis Commemoratio o m n i u m adscriptorum, qui dec e s s e r u n t , tum d i e , qua similis Commemoratio variis in locis, et c u m debitis facultatibus fiet a Consiliis Dioecesanis, a Chiliarchiis, C e n t u r i i s , vel D e c u r i i s , pro respectivis fidelibus vita functis, qui ad idem Con­ silium Dicecesanum, C h i l i a r c h i a m , C e n t u r i a m , vel Decuriam pertinebant a respectivis Christifidelibus eisdem adscriptis l u c r a n d a m , d u m m o d o , e t i a m , ut s u p r a , vere poenitentes, confessi, ac Sacra Synaxi refectirespectivam Ecclesiam, vel publicum Oratorium, ubi Commemorationes ejusmodi p e r a g e n t u r , devote visitaverint, ibique per aliquod temporis spatium j u x t a consuetos fines oraverint. Ut autem Animai Fidelium Defunctorum tam piae ac salutari Societati adscriptorum magis, magisque suflra  g e n t u r , Sanctitas Sua benigne concessit, ut omnia


88 b a n q u e t , ils visitent dévotement l'église respective ou l'oratoire public où auront lieu ces c o m m é m o r a i s o n s , et y prient quelque temps suivant les fins ordinaires. Et pour que les Ames des Fidèles Défunts, inscrits d a n s une si pieuse et si salutaire Association, recueillent des suffrages de plus en plus p u i s s a n t s , Sa Sainteté accorde avec bénignité que les Autels de l'église ou ora­ toire p u b l i c , où se fera u n e commémoraison des défunts agrégés, comme il est dit ci-dessus, soient tous et chacun, le j o u r où se fera la c o m m é m o r a i s o n , privi­ légiés pour les Messes qui seront célébrés s u r ces mêmes autels, n'importe par quel Prêtre, en faveur des agrégés pour lesquels on célèbre en ce jour la commémoraison générale ou particulière. 3° Autre Indulgence Plénière à gagner deux fois le mois, c'est-à-dire en deux jours de c h a q u e mois libre­ m e n t choisis par c h a q u e Associé ; jours auxquels, vrai­ m e n t pénitents et confessés, ils recevront le Très-Saint Sacrement de l'Eucharistie, et visiteront l'église ou l'oratoire public de l'Association, ou leur église paroissale respective, et y répandront également devant Dieu, p e n d a n t quelque t e m p s , de pieuses prières sui­ vant l'intention de Sa Sainteté. Toutes fois, par u n e grâce spéciale de Sa S a i n t e t é , récemment publiée en faveur de R o m e , les Associés pourront gagner les deux Indulgences Plénières de chaque mois, aussi bien que les deux autres Indulgences Plénières accor­ dées aux fêtes de l'Invention de la Très-Sainte Croix et de Saint François-Xavier, ou à leurs octaves respecti ves, s i , dûment disposés, comme il est dit a i l l e u r s , au lieu de visiter l'église ou l'oratoire public de l'As­ sociation, ou leur propre église paroissale, ils visitent dévotement l'église de Sainte Marie-Magdeleine des clercs réguliers qui servent les infirmes, où cette pieuse


89 et singula Altana Ecclesiae, vel Oratorii p u b l i c i , in quibus tarn g e n e r a l i s , q u a m peculiaris defunctorum, ut supra adscriptorurn Commemorano p e r a g e t u r , d i e , qua base Commemorano fit, privilegiata sint pro Mis足 sis, quae, i n eisdem Altaribus a quocumque Sacerdote in suffragium illorum adscriptorurn c e l e b r a b u n t u r , pro quibus ea die vel g e n e r a l i s , vel peculiaris Comme足 moratio celebretur. 3 Item Indulgentiam P l e n a r i a m bis in m e n s e acquir e n d a m , duobus n e m p e cujuslibet mensis d i e b u s , uniuscujusque adscripli arbitrio eligendis, quibus v e 足 re poenitentes, et confessi SSmum Eucharistiae Sacramentun sumpserint, nec non Ecclesiam, vel publicum Oratorium Societatis, aut respectivam Ecclesiam parochialem visitaverint, ibique pariter per aliquod temporis spatium j u x t a m e n t e m Sanctitatis Suae pias ad Deum preces effuderint. Ex speciali autem gratia Ejusdem Sanctitatis Suae Romae tum n u p e r e n u n c i a t a m P l e n a r i a m Indulgentiam bis in m e n s e a c q u i r e n d a m , t u m duas alias Plenarias Indulgentias in diebus festis Inventionis SSmae C r u c i s , ac Sancti Francisci-Xaverii, vel in eorum respectivis octiduis elargitas lucrari poter u n t adscripli, si, ut alias rite dispositi loco visitationis Ecclesiae seu publici Oratorii Societatis, aut propria? Paraeciae, Ecclesiam S. Marias-Magdalenae Clericorum Regularium infirmis M i n i s t r a n t i u m , in qua primitus heac pia Societas in alma Urbe constituta fuit, devote visitaverint, i b i q u e , ut s u p r a , oraverint. 4 Insuper Sanctitas Sua facultatem omnibus utriusque sexus Chrisiifidelibus piae Societati adscriptis b e n i 足 g n e concessit Indulgentiam Plenariam in Mortis a r t i culo a c q u i r e n d a m , d u m m o d o t a m e n rite dispositi fucr i n t , vel saltem S S m u m Jesu Nomen c o r d e , si ore nequiverint, devote invocaverint.


90 Association fut primitivement instituée d a n s la Ville s a i n t e , et y prient comme ci-dessus. 4° De p l u s , Sa Sainteté accorde avec bénignité à tous les fidèles de l ' u n et de l ' a u t r e s e x e , enrôlés dans la pieuse Association, la faculté de gagner u n e Indulgence Plénière à l'article de la m o r t , pourvu n é a n m o i n s qu'ils soient d û m e n t disposés et invoquent d é v o t e m e n t , a u moins de c œ u r , s'ils n e peuvent le faire de b o u c h e , le Très-Saint n o m de J é s u s . 6° Enfin Sa Sainteté accorde avec clémence u n e Indulgence de cent j o u r s , qui pourra se gagner p a r chacun des Associés, toutes les fois q u e , d'un c œ u r au moins contrit, ils réciteront les prières prescrites, savoir, le P a t e r et l'Ave avec l'invocation : « Saint FrançoisXavier, priez pour n o u s », ou, qu'en sus de l'obole heb­ d o m a d a i r e , ils dirigeront q u e l q u ' a u m ô n e à la même fin (nonobstant toutes dispositions c o n t r a i r e s ) , ou qu'ils accompliront quelque autre œ u v r e de piété ou de charité. 6° Pour ceux que des infirmités ou autres légitimes raisons empêcheraient de visiter u n e des églises ou oratoires publics prescrits, fût-ce par le motif q u e l e u r propre église paroissiale est e x t r ê m e m e n t é l o i g n é e , ils p e u v e n t , par u n e grâce spéciale de Sa S a i n t e t é , gagner les m ê m e s Indulgences, pourvu néanmoins q u e , r e m ­ plissant toutes les autres conditions, ils acquittent d ' a u ­ tres œuvres pies ou des prières imposées p a r l e u r s confesseurs respectifs. Et m ê m e , Sa Sainteté veut bien permettre q u e les fidèles Associés, q u i , pour infirmité physique ou autre légitime e m p ê c h e m e n t , n e p o u r ­ raient p a s , d u r a n t les trois j o u r s qui précédent les fêtes de l'Invention de la T r è s - S a i n t e Croix et de Saint François-Xavier, assister à la célébration qui en sera faite, comme il a été dit ci-dessus, par la pieuse Associa-


91 6 T a n d e m Sanctitas Sua clementer concessit I n d u l ­ genti a m centum dierum ab unoquoque ex adscriptis l u c r a n d a m , quoties, corde saltern c o n t r i t o , praescriptas preces Pater nempe et A v e , c u m I n v o c a t o n e « S. Francisce Xaveri ora pro nobis » recitaverint, vel aliquam eleemosynam ( contrariis q u i b u s c u m q u e n o n obstantibus) praeter obulum h e b d o m a d a l e m , et in e u m d e m finem subministraverint, vel d e n i q u e quodlibet aliud Pietatis, aut Charitatis opus peregerint. 6 Q u i vero inter adscriptos infirmitatis c a u s a , vel Alias legitime fuerint impediti ad visitandam prsescriptarn Ecclesiam, seu publicum O r a t o r i u m , etiam quia propria Ecclesia Parochialis valde a d m o d u m d i s t e t , ex speciali Sanctitatis Suae gratia easdem Indulgentias lucrari p o s s u n t , d u m m o d o tarnen caeteras omnes conditiones adimplentes, alia pia o p e r a , vel preces a respectivis Confessariis injungendas praestiterint. Atque etiam Sanctitas Sua benigne i n d u l s i t , ut a d s c r i p t Christifideles, qui vel ob physicam infirmitatem, vel ob aliud legitimum i m p e d i m e n t u m enunciato Triduo ante duo festa Inventionis SSmae C r u c i s , ac S. Francisci Xaverii, a pia Societate, ut supra dictum est, celebrando interesse n e q u e a n t , e n u n c i a t a m nihilomin u s t e r c e n t o r u m dierum Indulgentiam consequi valcant, dummodo privatim respectiva Tridua p e r a g a n t . 7 Preaterea Sanctitas Sua b e n i g n e concessit, ut omnes a d s c r i p t i utriusque s e x u s , q u i in Religiosi » D o m i b u s , Collegiis, C o n s e r v a t o r i i s , aliisque Locis P u s , omnes scilicet, qui in Communitate, ut vulgo a p p e l l a n t , vitam d e g u n t , praefatas omnes Indulgentias lucrari possint propriam Ecclesiam, vel ea deficiente, etiam privatum d o m u s , qua degunt O r a t o r i u m , seu Cappellani v i s i t a n d o , i b i q u e , ut alias j a m dicium e s t , o r a n d o , loco visitationis ejusdem in praescripta Eccle-


92 lion, puissent encore gngner l'Indulgence de trois cents j o u r s énoncée plus h a u t , pourvu qu'ils fassent en leur p a r t i c u l i e r les exercices de ces trois j o u r s . 7° En o u t r e , Sa Sainteté veut bien accorder q u e tous les Associés de l'un et de l'autre sexe vivant d a n s les Maisons Religieuses, Collèges, Providences et autres Habitations P i e u s e s , c ' e s t - à - d i r e , tous ceux qui v i v e n t , suivant l'expression v u l g a i r e , en Communauté, puissent gagner toutes les Indulgences susdites en visitant leur propre église, ou m ê m e , à s o n d é f a u t , l'oratoire privé ou chapelle de la maison qu'ils h a b i t e n t , et en y p r i a n t comme il est dit a i l l e u r s , cela, au lieu de faire la m ê m e visite clans l'église o u oratoire public prescrit, pourvu qu'ils remplissent fi­ dèlement toutes les autres conditions. C'est pourquoi Sa S a i n t e t é , r e c o m m a n d a n t avec le plus vif i n t é r ê t , dans le S e i g n e u r , cette pieuse Institu­ tion fondée pour la prospérité et le soutien de l'œuvre très-salutaire des Missions, a o r d o n n é que tous ces P r i . viléges et Indulgences accordés p a r l'autorité apostolique fussent publiés d a n s é e Décret, sans a u c u n e expédition de Bref, afin que tous les fidèles du Christ agrégés à l'As­ sociation pussent jouir de cette riche effusion d'Indul­ gences et de grâces, en m ê m e temps qu'il leur est accordé de participer tant vivants que défunts aux t r a v a u x , p r i è r e s , suffrages et sacrifices, qui leur sont appliqués d a n s tout l'univers, p a r les Evêques et Mis­ s i o n n a i r e s , et par l'Association tout entière. Donné à R o m e , à la Secrétairerie d e la Sacrée Congrégation des Indulgences. Lieu + du sceau. F. CARD. A s q u i n i ,

Préfet.

A. Archipr. PRÏNZIVALLI, S u b s t i t u t » .


93 s i a , vel Oratorio publico peragendae, d u m m o d o caeteras omnes conditiones fideliter adimpleverint. Quapropter eadem Sanctitas Sua pium hoc Institutum ad saluberrimum Missionis opus fovendum, et substent a n d u m p l u r i m u m in Domino c o m m e n d a n s , haec om足 nia privilegia, et Indulgentias Apostolica auctoritate concessas p u b l i c a n hoc Decreto absque ulla Brevis e x 足 pedis ione m a n d a v i t , u t omnes Christifideles eidem adscripti elargitis Indulgentiis, et Gratiis perfruivaleant, quibus etiam tam vivis, quam defunctis concessum est, u t participes sint L a b o r u m , O r a t i o n u m , Suffragiorum, ac Sacrificiorum, quae pro ipsis ab Episcopis, et Missionariis per totum Orbem, ac ab universa Societate applicantur. Datum Romae ex Secretaria Sacrae Congregations Indulgentiarum. Loco + Signi F . CARD. ASQUINIUS,

A. A i c h i p r . PRINZIVALLI,

Praefectus.

Substitutus.


94

DÉCRET

POUR ROME ET L'UNIVERS.

AUDINCE DE

SA SAINTETÉ,

DU

10

SEPTEMBRE

1850.

Comme il s'est élevé u n e difficulté relativement à l'interprétation et au sens du second article d'un autre Décret de la Sacrée Congrégation des I n d u l g e n c e s , r e n d u le 17 octobre 1 8 4 7 en faveur de la pieuse Socié­ té de la Propagation de la Foi, la Sacrée Congrégation, après avoir pris de nouveau la décision de Notre Très-Saint Père le Pape Pie IX, a déclaré que cet arti­ cle devait être e n t e n d u ainsi : « Indulgence plénière est a c c o r d é e , u n e fois l ' a n , à tous les m e m b r e s de la pieuse Association, pour le jour où sera célébrée, d a n s quelque lieu q u e ce soit et avec les autorisations r e q u i s e s , la solennelle c o m m é moraison de tous les Associés défunts ; « De p l u s , partout où existe m a i n t e n a n t , partout où existera à l'avenir quelque subdivision de la dite Société, tels que Conseils diocésains, Divisions, C e n ­ t u r i e s , Décuries, ou même q u e l q u e section de ces d i ­

visions, Indulgence plénière est pareillement accordée,


9.5

URBIS ET ORBIS DECRETUM EX AUDIE1STIA SANCTISSIMI , DIE 10

SEPTEMBRIS

1050.

Cum aliqua difficultas irrepserit circa expositionem et intelligentiam Articuli Secundi alteri us Decreti hujus S. Congregationis I n d u l g e n t i a r u m diei 1 7 . Octobris 1 8 4 7 . pro pia Societate Propagationis F i d e i , h i n c i p s a S. C o n g r e g a n o , audito iterum Oraculo Sanctissimi Domini Nostri Pii P P . I X . , eumdem Articulum ita i n telligendum esse declaravit. ツォ Plenariam n e m p e I n dulgentiam concessam fuisse o m n i b u s piae Societati adscriptis semel in a n n o , die scilicet qua ubique l o corum debitis cum facultatibus solemnis Commemoraツュ tio omnium adscriptorum, qui ex h a c vita m i g r a r u n t , peragetur ; prseterea iis orbis t e r r a r u m locis d u m t a x a t in quibus praefatae Societatis quaedam subdivisio existit, vel in posterum existet, in Consiliis videツュ licet Diナ田esanis, Chiliarchiis, C e n t u r i i s , D e c u r i i s , aut in aliquibus t a m e n ex hujusmodi S e c t i o n i b u s , Indulgentiam similiter P l e n a r i a m concesam fuisse,


96 u n e fois l ' a n , soit pour le jour o ù , avec les autorisa­ tions requises dont il a été q u e s t i o n , la m ê m e commémoraison solennelle se fera par c h a q u e Conseil diocé­ sain pour tous les défunts en général q u i , au moment de leur m o r t , relevaient de ce conseil, Indulgence qui sera gagnée seulement par ceux qui seront alors sous ce m ê m e Conseil ; soit pour le jour o ù , toutes choses gardées comme d e s s u s , la m ê m e commémoraison se fera p a r quelque Division pour les défunts de la même Division, Indulgence qui sera gagnée seu­ lement par les m e m b r e s de cette Division. Il en est d e m ê m e des Centuries et Décuries, pourvu q u e ce j o u r là les Associés remplissent fidèlement toutes les c o n d i ­ tions prescrites et é n u m é r é e s d a n s le second article. « En o u t r e , Sa Sainteté a déclaré que c'était d a n s ce sens que devait être e n t e n d u ce qui concerne les Au­ tels Privilégiés, soit des églises, soit des oratoires pu­ blics, où cette solennelle commémoraison, générale ou particulière, doit être célébrée comme dessus. Et e n ­ fin, le même Très-Saint P è r e , afin q u e les âmes des dé­ funts de cette Société soient secourues par des suffrages de plus en plus efficaces, a déclaré que toutes et chaque messes q u ' u n ou plusieurs Associés, d a n s quelque lieu du m o n d e que ce s o i t , feront célébrer à u n autel quelconque pour u n ou plusieurs défunts q u i , au m o ­ m e n t de leur m o r t , appartenaient à la pieuse Associa­ t i o n , ou qui seront célébrées par des prêtres Associés, jouiront à perpétuité de la m ê m e grâce q u e si elles étaient dites à u n autel privilégié. « Donné à R o m e , à la Secrétairerie de la Sacrée Congrégation des Indulgences. Lieu + du sceau. « F.

CARD.

ASQUINI,

Préfet.

A. Archipr. PRWZIVALLI, Substitut

».


97 turn die q u a praeviis j a m dictis debitis facultatibus eadem solemnis Commemoratio fiet unica vice in quolibet anno ab aliquo Consilio Dicecesano g e ­ nerali ter pro omnibus defunctis s u b pra?fato Consilio d u m decesserunt existentibus, a c q u i r e n d a m ab a d ­ s c r i p t s t a n t u m s u b eodem pariter Consilio t u n c exis­ t e n t i b u s ; turn die q u a , in omnibus u t s u p r a , e a d e m Commemoratio fiet a b aliqua Chiliarcbia pro ipsius Chiliarchiae ex hac vita migratis, lucrifaciendam solu. l u m m o d o a b a d s c r i p t s eidem Chiliarchiae ; idemque dicendum de Centuriis et Decuriis ; dummodo t a m e n ea die praefati Adscript singulas injunctas conditiones in eodem Secundo Articulo enunciatas fideliter a d i m pleant. Insuper declaravit Eadem Sanctitas S u a hoc sensu intelligenda esse Altaria Privilegiata, sive Eccles i a r u m , sive publicorum Oratoriorum in quibus hujusmodi solemnis Commemoratio vel generalis, vel p a r ­ tialis sit u t supra celebranda. Et t a n d e m Idem S a n c tissimus Dominus N o s t e r , u t animae defunctorum ipsius Societatis magis, magisque suffragentur, decla­ ravit omnes et singulas Missas, quae ubique t e r r a r u m sive a b u n o sive a pluribus a d s c r i p t s pro u n o , vel pro pluribus defunctis, d u m m o r t e m oppetierunt a d e a m dem p i a m Societatem spectantibus, ad quodlibet Alta­ re celebrari fient, vel a Sacerdotibus a d s c r i p t s celebrab u n t u r , eadem in perpetuum gaudere g r a t i a , a c si in Altari Privilegiato celebrata? fuissent. P r e s e n t i valituro absque ulla Brevis expeditione. Datum Roma? e x Secret. S . Congregationis I n d u l gentiarum. Loco + Signi F.

CARD. ASQUINIUS,

A . Archipr. PRINZIVALLI,

Proefecius.

Substitutes.


98

TABLEAU DES INDULGRENCES

ACCORDÉES A L'OEUVRE DE LA PROPAGATION DE LA FOI PAR LES SOUVERAINS PONTIFES PIE V I I , LÉON XII, PIE VIII, GRÉGOIRE XVl ET PIE IX.

A tout Associé qui d o n n e u n sou par semaine et récite c h a q u e j o u r u n Pater et u n Ave avec l'invoca­ tion « Saint François-Xavier, priez pour nous » , sont accordées les Indulgences s u i v a n t e s , applicables aux âmes de purgatoire. 1° Indulgence p l é n i è r e , soit le 3 m a i , j o u r anni­ versaire de la fondation de l'OEuvre, soit le 3 décem­ b r e , fête patronale de l'Association, et p e n d a n t toute l'octave de ces deux fêtes. Elle peut être gagnée u n e fois seulement à chacune de ces é p o q u e s , par tout As­ socié q u i , contrit, confessé et c o m m u n i é , visite l'église ou l'oratoire publie de l'Oeuvre ou son église parois­ siale, et y prie suivant les intentions d u Souverain Pontife. En cas de translation d e ces fêtes, la même I n d u l gence peut se g a g n e r , aux mêmes conditions, depuis les premières vêpres du j o u r où elles sont transférées j u s q u ' a u coucher du soleil de ce m ê m e j o u r . (Pie VII, Bref du 15 M a r s 1823 — Pie VIII, Bref du 18 septembre 1829 — Grégoire XVI Brefs du 25 septembre }


99 1831 et du 15 novembre 1 8 3 5 — Pie IX, Décret du 17 octobre 1 8 4 7 . ( 1 ) . 2° Indulgence plénière deux j o u r s de c h a q u e m o i s , au choix des Associés, et aux mêmes conditions. (Mêmes Brefs). 3° Indulgence plénière le jour de l'Annonciation et celui de l'Assomption ou u n j o u r de leur O c t a v e , e n remplissant dans u n e église quelconque les conditions é n u m é r é e s plus haut. (Grégoire XVI, Bref du 2 2 juillet 1 8 3 6 ) . 4° Indulgence plénière, u n e fois l ' a n , et aux mêmes conditions, le jour où se célébrera u n e commémoraison solennelle de tous les Associés défunts. (Pie IX, Décret du 17 octobre 1847.) 5° Indulgence plénière, u n e fois l ' a n , et a u x m ê m e s c o n d i t i o n s , pour tout Associé le jour où son Conseil diocésain, sa Division, sa C e n t u r i e , sa Décurie, ou sa section célèbre la commémoraison des défunts ayant a p p a r t e n u au C o n s e i l , à la Division, à la Centurie ou à la Décurie dont il est m e m b r e . (Pie IX, même Décret). 6° Faveur des Autels privilégiés pour toute messe q u ' u n Associé dit ou fait d i r e , n'importe sur quel a u t e l , pour les défunts de la Propagation de la Foi. (Pie IX, même Décret). 7° Indulgence p l é n i è r e , à l'article de la m o r t , pour­ vu qu'animé de bonnes dispositions, l'Associé invoque au moins de c œ u r , s'il n e le peut de b o u c h e , le T r è s Saint n o m de Jésus. (Pie IX, même Décrêt). 8° Indulgence de trois cents jours chaque fois q u ' u n

( I ) Chacun de ces Brefs accorde tout «u partie de Plndulgonce men­ tionnée.


100 Associé assiste, au moins contrit de coeur, au Triduo que l'OEuvre fait célébrer aux fêtes du 3 mai et du 3 décembre. (Pie IX, même Décret.) 9° Indulgence de cent jours chaque fois q u ' u n As­ socié, contrit de c œ u r , récite le Pater et l'Ave avec l'invocation à saint François-Xavier, ou qu'il assiste à une assemblée en faveur des missions, ou qu'il d o n n e , outre l'obole h e b d o m a d a i r e , quelque a u m ô n e pour la m ê m e fin, ou qu'il exerce toute autre œuvre de piété ou de charité. (Pie VII, Bref du 15 mars 1823 — Pie IX, Décret du 17 octobre 1 8 4 7 . 10° Ceux que l'infirmité, l'éloignement ou autre cause légitime empêchent de visiter l'église d é s i g n é e , peuvent gagner les mêmes Indulgences pourvu qu'ils satisfassent aux autres conditions, et qu'ils suppléent à cette visite par d'autres œuvres ou prières indiquées par leurs confesseurs. (Léon XII, Bref du 11 mai 1824. — Pie IX, Décret du 17 octobre 1847. ) Les maisons religieuses, colléges, Providences et au­ tres communautés peuvent gagner les mêmes I n d u l ­ gences en visitant leur propre église ou oratoire p u b l i c , et, s'il n'y en a p a s , la chapelle privée de leur m a i s o n , pourvu que les autres conditions soient remplies. (Pie IX, même Décret.)


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NOTICE SUR LES PREMIERS ETABLISSEMENTS, LES PROGRÈS ET L'ÉTAT ACTUEL

DU CATHOLICISME AUX ÉTATS-UNIS, (SUITE (I)

.

Après avoir r a p p e l é , d a n s u n premier article, l'ori­ gine et les progrès de l'Eglise a m é r i c a i n e , il nous reste à étudier les divers éléments dont elle se compose, les ressources qu'elle possède, les besoins qui réclament encore nos s e c o u r s , et l'état sommaire de chaque d i o ­ cèse en particulier. Dans cette variété de peuples de toute l a n g u e et de toute couleur que l'Eglise d'Amérique a pour mission de consommer d a n s l'Unité, il est q u a t r e éléments p r i n c i p a u x , dont l'analyse distincte nous expliquera l'action, les difficultés et les résultats du saint ministère a u x Etats-Unis; ce sont : les descendants des anciens c o l o n s , les nouveaux é m i g r a n t s , les tribus i n d i e n n e s et les noirs esclaves. La première catégorie, celle des g r a n d s centres de.

( i ) Voir le № 182, page 3 2 9 .


102 population semés sur le littoral de l'océan et dans la vallée du Mississipi, possède u n ministère sacerdotal à peu près tel que nous le voyons d a n s nos contrées. Là comme en E u r o p e , avec le nombre et les ressources de m o i n s , il a pour but de perpétuer la foi dans les générations catholiques, de r a m e n e r les sectaires pai­ la discussion, et de léguer à l'avenir u n clergé indigè­ n e . Mais ce but g é n é r a l , il le poursuit dans des c o n ­ ditions qui lui sont propres : en voici les plus r e m a r ­ quables. D'abord, l'apostolat s'exerce d a n s un milieu d'indif­ férence religieuse. Elle est produite chez les Américains par le spectacle de ces innombrables sectes qui dégoû­ tent l'âme des choses de D i e u , en d o n n a n t leurs mille contradictions pour sa p a r o l e , et p a r cette impatience de jouir qui précipite toutes les existences s u r les chemins aventureux de la fortune et ne leur permet d'autre culte sérieux que celui de l'intérêt. Sous l'em­ pire de cette disposition, on va indistinctement d'une église à l'autre, on s'asseoit successivement au pied de toutes les chaires, s a n s autre motif q u e de satisfaire un goût de controverse, et en général sans autre résul­ tat que d'applaudir au talent de l'orateur. Ce qui attire de préférence aux temples catholiques, c'est l'accent grave et convaincu de la prédication, l'attrait de la musique religieuse et la majesté des cérémonies romaines. A côté d e cette indifférence générale se place u n e liberté sans limite pour l'action du p r ê t r e . Elle existe du côté de l'Etat, dont l'Eglise ne reçoit ni faveurs ni entraves ; d u côté de l'esprit public q u i , à défaut de religion positive, professe le respect de tous les cultes comme un dogme politique, comme u n e des formes de sa propre inviolabilité ; du côté de l'hérésie elle-même


103 q u i , d'abord tolérante par d é d a i n , p u i s , à la vue d e nos progrès, furieuse jusqu'à l'incendie et au sacrilège, a enfin compris qu'il valait mieux se montrer résignée dans l'impuissance, que se r e n d r e inutilement odieuse d a n s le fanatisme. « Chose étonnante ! la liberté qu'on disait mortelle au catholicisme, n'a profité qu'à l u i , et les sectes y suc­ combent. Privées de la tutelle du pouvoir q u i , sans prévenir les scissions intérieures de d o ctrin es , leur p r ê t e ailleurs u n corps factice en les absorbant d a n s la vie officielle de l'Etat, ici elles ont p u , affranchies de tout frein, s'abandonner à leur pente naturelle et a t ­ teindre les dernières limites de cette décomposition où les précipite le poids m ê m e de leur p r i n c i p e . Toutes les formules de l'erreur, tous les écarts de l'indiscipline, tous les morcellements de la discorde, elles les ont par­ courus d a n s u n e progression effrayante, jusqu'à ce qu'elles en soient venues à former autant de tronçons qu'elles ont déchiré de pages à leur Evangile en lam­ beaux. Réduites aujourd'hui à l'impuissance de se m u ­ tiler encore, parce qu'on ne fractionne pas la poussière, elles ne conservent plus d'autre symbole c o m m u n , d'au­ tre ralliement et d'autre vie que la haine du catholicis­ m e , chaque jour plus épanoui à ce soleil de la liberté qui les c o n s u m e . (1).

(1) Cette annihilation religieuse des sectaires

est si bien le résultat

inevitable, la conclusion suprême et rigoureuse des doctrines protestan­ t e s , qu'elle a été annoncée et décrite, il y a deux siècles, avec toute la précis on qu'on demanderait à l'histoire. Il serait impossible à un obser­ vateur contemporain de peindre avec plus de vérité ce qui se pas?e actuellement

aux Etats-Unis, que ne l'a fait Bossuet dans ces lignes

tracées

en 1 6 6 9 . « Chacun s'est fait à soi-même un tribunal où il l'est

« rendu l'arbitre de sa croyance...

Dès

lors en a bien prévu que la


104

E n effet, les institutions que l'Eglise

affectionne,

parce qu'elles lui donnent pour cortége la science et la charité, se sont toutes acclimatées sous le ciel américain; toutes o n t l'espoir de s'alimenter d ' u n e sève g é n é r e u s e , puisée dans le sol même où elles ont pris racine, et se cou­ vrent déjà de r a m e a u x indigènes. Un seul ordre avait jusqu'ici échoué sur le territoire de l'Union, c'était l'aus­ tère Trappiste qui n'a que ses prières et ses sueurs à d o n n e r pour la rançon des âmes ; et voilà qu'il vient de compléter par u n e colonie nouvelle cette g r a n d e famille de Religieux qui compte déjà quatre-vingt-une c o m m u ­ nautés. Dans ces pieuses fondations, il est à r e m a r q u e r que les maisons d'hommes ont généralement plus de peine à s'établir que celles de f e m m e s , près de trois ois plus nombreuses ( 1 ) . Les vocations ecclésiastiques rencontrent aussi des obstacles analogues dans ces idées d'affranchissement absolu, dans ce besoin d'émancipa

« licence n'ayant plus de frein, les sectes se multiplieraient jusqu'à l'in« fini ; et que tandis que les uns ne cesseraient de disputer, ou donne« raient leurs rêveries pour inspiration, les autres fatigués de tant de « folles visions, et ne pouvant plus reconnaître la majesté de la Reli« gion déchirée par tant de s e c t e s , iraient enfin chercher un repos « funeste et une entière indépendance, dans l' indifférence des religions a ou daus l'athéisme »

:

Oraison funèbre de Henriette

de

France,

(1) Dès l'année 1 8 4 3 , il y avait aux Etats-Unis huit cent cinquantecinq Religieuses, connues sous les dénominations de Carmélites, Ursulines, Dominicaines, Sœurs de la Providence, de la Miséricorde, de Notre-Dame, de la Retraite, de Saint-Joseph, de la Visitation, du Sacré-Cœur, de Lorette et de la Charité Le nombre des jeunes pension­ naires élevées par ces Religieuses, était alors de trois mille ; celui des orphelines recueillies dans leurs asiles, de huit cent soixante-seize, et celui des petites filles pauvres instruites par elles dans les écoles gra­ tuites, de trois mille neuf cent trente. Lettre de Mgr Rosati, Evêque de Saint-LOUIS, —— 1 8 4 3 .


105 tion p r é c o c e , qui tourmentent au sortir du berceau la jeunesse du Nouveau-Monde. Cependant le clergé n'en est plus comme autrefois à r é p a r e r exclusivement les pertes du sanctuaire par des e m p r u n t s faits à l'Europe : ses deux cent soixante-sept élèves des séminaires sont fournis en grande partie p a r des sources nationales, et la majorité de son épiscopat'est aujourd'hui d'origine a m é ­ ricaine. Si l'auréole du martyre lui a m a n q u é , s'il n ' a pas reçu l'onction du sang qui sacre aux yeux des peu­ ples tout apostolat naissant, le sacerdoce des Etats-Unis y a suppléé de son mieux chaque fois, qu'a défaut d 'a ­ r è n e s , les épidémies sont venues le mettre aux prises avec la m o r t : sur ce terrain, où les ministres p r o t e s ­ tants n'ont pas osé le suivre, il a su par son dévoue­ ment s'imposer à l'admiration et à la reconnaissance de ceux mêmes qu'on avait formés à le haïr (1). Considérée dans son organisation intérieure, l'Eglise des Etats-Unis n ' a pas de paroisses proprement dites. Le prêtre qui dessert u n e localité, en est moins le pas­ teur que le missionnaire ; il donne u n e sollicitude s p é ­ ciale aux brebis placées sous sa houlette, mais il reste à la disposition de tout le troupeau, Aussi ses pouvoirs

(1) A l'époque récente où le typhus désolait le Canada, des

Pire

Jésuites qui venaient de clore l'année scolaire dans un collège de l'Union, demandèrent et obtinrent la faveur d'aller passer leurs vacances dans les hôpitaux encombrés de mourants. Une des plus illustres victimes

de cette héroïque charité, à l'époque dont

nous

parlons, fut Mgr

Power, Evêque de Toronto sur la frontière des Etats-Unis. Lorsque la contagion envahit son diocèse, la santé du Prélat était déjà chancelante, et son médecin le pressait d'éviter le contact des malades sous peine de courir à une perle certaine. « Je le sais, répondit l'Evêque, c'est ma « mort, mais c'est mon devoir » , Et il alla mourir. TOM.

XXIII.

135.

7


106 n'expirent pas aux confins du poste qu'il occupe ; ils n'ont d'autres limites que celles du diocèse : ce qui p e r ­ met de mobiliser son d é v o u e m e n t , de l'appeler sur tous les points comme à tous les emplois. Celte variété de ministères est souvent le partage de l'Evèque aussi bien que de son clergé. Il y a peu de temps qu'un Pré­ lat américain cumulait à la fois, outre l'administration diocésaine, les fonctions de curé dans sa ville épiscopale, celle d'architecte de sa cathédrale aujourd'hui achevée, et celle de professeur dans son collége situé à plusieurs milles de sa résidence. Sous l'action d'un apostolat si l a b o r i e u x , la popula­ tion catholique des villes s'est rapidement améliorée, et ses heureuses dispositions, comme sa force numérique, suivent plus que jamais une voie progressive. Le carac­ tère distinctif de ce mouvement religieux est qu'il s'ef­ fectue de bas en haut. En Amérique comme au berceau de la foi c h r é t i e n n e , les délaissés de ce monde sont venus les premiers se grouper autour de la croix ; la semence évangélique a d'abord germé dans la souffrance, et de ces couches populaires, ordinairement trempées de larmes, elle monte graduellement vers les conditions supérieures, qu'elle atteindra mieux encore lorsque ses sanctuaires agrandis cesseront en quelque sorte d'hu­ milier ceux qui les fréquentent. Envisagés dans leur ensemble, les fidèles de l'Union sont animés d'un bon esprit. Déjà plus d'un quart de nos frères a m é r i c a i n s , c'est-à-dire cinq cent mille e n v i r o n , se distinguent par la pratique de tous les devoirs religieux. Leur exemple gagne de proche en proche la masse des indifférents, qui sentent la confiance leur venir avec le n o m b r e , et se prennent d'une sainte émulation pour les pompes de leur culte trop longtemps oublié. C'est ainsi qu'en 1 8 4 9 , la ville de Cincinnati a vu cinq mille hommes


107 à une de ses processions, et c o m p t é , p e n d a n t u n e re­ traite de neuf j o u r s , cinq mille c o m m u n i a n t s , dont quinze cents étaient des hommes mariés. Quelques mois a p r è s , c'étaient encore mille jeunes gens de la même ville qui recevaient la sainte hostie des mains de Mgr Purcel (1). Un dernier indice qui nous révèle le zèle et l'amour des laïcs pour leur foi, c'est qu'ils s'en font les organes et les apologistes dévoués d a n s la presse périodique : on compte aux Etats-Unis douze Gazettes ou Revues qui prêtent avec succès leur publi­ cité au triomphe de la Religion. A ces faits consolants se mêlent aussi des sujets d e tristesse. Si les apostasies deviennent plus r a r e s , il se produit encore quelques défections. Mais elles sont largement compensées p a r les conversions nouvelles. Ce qui prépare en général ces retours des Protestants à l'Unité, ce sont les écoles catholiques, où des famil­ les dissidentes s'estiment heureuses de placer leurs en­ fants sous la sauvegarde du sacerdoce et de la virginité. Au sortir de ces m a i s o n s , dans lesquelles on n'exerce d'autre prosélytisme que celui de l'exemple, les j e u n e s Américains emportent avec e u x , sinon la foi, du moins u n souvenir pieux de ceux qui l'enseignent ; ils ai­ m e n t à redire les vertus dont ils ont été t é m o i n s , et ils s'en font au besoin les defenseurs contre ceux qui les attaquent sans les connaître. Plus t a r d , la réflexion m û r i t ces germes de la g r â c e , et r a m è n e souvent l'é­ lève convaincu au berceau de son e n f a n c e , au pied des autels de ses maîtres bien-aimés. Il est d'autres conversions plus laborieusement accomplies ; elles sont

( 1 ) Extrait DE l'Ami de la vérité,

journal catholique de Cincinnati.


108 le fruit d'une étude persévérante, de la lassitude et du dégoût d e l ' e r r e u r , des luttes et des angoisses de la conscience humaine en quête de la vérité. Aux EtatsU n i s , plus que partout a i l l e u r s , il y a des âmes désa­ busées de vains symboles, des intelligences élevées qui, se fatigant de flotter à tout vent de doctrine, viennent d e m a n d e r à l'Unité de calmer leurs doutes et d'apaiser leur muet désespoir. Les rangs du sacerdoce se sont déjà ouverts à plusieurs de ces h e u r e u x t r a n s f u g e s , qui invitent maintenant leurs frères égarés à se réfu­ gier comme eux dans la foi a n t i q u e , seule retraite assurée contre les incertitudes de l'esprit et les orages du c œ u r . Telle est la physionomie générale des a n ­ ciens diocèses. Passons à ceux qui se forment aujour­ d'hui p a r l'émigration. On sait que le peuple américain est u n m o n d e pour ainsi dire formé d'alluvions, q u e par ses ports, tournés vers l ' E u r o p e , il attire à lui tous ceux q u e la souffrance a déracinés du sol n a t a l , et que les flots charrient sans cesse d e nos côtes orageuses vers ses rivages hospita­ liers. Chacune de nos calamités a concouru à sa for­ tune. La persécution religieuse lui a d o n n é ses colonies de proscrits, la politique lui a jeté ses vaincus, la guerre lui a longtemps fourni son contingent de victi­ m e s , les troubles et la misère de notre vieille société ont fait et font encore le reste. Ces exilés volontaires quittent sans retour u n e patrie qui n'a plus ni calme ni pain à leur d o n n e r . Les uns se h â t e n t de m e t t r e la barrière de l'océan entre eux et nos révolutions, p r é ­ férant aux orages des cités les orages du désert. Les autres, véritable conscription levée périodiquement par la faim, s'en vont chercher ailleurs des champs qui les nourrissent. C'est par trois cent mille que l'Europe, si riche en m a l h e u r e u x , les exporte a n n u e l l e m e n t en


109 Amérique avec ses autres produits, Souvent il arrive q u e les émigrants d'une même contrée s'unissent pour s'expatrier ensemble. Comme l'Indien dont ils vont oc­ cuper la p l a c e , ils ont dit adieu aux ossements de leurs p è r e s , et on les voit s'acheminer p a r troupes vers les bords de l ' o c é a n , à travers d'autres mal­ h e u r e u x qui envient leur sort ; l'obole du pauvre recueillie en passant les conduit j u s q u ' a u navire où ils sont entassés ; u n e sorte de vénération pour l'exilé environne leur d é p a r t , et bientôt les solitu­ des profondes de l'abîme les préparent à l'isole-» nient lointain des forêts. E n tête de ces peuplades emigrantes m a r c h e n t les Irlandais. Enfants d ' u n e nation magnanime q u i n'est pauvre que parce qu'on l'a dépouillée, ils partiraient j u s q u ' a u dernier homme si la misère ne les condamnait pas à mourir sur leur sol inutilement fertile (1). Les plus h e u r e u x , 200 mille e n v i r o n , jouissent annuelle­ ment du privilège de s'expatrier. Mais sous quelques cieux qu'ils s'exilent, que ce soient les plages d e l'Oc é a n i e , du Nouveau-Monde ou de l'Afrique qui les re­ cueillent, nulle part ils ne perdent l'amour de leur foi (2). On dirait qu'il a plu à la divine Providence de t e n i r ce peuple fidèle sous le pressoir, afin qu'il quittât la demeure de ses p è r e s , et que sa dispersion fût une semence de chrétiens chez les nations lointaines (3). Ce sont eux qui ont donné aux Etats-Unis la plus grande partie de la population catholique, et qui versent encore

(1) Mémoire de Mgr Portier, Evêque de Mobile. — 1 8 4 9 . (2) Lettre de Mgr Devereux, Vicaire apostolique au Cap de BonneEspérance, —- 20 juillet 1 8 5 0 . (3) Lettre de Mgr Byrne, Evéque de Litte-Rock, — 1 9 5 0 ,


110 c h a q u e a n n é e d a n s son sein n i tribut de cent cin quante mille âmes. L'Allemagne déchirée par ses divisions i n t e s t i n e s , va aussi chercher le travail et la paix sous les forêts américaines. On croit qu'elle leur fournit au moins 80 mille colons p a r a n . Sans parler de l'Ohio, de l'Ind i a n a , de l'Jowa et du Missouri où ils affluent ( 1 ) , le Wisconsin compte à lui seul plus de 200 mille é m i g r é s , pour la plupart d'origine g e r m a n i q u e . Chez eux la p a ­ trie absente conserve toujours u n culte filial ; ils aiment à se grouper pour s'entre-secourir d a n s les mêmes pro­ vinces, à reconstituer des familles allemandes sur u n sol é t r a n g e r , à graver sur tout ce qui les e n t o u r e , s i ­ t e s , h a m e a u x ou c h a p e l l e s , l'empreinte de leurs p a ­ triotiques souvenirs. Q u a n d u n essaim considérable de ces cultivateurs pélerins va s'installer au d é s e r t , il em­ m è n e ordinairement avec lui u n p r ê t r e de sa nation p o u r partager ses travaux et ses p e i n e s , qu'il peut seul adoucir. Souvent c'est lui qui d i s t r i b u e , comme u n p è r e à ses e n f a n t s , les terres à défricher. Le premier a r b r e abattu sert à façonner u n e croix. De ses branches enlacées on construit avant tout l'oratoire de feuilla­ ge ; et le soir v e n u , après la p r i è r e faite en c o m m u n , la j e u n e colonie s'endort autour d'un g r a n d f e u , ou distrait son insomnie à calculer l'avenir d e son œ u v r e civilisatrice, accomplie dans la solitude, sous les yeux de Dieu seul ( 2 ) . Né sous d'aussi pieux auspices, le vil­ lage grandit bientôt par l'arrivée de nouveaux frères ;

(1) Ou nous écrit que, dans la seule ville de Cincinnati, leur nombre s'est élevé de 5 , 0 0 0 à 4 0 , 0 0 0 pendant les 1 5 dernières années, qu'ils y ont bâti sept grandes églises de 1 8 3 3 à 1 8 4 9 . (2) Lettre du R. P. Cziwtkowietz, Rédemptoriste, 1 8 4 3 ,

et


111 ils le reconnaissent de loin à son clocher q u i domine la forêt ; c'est le signe du ralliement p o u r les émigrants de Trêves qui vont à Saint-François-Xavier, pour ceux d e la Bavière qui accourent au Mine-Sota ou à Germantown déjà peuplée de 1,800 c a t h o l i q u e s , ou pour les colons d u Luxembourg qui forment p r è s du l a c Michigan u n e paroisse de 3,000 fidèles. Alors les huttes sont converties en m a i s o n s , la chapelle e n é g l i s e , et ce n'est pas sans verser de douces l a r m e s q u ' u n j o u r , au fond des bois, l'enfant de la Germanie e n t e n d i a cloche du pays natal tinter pour la première fois l'An­ gelus ; ce n'est pas sans u n e émotion sainte q u e , d u milieu des lacs qu'il traverse à toute v a p e u r , le voyageur. catholique salue de l o i n , au faite des églises d e Green-bay, de P o r t - W a s h i n g t o n et de W a l k e r s p o i n t , le signe auguste de notre Rédemption : car au sein des solitudes américaines, ce q u e le phare est au navigateur d a n s l'obscurité de la n u i t , la croix l'est au chrétien sur la flèche de ses temples où le soleil la fait étinceler(l). Aux d e u x sources principales de l'émigration, l'Al­ lemagne et l ' I r l a n d e , il faut ajouter la F r a n c e , la Bel­ g i q u e , l'Espagne et l ' I t a l i e , qui c o n c u r e n t p o u r u n chiffre mal défini au versement a n n u e l de 300 mille étrangers sur le territoire de l'Union. S u r ce n o m b r e , qui s'est parfois élevé jusqu'à quatre ou cinq c e n t mille, plus des trois cinquièmes sont catholiques. C'est donc de 200 à 2 5 0 mille enfants adoptifs que le ciel envoie chaque année à l'Eglise américaine. Aussi sa plus grande sollicitude est-elle d'aller au devant de ces frères qui ont faim et soif à leur arrivée , q u i d e m a n d e n t à être ré­

(1) lettre du R. P. Joseph Salzmann, 5 mars 1 8 5 0 .


112 chauffés ou n o u r r i s pour quelques j o u r s ; ear ils sont m a l h e u r e u x p o u r la p l u p a r t , et b e a u c o u p d'entre e u x n e s o r t e n t du n a v i r e q u e p o u r e n t r e r à l'hôpital. Longtemps cette misère a fait le deuil d e l'Eglise p a r les défections qu'elle enfantait. Alors l'émigré c a t h o l i ­ q u e , privé d e tout secours et tombant isolé a u milieu des masses du p r o t e s t a n t i s m e , y perdait souvent sa foi, c o m m e l'eau d u ciel perd sa d o u c e u r native en t o m b a n t d a n s les m e r s . Nous allons r é s u m e r , d'après u n illus­ tre P r é l a t , les causes d e ces anciennes apostasies, n e fût-ce q u e p o u r constater les a v a n t a g e s du p r é s e n t , et signaler les conditions auxquelles on p o u r r a p r é v e n i r le r e t o u r d'un passé d o u l o u r e u x . « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

« Les principales causes d e nos p e r t e s , dit Mgr E n g l a n d , s o n t : 1 l'affluence d ' u n g r a n d n o m b r e d e catholiques é m i g r a n t s , d a n s u n p a y s où r i e n n'était p r é p a r é p o u r faciliter la p r a t i q u e de l e u r culte, et o ù , a u c o n t r a i r e , l'exercice d e leur Religion r e n c o n t r a i t u n e foule d'obstacles qui devaient p a r a î t r e i n s u r m o n tables à des étrangers ; 2° Le défaut d'établissements p o u r élever les enfants et les orphelins catholiques d a n s la religion d e leurs pères ; 3° L'absence d ' u n clergé assez n o m b r e u x p o u r r é p o n d r e à tous les b e s o i n s , assez familiarisé avec la l a n g u e d u pays p o u r p a r l e r e n public, assez initié a u génie de la n a t i o n , à son g o u v e r n e m e n t et à ses lois p o u r agir toujours avec c o n n a i s s a n c e d e c a u s e ; 4° Le m a n q u e d e confiance mutuelle e n t r e les é m i g r a n t s , et p a r suite le défaut d e coopération p o u r fondre e n s e m b l e les différentes n a t i o n s , q u i , tout en a y a n t la m ê m e foi et le m ê m e z è l e , é t a i e n t c e p e n d a n t trop séparées p a r leurs usages et l e u r s intérêts p o u r agir c o m m e u n seul corps ; 5° L'activité, les ressources p é c u n i a i r e s , les efforts bien concertés des diverses sociétés p r o t e s t a n t e s , o


113 « q u i , b i e n que divisées d a n s leurs c r o y a n c e s , sont « toujours u n i e s lorsqu'il s'agit de tenir en échec le « catholicisme ( 1 ) . Nous l'avons d i t , ces causes o n t en partie d i s p a r u . Mais elles n e t a r d e r a i e n t p a r à r e n a î t r e , si notre c h a ­ rité cessait u n i n s t a n t de faire u n contre-poids a u x charges nouvelles q u e l'émigration impose à l'Eglise des E t a t s - U n i s . Ces c h a r g e s , q u e sont-elles ? Les P è r e s du V I P Concile de Baltimore vont nous l ' a p p r e n d r e ( 2 ) . « Vous c o m p r e n d r e z facilement, n o u s d i s e n t - i l s , l'im« mensité de nos besoins et la g r a n d e u r d e notre r e s « p o n s a b i l i t é , lorsque vous saurez q u e l'émigration « e u r o p é e n n e et catholique dépasse m a i n t e n a n t , « p a r a n n é e , le chiffre de 2 5 0 mille â m e s ! Les é m i « g r a n t s s o n t , à p e u d'exceptions p r è s , d é n u é s d e « ressources. A ces p a u v r e s , il faut des églises, des « p a s t e u r s ; à leurs e n f a n t s , de l'instruction, le p a i n « spirituel et souvent la n o u r r i t u r e du corps. C o m « prenez bien q u e , p o u r l ' a u g m e n t a t i o n des c a t h o l i « ques s e u l s , nous devrions n o u s p r o c u r e r a n n u e l l e « m e n t trois cents prêtres, bâtir trois cents églises, trois « cents écoles ! O r voici quelle est n o t r e situation : les « vieux diocèses n e r é p o n d e n t q u e faiblement aux cris « et a u x besoins d e cette multitude ; ceux q u i sont n a i s « sants-, qui n'ont q u ' u n e population f a i b l e , éparse et « p a u v r e , languissent faute d'assistance » . Les six cent c i n q u a n t e mille francs q u e l ' Œ u v r e alloue c h a q u e a n n é e a u x E t a t s - U n i s , sont c o m m e l ' h u m b l e pierre apportée p a r nos m a i n s à ces créations incessantes. « Jusqu'ici l'existence de la P r o p a g a t i o n de

(1) Lettre de Mgr England, (2) ULTRA du 14 mai 1 8 4 9 .

Evêque de Charleston.

— 1836 ;


114

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

la Foi, dit encore Mgr E n g l a n d , a été pour nous u n immense bienfait ; àujourd'hui la continuation de vos efforts nous est devenue u n e i n d i s p e n s a b l e nécessité ; et si n o u s étions m a i n t e n a n t a b a n d o n n é s , ce serait u n e question de savoir si votre générosité de quelques a n n é e s n ' a u r a i t pas été plus nuisible q u ' a v a n t a g e u s e à nos Missions. Mais n o u s n'avons r i e n à c r a i n d r e de semblable. Les règles de p r u d e n c e q u e vous avez adoptées vous interdisent de vous occuper de ce qui n'est pas de votre ressort, t a n d i s q u e vous agissez fortement d a n s la sphère qui vous a été tracée : vous amassez des trésors pour ceux qui sont d a n s l'indigence, et vous en confiez la distribution à ceux: q u i , selon la discipline de l'Eglise, sont chargés de soigner ses intérêts. Et certes, vous n'êtes pas s a n s consolations : vous avez bâti des églises, fondé des s é m i n a i r e s , créé des c o u v e n t s , établi des é c o l e s , arraché des orphelins à la misère et au danger de la r u i n e éternelle. Des milliers d ' h o m m e s , assis n a g u è r e à l'ombre de la m o r t , lèvent m a i n t e n a n t les m a i n s pour vous b é n i r , parce que vous les avez appelés à jouir de la lumière et de la chaleur q u e r é p a n d le le véritable Orient (1) » ( La mite à un autre

Numero).

(1) Lettre de MgrEng-bru!, Evêque Charleston, N° 5 7 , page 2 5 7 .


115

M I S S I O N S

DE LA BAIE D'HUDSON.

Lettre du R. P. Laverlochère, oblat de Marie à Mgr l'Evêque de Marseille, Supérieur cette Congrégation.

Immaculée général de

Montréal, décembre 1 8 4 9 ,

MONSEIGNEUR ET TRÈS-RÉVÉREND P È R E ,

« Six ans se sont déjà écoulés depuis le j o u r o ù , prosterné aux pieds d e Votre G r a n d e u r , j e sentais votre m a i n paternelle levée pour me b é n i r , et j e r e ­ cueillais ces touchantes paroles qui n ' o n t jamais cessé de retentir a u fond d e m o n â m e : «Allez, m o n fils, allez trouver ces âmes a b a n d o n n é e s . . . Un champ i m ­ m e n s e s'ouvre devant vous » . Vous m e recommandâtes de vous d o n n e r des détails s u r les missions confiées à mes seins. Heureux d'obéir à cette i n v i t a t i o n , j e


116 p r e n d s la liberté d e vous adresser le récit d e mon der­ n i e r voyage p a r m i les habitants des forêts. Malgré les scènes douloureuses qu'il r e t r a c e , il est encore plus consolant qu'il n'est p é n i b l e , et le d e r n i e r d e vos e n ­ fants peut bien ici s'écrier avec le prophète-roi : Euntes ibant et flebant, mittentes semina sua; venientes autem ventent cum exultatione (1). J'essayerai d e vous trans­ m e t t r e fidèlement tous les traits édifiants dont j'ai été t é m o i n , et j'ose espérer q u e l'intérêt déjà si vif q u e vous portez aux m a l h e u r e u x sauvages, sera encore a u g ­ m e n t é , s'il est possible, à la vue des efforts qu'ils font p o u r r é p o n d r e à votre sollicitude, si empressée à leur envoyer des missionnaires. « Ce fut pour moi u n e bien douce consolation, lors q u ' a u printemps d e r n i e r , j ' e u s le b o n h e u r d e m ' a d j o i n d r e deux confrères : j e n'avais pu jusqu'alors en avoir q u ' u n , et m ê m e quelquefois j'avais été obligé d ' e n t r e p r e n d r e seul u n l o n g , pénible et toujours d a n ­ g e r e u x voyage. Mgr l'Evêque d e Bytown avait assigné au R. P. Clément les missions i n d i e n n e s du Canada j u s q u ' a u lac Abbitibbi, tandis q u e le R. P . A r n a u d devait m'accompagner jusqu'aux postes les plus reculés d e la Baie d'Hudson. Nous partîmes tous les trois de Bytown a u c o m m e n c e m e n t de m a i , après nous être m i s sous la protection de Marie Immaculée, p a t r o n n e de cette ville et de notre Congrégation, et nous être m u n i s d e la bénédiction paternelle de celui q u e l'obéissance a placé à la tête d e cet immense diocèse. J e ne vous dirai p a s , M o n s e i g n e u r , les difficultés q u e n o u s é p r o u v a m e s , ni les dangers q u e n o u s c o u r û m e s ,

(1) Ils allaient et pleuraient en répandant leurs seraenees ; mais ils reviendront dans la joie. Ps, 1 2 5 , V. 7 et 8 .


117 pour n o u s r e n d r e à T é m i s k a m i n g , où nous devions laisser le P . Clément. Comme nous craignions d'ar­ river des

trop

tard

pour

nous

embarquer

canots de l'honorable Compagnie

d'Hudson, eaux

dans

l'un

d e la Baie

nous voyagions à g r a n d e s journées. L e s

étaient

si

hautes

et le c o u r a n t si r a p i d e ,

q u e nous fûmes plusieurs fois s u r le point d'être e n ­ traînés d a n s des gouffres affreux. Un j o u r , n o s r a m e u r s placés au-dessus d ' u n e cascade qu'il nous fallait r e m o n ­ t e r , tiraient le canot avec u n e corde. Tout-à-coup cette corde se rompt et la b a r q u e est emportée comme u n éclair. Point d ' a u t r e perspective alors q u e celle de n o u s briser contre u n a r b r e placé au milieu d u c o u r a n t , o u d'être à jamais engloutis d a n s les tourbillons q u e for­ mait au-dessous d e n o u s la chute de la rivière. N o u s allions périr 1... Mais nous v e n i o n s de chanter u n c a n ­ t i q u e à M a r i e , et cette b o n n e m è r e vint à notre aide ; ce q u e n o u s craignions c o m m e u n é c u e i l , ce q u i de­ vait c a u s e r notre

perte,

devint

a u contraire

notre

moyen d e salut. U n I r o q u o i s , q u i gouvernait le c a n o t , le voyant s u r le point d e h e u r t e r contre l ' a r b r e , se pré­ cipite d a n s l ' e a u , d'une main s'attache a u x b r a n c h e s , et d e l ' a u t r e r e t i e n t le b a t e a u s u s p e n d u s u r l'abîme. Nous étions tous les trois d e d a n s ! Les autres r a m e u r s eurent

ainsi le temps d e

r e n o u e r la corde ;

nous

é c h a p p â m e s encore cette fois à la m o r t , et n o u s r e c o m ­ m e n ç â m e s à naviguer e n c h a n t a n t l ' A v e , maris Stella. « A m e s u r e q u e nous approchions des l i e u x où n o u s avons e u le b o n h e u r d'enfanter à Jésus-Christ des h o m ­ m e s naguères si b a r b a r e s

et si m a l h e u r e u x , et o ù ,

p a r c o n s é q u e n t , j ' a i placé depuis lors mes plus c h è r e s affections, milles pensées assiégeaient m o n â m e . R e verrai-je ces bons néophytes, q u i , l ' a n n é e d e r n i è r e , versaient des larmes en me q u i t t a n t ? Que sont-ils de-


118 venus depuis m o n départ ? Nous étions encore à d e u x j o u r n é e s d e T é m i s k a m i n g , lorsque n o u s aperçûmes u n e douzaine d'Indiens de ce poste. Dès qu'ils recon­ n u r e n t notre canot, ils a c c o u r u r e n t au devant de n o u s . La joie q u e leur causait la vue des Robes noires, n e pou­ vait toutefois effacer e n t i è r e m e n t l'expression de tristesse r é p a n d u e sur l e u r visage. J e m'empressai d e leur e n d e m a n d e r la raison, et ils me dirent : « Mon p è r e , u n g r a n d n o m b r e d e ceux q u e tu avais laissés pleins de vie et de s a n t é , ont cessé de vivre. T u n e les verras plus au lieu d e la mission ; m a i s tu y trouveras encore q u a n t i t é de mala­ des qui, disent-ils, t'attendent p o u r m o u r i r . Ils b é n i s s e n t le Grand Esprit d'avoir été arrosés d e l'eau de la prière (le b a p t ê m e ) , et n e c r a i g n e n t p a s de quitter ce m o n d e . Mais il n ' e n est pas d e m ê m e de ceux q u i n e p r i e n t pas (les païens) : ceux-là sont effrayés et disent qu'ils n e prieront jamais ; ils n e v e u l e n t ni s'approcher d e la sainte c a b a n e , n i laisser baptiser leurs enfants, p e r s u a ­ dés q u e cela les ferait périr. T u n e les r e n c o n t r e r a s pas au village ; ils sont tous d a n s les bois, a u x alentours du fort, et plus q u e jamais ils boivent de la l i q u e u r de feu (eau-de-vie). Quelques-uns d e ceux qui sont b a p t i s é s , et qui avaient dit : j e n e boirai p l u s , ont bu d e n o u ­ veau cet hiver, parce q u e les p a ï e n s l e u r o n t fait croire q u e c'en serait fait d'eux s'ils n e buvaient plus. Ils nous ont aussi sollicités plusieurs fois en nous p r é s e n t a n t d e la l i q u e u r d e f e u , m a i s nous n ' e n boirons j a m a i s . . . » . « T a n d i s qu'ils m e parlaient a i n s i , leurs yeux se remplissaient de l a r m e s , et s u r l e u r physionomie se pei­ gnait u n e douleur p r o f o n d e , u n i e à u n e sainte rési­ gnation, q u e j e n'eusse pas m ê m e soupçonnée chez l'ha­ bitant des forêts, m a i s qui n e se trouve que chez celui qui est régénéré. Chacune des paroles q u e je venais d ' e n ­ tendre avait été un trait qui m e perçait le c œ u r , car d e -


119 puis le jour où nous m'envoyâtes, Monseigneur, évangéliser ces peuplades infortunées, j e n'ai eu d'autre pen­ sée q u e leur propre b o n h e u r , trouvant le m i e n à les instruire et à me sacrifier pour elles. L ' a d m i r a b l e rési­ gnation avec laquelle souffrent ces I n d i e n s , la foi et la charité qui les a n i m e n t , la joie qu'ils font éclater en revoyant le p r ê t r e , voilà le b a u m e avec lequel le mis­ sionnaire adoucit la douleur q u e lui c a u s e l'affliction de ses enfants. « Nous étions encore à plus d'un mille du poste, q u e déjà nous apercevions tous ces bons néophytes ac­ courant sur le rivage. Les hommes et les enfants avaient le fusil à la main et saluaient notre arrivée par de n o m ­ breuses décharges. Toute la mission avait fait trêve à sa douleur et pris u n air de fête. A voir ces excellents chrétiens, on eût dit q u e rien n e m a n q u a i t à leur b o n ­ heur; mais hélas! j e reconnus bientôt qu'il n'y avait point d'exagération d a n s le récit qu'on m'avait fait de l e u r dé­ tresse. Si je m'adressais à u n h o m m e pour lui d e m a n d e r des nouvelles de sa femme et de ses enfants que j e n e vo. yais p l u s , son silence et les grosses larmes qui coulaient sur ses joues pâles et d é c h a r n é e s , semblaient m e dire : « Mon père, ils ont pris le devant dans u n m o n d e meil­ leur, m a i s je vais bientôt les rejoindre !...» On se trom­ perait beaucoup si l'on s'imaginait qu'il y a m o i n s de sensibilité chez nos Indiens catholiques q u e parmi les hommes civilisés. J'en ai rencontré quelquefois, assis sur le bord des rivières, les yeux baissés et pleins de l a r m e s , l'air triste et a b a t t u , se refusant à p r e n d r e au­ cune n o u r r i t u r e , parce qu'ils avaient vu en quelques jours leur famille entière descendre d a n s la tombe; m a i s ils se r a n i m a i e n t aussitôt que le prêtre faisait briller à leurs yeux l'espérance d'une éternité b i e n h e u r e u s e . N'eût-il d'autre s u c c è s , le missionnaire serait déjà plus


120 que payé de ses fatigues. J a m a i s le philosophe n'aura cette puissance ni cette joie. « Les canots destinés à nous transporter, le P . Arnaud et moi, à la Baie d'Hudson n e devant partir q u e dans douze j o u r s , je profitai de ce retard pour instruire et consoler ce bon peuple. Jamais, hélas ! il n'avait eu plus besoin de notre ministère. Mon confrère utilisa ce temps à réaliser le projet, formé depuis plusieurs a n n é e s , d'aller visiter u n nouveau poste appelé Mattawagamang u e , situé à sept ou huit journées de marche au nordouest de Témiskaming. C'est u n trajet extrêmement difficile. La rivière, dans beaucoup d'endroits, cesse d'être n a v i g a b l e , et alors il faut porter le canot et les bagages à travers les b o i s , par des chemins affreux, et cela p e n d a n t l'espace de huit à neuf milles. Là comme a i l l e u r s , l'arrivée d u missionnaire fut un sujet d'allé­ gresse pour les u n s et de terreur pour les autres. Ces d e r n i e r s , s'étant mis dans l'esprit que la vue du prêtre les ferait m o u r i r , s'enfuyaient à son approche ; quoiqu'il fit pour leur persuader qu'il venait u n i q u e m e n t pour l e u r b o n h e u r , ils ne daignaient pas m ê m e j e t e r les yeux s u r lui. La plupart néanmoins manifestaient vivement la joie que l e u r causait la présence de l'envoyé d u G r a n d Esprit, et faisaient tous leurs efforts pour s'instruire. Le R. P . Clément baptisa bon n o m b r e d'enfants et plu­ sieurs adultes. Un des chefs de cette t r i b u , q u e j'avais r é g é n é r é , il y a d e u x a n s , au fort Moose, et dont la fer­ veur ne s'est jamais ralentie, n'a pas peu contribué, par ses bons e x e m p l e s , à inspirer une haute idée de notre sainte Religion à ses compatriotes q u e la jonglerie et la passion des liqueurs n'avaient pas e n t i è r e m e n t abrutis. Là aussi, j ' e s p è r e , l'empire du démon s'écroulera bien­ tôt si le missionnaire peut y faire de fréquentes appari­ t i o n s . Mais hélas ! où sont les ouvriers, où sont


121

les ressources ? Messis pauci (1).

quidem

multa

operarii

autem

« Je reviens à ma chère Mission de T é m i s k a m i n g . Je n'avais assurément rien de plus pressé, en arrivant au milieu de ce bon p e u p l e , q u e d'aller porter quel­ ques paroles de consolation à ceux q u i , retenus p a r la m a l a d i e , gisaient dans leurs cabanes. Mais j e n e les avais pas encore tous visités, q u e moi-même je dus m e mettre au lit, atteint d'une fièvre brûlante. L'aspect de la détresse de mes e n f a n t s , plus encore que la fatigue du v o y a g e , avait occasionné en moi u n e révolution de bile. Le bon M. C a m e r o u , bourgeois du fort, avait eu la délicatesse de préparer u n a p p a r t e m e n t chez lui pour nous recevoir. Dès q u e les Indiens e u r e n t connaissan­ ce de m o n é t a t , ils accoururent en foule, et l'entrée du fort leur étant interdite, ils rôdaient autour de m o n logement d a n s u n e attitude inquiète. Le l e n d e m a i n , c e p e n d a n t , j e pus commencer les exercices de la mis­ sion. Oh ! comme tous mes néophytes s'empressaient de se r e n d r e à la chapelle au premier son de la clo­ chette ! Quelques-uns s'y traînaient, d'autres s'y faisaient p o r t e r , et p e n d a n t que j'offrais l'adorable sacrifice, cette troupe de squelettes ambulants faisait encore retentir l'air de ses pieux cantiques. Il y avait dans le son de leur voix quelque chose de si m é l a n c o l i q u e , que j'avais de la peine à comprimer mes sanglots ; il m e semblait entendre un hymne funèbre ; c'était com­ me le chant du cygne p r é c u r s e u r de la mort ; c'était le cantique de la délivrance ! Lorsque vous m ' e n v o y â t e s , Monseigneur, vers ces peuplades malheureuses, sans doute mon dessein était de partager leurs douleurs

(1) La moisson est abondante, mais les ouvriers sont rares»


122 aussi bien que leurs joies ; mais je ne soupçonnais pas que cela dût me devenir si naturel ; maintenant c'est pour moi un besoin aussi bien qu'un devoir. « Ce n'étaient p a s , au reste, ceux qui m'entouraient alors qui excitaient le plus ma compassion : leur état m e paraissait m ê m e digne d'envie. Trois I n d i e n s , dans la même j o u r n é e , expirèrent presque dans mes b r a s , mu­ nis des sacrements de l'Eglise, et portant vers le ciel un regard où se peignaient l'espérance et l'amour. Mais ce qui causait ma d o u l e u r , c'était la pensée qu'un grand nombre d'infidèles, en proie à u n e terreur p a n i q u e , et m i n é s , eux a u s s i , p a r u n e maladie m o r t e l l e , ne vou­ laient pas approcher du lieu de la mission. On m'avait appris qu'il y en avait quelques-uns campés dans les bois, à quelque distance du poste. J'y courus aussitôt, et j ' y trouvai quatre familles frappées d'épouvante à mon a s ­ pect, comme à celui d'un être malfaisant. Ils s'enfui­ rent à toutes jambes, et il ne resta dans les cabanes q u e trois personnes que leurs infirmités y retenaient forcé­ ment. L'une d'elles était une femme, jeune encore, mais vieillie pas le désordre. Depuis cinq a n s , mes efforts pour la faire rentrer en elle-même avaient été infruc­ tueux. L'année dernière elle était encore fraîche et robuste, et ce p r i n t e m p s , quand je la revis, je n e l'eusse pas reconnue, tant elle était changée. Consumée par un marasme qui la poussait r a p i d e m e n t vers la tom­ b e , elle ne se dissimulait pas sa fin p r o c h a i n e ; mais plus elle sentait son m a l e m p i r e r , plus elle craignait de se trouver seule avec sa conscience. Bien qu'elle fût assez instruite pour être b a p t i s é e , l'idée que le b a p t ê m e , et même la présence du p r ê t r e , lui causerait la m o r t , la remplissait d'épouvante. Ne pouvant fuir ma présence comme les a u t r e s , elle prit le parti de demeurer insensible à tout ce que j e pourrais lui dire :


123 couchée la face contre t e r r e , elle ne voulait ni m e ré­ p o n d r e , ni m ê m e lever les yeux sur l'image du Christ que j e lui présentais. Elle ne put toutefois empêcher que mes paroles, tantôt t e r r i b l e s , tantôt c o n s o l a n t e s , ne vinssent frapper ses oreilles : aussi b i e n , était-ce le seul moyen qu'elle eût laissé en m o n pouvoir pour faire naître le repentir dans son âme ; mais elle s'obs­ tina à garder u n silence absolu. Les deux autres per­ sonnes auxquelles je m'adressai ensuite, et dont l'une était sa m è r e , ne témoignèrent pas de meilleures dis­ positions. Constamment frappées de l'idée q u ' u n e p r o m ­ pte mort serait la suite de nos conférences, elles étaient aussi terrifiées de ma présence que j'étais moi-même affligé de leur déplorable état. Lorsqu'après u n e longue e x h o r t a t i o n , j e leur demandai si elles n e seraient pas bien aises d'être baptisées, « Oh ! n o n , non, me répondirent-elles ; cela nous ferait mourir » . « Voyant tous mes efforts inutiles sur ces âmes pré­ v e n u e s , je les q u i t t e , j e m'enfonce dans l'épaisseur de la forêt, et l'âme accablée, je m e jette au pied d'un ar­ b r e ; là j e m'adresse à mon refuge ordinaire. J e supplie Marie Immaculée de s'intéresser pour ces infortunées c r é a t u r e s , qui venaient de refuser sa médaille ; j e pro­ mets de dire la messe en son honneur. 0 ma M è r e , vous entendîtes tous les soupirs de mon cœur ! L'âme un peu soulagée, je me dirige vers la chapelle. C'était l'heure de la prière ; mes bons néophytes m'y atten­ daient. « Mes e n f a n t s , leur dis-je, j ' a i quitté m e s parents, mes amis, m a patrie, pour venir d a n s vos fo­ rêts partager vos peines et vous enseigner le chemin d u ciel. Votre âme m'est plus chère que ma vie, et il y en a cependant encore parmi vous qui n e prient p a s , q u i n e veulent pas m'écouter, et qui pourtant sont malades. Encore quelques j o u r s , et ils seront perdus pour jamais !


124 Demandons à la b o n n e Marie qu'elle prie son fils Jésus de leur faire miséricorde » A ces mots, vous eussiez vu, Monseigneur, cette pieuse Congrégation tomber à g e n o u x , et d'une voix émue adresser à l'auguste m è r e de Dieu cette touchante prière : « Souviens-toi, ô « Marie, que n o u s , qui habitons les forêts, sommes « les enfants de ton fils comme ceux qui habitent « dans les grands villages, puisqu'il a souffert pour « n o u s , et qu'il est mort sur le bois pour nous tirer « du feu de l'abîme. Nous étions tous bien à plaindre « avant de connaître la bonne prière de ton fils Jésus, « et la Robe-noire est venue nous l'enseigner. Mais il « y a encore beaucoup de nos frères ensevelis d a n s la « nuit profonde. De g r â c e , ô b o n n e Marie, prie pour « eux auprès de ton fils Jésus ; nous savons combien « tu es puissante auprès de lui. Ainsi-soit il » . « Le lendemain avant la messe, j e recommandai de nouveau leurs frères infidèles et la m a l a d e à leurs priè­ res. Ces fervents néophytes devaient être exaucés. Je repris le sentier de la forêt, et à m e s u r e que j ' a p ­ prochais du petit c a m p e m e n t , mon esprit flottait entre la crainte et l'espérance : mais j ' e u s bientôt occasion de me reprocher mon peu de foi. Car à peine fus-je a u ­ près de celle qui, la veille, n'avait voulu ni m ' e n t e n d r e , ni lever les yeux sur m o i , que j e la vis se traîner à ma rencontre. Voici les paroles qu'elle m ' a d r e s s a , et qui n e s'effaceront jamais de ma mémoire : « Hier ; mon « p è r e , je n'ai pas voulu l'écouter, lorsque tu me « parlais de la religion du Grand-Esprit ; mais q u a n d « tu as été p a r t i , j ' a i été plus malade. Que la nuit m ' a « paru longue ! J'avais peur de m o u r i r , et j e savais « que je ne pouvais aller voir le Grand-Esprit d a n s sa « grande l u m i è r e , ayant été si méchante et n'étant pas « baptisée.» Puis, s'adressant à sa mère : «Tu sáis, ma


125 « m è r e , q u e trois fois je t'ai appelée d u r a n t la nuit. » La m è r e , qui pendant cette conversation avait p a r u tout a b s o r b é e , regarda sa fille d'un air compatissant, fit u n signe affirmatif et retomba dans ses réflexions. La m a l a d e ajouta : « Il m e semblait que j'allais dans le « feu du g r a n d a b î m e , voilà pourquoi je t'appelais » . Voyant qu'elle n'avait que peu de temps à vivre, je la disposai au b a p t ê m e , et elle le reçut avec toutes les m a r q u e s d'une foi ardente et d ' u n profond r e p e n t i r , baisant avec u n e vive affection la petite croix et la mé­ daille qu'elle avait refusées la veille. Ce fut la mère qui courut à la rivière puiser l'eau qui devait regénérer sa fille ; ce fut elle aussi qui après le b a p t ê m e , l'engageait à rendre grâces à Dieu. « 0 mon père, m e dit la m o u « r a n t e , sitôt que je pourrai marcher, je veux aller à la « sainte cabane pour que j e m'y fortifie avec l'huile « sainte. C e p e n d a n t , dit-elle, je crois qu'il est p r u « dent de cacher p e n d a n t quelque temps mon « baptême ; car si je venais à m o u r i r , les infi« dèles diraient q u e c'est lui qui m'a tuée. » Je passai plus de quatre heures dans ce réduit infect ; mais q u e ce temps eut d'attrait pour moi ! Jamais il n e sera don­ né aux mondains de le c o m p r e n d r e . Vous aviez sans doute a p p r i s , Monseigneur, par la lettre que j ' a d r e s ­ sai l'an dernier à Mgr de Bytown, que j'avais été sur le point d'être tué par un infidèle. Eh b i e n , cette j e u n e néophyte était sa propre sœur. Tous mes chrétiens partagèrent ma joie lorsqu'ils apprirent qu'elle était b a p t i s é e , et que sa mère était catéchumène. Quelques jours après elle rendit l'esprit dans les plus beaux s e n ­ timents d'amour et de résignation. « Onze jours s'étaient déjà écoulés depuis que nous étions au milieu de cette pieuse tribu. Tous mes c h r é ­ tiens avaient, pu participer aux bienfaits de la m i s -


126 sion. il n'y eut que quelques infidèles qui n e voulurent pas s'y rendre. Les canots se trouvant prêts, nous quit­ tâmes ce poste le 9 j u i n . Nous étions accompagnés de vingt-deux sauvages, dont cinq du lac Nipissing, et dixsept de Témiskaming. Le peuple, r é u n i sur la r i v e , fait des vœux pour notre voyage, u n e décharge de plus de cinquante coups de fusil se mêle a u x cris d ' a d i e u , et nous partons. « Je v i s , en passant au lac A b b i t i b b i , mes chers Indiens qui habitent ses bords ; je leur annonçai q u ' u n missionnaire viendrait bientôt les visiter. Je baptisai leurs enfants nouveau-nés, et j e bénis la tombe de plu­ sieurs fervents néophytes qu'une mort imprévue a v a i t , l'hiver d e r n i e r , enlevés à l'édification de leurs frères. Je visitai aussi le tombeau solitaire d'un vieillard res­ pectable q u i , depuis quarante-cinq a n s , résid ait dans ce poste en qualité d'agent de l'honorable Compagnie de la Baie d'Hudson, et qui venait de terminer sa carrière. A la vue de cette tombe où reposaient les cendres d'un homme qui fut toujours plein de bonté pour m o i , je ne pus m'empêcher de donner des larmes à sa mémoire. Que j'eusse voulu le conserver plus longtemps à la ten­ dresse des Indiens ! car tous le regardaient comme u n p è r e , et, de fait, il les aimait comme ses enfants. « Nous ne séjournâmes q u e deux jours dans ce poste, puis nous nous embarquâmes pour la Baie d ' H u d s o n . Jamais dans mes voyages je n'avais goûté tant de b o n ­ heur, parce que jamais j e n'avais eu à m a suite u n s i grand nombre de mes enfants. Outre ceux dont j ' a i déjà p a r l é , dix du grand-lac et trente d'Abbitibbi vin­ rent grossir notre troupe. Notre marche était u n e véritable mission ambulante. Soir et m a t i n , nous nous réunissions au pied d'un arbre plusieurs fois sécu­ laire. L à , nous faisions retentir les échos du désert de


127 pieux c a n t i q u e s , traduits dans la langue si naïve et si poétique des sauvages. Comment dire à Votre Grandeur les sentiments divers qu'éprouve le missionnaire à la vue de ces scènes grandioses qui se déroulent sous ses yeux? Comment r e n d r e les élans d'amour qui s'échap­ pent de son âme l o r s q u e , peu après le milieu de la n u i t , à la clarté douce et majestueuse d'une aurore boréale, au pied d'une cascade, sur le rivage de la m e r , sous la voûte d'un firmament étoilé, dans cet immense temple de la nature, au bruit des vagues furieuses livrant u n combat terrible aux montagnes de glace flottantes, sa bouche prononce sur l'hostie les paroles qui font descendre l'homme-Dieu sur la terre ! Avec quels trans­ ports il s'écrie, les yeux baignés de larmes a u souvenir des crimes qui souillent aujourd'hui le m o n d e civilisé : Bêtes féroces, et vous, habitants des forêts, bénissez-le Seigneur, puisque ceux de ses enfants qu'il a le plus comblés de biens, le blasphèment sans cesse!!! « Partis le 15 du fort A b b i t i b b i , nous arrivions le 2 1 au fort Moose-Factory. J'y continuai durant dix jours la mission commencée en chemin. Les Indiens de ce p o s t e , au nombre de quarante ou quarante-cinq familles, ont presque tous été baptisés par u n ministre méthodiste qui y a résidé huit ans. Les noms bibliques qu'ils ont reçus sont, chez les hommes surtout, la seule m a r q u e qui les distingue des infidèles. Je n'ai trouvé en eux ni plus de vertu, ni plus de science, ni plus de mora­ lité. Plusieurs cependant m'ont témoigné u n désir sin­ cère de connaître et d'embrasser notre sainte Religion. Ils s'empressèrent de m'apporter leurs enfants nouveaun é s , pour que je les baptisasse. La vue de la croix que j'avais plantée, l'année d e r n i è r e , clans u n e des plus belles positions de l'île où le fort est b â t i , leur a fait la plus salutaire impression. Le dimanche qui suivit notre


128 a r r i v é e , nous fûmes en procession solennelle à cette croix. Nos chrétiens d'Abbitibbi et de Tésmiskaming marchaient en bon ordre et en c h a n t a n t des c a n t i q u e s . La nouveauté du spectacle avait attiré les protestants. Lorsqu'ils eurent e n t e n d u l'explication du culte que les catholiques r e n d e n t à ce signe de notre r é d e m p t i o n , ils tombèrent à genoux : j ' e n vis m ê m e plusieurs qui v e r ­ saient des larmes au chant du V e x i l l a r é g i s , entonné par les enfants du désert. La cérémonie achevée, ils vinrent m e trouver en g r a n d n o m b r e et m e dirent « Nous n'avions jamais rien vu de si b e a u . Ne feras-tu pas encore u n e fois cette sainte p r o m e n a d e avant de nous quitter? » O u i , mon Révérend et bien-aimé P è r e , il faut à l'Indien plus qu'à tout autre quelque chose d e sensible pour l'élever à Dieu. Oh ! qu'ils sont coupables ceux qui, p a r d'absurdes c a l o m n i e s , l'éloignent d u charme irrésistible qu'il trouverait d a n s la majesté du culte catholique ! « Il me tardait beaucoup d'aller visiter le poste a p ­ pelé Albany-Factory, où l'année d e r n i è r e , pour la première fois, j'avais jeté la divine semence dans des cœurs qui m e promettaient u n e a b o n d a n t e moisson. Le 4 juillet, nous nous e m b a r q u â m e s , le P . A r n a u d et moi, sur u n e goëlette. Mon angélique compagnon fut constamment malade d u r a n t la t r a v e r s é e , ce qui l'em­ pêcha de contempler u n phénomène a d m i r a b l e , qui se renouvelle presque chaque nuit d a n s ces contrées du nord. Une aurore boréale, parcourant le ciel d'un h o r i ­ zon à l'autre, formait au firmament c o m m e u n vaste incendie. La mer ne me paraissait plus qu'un océan en­ sanglante. Des légions innombrables de petites b a l e i ­ nes blanches, qui venaient se jouer autour du n a v i r e , me retraçaient l'image des corps qui sortiront u n jour de sein de la terre et des m e r s . . . Figurez-vous un m i s -


129 sionnaire, au milieu de la nuit ; assis sur le tiliac d'un vaisseau, ayant au-dessus de sa tête un demi-glo­ be de f e u , sous ses pieds une m e r de sang, autour de lui d'immenses forêts, où gisent ensevelies à l'ombre de la mort des tribus nombreuses qu'il vient sauver avec cette croix qu'il porte sur sa poitrine : voilà, Monsei­ g n e u r , ce qu'était alors celui que vous avez envoyé aux extrémités de la terre. Confondu, anéanti au milieu de ces trois i m m e n s i t é s , le ciel, l'océan et le désert, il s'é­ criait avec le prophète : D o m i n e , m i r a h i l i a o p e r a tua, D o m i n u s n o s t e r , q u a m a d m i r a b i l e est n o m e n t u u m i n u n i v e r s â t e r r a ! (1). « Nous étions s u r le point d'entrer dans la rivière d'Albany ; le navire n'avait plus que quelques milles à parcourir p o u r atteindre le poste si désiré, lorsque la m e r , en se retirant, le déposa sur un banc de sable où nous passâmes la nuit. Je voyais s'élever la fumée des cabanes sauvages, dispersées çà et là sur les bords du fleuve et de la mer. Nous allions enfin annoncer la bonne nouvelle à ces âmes si délaissées ; on m'avait assuré qu'une quarantaine de f a m i l l e s , qui l'an dernier n'avaient pu nous voir, attendaient notre arrivée avec impatience. On ne nous avait pas trompés. A mesure que nous approchions du f o r t , nous apercevions les Indiens accourir en témoignant leur joie. Quelques-uns, venus pour la première fois au poste, étaient dans une nudité presque complète ; mais dès qu'on leur eût dit qu'ils ne devaient pas se présenter ainsi devant la Roben o i r e , ils coururent se couvrir. Ces Indiens sont de la tribu des Makégons (habitants des marais). Aucune d é n o -

(1) Seigneur, vos œuvres sont admirables. Seigneur, que votre nom est admirable par toute la terre ! TOM.

XXIII.

135,

8


130 mination ne peut mieux leur convenir, car toute la côte occidentale des deux baies n'est qu'un vaste marécage. La difficulté qu'ils éprouvent à marcher sur ce sol mou­ vant semble avoir affecté leur dialecte ; de même que leurs pieds mal assurés pataugent toujours dans la vase, leur langue ne bredouille que des sons mal articulés, ce qui l'ait que le missionnaire a plus de peine à les comprendre qu'à en être compris. Leur taille est avan­ tageuse et leur physionomie régulière. On ne voit pas chez eux ces difformités naturelles si communes parmi les peuples civilisés. Doux et pacifiques, ils n e se plaignent j a m a i s , môme dans les plus grandes priva­ tions et les souffrances les plus aiguës ; ils supportent patiemment une i n j u r e , mais c'est plutôt, j e crois, par faiblesse de caractère que par générosité ; j e parle ici des païens, car j ' a i vu des néophytes p a r d o n n e r géné­ reusement les offenses les plus graves, et dont ils p o u ­ vaient facilement tirer vengeance. « Notre première p e n s é e , en touchant cette t e r r e , fut d aller nous prosterner au pied de la croix que j ' a ­ vais plantée l'année précédente. Tous les Indiens m'y suivirent dans un silence religieux, et j e c o m ­ mençai immédiatement à évangéliser ce p e u p l e , aussi affamé de la parole divine qu'il y avait paru jus­ q u e là indifférent. Ne sachant pas leur langue, je p a r ­ lais le sauteux que plusieurs comprennent, bien qu'ils ne le parlent pas. Une dame p i e u s e , épouse du c o m m a n d a n t du fort, était mon interprète ; car elle connaît les dialectes de toutes les peuplades de cette baie. Permettez-moi, Monseigneur, de vous dire quel­ ques mots de ses vertus. Outre que j e lui dois un tri­ but d'éloges, ce sera pour Votre Grandeur un nou­ veau sujet de bénir la divine Providence qui a ses élus dans tous les lieux comme dans tous les temps.


131 « Cette d a m e , née d'un père écossais et d'une mère semi indienne, avait passé ses premières années d a n s le protestantisme. Le S e i g n e u r , qui voulait en faire un ins­ trument de ses miséricordes, avait orné son esprit et son c œ u r des plus rares qualités. Elle était douée d'un sens droit, d'un jugement juste et solide, d'une constante égalité d ' h u m e u r , d'une admirable douceur de carac­ tère et d'une tendresse compatissante. T o u s les Indiens qui l'ont connue, l'ont regardée comme une mère ; mais les plus malheureux étaient, les premiers objets de sa sollicitude. A l'âge de quinze ou seize a n s , elle eut le b o n h e u r d'unir son sort à celui d'un Irlandais catho­ lique, d'une éminente p i é t é , qui ne négligea rien pour cultiver les bonnes dispositions qu'il voyait en elle. Combien il a eu à se féliciter de ses leçons ! Que pourrais-je ajouter à cet éloge de son époux ? « Voilà trente ans que nous sommes e n s e m b l e , me dit-il un j o u r , et je n e crois pas qu'elle ait commis une faute de propos délibéré. » En e n t e n d a n t ces paroles; j e me souvins de celles-ci qu'a prononcées notre divin Maî­ tre : « Je vous le dis en v é r i t é , plusieurs viendront de l'orient et de l'occident et prendront place au festin dans le royaume du c i e l , et les enfants du royaume seront jetes dehors ». Il y a deux a n s , lorsque nous descen­ dîmes pour la première fois sur les bords de la baie d'Hudson, cette femme admirable ne craignit p a s , quoique malade et pouvant à peine se s o u t e n i r , de se mettre en mer pour venir nous trouver à plus de cin­ quante lieues de distance. Depuis qu'elle était m a r i é e , elle n'avait jamais vu de prêtre. Le P. Garin après s'être assuré que son instruction et sa conduite ne laissaient rien à dé-irer, l'admit au sein de l'Eglise catholique. Elle reçut le saint baptême ainsi que sa fille; elle avait quarante-huit a n s , et sa fille vingt-deux, La cérémoma


132 eut lieu en présence de son époux. Le lendemain toute cette pieuse famille participa au banquet eucharistique. Telle e s t , Monseigneur, celle que le Seigneur a établie la p r e m i è r e dispensatrice de ses bienfaits parmi ces peu­ plades i n d i e n n e s , surtout parmi celles du fort Albany, Si, pendant le cours de cet été, j ' a i eu la consolation de baptiser un grand nombre de sauvages et de former u n e chrétienté fervente, dans des lieux qui jusqu'ici sem­ blaient frappés d'une éternelle malédiction, ce n'est pas à nous qu'il faut l'attribuer, c'est au zèle, aux vertus et aux efforts de cette admirable femme.»

(La suite au prochain

Numéro.)


133

MISSIONS DU CAMBOGE. Lettre de Mgr Miche, Evêque de Dansare, à Mgr D'Isauropolis, Vicaire apostolique de la Basse-Co chinchine,

7 mars i 8 4 9 ,

«

MONSEIGNEUR,

« Revenu depuis doux jours d'un petit voyage q u e j'ai fait sur le g r a n d fleuve du C a m b o g e , j e m e hâte de c o m m u n i q u e r à Votre Grandeur le résultat de m e s explorations. J'étais parti de Pinta-lu, le 12 février ; j e suis arrivé, le 16, à l'embouchure de la rivière Chilang, qui p r e n d sa source dans les montagnes du Nuoi-Stieng et qui se décharge d a n s le Meycon, vers le onzième degré quarante minutes de latitude nord. Mon b u t principal était de r e m o n t e r ce cours d'eau jusque chez les sauvages, p o u r sonder leurs dispositions à recevoir la semence de la divine p a r o l e ; m a i s , à mon grand désappointement, j e trouvai le lit du torrent si desséché qu'il était tout-à-fait i m p r a t i c a b l e , m ê m e pour les barques de la plus petite dimension. La voie du Chi­ lang m'était donc fermée ; je n e pouvais d'ailleurs or­ ganiser u n e caravane pour me rendre par terre chez


134 les Stieng : un seul parti me restait, et je le p r i s , c'était de suivre le Meycon aussi longtemps q u e je le trouve » rais navigable. Sachant q u e plus j'avancerais vers le n o r d , plus aussi j'aurais de facilitée réaliser mon des­ s e i n , je continuai ma route jusqu'à la province de Conchor, de là je gagnai celle de Créché ; puis enfin celle de S a m b e r , où il me fallut faire halte plusieurs j o u r s pour attendre le gouverneur de la province, qui était a b s e n t , et dont le secours m'était indispensable pour aller plus loin. J'étais arrivé a u x colonnes d'Her­ c u l e s ; les navigateurs du pays n'osent se risquer au delà, parce que le fleuve est hérissé d e recifs et présente partout de grands dangers. « Cependant j'avais singulièrement à c œ u r de ne pas m'arrèter l à , pour deux raisons : d'abord, j e n'étais qu'à deux petites j o u r n é e s d e la province d e S a m b o c , où M. Levavasseur pénétra vers l'an 1770 et bâtit u n e petite chapelle. J'éprouvais un vif désir d'interroger les souvenirs des vieillards sur celte église et sur les r é s u l ­ tats de l'expédition de ce zélé missionnaire ; en second lieu, j e m e proposais de visiter aussi les premières t r i b u s laociennes qui touchent aux limites de Samboc. Mais q u e de difficultés à vaincre p o u r y arriver ! Tous les Cambogiens qui virent ma b a r q u e , me dirent qu'il fallait ou rebrousser c h e m i n ou m'installer avec cinq ou six homme ? sur u n e petite p i r o g u e , pour continuer ma r o u t e à travers les rochers et r e m o n t e r la cataracte, dont j e n'étais éloigné q u e de deux lieues. Je ne pouvais p r u d e m m e n t me d é t e r m i n e r pour ce dernier parti. Com­ m e n t , en effet, rester q u a t r e j o u r s assis dans un c a n o t , exposé à u n soleil brûlant et à l'humide fraîcheur de la n u i t , sans repos ni sommeil, c o m m e n t tout c e l a , s a n s en tomber m a l a d e ? Je fis donc e x a m i n e r ma b a r q u e

par les deux conducteurs que le gouverneur me donna ;


135 j e l e u r fis r e m a r q u e r qu'elle n e contenait q u e deux sacs de riz et un peu de poisson s e c , qu'elle cal ait à peine un p i e d , et qu'après tout j e m e proposais d ' e n ­ lever le mât et la voile pour l'alléger e n c o r e . Cela posé, m e s guides m e dirent qu'elle pourrait glisser sur les rochers et r e m o n t e r la chute s a n s trop de p e i n e , et ils p a r t i r e n t avec m o i . La r a m e était désormais i n u t i l e . Mes gens s'armèrent d e p e r c h e s , à l'aide desquelles ils lut­ taient contre le c o u r a n t et n o u s faisaient éviter les écueils patents et cachés. Grâce à la limpidité d e l'eau, le danger était toujours prévu ; et si parfois notre bar­ que s'arrêtait s u r q u e l q u e r o c h e r , c o m m e nous allions à r e n c o n t r e du fleuve, elle n'échouait qu'avec l e n t e u r , ce qui nous permettait d e la remettre à flot sans trop d e difficulté, « Arrivés au pied de la c a t a r a c t e , nous trouvâmes du renfort : le m a i r e de S a m b o r avait pris le c h e m i n de terre avec u n de ses administrés et nous attendait là p o u r nous prêter secours. J e place cette c h u t e à peu près vers le douzième degré q u a r a n t e minutes de l a t i titude nord. Là, le lit du Meycon s'élargit considérable­ ment et peut avoir u n e lieue d'une rive à l'autre. Ses eaux ainsi r é p a n d u e s sur u n e plus vaste s u p e r f i c i e , offrent moins de profondeur. Tout est pittoresque en cet endroit ; u n e infinité d'îlots, couronnés de buissons verts, occupent toute la largeur du fleuve s u r u n e é t e n d u e de vingt à trente m i n u t e s . On dirait u n e forêt plantée dans des eaux. Celles-ci n'apparaissent à l'œil qu'à cer­ tains intervalles, mais le bruit des flots qui déferlent avec fracas sur les r o c h e r s , les révèle au loin. Ces îles e n ­ trecoupées par u n e multitude de c a n a u x , forment u n dédale inextricable pour quiconque n'a pas l'habitude de ces lieux. Mes gens choisirent le passage le plus profond. Nous avions devant nous u n e magnifique


136 n a p p e d ' e â u , d'une b l a n c h e u r éblouissante, qui roulait ses flots écumants sur u n t e r r a i n pierreux et fort incliné. « Les perches dont n o u s étions m u n i s d e v i n r e n t in­ utiles; m e s h o m m e s se m i r e n t à l'eau. Q u a t r e d'entre e u x , à la tète de la b a r q u e , la conduisaient c o m m e o n m ê n e u n cheval par la b r i d e , et les cinq autres la poussaient par derrière. J e restai seul à b o r d , parce qu'on n e me permit pas de d e s c e n d r e , et en effet j e m e serais mal tiré d'affaire ; car m e s C a m b o g i e n s , quoi­ que c r a m p o n n é s au b a t e a u , et avec des pieds moins l e n d r e s q u e les m i e n s , ne pouvaient se tenir d e b o u t s u r les prières aiguës dont le lit du fleuve est p a r s e m é . Quand la douleur les forçait d'accélérer le p a s , ils glis­ saient sur des r o c h e r s , tombaient dans des t r o u s , et la b a r q u e , privée d e leur secours, reculait a u gré d u cou­ rant. Enfin, après environ u n e h e u r e d'efforts et de per­ sévérance, nous p a r v î n m e s au sommet de la chute. Nous voyageâmes tout le reste d u j o u r à travers des îlots qui n e nous permettaient pas d e voir à plus de t r e n t e pas devant nous. Tantôt on allait de l ' a v a n t , tantôt on était arrêté par des b a n c s de granit qui formaient c o m m e u n r e m p a r t sans i s s u e ; il fallait alors r e ­ venir s u r nos pas et chercher avec incertitude u n a u t r e passage. « La nuit n o u s surprit dans ces parages solitaires. Nous la passâmes fort tranquillement sur u n b a n c de s a b l e , où nous fûmes étourdis jusqu'au lever d u soleil par les h u r l e m e n t s des crocodiles qui a b o n d e n t en ces tieux. Le l e n d e m a i n m a t i n , nous sortîmes de ce dédale et le fleuve nous a p p a r û t dans toute sa l a r g e u r , mais plus hérissé de rochers que j a m a i s . De loin, ils présentaient l'aspect d'une a r m é e de soldats plongés dans l'eau j u s ­ qu'au cou. Notre route se poursuivit avec l e n t e u r , et nous atteignîmes Samboc dans l'après-midi, Depuis notre


137 départ de S a m b o r , nous avions fait u n trajet de q u a t r e lieues e n v i r o n , dans l'espace de trente-six h e u r e s . « Il y a à Samboc u n gouverneur de province; m a i s , h é l a s , quelle province ! Elle se compose de q u a t r e ou cinq petits villages de 160 âmes seulement. Cette con­ trée était autrefois la plus riche d u C a m b o g e , et m a i n ­ tenant c'est la plus désolée. Lors de la dernière guerre, le g é n é r a l siamois, après en avoir chassé les Annamites, enleva six mille Cambogiens qui peuplaient cette contrée et les transféra à Bangkok. Aujourd'hui on ne voit plus à Samboc que de nouveaux habitants ; aussi nul d'entre eux n'a pu satisfaire m o n attente, lorsque j e l e u r ai parlé de l'église c h r é t i e n n e , élevée autrefois au milieu du village. Je crois Samboc placé à la h a u t e u r d u Cuade-ran de Phu-yen. Là finit le r o y a u m e de Camboge sur la rive orientale du Meycon. « P o u r compléter ces r e n s e i g n e m e n t s , je dois ajouter q u ' à la saison des p l u i e s , c'est à-dire en septembre et en o c t o b r e , toutes les difficultés dont j'ai parlé précé­ d e m m e n t disparaissent. Alors chaque rivière, chaque c a n a l , qui se décharge d a n s le grand fleuve, est acces­ sible à toutes sortes d é b a r q u e s . On peut p é n é t r e r chez les sauvages soit par Chilang, soit par Chlong. En remon­ tant plus h a u t , les rochers disparaissent sous l'inonda­ tion à u n e très-grande profondeur ; il n'existe p l u s de c h u t e d'eau, plus de c a t a r a c t e , parce q u e le niveau est rétabli entre le cours inférieur et supérieur du Meycon. Toutes les personnes q u e j ' a i consultées sur les l i e u x , affirment qu'à cette époque on peut facilement se ren­ dre de Nam-vang au Laos en dix huit j o u r s , et voguer à pleine voile sans c r a i n d r e a u c u n récif. C'est donc sur la fin de la saison des pluies qu'il conviendrait d'entreprendre ce voyage p o u r éviter les obstacles que j'ai rencontrés.


138 « Dans tout ce qui p r é c è d e , je n'ai e n t r e t e n u Votre G r a n d e u r que du côté physique de mon voyage ; m a i s , c o m m e mon expédition avait u n tout a u t r e but q u e de faire des découvertes g é o g r a p h i q u e s , je vais m a i n ­ t e n a n t vous dire u n mot de ma course c o m m e Mission­ naire. « A partir des bords du Chilang jusqu'à S a m b o r , j'ai trouvé partout de petits villages dont les habitants a p ­ partenaient à quatre nations différentes : Malais, Ciamp o i s , Chinois et Cambogiens y vivent e n s e m b l e et con­ fondus. Les Malais et les Ciampois suivent la loi de Ma­ homet ; leur parler de la religion c h r é t i e n n e , surtout aux p r e m i e r s , c'est jeter le bon grain sur la pierre et d a n s les épines. Les Chinois seraient plus faciles à ga­ gner à Jésus-Christ. Mais ils sont là en très-petit n o m ­ b r e et dispersés fort loin les u n s des a u t r e s . Partout j e m e s u i s a r r ê t é ; j ' a i parlé de Dieu ; j e l'ai fait connaître entre autres à u n p a u v r e aveugle. On a trouvé la nou­ velle doctrine fort b e l l e , et g é n é r a l e m e n t on a été forcé de convenir q u e la religion du pays est fausse. Ceux qui n'ont pas fait cet aveu de b o u c h e , l'ont fait p a r leur silence. Mais, hélas, q u e le démon est puissant sur ces pauvres Cambogiens ! L'erreur c o n n u e comme telle, reste néanmoins pour eux digne de v é n é r a t i o n , q u a n d elle est professée par les g r a n d s et les r i c h e s , et s u r ­ tout quand elle est consacrée par 1 antiquité et les cou­ tumes de la nation. La vérité en matière de religion les touche p e u , et ils affrontent l'enfer d e sang-froid parce q u e les bonzes, appuyés sur leurs livres sacrés, leur ont répété c e n t fois q u e cet enfer n'est pas éternel. Ce n'est à leurs yeux qu'un p u r g a t o i r e , d'où l'on revient p r e n d r e u n e autre n a i s s a n c e , noble ou abjecte, dans le corps d'un homme ou d'un a n i m a l , selon les fautes ou les mérites de la vie antérieure. Cette doctrine absur-


139 de de la métempsycose, dont tous les Cambogiens sont i m b u s , est à mon avis la principale cause de leur sécurité d a n s l'erreur. J e dois dire cependant que je n'ai pas trouvé partout la m ê m e indifférence. A S a m b o c , en p a r t i c u l i e r , j ' a i rencontré des â m e s plus d r o i t e s , qui m'ont écouté avec i n t é r ê t , et j ' a i quitté ces lieux avec la conviction que le bon Dieu a là des élus. Dès mon arrivée à S a m b o c , u n petit garçon qui vint puiser de l'eau au fleuve, m'aperçut dans m a b a r q u e . Cinq minutes après, u n e foule de femmes et d'entants descendit sur le rivage, cherchant des yeux l'homme extraordinaire q u ' o n venait de l e u r dépeindre. J e déjeunais alors ; j'accélerai mon repas pour satisfaire la curiosité publique. Dès que j e sortis de mon canot, la t r o u p e fit voile face et prit la fuite. Mais en m ' e n t e n d a n t parler cambogien tout le monde s'arrêta, les figures s'é­ p a n o u i r e n t et mes visiteurs se dirent e n t r e eux : « Il parle c o m m e n o u s , attendons-le. » Arrivé au milieu de ces braves g e n s , je leur dis qui j ' é t a i s , j e l e u r fis connaître le but de mon apparition dans leurs parages ; puis je m e dirigeai vers la maison qui m e p a r û t la plus spacieuse et j'y entrai suivi d'une nombreuse c o m p a g n i e . C'était un auditoire tout trouvé. La religion seule fit les frais de cet entretien ; on «n'écouta avec g r a n d e atten­ tion ; on m'adressa beaucoup de questions sur nos vé­ rités s a i n t e s , et j'eus lieu de croire q u e mes réponses avaient été goûtées. De p l u s , les Sambociens m e di­ rent que si quelque prêtre comme moi s'établissait dans l e u r village, il serait bien reçu et qu'on viendrait l'en­ tendre : on m'en dit autant à Sambor et à Crèché. « A mon retour à T h m a c r é , petit h a m e a u situé à u n e demi-lieue au sud de S a m b o c , j ' a p p r i s qu'il y avait des sauvages à peu de distance. Comme j'étais muni

d'une lettre qui mettait tous les mandarins à ma dispo-


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sition, j e priai le gouverneur de m e faire conduire chez eux. Il acquiesça à ma d e m a n d e , et de plus il m e don­ na son cheval pour faire le trajet. Ce village, connu sous le nom de Galop, est m i x t e , c ' e s t - à - d i r e qu'une partie de la population est cambogienne et l'autre s a u ­ vage. Le maire du l i e u , q u e j'avais rencontré chez le g o u v e r n e u r , était u n de mes guides et il m e reçut dans sa maison. Je visitai d'abord les sauvages, dont la p l u p a r t parlait la langue du Camboge. Entassés dans de petites c a b a n e s , ils offraient l'image d e la plus grande misère ; à peine ont-ils quelques lambeaux d e vête­ m e n t s . Toutes les femmes portent un collier en grains de v e r r e et des bracelets en gros laiton. J'en ai vu une dont le bras était entièrement couvert p a r u n de ces bracelets roulé en s p i r a l e ; c'était comme une manche d'habit. Aussi ce m e m b r e chargé d'un tel poids lui deve­ nait inutile et restait appuyé s u r u n b a m b o u . Hommes et f e m m e s , tous ont les cheveux l o n g s , et comme ils n e sont peignés qu'avec les cinq doigts de la m a i n , il est facile de c o m p r e n d r e quelle élégance cette longue chevelure ajoute à leur p e r s o n n e , déjà fort peu gra­ cieuse. De p l u s , leurs oreilles sont percées et chargées d ' u n gros tube de bambou ou d ' u n morceau d'ivoire, qui les fait descendre j u s q u e sur leurs épaules. Quant au m o r a l , m o n j u g e m e n t serait précipité si j ' e n parlais, car il faut vivre plus ou moins longtemps au milieu d'une nation pour la juger avec compétence. Sous ce rapport n é a n m o i n s , j e puis dire q u e leur mise h a b i t u e l l e , leur m a n i è r e de vivre et surtout l'absence de tout principe religieux, doivent faire d e ces sauvages un peuple très c o r r o m p u . D'après la conversation que j ' a i eue avec eux, il paraîtrait qu'ils n e sont adonnés à aucun genre d e superstition, chose difficile à croire. P o u r les instruire, il y aura donc peu à détruire. Mais q u a n d il s'agira


141 d'ouvrir l'intelligence à ces êtres matériels, de leur faire comprendre les vérités de la foi et de les former à la pratique des vertus c h r é t i e n n e s , ce sera u n pénible travail. « Au m o m e n t de m e séparer de ces s a u v a g e s , j ' a ­ perçus une femme négligement étendue sur u n e n a t t e , et près d'elle gisait pareillement u n petit enfant sus­ p e n d u à sa mamelle. Cette p a u v r e c r é a t u r e , d'un a n e n v i r o n , n'avait plus q u e les os. Une partie de son c o r p s , rongée par u n e maladie scrofuleuse, était déjà en proie à la putréfaction et exhalait une o d e u r fétide. Je dis à la m è r e que j e pouvais faire du bien à son en­ fant, et la priai de le p r e n d r e entre ses bras ; ce qu'elle fit d e fort b o n n e grâce. Alors j e baptisai ce pauvre petit, premier-né d e sa tribu p o u r le ciel. Puisse ce j e u n e p r é d e s t i n é , u n e fois en possession d u b o n h e u r é t e r n e l , intercéder auprès d e Jésus-Christ en faveur de ses frères et devenir l'ange tutélaire de sa nation ! « Revenu chez le maire du v i l l a g e , j ' a n n o n ç a i selon ma c o u t u m e Jésus-Christ à ces âmes délaissées, qui n e le connaissaient pas encore. I c i , j e puis le dire avec a s s u r a n c e , m e s paroles ne furent pas vaines. La s e ­ mence tomba sur u n e terre bien p r é p a r é e , qui promet u n e consolante moisson. J e m'adressais à des â m e s simples qui cherchaient la vérité avec droiture et bonne foi ; il m e fut facile de porter la conviction dans leur esprit ; et après u n e conversation de trois h e u r e s , ils c o m p r i r e n t la nécessité d'abjurer toutes les s u p e r s ­ titions d u pays pour e m b r a s s e r l'évangile. Le maire et toute sa famille, mes conducteurs et quelques autres personnes d u village qui composaient m o n a u d i t o i r e , m e déclarèrent u n a n i m e m e n t qu'ils étaient tout disposés à se faire chrétiens. S e u l e m e n t , l'un d'entre eux m a n i ­ festa la crainte d'encourir la colère du roi en quittant


142 la religion n a t i o n a l e , et il me dit q u e si j e pouvais ob­ tenir un écrit du p r i n c e , attestant q u e Sa Majesté lais­ se à chacun la liberté de choisir un c u l t e à son g r é , alors il n'y aurait plus de difficulté à leur conversion. Je lui repondis q u e j'avais u n e lettre d u roi conçue d a n s le sens d é s i r é , m a i s q u e je n e l'avais pas apportée avec m o i , et qu'au b e s o i n , à la première ren­ c o n t r e , ils pourraient la lire e u x - m ê m e s . J e quittai ces braves gens dans ces heureuses dispositions. Ils me pressèrent beaucoup de rester a u milieu d'eux, et j e l e u r p r o m i s , ou de revenir plus l a r d , ou de leur en­ voyer u n missionnaire comme m o i pour travailler à leur instruction. Dieu veuille q u e les talapoins n'aillent pas semer la zizanie dans ce c h a m p où le bon grain si bien reçu fait espérer u n e récolte abondante. « Vous le voyez, M o n s e i g n e u r , m o n voyage n'a pas été tout-à-fait inutile. J e comprends m a i n t e n a n t plus q u e jamais q u e , si u n missionnaire se fixait dans u n village c a m b o g i e n , surtout dans ceux où les talapoins paraissent r a r e m e n t , il glorifierait Dieu et pourrait gagner bien des âmes à Jésus-Christ. Le prêtre qui sera chargé de cette expédition, aura beaucoup à souf­ frir du côté de la n a t u r e ; car dans ces contrées il est dif­ ficile de se procurer les aliments nécessaires. Cepen­ dant il y a plusieurs moyens d'obvier à cet i n c o n ­ venient : mais il sera temps de les signaler quand Votre Grandeur jugera à propos de désigner l'apôtre d e ces peuples infortunés. « Agréez, Monseigneur, l'hommage du profond res­ pect avec lequel j ' a i l'honneur d ' ê t r e , De votre G r a n d e u r , Le plus h u m b l e et le plus obéissant serviteur, « + J.-C,

MICHE, EVÊQUE de Dansare. »


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MISSIONS DE LA CHINE. Lettre du R. P. Poissemeux, Supérieur de la Compagnie de Jésus en Chine, au R. P. Provincial à Paris,

Zi-kawei, 23 avril 1 8 5 0 .

« MON RÉVÉREND P È R E ,

« La misère est ici à son comble ; des milliers d'hommes m e u r e n t de faim. A C h a n g - h a i , outre la p o ­ pulation ordinaire, il en est u n e a u t r e en haillons, qui peut bien s'élever à dix mille. Depuis deux mois et plus elle c a m p e dans les r u e s , exposée la nuit c o m m e le jour à toutes les rigueurs de la saison. La faim et le froid ont déjà enlevé u n e g r a n d e partie de cette multi­ t u d e . Si tous n'ont pas encore succombé, ils le doivent à Monseigneur Maresca q u i , aidé de ses m i s s i o n n a i r e s , fait tous les deux p u r s des distributions de riz à q u a t r e ou cinq mille de ces m a l h e u r e u x . Les a u m ô n e s de nos c h r é t i e n s , de notre consul et des Français d e Changh a i , ont suffi jusqu'ici à toutes les dépenses. M. ForthR o u e n , ministre plénipotentiaire de F r a n c e , a envoyé


144 lui m ê m e un secours de cent piastres. Quelques famil­ les riches, parmi les p a ï e n s , ont voulu suivre l'exem­ ple de n o t r e digne Prélat ; elles ont m ô m e d e m a n d é à s'entendre avec Sa Grandeur pour la distribution des secours à cette troupe d'affamés. C'est vraiment un beau spectacle, au milieu d'une population toute païen­ n e , que cette assistance des pauvres : toute la gloire en revient à notre sainte Religion, qui commence déjà à recevoir les bénédictions des infidèles. S'il nous est don­ n é de pouvoir organiser ces œuvres de bienfaisance , pour continuer le bien c o m m e n c é , n o u s espérons r e ­ cueillir à Chang-hai d ' i m m e n s e s fruits de salut. A Z i kawei, nous distribuons j o u r n e l l e m e n t des aliments à des centaines de pauvres. Il m'a été possible de procurer à nos Pères j u s q u ' à quatorze cents p i a s t r e s , qui leur serviront à préserver les chrétiens des horreurs de l'ex­ trême m i s è r e . La quête que nous avons faite chez MM. les Anglais, a mis aussi q u a t r e cents piastres à notre disposition p o u r cette œ u v r e . De tous les points du diocèse, j ' a p p r e n d s q u e l'exercice de la charité chré­ tienne nous gagne les populations. J'aurai plus tard des détails plus circonstanciés à vous d o n n e r ; aujour­ d'hui j e me borne à constater l'effet g é n é r a l . « Le Mandarin de la ville de C h a n g - h a i , m û peutêtre aussi par l'exemple q u e lui d o n n e notre sainte Re­ ligion, a eu l ' h e u r e u s e idée de r é u n i r dans un i m m e n ­ se hôpital les enfants au-dessus de quatre ans et au-dessous de d i x , que la p a u v r e t é de leurs parents laissait exposés à m o u r i r de faim. Nous nous sommes prévalus de la présence de quelques enfants chrétiens dans cet asile pour y pénétrer. Monseigneur est par­ venu à y introduire avec l u i , outre des catéchistes et des femmes c h r é t i e n n e s , trois de nos confrères, le P . Hellot pour y établir u n système de ventilation, le P .


145 Cajétan comme m é d e c i n , et le P . B r o u i l l o n . Depuis sept semaines ils y ont baptisé u n grand n o m b r e d'en­ fants moribonds. De cet h o s p i c e , la b o n n e œ u v r e s'est r é p a n d u e d a n s les rues d e la ville et sur les barques dont le fleuve est couvert : on y baptise journellement douze ou quinze p e r s o n n e s . Un de nos b o n s chrétiens, l'ancien bonze q u e j ' a i converti a u Pou-Tom, il y a u n peu plus de deux a n s , et qui a é t é , d e p u i s , notre p o r ­ tier à Zi-kawei, travaille m a i n t e n a n t , sous la direc­ tion du P . B r o u l l i o n , au salut des âmes à Chang-hai ; il fait, surtout p a r m i les p a u v r e s , d a n s les rues do la ville et sur les b a r q u e s , u n bien merveilleux par ses ardentes exhortations. P o u r p e r s u a d e r les p a ï e n s , il se sert avec grand succès d e l'argument qu'il tire de son ancienne profession. 11 n'a trouvé d'opposition q u e de la part d e quelques bonzes et d e q u e l q u e s ministres protestants : l'un d'eux lui a m ê m e fait l'honneur de le frapper p o u r l'empêcher d e baptiser un m o r i b o n d . Mais Dieu le bénit ; il est d'une humilité et d'une docilité parfaite à l'égard d u Père qui le d i r i g e , et j ' e s p è r e qu'il continuera longtemps d'être l'instrument du salut de plusieurs. « Dans quelques districts, des écoles ont été o u v e r ­ tes par le soin d e nos P è r e s . Cette œ u v r e prend à m e r ­ veille, et elle serait susceptible d'une extension bien ra­ p i d e , si nous avions des ressources suffisantes et des maîtres d'école capables. Voici ce q u e nous allons t e n ­ ter en a t t e n d a n t que nous puissions faire mieux. Dans les g r a n d s centres de c h r é t i e n s , nous établirons des maîtres qui seront payes en tout ou en partie à nos f r a i s , afin qu'ils soient sous la m a i n des mission­ naires pour leur conduite et le plan d'études qu'ils devront suivre. L'école étant à peu près g r a t u i t e , n o u s aurons plus d'autorité pour presser


146 les parents d'y envoyer leurs enfants ; et l'instruc­ t i o n , surtout l'instruction r e l i g i e u s e , se r é p a n d r a ainsi parmi les chrétiens. Ces écoles primaires seront une pépinière où nous irons choisir les enfants qui annonceront plus de t a l e n t , pour les placer dans des écoles d'un o r d r e supérieur. On ne pourra être admis à suivre ce dernier enseignement q u ' a p r è s q u a t r e ou cinq ans d'études, et lorsqu'on a u r a fait des progrès n o ­ t a b l e s , constatés par des examens s é r i e u x . Le cours de ces écoles supérieures sera de trois ou quatre a n s , et e m b r a s s e r a , avec la littérature c h i n o i s e , l'étude appro­ fondie des livres de religion, afin que ces jeunes gens s a c h e n t rendre raison de leur foi, l'exposer et la p r o u ­ ver aux païens. Cette institution qui n e fait q u e de naî­ tre est accueillie, par les chrétiens et p a r les p a ï e n s , avec u n e faveur toute particulière. Déjà un grand ba­ chelier s'est offert pour corriger les compositions des élèves d'une des écoles supérieures; il a m ê m e promis de recevoir chez l u i , à la fin des c o u r s , ceux qui auront fait plus de p r o g r è s , et de les préparer au baccalauréat. Leurs études finies, ces jeunes gens qui auront été l'ob­ jet d'un soin spécial d e la part des P è r e s , s e r o n t , j e l'es­ p è r e , bons chrétiens et capables d'exercer sur les autres u n e heureuse influence. Quelques-uns pourront être choisis pour les études préparatoires a u sacerdoce et commenceront à a p p r e n d r e le latin ; d'autres seront places dans nos écoles c o m m e professeurs, et q u a n d ils seront parvenus à l'âge d e 2 6 ou 28 a n s , ils pour­ ront exercer l'office de catéchistes sous la direction des missionnaires. Ce plan paraît offrir bien des avantages ; mais pour l'exécuter sur u n e grande échelle il nous faudrait des fonds considérables. « J'ai la consolation de vous envoyer un petit r é s u m é

de nos travaux pendant les cinq derniers mois ; j'ose


147 espérer qu'il vous fera plaisir, Vous venez de voir nos projets d'écoles et nos institutions d e Charité ; de p l u s , 5,273 enfants d'infidèles ont été baptisés en danger de m o r t , ou après avoir été adoptés par nos chrétiens : c'est presque quatre fois le n o m b r e d e ceux que nous avions régénérés l'année dernière, P a r m i ces enfants 897 o n t été nourris dans les hôpitaux ou dans des familles particulières. Les confessions annuelles ou de dévotion sont a u nombre de 26,467 : c'est plus d e la moitié d e nos chrétiens adultes. J'espère qu'ils se c o n ­ fesseront presque tous dans l ' a n n é e . Déjà 21,698 néophytes ont e u le b o n h e u r de c o m m u n i e r d e p u i s cinq mois. « Vous savez sans doute q u e la situation politique de la Chine est à u n e époque critique. Le vieil e m p e r e u r vient d e m o u r i r : son q u a t r i è m e fils, j e u n e h o m m e d e dix neuf a n s , lui a succédé. Son d é b u t , chose bien étrange pour la Chine, a été de se montrer opposé à tout ce qu'avait toléré son p è r e . Un d e ses o n c l e s , dito n , a été empoisonné par ses o r d r e s , parce qu'il fu­ mait l'opium. Un grand mandarin qui, avant les démêlés de ce pays avec l'Angleterre, avait saisi et livré a u x flammes une g r a n d e quantité d ' o p i u m , et q u i , pour cela, avait été disgracié p a r T a o - K o u a n g , comme a u t e u r d e la g u e r r e , vient d'être rappelé à la cour et élevé à de plus grands h o n n e u r . Défense a été p r o m u l ­ guée de porter dans l'empire des habits faits d e d r a p apporté p a r les b a r b a r e s , et ordre a été donné de ren­ verser toutes les maisons construites p a r eux s u r divers points d u territoire. Les Anglais, d e leur c ô t é , sont prêts à recommencer les hostilités dès qu'il plaira a u x Chinois. Nous attendons l'issue avec assurance. Je n e crois pas qu'il se t r o u v e , dans la province d u Kiang-

nan, un seul homme qui ose se présenter en armes à


148 C h a n g - h a i . C a r t e s , si l'empereur abolissait l'usage de l'opium,

il ferait fort bien ; mais a v a n t d e prescrire

cette m e s u r e , il ne lui serait pas inutile de se d e m a n d e r s'il peut la faire mettre à exécution. « Je suis, en union de vos saints sacrifices, e t c .

«

e r

Aug

POÏSSEMEUX, S, J.

I

« Post-scriptium du 1 mai. Notre affligée mission est encore u n e fois dans le deuil. Le Seigneur vient d'ap­ peler à lui notre cher P è r e Cajétan Massa, après vingt j o u r s d'une maladie d o u l o u r e u s e . C'est i c i , dans notre maison de Z i - k a w e i , qu'il a succombé le 2 8 avril, e n ­ touré de ses quatre f r è r e s , exemple u n i q u e sans doute pour un missionnaire de la C h i n e . 11 était âgé de 29 ans et trois mois, Après de grandes d o u l e u r s , il s'est endormi t r a n q u i l l e m e n t , sans effort, et nous a laissés remplis de cette consolante p e n s é e , que le calme d ' u n e si paisible mort n'était que le présage de la paix et du repos éternel, »


149

Autre

lettre du R,

P. Poissemeux à

au R, P,

Provincial,

Paris.

Zi-kawei, 6 juin 1 8 5 0 ,

« MON RÉVÉREND P È R E ,

« II y avait bien p e u d e t e m p s q u e n o u s avions fermé la tombe d u P . Cajétan Massa, quand il n o u s a fallu songer à en ouvrir u n e a u t r e . Cette fois, ce n'est plus u n j e u n e o u v r i e r , plein d'espérance pour l'avenir, q u e nous avons vu moissonné q u a n d il ne faisait q u e d'entrer dans la carrière apostolique ; c'est u n d e nos p r i n c i p a u x m i s s i o n n a i r e s , un de ceux qui savaient bien la l a n g u e , un des plus exercés d a n s le saint ministère, u n de ceux qui s'y livraient avec le plus de zèle et dont les travaux étaient c o u r o n n é s des plus grands succès. E n f i n , et j e crois pouvoir le d i r e sans offense p o u r au­ cun de mes frères qui sont i c i , c'était p e u t - ê t r e le plus cher d e tous à nos chrétiens. Ce p r é c i e u x missionnaire dont la perte n o u s est si s e n s i b l e , c'est le t r è s - b o n P . P a u l Pacelli. « Dieu l'a appelé d e b o n n e h e u r e , à l'âge d e trenteh u i t a n s . Il n'avait pas encore travaillé bien longtemps dans cette m i s s i o n , n'étant arrivé en Chine q u ' a u com­ m e n c e m e n t d e 1 8 4 7 ; maïs déjà il était digne de la


150 récompense. Pendant les premiers mois qu'il passa au K i a n g - n a n , il fut donné p o u r compagnon a u P . Sica dans son district. Son occupation n e fut g u è r e alors que d'aider à l'administration des malades et d'apprendre la langue. Il y fil des progrès r a p i d e s , et on lui confia le district de JAm-ze-in, que depuis il n'a cessé de cultiver avec soin et d'arroser de ses sueurs. Il avait la perle des chrétientés du contient, des fidè­ les d'une foi, d'une simplicité, d ' u n e docilité e t , en général, d'une innocence a d m i r a b l e . C'est particulière­ m e n t le district des pêcheurs et des navigateurs. La vie de ces b o n s néophytes a q u e l q u e chose de merveilleux et peut être c o m p a r é e , en un s e n s , à celle des p a t r i a r ­ ches pasteurs. L'unique habitation de la famille, c'est u n e petite barque. L'enfant y naît : devenu g r a n d , il y gagne sa vie frugale du travail de c h a q u e j o u r et du petit c o m m e r c e que la pèche lui p e r m e t de faire. Si ses gains sont m o d i q u e s , ils suffisent généralement à ses besoins qui sont plus modiques encore. Le p ê c h e u r arrive-t-il à la vieillesse, il la passe toujours dans sa petite b a r q u e , où ses enfants lui payent en soins assi­ dus les services qu'il a r e n d u s lui-même à ses vieux parents. E n f i n , il y meurt ; et c'est alors qu'il quitte sa mobile d e m e u r e pour aller reposer sous u n h u m b l e m o n u m e n t , q u e sa famille lui érige sur les bords d'un canal que souvent elle parcourt, et vers lequel elle con­ duira plus souvent e n c o r e , à l'avenir, la b a r q u e q u e lui a léguée le défunt. Elle viendra l'attacher à la rive où elle a enterré son père et sa m è r e , versera quelques larmes sur la tombe chérie, ou du moins elle la saluera de sa prière en voguant sur les e a u x qui la baignent. Telle est la vie du pêcheur au Kiang nan ; sa barque lui est tout. P o u r le p ê c h e u r c h r é t i e n , c'est de plus son

oratoire, o ù , deux fois le j o u r , on l'entendra réciter,


151 ou plutôt c h a n t e r , sans respect humain et à haute v o i x , sa prière d u matin et d u soir : c'est même le plus o r d i ­ nairement son église, sa paroisse. Q u a n d il est trop éloigné du lieu où réside le Missionnaire, et qu'il est privé d e la consolation d'entendre la messe les jours de dimanche et d e f ê t e , on v o i t , à u n e h e u r e fixe d e la matinée, toute la famille, présidée p a r le père ou la m è r e , se réunir dans la b a r q u e ; là on s'agenouille a u t o u r d'un autel m o d e s t e , mais aussi élégant q u ' o n l'a p u faire, et devant l'image d u crucifix indulgencié à cette fin p a r u n privilège du Souverain Pontife, o n fait en c o m m u n et à h a u t e voix l'exercice d u chemin de la croix. Au temps de la Mission, et à l'approche des g r a n d e s fêtes, ces barques se réunissent. La flotille c h r é t i e n n e s'assemble auprès d ' u n e église où réside le missionnaire, avide d ' e n t e n d r e ses i n s t r u c t i o n s , d ' a s ­ sister au saint sacrifice et de participer aux saints mys­ tères. Tel est dans son ensemble l'intéressant troupeau q u e le P . Pacelli a soigné p e n d a n t deux a n s et d e m i . A u s s i , comme il les a i m a i t , ces chers chrétiens ! Com­ m e en r e t o u r il en était aimé ! J e l'ai vu souvent a u milieu d ' e u x ; c'était vraiment u n p è r e au milieu de sa famille : m ê m e r e s p e c t , m ê m e confiance, m ê m e obéis­ sance de la part des chrétiens ; m ê m e t e n d r e s s e , m ê m e d é v o u e m e n t , m ê m e sollicitude de la part d u missionnaire. Il aimait tous ses enfants, il les aima jusqu'à la m o r t , j u s q u ' à m o u r i r pour eux. « O u i , m o n R. P è r e , il est très-vrai de dire q u e le bon P . Pacelli est mort victime d e son affection pour ses néophytes chinois. Q u e n'eut-il pas à s o u f f r i r , lui n a t u r e l l e m e n t si s e n s i b l e , si affectueux, q u a n d il lui fallut v o i r , p e n d a n t ces longs mois de l'hiver d e r ­ n i e r , la misère et la faim décimer ses chers enfants? q u a n d il les voyait se presser autour de l u i , épuisés


152

p a r l e u r s longs j e u n e s forcés ; q u a n d il était r é d u i t , faute de ressources suffisantes p o u r soulager tous les nécessiteux, à discerner et à choisir e n t r e misères et m i s è r e s , à se roidir contre son propre c œ u r p o u r r e ­ fuser à des besoins moins e x t r ê m e s , afin d e réserver quelque chose pour ceux qui allaient p é r i r . Q u e ne souf­ frit-il pas q u a n d , m a l g r é sa sollicitude et sa générosité, on venait lui a p p r e n d r e la m o r t de q u e l q u e s - u n s d e ses enfants affamés ? Oh ! m o n R. P è r e , il faudrait avoir eu sous les yeux le spectacle d ' u n e détresse c o m m e celle qui vient de nous affliger, p o u r c o m p r e n d r e les angoisses dont u n c œ u r est serré en la contemplant s a n s pouvoir la soulager autant qu'on le voudrait. Il n'est pas besoin d'aller chercher d'autre explication à l'état d e fatigue et d ' a c c a b l e m e n t qu'éprouvait le P . Pacelli. Je lui avais écrit, il y a six semaines e n v i r o n , de venir ici se reposer q u e l q u e t e m p s ; il y vint en effet en religieux docile a u m o i n d r e signe de son Supérieur. Mais à p e i n e a r r i v é , il m e fit u n e p e i n t u r e si triste de l'état d e ses chers chrétiens, me d e m a n d a avec t a n t d'instance de retour­ n e r au milieu d ' e u x , où sa présence était si nécessaire a u x m o u r a n t s , q u e je n e pus résister à u n sentiment si b e a u et si saint. Il repartit donc en m e p r o m e t t a n t d e se m é n a g e r . Hélas ! il allait au milieu de la c o n t a ­ g i o n , au milieu du typhus ; il allait chercher la maladie q u i devait nous l'enlever. A peine r e n t r é d a n s son d i s ­ t r i c t , il se vit tous les j o u r s obligé d'assister des mala­ des atteints du fléau : dans les étroites m a i s o n s , s u r les petites b a r q u e s de ses p a u v r e s p ê c h e u r s , d a n s les c h é tifs hospices où la misère et sa c h a r i t é avaient entassé g r a n d n o m b r e d'enfants p a ï e n s , partout régnait la fièvre t y p h o ï d e , et c o m m e n t n'y pas respirer la c o n ­ tagion ? Il prenait les précautions q u e je lui avais p r e -


153 scrites ; elles furent impuissantes à le préserver. Le 2 j u i n , a p r è s quelques jours de m a l a d i e , il rendit tran »; quillement sa sainte âme à Dieu. « Je vous d e m a n d e , mon révérend P è r e , pour ce cher défunt les suffrages ordinaires de notre Province. Sera-ce au moins le dernier que nous perdrons cette a n n é e ? Nous n'en savons rien. Les lettres de nos Con­ frères m ' a n n o n c e n t q u e tout le pays est plein de mala­ des atteints du typhus; vous savez combien ce mal est contagieux. Les trois Pères que nous avons perdus depuis deux ans sont morts de cette maladie. Veuillez avoir pitié de nous et nous envoyer u n secours abondant. « Je suis

en union de vos saints sacrifices, etc. « AUG. POISSEMEUX, S.J,

»

Lettre du M. P. Lemattre, Missionnaire de la Compagnie de Jésus en Chine, ait Procureur de la mission à Paris.

H a i - m e n , juin 1850

« MON RÉVÉREND

PÈRE

« Voilà bien longtemps q u e je n'ai pu vous d o n n e r de mes nouvelles. P e n d a n t les quatre ou cinq mois qui viennent de s'écouler, le temps et le courage m o n t m a n q u é p o u r écrire. Obligé de courir et de travailler TOM XXIII. 1 3 5 . 9


154 tout le jour et u n e g r a n d e partie de la n u i t , je n e pouvais m ê m e suffire aux plus pressants besoins. La famine horrible qui règne en Chine depuis quelques m o i s , a fait dans ce pauvre pays de Hai-men des r a ­ vages effrayants. Les recolles avaient beaucoup souf­ fert des inondations précédentes : il y a deux a n s , la mer avait brisé ses digues cl couvert de ses flots le quart de cette presqu'île et des îles adjacentes. T o u t avait été détruit dans la partie i n o n d é e , et la t e r r e , chargée de sel, n'avait presque rien produit l'armée dernière à la première récolte. Un peu avant la seconde, quand le c o t o n , le m a ï s , les fèves et le riz donnaient de belles e s p é r a n c e s , vinrent des pluies continuelles qui firent de tout le pays u n e vaste m e r , où j ' a i navi­ gué plusieurs jours presque sans rencontrer d'obstacles. La récobe était entièrement perdue et les anciennes ressources épuisées ; la famine n e pouvait m a n q u e r de sévir avec rigueur. « Dès le mois de n o v e m b r e , on trouvait des mal­ heureux morts de faim dans les rues des villes et sur les grandes routes. Le n o m b r e des victimes dans la seule ville de Tom-tseu s'est é l e v é , d i t - o n , jusqu'à quinze mille. Tous les j o u r s , des gens soldés par le Mandarin parcouraient trois fois la cité, et emportaient les cadavres qu'ils trouvaient le long des maisons et dans les halles servant d'asile aux pauvres, Q u e l q u e fois même avec les morts ils enlevaient ceux qui res­ piraient encore. — « Laissez-moi, criait un de ces in­ fortunés en se voyant saisi pour être porté en terre ; j e n e suis pas mort. — N'importe, disaient les fossoyeurs; aussi bien tu mourrais certainement aujourd'hui ; » et ils continuaient leur travail. C'est q u e ces hommes re­ cevaient u n e somme déterminée p o u r chaque person­ n e qu'ils e n t e r r a i e n t , et qu'ils étaient intéressés à en


155 grossir le nombre. Je tiens ce fait d e plusieurs témoins oculaires. Dans les autres localités c'était la m ê m e misère et la m ê m e mortalité. Il était presque impossible d e traverser quelque bourgade sans rencontrer des cadavres étendus d a n s les rues. Au moins ceux qui m o u r a i e n t ainsi près des habitations étaient enterrés le jour m ê m e ou le lendemain ; mais ceux qui t o m ­ baient dans les campagnes restaient là h u i t ou quinze jours, sans que personne s'occupât de les couvrir d ' u n peu de terre. « J'ai interrogé beaucoup de Chinois sur le n o m b r e approximatif des mort dans Hai-men ; on le porte généralement à plus d'un dixième de la population. Ce chiffre est peut-être un pou exagéré : mais le n o m b r e des victimes ne fût-il que de sept ou huit sur c e n t , jugez combien de milliers de personnes ont dù succom­ b e r dans cette p r e s q u ' î l e , qui compte plusieurs m i l ­ lions d'habitants. « Les cinq mille chrétiens q u e nous avons dans ce district sont aussi pauvres: que les païens, et nous e n aurions perdu plusieurs centaines sans les secours q u e nous sommes parvenus à leur procurer. J'ai couru de tous côtés, j ' a i é c r i t , j'ai frappé à toutes les p o r t e s , j'ai crié à la failli, et l'on a eu pitié de nous. Mgr Maresca m'a donné pour mes néophytes plus de 1 , 0 0 0 fiancs. Le R. P. S u p é r i e u r , se confiant en la divine Providence, m'a envoyé u n e g r a n d e partie des ressour­ ces de Zi-kawei ; de sorte que j ' a i eu à ma disposition, pour soulager les plus nécessiteux dans ce temps d e disette, environ 1 9 , 0 0 0 francs. Si Dieu cesse d'affiger ce pays d é s o l é , celte somme ne sera pas e n t i è r e m e n t perdue : quelques familles aisées, qui ont dû être se­ courues comme les autres pendant la f a m i n e , veulent r e n d r e ce qu'elles ont r e ç u , dès qu'elles auront ré­

colté un peu de coton.


156 « Vous pouvez d o n c , mon révérend P è r e , annon­ nos bienfaiteurs, et eu particulier aux Con­ seils de la Propagation de la Foi, qu'avec leur aide et en leur n o m , j'ai pu sauver la vie du corps à plus de mille personnes, il ne faut presque rien pour empêcher u n chinois de mourir ; mais le difficile était de trouver le peu qui lui est nécessaire. La n o u r r i t u r e commune, non-seulement des pauvres, mais de beaucoup de riches propriétaires, était u n e sorte de bouillie, faite avec du s o n , ou mieux encore avec du t o u r t e a u , résidu de l'huile de fèves. Heureux qui pouvait se procure r c h a ­ q u e jour quelques onces de cette dégoûtante pâture ! Vous pourrez dire encore à tous nos bienfaiteurs que leurs a u m ô n e s ont produit un très-grand bien dans les âmes. D'abord cette chretienté de Hai-men est conservée, et c'est bien quelque chose dans u n pays où il est si difficile de faire de nouveaux chrétiens. De p l u s , les païens ont vu que nous n'étions pas comme les bonzes, et q u e nous n e venions pas au milieu d'eux pour avoir l'argent du peuple. Aussi nos œuvres de charité ont elles fait g r a n d e impression sur les esprits, et l'on com­ mence à se demander qu'elle est cette religion qui sait inspirer de tels sentiments. Quelques familles idolâtres auxquelles j ' a i pu venir en aide, sont désormais gagnées à Jésus-Christ. Que n'ai-je pu en secourir un plus grand nombre ! Mais j'avais trop peu pour les fidèles. Enfin, au moyen d e quelques provisions, j ' a i mis plusieurs zélés chrétiens en mesure d'aller à la recher­ che des âmes. P e n d a n t les deux derniers mois de la famine, plus de six cents adultes ont été baptisés en danger de m o r t , ainsi que mille enfants dont plus de deux cents ont été recueillis par nos chrétiens. Mes pauvres ont voulu partager avec eux ce qui suffisait à peine pour leur plus strict nécessaire. Deux de mes

cera tous


157 tatechistes envoyes à Tom-tseu, ville où la mortalité a été si g r a n d e , o n t , en quinze j o u r s , préparé et admis au b a p t ê m e environ deux cents adultes ; ils en a u ­ r a i e n t régénéré u n bien plus g r a n d nombre si l'un d'eux n'avait pas été d'une conscience trop timide. Q u a n d il expliquait les principaux mystères d e la foi, on l'écoutait avec g r a n d e a t t e n t i o n , et plusieurs d e m a n ­ daient le baptême ; mais mon brave catéchiste, ne les ju­ geant pas encore assez instruits, remettait au lendemain ceux qu'il n e voyait pas tout à fait à l'agonie : o r , as­ sez s o u v e n t , le l e n d e m a i n , en revenant à la halle où étaient entassés ces m a l h e u r e u x , il trouvait morts tous ceux qu'il avait baptisés et ceux à qui il n'avait osé accorder la même grâce. Une f e m m e , un peu plus hardie et n o n moins d é v o u é e , travaillait auprès des pauvres païennes : en trois semaines elle en a baptisé plus de q u a t r e c e n t s , et u n nombre à peu près égal de petits enfants. « Les deux catéchistes, p o u r récompense de leur z è l e , ont en l'honneur d'être cités à la barre du Man­ darin. En comparaissant devant le j u g e , ils ont déclaré h a u t e m e n t qu'ils étaient c h r é t i e n s , et que leur religion ordonnant de faire du bien à t o u s , ils n'avaient pas cru pouvoir mieux lui obéir qu'en venant consoler et secourir tant de malheureux. Après cette d é c l a r a t i o n , on ne leur fit que des questions insignifiantes, et ils sortirent du tribunal avec la gloire d'avoir confessé g é n é r e u s e m e n t leur foi. Quelques jours a p r è s , leurs forces étant épuisées, ils d u r e n t cesser leur admirable apostolat. L'un d'eux avait vomi j u s q u ' a u sang toutes les fois qu'il était entré dans ces halles infectes où l'on entassait les m o u r a n t s . L'autre portait dans son sein le germe d ' u n e grave maladie qui se développa rapide­ m e n t . Au b o u t de quelques j o u r s il était à l'extrémité.


158 Pendant u n délire assez prolongé, il n e faisait que p r ê ­ cher les p a ï e n s , cl surtout les mères qui avaient des enfants en danger de mort. Quand j e lui administrai les derniers sacrements, j e croyais bien qu'il ne t a r d e ­ rait pas à succomber ; mais Dieu, d a n s s a b o n t é , a bien voulu nous le r e n d r e , et le voilà prêt à reprendre son ministère. La femme que son zèle avait portée aussi à parcourir les rues de Tom-tseu pour baptiser les païen­ nes m a l a d e s , dut également céder à la fatigue ; mais on m'a dit q u e , rentrée dans sa famille, elle n'avait pu se résigner à prendre quelques jours de r e p o s , et qu'elle était repartie pour cette ville idolâtre, afin d'y gagner des âmes à Jésus-Christ. Elle étonne tout le monde par son intrépidité ci sa persévérance. a Parmi nos P è r e s , deux, sont morts victimes de leur zèle et de leur charité. D'autres ont eu l'honneur de souffrir de différentes manières pour sauver la vie et les âmes des Chinois. Pour mon c o m p t e , tout ce que j'ai pu a c q u é r i r , c'est d'être si fatigué que j ' e n suis devenu comme un un privé d'intelligence. Depuis longtemps j e ne puis plus lier deux idées l'une à l'autre: si je veux lire ou m é d i t e r , je m ' e n d o r s , ou je reste accablé, incapable d'aucune réflexion S a n s doute, ma lettre se ressentira de cet état de fatigua ; mais je sais que vous êtes i n d u l g e n t , et je n'ai pas la crainte de vous ennuyer en vous p a r l a n t de la Chine. « Je s u i s , en union de vos saints sacrifices, etc.

« M. LEMAÎTRE, S. J,


159

MANDEMENTS D E NOSSEIGNEURS LES EVÊQUES EN FAVEUR D E

L'OEUVRE

DE LA PROPAGATION DE LA FOI»

Au commencement de ce N u m é r o , nous avons r a p ­ pelé qu'à l'exemple des Souverains Pontifes, déjà plus de trois cents Evêtues avaient prodigué à notre Associa­ tion les témoignages de leur haute bienveillance. Nous sommes heureux d'ajouter q u e ces précieux encoura­ gements nous arrivent plus nombreux que j a m a i s . Depuis la dernière liste que nous avons récemment p u b l i é e , six m a n d e m e n t s nouveaux ont recommandé l'OEuvre aux diocèses de V e r d u n , d'Aire, de D i g n e , de Monde., d'Alger et de Montréal (en Sicile).

DÉPARTS DE

MISSIONNAIRES,

Sont partis du Séminaire de d e , pendant l'année 1 8 5 0 : MM. Patrick P h e l a n , p r ê t r e , gleteire, Francis Danahec id. cosse, Hughes Reilly, id. J a m e s Lynet, id. Bernard S h e r i d a n , id.

D r u m c o n d r a en Irlan» pour les Missions d'An pour les Missions d ' E ­ pour les E t a t s - U n i s , pour la J a m a ï q u e , pour M a d r a s ,


160 Thomas Fleeson, d i a c r e , pour Madras, Michel S h e a h a n , p r ê t r e , pour le T e x a s , Denis B r e n n a u , s o u s - d i a c r e , pour les EtatsUnis, John J e e l i n s , id. pour les Etats-Unis André J a l t y , id. pour les Etats-Unis, James 0 H a g a n , dans les ordres m i n e u r s , pour Calcutta, John l l o y n e , é t u d i a n t , pour C a l c u t t a , Noms des Pères et Frères de la Congrégation de qui se sont embarqués au Havre, le 23 avril à bord du navire l'Arche d'Alliance (1),

Picpus, dernier,

RR. PP. Flavien F o n t a i n e , b e l g e , ancien curé du diocèse de Tournay ; Delphin P r o u e t , prêtre du dio­ cèse d'Avignon ; Rogation P é r i e r , prêtre du diocèse de Rennes ; Luc Boyer, prêtre du diocèse de Rodez ; Lucien Vacfsen, hollandais, élève de philosophie. F F . convers. Fidèle Labrunie, du diocèse de Cahors ; Anicet Taslevin, du diocèse de Viviers ; Vincent Ribo, espagnol.

( I ) Au moment où ces Religieux s'embarquaient, nous avons annon­ cé leur départ, mains sans y joindre leurs nome, qui nous étaient alors inconnus,

1 - il

Imprimerie de J. B, Pélugaud.


161

COMPTE-RENDU DE

1850.

Nos associés verront avec u n vif intérèt, dans le compte-rendu d'autre p a r t , que, malgré la difficulté des circonstances d a n s plusieurs contrées, les receltes de l ' Œ u v r e , en 1850, ont atteint u n chiffre supérieur à celui de la précédente a n n é e , et ils s'uniront à nous p o u r en remercier la Providence.

TOM,

XXIII,

136.

MAI

1851.

10


162 COMPTE GENERAL RESUME DES RECETTES ET DEPENSES RECETTES

1.065.619 87 France. Lyon. 842,296 46 Paris. Allemagne. . . .

4,907,916 f. 33 c,

Amérique du Nord. Amérique du Sud. Belgique.

.

.

.

.

I

A n g l e t e r r e . 28,200

Britanniques (iles).

Ecosse.

.

Sardes (Etats)

45,663 121,417 780 37,394 46,807

84 83 22 70 68

48

13,388

98

165,257

32

126,572

64

42,374

46

8,393

65

08 12

Eglise (Etats de l') . . . . Espagne. Grèce. . . . . . . . « Levant. . . . . . . . Lombard-Vénitien (royaume). Malte (île de) . . . . . Modène (duché de) . . . Parme (duché de) . . . . Pays-Bas. . . . . . . Portugal. . Prusse. . . . . . . Gènes. Piémont. Sardaigne. Savoie. . Naples. .

95

69,401

44

5,050 »»

I r l a n d e . . 81,865 C o l o n i e s . . 11,457

41,895

¡

766

56

5,302

90

36,600

41

40,371

71

13,362

57

10,758

46

85,330

20

28,333

03

162,704

10

205,256 59

56,300 34 Siciles(Deux-) S i c i l e . 9,492 6 6 46,452 47 Suisse. ... . 42,711 42 Toscane. . • . . . . . 1,512 06 De divers pays de l'Italie (versé à Rome). 1,395 90 De diverses contrées du nord de l'Europe. . Recouvrement sur une lettre de change en 370 7 0 souffrance. . . . . . . . . 3 , 0 8 2 , 7 2 9 93 Total des recettes propres à l'année 1850 (*) Somme restée sans emploi par suite du décès du Supérieur de la Mission à laquelle elle 9,125 »» était destinée . . . Restait en excédant des recettes sur les dé­ 217,791 penses du précédent compte de 1849 . . 52 Total général. . 3,309,646 f. 45 c. (') Voir la note (4), pag. 1 6 4 .


163 DE

L'ŒUVRE

DE

LA

PROPAGATION DE LA

F O I ,

EN

1850

DÉPENSES.

Missions d'Europe. Id. d'Asie Id.

d'Afrique

ld.

d'Amérique.

515,245

f. »» C.

1,046,165

77

270,050

»»

776,984

75

168,024

59

33,827

77

Id. de l'Océanie : 410,453 »»

Frais de publication des Annales et autres imprimés tant en France qu'à l'étran­ ger (*) Frais ordinaires et extraordinaires d'admi­ nistration tant en France qu'à l'étran­ ger (**).

S

Total des dépenses propres à l'année 1850. 3,220,748 Reste en excédant des recettes sur les dépen­ ses du présent compte 88,897 Somme égale au total général ci-contre.

.

86 59

3,309,646 f. 45 c,

(') Voir la note (2), pag. 164. (**) Voir la note (3), même page.


164 ( 1 ) D a n s l e total d e s recettes se trouvent divers d o n s parti­ culiers ; parmi ces d o n s , quelques-uns avaient des destinations s p é c i a l e s , qui ont été scrupuleusement respectées. Plusieurs d e ces d o n s , provenant d e diocèses français et é t r a n g e r s , ont é t é f a i t s à l'OEuvre p o u r l e b a p t ê m e et le r a c h a t d e s e n f a n t s d ' i n fidèles,

et pour

honoraires d e m e s s e s à dire par l e s M i s s i o n ­

naires. N o u s d e v o n s ajouter q u e t o u s l e s b i e n f a i t e u r s d e l ' O E u v r e se r e c o m m a n d e n t d'une m a n i è r e spéciale aux prières des M i s ­ sionnaires. L e produit d e s A n n a l e s et collections v e n d u e s se trouve u n i aux chiffres d e s recettes de c h a c u n des diocèses d a n s lesquels la vente a été effectuée. (2) D a n s l e s f r a i s d e p u b l i c a t i o n s o n t c o m p r i s l ' a c h a t d u p a p i e r , l a c o m p o s i t i o n , le t i r a g e , la b r o c h u r e d e s c a h i e r s , la t r a d u c ­ t i o n d a n s l e s d i v e r s e s l a n g u e s et la d é p e n s e d e s i m p r e s s i o n s accessoires, telles q u e celles d e s p r o s p e c t u s , b l e a u x , billets d ' i n d u l g e n c e , outre que l'extension

coupd'œil,

ta­

e t c . , e t c . Il f a u t r e m a r q u e r e n

de l'OEuvre nécessite quelquefois

plu­

s i e u r s é d i t i o n s d a n s l a m ê m e l a n g u e , s o i t à c a u s e d e la d i s ­ t a n c e des l i e u x , soit par suite de l'élévation des droits de doua­ n e s o u autres m o t i f s g r a v e s . C'est a i n s i q u e , p a r m i l e s é d i t i o n s d e s A n n a l e s , il s ' e n t r o u v e t r o i s e n a l l e m a n d , d e u x e n a n g l a i s , trois e n italien ; (3) D a n s l e s frais d ' a d m i n i s t r a t i o n

sont comprises les d é ­

p e n s e s faites n o n - s e u l e m e n t e n F r a n c e , m a i s aussi e n d'autres c o n t r é e s . C e s d é p e n s e s s e c o m p o s e n t d e s frais d e v o y a g e s , d e s traitements d e s e m p l o y é s , des frais de bureaux, de loyers, regis­ t r e s , ports d e l e t t r e s p o u r la c o r r e s p o n d a n c e t a n t a v e c l e s d i v e r s d i o c è s e s q u i c o n t r i b u e n t à l'OEuvre par l ' e n v o i

d e leurs a u ­

m ô n e s , qu'avec les Missions d e tout le g l o b e . L e s fonctions des administrateurs sont toujours et entièrement gratuites.

partout


165 DÉTAIL

DES

AUMONES

TRANSMISES PAR LES DIVERS DIOCÈSES QUI à

L'OEUVRE EN

ONT

CONTRIBUÉ

1850,

FRANCE, Diocèse d'Aix . . . . — d'Ajaccio — d e Digne. . . . — d e Fréjus — de Gap — de Marseille

— d'ALBi. — — — — — — — — —

ï *

.

.

lbi

.

.

.

.

1 4 , 5 7 1 f. 9 5 c. 1,414 50 6,634 65

.

27,416 7,686 38,934

»» 10 80

24,684

61

14,695 18,800 7,000 36,656 29,300 26,390 24,457 15,500 55,900

»» »» »» 80 »» 60 50 »» »»

30,000

20,082

14

. 3

) >™

t

3

| Castres 1 1 , 5 5 4 36 \ d e Cahors. . . . . . deMende(l) . . . . de Perpignan . . . d e Rodez. . . . . . d'AuCH . . . . . .* d'Aire ' d e Bayonne deTarbes d'AVIGNON ( 2 ) . . . .

— de M o n t p e l l i e r .

.

.

.

— de Nîmes — de V a l e n c e .

.

.

.

.

16,745 35 4 1 6 , 8 58 9 f. 90 c.

(1) y compris 4 , 0 0 0 francs appartenant à l'exercice précédent. — Une somme de 1,677 f, 8 0 c , arrivée trop tard, sera portée au comp­ te-rendu de 1 8 5 1 . (2) Y compris un don de 2 4 , 0 0 0 francs.


166 Report 4 1 6 , 8 6 9 f. 90 c 1 9 , 8 5 2 30 32,247 35

Diocese de Viviers. (1) - de BESANCON

— de Belley.

..

— de Metz — de Nancy ( 2 ) .

...

— de Saint-Die. — de Strasbourg — de Verdun . .

. .

... . .

de BORDEAUX.

— — — —— —

d'Agen . . . . . d'Angouleme (3) . . de Lucon. . . .. de Perigueux (4) . de Poitiers (5). de la Rochelle (6)..

...

de

BOURGES.

..

— de Clermont-Ferrand. — de Limoges. — du Puy — de Saint-Flour.

.. ... ..

— dc Tulle

...

20,854 34,862 24,129

01 65

16,400 41,518 19,700 41,631

45 30

20,800 7,538 23,748 7,205 22,605 17,042 5,200 28,000 11,993 20,972 18,562 6,200

»»

»»

50 »»

60 70 20 »»

95 »» »»

45 »»

60 »»

8 5 7 , 9 2 3 f. 96 c.

(1) Y compris divers dons, savoir : deux dons de 100 fr. chacun, et un de 5 0 fr. de la paroisse de Satillieu ; un de 3 0 0 fr. du canton d'Aubenas ; un de 5 0 0 fr. de la paroisse de Vernoux ; un de 2 5 fr. de la paroisse de Mauve ; un de 5 0 fr. de la paroisse de Gravières ; et un de 4 0 0 fr. d'un anonyme. (2) Y compris 1 0 , 0 0 0 fr. appartenant à l'exercice précédent. (3) Y compris un don de 4 , 0 0 0 fr. (4) Y compris un don de 1 , 0 0 0 fr. (5) Y compris un don de 1 , 0 0 0 fr. pour un Missionnaire, de Canton, (6} Y compris un don de 8 0 0 fr.


167

Report 8 5 7 , 9 2 3 f. 9 6 c. Diocèse de CAMBRAI.

.

—- d'Arras —

.

de LYON.

.

..

77,649

05

.

25,805

»»

...

163,853

16

19,078

»»

10,875

»»

— — — — —

d'Autun ( 1 ) . . . ... de Dijon ( 2 ) . . . ... de Grenoble. ... de Langres . . . . ... de Saint-Claude. . .

29,601

de PARIS ( 3 ) .

76,892

60

.

5,570

»»

— de C h a r t r e s . . . . — de Meaux

6,312

05

4,421

90

— de Blois ( 4 ) .

.

.

.

19,500 22,070

.

.

15 » » »»

— d'Orléans ( 5 ) . . — de Versailles. .

. .

. .

8,661

25

11,882

60

.

.

13,070

55

— d'Amiens ( 6 ) . . . . — de Beauvais . . . — de Châlons-sur-Marne.

17,859

»»

7,964

»»

de REIMS.

— de Soissons . —

.

.

...

7,000

.

de ROUEN

...

»»

15,527

39

28,076

13

1 , 4 2 9 , 5 9 2 f. 6 9 C,

(1) Y compris un don de 5 0 0 fr. (2) La recette du diocèse de Dijon, pour 1 8 5 0 , devrait comprendre en outre, une somme de 1 , 0 4 9 fr. 9 0 c , qui a été inscrite au compte de 1 8 4 9 , et par contre être diminuée de 3 7 7 fr. 4 0 c. compris dans le total ci-dessus, et appartenant à 1 8 5 1 ; en sorte que la recette de ce diocèse s'est élevée effectivement à 1 1 , 5 4 7 fr. 5 0 c. ( 5 ) Y compris 1 1 , 8 8 8 fr. 7 0 c. montant de divers dons, parmi les­ quels il en est un de 1 , 0 0 0 fr. pour le Saint-Sépulcre. ( 4 ) Y compris deux dons montant ensemble à 2 4 3 fr,. (5) Y compris un don de 5 0 0 fr. (6) Y Compris un doa de 3 , 0 0 0 fr.


168 Report Diocèse de Bayeux (1) : — de Coutances (2) .

.

— d'Evreux — de Séez —

... ...

de SENS

— de Moulins . — de Nevers.... — de Troyes......

.

.

de TOULOUSE

.

de TOURS

— d'Angers

.

.

.

.

— de Carcassonc — de M o n t a u b a n . — de Pamiers. . —

1,429,592 f. 69 c. 23,454 » » 29,710 » » 6 , 5 2 9 95 96 14,327 8,361 » »

. ..

.

.

. . . . . . . .

.

.

.

.

.

.

— du Mans (3) . — de Nantes (4) .

. .

. .

. .

.

.

.

— de Q u i m p e r — de Rennes — de Saint-Brieuc. — de V a n n e s

COLONIES

»»

6,500 41,970 16,211

»»

14,001 6,222 13,039 29,469 41,303 67,959 23,700 50,091

.

.

6,004 5,953

25,000 28,335

90 95 70 25 »» »»

20 »»

30 60 93 »»

35

FRANÇAISES.

Diocèse d'Alger Guadeloupe.

3,762 368

45 »»

1 , 8 9 1 , 8 6 8 f. 13 c

( 1 ) Y compris deux dons, l'un de 1 , 0 0 0 f r . , e t l'autre de 160 fr. ( 2 ) Y compris, entre autres dons, un de 1 0 0 francs d'un artisan de Tréau ville. ( 3 ) Y compris deux dons, l'un de 4 0 0 fr., et l'autre de 2 0 0 fr., provenant de Laval. ( 4 ) Y compris 6 , 2 8 8 fr. 3 0 c , montant de divers dons, parmi les­ quels l i e n est un de 4 , 2 7 9 fr, 3 0 c ,


169 Report Martinique .

.

.

.

.

.

1,891,868 f. 13 c.

.

Pondichéry. . . . Réunion (île de la) (1). . .

.

Saint-Pierre et Miquclon.

.

.

5,700

»»

1,122 9,070

20 »»

156

»»

l , 9 0 7 , 9 1 6 f . 3 3 c. ALLEMAGNE. forins.

De divers diocèses

...

Diocèse de Trieste.

.

kr,

4,599 46

1 5 , 6 2 8 f. 26 c.

AUTRICHE.

GRAND-DUCHÉ

.

73

DE

Diocèse de Mayence .

182

8

80

HESSE-DARMSTADT.

.

713 4 9

1,529

61

1,831

21

933

07

2,062

50

19,728

50

HESSE-ÉLECTORALE.

Diocèse de Fulde.

.

.

DUCHÉ

Diocèse de Limbourg.

854 34 DE

.

NASSAU.

435 26 SAXE.

Vicar. apost. de la S a x e .

9 6 2 30

WURTEMBERG.

Diocèse de Rotlenbourg. 9,206 38

4 1 , 8 9 5 f. 9 5 c. AMÉRIQUE DU NORD. AMÉRIQUE

ANGLAISE.

liv. can. sh. d,

D i o c de QuÉBEc(Canada). 1,682 17 101/2,3 5 , 9 0 1 f. 73 c. — de Montréal (id.) (2) 1,278 7 7 2 7 , 2 7 2 »» 63,173f.73c.

(1) Y compris un don de 5 , 6 0 0 francs. (2) Cette somme est le montant de la recette de i 849 ;


170 Report Diocèse d'Halifax (Nouvelle-Ecosse) (1) — d u Nouveau-Brunswick ...

6 3 , 1 7 3 f . 73 c. 1,620 »» 782 75

ÉTATS-UNIS.

dollars. :

Diocèse de la Nouvelle Orléans. — de Pittsbourg . . . .

700 65

3,500 325

»» »»

»»

»»

MEXIQUE,

De divers diocèses (2) . . .

.

6 9 , 4 0 1 f. 48 c. AMÉRIQUE

DU

SUD.

BRÉSIL.

reis.

Diocèse de BAHIA (3) . . — de Rio-Janeiro (4).

160,900

1,006 f. 18 c. »»

CHILI.

piastres.

Diocèse de SANTIAGO ... — de C o q u i m b o , s

2,453 64 22 92

12,268 114

20 60

1 3 , 3 8 8 f. 98 c". BELGIQUE. Diocèse de MALINES — de Bruges

.

. ...

. g

2 9 , 1 0 8 f. 84 c. 2 5 , 0 8 1 »» 5 4 , 1 8 9 f. 84 c.

(1) D'autres fonds ont été annoncés, mais ne sont point encore par­ venus. (2) 1 , 4 8 0 piastres, annoncées, n'ont pas encore été reçues. (3) D'autres fonds envoyés n'ont pu être encaissés par suite du décès de la personne à l'ordre de laquelle était émise la traite qu'il a fallu re­ tourner. (4) Des fonds ont sans doute été recueillis à Rio-Janeiro, mais ils n'é­ taient pas parvenus avant la clôture.


171 Report

5 4 , 1 8 9 f. 84 c.

Diocèse de Gand . . . . — de Liège (1). . . . . — deNamur . . . . . — do T o u r n a y (2). . . .

35,556 37,001 12,470 26,038

96 50 19 83

1 6 5 , 2 5 7 f. 32 c. ÎLES BRITANNIQUES. ANGLETERRE.

District de Londres. a — de Lancastre. • — d'Yorck . . — — — — Pays

du Nord du Centre dc l'Est . de l'Ouest de Galles

. . .

0 a

liv. st.

sh.

223 319 141 36 175

13 12 16 18 * 15

14 18 130 14 73 8

d,

8

4 5 1

5 , 6 4 8 f. 01 c. 8,070 10 3 , 5 8 0 62 932 5 2 4,438 60 3 7 6 60 66 3,300 43 1,853

.

1,262 2,398

60 75

1,388

75

2,418 227 55 311

36 89 05 39

1

2 8 8

ECOSSE.

District de l'Est. — du Nord ( 3 ) . — de l'Ouest.

s

...

. . • IRLANDE.

Diocèse d'ARMAGH .

— d'Ardagh. . — de Clogher • — de Derry.

95 2 9 8 19 4 2 3 8 12 5. »

3 6 , 2 6 3 f. 1 3 c.

(1) Y compris, entre autres dons, un de 4 , 0 0 0 francs. - (2) Y compris divers dons. (3) Y compris 1 , 2 6 2 fr. 50 c. recueillis en 1819.


172 Report sh.

d.

42 8 21 1 14 6 85 19 1 1 34 1

6 2 9 6 8 9

liv. st.

Diocese de Down et Connor . — de Dromore — de Kilmore — de Meath. — de Raphoe

36,263 f. 13 c.

1,078 535 364 2,185 27 856

40 29 42 43 50 50

17,972 4,507 655 920 1 737 8 7,320 8 28,987 4 1/2 4,911 7

38 70 50 26 98 28 51 84

3,424 1,024 84 78 247 2,893 38

16 52 62 32 88 88 02

Adélaïde (Australie) . . . . Cap d e Bonne-Espérance (province

631

25

occidentale.) Cap d e Bonne-Espérance orientale.) .

775

60

986

»»

de CASHEL

— de Cloyne et Ross . • . — de Corck. . — de Kerry. • — dc Killaloe . — de Limerick — d e Waterford . —

de DUBLIN

706 17 7 177 6 8 25 15 10

36 4 29 » 287 19 . 1,139 18

— de F e r n s .

. 193 4 — de Kildare et Leighlin . . 134 14 1 — d'Ossory. . . 40. 6 1 — de TUAM. ,3 6 8 — d'Achonry .. 3 1 8 — d'Elpliin. 9 15 2 — de Galway . 113 17 4 — de Kilfenora. 1 10 »

COLONIES BRITANNIQUES.

(province

117,507 f. 37 c!


173 Gibraltar . . . . . . Port d'Espagne (Trinidad) Jafnapalam (Ceylan). . . Madras (Indes orientales) . Mangalore (id.) . . . Vérapolly (id.) . . .

Report . . . . . . . . . . . . .

1 1 7 , 5 0 7 f. 1,099 . 520 190 6,455 579 220

37 c. 87 »» »» 40 69 31

126,572f. 6 4 c . ÉTATS DE L'ÉGLISE. écus romain :.

Receltes de 1849 (1) . 7,668 2 8 Don envoyé de Rome, en 1 8 6 0 , pour le b a p t ê m e des enfants Chinois.

4 1 , 1 3 1 f. 96 c. 1,242

50

4 2 , 3 7 4 f. 4 6 c. ESPAGNE. réaux.

De divers diocèses.

...

30,842

7 , 7 1 0 f. 60 c.

ILE DE CUBA.

piastres.

Diocèse de la Havane (2).

133

683

15

8 , 3 9 3 f. 65 c.

(1) Le total de ces recettes porté à 5 4 , 3 0 0 fr. 2 2 c. au Numéro 1 3 0 des Annales, page 2 0 1 , n'est inscrit ici que pour 4 1 , 1 3 1 fr. 9 6 c. par suite d'un emploi de 2 , 4 3 4 écus romains, soit : 1 3 , 2 2 8 fr. 2 6 c. fait par la Sacrée Congrégation de la Propagande pour divers, objets de Mis­ sions ; (2) Cette somme provient de la ville de la Trinités


174 GRÈCE. .

.

.

a drachmes.

Diocèse de Santorin. . . . — de Syra . . . — de Tyne. (1).. . .

388 07 222 2 2 2 4 4 »»

349 f. 17 c. 2 0 0 »» 217 39 766 f. 56 e.

LEVANT. piastres turques

Vicariat apostolique de CONSTANTINOPLE.

.

10,152

20

959

»»

215

50

3,522 815 628

50 30

812 187 157

65 35 »»

»

»»

d e Sophia . . .

Diocèse de SMYRNE

.

.

— de Scio ( 2 ) . • • -— de Beyrouth . — d e D a m a s (3). . Ile de Chypre. . . Vicariat apostolique de I'ÉGYPTE.

..

420 4,023

»»

»

»»

»»

105

»»

»»

1,035 258

95

250

»»

--- de Tunis Tripoli de Barbarie .

.

2 , 2 8 1 f. 4 5 c .

. .

»»

5,302f. 9 0 c . LOMBARD-VÉNITIEN ( ROYAUME ) . liv. autrich.

Diocèse de MILAN. — de Bergame. — de Lodi . .

.

23,046 7,602 . 534

36 36 »»

1 9 , 6 2 8 f. 9 2 c. 6,377 »» 4 5 8 »» 2 6 , 4 6 3 f. 9 2 e.

(1) 8 8 2 drachmes, annoncées, ne sont pas encore parvenues.' (2) 7 7 2 piastres turques, annoncées, ne sont pas encore parvenues. (3) 1 4 3 fr. 2 5 c , soit : 6 3 4 piastres turques, arrivés trop tard, seront portés au compte-rendu de 1 8 5 1 .


175 Report liv.

ocèse de Mantoue . — de T r e n t e (1). — de Chioggia. .

161 2,360 60

»»

— de Concordia . — de Padoue (2).

200 1,846

»»

— d'Udine. . . — de Vérone. — de Vicence.

. .

2 6 , 4 6 3 f . 92 c.

autrich.

»»

58 3,797 62 572. 31 3 , 0 3 6 88

135 2,010 50 168 1,551 3,190 480 2,550

24 »»

40 »»

13 »»

74 98

3 6 , 6 0 0 f . 41 c.

ÎLE DE MALTE. écus

Diocèse de Malte.

maltais.

5,000

1 0 , 3 7 1 f. 71 c.

DUCHÉ D E M O D È N E .

Diocèse de Carpi. . — de Guastalla . — — — —

de Massa. de Modène(3). de N o n a n t o l a . de Reggio. .

1,506 f. 32 c. 326 43 1,376 83 4,427 14 225 5,500

85 »»

1 3 , 3 6 2 f. 57 c.

(1) Y compris 9 2 0 fr., soit : 1,070 liv. autrich., provenant de la ville de Roveredo. ( 2 ) Y compris un don de 4 4 3 fr. 5 2 c , soit : 528 lïv. autrichi. ( 3 ) Y compris, entre autres dons, un de 73 fr. 11 c , offert par un médecin de Modéne.


176 DUCHÉ DE PARME. Diocèse de Borgo-San-Donnino. — de P a r m e .

.

.

.

.

— de Plaisance (1)...

316f. 7 2 c . 4,048 63 6 , 3 9 2 91 10,758f. 1 6 c .

PAYS-BAS. Vicariat apostolique de Bois-le-Duc. — de Bréda

. . . . . .

.

.

.

.

— du Limbourg. . . — du Luxembourg. . De divers archiprêtrés . .

. . .

2 4 , 3 1 6 f. 9 1 c . 4 , 2 3 2 80 1 9 , 7 4 8 11 9 , 0 2 9 »» 2 8 , 0 0 3 38 8 5 , 3 3 0 f. 2 0 c.

PORTUGAL. reis.

Diocèse de BRAGA. . — d'Aveiro. — — — — — -— — —

.

.

1,380,890

8 , 6 3 0 f. 57 c.

21,600

135

»»

de Bragance. . 96,000 de Castello-Branco. 9,600 dc Coïmbre . . 419,485 de P i n h e l . . . 8,600 de P o r t o . . 407,050 de Thomar. . . 4,800 de Viseu. . 405,250 id. (2). . . 676,000

600

»»

60 2,621 53 2,544 30 2,532

»» 78 75 06 »» 81

»

»»

1 7 , 2 0 7 f . 97 c. ( 1 ) Y compris divers dons s'élevant à 4 1 9 fr. 0 2 c , parmi lesquels il en est un de 2 4 5 fr. 8 5 c., offert par un prêtre de Plaisance ; (2) Ces 5 7 6 , 0 0 0 reïs seront convertis en une rente sur l'Etat au pro­ fit de l'OEuvre, conformément aux intentions de la donatrice ; et les i n ­ térêts de cette rente seront portés chaque année en recette comme pro­ venant du diocèse de Viseu.


177 Report Diocèse d'EvoRA. — de Beja . — de Crato... —

.. .

d e LISBONNE.

— de G u a r d a . . — de Lamego. . -— de Leïria. . . d'Angra (Açores).

1 7 , 2 0 7 f. 97 c.

103,920 67,200 15,360 1,108,480 7,680 4,800 201,200 271,370

649 420 96

60 »» »»

6,928 48 30 1,257 1,696

»» »» »» 60 06

2 8 , 3 3 3 f. 0 3 c. PRUSSE. GRAND-DUCHÉ DE POSEN.

Diocèse de POSEN.

,

thalers

sil.

pf.

600

»

»

1,861 f. 85 c.

PROVINCE DE PRUSSE.,

Diocèse de V a r m i e ( f ) .

760

»

»

3,000

»»

PROVINCE RHÉNANE.

Diocèse de COLOGNE (2). 2 1 , 1 5 6 — de Trêves. . 3,438

1 9

3 »

78,362 12,734

03 45

Diocèse de Breslau. 4 , 3 5 1 14 — d'Olmutz (partie prussienne). . 4 0 13 — d e P r a g u e (partie prussienne). . 543 3

»

15,957

60

»

148

»»

»

1,991

»»

» 9

28,888 19,770

57 60

SILÉSIE.

WESTPHALIE.

Diocèse de Munster . — de P a d e r b o r n .

7,777 1 7 5,338 1

162,704f. 10 c.

(1) 2 , 0 2 1 fr. 5 2 c., soit : thalers 5 4 1 26 5 , arrivés trop tard, s e ­ ront portés au compte-rendu de 1 8 5 1 . (2) 1 4 , 7 5 0 fr. arrivés trop tard, seront portés au compte-rendu de 1851,


178 ÉTATS SARDES, DUCHÉ DE GÊNES.

Diocèse de GÊNES. — — — — — —

.

.

.

.

d'Albenga » d e Bobbio. . . . . de Nice de S a r z a n e ( l ) . . . . . de Savone de Vintimille

28,675f.34c. 2,120 1,048 3,321 4,873 3,294 2,329

35 58 60 70 87 50

51,642 3,122 7,143 5,250 2,400 2,100 2,303 7,251 3,715 3,002 3,892 1,663

27 14 96 »» »» »» 61 89 40 52 80 75

5,584

69

PIÉMONT.

Diocèse de TURIN (2) — d'Acqui — d'Albe — d'Aoste — d'Asti . — de Coni. — de Fossano _ d'Ivrée — d e Mondavi (3) — d e Pignerol — de Saluées — de Suse —

de YERCEIL (4).

.

.

.

.

1 4 4 , 7 3 6 f . 67 c.

(1) Y compris 2 , 3 0 0 fr., montant des aumines du Jubilé ; et un don de 900f. offert par le même prêtre qui, eu 1 8 4 9 , avait déjà donné 2 5 0 f. (2) Y compris plusieurs dons considérables de diverses personnes, et 2 3 9 fr. 8 0 c , don d'un prêtre du diocèse d'Ivrée. (3) Y compris 4 4 francs appartenant à l'exercice de 1 8 4 9 . (4j Y compris un don de 5 0 0 fr., offert par un ancien curé de la ville de Verceil ; et un autre de 15 fr., offert par un ecclésiastique de 1» ville de Trimo pour le baptême des enfants d'infidèles,


179 Diocèse d'Alexandrie . — d e Bielle. . . — d e Casai. . — d e Novare — de Tortone. — de Vigevano.

. .

. . .

Report . . . . . . .

. .

. :

.

. .

.

1 4 4 , 7 3 6 f. 67 c. 1,690 2 0 4 , 8 5 0 »» 3 , 7 5 5 »» 5,000 » » 4 , 7 1 6 10 2,333 70

SARDAIGNE.

Diocèse d'ORiSTANo —

de

.

SASSARI.

169 04

.

.

611

18

SAVOIE. Diocèse de CHAMBÉRY

9,305

»»

— d'Annecy . . . . . . 21,219 — de Moutiers (1). . . . . 4,466 — de S t - J e a n - d c - M a u r i c n n e . . . 2 , 4 0 3

85 35 50

2 0 5 , 2 5 6 f. 59 c. DEUX-SICILES. ROYAUME DE NAPLES. ducats.

gr.

Diocèse de NAPLES. . . 6 , 2 7 6 3 8 — de Nocera de P a g a n i . 258 » —

d e T R A N I e t NAZARETH.

100

— — — — — —

d e Castellamare. . de Pouzzoles. . . de Lecce. . . . de Lucera. . . . de Castellaneta . . d'Oppido. . . .

1 0 9 12 40 » 130 » 4 36 30 » 272 »

— deSan-Severo.

.

.

50

»

27,628f.51c. 1,135 71 440

20

480 176 572 19 132 1,197

34 08 26 19 06 34

2 2 0 10 3 2 , 0 0 1 f. 79 c.

(1) Y compris un dm de 100 fr, pour le baptême des enfants Chinois-


180

Report

32,001 f. 79 c.

ducats.

iocèse d e T e r a m o . — de Bari — de Cava

.

132

.

3 53

— de Muro — de Monopoli . . . — de S o r a , Aquino et Ponte-Corvo. . —

de SALERNE.

.

.

de REGGIO. .

.

.

.

.

— d'Aversa. —

.

de MANFREDONIA.

.

— de Nicotera et T r o p e a . —

.

.

— d'Atri et P e n n e . — de Gallipoli. .

. .

— de Marsi.

.

.

.

— de Nole.

.

.

.

de SORRENTO.

.

.

i— de BlSCEGLIE. —

de C H I E T I .

.

.

— d'Isernia.

.

— d'Oria

.

.

.

.

.

29

320 56 24 17 »

1,411 105

10 65

.

.

» »

.

880 123 202

20

74

83 08

211 90 660

54 130 50

198 237 574

45

25 49

4,622 176

»

1,188

08 29 42 30 09 71 46

58

63 99

»

233 220

30 10

36 16 49 » . 116 43

528 159 216 512

24 18

7 84

34

51

120

— de Sessa. . . . M onastère de l'Annonciade .

58

638

. . .

. .

— de S u l m o n a et Valva. — d'Aquila

d'Arienzo

411

53 50

.

— de Mileto,

440

93 50 145 »

.

.

D'OTRANTE

»

270 » 13 40

.

06 54 40

100

150

.

.

15

»

20 54

.

581

200 28 46

1,050 40 48

de LANCIANO et ORTONIA.

— d'Ugento.

»

»

70 52

46,807 f. 68 c.


181 Report

46,807 f . 6 8 c ,

SICILE ( 1 ) , ducats.

.

iocèse d e PALERME.

— de C a t a n e . — deGirgenti.. —

de

.

MONTRÉAL.

. . .

— de Cefalu. . — d e Mazzara. . — d e Patti. . .

.

— d e Noto (2). .

.

862 8 4 5 450 » 2 6 5 20 2 0 1 47 91 32 5 201 75 12 » 193 6 5

3,595 1,875 1,105 839 380 840 50 806

19 »» »»

46 52 62 »»

87

6 6 , 3 0 0 f. 34 c. SUISSE. francs de suisse.

Diocèse d e Bâle ( 3 ) . . — d e Coire . . — d e Côme (Tessin). — d e L a u s a n n e (4). — de Saint-Gall. — de Sion. .

17,430 2,741 2,625 5,159 2,733 1,825

85 54 »» 95 72 67

2 4 , 9 0 1 f. 2 1 c . 3 , 9 1 6 49 3 , 7 5 0 »» 7,371 35 3,905 32 2 , 6 0 8 10 46,452 f.47c.

TOSCANE. Iiv. tosc.

s.

d.

Diocèse de FLORENCE ( 5 ) . 8,881 11 4

— de Colle

.

.

.

638

» »

6 , 9 8 5 f. 0 8 c. 451 9 2 7,437 f. »» c.

(1) Les aumônes de la Sicile, portées au présent compte, sont le ré­ sultat des receltes de 1 8 4 8 et 1 8 4 9 . (2) Cette somme a été recueillie dans les villes de Modica et de Ragusc. (3) Y compris un don de 1 , 0 0 0 fr., offert par Th. W. V. E. ; et un autre don de 9 0 fr. pour le baptême des enfants d'infidèles en Chine. (4) Y compris deux dons provenant du canton de Fribourg, l'un de 1 , 4 5 6 fr. 8 0 c , et l'autre de 1,050 francs. (5) Y compris «undon de 4 2 0 francs,


182 Repori liv. tosc.

Diocèse de Fiesole . — de Pistole (1) — de Prato ( 2 ) .

3,345

. . .

s.

2,810

08

6 8

1,590 1,861 2,456 1,968 4,200 2,604 2,117

»»

7 »

2,451

» »

131 537

12 88

6 4

6 8 1,893 2 , 2 1 5 14 » 2,924 6 8

— de San-Miniato. — de San-Sepolcro (3). 2 , 3 4 4 5,000 — de PISE . . . 3,100 — d e Livourne. . 2,449 — d e SIENNE. . . 2,918 — d'Arezzo . . . 157 — de Chiusi. . . 640 — de Cortone (4). .

7,437 f. »» c,

D.

» » » »

» »

20 44 96 »» »»

44

60

268

80

931 14 4

782

61

»

473 369

76 88

305 588

»»

320

— de Grosseto . — de Massa et Populonia. . — de Modigliana. — de Montalcino

. . .

564 440

— de Monte­ pulciano. — de Pescia.

. .

. .

364 700

— de Pienza.

.

.

» »

84 935

»»

4 4 1,234 9 4 7,503

13

— de Sovana.

.

.

100 1,113

— de Volterra

.

.

1,469

.

.

10,251

de LUCQLES

»

6 8 3 4 » »

6 8

90

20 42

4 2 , 7 1 1 f. 4 2 c. écus romains.

De divers pays de l'Italie. (Verse à Rome).

.

.

278 2 2 »

1,512f. 06 c.

(1) Y compris divers dons s'élevant ensemble à 2 1 3 fr. 6 0 c. (2) Y compris un don de 4 2 0 fr. pour le baptême des enfants chinois. (3) Y

comprit u n

don de 2 0 francs,

(4) Y compris un don de 1 34 fr- 48 C.


183 De diverses contrées d u Nord de l ' E u r o p e . . . . .

1,395 f. 9 0 c

Recouvrement de 370 f. 70 c. sur le m o n t a n t d e diverses lettres d e c h a n g e qui avaient été portées précédemment comme n o n encore r e c o u ­ vrées . . . . . . .

La

répartition pour

1850,

des aumônes a été arrêtée

entre

370 f. 70 c.

les diverses

Missions

dans l'ordre suivant

:

M I S S I O N S D'EIROPE.

À Mgr C a r r u t h e r s , é v ê q u e , vi­ caire apostolique d'Edimbourg (Ecosse). . . . . . . . A Mgr Murdoch, évêque, vicaire apostolique du district occidental (Ecosse). . . . . . . .

22,500

»»

A Mgr Kile, é v ê q u e , vicaire apostolique du district du Nord (Ecosse). . . . . . .

20,000

»»

3,000

»»

3,000

»»

4,500

»»

3,000

»»

Vicariat apostolique d u district occidental (Angleterre). . . Vicariat apostolique de Londres, pour aider à la construction d'une église destinée aux Italiens. . . Vicariat apostolique de Londres, pour la Mission de Jersey. . . Vicariat apostolique de Londres, pour la Mission de Guernésey. .

2 4 , 0 0 0 f . » » c.

.

8 0 , 0 0 0 f.»» c.


184 Report 8 0 , 0 0 0 f.»» c. Vicariat apostolique d e L o n d r e s , , p o u r la Mission d'Aurigny. . . 2 , 0 0 0 »» A Mgr B r o w n , é v ê q u e , vicaire apostolique du pays de Galles (An­ gleterre) 7,600 »» Mission des Oblats de Marie Im­ m a c u l é e e n Cornouailles (Angle­ terre) * 1 4 , 0 0 0 »» Mission de la Congrégation des Maristes e n Angleterre. . . . 1 0 , 0 2 5 »» A Mgr H a l y , évêque d e Kildarc et Leighlin (Irlande) 2,000 »» A Mgr F e e n y , évêque d e Killala (Irlande). 2 , 0 0 0 »» A Mgr F r e n c h , évêque de Kilm a e d a u g h et Kilfenora (Irlande) . 3,000 »» Séminaire de Drumcondra lande). .

(Ir­ 5,600

»»

A Mgr D e l a n y , évêque d e Corck (Irlande)

5,500

A Mgr E g a n , évêque d e Kerry (Irlande)

9,500

»»

6,000 27,300

»» »»

6,000

»»

8,000

»»

143,520

»»

A Mgr H u g h e s , é v ê q u e , vicaire apostolique de G i b r a l t a r . . . . Diocèse d e L a u s a n n e et Genève. A Mgr S a l z m a n n , évêque d e B â l e (Suisse) A Mgr Gasp ard d e C a r i , évêque d e Coire(Suisse), . Diverses Missions d e l'Allemagne et d u nord d e l ' E u r o p e . . . . Missions

allemandes

des R é 3 3 1 , 8 4 5 f, »» c.


185 Report demptoristes. . . . . . . A Mgr Antoine de S t e f a n o , évê­ q u e , vicaire apostolique de la Mol­ davie (Mission des RR. P P . Mineurs Conventuels) A Mgr P a r s i , évêque, a d m i n i ­ strateur du vicariat apostolique

3 3 1 , 8 4 5 f. »» C. 2,800

»»

10,000

»»

de la Valachie et de la Bulgarie. Vicariat apostolique de la Bosnie. A Mgr Barisich, é v ê q u e , vicaire apostolique de l'Herzégovine . . Mission de la Compagnie de J é ­ sus dans l'Herzégovine. . . . Mission d e T r é b i g n e . . . . A Mgr T o p i c h , évêque d'Ales­ sio Au m ê m e , pour le diocèse de Scutari A Mgr Bogdanovich, évêque a d ­ ministrateur du diocèse de Scopia. A Mgr Severini, évèque de Sappa. A Mgr Pooten, évêque admini­ strateur d u diocèse d'Antivari. A Mgr d'Ambrosio, archevêque

14,000 3,000

»» »a

4,500

»»

2,750 3,000

»» »»

2,000

»»

3,000

»»

4,000 4.090

»» »»

2,000

»»

de Durazzo . A Mgr D o d m a s s e i , évêque de Pulati A Mgr Hillereau, a r c h e v ê q u e , vicaire apostolique de C o n s t a n t i ­ nople A Mgr Hassun, archevêque a r m é ­ nien catholique de Constantinople.

2,000

»»

3,000

»»

37,000

»»

23,000

»»

TOM XXIII, 136.

.

4 5 1 , 8 9 5 f. »» c. 11


186 Report Mission des Lazaristes à Constan­ tinople, collège, écoles des F r è r e s , établissement des Sœurs de la Cha­ r i t é , etc A Mgr R i a n c i s , évèque de Syra et délégué apostolique pour la Grèce Mission des RR. P P . Capucins à Syra , . . . A Mgr Zaloni, évêque de Tyne . Missions de la Compagnie de Jé­ sus en Grèce, A Mgr Castelli, archevêque de Naxie A Mgr C u c u l l a , évèque de S ali­ tor in Mission des Lazaristes et établis­ sement des Sœurs de la Charité à Santorin

4 6 1 , 8 9 6 f. »» c.

24,800

»»

14,000

»»

300 2,000

»» »»

8,260

»»

1,600

»»

600

»»

6,000

»»

1,500

»»

2,000

»»

2,600

»»

Mission des RR. P P . Capucins à Paros Mission des RR. P P . Capucins à Céphalonie Missions des RR. P P . Capucins d a n s l'île de Candie

5 1 5 , 2 4 5 f.»» MISSIONS D'ASIE.

Mission des Lazaristes à S m y r n e , écoles des F r è r e s , établissement des Sœurs de la C h a r i t é , etc. . .

16,800

»»


187 Report

1 6 , 8 0 0 f. »» c.

Mission des RR. P P . Capucins à Smyrne A MgrMussabini, archevêque de S m y r n e et vicaire apostolique de l'Asie m i n e u r e AMgr J u s t i n i a n i , évêque de Scio. Mission des RR. PP. Mineurs Réformés à Rhodes Mission des RR. P P . Mineurs Réformés à Mételin. .. . . . Mission des RR. P P . M i n e u r s Réformés à B o u r n a b a t . . . . Mission de l'île de Chypre. . Mission des RR. P P . Capucins d a n s l'Anatolie Mission des RR. PP. Capucins en Syrie Mission des RR. P P . Carmes en Syrie Missions des Lazaristes en S y r i e , établissement des Sœurs de la Charité à B e y r o u t h , collège d'Ant o u r a , etc Mission de la Compagnie de J é ­ sus en Syrie A Mgr Villardell, a r c h e v ê q u e , délégué apostolique au Liban. . A Mgr Valerga, patriarche latin de J é r u s a l e m Au Révérendissime Custode du Saint-Sépulcre Mission d'Aden (Arabie). . .

5,000

»»

6,000 1,500

»» »»

* 6,500

»»

3,000

»

1,000 8,600

»» »»

9,019

»»

10,000

»»

3,000

»»

40,433

»»

27,500

»»

6,000

»»

30,000

»»

3,166 2,500

»» »»

1 7 9 , 9 4 8 f . »» c.


188 Mission des

Report Carmes

RR. P P .

en Mésopotamie

179,9481. 3,000

Délégation apostolique d a n s la Mésopotamie, le Kurdistan et l'Ar­ ménie mineure. . . .. Missions des RR. P P . Domini­ cains dans la Mésopotamie et le Kurdistan. . . . . . . . Mission des RR. P P . Capucins en Mésopotamie. . . .

11,000

» »

10,000

» »

5,000

»»

9,500

» »

A Mgr T r i o c h e , archevêque de Babylone et délégué apostolique en Perse Mission a r m é n i e n n e en Perse. Mission des Lazaristes en P e r s e . À Mgr C a r l i , é v ê q u e , apostolique d'Agra

3,800 15,000

vicaire

(Mission

des

A Mgr H a r t m a n n , é v ê q u e ,

vi­

RR. PP. Capucins)

23,500

»»

caire apostolique de P a t n a . . . A Mgr C a r e w , a r c h e v ê q u e , vi­ caire apostolique de Calcutta (Ben­

11,000

» »

gale o c c i d e n t a l ) . . . . . A Mgr Olife, évêque, vicaire apo­ stolique d e Dacca ( B e n g a l e orien-

9,500

tal)

9,000

» »

8,686

» »

16,800

»»

Vicariat apostolique de Bombay (Mission des RR. PP. Carmes). . A Mgr Louis d e Sainte-Thérèse a r c h e v ê q u e , vicaire apostolique d e Vérapolly ( Malabar ) ( Mission des RR. P P . C a r m e s )

.

.

.

.

.

3 1 5 , 7 3 4 f.


189 Report Mission de Koulan. . . . . Mission de Mangalore. . . . À Mgr B o n n a n d , évêque, vicaire apostolique de Pondichéry ( C o n ­ grégation des Missions é t r a n g è r e s ) . Mission de Maïssour (Congrégagation des Missions étrangères) Mission d e Coimbatour (Congré­ gation des Missions étrangères ) . . À Mgr Canoz , é v è q u e , vicaire apostolique du Maduré (Mission de la Compagnie de Jésus). . . .

3 1 5 , 7 3 4 f.»» c. 1 5 , 0 0 0 »» 10,000

»»

32,735

»»

23,677

»»

21,830

60

33,000

»»

22.000 17,000 14,000

»» »» »»

11,000

»»

15,900

»»

16,800

»»

11,000

»»

7,600

»»

A Mgr Fenelly , évêque , vicaire apostolique de Madras. . . . Mission d'Hyderabad. . . . Mission d e Vizagapatam. . . À Mgr B r a v i , évêque coadjut e u r , pour la Mission de Colombo (Ceylan). . . . . . . . A Mgr Bettachini, évêque, vicaire apostolique de Jafnapatam (Ceylan). A Mgr Balma , évêque , vicaire apostolique de Pégu et Ava (Mission des Oblats de la Sainte-Vierge). . A Mgr Marti, é v ê q u e , vicaire apostolique du Tong-King central (Mission des RR. P P . Dominicains). A Mgr Hermosilla, évêque, vi­ caire apostolique d u T o n g - K i n g oriental (Mission des RR. P P . D o ­ minicains) . . . . . . A Mgr R e t o r d , évêque, vicaire 5 6 6 , 2 7 6 f, 59 c.


190 Report apostolique du Tong-King occiden­ tal ( C o n g r é g a t i o n des Missions étrangères), . . . . A Mgr Gauthier, évêque, vicaire apostolique d u Tong-King méridio­ n a l ( Congrégation des Missions étrangères) . . . . . . . .

5 6 6 , 2 7 6 f. 69 c.

Vicariat apostolique de la Cochinc h i n e septentrionale (Congrégation des Missions étrangères) . . . A Mgr C u é n o t , é v ê q u e , vicaire apostolique de la C o c h i n c h i n e orient a l e ( Congrégation des Missions étrangères) . . . . . . . . . A Mgr Lefebvre, évêque, vicaire apostolique de la Cochinchine occi­ d e n t a l e (Congrégation des Missions étrangères) Mission d u Camboge (Congréga­ tion des Missions étrangères) . . A Mgr Bouchot, évêque, vicaire apostolique de la presqu'île Malaise (Congrégation des Missions é t r a n ­ gères) . . . . A Mgr Pallegoix, évêque, vicaire apostolique de Siam (Congrégation des Missions étrangères) . . . Collège de P u l o - P i n a n g ( C o n g r é gation des Missions étrangères. . Mission d u Thibet (Congrégation des Missions é t r a n g è r e s ) . . .

.

23,031

»»

17,838

»»

9,439

»»

16,098

»»

11,366

»»

9,005

»»

24,301

»»

15,660

»»

23,000

»»

9,940

»»

724,964f.

59c.


191 Report A Mgr M a r e s c a , évèque a d m i ­ n i s t r a t e u r d u diocèse de N a n k i n . A Mgr Louis de Castellazzo, évè­ q u e , vicaire apostolique du C h a n Tong. . A Mgr Rizzolati, évèque, vicaire apostolique du H o u - Q u a n g (Mission des RR. P P . Mineurs Réformés). A Mgr d e M o r e t t a , é v è q u e , vie. apostolique du C h a n - S i (Mission des RR. P P . Mineurs O.bservantins). A Mgr E p h i s e C h i a i s , évêque. vie. apostolique du Chen-Si (Mission des RR. P P . Mineurs O b s e r v a n t i n s ) . Mission de Hong-Kong . . . P r o c u r e des Missions i t a l i e n n e s d e la Chine à H o n g , Kong. .. Mission de C a n t o n . . . . A Mgr P é r o c h e a u , é v ê q u e , v i ­ caire apostolique d u S u - T c h u e n (Congrégation des Missions é t r a n ­ gères) A Mgr P o n s o t , é v ê q u e , vicaire apostolique du Yun-Nan (Congré­ gation des Missions é t r a n g è r e s ) . . A Mgr A l b r a n d , évoque, vicaire apostolique du Koueï-Tcheou (Congrégntion des Missions étrangères). Procure de la Congrégation des Missions étrangères à Hong-Kong A Mgr Calderon, évêque, vicaire

7 2 4 , 9 5 4 f. 6 9 c. 25,000

»»

7,000

»»

36,000

»»

8,600

»»

9,500 7,000

»» »»

3,000 20,704

»» »»

29,620

»»

17,556

»»

17,244

»»

28,000

»»

9 3 3 , 0 7 8 f. 69 c.


192 Report apostolique du Fo-Kien (Mission des RR. P P . Dominicains) . . . .

0 3 3 , 0 7 8 f. 69 c.

À Mgr D a g u i n , évêque, vicaire apostolique de la Tartarie-Mongole (Mission des Lazaristes). . A Mgr Mouly, évèque, pour les Missions des Lazaristes d a n s le dio­ cèse d e Pékin.,

A Mgr Forcade, évêque, vicaire apostolique d u J a p o n (Congrégation des Missions é t r a n g è r e s ) . . .

»»

9,000

»»

7,000

A Mgr B a l d u s , évêque, vicaire apostolique du Ho-Nan (Mission des Lazaristes) A Mgr J e a n d a r d , évêque, vicaire apostolique d u Kiang-Si (Mission des Lazaristes) . . . . . . A Mgr Danicourt, évêque, vicaire apostolique d u Tché-Kiang (Mis­ sion des Lazaristes) . . . . » Mission de la Compagnie d e Jésus en C h i n e . . A Mgr Verrolles, évêque, vicaire apostolique d e la Mandchourie (Con­ grégation des Missions étrangères). A Mgr F e r r é o l , é v ê q u e , vicaire apostolique d e la Corée (Congréga­ tion des Missions étrangères) . .

6,000

.

4,500

»»

6,000

»»

6,500

»»

33,000

»»

20,270

18

10,875

»»

9,940

»»

1 , 0 4 6 , 1 6 3 F. 77 c.


193 MISSIONS D'AFRIQUE.

A Mgr Pavy, évèque d'Alger.

.

45,000

»»

3,500

»»

14,000

»»

2,500

»»

20,000

»».

37,300

»».

8,000

»»

12,000

»»

9,500

»»

16,000

»»

20,000

»»

P o u r l'établissement des RR. P P . Trappistes d a n s le diocèse d'Alger. A Mgr Fidèle de F e r r a r e , é v ê ­ q u e , vicaire apostolique d e T u n i s (Mission des RR. P P . Capucins)

..

Mission des RR. P P . Mineurs Ré­ formés à Tripoli de B a r b a r i e

.

A Mgr S o l e r o , é v ê q u e , vicaire apostolique de l'Egypte, et les divers Rits Unis .

.

.

pour

»

Mission des Lazaristes à Alexan­ drie d'Egypte, établissements des Frères de l a doctrine c h r é t i e n n e et des S œ u r s d e la Charité, et c o n ­ struction d ' u n Collêge

.

.

.

.

Mission des RR. P P . Mineurs Ré­ formés d a n s la Haute-Egypte

.

.

A Mgr d e Jacobis, é v ê q u e , p o u r la Mission d'Abyssinie (Mission des Lazaristes).

.

.

.

.

.

.

.

A Mgr Massaia, évêque, vicaire apostolique des Gallas (Mission des RR. P P . Capucins) A Mgr Griffitz,

.

.

.

évêque,

.

.

vicaire

apostolique d u Cap d e Bonne-Espé­ r a n c e , partie occidentale

.

.

.

A Mgr Devereux, évêque, vicaire apostolique du Cap de Bonne-Espé­ r a n c e , partie orientale

.

.

.

.

A Mgr Bessieux, évêque, vicaire 1 8 7 , 8 0 0 f. »» c.


194 Report apostolique des D e u x - G u i ñ e e s et de la Sénégambie (Missions de la Congrégation du Saint-Esprit et d u Saint-Cœur de Marie) . . . Mission de la Compagnie de Jésus à Madagascar. . . . . . .

1 8 7 , 8 0 0 f . » » c.

62,000

»»

30,260

»»

2 7 0 , 0 5 0 f.»» MISSIONS

D'AMÉRIQUE,

A Mgr Provencher, évêque d e Saint-Boniface (territoire de la Baie d'Hudson). . . . . . . . Mission des Oblats de Marie Im­ m a c u l é e d a n s le territoire de la Baie d'Hudson . . . . . A Mgr W a l s h , évêque d'Halifax (Nouvelle-Ecosse) A Mgr Dollard, évêque d u N o u veau-Brunswick A Mgr Donald Mac-Donald, évê­ q u e de Charlotte-Town . . . . A Mgr Guigue, évêque de B y town (Haut-Canada) A Mgr de C h a r b o n n e l , évêque d e Toronto ( H a u t - C a n a d a ) . . . A Mgr T u r g e o n , archevêque d e Q u é b e c (Bas-Canada) . . . . A Mgr Bourget, évêque d e Mont­ r é a l (Bas-Canada) Mission de la Compagnie d e Jésus d a n s le Haut-Canada. . .

8,440

»»

17,500

»»

16,800

»»

2,000

»»

7,500

»»

23,500

»»

30,000

»»

26,517

73

27,272

»»

27,500

»»

1 8 7 , 0 5 9 f, 73 c,


195 Report À Mgr Deniers, évèque d e V a n ­ couver A Mgr Alexandre Blanchet, évê­ q u e de Nesqualy (Etats-Unis) . . Mission des Oblats de Marie Im­ m a c u l é e d a n s l'Orégon. . . . Mission d e la Compagnie de Jésus d a n s l'Orégon . . . . . . A Mgr Norbert Blanchet, arche­ v ê q u e d'Orégon-City (Etats-Unis) A Mgr Loras, évêque d e Dubuq u e (Etats-Unis) » . . A Mgr Crétin, évêque d e SaintP a u l de Minesota ( E t a t s - U n i s ) . . A Mgr Lefévère, évèque coadjut e u r et administrateur du Détroit (Etats-Unis) A Mgr R a p p , évêque de Clevel a n d (Etats-Unis). . . . . . A Mgr Kenrick, évêque de P h i ­ l a d e l p h i e (Etats-Unis) . . . . A Mgr O'Connor, évêque de Pittsb o u r g (Etats-Unis) A Mgr W h e l a n , évêque d e W h e l i n g (Etats-Unis) . A Mgr O'Reilly, évêque d'Hartford (Etats-Unis) A Mgr Mac-Closkey, évêque d'Alb a n y (Etats-Unis A Mgr T i m o n , évêque de Buffalo (Etats-Unis) A Mgr Miles, évêque de Nashville

1 8 7 , 0 5 9 f. 7 3 c. 9,500

»»

9,500

»»

20,000

»»

27,500

»»

28,000

»»

15,600

»»

10,000

»»

11,000

»»

25,000

»»

7,000

»»

12,000

»»

7,500

»»

5,000

»»

7,500

»»

32,500

»»

4 1 4 , 6 5 9 f, 73 c. *


196 Report (Etats-Unis)

.

.

.

.

.

.

.

4 1 4 , 6 5 9 f. 73 c. 6,500

»»

4,900

»»

7,450

»»

25,000

»»

12,500

»»

11,000

»»

6,000

»»

30,000

»»

18,000

»»

6,100

»»

6,000

»»

30,000

»»

8,000

»»

26,025

»»

terey (Etats Unis)

10,000

»»

Mission de la Congrégation de Picpus d a n s le diocèse de Monterey.

11,500

»»

A Mgr Spalding, évêque de Louis­ ville (Etats-Unis) Mission des RR P P . Trappistes d a n s le diocèse de Louisville (EtatsUnis) A Mgr de Saint-Palais, évêque de Vincennes (Etats-Unis) .

.

.

.

A Mgr Kenrick, a r c h e v ê q u e de Saint-Louis (Etats-Unis).

.

.

A Mgr H e n n i , évêque de Milwaukie (Etats-Unis) .

.

.

.

.

.

A Mgr Byrne, évêque d e LittleRock (Etats-Unis)

.

.

.

.

.

A Mgr V a n de Velde, évêque de Chicago (Etats-Unis) A Mgr C h a n c h e s , évêque de Nat­ chez (Etats-Unis).

.

.

.

.

.

A Mgr Blanc, a r c h e v ê q u e de la Nouvelle-Orléans (Etats-Unis) .

.

A Mgr Portier, évêque de Mo­ bile (Etats-Unis) A

Mgr

Reynolds,

évêque

Charleston (Etats-Unis).

.

de .

.

A Mgr G a r t l a n d , évêque de S a ­ v a n n a h (Etats-Unis).

.

.

.

.

A Mgr Odin, évêque d e Galves­ t o n (Etats-Unis) .

.

.

.

.

.

A Mgr Alemany, éyèque d e Mon

6 3 2 , 6 3 4 f. 73 c,


197 Report Mission des Lazaristes aux- EtatsUnis , . . , . . . . Missions de la C o m p a g n i e de Jésus chez les Sauvages à l'est des Montagnes-Rocheuses (Etats-Unis). Mission desRR. P P . Dominicains d a n s le Wisconsin (Etats-Unis) . A Mgr S m i t h , archevêque de Port-d'Espagne ( T r i n i d a d ) . , . A Mgr F e r n a n d e z , évêque, vicaire apostolique de la J a m a ï q u e . . . Mission d e la Compagnie de Jé­ sus à la J a m a ï q u e . . . . . . A Mgr Hynes, évêque, vicaire apostolique de la G u y a n e b r i t a n ­ nique Vicariat apostolique de Curaçao.) Mission de S u r i n a m . . . .) Missions de la Compagnie de J é ­ sus d a n s l'Amérique d u S u d 13,750

6 3 2 , 6 3 4 f. 7 3 c , 25,000

»»;

11,100

»»

6,500

»»

15,000

»»

9,500

»»

5,500

»»

13,000 45.000

»»

13,750

»»

7 7 6 , 9 8 4 f . 7 3 c. MISSIONS D E

L'OCÈANIE,

A Mgr W r a n k e n , évêque, vicaire apostolique de Batavia . . . A Mgr J a u s s e n , évêque, v i c a i r e , apostolique des Archipels de Mangareva, de Tahiti, etc. (Missions de la Congrégation de P i c p u s ) . . .

13,000

45,240

»»

A Mgr Maigret, évêque, vicaire apostolique de l'Archipel S a n d w i c h (Mission de la Congrégation de Pic 5 8 , 2 4 0 f.»» c.


198 Report 5 8 , 2 4 0 f. »» pus) . . . . . . . . 45,240 »» A Mgr Baudichon, évêque, vi­ caire apostolique d e l'Archipel des Marquises (Missions d e la C o n g r é ­ gation de Picpus) 1 1 , 6 0 0 »» Procure de la Congrégation d e Picpus à Valparaiso, pour ses Missions d e l'Océanie 1 4 , 5 7 1 »» A Mgr Pompallier, évêque d'Auc­ k l a n d (Nouvelle-Zélande) . . . A Mgr V i a r d , évêque d e PortNicholson (Nouvelle Zélande) . . Vicariat apostolique d e la Mélanésie A Mgr Bataillon, évêque, vicaire apostolique d e l'Océanie centrale (Missions des RR. PP. Maristes.) . A Mgr Douarre, évêque, vicaire apostolique d e la Nouvelle-Calédo­ nie (Mission des RR. P P . Maristes) . Procure des RR P P . Maristes à Sydney (Australie) A Mgr Polding, archevêque d e Sydney (Australie) . . . . . A Mgr Murphy, évêque d'Adé­ laïde (Australie) A Mgr Goold, évêque d e Mel­ b o u r n e (Australie) . . . . . A Mgr Brady, évêque d e P e r t h (Australie) A Mgr Rosendo Salvado, évêque de Port-Victoria (Australie). . .

33,002

»»

50,050

»»

25,000

»»

1,000

»»

55,600

»»

9,400

»»

12,000

»»

7,600

»»

10,000

»»

16,360

»»

1,000

»»

4 1 0 , 4 5 3 f. »»


199 Nous inscrivons ici les recettes effectuées d a n s les Etats de l'Eglise en 1 8 5 0 , dont la note n o u s est p a r ­ v e n u e après la clôture du compte d e la susdite a n n é e . Le m o n t a n t de ces recettes sera reporté a u compter e n d u de 1 8 5 1 . ÉTATS DE L'ÉGLISE. écus romains.

ROME. . . . . Diocèse d ' A c q u a p e n ­ dente. . . . -— d'Albano. . . — d'Amelia. . . — d'Anagni. . . — d'Ancône. . . — d'Ascoli . . . — d'Assise. A b b a y e des trois Fon­ taines. . . . Diocèse de Bagnorea . —

de BÉNÉVENT.

— de Bertinoro. — - de BOLOGNE.

.

— de Cagli. . —

.

.

.

de CAMERINO.

.

— — — —

de Cervia. . . de Cesène . de Cingoli . . de Citta-dellaPieve . . . — de Citta - d i - C a s ­ tello. — de F a b r i a n o .

.

4,415 29 60 10 52 157 158 63 70 73 134 37 1,200 27 100 36 56 11 28 130 113

9 9 5 2 3 , 7 4 1 f. 92

19 29 86 50

161 327 55 280 845 854 341

02 47 91 59 65 09 39

»»

376

392 722 201 »» 6,461 147 44 5 538 11 193 05 302 25 62 67

34 47 15 34 62 55 22 82 42 74

»»

160

54

17 5 74

699 611

87

95 91 40

»»

32 45

51

37,458 f. 63 c.


200 Report

3 7 , 4 6 8 f. 63 c.

êcus romains,

Diocèse de F a e n z a . —- de F a n o . . — de F e r e n t i n o

. . .

de FERMO.

de FERRARE

.

.

— de Foligno . — de Forli . . . — de Forlimpopoli. — deFossombrone. —- de Frascati . . — de Gubbio . . — d'Iesi. . — d'Imola. — de Lorette — — — —

de de de de de — de

. . .

. .

Macerata. • Matelica. . Montalto. . Montefiascone. Narni. . . Nepi (Tolfa).

— de Norcia.

.

.

— d'Orvieto. — d'Osimo. . — de Palestrina.

. . .

— de Pérouse. . -— de Pesaro. . . — de Poggio-Mirteto.

348 407 94 871 1,270 83 282 31 16 15 280 97 314 80 160 90 23 31 22

66 19 20 8320 60 10 29 70 46 83

5

»»

505 4,686 6,828 447 1,620 167 88 81 1,506 525 1,690 434 806

74 71 18 94 27 65 57 45 87 66 67 39 71

17

24 5

51 172 20

17 5

275

13

49 77 5 97 5 03 5

927 111 510 532

37 69 62

94 99 170

.

— de Rieti... — de R i p a t r a n s o n e .

95 81

de RAVENNE.

—- de R e c a n a t i .

»»

94 98 38 37 98 31 59

483 123 171 123 92

30 240 42

1,871 2,188

18 15

»» »»

93 95

»»

07 »»

60 »»

16

913 161 1,290 229 610 436

45 98 67 32 03 75 34

67,704 f. 34 C,


201 Report

6 7 , 7 0 4 f. 34

écus remains.

ocèse de San-Severino.

$44

09

»»

64

de S a r s i n a

.

60

268

82

d e Senigallia.

268

67

1,444

48

de

• •

•257

72

1,385

59

de T e r n i .

de Tivoli.

.

de Todi .

.

— —

SPOLETTE.

32

18 5

173

04

75

»»

403

23

60

66

326

13

d ' U r b a n i a (1).

• • •

139

26

748

71

d'UrBiNO .

37

72

202

80

de Velletri

.

84

»

451

61

de Veroli.

.

63

18

339

68

—i

de

Viterbe.

41

09

220

91

74,013f. 4 1 c , La note qui nous donne le détail des recettes des États de l'Église , nous fait aussi connaître la provenance de plusieurs autres sommes envoyées à Rome, savoir : écus romains.

2 , 4 5 1 f. 61 c.

456

»»

de Brescia

1,905

75

10,245

97

de VENISE.

870

20

4,678

50

de Vérone

45

97

247

15

de

1

47

7

90

Diocèse de CAPOUE

TURIN.

1 7 , 6 3 1 f. 1 3 c . Nous recevons également, mais trop tard pour la compren­ dre dans le compte-rendu de 1850, la note des aumônes re­ cueillies dans les différents diocèses de la Sicile, s'élevant en total à 13,951 fr. 9 8 c . soit: Ducats 3,348 47 5. Cette somme sera reportée au compte-rendu de 1851. Même observation pour une somme de 894 fr. 41 c. soit : Thalers 240 28 7 , provenant du diocèse de Culm (Prusse).

(1) Y compris un don, de 2 0 fr, 0 3 c , soit : écus romains 3 7 2 5 ,


202

MISSIONS DE LA BAIE D'HUDSON. Suite de la lettre du R. P. Laverlochère, Oblat de Mario Immaculée, à Mgr V Evêque de Marseille ( 1 ) .

Montréal, décembre 1 8 4 9 ,

Après trois semaines d'étude a u fort Albany, j e pus commencer à parler m a k é g o n g . Cette l a n g u e a des mots d'une effrayante longueur. E n voici u n exemple. J e sup­ pose que j e veuille exprimer cette pensée : J'ai peur; j e dirai : Naspitchinikokwanissakenindamichkagogobon ; ou celle-ci : Dis cela ; Nanatotamawatitamatamatagok, J e vous prie cependant, Monseigneur, d e n e pas croire que le Seigneur m'ait gratifié d u don des l a n g u e s , tant s'en faut ; mais il m'a d o n n é en retour u n e g r a n d e a r ­ deur pour les étudier. D e p l u s , le génie d e ce dialecte est à peu près le m ê m e q u e celui de l'Algonquin ; et puis, d u r a n t plus de six semaines, j'étais devenu e n ­ tièrement somniphobe. Malgré ce tourment de l'insom­ n i e , oh ! qu'elles sont douces les fatigues d e l ' a p ô t r e , q u a n d elles ont u n pareil résultat ! « Si j a m a i s , a u r e s t e , le missionnaire venait à ou­ blier qu'il n'est q u ' u n i n s t r u m e n t bien faible entre les

(1) Voir le précédent numéro, page 1 1 5 ,


203 m a i n s de la providence, si quelques sentiments de vaine gloire pouvaient se glisser d a n s son c œ u r à la suite de ses succès, l'exemple suivant serait bien pro­ p r e à lui démontrer sa folie. — Il y a v a i t , lors de notre arrivée au fort A l b a n y , une vingtaine d'Indiens venus du Lac salé, situé à 9 0 0 milles de ce poste et à peu près à égale distance de la Rivière rouge. Depuis bien des années u n ministre méthodiste résidait dans leur tribu. La charité chrétienne et la décence n e me permettent pas de répéter tout ce qu'ils débitaient à tort ou à r a i ­ son sur sa conduite. S'ils manifestèrent d'abord quel­ que joie en nous voyant a r r i v e r , c'était u n i q u e m e n t dans l'espérance que nous leur donnerions du tabac. Ils m ' e n demandèrent plusieurs fois, et quand j e leur eus dit que ce n'était pas pour distribuer du t a b a c , mais pour enseigner la religion d u Grand-Esprit, que nous étions venus dans leurs forêts, ils s'enfuirent et s ' a b a n d o n n é r e n t à toutes sortes de jongleries. J'eus beau leur représenter le ridicule de leurs superstitions et la néces­ sité de se faire instruire et baptiser p o u r aller au ciel ; pour toute r é p o n s e , ils m e dirent : « L'homme de la « prière (le ministre) qui est venu chez nous, n'est qu'un « charlatan et u n trompeur : t o i , tu peux bien être « de même. T a n t qu'il eut du tabac à nous d o n n e r , « nous allions à sa prière, quoique n o u s ne le compris« sions pas ; si tu veux nous en d o n n e r a u s s i , nous « écouterons ta parole. » Puis ils ajoutèrent d'un air m o q u e u r : « Tu nous parles d'un paradis ! nous n e « voulons pas' du paradis des b l a n c s , car les blancs « n e nous ont jamais fait que du m a l . Nous voulons « aller dans le paradis de nos pères. » Leur m o n t r a n t alors un tableau de l'enfer. « Voyez, leur dis-je, voilà « le paradis où vont les méchants qui ne veulent pas « écouter la parole du Grand-Esprit que la Robe-noire


204

« vous annonce. Vous dites que vous ne compreniez « pas votre ministre, mais vous m e c o m p r e n e z , moi. « — Tu crois d o n c , me dit l'un d'eux en m ' i n t e r r o m « p a n t , q u e tous nos pères sont allés là ? — O u i , lui « dis-je, si vos pères ont eu occasion de voir la Robe« n o i r e , et s i , au lieu de faire ce qu'il leur enseignait, « ils ont continué à tuer leurs frères, à s'enivrer, à « suivre la mauvaise médecine, il n'y a pas de doute « qu'ils sont allés rejoindre le mauvais manitou d a n s « le feu de l'abîme. Voulez-vous donc y aller aussi ? r é « pondez ». Celui qui m'avait fait cette question était de la tribu des Scioux, h o m m e féroce et r e d o u t é de tous les autres ; il se retira sans m e répondre u n seul mot. Plusieurs autres le suivirent : il en resta c e p e n ­ dant quelques-uns qui manifestèrent le désir d'être in­ s t r u i t s , m'écoutèrent avec a t t e n t i o n , et promirent de revenir. Mais q u a n d ils furent de retour d a n s leurs c a ­ b a n e s , les jongleurs leur tirent tant de menaces, qu'ils en furent épouvantés et n e reparurent plus à la chapelle. J e voyais n é a n m o i n s , au respect qu'ils m e t é m o i ­ g n a i e n t , qu'ils n'étaient r e t e n u s q u e par la crainte des devins. Il y avait, en effet, d a n s les procédés de ces fa­ rouches jongleurs quelque chose de capable d'intimider des âmes pusillanimes et superstitieuses, c o m m e le sont généralement les sauvages qui n e connaissent pas encore la religion. « J'ai cependant eu le b o n h e u r , dans le cours de cet é t é , d'arrêter u n de ces malheureux sur le bord de l'abîme. C'était u n vieillard octogénaire. Il avait passé sa longue carrière dans les exercices de la magie. Mais depuis quatre a n s , u n e lèpre horrible lui couvrait tout le corps de tubercules noirâtres et ulcéreux, qui n ' e n faisaient plus q u ' u n e masse de pourriture. Les ongles et même l'extrémité des doigts lui étaient tombés, ses


205 dents et ses gencives étaient à découvert ; toute sa chair s'en allait en lambeaux et répandait au loin u n e p u a n ­ teur insupportable. Il y avait deux jours que j'étais au fort Albany, lorsqu'il y fut apporté. J'allai le v i s i t e r , et je le trouvai dans u n état impossible à décrire. J a m a i s d a n s les pays civilisés la lèpre ne doit présenter u n spectacle aussi hideux q u e dans ces tristes f o r ê t s , où l e patient ne peut m ê m e se procurer le m o r c e a u de linge qui lui serait si nécessaire. Etendu dans son triste réduit, incapable de se r e m u e r , le malade laissait échapper de temps en temps des gémissements prolongés. La vue de cet être si malheureux était bien propre à exciter la compassion du missionnaire. Je découvrais dans son â m e u n e lèpre non moins hideuse que celle qui rongeait son corps : c'était celle-là que j e voulais guérir. « T u « souffres beaucoup ! lui dis-je en l'abordant. » Au son d e cette voix i n c o n n u e , il fait un m o u v e m e n t de tète vers moi. « Qui est-ce qui m e p a r l e , dit-il, je n e puis « rien v o i r ? — C ' e s t la R o b e - n o i r e , mon fils, c'est « l'envoyé du Grand-Esprit qui vient te visiter. — Oh ! « c o m m e j e souffre ! — O u i , tu souffres, m o n fils, « j e le vois ! hélas ! tu as longtemps outragé le Grand­ « Esprit. Il te p u n i t maintenant ; mais tu souffrirais « bien davantage dans l'enfer, si tu n'étais pas contrit « d'avoir mal fait, et si tu n e désirais pas a r d e m m e n t « d'être baptisé. — Oh ! o u i , j'ai mal fait, m e dit-il, « j ' a i servi le mauvais manitou ; j'ai outragé le Grand« Esprit ; il ne pourra plus m e pardonner ! — Que dis« tu là, m o n fils ? Le Grand-Esprit veut te p a r d o n n e r , « dès que tu te repentiras. Il m'a envoyé pour le le dire, « — Robe-noire, ta parole fait du bien à m o n cœur. « T u es b o n , toi, et moi je suis m é c h a n t ! » Et aussitôt il c o m m e n ç a à h a u t e voix la longue histoire de sa vie. Je voulus éloigner les sauvages qui étaient autour de sa


206

c a b a n e . « N o n , dit le vieillard, ils savent tous c o m « bien j ' a i été méchant. » Je passai u n e partie d e la nuit à lui expliquer nos saints mystères. Le plaisir qu'il y trouvait, semblait un peu calmer ses douleurs. Q u a n t à m o i , pour soutenir mon courage d u r a n t cette n u i t , il n e me fallait rien moins que la pensée de ce q u ' a fait notre divin Maître pour guérir la lèpre de notre âme. Trois fois le cœur m e manqua; mais il n'y avait pas de temps à perdre pour instruire et baptiser ce moribond prêt à paraître devant son juge. Lorsque j e m e sentais défaillir, j'allais à la rivière et j ' e n revenais fortifié ; j e regardais l'image de Notre-Seigneur crucifié, et j e disais : E t n o s p u t a v i m u s eum q u a s i l e p r o s u m . . . E t l i v o r e ejus s a n a t i s u m u s (1). » O croix de m o n S a u ­ veur! à ta vue, le missionnaire sera toujours heureux ; tu as pour lui des ressources infinies Voyant q u e m o n m a ­ lade déclinait s e n s i b l e m e n t , je lui administrai le b a p ­ tême avant de le quitter. Lorsqu'il l'eut reçu, il m e dit : M i l w a c h i n n a s p i t kije m a n i t o m i g w e t c h o m i g w e t c h not a w i ï Q u ' i l est b o n l e G r a n d - E s p r i t ! m e r c i , m e r c i à l u i , m e r c i à t o i , m o n p è r e ; je s u i s c o n t e n t , j e v a i s m o u r i r , j e v a i s v o i r le G r a n d - E s p r i t d a n s s a g r a n d e l u m i è r e , et la B o n n e M a r i e a u s s i . M e r c i , a d i e u , m e r c i ! » 11 disait vrai ; il allait mourir. Ses exclamai ions réitérées étaient u n véritable N u n c d i m i t t i s . Il baisa plusieurs fois sa petite croix et sa médaille. Je le q u i t t a i , ne pensant pas qu'il fût si proche de sa fin ; mais, deux heures après, il avait cessé de souffrir. « Il paraîtra peut-être s u r p r e n a n t qu'il y ait des l é ­ preux d a n s des régions où il gèle toute l'année ; mais

(1) Et nous l'avons regardé comme un lépreux, Et FA nous avons été guéris par ses meurtrissures, Isaie, 5 3 .


I

207 il faut l'attribuer à l'extrême malpropreté d a n s laquel­ le vivent ces tribus indigènes. La lèpre de ce vieillard était celle qu'on nomme éléphantine ; elle était par con­ séquent contagieuse. On me dit q u e plusieurs autres sauvages qui errent dans les bois en étaient également atteints. « Lorsqu'on m'eut appris la m o r t de cet h o m m e , j'allai à sa c a b a n e , et j'y trouvai sa femme et deux de ses enfants qui se disposaient à l'envelopper dans u n e espèce de pelisse. Ils voulaient également ensevelir avec lui son fusil, son a r c , sa boîte à p o u d r e , son ca­ lumet et son b r i q u e t , pensant qu'il aurait besoin de toutes ces choses dans le royaume des Esprits (manito djinat o to kimawiwini wadjick). Je leur déclarai q u e c'était u n e superstition ; ils y renoncèrent. Le gardien d u fort leur avait déjà dit la m ê m e chose, et ils n'avaient pas voulu l'écouter. Si le défunt avait été infidèle, j e n'aurais pas été obéi non plus ; mais ils se soumettent ponctuellement aux injonctions du prêtre en ce qui regarde les chrétiens. « Qu'elle était belle et h a r m o n i e u s e la n a t u r e sor­ t a n t des mains du Créateur ! L'homme, fait à l'image de D i e u , était roi de la création, et tout lui était s o u m i s , parce qu'il était lui-même soumis au Très-Haut. Dans cet état de g r â c e , la vue des créatures l'élevait constam­ ment vers son auteur. Mais dès qu'il eut rompu, par sa désobéissance, la chaîne qui l'attachait au c i e l , toutes les créatures brisèrent aussi les liens d e leur dépendan­ ce. Parce qu'il s'était élevé contre Dieu, tout se souleva contre lui, et ce roi déchu, obligé d e lutter sans cesse contre des sujets révoltés, roula d'abîme en abîme. Bientôt il n e se contenta plus de faire la guerre aux bêtes féroces ; il m é c o n n u t les liens du sang, et l'on vit le frère massacrer son frère, quelquefois même le dévorer.


208 Mais le Seigneur a eu pitié de son œ u v r e . Le Verbe, par qui tout a été fait, s'est fait chair, et il a dit : « Lors« que f aurai été élevé de terre, f attirerai tout à moi. » Oh ! oui, d u h a u t de la croix il attire tout à lui, tout, m ê m e les âmes les plus terrestres ; du haut de la croix il rétablit l'harmonie entre les créatures et l ' h o m m e , et e n t r e l'homme et Dieu. Le trait s u i v a n t , tragique d a n s son o r i g i n e , mais touchant dans son d é n o ù m e n t , en est une preuve frappante. « Vers la fin de l'hiver d e r n i e r , u n e femme avait m a s s a c r é , d u r a n t leur sommeil, trois g a r ç o n s , quatre filles, d e u x femmes et deux hommes. Une seule p e r ­ s o n n e avait échappé à cette boucherie. J'étais dans u n e c a b a n e , occupé à faire le c a t é c h i s m e , q u a n d cette p e r s o n n e parut devant moi. C'était u n beau j e u n e h o m m e de dix-huit à vingt a n s , dont la physionomie portait l'empreinte d'une profonde tristesse. La vue d'une Robe-noire p a r u t l'interdire un instant ; mais q u a n d j e lui eus fait signe de s'asseoir, il se r a s s u r a , et je le priai de me raconter ses malheurs. Il poussa u n long s o u p i r , et commença ainsi : « J e n e veux pas trahir m a pensée, le mensonge n e viendra point souil­ ler mes lèvres. On m'a dit q u e tu étais l'envoyé du G r a n d - E s p r i t , et je sais que tu m e comprends ; je vais tout te dire. Nous c a m p i o n s , l'hiver d e r n i e r , deux familles ensemble. Mon p è r e , m o n frère a î n é , u n a u t r e h o m m e et moi allions tous les jours à la chasse. Il faisait très-froid ; nous ne pouvions rien t u e r , et nous r e v e n i o n s , le s o i r , d a n s notre c a b a n e où nous a t t e n ­ dait m a m è r e , avec plusieurs enfants et u n e autre femme. Celle-ci disait toujours : « Je veux m a n g e r de « la viande fraîche ; oui, j ' e n m a n g e r a i . « Nous n'avions que de l'ours boucané à lui offrir. Nous en m a n g e â m e s et nous nous endormîmes On n ' a u r a i t pas fumé trois


209 fois le calumet (l'espace de trois h e u r e s ) depuis q u e n o u s étions couchés, lorsque j e fus éveillé tout-à-coup par un bruit qui se faisait à côté de moi. J e vis u n e main qui donnait u n coup de massue sur la tète de m o n père, et je me dis : c'est le windigo (le windigo chez les sauvages est u n être fabuleux, u n génie malfaisant, dont ils ont grand'peur.) Je me sauve à la hâte ; j e cours p e n d a n t d e u x jours sans savoir où j'allais ; à la fin, j ' a r r i v e sans m'en douter sur le lieu où m a famille avait péri. J'aperçois des j a m b e s et des pieds épars çà et là, et des morceaux de chair coupés. J'eus peur et j e m'enfuis de nouveau. Je vis sur u n monticule la fem­ m e terrible ; elle disait toujours : « Je veux manger d e « la viande fraîche ; o u i , j ' e n m a n g e r a i . » J'ai encore m a r c h é longtemps sans trouver p e r s o n n e . A la lin j ' a i r e n c o n t r é u n e f a m i l l e , je lui ai raconté mes malheurs ; nous sommes retournés au lieu du mas­ s a c r e , mais nous n'avons plus retrouvé la femme ; elle s'était cachée. Des loups mangeaient les cadavres d e ma famille !... Je suis bien malheureux ! On m'a dit q u e la Robe-noire devait se rendre ici : voilà pourquoi j ' y suis venu. Moi a u s s i , j e veux faire la prière de la Robe-noire ! » — Cet affreux récit avait j e t é tous les assistants d a n s la stupeur. Je fus longtemps moi-même sans pouvoir dire u n e seule parole. A la f i n , m ' a d r e s s a n t à cet infortuné j e u n e h o m m e : « Mon fils, lui dis« j e , le Grand-Esprit veut encore avoir pitié de t o i , « c'est pour cela qu'il t'a dirigé vers nous. Je vais t'en« seigner comment on le p r i e , j e vais purifier ton â m e « par le b a p t ê m e , et puis lu seras encore heureux. » « L'ardeur qu'il mit à s'instruire était vraiment a d ­ m i r a b l e , et ses progrès n o n moins étonnants. Tandis q u e les autres, quoique plus âgés q u e lui, se livraient à u n e joie e n f a n t i n e , jamais j e ne le vis sourire. Le том- х х ш . 1 3 6 . 12


210 onzième jour après son arrivée, il eut le bonheur de recevoir le b a p t ê m e , et le lendemain il lit sa première communion. Lorsqu'il eut reçu ces deux grâces insi­ g n e s , sa mélancolie, sans se dissiper e n t i è r e m e n t , laissa cependant apercevoir sur les traits de son visage la paix de son âme. Il s'approcha de moi et m e dit : « Lorsque j ' e u s vu toute m a famille m a s s a c r é e , et que « j'errais çà et là dans le b o i s , j e me disais : A chail ! « c'est fini ! il n'y a plus de b o n h e u r pour moi sur la « terre. S e u l , a b a n d o n n é de tout, je n'ai plus qu'à « m o u r i r . O h ! je sais bien que je m e trompais, p u i s « que c'est après la perte de ma famille que j ' a i eu le « b o n h e u r de te voir et de connaître la sainte prière du « Grand-Esprit! » Ici le j e u n e homme s'arrêta pour essuyer ses l a r m e s , puis il reprit : « C'est que nous sommes si m a l h e u r e u x d a n s nos déserts ! Ensevelis dans la nuit profonde de la m a g i e , nous naissons, nous grandissons, et puis nous cessons de vivre comme les a n i m a u x de nos forêts. Nous n e pensons pas que làh a u t , dans sa g r a n d e l u m i è r e , le Grand-Esprit veille sur nous. Maintenant, ô m o n père ! je vais rentrer dans nos forêts ; mais je n'y serai plus seul. Souvent dans m e s souffrances j e baiserai m o n petit cadavre de bois (le crucifix) et l'image de Marie ; je conterai les saintes graines de la prière (le c h a p e l e t ) , et je planterai u n e croix dans m a terre de chasse. C'est là que j ' i r a i prier le Grand-Esprit. Je regarderai le c i e l , les forêts et la mer, et j e dirai : Le Grand-Esprit a fait tout cela pour m o i , et je ne le savais pas ! qu'il est b o n , le GrandEsprit!... Voilà ce que je p e n s e r a i , mon père ». Telles furent les paroles que m ' a d r e s s a , avant de retourner dans ses forêts, ce jeune homme n a g u è r e si malheu­ reux. Il vint avec moi a u x pieds de la croix plantée sur le rivage, la baisa avec amour, m e pria de le bé-


211 nir, et il partit. Religion sainte, m'écriai j e alors les yeux baignés de larmes, voilà ton ouvrage ! Les larmes, Monseigneur, ne sont pas toujours filles de la d o u l e u r ; il en est qui naissent d ' u n e joie inexprimable. Telles étaient celles que r é p a n d a i t votre fils en ce m o m e n t . N'avais-je pas raison de dire que l'Evangile seul peut r e n o u e r la chaîne q u e le péché a r o m p u e , entre les créatures et l'homme, et entre l'homme et Dieu ? « Je ne m'étonne plus de ce qu'on nous rapporte de la ferveur des premiers chrétiens. Qu'elle est puissante, cette grâce du b a p t ê m e , lorsqu'elle tombe dans des cœurs bien disposés ! Le prêtre est aux yeux de ces néophytes ce qu'il est en effet a u x yeux de la foi, le représentant du T r è s - H a u t , l'ami de Jésus-Christ. L'exemple suivant en est u n e nouvelle preuve. « Dans u n e de mes chrétientés vivait u n e jeune In­ dienne q u e nous avions baptisée il y a cinq a n s . Elle était d'une piété angélique et la p l u s instruite de sa tribu. Mariée depuis trois ans à u n j e u n e Ecossais p r o ­ testant, excellent h o m m e , auquel il n e m a n q u a i t assu­ r é m e n t que d'être enfant de la vraie foi, la j e u n e femme tomba dangereusement m a l a d e , et son m a r i lui p r o ­ digua les soins les plus touchants. Je devais, à m o n retour de la baie d ' H u d s o n , repasser dans ces lieux. Elle le savait, et cette attente était pour elle un sujet de joie et de crainte. Jour et nuit elle disait à son m a r i : « J e n'ai plus q u ' u n désir s u r la t e r r e , c'est la grâce de voir la Robe-noire avant de mourir. Oh ! m o n a m i , si tu a p p r e n d s qu'il a p p r o c h e , va, j e t'en p r i e , va au-devant de lui. » 11 vint en effet à u n e assez grande distance. En m ' a b o r d a n t , il m e dit : « Venez vite. Ma femme se m e u r t . Elle vous d e m a n d a i t sans cesse. D e ­ puis hier elle a p e r d u la parole. » Je m'élance aussitôt d a n s son léger canot, et nous p a r l o n s comme u n trait.


212 La m è r e de la m a l a d e , m e voyant e n t r e r , lui dit : « Voilà la Robe-noire. » A ce m o t , la malade bondit comme si u n fluide électrique eût parcouru tout son corps ; elle se lève sur son séant ; ses yeux s'animent, son visage s'enflamme, elle étend vers moi ses bras décharnés : « Mon père, mon père !! » fut tout ce qu'elle put me dire. Elle saisit ma main, la baisa, et j e la sem lis mouillée d'une larme b r û l a n t e . Je lui d o n n e mon crucifix : elle le p r e s s e , tantôt sur son c œ u r , tantôt contre ses lèvres. Cet élan sublime de foi et d'amour pour le Dieu qu'elle allait voir bientôt face à face, avait achevé d'épuiser ses forces. Elle retomba comme anéantie sur sa couche ; je lui donnai l'extrème-onction, et lui dis : « Ma fille, si tu étais capable de com­ munier, j'irais dire la sainte inesse, et puis j e t'appor­ terais le corps sacré de Jésus. » « O h ! va, mon père, s'efforça-t-elle de me dire avec u n e touchante naïveté ; va, j e t'attendrai. » Pendant la sainte messe, son mari fit préparer l'appartement et le chemin que nous d e ­ vions suivre. Elle reçut le saint viatique avec u n e fer­ veur qui attendrit tous les assistants. Cette admirable et sainte femme demanda p a r d o n des scandales qu'elle croyait avoir donnés ; puis elle m e dit, d'une voix pres­ que éteinte : « Mon père, j'espère aller bientôt voir le Grand-Esprit. Oh ! comme j e vais lui parler pour tous mes frères les sauvages ! » Nous retournons à la c h a ­ pelle. Quelques instants après, son m a r i venait m ' a n noncer lui-même son veuvage. « Oh ! monsieur, m e dit-il d'une voix é m u e , nous croyons bien, nous autres protestants, à ce que nous disent nos ministres ; mais les entourer de cette vénération que vous témoignent vos catholiques, c'est ce que je n'ai jamais vu. » « Il y avait près de deux mois q u e nous étions a u fort Albany. J'y avais baptisé plus de quarante adultes,


213 qui avaient à peu près tous c o m m u n i é , et plus de soixante enfants. J'avais fait le catéchisme à plus de cinquante Indiens, âgés les uns de sept ans, les autres de soixante et dix. La mission était finie. La plupart des sauvages, pressés par la faim, avaient été obligés de ren­ trer dans leurs forêts, pour chercher de la n o u r r i t u r e . Plusieurs cependant ne p u r e n t se résoudre à quitter si tôt cette place où ils avaient goûté t a n t de con­ s o l a t i o n s , quoiqu'ils fussent depuis dix ou douze jours soumis à u n jeûne cruel. De ce n o m b r e était le fils du lépreux dont j ' a i parlé plus haut, et un Indien que j ' a i converti l'année dernière. L'histoire de ces sauvages, naguère si méchants et aujourd'hui si ex­ cellents néophytes, offrirait u n récit plein d'intérêt ; mais comme j ' a i déjà dépassé les bornes q u e je m'étais prescrites dans cette relation, j e me contenterai, Mon­ seigneur, d e dire seulement u n mot de l'un et de l'autre. « Le premier, ayant appris d a n s les bois la m o r t édifiante d e son père, arriva au poste le lendemain de l'inhumation. J'étais à prêcher u n sermon sur l ' e n ­ fer, lorsqu'il vint au lieu de l'assemblée. Je m'étendais alors sur les t o u r m e n t s réservés aux magiciens, car c'est le crime qui d o m i n e parmi les peuplades du Nord, Il y prêta u n e attention s é r i e u s e , parut con­ sterné, et, l'instruction finie, il alla trouver la d a m e d u fort, n'osant pas encore s'adresser à moi. Il lui dit : « P a r l e pour moi à la Robe-noire. J e voudrais lui dire combien j ' a i été méchant, mais j e n'ose p a s . J'ai compris tout ce qu'il a dit touchant le feu de l'a­ b î m e , et j ' a i peur d'y t o m b e r , car j ' a i trop servi le mauvais manitou. » Instruit des bonnes dispositions de cet h o m m e , je fus le trouver. En m e voyant, il me dit ces paroles r e m a r q u a b l e s , bien propres à faire rougir


214 tant de chrétiens, qui rejettent ou méprisent la confession comme une institution humaine. « Robe-noire, « me dit-il, j'ai appris, il y a deux jours, que tu étais « ici, et, pour cette raison, je ne voulais pas venir au « fort, car j'étais méchant. Mais lorsqu'on m'a dit que « le Grand-Esprit avait eu pitié de mon père, que ce vieil« lard l'avait dit ses fautes avant de mourir, qu'il avait « été arrosé de l'eau de la prière, et qu'il s'était repenti « d'avoir fait si longtemps la magie (matchi manitou « kazowiri), alors j'ai dit à ma compagne et à mes en« fants : Allons voir la Robe-noire. Moi aussi je veux « connaître la prière du Grand-Esprit. Je veux te dire « tout le mal que j'ai fait; car j'ai peur de tomber « dans la prison de feu ( A m a m o s k a m i k o k ) . » Il me parla encore longtemps sur diverses matières ; mais ce qui me frappa le plus, ce fut le récit détaillé qu'il me fit des cérémonies en usage parmi ces peuples, au fond de leurs forêts, ou plutôt de leurs immenses marécages. J'appris de lui que, dans certaines circonstances, ils se réunissent pour jeûner et offrir des sacrifices aux divinités des rivières, des bois et de l'air. Si l'un d'entr'eux est frappé par quelque accident, il va aussitôt trouver le magicien, lui fait la confession de toutes ses fautes, et lui demande une pénitence. Celte confession est toujours faite à haute voix, et la pénitence, quelque rigoureuse qu'elle soit, doit toujours être ponctuellement accomplie. Son père m'avait déjà dit la môme chose. Eh bien ! ce que ces infortunés infidèles font comme une pure cérémonie, les néophytes le font comme l'acte le plus indispensable et le plus consolant de la religion qu'ils viennent d'embrasser. Ils n'ont pas de plus grand plaisir que de dire et de répéter au prêtre les péchés qu'ils ont eu le malheur de commettre, avant comme après le baptême, persua-


215 dés que c'est à Dieu lui-même qu'ils font leurs aveux. J'en ai vu qui sont venus exprès d e plus d e cent lieues, qui ont passsé deux j o u r s entiers prosternés à la porte de la chapelle, exposés à toutes les injures d e l'air, sans p r e n d r e a u c u n e n o u r r i t u r e , gravant sur u n m o r ­ ceau d'écorce ce qu'ils avaient à confier au prêtre. « Mais j'oubliais q u e j ' a i à vous dire u n mot d ' u n a u t r e Indien q u i , l'année dernière, eut la générosité de renvoyer sa plus j e u n e femme qu'il chérissait beau­ coup, pour retenir la plus âgée qu'il n ' a i m a i t g u è r e . Depuis cette époque, sa conduite a été a d m i r a b l e . Il a gardé tous ses enfants avec lui, a fourni à la s u b s i s ­ tance de la j e u n e femme qui d e m e u r e avec ses p a r e n t s , et il a repris u n e sincère affection pour sa première c o m p a g n e . Deux de ses fils ont fait leur p r e m i è r e com­ m u n i o n , et u n e petite fille âgée seulement de q u a t r e ans et demi sait déjà le Pater et Ave. Si je n'avais pas été témoin des peines qu'il s'est données pour sou­ tenir sa n o m b r e u s e famille, et e n m ê m e temps p o u r participer jusqu'à la fin au bienfait de la mission, j ' a u ­ rais eu peine à le croire. Il avait u n frère qui fut, il y a quelques a n n é e s , baptisé par u n ministre. Il vint plusieurs fois m e supplier de l'admettre au sein d e l'Eglise catholique. Ne le j u g e a n t pas assez instruit, j e fus obligé d'ajourner son abjuration j u s q u ' à l ' a n n é e p r o c h a i n e , et j e le vis se retirer e n pleurant. « Nous n'attendions plus q u e le canot qui devait nous conduire a u fort Moose. Il arriva à onze heures et demie d u soir. Nous devions partir le l e n d e m a i n . mais dans la nuit il s'éleva u n e tempête si horrible q u e de mémoire d'homme on n ' e n a vu de semblable d a n s ces contrées. Elle d u r a toute la j o u r n é e d u l e n ­ d e m a i n , accompagnée de grêle et de coups de ton­ nerre épouvantables. On entendait dans le lointain le


216 bruit effrayant d'une m e r en furie, qui bouleversait les montagnes de glace suspendues sur ses abîmes. Nous craignions à tout instant que le fort n e fût r e n v e r s é . Les cabanes des sauvages furent emportées au loin, et la goëlette qui était à l'ancre dans la rivière, r e m o n t a le courant. Nous bénissions la Providence de n e n o u s être pas trouvés en m e r p e n d a n t là t o u r m e n t e ; car, à moins d'un miracle, nous eussions été ensevelis sous les flots. « J e vais profiter de ce retard inattendu pour faire u n e courte et dernière observation sur ces contrées si tris­ tes, mais si chères à mon cœur. Je n e parlerai que de la partie sud de la baie d'Hudson, connue sous le n o m de baie J a m e s . Elle s'étend depuis le 5 1 degré de l a ­ titude jusqu'au 55e, où commence la baie d'Hudson proprement dite, qui s'étend elle-même jusqu'à la m e r de Baffin par le 75e degré. La navigation n e s'ouvre que vers l e milieu du mois d e j u i n , et ne d u r e q u e j u s q u ' a u milieu de septembre ; encore, durant ces trois mois d ' é t é , f a u t - i l passer à travers d ' é n o r m e s bancs de glace pour aller d'un lieu à un a u t r e . Le navire qui chaque a n n é e vient d'Angleterre à la b a i e , met plus de deux mois à franchir 3 5 0 lieues environ. Sur deux vaisseaux qui se r e n d a i e n t au fort d ' Y o r k , portant des marchandises pour la Rivière rouge, l'un a péri dans les glaces au mois de juillet dernier. « La baie James paraît être peuplée de nombreuses baleines blanches, marsouins et autres cétacées, dont les Indiens makégongs et esquimaux font leur princi­ pale nourriture pendant l'été, comme la chair d'ours blanc est leur principal aliment durant l'hiver. Les E u ­ ropéens n'ont jamais pu se faire à ce régime dégoû­ tant, et tandis qu'ils voient les Indiens savourer avec délices et en énorme quantité la graisse fétide du loup e


217 m a r i n , ils n e peuvent seulement l'approcher de leurs lèvres sans se sentir le c œ u r soulevé. Aucune des riviè­ res qui affluent dans cette immense baie ne paraît être poissonneuse, et l'eau en est mauvaise au goût. Tout le pays qui environne la baie est inaccessible à la cul­ ture ; le sol n e dégèle jamais à fond, il y gèle m ê m e au cœur de l'été. On m'a assuré que, pendant l'hiver, il y a dans les forêts jusqu'à vingt pieds de neige, et q u e sur la mer la glace n ' a pas moins d e trente à trente-cinq pieds d'épaisseur à sa surface u n i e , et cela vers le 5 6 degré de latitude. Quelle doit donc être son épaisseur vers le 75e degré ? e

« Durant cette saison rigoureuse, les sauvages qui habitent les forêts s'enfoncent d a n s des cabanes de neige, et ceux qui vivent sur les bords de la mer se bâtissent des maisons de glace, s'y ensevelissent d u r a n t sept à huit mois, et n'en sortent q u e lorsque la faim les presse. Alors le chasseur va à la poursuite des o u r s blancs. La peau de cet animal est son u n i q u e défense contre le froid, car il n e fait jamais de feu. Il dévore la viande crue. De là vient le mot Esquimaux, eski (crue), et mar (mange). On ne voit aucune espèce de gibier durant tout l'été ; ce n'est q u e vers la m i - s e p ­ t e m b r e que les pluviers et les outardes commencent à se montrer. Ces oiseaux opèrent leur passage du n o r d a u sud pendant u n e quinzaine de jours. Ils sont a u ­ jourd'hui moins n o m b r e u x qu'autrefois, parce q u e , depuis quelque t e m p s , des spéculateurs américains viennent charger leurs navires d'œufs d'outardes s u r les côtes du Labrador. Si ce commerce d u r e encore quelques a n n é e s , il va enlever a u x m a l h e u r e u x ha­ bitants de la baie d'Hudson la principale et presque unique ressource que la Providence leur a ménagée. « Les Indiens, ainsi q u e les agents de la Compagnie


218 de la baie, n'ont pas d'autres bêtes de somme que des chiens, appelés chiens de Terre-Neuve. On les attèle deux, trois et quelquefois quatre ensemble, et alors ils traînent de 250 à 300 livres pesant. Cet animal est ici comme ailleurs l'inséparable compagnon, le plus fidèle ami de l'homme, aussi intelligent que plein de recon­ naissance. Un jour j ' e n vis un qui s'était pris la tête entre deux arbrisseaux, d'où il ne pouvait plus se d é g a g e r ; il poussait des hurlements affreux. J e le délivrai, et dès ce m o m e n t il ne voulut p l u s me quitter. Je traver­ sai u n e rivière dans un canot, lui se m i t à la nage ; et, q u e l q u e t e m p s après, comme j e m ' e m b a r q u a i s sur u n e goélette, on fut obligé de l'enchaîner pour l'empêcher de me suivre. Quelque pressé qu'il soit par la faim, le chien des Esquimaux ne fait j a m a i s du mal à l ' h o m m e ; mais s'il voyait quelqu'un frapper son maître, il étran­ glerait sur-le-champ l'agresseur. « Voilà, Monseigneur, quelques notions q u e je jette sans ordre s u r le papier, touchant le pays que la Pro­ vidence m'a d o n n é pour a p a n a g e . J'ai manifesté chaque année, d a n s mes r a p p o r t s , le désir ardent q u e n o u s avons d e pouvoir habiter au milieu de nos chers et malheureux Indiens. Aujourd'hui nos vœux commencent à se réaliser. Le gouvernement canadien vient enfin de faire justice à nos demandes réitérées, en nous accordant d e u x terrains pour y réunir nos sau­ vages et les habituer à la c u l t u r e . L ' u n de ces terrains est situé à 30 lieues de Bytown, et l'autre à 125 de Témiskaming. Les Missionnaires, étant ainsi au milieu de leurs néophytes, auront plus de facilité pour se transporter, chaque p r i n t e m p s , chez ceux qui h a b i ­ tent les environs de la m e r glaciale. Je n o u r r i s , d e plus, l'espoir que bientôt je pourrai moi-même hiver­ n e r à Moose-Factory. Je n ' a i pas d'autre désir sur la


219 terre, vous le savéz mon bien-aîmé père, que de vivre et mourir pour le b o n h e u r éternel de ces peuples qui me sont confiés. ER

« Le 1 s e p t e m b r e , après avoir u n e dernière fois offert le saint sacrifice et nous être mis sous la p r o ­ tection de la glorieuse sainte A n n e , p a t r o n n e de cette chrétienté nouvelle, nous nous dirigeâmes vers le r i ­ vage. Les néophytes, qui se trouvaient encore réunis au nombre d'une trentaine, nous suivirent dans u n religieux silence, les yeux remplis de larmes. L'un d'eux p r e n a n t la parole : « Vois, m o n père, me dit-il, « si nous savons apprécier le bien que tu nous as fait. « 11 y a déjà longtemps q u e nous n'avons pas mangé, « mais nous j e û n e r i o n s encore plutôt q u e de te q u i t « ter. Puisqu'il faut que tu partes, tu diras à ceux qui « contribuent à nous envoyer des Robes-noires, que « nous nous souviendrons d'eux en priant le Grand« Esprit dans nos forêts. Adieu! » A ces mots, ils se prosternent sur le rivage ; debout d a n s le canot, j e leur d o n n e une dernière bénédiction, et nous nous s é p a ­ rons, eux pour rentrer d a n s leurs forêts, nous pour retourner au Canada. « Un vent du nord, accompagné de neige, nous fit éprouver u n froid assez vif d u r a n t les cinq j o u r n é e s que nous mîmes pour nous r e n d r e au fort Moose. La m a r é e descendante entraînait le canot en pleine mer, malgré les efforts de sept habiles rameurs ; d'autres fois elle nous laissait à sec à u n e distance de six ou sept milles du rivage, et nous étions obligés de t r a n s ­ porter nos effets, en pataugeant dans la vase, jusqu'à ce que nous trouvassions u n endroit propre à camper. Arrivés là, il nous fallait encore courir à u n e distance de cinq ou six milles d a n s le bois pour découvrir de l'eau potable. T a n d i s que nos compagnons prenaient


220 quelques instants de repos, les deux Missionnaires se promenaient sur le bord de la mer, disant leur chape­ let ou leur office. Un soir nous récitions Laudes et nous en étions à ces paroles des trois enfants d a n s la fournaise : Fontaines, mers, fleuves, baleines, et vous tous, habitants des eaux, bénissez le Seigneur ; tout-àcoup n o u s entendîmes notre guide s'écrier : Pères, pères, voilà la m a r é e qui m o n t e avec rapidité ; vite, vite d a n s le canot !! Nous courûmes aussitôt à travers la vase ; mais le canot était à plus d ' u n e lieue de dis­ tance. Q u a n d nous y arrivâmes, la m a r é e était sur le point de l'atteindre; nous n'eûmes q u e le temps de nous y j e t e r , et n o u s continuâmes : Dragons et abîmes, louez tous le Seigneur. Des milliers de petites baleines, que la m a r é e avait amenées, se j o u a i e n t autour de notre frêle embarcation d'écorce. « E n arrivant au fort Moose, n o u s apprîmes q u e l'un des deux navires q u i , chaque a n n é e , viennent dans la baie d'Hudson, avait été brisé par la glace, et toute la cargaison engloutie. C'est u n e perte d e 5 0 , 0 0 0 louis pour la compagnie de la baie d'Hudson et dont les Indiens n e se ressentent pas moins. « O h ! si ma plume était capable de peindre le bien immense qu'opère l'OEuvre a d m i r a b l e de la P r o ­ pagation de la foi, je crois qu'il n'y aurait pas u n e seule â m e , de celles qui s'honorent du beau n o m d e catholiques, qui n e se fit u n devoir bien doux d'y souscrire ! Bénissez, Monseigneur, tous nos chers sau­ vages. Ils m'ont r e c o m m a n d é bien des fois de vous d e m a n d e r pour eux cette faveur. Je la sollicite aussi pour celui qui n e cessera jamais d ' ê t r e , de Votre Grandeur, le très-obéissant fils en Jésus-Christ. « LAVERLOCHÈRE, Oblat de M, Im. »


221

MISSIONS DE LA CHINE. VICARIAT APOSTOLIQUE DU SU-TCHUEN.

Lettre de Monseigneur Perrocheau, Vicaire-Apostolique du Su-lchuen, à MM. les membres des deux Conseils de l ' Œ u v r e de la Propagation de la foi.

Su-tchuen, le 5 septembre 1 8 5 0 .

« MESSIEURS,

« Dieu, d a n s sa miséricorde, a spécialement pro­ tégé, cette a n n é e , n o t r e Mission du Su-tchuen : qu'il en soit mille fois b é n i ! L'Immaculée Vierge Marie, notre tendre et puissante Mère, nous a obtenu cette faveur ; les Anges et les Saints y ont aussi contribué : a tous, grandes actions de grâces ! « Vous aurez s a n s doute appris que l'empereur Tao-Kouang est m o r t le 2 4 février, et que son fils


222

Han-Foung (1), âgé de 1 9 a n s , lui a succédé. Un mois avant le décès d u m o n a r q u e , les g r a n d s m a n d a r i n s de Pékin lui avaient présenté u n e r e q u ê t e , p o u r qu'il o r ­ donnât d e p r e n d r e et d e chasser tous les E u r o p é e n s qui sont en C h i n e , excepté dans les cinq ports ouverts a u c o m m e r c e . Le vieil e m p e r e u r n'a p a s voulu sanc­ tionner leur projet. P e u après sa mort, les m ê m e s per­ sonnages o n t fait p l u s i e u r s fois de vives instances a u p r è s d u n o u v e a u p r i n c e , pour qu'il expulsât les Mis­ s i o n n a i r e s étrangers, a j o u t a n t a u x vieilles calomnies d ' a u t r e s imputations aussi graves qu'elles sont fausses. N é a n m o i n s le j e u n e e m p e r e u r a constamment refusé u n tel ordre, p a r c e qu'à ses y e u x toutes ces accusations étaient sans p r e u v e ; et voilà q u ' a u mois de j u i n , il vient d'envoyer à tous les m a n d a r i n s d e l'empire u n e o r d o n n a n c e q u i p e r m e t formellement aux chrétiens de bâtir des églises, soit à la capitale, soit dans le reste d e la C h i n e , p o u r y prier et prêcher selon leur foi. Il déclare, e n o u t r e , qu'il r e t i e n t à la cour, p o u r son service, q u a t r e Missionnaires e u r o p é e n s arrêtés p r é ­ c é d e m m e n t en Mongolie et amenés à P é k i n . Bénissons tous le Seigneur d'avoir inspiré à ce j e u n e p r i n c e des dispositions si f a v o r a b l e s , et prions ce Dieu de bonté d'achever son œ u v r e , e n p r ê t a n t à Han-Foung la force et les moyens de faire exécuter son édit d a n s toutes les provinces, en lui d o n n a n t la f o i , les v e r t u s , les qualités d'un C o n s t a n t i n . « Jusqu'ici c'est seulement d a n s les contrées m a r i t i ­ mes que la liberté religieuse et la permission d'élever des oratoires ont été respectées, t a n d i s q u e les a n c i e n -

( 1 ) Toute-Abondance

(signification de

han-foung.)


223 nés prohibitions r e s t e n t toujours en vigueur dans les r é g i o n s c e n t r a l e s , c o m m e t a n t de lettres vous l'ont a p p r i s depuis c i n q a n s . Il est à c r a i n d r e q u e les v i c e rois éloignés de la capitale et de la m e r n e r e g a r d e n t comme n o n a v e n u e cette permission d u nouvel e m p e ­ r e u r , comme ils ont fait p o u r les concessions plusieurs fois réitérées de son p è r e . Ce qui est plus à c r a i n d r e encore, c'est q u e les g r a n d s m a n d a r i n s , ennemis de la religion c h r é t i e n n e , et de b e a u c o u p plus n o m b r e u x q u e ses amis, n e v i e n n e n t à b o u t , p a r suppliques et p a r menaces, d e c h a n g e r la c o n d u i t e d'un p r i n c e si j e u n e . Que toutes les b o n n e s âmes d e l'Europe, les Associés de la P r o p a g a t i o n s u r t o u t , r e d o u b l e n t leurs p r i è r e s , n o u s les en c o n j u r o n s , afin d'obtenir, avec l'exécution de l ' o r d o n n a n c e i m p é r i a l e , des grâces qui c o n v e r t i s ­ s e n t les infidèles par millions en c h a q u e province. « Ces b o n n e s dispositions de Han-Foung ont u n e origine qui est u n coup admirable d e la Providence. L ' e m p e r e u r T a o - K o u a n g , affligé de la m o r t de ses trois fils, donna p o u r g o u v e r n a n t e a u q u a t r i è m e (l'empereur a c t u e l ) , u n e d a m e c h r é t i e n n e en q u i il avait u n e en­ tière confiance. Il o r d o n n a q u e j o u r et nuit le prince fût sous les y e u x de cette femme, absolument partout, d u r a n t ses r e p a s , ses é t u d e s , ses r é c r é a t i o n s et son sommeil. Il y a dix ou onze ans q u e cette nouvelle m'est p a r v e n u e ; on la tenait secrète a l o r s ; mais a u ­ j o u r d ' h u i les m a n d a r i n s la p u b l i e n t volontiers. C'est d o n c cette pieuse c h r é t i e n n e , g o u v e r n a n t e d u prince i m p é r i a l , qui lui a u r a i t inspiré ses b o n s sentiments p o u r n o t r e religion. « Du r e s t e , les païens louent la b o n t é et les heureu­ ses qualités d u nouvel e m p e r e u r . L o u o n s aussi sa gran­ d e u r d'âme et son courage. Il vient d'en d o n n e r u n e éclatante preuve en p u b l i a n t u n e telle o r d o n n a n c e dans


224 u n âge si p e u a v a n c é , q u e l q u e s mois après son a v è n e ­ m e n t au t r ô n e , c o n t r e la v o l o n t é bien c o n n u e d u p l u s g r a n d n o m b r e des m a n d a r i n s , et cela en faveur d ' u n e religion r e g a r d é e , p a r p r e s q u e tous les fonctionnaires, c o m m e u n culte hostile à l'Etat, c o m m e u n e secte d o n t le p r i n c i p a l but, selon e u x , serait d e p r é p a r e r les voies a u x a r m é e s e u r o p é e n n e s destinées à envahir l ' e m p i r e . D a i g n e le Seigneur faire t o m b e r toutes les c a l o m n i e s , éclairer ces aveugles et les convertir tous ! « Si n o u s pouvons u s e r d a n s le S u - t c h u e n d e la permission d e bâtir des églises, ayez la c h a r i t é d e ve­ n i r à n o t r e aide p a r d e fortes s o m m e s , j e vous en supplie. Dans t o u t e la p r o v i n c e , il n'y a q u ' u n e ville o ù les c h r é t i e n s p u i s s e n t r é u n i r assez d e fonds p o u r élever u n e c h a p e l l e . Les trois q u a r t s d e nos fidèles s o n t indigents, et s u r l ' a u t r e q u a r t le p l u s g r a n d n o m ­ b r e n'a q u ' u n e modeste a i s a n c e , tout j u s t e au-dessus d e la vraie p a u v r e t é . C'est l ' a r g e n t d ' E u r o p e qui n o u s permet d'avoir tant d'écoles, d e p r o c u r e r le b a p t ê m e à t a n t d'enfants e n d a n g e r de m o r t . « Le n o m b r e d e ces petits Chinois baptisés en 1 8 5 0 est m o i n d r e q u e l'an d e r n i e r . Cette diminution tient à ce que v o u s avez été forcés d e r é d u i r e vos a u m ô n e s ; dès qu'il vous sera possible d e n o u s d o n n e r d a v a n t a g e , n o t r e chiffre s'élèvera d a n s la m ê m e p r o p o r t i o n . Veuil­ lez d o n c , j e vous en c o n j u r e , n o u s allouer c h a q u e a n n é e u n e somme d e p l u s en p l u s considérable. Avec c e n t francs d o n n é s à nos b a p t i s e u r s , n o u s pouvons ré­ g é n é r e r trois ou q u a t r e cents enfants au m o i n s , d o n t les d e u x tiers v o n t p r e s q u ' a u s s i t ô t au ciel. Pressez v i v e m e n t les riches d'ouvrir leurs b o u r s e s . Dites à tous c e u x qui désirent t i r e r u n fort i n t é r ê t d e l e u r s c a p i ­ t a u x , d e l e s envoyer a u S u - t c h u e n , où vingt sous p r o ­ d u i s e n t p a r a n d e u x t r é s o r s , en s e r v a n t au rachat d e


225 deux âmes. Q u i c o n q u e sait bien le prix d ' u n e c r é a t u r e formée à l'image de Dieu, j u g e r a que m a promesse est fort au-dessous de la réalité. Vous m'excuserez, Mes­ sieurs, si je répète u n e telle demande d a n s toutes mes lettres. Je suis un vrai m e n d i a n t qui i m p o r t u n e les gens de ses p r i è r e s ; mais si je puis obtenir quelques l i a r d s , j e serai trop h e u r e u x , car j e les emploierai tous à procurer la perpétuelle félicité des â m e s , à augmenter la gloire d u Seigneur qui, d u r a n t l'éternité, sera plus aimé, plus l o u é , plus glorifié, selon mon g r a n d désir. « Ce ne sont pas nos seuls baptiseurs salariés qui ont d o n n é le baptême à 94,131 enfants d'infidèles dangereusement m a l a d e s . Nous n'avons point assez de ressources p o u r payer a u t a n t de coopérateurs ; mais sans cesse nous exhortons les fidèles pieux et habiles, sans cesse nous les pressons d'aller a u secours des e n ­ fants menacés de périr dans l e u r voisinage. Beaucoup d'entre eux se m o n t r e n t dociles à nos avis et fort zélés p o u r la b o n n e œ u v r e . De l e u r côté, les m é d e c i n s chré­ tiens et quantité de pieuses néophytes, qui exercent l'art de guérir les enfants, nous p r o c u r e n t aussi u n bon nombre de b a p t ê m e s . Ce sont tous ces auxiliaires gratuits qui, c h a q u e a n n é e , font m o n t e r si haut le total des petits Chinois baptisés en d a n g e r de m o r t . Ce chiffre, avec la grâce de Dieu, ira toujours crois­ sant à mesure que s'élèveront les aumônes envoyées de l'Europe au Su-tchuen. « Je vous a d r e s s e , Messieurs, à vous et à tous les associés dé l'OÊuvre divine de la Propagation de la foi, mille remercîments p o u r les secours q u e votre g r a n d e charité a déjà accordés à ma Mission et daignera lui accorder chaque a n n é e .


226 a C'est avec les sentiments d e la plus vive gratitude et du p l u s profond r e s p e c t q u e j ' a i l ' h o n n e u r d ' ê t r e , Messieurs, Votre très h u m b l e et très obéissant serviteur. « + J . L . PERROCHEAU, Evêque de Vicaire apostolique

Baptêmes d'enfants

d'infidèles

quelques-unes

du Su-tchuen,

en danger de mort,

»

dans

des Missions de l'Asie.

Au S u - t c h u e n en 1 8 4 9 .

.

Au Yun-nan en 1 8 4 8 . . . E n Corée en 1847 et 1848. Au Cambodje en 1 8 4 9 .

. . .

.

.

4,000 1,225 5,000 127 4,074 1,688 5,017

.

13,506 12,439 9,428

...

D a n s la Cochinchine orientale en — occidentale en Dans la moyenne Cochinchine en Au T o n g - k i n g oriental en 1 8 4 9 . — central en 1 8 4 9 . occidental en 1 8 4 8 .

D a n s le m ê m e Vicariat en 1 8 4 9 .

99,807

Chez les Birmans en 1849

Maxula,

1849. 1849. 1848. •

. •

9,649

En nous envoyant ces listes d'enfants b a p t i s é s , les Missionnaires ajoutent q u e les trois q u a r t s sont déjà morts et en possession d u ciel.


227

VICARIAT APOSTOLIQUE DU CHEN-SI.

Extrait d'une lettre de Mgr Ephise Chiais, MineurObservantin, Evêque de Tiene, et Ficaire apostolique du Chen-si, aux Conseils centraux de l'Œuvre de la Propagation[de la foi, à Lyon et à Paris. ( T r a d u o lion de l'italien.)

Chen-si, 22 septembre 1 8 5 0 .

«

MESSIEURS,

« J'ai reçu, il y a peu de temps, votre lettre du 2 0 octobre dernier, dont la lecture m'a fait admirer u n e fois de plus combien est g r a n d e votre sollicitude p o u r mon vicariat apostolique. J e vous e n rends d e vives actions de grâces, et j e prie Dieu d ' a u g m e n t e r l'abon­ d a n c e de ses bénédictions s u r votre sainte Œ u v r e . « Heureux de saisir toutes les occasions q u i se p r é ­ sentent de vous d o n n e r quelques détails s u r l'état d e nos Missions, j e vous dirai q u e , m a l g r é l'inexécution partielle du décret impérial, obtenu p a r l ' a m b a s s a d e u r de F r a n c e pour le libre exercice d e notre s a i n t e reli­ gion d a n s ces contrées, n o u s ne s o m m e s c e p e n d a n t plus exposés aux terribles persécutions qui éclataient


228

autrefois. Il est vrai q u e les m a n d a r i n s n e cessent pas, lorsque nos chrétiens s o n t t r a d u i t s d e v a n t leurs t r i b u ­ n a u x , de les i n c a r c é r e r et d'user de tous les m o y e n s p o u r les c o n t r a i n d r e à l'apostasie ; mais si les accusés se m o n t r e n t fermes dans la foi, les j u g e s n ' o s e n t plus les c o n d a m n e r à u n lointain exil, comme l'exigeait l'édit d e Kia-King, aïeul du p r é s e n t e m p e r e u r . Ils se c o n ­ t e n t e n t d e les m e n a c e r d'horribles c h â t i m e n t s , sans p r e s q u e j a m a i s en venir a u fait ; p u i s , a p r è s quelques mois ou s e u l e m e n t q u e l q u e s j o u r s de prison, ils les ren­ voient chez eux sous u n p r é t e x t e q u e l c o n q u e . C'est ce qu'il sera facile de constater p a r le fait suivant, arrivé l'année dernière : « Dans le h a m e a u d e Hui-ci-tzai-se, d é p e n d a n t d e C e u - z e - h i e n , ville de troisième o r d r e , à dix-huit lieues d e Si-gan-fou, capitale d e la p r o v i n c e , se trouve u n e chrétienté qui d e p u i s l o n g t e m p s n'avait eu à souffrir d e la p a r t des p a ï e n s a u c u n e v e x a t i o n . Mais, à l ' a u ­ t o m n e d e l'an passé, ceux-ci a y a n t résolu d e bâtir u n t e m p l e d a n s l e u r village, c o m m e n c è r e n t , a v a n t d e m e t t r e la m a i n à l'œuvre, à exiger des c o n t r i b u t i o n s d e tous les h a b i t a n t s . Nos chrétiens r é p o n d i r e n t q u e , c o m m e ils n ' a v a i e n t j a m a i s pris a u c u n e p a r t d a n s le passé à de telles e n t r e p r i s e s , ils n ' e n t e n d a i e n t y p a r ­ ticiper n i d a n s le présent ni dans l'avenir. A cette d é ­ c l a r a t i o n , les p a ï e n s exaspérés p r i r e n t la résolution d'accuser les néophytes d e v a n t les t r i b u n a u x , ajoutant avec m e n a c e s qu'ils en a u r a i e n t bientôt p u r g é l e u r pays. « Au j o u r fixé pour les débats, les infidèles se r é u ­ n i r e n t e n f o u l e , et m a r c h è r e n t vers le t r i b u n a l en vociférant c o m m e des forcenés tout le l o n g du c h e m i n : a Il faut en finir ; c'est la d e r n i è r e affaire q u e n o u s « aurons avec ces a d o r a t e u r s du Maître d u ciel. » Arri-


229 vés a u p r é t o i r e , a c c u s a t e u r s et accusés se m i r e n t à g e n o u x selon la c o u t u m e , et le juge c o m m e n ç a par d e m a n d e r a u x chrétiens p o u r q u o i ils refusaient d e c o n t r i b u e r à la d é p e n s e c o m m u n e , j u g é e nécessaire p o u r la c o n s t r u c t i o n d u n o u v e a u t e m p l e . Alors u n c h r é t i e n plus disert q u e les a u t r e s , exposa ainsi les motifs d e leur refus : « Depuis tant d ' a n n é e s q u e n o u s h a b i t o n s n o t r e vil« l a g e , jamais il n'est v e n u e n p e n s é e aux p a ï e n s de « n o u s taxer p o u r l e u r comédie, pour l e u r s idoles, pour « la r e s t a u r a t i o n ou p o u r la c o n s t r u c t i o n de leurs tem« pies. De quel droit viennent-ils a u j o u r d ' h u i r é c l a m e r « n o t r e concours ? Ne savent-ils donc pas q u e notre loi « n o u s défend de coopérer à de telles œ u v r e s ? N'entrons« n o u s pas volontiers d a n s les dépenses d'utilité com« m u n e , lorsqu'elles n'impliquent a u c u n e supersti« tion ? » En e n t e n d a n t ces paroles, le j u g e se t o u r n a vers les accusateurs et leur dit : « P o u r q u o i molestez« vous les chrétiens e n leur imposant u n e contribu« tion pour n o t r e culte, m a l g r é l'exemple de vos ancè« très qui n'ont j a m a i s eu u n e telle prétention ? Si leur « loi le leur défend, il est injuste de les y contraindre.. « Ce n'est pas tout ; ceux qui le font sont des pertur« b a t e u r s de la paix p u b l i q u e , et c o m m e tels ils doi« vent être p u n i s . » A ces m o t s , il c o m m a n d a d e d o n n e r dix soufflets à c h a c u n des accusateurs Or, ces soufflets n e sont point appliqués avec la m a i n , mais avec u n e espèce de férule en cuir, composée de p l u ­ sieurs lanières cousues e n s e m b l e , de telle sorte q u e c h a q u e coup fait cracher le s a n g a u m a l h e u r e u x sup­ plicié ou lui fait sauter q u e l q u e s d e n t s . « Ainsi r u d e m e n t éconduits, les païens s'en retour­ n è r e n t avec l e u r h o n t e et leurs souffrances, m a i s fu­ rieux plus q u e j a m a i s contre les c h r é t i e n s . Ils r é u n i -


230 rent donc le plus d'argent qu'ils p u r e n t , et se r e n d i r e n t a u chef-lieu de la p r o v i n c e , p o u r d e m a n d e r a u tribu­ n a l de cette ville u n n o u v e a u j u g e m e n t . Cette fois, ils n e furent pas m ê m e écoutés ; m a i s , toujours obstinés d a n s leur dessein, ils s'adressèrent au suprême tribunal de Gan-tza fou, où ils o b t i n r e n t q u e l q u e appui. La cause fut reçue, et trois jours après u n e sentence renvoya le procès au m ê m e t r i b u n a l qui avait refusé de s'en occu­ per, avec ordre de p r o n o n c e r u n j u g e m e n t conforme aux lois de l'empire, q u i c o n d a m n e n t à u n exil perpé­ tuel les chrétiens fidèles à leur foi. « P o u r obéir à cet o r d r e , le m a n d a r i n Cé-fou com­ m a n d a q u e l'on prît s a n s délai dix néophytes de notre Mission, et q u ' o n les conduisit devant lui pour être j u g é s . L'interrogatoire e u t lieu après quelques j o u r s de prison. Il fut a c c o m p a g n é d'effrayantes m e n a c e s : les châtiments les plus cruels allaient les frapper, s'ils n'ab­ j u r a i e n t aussitôt leur foi. Mais les confesseurs r é p o n ­ dirent avec constance : «Plutôt mourir q u e d'apostasier». Rappelés plusieurs fois a u t r i b u n a l , ils e n t e n d i r e n t ré­ péter les m ê m e s m e n a c e s , et toujours ils firent la m ê m e r é p o n s e ; en sorte q u e le j u g e o r d o n n a de les retenir a u cachot jusqu'à ce qu'ils se fussent décidés à obéir Ils passèrent ainsi deux mois d a n s les fers, s a n s q u e rien d o n n â t à penser qu'ils c h a n g e r a i e n t d e réso­ lution. Cé-fou les fit d o n c comparaître encore u n e fois devant lui, et m i t de n o u v e a u tout en œuvre pour les intimider ou les séduire ; mais ce fut toujours en vain. Alors se laissant aller à l'emportement de sa colère : « Vous avez encore trois j o u r s p o u r vous décider, leur « dit-il; après quoi n'attendez plus de moi aucune p i t i é ; « les tourments feront justice de votre obstination. » « Plus affligés que surpris de ces paroles b r u t a l e s , les dix, confesseurs passèrent ces trois jours à préparer


231 leur d e r n i è r e défense, et lorsqu'ils e u r e n t été r a m e n é s en présence d u j u g e p o u r e n t e n d r e leur c o n d a m n a ­ tion, le m ê m e chrétien qui, devant le premier tribu­ nal, avait parlé au n o m de tous, s'approcha d u m a n ­ darin et s'exprima e n ces termes : « La nuit dernière nous méditions, m e s c o m p a g n o n s et m o i , s u r les t o u r m e n t s qui nous a t t e n d e n t si n o u s n e cédons pas à vos o r d r e s , et sur ceux qu'après la m o r t nous d e v r o n s - e n d u r e r si n o u s transgressons la loi du Seigneur d u ciel. Nous avons compris q u e les c h â ­ timents dont vous n o u s m e n a c e z , bien q u e très-rigou­ r e u x , n e sont rien en comparaison d e ceux q u e tout p é c h e u r souffrira d a n s l'autre m o n d e . P e n d a n t q u e nous étions plongés d a n s cette m é d i t a t i o n , les tour­ m e n t s de l'autre vie se sont présentés à n o t r e esprit aussi vivement q u e si nous les avions eus sous les y e u x . C'était u n e i m m e n s e fournaise q u e remplissaient des flammes dévorantes. Il semblait q u e nous fussions arrivés sur le bord d e cet abîme d e feu ; u n p a s d e plus et nous y tombions pour l'éternité. A cette v u e , saisis d ' h o r r e u r , n o u s invoquâmes l'aide d e D i e u , l e p r i a n t de n o u s raffermir d a n s sa foi j u s q u ' à n o t r e d e r ­ nier soupir, et il nous sembla que cet horrible supplice disparaissait à nos r e g a r d s . Considérant ensuite q u e plus les t o u r m e n t s d o n t vous nous menacez seront longs et cruels, plus ils n o u s a c q u e r r o n t de grâces a u ­ près du Seigneur, si n o u s les supportons p o u r son a m o u r , tous d ' u n accord c o m m u n n o u s avons résolu de d e m e u r e r chrétiens j u s q u ' à la m o r t . Maintenant portez la s e n t e n c e . » « A cette d é c l a r a t i o n , le juge r é p l i q u a avec une amère ironie : « Nous allons voir si le gouffre q u e vous avez rêvé a u r a s u r vous plus d e puissance q u e les véritables tourments. » Cela dit, il commanda à


232 ses satellites d e d o n n e r vingt c o u p s s u r les m a i n s d e ce c h r é t i e n . Le c o u r a g e u x confesseur les e n d u r a sans e n être é b r a n l é , et, c o m m e on l u i d e m a n d a i t d e n o u ­ v e a u , après ce s u p p l i c e , s'il était disposé à r e n i e r son Dieu, il r é p o n d i t e n c o r e u n e fois : « P l u t ô t m o u r i r » . S u r ­ p r i s et t o u c h é d e cette i n t r é p i d i t é , l e m a n d a r i n p e n s a q u ' u s e r d e la m ê m e r i g u e u r e n v e r s les n e u f a u t r e s n é o p h y t e s , q u i le r e g a r d a i e n t avec u n front s e r e i n , n e ferait q u e r e n d r e n e u f fois p l u s manifeste son i m p u i s ­ s a n c e , et il r é s o l u t de les m e t t r e tous e n l i b e r t é , s a n s l e u r infliger a u c u n e p e i n e . C e p e n d a n t , c o m m e il crai­ g n a i t q u e l e u r a c q u i t t e m e n t , s a n s qu'ils e u s s e n t d o n n é l e m o i n d r e signe de s o u m i s s i o n , n e fut u n t r o p r u d e échec p o u r son a u t o r i t é , il i m a g i n a d e l e u r c o m m a n d e r q u e l q u e chose qu'ils n e p u s s e n t refuser e n c o n s c i e n c e . P r e n a n t d o n c en m a i n u n e feuille d e p a p i e r b l a n c , il s e t o u r n a vers le n é o p h y t e q u i avait été battu, et lui d i t q u e sa c o n s t a n c e et celle d e ses c o m p a g n o n s d a n s la foi q u ' i l s professaient, m é r i t a i t b i e n q u e l q u e s égards ; qu'il avait d o n c résolu d e les m e t t r e en liberté ; m a i s q u ' a v a n t tout ce c h r é t i e n devait é c r i r e son n o m et celui d e ses c o m p a g n o n s s u r cette feuille, afin qu'il l'envoyât a u t r i b u n a l s u p é r i e u r d'où l u i était v e n u l'ordre d e j u g e r l e u r affaire. Le confesseur, e n t e n d a n t celte proposition, craignit q u ' e l l e n e c a c h â t u n piège ; il répondit c e p e n d a n t qu'il n e voyait a u c u n e difficulté à d o n n e r a u m a n d a r i n cette i n n o c e n t e satisfaction. Mais, poursuivit-il, c o m m e on p o u r r a i t y ajouter des p a r o l e s q u e n o s lèvres n ' o n t j a m a i s proférées, et q u e n o t r e esprit n e p e n s e r a j a m a i s , j e n e m e d é c i d e r a i à é c r i r e ces n o m s q u ' a u t a n t q u e v o u s , m a n d a r i n , m e d é c l a r e ­ rez qu'il n'y sera fait a u c u n e addition d e n a t u r e à m e t ­ tre en d o u t e n o t r e foi, à faire croire q u e n o u s a y o n s j a m a i s incliné le m o i n s d u m o n d e et d e q u e l q u e m a -


233 n i è r e q u e ce soit à l'apostasie. Cé-fou leur certifia qu'il en serait ainsi, et, pour m i e u x les r a s s u r e r , il ajouta qu'ils pouvaient r e t o u r n e r chez eux en toute s é c u r i t é , sans crainte que d o r é n a v a n t on n e r é c l a m â t l e u r coo­ pération au culte des idoles. « Q u a n t a v o u s , dit-il e n se t o u r n a n t vers les a c c u s a t e u r s , attendez-vous à d e terribles châtiments, si, p o u r ce motif ou p o u r tout au­ tre,

vous cherchez encore à molester les chrétiens. » « S u r de telles assurances de la p a r t d u m a n d a r i n ,

les dix chrétiens consentirent à ce q u e leurs n o m s fus­ sent écrits s u r la feuille de papier ; et étant r e t o u r n é s d a n s le sein de leurs familles, ils se m i r e n t avec elles à r e n d r e des actions de grâces au S e i g n e u r p o u r l e u r délivrance inespérée. « De ces faits il faut conclure, c o m m e j e l'ai dit e n commençant,

que les magistrats n'osent plus sévir

c o m m e autrefois contre les c h r é t i e n s , ni les c o n d a m ­ n e r à u n exil p e r p é t u e l , suivant la t e n e u r des anciens édits « J e prie Dieu de nouveau de r é p a n d r e ses bénédic­ tions sur tous les m e m b r e s de votre s a i n t e Œuvre, et j e suis, etc. « f

F R . EPHISE CHIAIS,

Mineur-Observantin,

Evoque de

Tiene,

Ficaire apostolique d u Chen-si. »

TOM, XXIII. 136.

13


234

VICARIAT APOSTOLIQUE DU

QUOUANG-TONG.

Lettre de M. Leturdu, Missionnaire apostolique, à MM. les Directeurs du Séminaire des Missions étrangères, à Paris.

Hong-Roug, 1 7 Novembre 1 8 5 0 .

« MESSIEURS ET VÉNÉRÉS DIRECTEURS,

« A peine rendu à la liberté, je profite du premier m o m e n t de repos pour vous faire connaître les circon­ stances de mon arrestation et la persécution qui s'en est suivie contre les chrétiens de Kia-in-Tcheou, d i s ­ trict de la province de Quouang-Tong. « Dans les premiers j o u r s de l'année, la fille d'un petit m a n d a r i n , mariée dans les environs de ma r é s i ­ dence, m e fit d e m a n d e r si elle pouvait aspirer à la grâce d'être chrétienne. Elle ajoutait qu'ayant entendu parler des beautés de la religion, elle ferait tous les


235 sacrifices nécessaires pour obtenir cette faveur. Je lui répondis q u e je la recevrais très-volontiers a u n o m b r e des adorateurs du vrai Dieu; mais, qu'avant tout, elle devait se faire instruire de ce qui concernait son culte, sa doctrine et la m a n i è r e dont il voulait être servi p a r ses enfants. Dès l o r s , cette fervente c a t é c h u m è n e n ' a pas cessé, p e n d a n t trois mois, de faire c h a q u e s e m a i n e p l u s d'une lieue pour se r e n d r e a u p r è s d ' u n e p e r s o n n e sage et éclairée, qui lui enseignait nos vérités saintes. Le jour de sa régénération arrivé, j ' a i pu voir à la m a ­ nière dont elle reçut le b a p t ê m e , quelle a b o n d a n c e d e grâces l'Esprit-Saint r é p a n d a i t d a n s son c œ u r . T a n d i s q u e l'eau sainte coulait sur son front, de grosses l a r ­ m e s s'échappaient de ses yeux et m o n t r a i e n t tout le b o n h e u r qui inondait son â m e . Un de ses fils, placé à ses côtés, recevait le b a p t ê m e en m ê m e temps q u e sa m è r e , et mêlait ses l a r m e s aux siennes. Tous d e u x vinrent ensuite se jeter à m e s pieds pour m e témoigner l e u r reconnaissance ; mais l'enfant, à peine âgé d e quatorze ou quinze ans, m e p r e n a n t à part, m e dit : « P è r e , j ' a u r a i s encore u n e grâce à vous d e m a n d e r , « celle de m e consacrer e n t i è r e m e n t a u service d e « Dieu et de devenir u n jour le ministre de ses « autels. » « Bien q u e cette cérémonie, d'ailleurs si touchante, se soit faite avec tout le secret possible, c e p e n d a n t les absences réitérées de cette nouvelle n é o p h y t e , le c h a n g e m e n t frappant qu'on r e m a r q u a i t d a n s sa con­ duite, quelques paroles t e n d a n t à convertir plusieurs de ses proches, tout cela fît soupçonner qu'elle avait c h a n g é de religion et qu'elle ne pouvait être que chré­ t i e n n e . 11 n'en fallut pas d a v a n t a g e pour exciter la fu­ r e u r de son beau-père qui, tenant sa famille pour dés­ h o n o r é e par ce r e n o n c e m e n t au culte de ses ancêtres,


236 résolut aussitôt d'en tirer u n e éclatante vengeance. Il va à l'instant m ê m e en prévenir le m a n d a r i n , et com­ b i n e avec lui les moyens de se saisir de m a p e r s o n n e . Mais déjà les chrétiens, instruits de ce qui se tramait, avaient eu soin de m e prévenir. J u g e a n t cette résidence p e u sûre pour m o i , je pris le parti d e faire u n e e x c u r ­ sion dans les m o n t a g n e s , où j'avais à visiter plusieurs chrétientés, et où j'avais la certitude d'échapper a u x recherches du m a n d a r i n . Après trois mois passés d a n s ce pays désert, au milieu des fatigues les plus g r a n d e s et recueillant partout les bénédictions q u e Dieu vou­ lait bien accorder à la simplicité de ces pauvres gens, j e crus q u e le m o m e n t était arrivé de r e t o u r n e r à m o n a n c i e n troupeau. Je r e v i n s , en effet, et j e d e m e u r a i environ deux mois d a n s m a première habitation s a n s être r e c o n n u . Mais enfin le b r u i t d e m o n retour finit p a r se r é p a n d r e au-dehors, le m a n d a r i n en fut informé, et dès lors m o n arrestation fut résolue d e m a n i è r e à n e m e laisser a u c u n moyen d'échapper. « Dans la nuit du 3 1 août, j e dormais p r o f o n d é ­ m e n t , lorsque, e n t r e trois et q u a t r e heures d u m a t i n , j e suis réveillé en sursaut par les cris t u m u l t u e u x d ' u n e m u l t i t u d e qui assiégeait la maison ; des coups r e ­ doublés d e massues étaient appliqués contre les portes p o u r les enfoncer. Je n e fus pas longtemps sans devi­ n e r quel était le b u t de cette visite. J e m e levai prompt e m e n t et allai ouvrir la porte, afin de m'offrir m o i m ê m e à ces gens et de laisser a u x personnes qui se trouvaient avec moi le temps de s'enfuir. Mes efforts furent inutiles ; déjà la porte était enfoncée, et u n e vingtaine de satellites a r m é s de piques, d e massues, de flambeaux, et accompagnés de la populace, se jet­ t e n t d a n s la maison. C o m m e j e l e u r déclare q u e j e suis le Missionnaire qu'ils c h e r c h e n t sans doute, ils


237 s'arrêtent u n instant stupéfaits, car on leur avait dit q u e j'étais magicien et qu'ils devaient se défier de mes maléfices ; mais bientôt, revenus de leur première sur­ p r i s e , ils me passent u n e chaîne au c o u , m'enlè­ vent le peu d'habits q u e j'avais pu mettre, n e m e lais­ sent q u ' u n simple p a n t a l o n , et m ' e n t r a î n e n t hors du logis. J'avais alors avec moi m o n m a î t r e d'école et u n j e u n e h o m m e de quinze à seize a n s qui apprenait la doctrine d u salut. On les e n c h a î n e é g a l e m e n t , et on va de là se saisir d'un vieux chrétien q u i d e m e u r a i t d a n s le voisinage et qui m'avait aidé de son n o m à acheter le réduit où j ' h a b i t a i s . Cette première o p é r a ­ tion faite, les prétoriens pillent la maison et la c h a ­ pelle ; ils emportent les lits, les m e u b l e s , les habits ; ils a r r a c h e n t j u s q u ' a u x portes et a u x fenêtres, qu'ils vont b r û l e r avec quelques livres d e religion ; et enfin, après avoir bien assouvi leur r a g e sur ces objets insen­ sibles, ils nous conduisent tous q u a t r e , la chaîne au cou, jusqu'à la ville située à u n e lieue d e distance. C'était là q u e n o u s devions c o m p a r a î t r e devant le tri­ b u n a l du m a n d a r i n . « On peut j u g e r de l'amuence qui se pressa sur no­ tre route, lorsqu'au lever du jour, le bruit se répandit, avec la rapidité de l'éclair, q u ' u n chef de la religion chrétienne avait été saisi. On accourait de toutes p a r t s p o u r voir cet h o m m e extraordinaire et i n c o n n u , dont la r e n o m m é e faisait u n être presque fabuleux. Un g r a n d n o m b r e de païens nous suivit j u s q u ' à la ville. Là, quantité de chrétiens vinrent se mêler à la foule, n o n pour a u g m e n t e r le n o m b r e des curieux, mais pour voir u n e d e r n i è r e fois leur père et adoucir par l e u r présence la peine de son arrestation. L ' u n d'eux, en ce m o m e n t , s u r m o n t a n t la honte qu'il pouvait y avoir à se déclarer p u b l i q u e m e n t chrétien, prit la parole et


238 fit, devant ce peuple assemblé, l'apologie de notre foi. Tous convinrent q u e cette religion était b o n n e et q u e c'était sans doute p a r erreur que le m a n d a r i n nous avait fait p r e n d r e . L'heure d e l'audience ayant été re­ tardée, les chrétiens nous servirent u n modeste repas : agapes fraternelles bien propres d a n s cette circonstan­ ce à resserrer les liens de la charité qui nous unissait. Je profitai de ce m o m e n t p o u r encourager les compa­ g n o n s de m a captivité à supporter g é n é r e u s e m e n t , pour l'amour de Dieu, ce qu'il plairait au m a n d a r i n de nous faire souffrir. Le j e u n e enfant, placé à mes côtés, pa­ raissait saisi de frayeur; il n'était encore q u e catéchu­ m è n e , et il était chez moi, lorsque les satellites y e n ­ trèrent, pour étudier les livres chrétiens et se disposer ainsi à la grâce de la r é g é n é r a t i o n . Il désirait b e a u ­ coup recevoir le b a p t ê m e : j e lui promis q u e si, d a n s cette épreuve, il n e faisait rien d'indigne de sa foi, j e le lui conférerais à Noël p r o c h a i n ; j e lui rappelai en m ê m e temps ce que Notre-Seigneur a e n d u r é pour n o ­ tre salut, nous engageant à souffrir quelque chose p o u r sa gloire. Les deux chrétiens paraissaient tranquilles : « Il n'arrivera, disaient-ils, que ce que le b o n Dieu voudra, nous n e craignons r i e n . » « J'avais, en effet, le droit de compter sur leur cou­ r a g e L'un d'eux, j e veux dire le vieillard arrêté à son domicile, est le plus ancien néophyte du district. Il a reçu le baptême à P i n a n g , il y a près de vingt a n s . De retour d a n s sa famille, il n e fut pas le bien-venu ; s o u ­ vent il fut maltraité par les siens qui voulaient l'obli­ ger de r e n o n c e r à sa religion. Mais, Dieu le s o u t e n a n t , la fermeté de sa foi, loin d'être é b r a n l é e , t r i o m p h a elle-même d e l'incrédulité de ses p a r e n t s , et, depuis plusieurs années, sa femme, ses frères et ses enfants sont chrétiens. C'était chez lui que descendait le Mis


239 s i o n n a i r e qui venait visiter a n n u e l l e m e n t les fidèles d e Kia-in-Tcheou, et ses vertus le faisaient regarder luim ê m e c o m m e le père de cette chrétienté « Le maître d'école, p l u s j e u n e d'âge (il n'a q u e 5 2 a n s ) , plus j e u n e aussi p a r les a n n é e s de son b a p t ê m e qu'il a reçu seulement l ' a n n é e d e r n i è r e , n e le cède à ce premier athlète ni en foi ni e n ferveur. C'est u n h o m m e de h a u t e stature, à la figure sèche et mortifiée ; ses moustaches bien fournies, sa d é m a r c h e assurée, sa longue robe de siu-chang (maître) qui semble encore allonger sa taille, son œil d ' u n e vivacité extrême, tout lui d o n n e u n air doctoral qui m e frappa la première fois que j e le vis. Aussi, avais-je dès-lors conçu l'espoir d e le placer à la tète de l'école q u e j e voulais établir. Mais j e n e savais pas encore que j e possédais en lui u n h o m m e au cœur g é n é r e u x et sensible, aux m a n i è r e s i n s i n u a n t e s , à la parole é n e r g i q u e et à la piété la plus sincère. 11 secourt souvent du d e n i e r de sa pauvreté les chrétiens encore plus pauvres q u e l u i , d o n n e des avis fraternels à ceux qui n e m a r c h e n t pas assez d r o i t , n e finit son école q u e pour aller prêcher d a n s le village et quelquefois à la ville ; et pour n e pas s'oublier luim ê m e tout en e n s e i g n a n t les a u t r e s , il fait régulière­ m e n t , c h a q u e j o u r , u n e heure a u m o i n s d'oraison ; il j e û n e tous les vendredis pour h o n o r e r la passion de N.-S., et passe le reste d e sa vie d a n s u n e abstinence continuelle, n e m a n g e a n t que d u riz cuit à l'eau avec quelques l é g u m e s . Aussi, quoiqu'il m e fût impossible de prévoir l'issue de la lutte qui allait s'engager, j e n e doutais pas qu'elle n e fût à la gloire de la religion que ces deux nobles chrétiens savaient si bien pratiquer. « Mais l'heure de comparaître devant le m a n d a r i n est arrivée; au m o m e n t de me séparer de mes g é n é r e u x compagnons, je leur fais mes adieux, j e les bénis u n e


240 dernière fois. U n e b a n d e d e s a t e l l i t e s , s ' e m p a r a n t d'eux, les conduit au t r i b u n a l . Qui n ' a pas vu l ' a p p a ­ reil m e n a ç a n t d e ces prétoires chinois, peut difficile m e n t se faire u n e idée de la frayeur qui doit saisir u n accusé, lorsqu'il est a m e n é devant son j u g e . Après l'a­ voir fait passer par deux cours encombrées d e curieux, qui c h e r c h e n t à se repaître d u spectacle de son m a l ­ h e u r , on le conduit à la salle p r i n c i p a l e , où o n l'oblige à se mettre à genoux ; u n triple r a n g de soldats et d'exécuteurs l ' e n v i r o n n e , p o r t a n t c h a c u n l ' i n s t r u m e n t d'un supplice particulier. Bientôt le bruit des pétards et le retentissement d u t a m - t a m a n n o n c e l'arrivée d u m a n d a r i n q u i , suivi de ces s a t e l l i t e s , l'air sévère et m e n a ç a n t , va siéger au s o m m e t d e son t r i b u n a l . Il n'en faut pas t a n t p o u r glacer d'effroi u n p a u v r e Chi­ nois trop accoutumé à pâlir d e v a n t l'autorité. Aussi, à peine l'inflexible m a n d a r i n eut-il fait apporter u n e croix, en c o m m a n d a n t a u x c h r é t i e n s de la fouler a u x pieds, et en leur p r o m e t t a n t la liberté à ce prix, q u e le j e u n e h o m m e , à demi-mort et tout h o r s de luim ê m e , fit l e pas d é p l o r a b l e q u ' o n lui d e m a n d a i t . Hélas ! le p a u v r e enfant a-t-il r é e l l e m e n t r e n i é son Sauveur ? A-t-il conservé assez de connaissance et d e volonté pour sentir toute la noirceur de l'acte infâme qu'il c o m m e t t a i t ? Je laisse à Dieu d'en j u g e r . S e u l e ­ m e n t j e dirai qu'à p e i n e sorti du p r é t o i r e , il m e fit p a r v e n i r des excuses sur sa faiblesse, et m e promit d e la r é p a r e r plus t a r d . P o u r nos d e u x chrétiens, ils se m o n t r è r e n t dignes de leur conduite passée, dignes d e tout ce q u e l'histoire raconte de plus beau à la gloire de n o s anciens m a r t y r s . Devant eux aussi le m a n d a r i n fit placer u n e croix, en leur p r o m e t t a n t la liberté s'ils la foulaient aux pieds. Le maître d'école, p r e n a n t alors la parole avec cet air c a l m e et assuré qui le distingue


241

n e répond q u e ces mots énergiques : « Ne savez-vous « d o n c pas, g r a n d m a n d a r i n , q u e celui q u e vous n o u s « ordonnez de r e n i e r est notre Dieu ; qu'il n'a j a m a i s « cessé de n o u s combler d e biens, et q u e pour toutes « choses a u m o n d e n o u s n e pouvons a b a n d o n n e r s o n « service. » — « Eh bien ! puisqu'il en est ainsi, s'écrie « le juge transporté de fureur, satellites, faites votre « devoir. » A l ' i n s t a n t , les b o u r r e a u x saisissent n o s g é n é r e u x confesseurs, les dépouillent de l e u r s habits, n e l e u r laissant q u ' u n p a n t a l o n relevé jusqu'au-dessus des genoux, et les p l a c e n t e n cet état sur le chevalet, m a c h i n e i n f e r n a l e , où, d'une part, le patient est a g e ­ nouillé sur des chaînes de fer, t a n d i s q u e , d e l'autre, ses m a i n s sont tirées, à l'aide d'une poulie, jusqu'à ce qu'elles arrivent a u x b r a s du chevalet fixé par der­ r i è r e . On peut se figurer la d o u l e u r q u e c a u s e u n tel s u p p l i c e , surtout lorsqu'il se prolonge u n peu long­ t e m p s . Nos chrétiens y passèrent d e u x h e u r e s consécu­ tives, p e n d a n t lesquelles on n e cessa de tirailler leurs m e m b r e s , et, p e n d a n t tout ce t e m p s , ô prodige d e la grâce! pas u n e seule p l a i n t e n'est sortie d e leur bou­ che, pas u n seul soupir n e s'est échappé d e leur poi­ t r i n e ; seulement q u a n d on les a détachés, leurs m e m ­ b r e s disloqués n e t r o u v a n t plus leur place n a t u r e l l e , et la douleur d e v e n a n t alors excessive, ils ont poussé u n long g é m i s s e m e n t et sont tombés p a r terre, où ils sont restés quelque temps sans pouvoir se relever. « Nos généreux néophytes étaient encore sur le che­ valet, q u a n d je fus a m e n é devant le m a n d a r i n . T é m o i n d e leurs horribles souffrances, je bénis Dieu au fond d e m o n cœur de l'héroïque courage qu'il leur accor­ dait. Qu'il m'eût été doux de leur adresser u n e p a r o l e d e consolation ; m a i s c'était u n sacrifice qu'il fallait encore ajouter à tant d'autres, et j e l'offris à D i e u e n


242 le p r i a n t d e m'assister m o i - m ê m e au m o m e n t où j ' a l ­ lais e n t r e r d a n s la lice. J e n'avais toujours pour v ê t e ­ m e n t q u ' u n simple p a n t a l o n et la c h a î n e q u e j e portais p o u r le n o m d e Jésus. Le m a n d a r i n , a b o r d a n t p r e s q u e aussitôt la question religieuse, m e d e m a n d a ce q u e j e v e n a i s faire d a n s ce pays ? « J'y suis v e n u , lui r é p o n « dis-je, pour a n n o n c e r la religion du S e i g n e u r d u « ciel. » — « Mais n e savez-vous pas qu'il est d é f e n d u « aux sujets de l'empire d e l'embrasser ? » — « Non ; et « depuis q u a n d u n e telle défense a-t-elle été p o r t é e ? » — « Depuis toujours ; car cette religion est u n culte « é t r a n g e r , et e n m ê m e t e m p s c o n t r a i r e aux rites de « l'empire. » — « Mais il y a trois a n s q u e l ' e m p e r e u r « publia u n édit d a n s l e q u e l il louait la religion d u « Seigneur du ciel, et permettait à ses sujets de l ' e m « brasser O r , s'il est permis d e l ' e m b r a s s e r , il est « aussi permis de l ' a n n o n c e r ! » J'étais b i e n aise d'in­ sister sur cet édit qui était la justification d e nos c h r é ­ t i e n s et m o n t r a i t a u x p a ï e n s q u e n o u s n'étions pas des p e r t u r b a t e u r s , c o m m e o n voulait bien n o u s p e i n d r e . « N o n , r é p o n d le m a n d a r i n , il n'y a j a m a i s eu d'édit « s e m b l a b l e . » — « Si le m a n d a r i n n ' e n a pas c o n « n a i s s a n c e , qu'il consulte les gens d e K i a - i n - T c h e o u « ici p r é s e n t s , c a r cet édit a été publié p a r t o u t , ici « c o m m e a i l l e u r s . » Après u n m o m e n t d'hésitation, le m a n d a r i n r e p r e n a n t la p a r o l e : « J e vous d i s , m o i , « qu'il n'y a j a m a i s eu d ' é d i t qui p e r m e t t e a u x Chinois « de l'intérieur d'adorer le S e i g n e u r du ciel ; ce d é « cret n e r e g a r d e q u e les cinq ports ouverts a u x é t r a n « gers. » — « Le m a n d a r i n est d a n s l ' e r r e u r ; l'or« d o n n a n c e impériale n e porte a u c u n e restriction ; elle « a été affichée en tous lieux, d a n s les villes de l ' i n t é « r i e u r c o m m e d a n s les cinq ports ; elle c o n c e r n e « d o n c g é n é r a l e m e n t tous les sujets de l'empire. » —


243 « J e vous dis qu'il n'en est pas a i n s i ; foulez la croix « aux pieds. » P o u r toute r é p o n s e , j e p r e n d s la croix e n t r e mes m a i n s , et j e la baise r e s p e c t u e u s e m e n t e n présence d e toute l'assistance é t o n n é e ; puis j e la r e ­ pose à la place où elle était. « Obéissez, dit le j u g e , « ou j e vous ferai m o u r i r . » — « J e prie l e m a n d a r i n « d e n e pas aller si vite d a n s u n e affaire d e cette i m « p o r t a n c e , et d e vouloir b i e n , a v a n t de passer outre, « e n référer a u g o u v e r n e u r de C a n t o n , qui en d é « cidera e n d e r n i e r ressort. » -— « Non, j e vous fe« rai m o u r i r ; c'est moi q u i t e r m i n e r a i cette affaire. « Apportez-moi des t a b l e t t e s , dit-il à ses g e n s . » Ceuxci lui en r e m e t t e n t trois, s u r lesquelles il inscrit le n o m d e trois prisons différentes où n o u s serons écroués en a t t e n d a n t u n second interrogatoire. « Trois j o u r s a p r è s , eut lieu effectivement u n e s e ­ c o n d e s é a n c e , d a n s laquelle le m a n d a r i n c o m m e n ç a p a r m e d e m a n d e r m o n origine. * J e suis F r a n ç a i s , lui répondis-je. » J'étais c o n t e n t de l u i faire c o n n a î t r e ce n o u v e a u titre, e s p é r a n t qu'il y d o n n e r a i t plus d'atten­ tion q u ' a u x raisons alléguées p r é c é d e m m e n t ; m a i s j e vis bien q u e j e m'étais t r o m p é . P e n d a n t tout l'interro­ gatoire, il n e cessa de s'élever, avec u n e sorte de fureur, contre la religion c h r é t i e n n e ; il m e dit qu'il m e ferait transférer d a n s u n e prison pire q u e celle où j ' a v a i s été jeté, et il finit p a r c o m m a n d e r a u x satellites d e m e d o n n e r en spectacle au p e u p l e . U n des soldats, saisis­ s a n t alors la c h a î n e que j'avais a u cou, m e conduisit d a n s la cour du prétoire où u n e foule i m m e n s e était r é u n i e , et m ' e n fit faire deux fois le tour ; t r a i t e m e n t qui, du reste, m'avait été infligé dès le p r e m i e r inter­ rogatoire De là il m e conduisit à la prison ou plutôt à l'espèce d e cachot a u q u e l j'avais été c o n d a m n é .

« Vous ferai-je le tableau du triste spectacle qui se


244 présenta à m o i , lorsque j e descendis pour la p r e m i è r e fois clans ce noir séjour du désespoir et de la mort. Le p r e m i e r objet qui vint s'offrir à m a vue effrayée fut la troupe des m a l h e u r e u x enfermés d a n s cet a n t r e ; tous, l'œil h a g a r d , à demi-rongés p a r la lèpre et autres m a ­ ladies contractées clans les h o r r e u r s d u cachot, entière­ m e n t n u s et t e l l e m e n t pressés les u n s contre les autres que, pour seize q u e nous étions, n o u s n'avions p o u r nous retourner q u ' u n réduit de douze pieds d e long s u r huit de large. A peine q u e l q u e l u e u r d e l u m i è r e , pas­ sant p a r les b a r r e a u x , vient-elle éclairer cette s o m b r e d e m e u r e . Là le prisonnier, a b a n d o n n é des h o m m e s , n e reçoit p o u r sa n o u r r i t u r e q u e 18 sapèques p a r j o u r , s o m m e r é p o n d a n t à 8 centimes e n v i r o n de n o t r e m o n ­ n a i e ; et encore, pour avoir droit à cette chétive rétri­ bution, faut-il qu'il ait passé quinze j o u r s d a n s ce l i e u ; avant ce temps, il n e reçoit a b s o l u m e n t r i e n . Aussi le m a n q u e d'aliment, l'infection de l'air, mille a u t r e s m i ­ sères qu'on s'est plu à multiplier, ont bientôt c o n s u m é la plupart de ces m a l h e u r e u s e s victimes et a v a n c é l ' h e u r e de leur trépas. Sept p r i s o n n i e r s , m'a-t on d i t , y sont morts clans le cours de l ' a n n é e ; u n a u t r e a ex­ piré sous m e s yeux. A des privations déjà si g r a n d e s , v i e n n e n t se j o i n d r e des tortures m o r a l e s plus affreuses encore ; là, pas u n e b o u c h e d'ami qui fasse d e s c e n d r e quelque consolation sur cet obscur séjour de la d o u ­ leur. Les criminels r e n f e r m é s e n s e m b l e n e s e m b l e n t r é u n i s que pour a u g m e n t e r l e u r s souffrances, en se d é c h i r a n t les u n s les autres. Un n o u v e a u v e n u arrivet-il, aussitôt les plus anciens se j e t t e n t sur l u i , l'en­ c h a î n e n t et c h e r c h e n t à le d é p o u i l l e r du peu d ' a r g e n t qu'il peut avoir. S'il n'a r i e n , on lui dit d'écrire à sa famille pour en o b t e n i r quelque secours, qu'on se p r o ­ pose bien de lui e n l e v e r ; m a i s , en a t t e n d a n t , on lui


245 a r r a c h e r a les h a i l l o n s d o n t il est couvert, et o n l'acca­ blera de coups jusqu'à ce qu'il ait satisfait l'insatiable avidité de ses b o u r r e a u x . « P l a c é d a n s ce lieu d'horreur, je devais n a t u r e l l e ­ m e n t e n éprouver les misères. Si les prisonniers n ' o n t pas exercé à m o n é g a r d toute leur b r u t a l i t é , d u m o i n s n'ai-je pas été à l'abri de leurs m a u v a i s t r a i t e m e n t s . Ils m'accueillirent d'abord p a r mille i n j u r e s , qui se c h a n g è r e n t parfois e n actes assez violents. U n e fois e n t r e autres ils m e lièrent les pieds et les m a i n s pour m e frapper, et m e tinrent longtemps d a n s cet é t a t . Ce­ p e n d a n t q u a n d il fallut en venir à l'exécution, voyant bien qu'ils n e p o u r r a i e n t r i e n obtenir p a r ce m o y e n , ils m e délièrent et m e laissèrent t r a n q u i l l e . Enfin, à force d e d o u c e u r et d e c o n d e s c e n d a n c e , j e p a r v i n s à les adoucir u n peu à m o n égard. Ils en v i n r e n t m ê m e j u s q u ' à m e p r i e r de leur p a r l e r de la F r a n c e et de la religion du S e i g n e u r du ciel ; et après m ' a v o i r écouté avec a t t e n t i o n , j e les e n t e n d a i s se répéter les u n s a u x a u t r e s : Mais cet h o m m e - l à , c'est u n b r a v e h o m m e ! « J'eus aussi q u e l q u e p e u à souffrir d e la f a i m . P e n ­ d a n t tout le séjour q u e j e fis en ce triste l i e u , j e n e reçus a b s o l u m e n t r i e n de la part du m a g i s t r a t . Mes pauvres chrétiens s'étaient bien cotisés p o u r suppléer à cette détresse; m a i s souvent les faibles provisions d e leur charité n ' a r r i v a i e n t pas j u s q u ' à moi ; les satellites préposés à la garde de la prison les r e p o u s s a i e n t ou d e m a n d a i e n t des s o m m e s si fortes, qu'il fallait q u e l ­ quefois r e n o n c e r à m e faire rien p a r v e n i r . Obligés d e pourvoir e u x - m ê m e s à l e u r sûreté p a r la fuite, ils c h a r ­ g è r e n t u n e vieille f e m m e , p a ï e n n e et aveugle, d e m'apporter c h a q u e j o u r q u e l q u e n o u r r i t u r e . Grâce à cet e x p é d i e n t , si j ' e u s quelquefois à souffrir de la faim, j e pus a u moi au é c h a p p e r au d a n g e r de la m o r t . J'eus


246 aussi la f a v e u r , q u e j ' a p p r é c i e c o m m e bien g r a n d e , d'avoir pu conserver u n reste de v ê t e m e n t q u i m ' e m ­ pêchait d e rougir d e m a n u d i t é . On r e g a r d e r a p e u t être cela c o m m e peu de chose ; m a i s q u a n d o n est privé d e tout, on estime au poids de l'or ces faibles ressour­ ces qui partout ailleurs p a s s e r a i e n t pour l'excès de la m i s è r e , et j e n e puis trop en r e m e r c i e r Dieu et n o s b o n s chrétiens. Ceux-ci m e témoignèrent en cette cir­ constance u n e charité d o n t j e conserverai à j a m a i s le précieux souvenir. « Quelque d u r q u e fût m o n sort, il était e n c o r e b i e n doux en comparaison d e celui des deux c h r é t i e n s pris avec m o i . Au second interrogatoire qu'ils e u r e n t à su­ bir, c o m m e ils se m o n t r a i e n t toujours i n é b r a n l a b l e s d a n s l e u r fidélité à Dieu, on les frappa, p a r deux fois, à coups de gantelets, sur la b o u c h e et sur les joues qui e n furent e n s a n g l a n t é e s ; puis le m a n d a r i n finit p a r les c o n d a m n e r à la prison des g r a n d s criminels, lieu in­ fâme dont on n e sort o r d i n a i r e m e n t q u e p o u r être conduit en exil ou à la m o r t . Là encore de n o u v e a u x t o u r m e n t s les a t t e n d a i e n t . Le geôlier leur enlaça le cou, les pieds et les m a i n s de chaînes tellement pe­ santes, qu'il l e u r était impossible de faire le plus léger m o u v e m e n t ; et il leur d é c l a r a qu'on n e les délivrerait q u ' a p r è s u n e forte r a n ç o n . Le m a î t r e d'école a été taxé à vingt-cinq piastres ou cent vingt-cinq francs de n o t r e m o n n a i e ; le vieux chrétien à cent p i a s t r e s , q u i , e n ­ suite, ont été réduites à c i n q u a n t e - c i n q . P o u r fournir cette s o m m e , la femme d u maitre-d'école a été obligée de v e n d r e le seul b œ u f qu'elle p o s s é d â t , et le vieux chrétien a engagé ses terres. A ce prix, ils ont été d é ­ chargés de leurs fers ; m a i s en r e s t a n t toujours sous la m e n a c e de la prison perpétuelle, de l'exil ou d e la mort.


247 « Et, au milieu de t a n t d e misères, quels étaient les sentiments de leurs c œ u r s ? le calme et u n e douce s é ­ r é n i t é . Comme les autres prisonniers en étaient d a n s l'étonnement, le maitre-d'école leur e n apprit le secret: « Nous autres chrétiens, dit-il, nous croyons que ceux qui souffrent p o u r Dieu sont a m p l e m e n t récompensés d a n s u n e a u t r e vie ; voilà ce qui n o u s console et n o u s fait supporter avec patience les m a u x actuels. » Déjà, à son entrée en prison, u n des captifs lui d e m a n d a n t s'il avait été b a t t u : « Oui, répondit-il ; m a i s il est b o n que la chair souffre, afin q u e l'esprit soit vivifié. » On m ' a rapporté qu'il n e perdait a u c u n e occasion de p r ê ­ c h e r à ses c o m p a g n o n s d'infortune. « Deux j o u r s après notre e m p r i s o n n e m e n t , on arrêta u n chrétien d e distinction qui venait en secret m ' a p porter quelque argent. Son a u m ô n e fut prise et luim ê m e conduit devant le m a n d a r i n , qui lui o r d o n n a d e fouler la croix, s'il voulait recouvrer sa liberté. Le chrétien repoussa avec h o r r e u r u n e semblable propo­ sition, et il fut en conséquence jeté a u cachot. Bientôt ce lieu devient le théâtre d ' u n e s c è n e e x t r ê m e m e n t t o u c h a n t e . A la nouvelle de son arrestation, sa vieille m è r e , qui n'était pas baptisée, oubliant son g r a n d âge (elle avait soixante-dix ans), sa m è r e , dis-je, n e p r e ­ n a n t conseil q u e de sa tendresse, se fait porter à la geôle où son fils était renfermé, et là, lui r a p p e l a n t sa vieillesse d o n t il est la consolation, le conjure, les lar­ mes aux yeux, de r e n o n c e r à u n e religion q u e le m a n ­ darin c o n d a m n e , et qui le conduit à sa perte. Le c h r é ­ tien, é m u , lui aussi, j u s q u ' a u x larmes, trouve p o u r t a n t d a n s sa foi assez de forces pour lui r é p o n d r e ces p a r o ­ les : « Ma m è r e , d e m a n d e z - m o i toute autre chose, j e « vous l'accorderai avec b o n h e u r ; m a i s r e n o n c e r à m a « religion, j a m a i s . P e n d a n t plus de c i n q u a n t e ans, je


248 « n'ai travaillé qu'à m e p e r d r e , il est t e m p s m a ï n t e « n a n t de songer à sauver m o n â m e ; je suis chrétien « et j e le serai j u s q u ' a u d e r n i e r soupir. » Cet h o m m e g é n é r e u x avait reçu le b a p t ê m e à P â q u e s d e cette a n ­ née, et, pour obtenir cette grâce, il avait d û se résou­ d r e aux plus g r a n d s sacrilices. « Un a u t r e fidèle, qui était c o n n u p o u r m'avoïr r e n d u quelques services, fut poursuivi j u s q u e d a n s sa d e m e u r e ; arrêté p a r les satellites, il n e parvint à se tirer de l e u r s m a i n s qu'en r a c h e t a n t sa liberté p a r u n e forte s o m m e d'argent. « T a n t d'arrestations devaient, ce semble, c a l m e r la fureur d e nos e n n e m i s ; mais ils avaient j u r é d e d é ­ t r u i r e p o u r toujours la religion d a n s le district de Kiai n - T c h e o u . Bien loin de m e t t r e fin à ses vexations, le m a n d a r i n fit afficher à la porte d e son prétoire et d a n s trente-six villages v o i s i n s , u n édit clans lequel il pro­ diguait a u christianisme la c a l o m n i e et l'injure. T r o p instruit d e la licence chinoise, il suppose q u e n o s a s ­ s e m b l é e s n e sont, c o m m e les leurs, q u e des écoles de l i b e r t i n a g e . Il révoque toutes les a n c i e n n e s franchises accordées aux fidèles, o r d o n n e q u ' o n saisisse les n é o ­ phytes p a r t o u t où on les r e n c o n t r e r a , et c o m m e n c e luim ê m e p a r dresser u n e liste de l e u r s n o m s . Cet édit acheva de porter la consternation p a r m i n o s c h r é t i e n s . Quelques-uns se cachèrent ; le plus g r a n d n o m b r e prit la fuite, p o u r aller c h e r c h e r d a n s les pays l o i n t a i n s u n e sécurité qu'ils n e p o u v a i e n t trouver a u sein de l e u r patrie. « Tel était l'état de cette Mission, lorsqu'après d i x h u i t j o u r s de captivité, on est v e n u m ' a n n o n c e r q u e le l e n d e m a i n j e partirais pour C a n t o n . D a n s toute a u t r e circonstance, cette nouvelle eût été accueillie p a r u n sentiment de joie, elle n e fit q u e r e n d r e m a tristesse


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plus profonde. Laisser a u milieu des prisons et expo­ sés à toute la r i g u e u r des t o u r m e n t s , des c h r é t i e n s qui n ' é t a i e n t là qu'à m o n sujet et p a r a t t a c h e m e n t à leur religion ! m ' e n s'éparer s a n s pouvoir leur dire u n e p a ­ role d'adieu, s a n s savoir m ê m e si j e les reverrais S Cette p e n s é e ajoutait u n e nouvelle épine à celles d o n t j e sentais si vivement l'aiguillon. C e p e n d a n t les satellites étaient sous les a r m e s ; u n e chaise à porteur m ' a t t e n ­ dait ; il fallut m e résoudre à partir. A trois lieues de la v i l l e , j e reçus d e mes néophytes u n e d e r n i è r e m a r q u e d'affection qui m e r e n d a i t l e u r é l o i g n e m e n t encore plus d o u l o u r e u x . Un j e u n e h o m m e de q u i n z e à seize a n s , a y a n t appris que j'étais presque s a n s habits, cou­ r u t après moi p o u r m'offrir les siens. P a u v r e e n f a n t , c'était bien tout ce qu'il possédait, et volontiers il con­ sentait à se dépouiller d e tout pour m e couvrir u n p e u . Je n ' a i pas accepté ; m a i s J . - C . lui t i e n d r a compte de ce vêtement offert en son n o m et p a r a m o u r p o u r lui ! J e bénis l'enfant, et le renvoyai avec ces paroles : Dis à tous les chrétiens q u e j a m a i s j e n e les oublierai ! « J e continuai m a route s a n s r e n c o n t r e extraordi­ n a i r e . Arrivé le soir à la d e m e u r e de q u e l q u e petit m a n d a r i n , on m'envoyait passer la nuit en prison, où j e trouvais toujours n o m b r e u s e compagnie. Le lende­ m a i n n o u s poursuivions notre m a r c h e . P a r v e n u s u r les bords d u fleuve qui descend à C a n t o n , j ' é c h a n g e a i mon p a l a n q u i n contre u n g r a n d b a t e a u qui devait nous conduire à la capitale de la province. Là c o m m e a i l ­ leurs j e trouvai des g e n s qui m e t é m o i g n è r e n t de la commiseration, quelques-uns m ê m e de l'attachement. Le domestique du m a n d a r i n qui nous a c c o m p a g n a i t , j e u n e h o m m e à la figure intéressante, a u x m a n i è r e s polies, vint m'offrir son habit et sa couverture. J e re­ fusai l'habit d o n t j e pouvais absolument m e passer, et


250 j'acceptai la couverture qui m e devenait nécessaire pour m e préserver de la fraîcheur de la nuit. Tous les autres ont été é g a l e m e n t h o n n ê t e s . Sur m a simple ob­ servation q u e leurs propos étaient peu convenables de­ vant u n chef de religion, ils c h a n g è r e n t à l'instant leurs discours. Si d a n s les endroits où nous nous a r r ê ­ tions, ils p a r l a i e n t de moi aux n o m b r e u x spectateurs q u e m a présence attirait, c'était toujours pour faire m o n éloge et celui de n o t r e foi. Aussi ai-je pu recueillir sur m o n passage cette parole répétée d ' u n bout de la province à l'autre : « Venez n o u s instruire, n o u s em­ brasserons la religion d u Seigneur du ciel. » « Après vingt-deux j o u r s de route, le d i m a n c h e 6 octobre, n o u s vîmes a p p a r a î t r e les premières b a r a ­ ques de C a n t o n . Déjà, p e n d a n t la nuit, lorsque nous longions les rives du fleuve, j ' a v a i s pu juger, au bruit des clochettes placées sur les navires e u r o p é e n s , q u e nous n'étions pas éloignés de la ville Un petit m a n ­ darin passager m e dit qu'effectivement nous a b o r ­ dions, et en même-temps il m'engagea à être sur mes g a r d e s , ajoutant qu'il pourrait bien y avoir q u e l q u e bruit à m o n arrivée, et, q u ' e n ce cas, il avait e n t e n d u dire à l'autre m a n d a r i n qu'il n e ferait rien pour m e dé­ fendre. Mais déjà je n'avais plus rien à redouter ; j ' e n ­ trais d a n s u n e ville où était u n consul français ; là aussi se trouvait u n Missionnaire, sur la charité et le dévouement duquel j e comptais assez pour n'avoir au­ cune crainte. J'écrivis à m o n confrère u n billet qui lui a n n o n ç a i t mon retour, et q u e le petit m a n d a r i n luim ê m e se chargea de faire porter. Une h e u r e après j e vis a r r i v e r , sur u n e b a r q u e chinoise, M. R e y n v a a n , notre consul, et M. Guillemin, missionnaire de C a n ­ ton. Dieu soit béni ! m e dis-je, voici les libérateurs

que le ciel m'envoie ! Puissent-ils aussi contribuer à la


251 délivrance d e nos bons chrétiens, d o n t la p e n s é e m e suit partout, c o m m e si j ' é t a i s encore a u milieu d'eux! « Après q u e l q u e temps passé sur le rivage en atten­ d a n t les ordres d u g r a n d m a n d a r i n , on vint m e p r e n ­ d r e pour m e conduire d a n s u n e des prisons de la ville. M. Guillemin voulut bien m'y accompagner. Placés l'un et l'autre d a n s u n e chaise à porteur, escortés d e plusieurs soldats, n o u s traversâmes u n e g r a n d e partie d e la cité sans q u e n o u s ayons e n t e n d u le m o i n d r e bruit. Enfin, arrivé à u n vaste édifice, on m e dit q u e ce serait m a d e m e u r e jusqu'à ce qu'on m e r e m i t entre les m a i n s de notre consul. Hélas ! cet édifice si vaste, si b e a u , destiné à recevoir les prisonniers, était jadis u n temple d e chrétiens qui leur a été enlevé a u temps des persécutions. Si les traités passés d e r n i è r e m e n t e n t r e la F r a n c e et la Chine sont fidèlement e x é c u t é s , c o m m e nous avons lieu de le croire, espérons qu'il r e ­ viendra u n j o u r à son a n c i e n n e destination. J'y passai deux j o u r s , après lesquels j e fus conduit officiellement à notre c o n s u l , puis à M. F o r t - R o u e n , m i n i s t r e d e F r a n c e e n C h i n e , lequel arrivait e n ce m o m e n t à Canton. « J e n e puis m ' e m p ê c h e r , à cette o c c a s i o n , d e r e n ­ d r e m e s actions de grâces à M. le ministre pour l'appui bienveillant qu'il n ' a cessé d e m e d o n n e r . Les vives réclamations qu'il a adressées a u gouverneur d e C a n ­ t o n , et qu'il a bien voulu m e c o m m u n i q u e r , sont à la fois dignes d ' u n ministre q u i tient à l ' h o n n e u r d e son pays et a u b i e n d e la religion. T o u t ce qu'il a pu faire, il l'a fait ; j e lui e n renouvelle m e s sincères et très-humbles r e m e r c î m e n t s . Si la persécution n'est p a s encore éteinte, si n o s chrétiens gémissent encore d a n s les fers, c o m m e nous l'avons appris depuis, tout cela

tient à des causes indépendantes d e ceux qui sont


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charges de nous protéger, et nous ne pouvons en a c ­ cuser que le mauvais vouloir de la politique chinoise. Inerte de sa n a t u r e , elle n'agit j a m a i s q u e par force et lorsqu'elle ne peut faire autrement. Il n e faudrait ici q u ' u n ou deux navires, avec la résolution de s'en ser­ vir au besoin, et on pourrait assurer avec certitude qu'il n'y aurait pas u n e réclamation fondée à laquelle on ne s'empressât de r e n d r e justice, et cela s a n s qu'il y eût u n seul coup de c a n o n tiré. Mais j e m e tais ; j e sais qu'en disant adieu à m a patrie pour m e dévouer à l'œuvre des Missions, j ' a i dû m e résigner à tout ce q u e notre vocation e n t r a î n e de peines et de sacrifices. Si m a i n t e n a n t j ' e x p r i m e du bout des lèvres u n sentiment étranger à m o n ministère, on voudra bien m e le p a r ­ d o n n e r en faveur de nos pauvres chrétiens qui gémis­ sent d a n s l'oppression, et à qui nous a p p r e n o n s à r e ­ garder l'Europe comme leur appui et l e u r libératrice. « Enfin, j e finis m a trop l o n g u e lettre. Après avoir passé quelques jours de repos d a n s notre procure de Hong-Kong, auprès de M. Libois, notre v é n é r a b l e pro­ cureur, le m o m e n t est arrivé pour moi de r e t o u r n e r a u combat. Les plus tristes nouvelles n o u s arrivent du centre de notre Mission Nous a p p r e n o n s à la fois q u e nos trois chrétiens prisonniers sont encore d a n s les fers, q u ' u n d e nos plus j e u n e s confrères, M. Marizien, vient de mourir de la mort des apôtres, e n remplissant les pénibles fonctions de son ministère ; q u ' u n autre Missionnaire, après avoir baptisé d a n s ce m ê m e lieu dix-neuf catéchumènes, a été violemment frappé p a r des païens, jaloux des victimes qu'il enlevait à l'enfer. Au milieu de t a n t de désastres, notre digne et v é n é r a ­ ble supérieur m'offre de r e t o u r n e r au sein de m a Mis­ sion chérie. Pour éviter tout danger, j ' i r a i d'abord au

milieu des montagnes, d'où je me rapprocherai inser-


253 s i b l e m e n t du c e n t r e d e m o n district. D i e u soit b é n i de m a nouvelle destination ! Déjà je vois flotter sous mes fenêtres le pavillon d u n a v i r e sur lequel je m o n t e r a i . D a n s quelques h e u r e s il va m e reporter au pays où j ' a i laissé mes chrétiens. Quel est le sort n o u v e a u qui m ' y est réservé ? Dieu seul le sait ; m a i s si des c h a î n e s et des tribulations m'y a t t e n d e n t , je serai h e u r e u x de d i r e avec le g r a n d Apôtre, quoiqu'à m o i n s juste titre q u e lui : « J e n e les c r a i n s p a s ; j e n e r e d o u t e n i la « persécution n i la m o r t ; je n'estime pas m a vie plus « précieuse q u e m o i - m ê m e , pourvu q u e j ' a c c o m p l i s s e « m a course, et q u e j e remplisse j u s q u ' a u bout le m i n i s « tère d e la p a r o l e q u e j ' a i reçu d u S a u v e u r Jésus. » « Tribulationes « vereor,

nec

et vincula facio

animam

« dummodô

consummem

« verbi

accepi

quod

me

manent,

meam cursum

à Domino

sed nihil

pretiosiorem meum

et

horum

quàm

me,

ministerium

Jesu ! »

« Veuillez agréer, Messieurs et bien v é n é r é s D i r e c ­ teurs, l'expression des s e n t i m e n t s de respect et d'affec­ t u e u x a t t a c h e m e n t avec lesquels j e suis, en u n i o n de vos prières et s a i n t sacrifices, Votre t r è s - h u m b l e et très-obéissant serviteur. « LETURDU,

Miss. A p o s t , »


254 Lettre d e M . P i n c h o n , Missionnaire apostolique Chine, à son ancien Directeur.

en

« Dans ma dernière l e t t r e , j e crois avoir eu l'hon­ n e u r de vous dire u n mot de la conversion h é r o ï q u e d ' u n prétorien de K o u a n - t h i e n , appelé Mà. Peut-être seriez-vous aise d ' a p p r e n d r e les événements qui l'ont suivie de près. E n d é c e m b r e d e r n i e r , le père et le fils Mà furent traduits devant les t r i b u n a u x . Ils furent soumis à plusieurs i n t e r r o g a t o i r e s , et c r u e l l e m e n t frappés par ordre du M a n d a r i n ; on les s o m m a de fou­ ler la croix. S u r leur refus plein d ' é n e r g i e , q u a t r e satellites s'emparent aussitôt du fils M à , le t r a î n e n t et le couchent sur u n e croix tracée à dessein a u milieu d u Prétoire. Mais le pieux néophyte n e fit qu'embrasser le glorieux instrument de son s a l u t , en disant à ses persécuteurs : « C'est d e plein gré q u e j e m e suis c o n v e r t i , j e veux rester chrétien j u s q u ' à la m o r t ! » Et c o m m e on frappait le fils, p e n s a n t en t r i o m p h e r plus facilement, le père Mà se tourna vers sa femme qui était accourue et qui jetait les hauts cris : « Ma f e m m e , lui d i t - i l , tu devrais te réjouir de ce q u e ton fils est frappé pour la gloire de D i e u . » Ces paroles dites avec fermeté émurent, l'auditoire, et furent suivies d ' u n profond silence. Le M a n d a r i n aussitôt fait lever la séance en disant a u x néophytes qu'il leur accorde trois j o u r s de réflexion, et n e l e u r assigne p o u r prison q u e la ville d e Kouan-thien. Le l e n d e m a i n le père se réfugiait auprès de m o i , qui visitais u n e station située à cinq lieues du théâtre de la persécution. Oh ! quel n e fut pas mon attendrissement en voyant ce vieillard plein de d i g n i t é , autrefois la t e r r e u r du p a y s , venir aujour­ d'hui se jeter a u x pieds d'un p a u v r e p r ê t r e pour y


255 trouver un asile contre la persécution, d o n t n a g u è r e il était l a m e ! Aujourd'hui la persécution a cessé. La famille a p e r d u u n e partie d e son avoir ainsi q u e sa dignité au prétoire ; mais elle a eu le b o n h e u r de con­ server sa foi dans toute sa p u r e t é . Daignez prier le bon Dieu p o u r e l l e , et r e n d r e gloire au Seigneur.

MANDEMENTS D E N O S S E I G N E U R S L E S EVÊQUES EN FAVEUR DE L'OEU VRE DE

LA PROPAGATION

DE L A F O I .

S. E. le C a r d i n a l O p p i z o n i , Archevêque d e Bolo­ g n e ; S. E. le C a r d i n a l Vannicelli C a s o n i , Archevèque de F e r r a r e ; S. E. le Cardinal De-Angelis, archevêque de F e r m o ; Mgr l'Archevêque d'Urbin , Mgr l'Evêque de F a e n z a , Mgr l'Evêque de Cervia, Mgr l'Evêque de Rim i n i , Mgr l'Evêque de Sarsina et Bertinoro (Etatsr o m a i n s ) , Mgr l'Evêque de Carpi (Duché de M o d è n e ) , Mgr l'Archevêque de P a r i s et Mgr l'Evêque de P e r p i g n a n ( F r a n c e ) , v i e n n e n t d'ajouter leurs puissantes recom­ m a n d a t i o n s à toutes celles d o n t notre OEuvre s'honore.

FAITS DIVERS. Mgr Louis de S a i n t e - T h é r è s e , Vicaire apostolique du M a l a b a r e , nous écrit q u e p e n d a n t l ' a n n é e 1 8 5 0 , sa mission a célébré trois c e n t quatre-vingt-six messes pour le repos des â m e s des Associés défunts. A la m ê ­ me i n t e n t i o n , plus de deux mille messes o n t aussi été dites p e n d a n t les cinq d e r n i è r e s a n n é e s , d a n s la mis­ sion de Mgr Massaia, Vicaire apostolique des Gallas. — Nous a p p r e n o n s la m o r t de deux Evèques m i s -


256 s i o n n a i r e s . L ' u n est Mgr Merciaj, Préfet apostolique des D o m i n i c a i n s en Mésopotamie. Après avoir relevé cette a n c i e n n e m i s s i o n , il avait été sacré Archevêque de Théodosia en 1 8 4 9 , et n o m m é Délégat du Saint-Siège p o u r la Mésopotamie, le Kurdistan et l'Arménie m i ­ n e u r e . C'est le 22 octobre 1 8 5 0 , que Mgr Merciaj est décédé à Diarbékir. L'autre perte est celle de Mgr Lavaissière, Lazariste, qui exerçait depuis plus de dix ans l'apostolat en C h i n e . Il est mort à Nin-po, d a n s son Vicariat apostolique du Tche-Kiang, le 19 d é c e m b r e 1 8 4 9 . Les funérailles du P r é l a t ont ressemblé à u n triomphe. Trois navires d u port ont salué c h a c u n de sept coups de c a n o n ; le b r u i t d u tam-tam, les déchargea d e mousqueterie se m ê l a i e n t a u x prières du peuple et a u x chants du clergé, tandis q u e le convoi défilait d a n s les mêmes vallées et sur les m ê m e s coteaux où le saint Evêque avait n a g u è r e évangélisé les biens de la paix. — Le séminaire des Missions Etrangères a fait p a r t i r neuf Missionnaires d a n s l'espace d'un mois : trois sont partis pour l'Inde : ce sont MM. B o r d e r e a u , du diocèse d e Meaux ; H e n r i , du diocèse d e Verdun ; M a l h a i r e , d u diocèse de Séez. Les six a u t r e s sont partis pour se r e n d r e en Chine : ce sont MM. J a c q u e m e n , du diocèse d e Nancy ; B i s c h , du diocèse de Poitiers ; J a n s o n et S a l i n i e r , d u diocèse d'Alby ; F a u r i e , d u diocèse de B o r d e a u x , et Vinçot, du diocèse de Saint-Brieuc. Les trois premiers se sont e m b a r q u é s à Lorient avec Mgr Verrolles à bord d u C a s s i n i , navire à vapeur qui va d a n s les m e r s de Chine. Les trois derniers sont partis de Londres pour se r e n d r e directement à Hong-kong. LYON, Impf, de J. B, Pélagaud.


257

MISSIONS DE LACHINE:

L e t t r e d e M. B e r t r a n d , M i s s i o n n a i r e A p o s t o l i q u e , à M, Voisin, Directeur d u Séminaire des Missions E t r a n gères.

K i ù - l l i é n , le 2 3 a o û t 1 8 6 0 .

« MONSIEUR E T TRÈS-VÉNÉRABLE C O N F R È R E ,

« Depuis m a dernière lettre, de tristes événements ont e u lieu d a n s m o n district. A deux lieues, au sud de la ville d e Kiù-bién, est u n petit village appelé Ly-toupa, d o n t les h a b i t a n t s , a u n o m b r e de deux cent q u a ­ r a n t e , sont tous chrétiens. En 1 8 4 7 , ces b o n s n é o p h y ­ tes s'étaient cotisés pour l'achat d'une maison, destinée à servir tout à la fois d'école et d'oratoire. Les frais s'élevèrent à plus de 130 ligatures. C'était beaucoup TOM.

XXIII.

137.

JUILLET

1851,

14


258 pour nos Ly-tou-paniens ; m a i s , C h a r m é s de posséder u n e c h a p e l l e , ils vivaient paisibles et contents. U n i ­ q u e m e n t occupes à la culture, ils n e se m ê l a i e n t point de ce qui se passait au dehors. Leur vie avait la s i m ­ plicité de celle des patriarches. C h a q u e j o u r de fête et de d i m a n c h e , ils se r é u n i s s a i e n t d a n s leur modeste s a n c t u a i r e pour y réciter en c o m m u n les louanges de Dieu et lire des livres d e piété. Leur b o n n e conduite attirait sur eux l'attention des païens du voisinage, et déjà plusieurs songeaient à les imiter et à e m b r a s s e r notre sainte religion. 11 n'y avait pas j u s q u ' a u x autorités du m a r c h é voisin, appelé Ly-tou-hô, qui n e rendissent h o m m a g e à leur v e r t u ; elles p u b l i a i e n t h a u t e m e n t que les h a b i t a n t s de Ly-tou-pa étaient des gens i r r é ­ prochables. « Au b o n h e u r de ces néophytes il n e m a n q u a i t q u e la présence d ' u n p r ê t r e , qui pût se fixer auprès d'eux au m o i n s trois mois d e l ' a n n é e . Pour correspondre à leurs v œ u x , Mgr de Sinite leur envoya M Tapie. Ce fut le 12 août q u e ce c h e r confrère arriva à Ly-tou-pa. Jugez quelle dut être la joie de ces chers chrétiens. L'approche de la fête d e l'Assomption fut pour eux u n surcroît d'allégresse ; ils r e m e r c i a i e n t Dieu de leur avoir procuré la consolation d ' e n t e n d r e la messe ce jour-là, consolation qu'ils n ' a v a i e n t pas eue de leur vie. Ils e u r e n t d o n c hâte d'orner leur o r a t o i r e , d'apporter des fleurs, de préparer des cierges pour faire h o n n e u r à la g r a n d e fête. Le j o u r désiré étant v e n u , ils c h a n ­ tèrent, avec u n élan qui partait du cœur, les l o u a n g e s de la Reine des Anges. Cette chrétienté n'avait plus rien à désirer ; elle était au comble de ses vœux. Mais, h é l a s ! que sa joie fut c o u r t e ! « Jaloux de son b o n h e u r , le d é m o n vint troubler u n e si douce paix et faire avorter les plus heureuses


259 espérances, en soufflant au vieux m a n d a r i n de K i û hién des projets de persécution. Ce m a n d a r i n est u n autre Verres : d a n s l'espace de cinq a n s , il a extorqué au peuple qu'il gouverne plus de cent mille taëls ( 1 ) . Son insatiable soif de l'or lui avait suggéré qu'il trouverait de l'argent chez nos chrétiens, et qu'il n'avait qu'à les mettre sous le pressoir pour extraire leurs sapèques (2). Donc, le 24 août, il sort de la ville, escorté d'un g r a n d n o m b r e de satellites ; il descend la rivière et arrive à Ly-tou-pa. M. T a p i e , averti à t e m p s , se glisse d a n s u n e maison voisine ; quelques chrétiens p r e n n e n t à la hâte ses effets, qu'ils vont cacher sous des tas de paille. Le m a n d a r i n entre soudain d a n s le village consterné. Aussitôt d'envahir l'Oratoire, d'enlever les images et le crucifix de l ' a u t e l , de s'emparer d ' u n e statue de la sainte Vierge, des cierges, des chandeliers et des livres de l'école. Après avoir tout pillé, et p e n d a n t que ses gardes se r é p a n d a i e n t d a n s les maisons adjacentes, le m a n d a r i n , assis à l'ombre d'un arbre, se livrait à u n divertissement digne de lui : il contraignait les enfants, qui venaient là par c u r i o s i t é , à fouler aux pieds la croix. Terrifiés par l'ascendant du m a g i s t r a t , huit de ces j e u n e s c h r é t i e n s , âgés de sept à douze a n s , c o m ­ m i r e n t cette profanation; les autres, mieux avisés, pri­ r e n t la fuite. Sur ces entrefaites, six hommes avaient été arrêtés et chargés de chaînes. Voici leurs noms : Toùng-tchéu-tsoùng, Toung-tchèu-hiô, Toùng-tchèu-min, T o ù n g - t i e ù - f o û , T o ù n g - t i c u - t s d i , et H o u â n g - f o û , ex-chef de satellites. Il était alors m i d i ; le m a n d a r i n monte en

( 1 ) Le taël vaut 8 fr. 2 5 . ( 2 ) Les sapèques dans la monnaie chinoise représentent à peu prés nos centimas.


260 p a l a n q u i n et va chercher son d i n e r au m a r c h é d e Lytou-ho ; les prétoriens le suivent, e m m e n a n t les captifs et e m p o r t a n t les objets enlevés. 0 divin Pasteur, que vont devenir les six a g n e a u x q u e les loups ont arrachés si i n h u m a i n e m e n t de votre b e r g e r i e ! tout leur crime est d'avoir e n t e n d u votre voix. « Arrivé à Ly-tou-pa, le m a n d a r i n d o n n a d'abord ses soins à d'autres affaires. Vers le soir, il m a n d a les six chrétiens à son t r i b u n a l . Apercevant p a r m i eux Houàng-foù, qui avait été son satellite : « Est-il conve« nable, lui dit-il, q u ' u n vétéran du prétoire c o m m e « loi, professe la religion des b a r b a r e s de l'occident ? « N'as-tu pas honte d'avoir a b a n d o n n é Confucius « pour adorer u n criminel crucifié? Songes-y bien, si « tu n e reviens pas à de meilleurs sentiments, tu seras « c o n d a m n é à expirer d a n s les tortures. » Houang-foû, chrétien de p a i l l e , fait u n e inclination profonde, et dit : « M a n d a r i n , j'ai eu tort d'embrasser la religion « chétienne ; j e vous en d e m a n d e p a r d o n ; j e suis dis« posé à suivre vos ordres. » U n tel aveu n o n - s e u l e ­ m e n t l'exempta de coups, m a i s encore lui valut immé­ d i a t e m e n t la liberté. 11 s'en r e t o u r n a d o n c , et tous les chrétiens l'appelèrent apostat. « Restaient les cinq autres prisonniers. Le m a n d a r i n leur adressa d'abord u n e infinité de questions sur le crucifix, les images, le c a l e n d r i e r ; et puis, sommation leur étant faite de fouler la croix et de r e n o n c e r à la religion des b a r b a r e s , ils r é p o n d i r e n t qu'ils ne le p o u ­ vaient pas. P o u r les intimider, q u a r a n t e soufflets fu­ rent appliqués sur les mâchoires d e Toùng-tchéu-tsoùng, le plus âgé des cinq, et soixante furent infligés à Toùngtchéu-hiô, le plus d é t e r m i n é de tous. Cela fait, le m a n ­ d a r i n envoya u n e escouade de satellites, sous la con­ duite d'un Laô-yè, avec ordre de confisquer l'Oratoire


261 des chrétiens. 11 etait alors neuf heures. 11 y eut g r a n d t a p a g e à L y - t o u - p a . Les satellites mettaient leurs m a i n s rapaces sur tous les objets à leur c o n v e n a n c e ; tout ce qui leur paraissait bon à q u e l q u e usage, ils se l'appropriaient. Les nattes de lit, les bancs, les chaises, les ustensiles d e cuisine, tout fut enlevé. Après avoir complété le pillage d e la maison, ils e n fermèrent les portes, et affichèrent en dehors de g r a n d s placards in­ j u r i e u x à notre foi et revêtus d u sceau d u m a n d a r i n . Le l e n d e m a i n , a v a n t de quitter L y - t o u - h o , le p e r s é ­ c u t e u r a y a n t fait venir les cinq néophytes à sa b a r r e , l e u r o r d o n n a encore d e r e n o n c e r à la religion chré­ t i e n n e et de fouler la croix a u x pieds. Leur réponse fut, comme la veille : Nous n e le pouvons pas. E n t r a n t alors d a n s u n e furieuse c o l è r e , le m a n d a r i n vomit c o n t r e eux et contre tous les chrétiens u n torrent d'in­ j u r e s : « Race d i a b o l i q u e , s'écria-t-il, il faut q u e j e « t'extermine du sol d e Kui-hién. Vous dites : Le grand « m a n d a r i n d e Su-ten n e poursuit pas les chrétiens ; « m o i , m a n d a r i n de Kui-hién, j e veux les a n é a n t i r . « Vous dites e n c o r e : Le vice-roi de Tcheù-toù n e con« d a m n e pas les chrétiens ; l'empereur leur fait grâce « et les tolère, soit ; moi, m a n d a r i n de Kui-hién, j e « veux en finir avec e u x , c o m m e on en a fini avec « l'évèque S u . » « C e p e n d a n t la foule des spectateurs était i m m e n s e . Le m a n d a r i n s'adressant aux païens : « Vous, m o n « peuple fidèle, leur d i t - i l , écoutez : Devez-vous d e « l'argent ou du riz aux chrétiens, gardez-vous de leur « rien r e n d r e . Si, au contraire, ils vous doivent, exi« gez qu'ils vous r e m b o u r s e n t ; sinon accusez-les, frap« pez-les, tuez-les ; n e craignez rien, le m a n d a r i n est « pour vous. » 11 dit et monte sur sa b a r q u e qui le porte à la ville, Les cinq confesseurs, toujours sous la


262 garde des satellites, suivent le m a n d a r i n sur u n e a u t r e nacelle. Arrivés à Kui-hién, ils sont jetés en prison d a n s u n réduit irtfèct. U n e c h a î n e plus lourde vient remplacer les fers de Toùng-tchéu-hiô. C'était la p u n i ­ tion de sa c o n t e n a n c e h a r d i e . Au m o m e n t où le soleil allait disparaître à l'horizon, les cinq prisonniers se m i r e n t à réciter, en c o m m u n et à haute voix, leur cha­ pelet et la prière du soir, au g r a n d é t o n n e m e n t des païens qui v e n a i e n t en foule les e n t e n d r e . Ainsi se passa la j o u r n é e du 2 5 . « Le 2 6 , l'interrogatoire s'ouvre par des m e n a c e s , auxquelles les confesseurs r é p o n d e n t par des refus. Alors c o m m e n c e u n e scène horrible. Les b o u r r e a u x sont a r m é s des i n s t r u m e n t s de suppliée ; le signal est d o n n é ; on frappé d'abord sur les m a i n s , ensuite sur les mâchoires. Après q u e l q u e s c o u p s , les b o u r r e a u x s'arrêtent. L e m a n d a r i n : « Renoncez-vous à votre religion, et « consentez-vous à fouler la croix ? —- L e s confesseurs : « Plutôt m o u r i r 1 « Les b o u r r e a u x frappent encore quelques coups et s'arrêtent. L e m a n d a r i n : « Renoncez-vous à votre religion, et « consentez-vous à fouler la croix ? — L e s confesseurs : « Plutôt m o u r i r ! « Les b o u r r e a u x c o n t i n u e n t de frapper. L e m a n d a r i n : « Renoncez-vous à votre r e l i g i o n , et « consentez-vous à fouler la croix ? — L e s confesseurs : « Plutôt mourir ! » C e p e n d a n t Toùng-tchéu-mln pous­ sait des cris déchirants ; les autres disaient : Jésus, sauvez-nous ! Les b o u r r e a u x frappèrent ainsi soixante coups à diverses reprises. « Vient ensuite la férule de euir. Les b o u r r e a u x en frappent quelques coups sur les mâchoires.


263 L e m a n d a r i n : « Renoncez-vous à votre r e l i g i o n , et « consentez-vous ? fouler la croix ? — L e s confesseurs : a Jamais ! « Les b o u r r e a u x r e d o u b l e n t leurs coups, L e m a n d a r i n : « Renoncez-vous à votre religion, et « consentez-vous à fouler la croix ? » — Les confesseurs ont la bouche remplie de s a n g et n e peuvent plus r é ­ pondre : « Frappez toujours, dit le m a n d a r i n » Les b o u r r e a u x s'arrêtent après soixante coups. Le m a n d a ­ rin distinguant u n e voix qui criait : Jésus, sauvez-nous I (c'était celle de Toùng-tchéu-hiô) : « Ah ! ils prient e n ­ core ; frappez, frappez, tuez-les ! » Leurs mâchoires n e sont q u ' u n e plaie ; le sang coule de leur b o u c h e ; leurs m a i n s , dont les nerfs sont froissés, ont perdu tout m o u v e m e n t , et la verge m e u r t r i è r e sillonne déjà l e u r dos; les exécuteurs la relèvent s a n g l a n t e et la déchar­ g e n t de toutes leurs forces sur les patients. Toùngtchéu-soùng roule à terre et s'évanouit. Les bourreaux ont rempli leur odieuse tâche ; m a i s le m a n d a r i n n'est pas satisfait ; il s'agite de dépit ; il m a u d i t ses i n n o c e n ­ tes victimes, et les fait r e c o n d u i r e d a n s leur cachot, où, après avoir p a n s é leurs plaies, les confesseurs con­ t i n u e n t encore, d u r a n t cinq jours, à réciter leurs priè­ res en c o m m u n . ER

« Le 1 septembre, leurs plaies saignaient encore et leurs mâchoires étaient h o r r i b l e m e n t e n f l é e s , lors­ qu'il fallut de nouveau comparaître à la b a r r e . Le m a n d a r i n , selon sa c o u t u m e , débuta par des m e n a c e s , et y joignit l'ordre de fouler la croix. Toùng-tchéu-hiô répondit a u nom de ses c o m p a g n o n s : « M a n d a r i n , il « est inutile de nous parler d'apostasie ; nous sommes « d a n s la disposition de tout souffrir plutôt que d'ab« j u r e r notre foi. Vous pouvez n o u s mettre en cage, « nous envoyer en exil, ou nous trancher la tête, c o m m e


264 « il vous plaira ; m a ï s vous n e pourrez j a m a i s nous « a r r a c h e r notre Dieu. » A ces paroles, le j u g e se frap­ pait la poitrine en signe d ' e m b a r r a s ; il semblait dire « Hélas, c o m m e n t en finir avec d e pareilles g e n s ? » C'est qu'il n'avait j a m a i s r e n c o n t r é d e chrétiens. « Depuis la scène du 2 6 , des s e n t i m e n t s plus favo­ r a b l e s avaient g e r m é d a n s son c œ u r Ses amis, tout en le raillant d e son i m p u i s s a n c e , avaient blâmé sa trop g r a n d e sévérité envers des i n n o c e n t s . Une e n t r e v u e qu'il avait e u e avec le m a n d a r i n de T a - t c h o u , n e c o n ­ tribua pas p e u à le r e n d r e plus h u m a i n . Ce fonction­ n a i r e , passant par Kuî-hién, n ' a p p r o u v a pas l'excessive rigueur q u e déployait son collègue c o n t r e les n é o p h y ­ tes : « A quoi b o n , lui dit-il, sévir contre des h o m m e s « q u i n e sont ni voleurs ni rebelles? E n vain les t o u r « menterez-vous, s'ils sont foncièrement chrétiens, ils « se laisseront plutôt tuer q u e de r e n o n c e r à leur r e l i « gion. Croyez-moi, terminez au plutôt cette affaire ; « il n e vous convient pas de passer votre temps à vexer « des gens passibles, tandis que vous laissez i m p u n i s « t a n t de b r i g a n d s qui désolent votre d é p a r t e m e n t . » Ce sont les gens du prétoire eux-mêmes qui ont r e n d u publiques les paroles d u m a n d a r i n de Ta-tchou. Voyant d o n c la fermeté des cinq confesseurs, le t y r a n dit à Toùng-tchéu-hiô : « J e n e veux ni vous envoyer en exil, « n i vous t r a n c h e r la tête ; vos m è r e s vous ont d o n n é « la vie, pourquoi vous l'ôterais-je ? J'exige s e u l e m e n t « q u e vous condescendiez à m a volonté, q u e vous di« siez au m o i n s d e bouche u n mot de repentir, et j e « vous laisserai en paix. De retour chez vous, vous con« tinuerez à prier c o m m e a u p a r a v a n t . » — « Nous « n e pouvons dire ce m o t , r é p o n d i t Toùng-tchéu-hiô ; « n o u s n'avons n u i à p e r s o n n e , n o u s n e s o m m e s point « des rebelles, nous sommes innocents ; de quoi devons-


265 « n o u s donc n o u s a m e n d e r ? Proférer u n tel mot ce « serait renier notre Dieu. Nous avons u n e conviction « profonde q u e n o t r e religion est v r a i e , la seule « vraie ; c o m m e n t pourrions-nous dire de b o u c h e que « n o u s y r e n o n ç o n s . ? » Cette fois les cinq confesseurs n e furent point frappés ; et m ê m e ils e u r e n t liberté d'aller loger à l'auberge, sous la g a r d e d'un satellite, qui devint l e u r commensal obligé ; tel est l'usage ici. Dès ce j o u r , ils n e portèrent plus leurs c h a î n e s q u e lorsqu'ils paraissaient devant le m a n d a r i n . « Le tyran, c o m m e on peut le voir, désirait e n finir ; mais il n e voulait pas passer p o u r v a i n c u . N ' a y a n t p u o b t e n i r ce qu'il souhaitait, ni p a r la violence, ni p a r la d o u c e u r , il résolut de s u r p r e n d r e u n désaveu p a r la r u s e . Il eut d o n c recours à u n s t r a t a g è m e digne d e Julien-l'Apostat : vous allez en j u g e r . Le 4 s e p t e m b r e , il fit venir les cinq néophytes à son t r i b u n a l , et se m i t à l e u r faire u n long discours : « Je vous p l a i n s , l e u r « d i t - i l , en vous voyant plongés d a n s u n e si g r a n d e « i g n o r a n c e . Vous n'avez point étudié les livres d u « divin Confucius ; faut-il s'étonner si votre esprit est « vide de l u m i è r e ! Ce qui concerne le b o n h e u r d e « l ' h o m m e vous est e n t i è r e m e n t i n c o n n u . Les p e r n i « cieuses doctrines des b a r b a r e s de l'Occident vous o n t « faussé le j u g e m e n t . Aussi, quel n'est pas votre d é « lire ? Vous vous êtes mis d a n s la tête q u e vous aviez « u n e âme ; mais, j e vous le d e m a n d e , qu'est-ce q u e « cette â m e ? l'avez-vous vue ? où est-elle d o n c ? Ce q u e « vous appelez u n e â m e , est tout s i m p l e m e n t u n Ky ( d e « l'air), qui s'évapore c o m m e la fumée lorsque la vie « quitte nos corps. Vous avez p e u r d e l'enfer, et vous « prétendez à u n paradis après la m o r t ; quoi de p l u s « absurde ? Otez-moi ces idées de vos têtes. (Il rit u n « instant.) Etre en dignité, avoir des richesses et j o u i r


266 « des plaisirs de la vie, voilà le vrai paradis ; n ' e n « cherchez point d'autre. P o u r moi qui ai pitié de vous, « j e m e propose de dissiper les ténèbres de votre intel« ligence, et pour cela j e veux que vous étudiiez u n li­ ft vre v r a i m e n t spirituel de la doctrine de l'empereur. « Ce livre réformera vos idées, j e l ' e s p è r e ; et, pour « n e pas trop vous fatiguer, j ' e x i g e seulement que vous « en appreniez p a r cœur u n passage, que j ' a i extrait « moi-même. Le j o u r où vous le réciterez c o u r a m « m e n t , vous serez mis en liberté. » Une copie d u d i t extrait fut à l'instant distribuée à chacun des confes­ seurs Il contenait en substance que le christianisme est u n e religion fausse et qu'il faut la r a n g e r p a r m i les sectes perverses. Toùng-tchéu-tsoùng, Toùng-tchéuhiù, Toung-tiéu-foù et Toùng-tiéu tsaî, soupçonnant u n piége d a n s cet écrit, n ' e u r e n t garde de l'étudier; m a i s Toùng-tchéu-mîn, n'y voyant q u ' u n moyen facile de se tirer d'affaire, se mit à a p p r e n d r e en vrai perroquet la fatale leçon. À la p r e m i è r e a u d i e n c e , le m a n d a r i n de­ m a n d a a u x confesseurs s'ils savaient l'extrait du livre divin. T o ù n g - t c h é u - m î n eut hâte de prouver sa dili­ gence ; il le récita donc : « C'est t r è s - b i e n , dit le m a n « d a r i n ; j e n e v e u x pas a u t r e chose ; tu as apostasié « de fait; tu peux te retirer. » T o ù n g tchéu-min courba son front jusqu'à terre et s'en alla. « Les q u a t r e autres néophytes persévérèrent d a n s leur refus. Ni les m e n a c e s , ni les injures n e p u r e n t les faire c h a n g e r de d é t e r m i n a t i o n . C'était surtout à Toùngt^héu-hiô q u e le m a n d a r i n en voulait. Piqué de ses réponses hardies, il lui fit encore appliquer q u a r a n t e soufflets. Enfin, vers le c o m m e n c e m e n t d'octobre, ces q u a t r e chrétiens p r é s e n t è r e n t au m a n d a r i n u n e sup­ plique, d a n s laquelle ils p r o m e t t a i e n t q u e , tout en o b ­ servant la religion c h r é t i e n n e , ils se c o n d u i r a i e n t en


267 h o m m e s de bien et ne feraient j a m a i s rien qui pût t r o u b l e r l'ordre. En d e u x mots, ils s'engageaient à être bons chrétiens et bons citoyens. Le m a n d a r i n , qui dé­ sirait en finir, accepta la supplique, et les confesseurs, mis en liberté, r e t o u r n è r e n t à Ly-tou-pa avec le mérite de leurs souffrances et l'intégrité de leur foi. Depuis lors le vieux persécuteur n'a plus molesté les chrétiens, m a i s il n'a j a m a i s voulu r e n d r e les objets saisis ni la maison confisquée. Il a dit q u e l'Oratoire resterait fermé jusqu'à ce qu'il tombât en r u i n e . « Voilà la part de liberté qu'on n o u s fait ici. J e vous l'ai dit l'an p a s s é , l'émancipation religieuse trouvera difficilement accès d a n s l'intérieur. Les Chinois m a n ­ darins et lettrés n ' e n veulent point. « Je m e r e c o m m a n d e à vos prières et saints sacrifi­ ces, et j ' a i l ' h o n n e u r d'être, Monsieur et très-vénérable confrère, Votre très-humble et obéissant serviteur, « j . BERTRAND, M i s s , A p o s t . »


2CS

MISSIONS DU TONG-KING.

E x t r a i t d ' u n e lettre d e Mgr R e t o r d , E v ê q u c d ' A c a n t h e e t V i c a i r e a p o s t o l i q u e d u T o n g - K i n g o c c i d e n t a l , à MM. l e s Directeurs d u Séminaire d e s missions - Etrangères à Paris.

2 mai 1 8 5 0 .

« MeSSieurs E T CHERS CONFRÈRES,

« J'ai à vous faire la relation fidèle de tout ce qui n o u s est arrivé d e plus i m p o r t a n t depuis le c o m m e n ­ c e m e n t d e 1 8 4 9 , et à m e t t r e sous vos yeux l'état où se trouve a c t u e l l e m e n t cette Mission. « C o m m e toujours, j ' a u r a i à constater d e s résultats heureux, mais entremêlés de tristes é v é n e m e n t s . J e mentionnerai d'abord les bonnes nouvelles, parce q u e


269. j e trouve plus de plaisir à les raconter ; ensuite j e vous dirai les mauvaises, dont le récit est souvent plus i n ­ téressant à lire. « Vous savez déjà que MM. Néron, C h a r b o n n i e r et R o n n a r d sont h e u r e u s e m e n t arrivés d a n s cette Mission, les deux premiers au Carême de l ' a n n é e dernière, et le troisième il y a peu de j o u r s . Outre ces trois confrè­ res, le nombre des ouvriers, d a n s cette petite vigne du Seigneur, s'est encore accru de onze nouveaux prêtres a n n a m i t e s , dont six ont été o r d o n n é s p a r moi, et cinq p a r Mgr J e a n t e t . Pour nos théologiens, nos catéchis­ tes, nos étudiants en latinité et en caractères chinois, nos élèves catéchistes, nos religieuses A m a n t e s d e l a c r o i x , et nos chrétiens, voici quel était leur n o m b r e , à la fin de 1 8 4 9 . Théologiens, vingt-cinq, dont quatre diacres, sept sous-diacres, et huit minorés. Catéchistes, cent soixante-quinze, les u n s professeurs d a n s nos col­ lèges, les autres placés à la suite des Missionnaires ou des prêtres indigènes, ou employés à différents m i n i s ­ tères. Etudiants latinistes, deux cent vingt-trois : les a n n é e s précédentes nous en avions davantage, mais la modicité de nos ressources nous a forcés de les d i m i ­ n u e r , et j e prévois q u e n o u s nous trouverons bientôt d a n s la nécessité de les réduire encore b e a u c o u p . Etu­ diants en caractères chinois et a n n a m i t e s , cent, placés sous la direction d e deux maîtres, dont l'un enseigne d a n s notre c o m m u n a u t é de Ke-Vinh, l ' a u t r e d a n s celle d e Ke-Non. Elèves catechistes ou domestiques, cinq cent soixante-deux. De ce n o m b r e u x p e r s o n n e l , c o m ­ posé, comme vous le voyez, de près d e mille personnes, q u a t r e cent trente-trois individus sont à la charge d e notre c o m m u n a u t é , les autres vivent à leurs d é p e n s . P o u r avoir un certain nombre de bons prêtres indigè­ nes, il faut nécessairement entretenir beaucoup d'élè-


270 ves, parce que, avant la fin de leurs études, les u n s m e u r e n t , les autres se retirent et r e t o u r n e n t chez eux; d'autres, p a r défaut de capacité, d e vertus, de c a r a c ­ tère, doivent être renvoyés près des prêtres a n n a m i t e s ou chez leurs parents ; ceux qui achèvent leur cours de latinité n e peuvent être m i s en théologie et o r d o n n é s qu'après avoir été faits catéchistes, avoir été éprouvés à la suite des Missionnaires et des prêtres, s'être exercés d a n s l'art de la parole en instruisant les fidèles, en p r ê c h a n t aux païens, et avoir été accoutumés aux œ u ­ vres, aux affaires de la Mission ; de sorte q u e q u a n d ils sont faits prêtres, ils ont près de q u a r a n t e a n s , ou m ê m e plus. Or, d'après les réflexions q u e j ' a i faites, d'après l'expérience que j ' a i acquise depuis dix-huit ans, j e dis q u e cette m é t h o d e seule peut former ici d e b o n s et excellents prêtres indigènes. Le total de nos religieuses à la fin d e 1849 était d e q u a t r e cent soixan­ te-seize, et celui de nos chrétiens d e cent vingt-huit mille q u a t r e cent seize. « Du personnel j e passe à nos ressources. l ' a n n é e 1 8 4 9 n'a pas été mauvaise pour les céréales ; la m o i s ­ son du cinquième mois a été passable, celle d u dixième assez b o n n e : nos revenus, d a n s le pays, ont donc été u n peu plus considérables q u e d a n s plusieurs des a n ­ nées précédentes ; et c o m m e n o u s avions encore e n réserve u n e certaine q u a n t i t é de riz, nous en avons moins acheté qu'à l'ordinaire, ce q u i a u n peu d i m i n u é nos dépenses. « Tout calcul fait, quoique l ' a n n é e d e r n i è r e n'ait pas été mauvaise, quoique n o u s ayons fait toutes les éco­ nomies possibles, nous avons n é a n m o i n s encore eu u n déficit de quatre mille q u a t r e cent cinquante-deux francs. C e p e n d a n t , j e n e crois pas qu'il soit possible de vivre plus p a u v r e m e n t q u e n o u s , d'entretenir tant de mai-


271 sons et tant de m o n d e , de supporter t a n t de charges, de régler t a n t d'affaires avec moins d'argent. Cette seule considération devrait vous intéresser en notre fa­ veur, et si vous n e pouvez pas a u g m e n t e r nos moyens de b o n n e s œuvres, tâchez du moins de prévenir l'épui­ s e m e n t de nos dernières ressources, d e nous soustraire à la dure nécessité de d i m i n u e r le bien q u e nous fai­ sons, et de détruire u n e partie de nos collèges. « Depuis l'édit de notre petit roi Tu-Duc contre la Religion, contre ses Ministres, et plus spécialement contre les Missionnaires e u r o p é e n s , Sa Majesté trèsp a ï e n n e n'a plus p a r u s'occuper de n o u s ; peu à peu les m a n d a r i n s l'ont imitée, et, après q u e l q u e temps d e frayeur, les choses ont repris leur cours o r d i n a i r e , c'est-à dire q u e voyant que, loin de n o u s d o n n e r la li­ b e r t é religieuse, on voulait au contraire nous l'enlever, n o u s l'avons reprise de n o u s - m ê m e s , et g é n é r a l e m e n t n o u s avons continué d'en jouir assez à l'aise j u s q u ' à présent. Nous nous sommes remis à l'ouvrage avec u n e nouvelle ardeur, p r ê c h a n t et confessant j o u r et nuit, c h a n t a n t des grand'messes à toutes les solennités, avec u n concours i m m e n s e de fidèles et m ê m e de p a ï e n s . Jésus et Marie ont béni nos efforts ; nous avons r e ­ cueilli u n e moisson plus a b o n d a n t e qu'en a u c u n e des a n n é e s précédentes, c o m m e vous pourrez le voir par le catalogue des sacrements administrés ici dan» le c o u r a n t de 1849 : Baptêmes d'enfants d'infidèles . Baptêmes d'enfants de chrétiens Baptêmes d'adultes Confirmations C o m m u n i o n s ordinaires Viatiques Mariages

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9,649

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2,636 693 6,406 132,796 2,7 79 1,015


272 Total des baptêmes . . . . . . 12,986 Confessions. 210,717 Premières communions , 5,7 63 Extrême-Onctions 4,371 « Aux six cent quatre vingt treize adultes q u e non ? avons baptisés, si l'on ajoute leurs enfants qui ont été régénérés avec eux, et c i n q u a n t e trois enfants de païens q u e nous avons achetés et d o n n é s à n o u r r i r à des chré­ tiens, on aura au moins mille nouveaux néophytes de plus ; le n o m b r e des fidèles de cette Mission s ' a u g m e n t e a n n u e l l e m e n t de quinze cents à d e u x mille ; il grandit encore p a r l'arrivée de plusieurs centaines de chrétiens du Tong-King oriental et m é r i d i o n a l qui v i e n n e n t s'éta­ blir de nos côtes; de sorte q u ' u n e a n n é e p o r t a n t l'autre, le chiffre de nos chrétiens s'accroît au m o i n s de trois mille, « P e n d a n t ces dernières a n n é e s , j e m e suis appliqué d ' u n e m a n i è r e toute spéciale à exciter le zèle de nos prêtres, de nos catéchistes, de nos religieuses et d e nos chrétiens pour baptiser les enfants d'infidèles en d a n ­ ger de m o r t . J'ai écrit plusieurs lettres pastorales sur ce sujet ; j ' a i traduit en a n n a m i t e et publié partout les indulgences accordées par le S a i n t Siége à ceux qui contribueraient à la conversion des païens et au b a p ­ t ê m e de leurs enfants m a l a d e s ; j ' a i proposé des récom­ penses en livres de piété, images, croix, chapelets, médailles, à ceux qui baptiseraient ou achèteraient, p o u r les nourrir, q u e l q u e s - u n e s d e ces pauvres créa­ tures, et j ' a i offert de r e m b o u r s e r les dépenses q u e cette b o n n e œuvre pourrait occasionner. Dans plusieurs paroisses nous avons aussi établi des Sociétés de baptiseurs et baptiseuses. Là on fait u n e collecte d'argent, o n capitalise peu à peu u n e petite s o m m e qu'on place d a n s le commerce cm qu'on emploie à l'acquisition


273 d'un c h a m p , et, avec le r e v e n u , on achète des planches pour faire des cercueils et des insignes religieux et fu­ n é r a i r e s ; puis, q u a n d ces enfants de païens m e u r e n t , c o m m e c'est l'ordinaire, la Société leur fait u n enter­ r e m e n t s o l e n n e l , avec m u s i q u e et t a m b o u r , et u n e troupe de petits chrétiens de l'un et de l'autre sexe suit le convoi du j e u n e prédestiné. Or, les païens sont ra­ vis d e cette p o m p e décernée à la sépulture d e leurs enfants ; c'est à tel point q u e lorsqu'un des l e u r s est g r a v e m e n t m a l a d e , ils prient eux m ê m e s les fidèles de venir le baptiser. 11 y a actuellement u n g r a n d zèle d a n s toute la Mission pour cette œuvre ; mais, p o u r en­ tretenir celte a r d e u r , il m e faut faire u n e g r a n d e c o n ­ s o m m a t i o n de livres, d'images, de chapelets. T o u t ce q u e vous m'envoyez en objets de ce g e n r e , est employé à cette destination ; et encore cela n e suffît pas ; j e fais confectionner ici beaucoup d e chapelets p o u r cette m ê m e fin. Mais vous voyez q u e si cela m ' o c c a s i o n n e q u e l q u e dépense, j e n e dois pas la regretter. N é a n ­ m o i n s , j a m a i s n o u s n e p a r v i e n d r o n s à u n chiffre de b a p t ê m e s aussi élevé qu'en Chine, p a r la r a i s o n q u e les A n n a m i t e s , m ê m e p a ï e n s , a i m e n t b e a u c o u p leurs e n f a n t s ; plus ils en ont u n g r a n d n o m b r e , plus ils en sont fiers et contents : ils ne les t u e n t pas, n e les expo­ sent point c o m m e en C h i n e . J a m a i s ils n e se p l a i g n e n t d'en être trop surchargés ; et ce n'est q u e d a n s les temps de disette, lorsqu'ils n e peuvent a b s o l u m e n t plus les n o u r r i r , qu'ils consentent à les v e n d r e p o u r n e pas les voir m o u r i r de faim chez eux. Sous ce r a p p o r t le p e u p l e a n n a m i t e est bien au-dessus du peuple chinois. « Q u a n t à ce qui m e r e g a r d e plus p a r t i c u l i è r e m e n t , je n e vous p a r l e r a i en détail que de m e s t r a v a u x apo­ stoliques de Ke-Bang, chef-lieu de i'ancien district d e M. Charrier, et le peu que j e vOUS en dirai p o u r r a vous


274 faire c o n n a î t r e ce que n o u s avons fait ailleurs ; ce sont toujours les m ê m e s exercices, faits de la m ê m e m a ­ nière, et à peu près avec le m ê m e succès. Jusqu'ici je n'avais encore pu visiter les paroisses de Ke-Bang et de Ke-Trinli, où il y a près de douze mille â m e s , et ce­ p e n d a n t c'est d a n s ces deux paroisses q u e la persécution avait fait les plus tristes ravages, c'est d a n s cette pro­ vince q u e les m a n d a r i n s et les païens s'étaient toujours m o n t r é s plus a c h a r n é s contre la Religion et les chré­ tiens. Or, j e suis resté là trois mois avec MM. Schœffler et L e g r a n d , avec sept prêtres indigènes, et u n e qua­ r a n t a i n e de catéchistes, et n o u s y avons travaillé j o u r et nuit à e n t e n d r e les confessions de ceux q u i , de tous les points de ces d e u x paroisses, v e n a i e n t se présenter au saint t r i b u n a l . Q u a t r e prêtres a n n a m i t e s é v a n g é l i saient en m ê m e temps Ke-Dai, Ke-Trinh, Dia-Oc, ViH o a n g . J'envoyais partout des catéchistes pour exhor­ ter les p ê c h e u r s , instruire les enfants, p r é p a r e r les fidèles à la c o m m u n i o n , à la confirmation, dresser le catalogue des néophytes d a n s c h a q u e chrétienté, ré­ gler leurs affaires extérieures, convier les familles ido­ làtres auprès desquelles il y avait e s p é r a n c e de succès. Le village de Ke-Bang était r e m p l i j o u r et nuit d'é­ t r a n g e r s ; on n'y e n t e n d a i t q u e la voix des p r é d i c a ­ teurs, des chrétiens c h a n t a n t leurs prières, et des en­ fants étudiant le Catéchisme. T o u s les c h e m i n s qui aboutissent à Ke-Bang étaient couverts d ' u n e foule com­ pacte qui accourait, n o n - s e u l e m e n t de tous les points du district, m a i s encore de X u - T h a n h , de Xa-Nôi, et de la province des RR. P P . Dominicains ; et d a n s cette multitude se mèlaient b e a u c o u p de païens qui v e ­ n a i e n t , les u n s pour d e m a n d e r à se faire chrétiens, les autres pour se d o n n e r le plaisir de n o u s voir. Nous étions done là au vu et au su de tout le m o n d e ; païens


275 et m a n d a r i n s , petits et g r a n d s , tous é t a i e n t c o m m e fascinés, et p e r s o n n e ne p a r u t songer à la s o m m e promise à ceux qui nous arrêteraient ; p e r s o n n e n'a cherché ni à nous p r e n d r e ni à nous d é n o n c e r . Tous nos chrétiens étaient émerveillés et croyaient qu'il y avait quelque chose de m i r a c u l e u x d a n s cette g r a n d e paix d o n t nous jouissions. Au c o m m e n c e m e n t c h a c u n tremblait et pensait qu'il n e tarderait pas à n o u s arriver quelque mauvaise aventure, ou du moins q u e nous serions obligés de p r e n d r e bientôt la fuite; mais, à la fin, Voyant q u e notre tranquillité n'était point t r o u blée, tous s ' e n h a r d i r e n t peu à p e u , et vous auriez dit q u e nous étions en pays tout chrétien. Les gens de KeB a n g surtout étaient si fiers de la protection divine qui nous couvrait si visiblement d e son o m b r e , qu'ils a u r a i e n t été disposés à aller chercher M. C h a r r i e r en F r a n c e pour le r a m e n e r chez eux, si j e le leur avais o r d o n n é . Aussi, q u a n d n o u s les quittâmes, quelle e x plosion de cris et de pleurs retentit d a n s tout le village! C'était vraiment à fendre l'âme. Malgré nos travaux, m a l g r é le succès dont Dieu les c o u r o n n a , nous laissâmes encore bien de l'ouvrage à faire d a n s cet ancien district de M. C h a r r i e r ; m a i s n o u s y i m p r i m â m e s u n m o u v e m e n t religieux qui n e s'est pas encore ralenti. Or, ce que j ' a i fait avec les confrères qui m'accompag n a i e n t à Ke-Bang, MM. Titaud et Castex, Néron et C h a r b o n n i e r l'ont fait à proportion sur les différents points de la province de Ha-Nôi. Depuis quelques a n n é e s , nos chrétiens sont g é n é r a l e m e n t a n i m é s d ' u n e g r a n d e a r d e u r pour s'approcher des sacrements, et il n o u s suffit de paraître quelque p a r t pour les voir a u s sitôt entourer le saint t r i b u n a l et n o u s y tenir j u s q u e s après minuit. Voilà, Messieurs et chers Confrères, les b o n n e s nouvelles que j ' a v a i s à vous d o n n e r de notre


276 Mission. Mais à côté d e nos joies se placent toujours beaucoup de misères et de calamités ; il est temps de vous en faire le récit. « Un premier m a l h e u r pour ce pays a été le voyage des a m b a s s a d e u r s chinois, qui sont v e n u s vers le m i ­ lieu de l ' a n n é e d e r n i è r e , de la part d e l'empereur de Chine, apporter à notre petit m o n a r q u e son d i p l ô m e royal. La c o u t u m e était qu'ils s'arrêtassent à la capi­ tale du Tong-King, où le nouveau prince se transpor­ tail de Çochinchine. Mais noire roi actuel, c r a i g n a n t qu'à l'occasion de ce voyage, son frère aîné n e le sup­ plantât p e n d a n t son absence, n ' a pas osé quitter le centre de ses Etats : c'est pourquoi il a d e m a n d é et obtenu d'être dispensé de venir en p e r s o n n e a u T o n g King, et les a m b a s s a d e u r s chinois ont dû aller j u s q u ' à P h u - X u â n pour accomplir leur mission. Vous ne sau­ riez croire combien de vexations et quelles charges é n o r m e s leur voyage a occasionnées. 11 a d'abord fallu bâtir des palais tout le long de la route et sur les bords des fleuves, pour les recevoir, eux et leur suite ; con­ struire des b a r q u e s élégantes et en g r a n d n o m b r e , pour les transporter lorsqu'il leur plairait d'aller par e a u ; creuser des c a n a u x d a n s certains endroits pour allonger leur route, et p a r là leur faire croire q u e ce r o y a u m e est d ' u n e i m m e n s e é t e n d u e . Au passage de ces étrangers, ordre était d o n n é a u peuple d'accourir en foule, en g r a n d s habits de fête, avec des présents en a b o n d a n c e , et u n air joyeux et content, pour leur d o n n e r à penser q u e ce pays est le plus r i c h e , le plus h e u r e u x et le plus peuplé qu'ils aient j a m a i s vu. Ces a m b a s s a d e u r s avaient de n o m b r e u x domestiques ; trois ou quatre cents soldats chinois les a c c o m p a g n a i e n t , a r m é s de sabres et de piques de bois, p o u r prouver qu'en pays a n n a m i t e les terribles et valeureux. Chinois»


n'ont pas besoin a r m e s pour se faire c r a i n d r e et respecter. Q u a n d ils voyageaient à pied, le peuple a n n a m i t e était obligé de les porter e n p a l a n ­ q u i n , avec tous leurs bagages, tous les comestibles apprêtés pour leurs repas, et des sacs de terre chinoise, sur lesquels ils d o r m a i e n t p e n d a n t la nuit et se t e ­ n a i e n t assis ou couchés p e n d a n t le j o u r , afin d e pou­ voir respirer c o n t i n u e l l e m e n t la b o n n e o d e u r d u pays n a t a l . Or, j e vous le d e m a n d e , quelles d u r e s corvées pour ces pauvres gens q u e d'avoir sur les épaules tant de m o n d e et t a n t d'effets, au milieu des plus fortes cha­ leurs de l'été ! Et, m a l g r é cela, messieurs les Chinois affichaient le plus superbe mépris pour les A n n a m i t e s , qui n é a n m o i n s , sous bien des rapports, v a l e n t plus q u ' e u x ; on n e saurait imaginer rien d e plus sale q u e la t e n u e de ces Chinois ; rien de plus d é g o û t a n t q u e leur manière de vivre : rien de plus cynique q u e leurs mœurs. « Après les a m b a s s a d e u r s sont venus les pirates et les b r i g a n d s , qui o n t aussi causé et c a u s e n t encore b e a u c o u p de m a u x ici. L ' a n n é e dernière toutes les c o ­ tes d u Tong-King et de la Cochinchine ont été infestées par ces forbans : ils allaient par t r o u p e a u x d e c i n q u a n ­ te à soixante barques ; les u n e s plus petites avec fem­ mes et enfants pour le transport des objets pillés, les a u t r e s grandes et bien a r m é e s avec u n équipage nom­ b r e u x , pour combattre et piller encore. H e u r e u s e m e n t , deux vapeurs anglais sont venus chercher les pirates chinois j u s q u e sur les côtes du Tong-King ; ils leur ont brisé et coulé b a s u n e soixantaine de b a r q u e s , t u é et noyé beaucoup d e m o n d e ; et ce q u i restait de ces misérables s'est dispersé. Mais voilà qu'ils se sont d e n o u v e a u réunis, et m a i n t e n a n t ils r e c o m m e n c e n t leurs exploits maritimes,


« Les b r i g a n d s de

terre

actuellement

la province de Ha-Nôi, font e n c o r e plus d e m a l q u e les pirates : ils sont d ' a u t a n t p l u s n o m b r e u x et plus impi­ toyables q u e c'est en p a r t i e la faim les fait a g i r . Veutre affamé ajouter : e t point

d'entrailles.

n'a point

qui les pousse et d'oreilles

; on p e u t

Bien q u e j e vous aie dit

p l u s h a u t q u e la moisson avait été assez b o n n e , il n ' e n a p a s été ainsi d a n s la province d e Ha-Nôi, d o n t le ter­ ritoire est e n g r a n d e p a r t i e i n o n d é p a r le d é b o r d e m e n t des fleuves. De p l u s , c o m m e en Cochinchine et

au

T o n g - K i n g m é r i d i o n a l la récolte d u dixième mois a été g é n é r a l e m e n t mauvaise, les m a r c h a n d s a n n a m i t e s

et

les s p é c u l a t e u r s chinois s o n t v e n u s s'approvisionner ici, d e sorte q u e le riz est m o n t é r a p i d e m e n t à u n

prix

élevé, et q u e m a i n t e n a n t il y a disette et p é n u r i e pres­ q u e p a r t o u t . La moitié d e nos chrétiens est à l'état d e f a m i n e , et de plus elle est exposée a u x ravages des bri­ g a n d s q u i b r û l e n t les m a i s o n s ,

p i l l e n t les villages et

t u e n t souvent ceux qui o s e n t l e u r résister. 11 se passe p e u de n u i t s s a n s atrocités d e ce g e n r e . D a n s la p r o ­ vince de Ha-Nôi o n c o m p t e q u a t r e ou cinq b a n d e s , de trois ou q u a t r e c e n t s h o m m e s c h a c u n e , avec des chefs et des a r m e s : ce sont de petites a r m é e s n o c t u r n e s , q u i infestent tout le pays et q u e les m a n d a r i n s

laissent

faire, p a r c e qu'ils n ' o s e n t les a t t a q u e r . O u t r e ces dé­ vastations, il y a e n c o r e e u ici, s u r la fin de l ' a n n é e d e r n i è r e , u n g r a n d n o m b r e d'incendies d o n t les c a u ­ ses s o n t i n c o n n u e s . D a n s les villes de Ke-Chô, ViH o a n g et V a n - S a n g , b e a u c o u p d e m a i s o n s o n t été la proie des flammes. P r e s q u e la moitié de la g r a n d e c h r é ­ tienté de T â n - D ô a aussi été b r û l é e . A V i - H o a n g u n e v i n g t a i n e d e boutiques d e m a r c h a n d s c h r é t i e n s o n t été r é d u i t e s en c e n d r e . J'ai fait d o n n e r q u e l q u e s secours a u x néophytes i n c e n d i é s ; m a i s vous pensez bien q u e


279 n ' a y a n t pás m ê m e assez p o u r n o u s , il n e n o u s est g u è r e possible de secourir efficacement les a u t r e s . « J e n e vous ai e n c o r e rien dit de la persécution, qui avait c o u t u m e de t e n i r u n e si l a r g e place d a n s nos a n c i e n n e s lettres. Vous croyez peut-être q u e n o u s en s o m m e s délivrés, et q u e n o u s jouissons enfin de cette paix, religieuse après laquelle nos c œ u r s soupirent d e ­ puis si l o n g t e m p s . Il n'en est pas ainsi. Nous s o m m e s , il est vrai, bien plus t r a n q u i l l e s q u e sous les r è g n e s des d e u x rois p r é c é d e n t s ; m a i s d a n s b i e n des e n d r o i t s n o u s éprouvons e n c o r e de t e m p s en t e m p s des rafales qui brisent les agrès de n o t r e petit n a v i r e , n o u s for­ c e n t de plier ses voiles, et n o u s font p e r d r e b e a u c o u p de t e m p s et d ' a r g e n t à r é p a r e r ses a v a r i e s . V e n o n s a u x faits. L ' a n n é e d e r n i è r e , le s a m e d i saint, lorsque le p r ê t r e a n n a m i t e se p r é p a r a i t à célébrer la fête de P â q u e s à Dông-Chô, et q u e les c h r é t i e n s é t a i e n t r é u n i s en g r a n d n o m b r e p o u r la prière du soir et la fête d u l e n d e m a i n , d e u x satellites avec le m a i r e païen arrivent s u b i t e m e n t a u m i l i e u d e l'assemblée : ils j u r e n t , ils m e n a c e n t , ils p r e n n e n t et l i e n t le catéchiste q u i faisait la lecture, enfin ils d e m a n d e n t de l ' a r g e n t . Les c h r é ­ tiens, irrités de cette i n s o l e n c e , se j e t t e n t s u r eux, les terrassent et les r o u e n t de coups. C'était là u n e trèsg r a n d e i m p r u d e n c e ; elle fut payée b i e n cher. Le m a n ­ d a r i n d u lieu se hâta de porter au g o u v e r n e u r de la province u n e accusation terrible. Il avait a p p r i s , di­ sait-il clans sa r e q u ê t e , q u e les chrétiens s'étaient ras­ s e m b l é s à Dông-Chô pour lever l ' é t e n d a r d de la révol­ t e ; aussitôt il avait envoyé des h o m m e s s u r les lieux p o u r voir ce qu'il en était ; et, en effet, ils avaient trouvé les c h r é t i e n s f o r m a n t leurs b a t a i l l o n s , p r é p a ­ r a n t l e u r s a r m e s ; u n prêtre a n n a m i t e et le chef d u c a n t o n étaient les m e n e u r s et les chefs de cette formi-


280 dable conspiration ; l'autorité avait été m é c o n n u e et ses agents cruellement battus par les rebelles, etc., etc. De là u n procès sérieux, qui a été t e r m i n é au bout d e deux mois p a r u n e sentence d'exil contre le chef de canton chrétien, et, de prise de corps contre le prêtre a n n a m i t e , et u n e dépense d'environ trois mille francs. « Une a u t r e affaire nous est arrivée d a n s la c h r é ­ tienté de Cua-Bang, qui avoisine le tong-King m é r i ­ dional, à l'autre extrémité de notre Mission. Au mois de juillet, le Père Diên, curé de cette paroisse, en re­ v e n a n t de visiter u n m a l a d e , fut arrêté par u n satel­ lite. Ce Père fut aussitôt livré au m a n d a r i n , qui, après lui avoir fait d o n n e r plusieurs volées de coups de verge, ne pouvant ni le faire apostasier, ni en tirer de l ' a r ­ gent, le livra au gouverneur de la p r o v i n c e . Celui-ci, par déférence pour u n de nos riches chrétiens de la ville, et plus encore pour les beaux présents q u ' o n lui porta, mit le prêtre en liberté. Au sortir de prison, le P . Diên célébra u n e messe solennelle d'actions de grâces, messe à laquelle assistèrent toutes les femmes et les enfants des m a n d a r i n s , et b e a u c o u p de fonction­ naires subalternes avec u n g r a n d n o m b r e de païens. En définitive cette affaire, qui avait d'abord r é p a n d u la terreur d a n s tous les environs, finit p a r u n e déli­ vrance qui remplit nos chrétiens de joie, et affermit la confiance p a r m i eux ; mais elle occasionna u n e dé pense de plus d e douze cents f r a n c s , pour laquelle notre c o m m u n a u t é fournit deux cent q u a r a n t e francs s e u l e m e n t ; le reste fut supporté p a r le P . Diên et les fidèles de sa paroisse. « Une troisième aventure qui aurait pu avoir les plus mauvaises suites, mais dont la divine Providence n o u s tira c o m m e par miracle, est celle qui arriva à M. Sçhœffiler et à m o i , le 5 d é c e m b r e dernier. En voici


281 les principaux détails. Notre intention, en v e n a n t à Ke-Vinh après notre administration de Ke-Bang, était de n o u s reposer u n peu au milieu de nos élèves et d'y rétablir nos forces épuisées. La ferveur de nos chrétiens n e n o u s permit pas d'y rester tranquilles. À peine étions-nous arrivés qu'ils accoururent en foule ; il nous a u r a i t été difficile de les chasser et de leur défendre de venir, d'autant plus q u e nous n'y étions n u l l e m e n t disposés ; car s'il est vrai q u e n o u s eussions pris trèsvolontiers quelque temps de r e p o s , nous aimions en­ core mieux n o u s voir toujours accablés d'ouvrage. « Nous en étions là q u a n d le chef de canton a m e n a le m a n d a r i n d u Huyèn j u s q u ' a u milieu de notre église, sous prétexte d ' u n e petite p r o m e n a d e de plaisir, mais d a n s le but de nous faire faire quelques réflexions pré­ l i m i n a i r e s sur la nécessité de délier b i e n t ô t les cor­ d o n s de nos bourses. Le m a n d a r i n , à qui o n avait d o n n é u n bon repas, se comporta bien, tant qu'il fut d a n s le village. « J e s a i s , dit-il, qu'il y a ici trois E u r o p é e n s ; m a i s m o n intention n'est pas de l e u r faire a u c u n m a l ; d'ailleurs j e le voudrais q u e j e n e le pour­ rais pas ; ce n o m b r e u x troupeau de femmes qui m e suit partout, me les aurait bientôt arrachés des m a i n s , etc. » Mais q u a n d les notables du h a m e a u allèrent lui r e n d r e grâce de sa dispendieuse et i m p o r t u n e visite, en lui portant pour cela u n e charge de riz et quelques liga­ tures : « Ho ! ho ! dit-il, c'est là bien peu de chose pour u n e affaire si i m p o r t a n t e ; il ne suffit pas d e quel­ ques miettes pour rassasier u n appétit comme le mien. Vous avez trois Missionnaires européens chez vous ; si vous voulez q u e j e les y laisse en paix, il me faut trente taëls d'argent. » Nos chrétiens e u r e n t b e a u se proster­ n e r jusqu'à terre, et employer toute leur éloquence p o u r exciter sa compassion, il ne voulut rien e n t e n d r e , том. XXIII. 137. 15


282 et nus néophytes se r e t i r è r e n t triplement avec leur of­ frande méprisée. A peine étaient-ils sortis de sa c o u r , q u e le m a n d a r i n lit courir après eux p o u r avoir l e u r riz et leurs ligatures, et l e u r r a p p e l e r qu'ils eussent à lui a p p o r t e r au p l u s tôt les t r e n t e taëls. Q u a n d nos h o m m e s r e v i n r e n t et qu'ils m ' a n n o n c è r e n t l'insuccès de leur visite : « Cela n e m ' é t o n n e n u l l e m e n t , l e u r disj e ; c'est le chef d e c a n t o n q u i n o u s suscite celle affaire, H o m m e au c œ u r d o u b l e , sous m a i n il n o u s suscite du m a l , p o u r n o u s m e t t r e d a n s la nécessité d e l'employer ensuite à le guérir, et se d o n n e r la r é p u t a t i o n de n o u s r e n d r e des services tout e n n o u s t i r a n t le s a n g des vei­ n e s . C'est ainsi qu'il en a agi à m o n retour d e Xu-Nghê et d e X u - T h a n h . Il faut q u e ce c o m m e r c e finisse et q u e j e cesse de m e laisser m e t t r e le pied s u r la gorge. Ainsi, n e d o n n e z pas u n e s a p è q u e au m a n d a r i n du H u y ê n , n e dites pas u n m o t au chef de c a n t o n ; p o u r n o u s , c o n t i n u a n t de r e s t e r ici, n o u s a t t e n d r o n s l'évé­ n e m e n t . Si le petit m a n d a r i n vient pour n o u s p r e n d r e , n o u s n o u s j e t t e r o n s en b a r q u e , et passerons s u r la pro­ vince de Ninh-Binh ; s'il faut p e r d r e de l ' a r g e n t , j ' a i m e m i e u x q u e ce soit a u p r è s du g r a n d m a n d a r i n ; c a r il vaut m i e u x , dit l'adage a n n a m i t e , se noyer en p l e i n e m e r c o m m e u n gros n a v i r e , q u e d a n s l'huile d ' u n e pe­ tite l a m p e c o m m e u n vil m o u c h e r o n . » « Mon discours plut à tout le m o n d e , et il fut décidé q u ' o n n e d o n n e r a i t r i e n . 11 se passa p r è s d ' u n mois s a n s q u e n o u s fussions i n q u i é t é s . Le chef de c a n t o n crut alors q u e n o u s avions d o n n é de l'argent au m a n ­ d a r i n , s a n s i m p l o r e r sa protection p o u r a r r a n g e r celte affaire, et s a n s q u ' i l pût en avoir sa portion. O u t r é de dépit, il courut à la ville et n o u s d é n o n ç a au g o u v e r ­ n e u r ; il accusa aussi le m a n d a r i n du Huyên de s'être fait c h è r e m e n t payer p o u r n o u s laisser tranquilles. En


283 m ê m e temps il nous écrivait de fuir a u plus vite : Nous étions dénoncés, disait-il; le grand m a n d a r i n allait l'envoyer avec u n e troupe de soldats pour nous p r e n ­ dre. Nous temporisâmes d'abord ; m a i s voyant qu'il continuait ses avertissements, et p e n s a n t qu'il pourrait bien nous j o u e r quelques mauvais tours, nous délo­ geâmes le 3 décembre ; et, le 6 au m a l i n , ce chef de canton vint avec u n e dizaine de soldats loués par lui, et u n e centaine de païens des h a m e a u x environnants, bloquer le village de Ke-Vinh. C o m m e nous étions loin et qu'il n'était venu q u e p o u r ne p a s en avoir le d é ­ m e n t i , il n e fit pas des recherches sérieuses et ne prit rien de suspect. Mais M. Schœffler et moi avions déjà été traqués la veille, et voici c o m m e n t : « Après être restés trois jours et trois nuits sur le fleuve, M. Schœffler et moi, e n n u y é s d'être ballottés d a n s notre b a r q u e , crûmes q u e n o u s serions plus tran­ quilles dans noire a n c i e n n e cachette de Ke-Nôp. Nous y fûmes donc. Je n e sais qui divulgua notre présence et en d o n n a avis à quelques m a u v a i s sujets de ce vil­ lage : aussitôt ils vinrent faire tapage dans la d e m e u r e où nous étions, tandis que l'un d'eux courait appeler le petit m a n d a r i n du Huyèn, et que d'autres m o n t a i e n t la garde au dehors pour nous couper la retraire. B i e n ­ tôt tout le village sut ce qui nous était arrivé ; la nou­ velle en fut portée à notre c o m m u n a u t é et au bourg de Vinh-Tri, et de tout côté une foule d'hommes et de femmes accourut à notre secours. Les braves gens de Ke-Nôp, p e n d a n t que quelques-uns d'entre eux p a r l e ­ m e n t a i e n t avec ceux qui croyaient nous avoir p r i s , n o u s tirèrent furtivement de la cachette où nous étions, puis nous e m m e n è r e n t hors du village p a r u n e issue qui n'était pas gardée. 11 était nuit : arrivés au milieu des c h a m p s , nous apercevions du m o n d e de tous côtés.


284 Etaient-ce les gens du m a n d a r i n , était-ce la troupe de ceux qui voulaient nous p r e n d r e , ou des amis qui ve­ n a i e n t à n o t r e secours? Nous l'ignorions, et nous n e savions où aller pour éviter le péril. D a n s cette p e r ­ plexité nous n o u s assîmes t r a n q u i l l e m e n t sur u n m o n ­ ceau de t e r r e , a u milieu d ' u n e espèce de m a r a i s ; bientôt nous e n t e n d î m e s la voix d'un h o m m e qui d e ­ m a n d a i t des nouvelles de sa b a r q u e . Or, c'était u n de nos catéchistes. Nous sûmes p a r lui q u e n o u s étions hors de d a n g e r , et que tout ce m o n d e q u e n o u s voyions courir à travers c h a m p s autour de n o u s , c ' é ­ taient nos élèves et le village de Ke-Vinh qui s ' a v a n ­ çaient en masse sur celui de Ke-Nôp pour n o u s déli­ vrer. Dans ce m ê m e temps le m a n d a r i n e n t r a i t aussi à Ke-Nôp. Ce fut d o n c u n g r a n d b o n h e u r pour le m a n ­ d a r i n comme pour n o u s q u e n o u s n e fussions pas tom­ bés entre ses m a i n s , car on l'aurait mis en pièces pour n o u s en arracher, et cela n o u s aurait suscité u n e bien terrible affaire. Nous redescendîmes le fleuve en b a r ­ q u e , et, le l e n d e m a i n au soir, après le ridicule blocus de Ke-Vinh par le chef de c a n t o n , n o u s revînmes d a n s notre c o m m u n a u t é . Q u a n t au m a n d a r i n , furieux d'a­ voir m a n q u é sa proie, il mit à la c a n g u e et en prison le maître de la maison où n o u s avions trouvé a s i l e , ainsi que le m a i r e du village de Ke-Nôp, leur fit d o n ­ n e r quelques dizaines de coups de rotin pour leur faire avouer où ils avaient mis les cinq b a r r e s d'or, les dix barres d'argent, le bâton d'or et le b o n n e t d'argent (1) qu'il prétendait que je leur avais d o n n é s . « Faites-moi apporter ces t r é s o r s , leur disait-il, et je vous r e n d s aussitôt à vos familles. Que voulez-vous faire de tant

(1) C'est ainsi qu'il désignait ma crosse et ma mitre.


285 de richesses ? Pourquoi voulez-vous m e les cacher ? Estce q u e j e ne sais pas tout ce qu'il en est? » Vous p e n sez bien que je n'avais pas d o n n é u n e obole à ces p a u vres gens, Enfin, après bien des prières, des allées et des venues, et après lui avoir d o n n é la somme de deux cent c i n q u a n t e ligatures, le m a n d a r i n mit nos deux h o m m e s en liberté. Avec tous les frais-, cette affaire nous occasionna u n e dépense de trois cents ligatures que j e supportai en entier. « Enfin, il y a u n e dizaine de jours, u n e autre mésaventure est arrivée à la paroisse de H o à - L a c . Cette chrétienté était allée offrir des présents a u m a n d a r i n du Huyên pour en obtenir la permission de faire b é n i r leur village par u n prêtre : les dons furent bien reçus et la d e m a n d e accordée. Fiers de cette protection, les chrétiens p r é p a r e n t tout pour u n e bénédiction s o lennelle. Mais, au milieu de la nuit, et avant que la cérémonie ait pu avoir lieu, voilà le m a n d a r i n qui arrive tout-à-coup accompagné d'une t r e n t a i n e de païens, et pénètre d a n s la maison où était le prêtre pour l'arrêter. Ce Père s'échappe à toutes j a m b e s : le m a n d a r i n le poursuit s a n s pouvoir l'atteindre. P e n d a n t ce temps les chrétiens avaient enlevé et porté ailleurs tous ses effets religieux ; et alors n e s e n t a n t plus rien chez eux de suspect, et pénétrés d'indignation contre la trahison du m a n d a r i n , ils se mettent à crier : ô voleurs ! ô b r i g a n d s ! Ils b r û l e n t u n e mauvaise b a r a q u e , p r e n n e n t et battent le m a n d a r i n et ses satellites, les lient tous, et, le l e n d e m a i n m a t i n , vont porter leurs plaintes contre eux au gouverneur de la province. Celui-ci a mis à la cangue le m a n d a r i n et deux ou trois de ses gens, avec huit ou dix des principaux néophytes de l'endroit, et voilà m a i n t e n a n t u n procès commencé, d o n t nous n e pouvons pas encore prévoir l'issue. Mais on peut


288 assurer d'avance que cette folie de nos chrétiens leur coûtera d'énormes d é p e n s e s , et nous serons bienheu­ r e u x s'il ne nous en arrive pas d'autre m a l . Tout ce que je viens de vous dire prouve assez que la persécu­ tion r è g n e encore. Nos confrères de Cochinchine nous promettent depuis longtemps u n décret de liberté reli­ gieuse; mais ce royal edit, si désiré, est toujours at­ tendu et ne parait point. « Toutes ces misères ne sont encore rien en com­ paraison de celles dont il m e reste à vous parler : il s'agit de la peste et de ses épouvantables ravages. Je dis : la peste, mais je devrais dire : les pestes, car il y en a plusieurs qui se p r o m è n e n t ici en long et en lar­ ge, moissonnant chaque j o u r u n e multitude i n n o m ­ brable de personnes. C'est d'abord la fièvre typhoïde, qui a régné presque toute l ' a n n é e dernière. Celte ma­ ladie s'attache à quelques villages, et d a n s u n m ê m e village elle choisit u n certain n o m b r e de familles dont elle attaque tous les m e m b r e s les u n s après les autres. D a n s certains endroits on en guérit assez facilement ; d a n s d'autres presque tous ceux qui en sont atteints périssent. Le m a l a d e éprouve u n e c h a l e u r i n s u p p o r t a ­ ble, des douleurs d a n s les reins, des m a u x de tète trèsviolents ; sa poitrine s'embarrasse ; sa l a n g u e devient blanche, puis noire ; le délire vient ensuite, et la mort après. Une autre épidémie, dont j e ne sais pas le nom, a aussi fait b e a u c o u p de m a l ici, surtout d a n s la pro­ vince de Ninh-Binh. C'est u n e espèce d'ulcère qui se déclare à la m a i n et la fait enfler ; bientôt cette enflure se c o m m u n i q u e à la partie supérieure du corps, et l'on m e u r t . Ou bien c'est la tète qui enfle d'abord, puis l'estomac, et toujours la mort. Mais la g r a n d e , la plus terrible peste, qui a fait et fait encore d ' i n n o m b r a b l e s victimes, c'est le choléra-morbus. Il est venu du côté


287 de Siam et d u Cambodge, et il a c o m m e n c é à paraître en Cochinchine a p r è s le départ des a m b a s s a d e u r s c h i ­ nois. Des villages ont perdu la moitié de leurs h a b i ­ t a n t s . Il est des districts où l'air est infecté p a r l'odeur des cadavres m a l enterrés ; car bien des g e n s ne p e u ­ vent point se procurer de bières pour leurs morts : ils les plient d a n s u n e n a t t e , puis les j e t t e n t d a n s u n trou d'un ou deux pieds de profondeur. On ne voit d a n s les c h a m p s q u e des tombes fraîchement creusées, d a n s les villages que des personnes en deuil. Les m a r c h é s p u ­ blics ont été i n t e r r o m p u s , p e r s o n n e n ' o s a n t sortir do chez soi ; on m e u r t en voyage, sur les g r a n d s chemins, d a n s les c h a m p s , a u milieu de son travail. Le m a l vient c o m m e u n coup de foudre, on ne sait d'où, et u n e ou deux heures lui suffisent pour tuer les plus ro­ bustes. Tel individu avec lequel vous avez causé le m a t i n , est porté en terre le soir. Cette m a l a d i e n'atta­ q u e pas tout le m o n d e de la m ê m e m a n i è r e ; aux u n s elle se révèle par u n froid glacial, aux autres par u n e c h a l e u r b r û l a n t e . Depuis le mois d e janvier, nos p r ê ­ tres n'ont été occupés jour et nuit qu'à administrer les m a l a d e s , et encore plusieurs néophytes sont morts s a n s sacrements. Quatorze ou quinze d e nos prêtres a n n a ­ mites ont été atteints par ce terrible fléau ; douze d'en­ tre eux ont succombé, et n o u s n'en avons o r d o n n é q u e onze. P a r m i les Missionnaires européens, MM. Castex, Schœlffler, Néron, Legrand et moi avons aussi été a t t a ­ qués, mais nous en sommes à peu près r e m i s . Plus de la moitié d e nos élèves a passé p a r la m ê m e épreuve : vingt-un sur deux cent vingt-trois en sont morts, c'està-dire qu'ils ont été littéralement décimés. Si aux vic­ times du choléra vous ajoutez celles de différentes a u ­ tres maladies, vous trouverez q u e nous avons perdu, depuis le c o m m e n c e m e n t de l ' a n n é e dernière ; douze


288 prêtres, six cleres, douze catéchistes, vingt-cinq élèves latinistes, trente-deux élèves catéchistes et trente-sept religieuses ; e n tout cent vingt-quatre p e r s o n n e s , « A cette perte, qui est i m m e n s e p o u r la Mission, joignez les dépenses considérables q u ' o n t occasionnées t a n t d e m a l a d i e s . Les m é d i c a m e n t s q u i , les a u t r e s a n ­ nées, n e coûtaient que huit ou dix sous la livre, se v e n d e n t a u j o u r d ' h u i q u a t r e ou cinq francs. La raison en est facile à c o m p r e n d r e : depuis q u e l q u e t e m p s ce pays est c o m m e u n vaste hôpital. C e u x qui ont e n c o r e q u e l q u e a r g e n t v e u l e n t à tout prix se procurer des r e ­ m è d e s . Encore si le fléau était passé ; m a i s il est m a i n ­ t e n a n t à l'apogée de sa force ; on d i r a i t q u e c'est la lin du m o n d e ; tout le peuple est d a n s l ' é p o u v a n t e . J e n e puis encore savoir au j u s t e c o m b i e n il a péri de chrétiens. E n p r e n a n t la paroisse d e K e - V i n h p o u r b a s e d u c a l c u l , on trouve q u e n o u s devons en avoir p e r d u près de dix mille ; c a r cette paroisse compte q u a t r e mille néophytes, et il en est m o r t à p e u près trois cents Si on suppose q u e ce r o y a u m e ait vingt millions d ' h a b i t a n t s (et j e crois q u ' i l en a d a v a n t a g e ) , on p o u r r a encore, d'après la m ê m e proportion, porter à q u i n z e cent mille les païens victimes du fléau. Mais, toutes choses égales d'ailleurs, les infidèles m e u r e n t e n bien plus g r a n d n o m b r e q u e les chrétiens, soit parce qu'ils sont plus g é n é r a l e m e n t a t t a q u é s , soit p a r c e qu'ils a b a n d o n n e n t aussitôt leurs m a l a d e s s a n s leur d o n n e r a u c u n secours. Ils e n e n t e r r e n t m ê m e p l u s i e u r s a v a n t qu'ils aient r e n d u le d e r n i e r soupir. J e crois donc qu'en e s t i m a n t à d e u x millions et demi le n o m ­ b r e des païens morts ici d u choléra, on serait encore au-dessous de la vérité. « Du r e s t e , les idolâtres m o n t r e n t d'excellentes d i s ­ positions ; et si n o u s avions assez d'ouvriers p o u r les


289 instruire, c e r t a i n e m e n t qu'ils se convertiraient en g r a n d n o m b r e . Le prêtre a n n a m i t e qui est chez les sauvages d u L a c T h ô m'écrit q u e tout u n gros village d e Muong a e m b r a s s é l'Evangile. Ce qui les a convaincus de la vérité de la Religion, c'est q u ' a y a n t la peste chez e u x , ils ont prié le P è r e de b é n i r l e u r village, et aussitôt après cette bénédiction l'épidémie a cessé. « D'autre part, o n m e d e m a n d e de tout côté des s e ­ cours p é c u n i a i r e s ; celui-ci pour délivrer telle c h r é ­ t i e n t é des superstitions légales ; celui-là p o u r n o u r r i r ses c a t é c h u m è n e s p e n d a n t leur instruction et l e u r d o n ­ n e r u n h a b i t au j o u r de l e u r b a p t ê m e ; cet a u t r e p o u r s a u v e r des enfants de païens q u ' o n n o u s a b a n d o n n e volontiers d a n s ce m o m e n t de famine. « Venez donc à « m o n s e c o u r s , m'écrivait l ' a u t r e j o u r M. T i t a u d , je « s u i s d é v o r é par l e s p a u v r e s . Ecoutez l e u r s cris : Mon « p è r e est m o r t de la p e s t e ; n o u s n ' a v o n s r i e n p o u r « lui acheter u n e bierre ! Ma m è r e est bien souffrante; « n o u s n ' a v o n s r i e n p o u r lui procurer des r e m è d e s ! « Mon m a r i est m a l a d e , j ' a i q u a t r e petits e n f a n t s et « pas u n g r a i n d e riz à la m a i s o n ! etc., etc. » « Ces cris de d é t r e s s e , j e n e puis q u e vous les r é ­ péter, d a n s l ' i m p u i s s a n c e où j e suis d'y r é p o n d r e . P e u t être seront-ils e n t e n d u s p a r la charité des c h r é t i e n s d'Europe. D a n s cette e s p é r a n c e , j e s u i s , Messieurs et chers confrères, etc. « + RETORD, évêque d ' A c a n t h e .

»


290 l e t t r e d e M. L e g r a n d , M i s s i o n n a i r e A p o s t o l i q u e d e la Société des Missions E t r a n g è r e s , à s a M a r r a i n e , Religieuse d e l a Miséricorde. tong-King Occidental, 2G juin 1 8 4 0 ,

« TRÈS-CHÈRE MARRAINE,

« Il faut bien avouer q u e le temps passe vite ; c'est a u mois de septembre de l ' a n d e r n i e r que je vous écri­ vais, et voilà déjà neuf mois écoules. Depuis cette épo­ que, j ' a i été sans cesse à b a t t r e la c a m p a g n e , t r a q u é çà et là p a r les m a n d a r i n s , et sujet à mille a v a n i e s d o n t la protection de Marie m'a tiré c o m m e p a r m i r a ­ cle. Le j o u r de la Toussaint, l'enfer s'était, j e crois, d o n n é le mot pour nous p r e n d r e tous à la fois d a n s ses filets. M. Titaud (à l'Ouest) à peine achevait le saint Sa­ c r i f i c e , qu'il était cerné p a r le m a n d a r i n du lieu ; m o i (à l'Est), la messe finie, le repas d ' o r d i n a i r e t e r m i n é , l ' e x a m e n solennel du catéchisme c o m m e n ç a n t au b r u i t des cymbales et des t a m b o u r s , j'étais bloqué p a r u n m a n d a r i n et plusieurs chefs do c a n t o n s , cela en plein midi ; e l l e soir Mgr Jantet (au Centre), avec deux n o u ­ veaux arrives, MM. Gassot et Colombet, était assailli p a r u n certain colonel, qui croyait, en p r e n a n t trois E u r o p é e n s , r a m a s s e r u n e b o n n e s o m m e de neuf mille francs, et u n b e a u grade par-dessus le m a r c h é . Qu'estil arrivé de tout ce bruit ? C'est que Monseigneur et ces Messieurs, ayant pu s'esquiver, grâce à la fermeté d ' u n e habile et courageuse f e m m e qui se trouvait l à , m o n p a u v r e colonel a été accusé de vouloir piller le bas peuple, et p a r suite a perdu presque toute sa fortune et


291 son grade d a n s l'armée. P o u r M. T i t a u d , après avoir traversé le cordon de troupes qui c e r n a i t le village, il s'évadait à travers c h a m p s , tandis q u e femmes et filles, sortant en foule et s a n s o r d r e , j e t a i e n t des p a n i e r s de cendre aux yeux des soldats, ou coupaient avec des couteaux les liens d'un Père, des catéchistes et de quel­ ques chrétiens déjà e n c h a î n é s . « Mais vous attendez q u e j ' e n v i e n n e à moi ; l'his­ toire est bien longue si je veux tout vous d i r e . D e ­ puis quelques m o i s , j'étais poursuivi de village e n village par deux individus qui ont déjà pris précédem­ m e n t M.M. F e r n a n d e z , Gali et B e r n e u x , et d e r n i è r e ­ m e n t le P. Garni, qui est encore d a n s les fers. A force d e ruses et avec u n peu d ' a u d a c e , je c o n t i n u a i s à faire assez l a r g e m e n t l'administration, q u a n d arriva la Toussaint. On m e pria de dire la messe solennelle, m a i s c o m m e je pensai qu'il n'y avait pas g r a n d e utilité, j e m'esqui­ vai en secret, laissant les deux Pères de la paroisse la c h a n t e r à l e u r volonté. U n des principaux d u v i l l a g e , qui était v e n u m'inviter à officier ce j o u r - l à , était m o n d é n o n c i a t e u r . C o m m e j e p a r u s a c c é d e r a ses désirs, il partit dès le soir p o u r aller se concerter avec le m a n ­ d a r i n . De m o n côté, j e quittai le h a m e a u presque e n m ê m e temps que l u i , et à son i n s u , pour m e cacher ; de sorte q u e , le l e n d e m a i n , les m a n d a r i n s avaient tout disposé pour m e bloquer à l'endroit où je n'étais p l u s . Ce n e fut qu'à moitié c h e m i n qu'ils s u r e n t m a r e t r a i t e d a n s le village voisin. C e p e n d a n t il n'était pas certain q u e j ' y fusse e n c o r e ; en c o n s é q u e n c e les chefs divisè­ rent leurs troupes, et le g r a n d m a n d a r i n en p e r s o n n e entra bientôt d a n s la chrétienté qui m e servait d'asile. Alors vous eussiez vu les femmes, les enfants, se pré­ cipiter d a n s la cour de la maison q u e j ' h a b i t a i s , pleu­ r a n t et sanglotant, se j e t a n t à g e n o u x et d e m a n d a n t


292 m a bénédiction, p e n d a n t q u e les h o m m e s étaient obli­ gés de suivre le m a n d a r i n et d'empêcher par là le sac de leur village. Le gouverneur n'était plus séparé de moi que p a r quelques m e u l e s de foin, q u a n d tout-àcoup le chef des troupes, qui cernait le h a m e a u voisin, accourut tout essoufflé, disant qu'il n'était pas en forces p o u r tenir le blocus, et q u e l'Européen é t a n t s û r e m e n t là, il fallait q u e le m a n d a r i n vint s a n s r e t a r d à son aide. En effet, il y avait sur ce point u n e foule i m ­ m e n s e (plus de cinq à six mille personnes) qui se pres­ sait de toutes parts, et emportait d a n s ses flots et les Pères, et les gens de la maison de Dieu, et les effets de la c u r e et de l'église. Le m a n d a r i n m e t o u r n a donc le dos, j e lui r e n d i s à l'instant la p a r e i l l e ; j e sautai en d e u x temps d a n s u n e b a r q u e en j o n c qui se trouvait là, et vogue la nacelle ! J e passai à quelques pas des soldats, qui n e se d o u t a i e n t pas d'un pareil c o u p ; j ' a r ­ rivai d a n s u n m a n d a r i n a t voisin, et, à la faveur de la nuit, j e m e r e n d i s à notre c o m m u n a u t é , q u i est d'un a u t r e d é p a r t e m e n t . Le m a n d a r i n , furieux d e cette af­ f a i r e , a p e n d a n t plus d ' u n mois aposté des gens à toutes les routes de son district p o u r m ' e m p ê c h e r d'en sortir. Le p a u v r e h o m m e e n a été q u i t t e pour sa p e i n e . « Mais p a r l o n s d ' u n e a u t r e chasse qui m ' a été d o n ­ n é e d e u x mois après celle-ci, la veille m ê m e d e la fête des Rois. Après avoir a d m i n i s t r é u n e chrétienté qui est vers le Nord, j e descendais en b a r q u e le g r a n d fleuve du Tong-King, pour r e n t r e r d a n s m o n district qui est situé d a n s le Midi. Nous voguions a v e c la plus g r a n d e confiance, q u a n d n o u s arrivâmes e n face d ' u n e pagode royale, où p a r h a s a r d le g o u v e r n e u r d e la province et tous les fonctionnaires subalternes, avec l e u r a r m é e , étaient à faire u n sacrifice. On nous crie : Qui vive ?... Ne s a c h a n t trop q u e r é p o n d r e , n o u s recevons u n e s e -


293 conde sommation et cette fois avec l'ordre d'arrêter. Loin d'obéir, n o u s r a m o n s de l'avant. Alors le t a m b o u r bat, la trompette s o n n e , d e u x barques se remplissent de soldats ; l'une passe de l'autre côté du fleuve afin de n o u s couper toute issue par terre, l'autre nous poursuit à o u t r a n c e . Il faut savoir ce q u e sont ces bar­ ques m a n d a r i n e s , et ce que sont les canots d u genre de celui que j e m o n t a i s , pour bien j u g e r de n o t r e diffi­ cile position, D e plus, nous n'avions q u e d e u x petits r a m e u r s de seize à dix-huit a n s , avec leur p è r e et leur m è r e , t e n a n t tour à tour le gouvernail, p l e u r a n t et s é c h a n t de peur. Notre seule ressource était alors d ' i n ­ voquer le saint Cœur de Marie. La b a r q u e m a n d a r i n e n o u s suivit p e n d a n t plus de deux h e u r e s , et e n plein midi, sans pouvoir n o u s atteindre. Nous arrivâmes à l ' e m b o u c h u r e d'un gros torrent où, p a r b o n h e u r , étaient ancrées trois b a r q u e s c h r é t i e n n e s : le m a n d a r i n n'était qu'à c i n q u a n t e pas de moi ; j e c h a n g e a i de b a r q u e sous ses yeux et s a n s qu'il m e vit. La p r e m i è r e b a r q u e sur laquelle je sautai n e m e reçut pas, j e fus obligé de descendre d a n s u n e seconde, où il n'y avait q u e trois b o n n e s femmes à demi-aveugles, qui n ' e u r e n t pas le temps de savoir ce d o n t il s'agissait ; elles se d i s p u ­ t a i e n t alors a u sujet d'une potion de m é d e c i n e achetée trop cher, disait l ' u n e , et qui n e valait r i e n , disait l ' a u t r e . P e n d a n t ce temps, j e m e couchai d a n s la b a r ­ q u e , et je j e t a i sur moi quelques filets q u i s'y t r o u ­ vaient. Mes trois c o m m è r e s r a m a i e n t p o u r sortir d u torrent. Le m a n d a r i n leur d e m a n d e où elles vont ; elles r é p o n d e n t qu'elles sont des femmes et qu'il n'y a p a s à s'occuper d'elles. Ainsi n o u s repassons le fleuve, et laissons les m a n d a r i n s faire leur tapage, puis s'en r e ­ t o u r n e r c o m m e ils étaient v e n u s , ce q u i , vous devez le penser, n o u s allégea d'un poids é n o r m e . Ce qu'il y


204

eut d ' h e u r e u x , c'est q u e n o u s n e perdîmes pas la tète, et q u e tout se fit sans trouble et sans a g i t a t i o n , de sorte q u e p r o b a b l e m e n t ces fiers m a n d a r i n s c r a i g n i ­ r e n t d'avoir affaire à des gens d é t e r m i n é s et prêts à u n e vigoureuse résistance. Voilà l'explication que l'on peut d o n n e r h u m a i n e m e n t , m a i s je suis bien p e r s u a d é que, sans le secours plus q u ' o r d i n a i r e de Marie, n o u s étions infailliblement pris. « Je n e vous ai point encore p a r l é de m a s a n t é , elle mériterait c e p e n d a n t u n c h a p i t r e . C'est v r a i m e n t ad­ mirable q u ' é t a n t faible et chétif c o m m e j e le suis, m a i ­ gre et j a u n e c o m m e u n citron, n e p o u v a n t pas m a n ­ ger, et d o r m a n t très-peu, a y a n t été déjà a d m i n i s t r é deux fois, et, d a n s u n e troisième m a l a d i e , n e l'ayant pas été parce qu'il n'y avait pas de prêtre, le reste d u temps a y a n t la dyssenterie et u n e sorte de lèpre, j e puisse toujours aller de l'avant et tenir la r a m e . D a n s m e s q u a t r e mois de P â q u e s , j ' a i confessé plus de deux mille p e r s o n n e s , p r ê c h é à peu près tous les j o u r s , a r r a n g é les procès et les querelles, baptisé c i n q u a n t e c a t é c h u m è n e s , confirmé cinq cents p e r s o n n e s , s a n s compter toutes les autres occupations, soit de lettres, de traductions, d'études, q u e c h a q u e j o u r apporte. Vous savez qu'en p a r t a n t de F r a n c e , je fis v œ u à la sainte Vierge de m e consacrer aux Missions é t r a n g è r e s , et j e d e m a n d a i de n'avoir j a m a i s q u ' u n e s a n t é médio­ cre. P e u t - ê t r e Marie m ' a u r a - t - e l l e exaucé de tous points. Je finis en vous s o u h a i t a n t , c o m m e toujours, tout ce qui peut vous être le plus utile, pour l'âme sur­ tout, car vous savez bien q u e la c r é a t u r e doit gémir en a t t e n d a n t la révélation des enfants d e Dieu. « Adieu. A Jésus, à Marie, puis à vous en eux, Votre ami très-dévoué, « t u . M. LEGRAND, Miss. A p o s t . »


295 E x t r a i t d ' u n e l e t t r e de M. T i t a u d , M i s s i o n n a i r e A p o s t o l i que, d e la S o c i é t é d e s Missions E t r a n g è r e s , à Mgr R e t o r d , V i c a i r e A p o s t o l i q u e d u Tong- K i n g o c c i d e n t a l .

Village de K e - L o i , 3 novembre 1 8 4 8 ,

« MoNSeiGNEuR,

« Si l'on vous a parlé de m o n a r r e s t a t i o n , c'était u n e fausse nouvelle ; mais peu s'en est fallu q u ' e l l e n e fût vraie. La veille de la Toussaint, on n o u s d o n n a avis que d a n s la nuit m ê m e notre village devait être b l o q u é . Nous n'y ajoutâmes pas foi, et nous continuâmes d ' e n t e n d r e les confessions des chrétiens. C e p e n d a n t nous avions pris quelques précautions ; u n h o m m e avait été envoyé en éclaireur chez le m a n d a r i n , et il était revenu à m i n u i t en disant qu'il n'y avait rien à c r a i n d r e . Environ deux h e u r e s avant le j o u r , le réveil est s o n n é , on récite la prière, j e c h a n t e la g r a n d messe en paix j u s q u ' à la c o m m u n i o n . Alors plusieurs personnes s'écrient : « Le m a n d a r i n arrive, éteignez les cierges. » J e pris à la h â t e les saintes e s p è c e s , j e purifiai le calice et le s a i n t c i b o i r e , et m e voilà en f u i t e , conduit par cinq h o m m e s d e Ké-Loi et d e u x de Ké-Som. Il faisait encore très-obscur : n o u s sortîmes du village et n ' a p e r ç û m e s a u c u n signe de blocus. Mais, à quelques pas plus loin, n o u s n o u s trouvâmes e n face des satellites, qui n o u s e n v i r o n n è r e n t aussitôt en criant : « P r e n o n s ces scélérats. » T o u s ceux qui m'ac-


296 c o m p a g n a i e n t furent a r r ê t é s , à l'exception d'un j e u n e pâtre de vingt-quatre ans, des deux h o m m e s de Ké-Som et de votre serviteur. Nous t r a v e r s â m e s au pas de course les r a n g s d e nos e n n e m i s , a v a n t qu'ils e u s s e n t eu le t e m p s de nous saisir. Les deux h o m m e s d e Ké-Som se j e t t e n t à travers champs : j e les suis ; m a i s bientôt m e v o y a n t d a n s l'eau j u s q u e sous les bras, j e reviens au c h e m i n où j e trouve m o n j e u n e p â t r e i m m o b i l e . «Cours devant, lui dis-je ; j e te suivrai. » Les gens d u m a n d a ­ r i n voyant fuir les d e u x h o m m e s d e Ké-Som à travers l'eau et la b o u e des rizières, s'écrient : « Le prêtre e u ­ r o p é e n se sauve p a r là ; courons à sa poursuite. » Et ils s ' é l a n c e n t après ces d e u x h o m m e s qu'ils a t t e i g n e n t à l'instant. J'avais pris p e n d a n t ce temps-là u n e tren­ t a i n e de pas d'avance avec m o n j e u n e h o m m e , lorsque la foule des satellites, r e v e n u e de sa méprise, se r e m i t s u r m a trace en poussant d'épouvantables c l a m e u r s . Mes habits tout mouillés étaient bien p e s a n t s ; n é a n ­ m o i n s j ' a l l a i s avec la vitesse d ' u n m o n t a g n a r d . Au m o m e n t où j e croyais être a u large, nous a r r i v o n s en face d ' u n e escouade nouvelle, a r m é e de longs b â t o n s , s u r u n étroit chemin d ' u n pied et demi à p e i n e . Mon g u i d e s'arrête : « P è r e , n o u s s o m m e s p r i s . — A v a n c e t o u j o u r s ; à l a v o l o n t é d e D i e u ! » Nous filâmes d o n c a u pas de course à travers ce peloton. Chose é t o n n a n t e ! Ils nous virent passer a u milieu d'eux, ils é t a i e n t averis p a r les cris d e c e u x q u i n o u s poursuivaient, et pas u n n'étendit la m a i n pour nous saisir. Ils p a r u r e n t c o m m e pétrifiés p a r notre présence, et n ' e u r e n t l'idée d e nous p r e n d r e q u ' a p r è s n o u s avoir o u v e r t , leurs r a n g s . Alors ils se précipitèrent s u r nos pas e n j o i g n a n t leurs cris à ceux d e leurs c a m a r a d e s . Relancés p a r la m e u t e m a n d a r i n e , dont le n o m b r e et les c l a m e u r s al­ l a i e n t toujours croissant, nous courions à toute h a l e i n e


297 pour gagner du terrain ; cet effort désespéré d u r a i t d e ­ puis douze m i n u t e s environ, et déjà n o u s croyions le péril u n peu éloigné, lorsque nous r e n c o n t r â m e s sept h o m m e s postés au milieu de la route pour nous b a r r e r le c h e m i n . C'étaient des gens qui pêchaient d a n s l'eau des rizières. Avertis p a r les cris des soldats, ils étaient m o n t é s sur la levée p o u r n o u s arrêter a u passage. Ils saisirent, en effet, m o n j e u n e h o m m e ; mais ils n e pri­ r e n t q u e son t u r b a n et son h a b i t qu'il leur laissa en­ tre les m a i n s . P e n d a n t qu'ils étaient occupés à la s p o ­ liation d e m o n guide, j e m e jetai d a n s l'eau des c h a m p s pour les éviter p a r u n détour, et r e m o n t a i sur le chem i n après les avoir dépassés. « Nous étions toujours cernés de très près. Alors voyant le d a n g e r i m m i n e n t : « Sauve-toi, dis-je à m o n conducteur, et laisse-moi seul à la volonté de Dieu. » J e ralentis donc le pas pour le laisser passer, et à l'in­ stant j e m e sentis a p p r é h e n d é par derrière. Je m e re­ t o u r n e vers l'individu qui m'avait saisi : « Vous voulez m e p r e n d r e , v o u s ? C'est moi qui vais vous arrêter. » Sitôt dit, j e lui assène u n coup de poing de toute la p e s a n t e u r de m o n b r a s , Il m e lâche aussitôt, recule de trois pas, et lève sur m a tête u n long bâton p o u r m e frapper. Ce voyant, j e lui cours sus pour lui a r r a c h e r son a r m e . Il se sauve à toutes j a m b e s , ainsi q u e tous ses c a m a r a d e s e n se j e t a n t de côté et d'autre d a n s l'eau des c h a m p s Alors j e r a n i m a i le peu de forces q u i m e restaient, et tâchai de rejoindre m o n guide. J e le r e ­ trouvai bientôt arrêté a u milieu du c h e m i n p o u r m ' a t ­ t e n d r e . « Où est le village de Ké-Som, lui d e m a n d a i j e ? — P è r e , n o u s l'avons passé ; impossible de n o u s y r e n d r e ; les gens du m a n d a r i n occupent tous les sen­ tiers. — Où est la chrétienté de Ko-Tua ? — P è r e , elle est très-loin et sur u n e autre r o u t e ; impossible aussi


298 d'y aller. » Il était déjà jour. Environ à un q u a r t de lieue d e distance, se m o n t r a i t u n gros b o u r g païen. Je lui d e m a n d a i encore : « Quel est ce h a m e a u ? — Père, c'est le village de Kétang. — Allons-y, il en arrivera ce q u e le bon Dieu voudra. Connais-tu q u e l q u ' u n d a n s cet endroit? » Après avoir réfléchi u n i n s t a n t : « J'ai r e n c o n t r é u n e ou deux fois le chef du village, m e ré­ pondit-il. — Hé bien, conduis-moi chez cet h o m m e . » « Bientôt n o u s touchâmes a u x portes de Kétang Là, nous r e n c o n t r â m e s u n e foule de gens qui, éveillés par les cris des satellites, s'étaient r é u n i s sur u n e h a u t e u r pour voir ce qui se passait. Ils n o u s laissèrent e n t r e r d a n s leur village, s a n s nous adresser u n seul mot. Arrivés à la maison du chef, n o u s trouvâmes au milieu de la cour sa m è r e et sa femme avec q u a t r e ou cinq enfants. Figurez-vous leur é t o n n e m e n t , lorsque levant m o n g r a n d c h a p e a u , j e découvris devant eux m a figure à longue b a r b e . Les uns prirent la fuite, les autres r e s ­ tèrent stupéfaits de cette é t r a n g e apparition. P o u r moi, j e fus m'asseoir tout près de l'autel des ancêtres, et j e dis à m o n j e u n e h o m m e : « D e m a n d e à p a r l e r a u m a î ­ tre de la maison. — 11 est absent depuis hier, lui r é ­ pondit la femme, je n e sais s'il reviendra a u j o u r d ' h u i . Mais qui êtes-vous, vous qui vous installez ici ? D'où venez-vous ? » Après m'avoir consulté, m o n guide lui dit tout bas q u e j'étais u n E u r o p é e n , maître de la Reli­ gion du S e i g n e u r du ciel ; et soudain son visage p a r u t tout r a y o n n a n t de joie. Au m ê m e instant, son m a r i entra d a n s la cour ; elle m e laissa et c o u r u t lui a n n o n ­ cer l'espèce d'hôte qui d e m a n d a i t asile. Cet h o m m e vint aussitôt à moi. « J e suis u n Prêtre e u r o p é e n , lui dis je ; j'étais à Ké-loi q u a n d le m a n d a r i n est venu m'y cerner pour m e p r e n d r e . E c h a p p é à sa poursuite, j e voulais m e réfugier à Ké-Som, où il y a des chrétiens.


299 L a chose n e m ' a pas été possible. J e suis venu d a n s votre village, et j ' a i choisi votre maison pour retraite : vous ferez de moi ce que vous voudrez ; m a vie est e n ­ tre vos m a i n s . — Soyez t r a n q u i l l e ; j e n e suis pas h o m m e à vous faire d u m a l , et le m a n d a r i n qui vous poursuit ne peut p l u s rien contre vous : ce village n'est point de son ressort. » « Vous ne sauriez vous figurer, Monseigneur, quelle joie ce fut p o u r ces braves g e n s de m e recevoir chez eux. Ils furent pour moi aux petits soins. Je crois que la famille la plus religieuse n ' a u r a i t p u en faire d a ­ v a n t a g e . Le m a î t r e d e la maison, m a l g r é m e s in­ stances et m e s invitations réitérées, n e voulut j a m a i s s'asseoir s u r la m ê m e natte q u e moi. Ce fut lui qui fit sécher m e s h a b i t s et qui m'apportait m e s repas. En u n mot, il était m o n serviteur le plus empressé. « Le soir d u m ê m e j o u r , m e s hôtes firent p r é p a r e r deux b a r q u e s et m e r a m e n è r e n t d a n s m o n a n c i e n n e r é s i d e n c e . Là, j e trouvai tout le village de Ké-loi, hom­ mes, femmes et enfants, r é u n i s et transportés d'allé­ gresse : tous les prisonniers leur avaient été r e n d u s , et leur Missionnaire revenait à e u x sain et sauf, sous la protection d ' u n chef idolâtre. Avouez q u e ce païen est u n b r a v e h o m m e . S'il avait voulu m e livrer a u m a n ­ d a r i n , il a u r a i t e u 2 , 4 0 0 fr. d e r é c o m p e n s e . Je vous prie donc, Monseigneur, de m'envoyer quelques objets d'Europe, pour lui témoigner m a r e c o n n a i s s a n c e ainsi qu'à toute sa famille « Agréez, etc. « TITAUD, M i s s . A p o s t . » « P o s t - s c r i p t u m d e Mgr R e t o r d . — « Quelques j o u r s a p r è s , ce payen est revenu avec sa famille voir M. Titaud. D a n s cette visite, la femme lui a raconté u n songe


300, qu'elle avait eu peu d'instants a v a n t l'arrivée du Mission­ n a i r e . « Grand P è r e , lui a-t-elle d i t , le j o u r où vous « êtes e n t r é chez n o u s a été pour notre maison « le j o u r d'un g r a n d b o n h e u r . Un peu avant votre « v e n u e , lorsque le j o u r commençait à p o i n d r e , j'étais » encore e n d o r m i e , et j e voyais en songe j e n e sais « quoi de b r i l l a n t , qui éclairait tout l'intérieur de notre « habitation. En m ê m e t e m p s , au-dessus du toit j ' e n « tendais c o m m e u n éclatant c o n c e r t ; on eût dit les « transports d ' u n e fête dont le ciel m'envoyait les joyeux « échos. Dans l'illusion d e m o n r ê v e , j e craignis q u e « le feu n'eût pris à la m a i s o n , et l'effort q u e j e fis pour « appeler au secours m e réveilla. J e m e levai aussitôt, « et j'allai conter à m a belle-fille ce qui m'était arrivé : « Ce s o n g e , lui dis-je, nous a n n o n c e a s s u r é m e n t quel« que g r a n d b o n h e u r . A peine achevais-je ces m o t s , « q u e vous entrâtes. Le b o n h e u r q u e j ' a v a i s rêvé n e « s'était pas fait attendre l o n g t e m p s » . « Ne dirait-on pas q u e la P r o v i d e n c e , en forçant M . T i b a u d à se réfugier chez cette famille p a y e n n e , n e voulait q u e fournir à ces braves gens l'occasion de c o n n a î t r e la Religion et de devenir chrétiens ? Nous avons déjà quelques raisons de croire q u e leur p r o c h a i n e con­ version sera le b o n h e u r si merveilleusement a n n o n c é en songe à la maîtresse du logis hospitalier,


301

MISSIONS DES ÉTATS-UNIS. DIOCÈSE DE D U B U Q U E ,

E x t r a i t d'une lettre de M. Belcourt, Missionnaire A p o s t o ­ l i q u e , à Mgr L o r a s , E v ê q u e d e D u b u q u e .

Minesota, 1 6 février 1 8 5 0 ,

« MONSEIGNEUR,

« J e vous ai promis, d a n s u n e de m e s d e r n i è r e s let­ tres, de vous adresser le j o u r n a l de la chasse q u e font nos Métis aux bisons ; il est t e m p s que j e m ' a c q u i t t e de cette dette, puisqu'il y a près d ' u n a n q u e n o u s som­ mes d e retour. Quoique ce r a p p o r t s e m b l e assez étran­ ger à u n e œ u v r e de Mission, j ' e s p è r e qu'il n e vous sera pas tout à fait indifférent, m ê m e au point d e vue religieux. « La d e r n i è r e chasse d'été avait été pitoyable. Après u n e m a r c h e très-longue, par u n e t e m p é r a t u r e excessi­ v e m e n t c h a u d e , la c a r a v a n e était r e v e n u e p r e s q u e à vide, et le peu de provisions qu'elle apportait était de m a u v a i s e qualité. Cet insuccès était d û plutôt à l'ab-


302 sence d'union parmi les chasseurs qu'à la r a r e t é des a n i m a u x . Aussi plusieurs Métis étaient découragés. C e p e n d a n t ils reprirent confiance en a p p r e n a n t q u ' u n prêtre devait les a c c o m p a g n e r d a n s cette expédition. L'espérance d'un meilleur sort lit hâter les préparatifs, et l'on se mit en m a r c h e , les u n s après les autres, j u s ­ q u ' a u 9 septembre. J e partis le dernier. Le rendezvous était m a r q u é sur la rivière P i m b i n a , à u n e j o u r ­ n é e de sa jonction avec la rivière Rouge. « Du s o m m e t d'une colline qui s'élève à plus de deux cents pieds au-dessus du niveau de la rivière, j e découvris le c a m p , composé de soixante loges environ. 11 était placé a u milieu de prairies clans lesquelles pais­ saient environ trois cents chevaux et plus de cent bœufs. Au loin de j e u n e s chasseurs, suivant les détours de la P i m b i n a , revenaient chargés de gibier, tandis q u e , d'un autre côté, des enfants r e t o u r n a i e n t à la sta­ tion, ployant sous le poids de l e u r p ê c h e . Les charret­ tes se croisaient en tous sens, t r a n s p o r t a n t du bois de chauffage, des essieux de réserve, des perches pour dresser les tentes et former les grils. C o m m e nous al­ lions quitter les forêts p o u r nous l a n c e r sur u n e prairie i m m e n s e et n u e c o m m e la mer, il fallait se pourvoir de tous ces objets. « Le 14, p a r u n temps c h a u d , nous levâmes le c a m p pour gravir la côte qui se dressait devant n o u s . De la nous aperçûmes, c o m m e l'Océan avec ses vagues, cette prairie sans bornes, avec ses collines et ses vallons se succédant d a n s u n e uniformité constante j u s q u ' a u Mis­ souri, j u s q u ' a u x Montagnes-Rocheuses. « Il nous fallait ici d é t e r m i n e r vers quel point de l'horizon n o u s devions nous diriger. Voyant q u e les chasseurs de la rivière Rouge n e s'étaient pas r é u n i s à notre expédition, nous c r û m e s de notre devoir de ne


303 point longer leur m o n t a g n e , de peur de leur nuire en faisant lever les bisons devant eux. D'un autre c ô t é , nous savions qu'un certain n o m b r e de Métis avaient établi leurs quartiers d'hiver sur la Rivière à la Souris ; en conséquence nous n'avions point d e chance favora­ ble en m a r c h a n t sur leurs brisées. On décida donc qu'il fallait p r e n d r e une direction mitoyenne, et l'iti­ néraire fut tracé par le Lac des Branches, la Butte des Trous, à la

le Lac Chayenne,

du Diable, le Lac

la Petite

Fourche

du Bois-Blanc

de la

Rivière

et la Maison

du

Chien. Ce projet soumis à l'acceptation publique et les guides n o m m é s , on se mit en m a r c h e . « Tandis que les charrettes, au n o m b r e de deux cent treize, s'avançaient sur trois c o l o n n e s , traînées les unes par des bœufs, les autres p a r des chevaux, nos cavaliers se dispersaient dans toutes les directions et disparaissaient d a n s la solitude, pour ne revenir que le soir au lieu indiqué d'avance pour le c a m p e m e n t . Comme d'habiles marins, ces enfants des prairies c h e ­ m i n e n t des j o u r n é e s entières à travers des coteaux et des vallons qui, à l'œil de l'étranger, n'offrent rien de distinctif, et ils arrivent le soir, quelquefois m ê m e au milieu des ténèbres, précisément a u point désigné. « Nous campâmes de b o n n e h e u r e , attendant avec impatience le rapport des éclaircurs. Le premier qui p a r u t n'avait point vu de bisons; m a i s , en revanche, il apportait deux grues, dont l'une mesurait huit pieds et trois pouces d'envergure Cet oiseau dont la chair est de mauvais goût, a b o n d e d a n s celle partie du pays ; il se nourrit de racines qu'il déterre et qu'il arrache avec son bec. Blessé, il devient u n redoutable adversaire ; alors, portant la tête à la h a u t e u r d ' u n h o m m e , il poursuit quelquefois le chasseur et s'efforce de lui crever les yeux, 11 est arrivé que de j e u n e s sauvages


304 ont eu le ventre percé et les intestins dévorés par cet oiseau furieux. « A l'entrée de la n u i t , c h a c u n était de r e t o u r , à l'exception de deux h o m m e s . L ' o n avait r e m a r q u é des traces d e gibier toutes fraîches. Vers dix heures du m a t i n , les deux j e u n e s chasseurs qui avaient découché revinrent avec leur charge de bisons A tous ces indices, il était évident que nous allions bientôt atteindre les t r o u p e a u x . « Je m e joignis aux chasseurs, q u i faisaient éclater la joie la plus vive et la plus b r u y a n t e . Nous avions à peine c h e m i n é p e n d a n t u n e d e m i - h e u r e , q u e nous aperçûmes u n e b a n d e de bœufs. O n les reconnaît de fort loin , à leur m a n i è r e de se tenir b e a u c o u p plus éloignés les u n s des autres que n e le font les vaches. Nous avancions au petit galop, et n o u s en étions à sept ou huit arpents, qu'ils paissaient encore en toute sécu­ rité. Alors nous mimes nos chevaux au pas ; car, si l'on y va doucement, ils n e fuyent que lorsqu'on est s u r eux. « Toutefois, peu soucieux de notre visite, ils don­ n a i e n t des m a r q u e s visibles de l e u r mauvaise h u m e u r . Les u n s , de leurs pattes de devant, l a n ç a i e n t des tour­ billons de poussière ; d'autres se roulaient sur la terre comme les chevaux, puis, avec l'agilité d ' u n lièvre, se relevaient tout d ' u n b o n d . Quelques-uns, plus soigneux de leur gravité, nous r e g a r d a i e n t d'un œil fixe, laissant échapper par intervalle u n b e u g l e m e n t sourd et com­ p r i m é ; les m o u v e m e n t s saccadés de leur q u e u e n o u s montraient cependant q u e notre présence n e leur était pas plus agréable qu'à leurs c o m p a g n o n s . « Enfin le signal est d o n n é , n o u s lançons nos che­ vaux, et devant nous fuient avec légèreté ces épaisses et lourdes masses Plusieurs sont renversés d u premier


305 coup ; d'autres se sentant mortellement blessés, s'arrê­ tent furieux, déchirant la terre et la frappant des deux pieds de devant, comme des béliers. Sous u n e touffe serrée de poils, leurs yeux étincellent de rage, et aver­ tissent les plus intrépides chasseurs de se tenir à u n e distance respectueuse. « Cette course, qui d u r a u n q u a r t d ' h e u r e , était à peine finie, qu'on aperçut u n nuage de poussière qui s'élevait au sommet d'une colline, à plusieurs milles de n o u s . Je n'avais pas eu le temps d'en d e m a n d e r la cause, que chacun avait sauté sur son coursier et criait en galopant : la vache ! la vache! On n e prit pas m ê m e le temps d'arracher la langue à u n e dizaine de gros bœufs restés sur le terrain. Bientôt tous les cava­ liers étaient sur la h a u t e u r d'où était parti le signal. « Arrivé sur les lieux, j e m'imaginais voir de près ce qu'on m ' a n n o n ç a i t avec tant d'assurance ; mais, à m a g r a n d e surprise, de quelque côté que se dirigeas­ sent mes regards, j e n'apercevais rien. Enfin l'on m e fit r e m a r q u e r , à u n e distance de dix à douze milles, des points qui, par le mirage, paraissaient être des ar­ bres ; c'était là ce q u e nos chasseurs reconnaissaient être, non pas des arbres, ni m ê m e des bœufs, mais des vaches. « Nous étions alors réunis au n o m b r e de c i n q u a n t e c i n q . Les chevaux semblaient partager la joie et l'ar­ d e u r de leurs maîtres. Modérer l'àpreté du coursier était chose difficile; mais modérer celle du cavalier l'était bien davantage. Le g r a n d point, si l'on veut réussir d a n s cette chasse, c'est d'avancer fort doucement j u s ­ qu'à u n e distance d'environ deux portées de fusil. Si, c o m m e cela arrive, lorsque les chasseurs n'ont personne p o u r les diriger, les meilleures m o n t u r e s sont lancées d e loin, les plus faibles ne peuvent plus atteindre leur том. х х ш , 137, 16,


306 proie ; de là naissent les querelles, les h a i n e s et toutes leurs suites. « L'instinct des bisons les porte à se grouper en m a s s e lorsqu'ils sont attaqués. Les bœufs qui sont éloi­ gnés des vaches se r é u n i s s e n t d'abord, puis fuient en­ s e m b l e devant les chevaux j u s q u ' à ce qu'ils rejoignent les vaches ; celles-ci se r a s s e m b l e n t à l e u r tour, et fuient devant les premiers, mais avec b e a u c o u p plus de vitesse. P o u r les atteindre, il faut d o n c traverser l'épaisse p h a l a n g e formée p a r les bœufs, et c'est là qu'est le péril. Voici u n fait qui vient à l ' a p p u i . P e n ­ d a n t la chasse de l'été d e r n i e r , u n S a u v a g e , jeté loin de son cheval q u ' u n bœuf avait renversé, fut, p e n d a n t près d'un q u a r t d ' h e u r e , le jouet d'un de ces a n i m a u x furieux; tout en fuyant à la course, il lançait et relan­ çait le m a l h e u r e u x c h a s s e u r à q u i n z e ou vingt pieds en l'air, le r a t t r a p a n t toujours sur ses cornes. P o u r don­ n e r u n e faible idée de la force prodigieuse de ces ani­ m a u x , il suffit de dire q u ' u n d'eux, venant à travers la file de nos charrettes, se porta sur u n e , et, d'un coup de corne, la fit pirouetter d e u x ou trois fois, bien qu'elle fût traînée par u n cheval, et qu'elle portât u n e charge de plus de mille livres. « Un autre d a n g e r , qui n'est pas m o i n d r e , est celui d e se trouver d a n s la direction des b a l l e s ; lancées de tout côté, elles sifflent d ' u n e m a n i è r e effrayante au m i ­ lieu de tourbillons de poussière qui n e permettent pas de se voir à dix p a s . Par b o n h e u r , a u c u n d e ces acci­ dents si c o m m u n s n'a attristé notre voyage. L'on peut croire q u ' e n face de tous ces d a n g e r s , le c h a s s e u r n e p e u t se défendre d ' u n e certaine émotion, qui est assez vive pour se peindre sur sa figure. « La rapidité avec laquelle nos cavaliers d é c h a r g e n t l e u r fusil est é t o n n a n t e ; il n'est pas rare de voir trois


307 bisons abattus par le m ê m e chasseur d a n s l'espace d'environ u n a r p e n t . Quelques-uns m ê m e ont tiré j u s ­ qu'à cinq coups p e n d a n t q u e leur cheval parcourait cette distance à la course. Voici l e u r m a n i è r e de c h a r ­ ger : le premier coup seul est b o u r r é ; pour les s u i ­ vants, ils amorcent, versent la poudre, puis ayant la b o u c h e pleine d e balles, ils en laissent tomber u n e d a n s le fusil ; la salive l'y fait a d h é r e r à la poudre a u fond du c a n o n . P e n d a n t celte m a n œ u v r e le coursier est a b a n d o n n é à lui-même ; mais il est si bien dresse, q u e lorsque son maître se penche d'un côté ou d ' u n autre, il le comprend et obéit à l'instant. « Après la première course, qui d u r a environ u n e de­ mi-heure, j e comptai cent soixante-neuf vaches abattues. Nous campâmes près de ce lieu. Le l e n d e m a i n , d a n s u n e nouvelle c o u r s e , on e n tua cent soixante-dix-sept. Le troisième jour, plusieurs cavaliers se r e p o s è r e n t ; ceux qui c o u r u r e n t de nouveau e n r a p p o r t è r e n t c e n t quatorze au c a m p ; le quatrième j o u r en ajouta cent soixante-huit; en tout, c'était six cent vingt-huit vaches immolées. O n serait porté à croire que déjà nous de­ vions avoir u n e charge suffisante p o u r nos deux cent treize c h a r r e t t e s ; nous étions n é a n m o i n s encore bien loin de c o m p t e ; car u n e g r a n d e q u a n t i t é de cette vian­ de est perdue. Après avoir prélevé les morceaux d e choix, on a b a n d o n n e le reste sur place ; c'est l'héritage et la pâture des loups. « Les q u a d r u p è d e s de ces prairies sont le bison ; le cabris, espèce de g a z e l l e ; le c h e v r e u i l , le petit chien de prairie, qui tient du r e n a r d ; le blaireau ; le lièvre, différent de celui des bois qu'il surpasse en g r a n d e u r et eu agilité; le rat, semblable à l'écureuil et d'une fé­ condité prodigieuse ; le loup, en n o m b r e i m m e n s e , et d o n t les h u r l e m e n t s e m p ê c h e n t de dormir ceux qui n'y


308 sont pas accoutumés ; enfin, l'ours b l a n c , d e v e n u trèsr a r e ; u n seul individu de cette espèce a été vu cette a n n é e au l a c du Bois-Blanc, sans q u ' o n ait pu le t u e r . « T a n d i s q u e n o u s longions le Lac du Diable, n a p p e d'eau d'environ dix milles d e long s u r deux de large, quelques cavaliers poursuivirent u n e petite b a n d e de v a c h e s . L ' u n d'eux, é t a n t t o m b é de sa m o n t u r e , n e put rejoindre son cheval, qui c o n t i n u a l e s t e m e n t la pour­ suite comme s'il eût d û faire g r a n d ravage clans le trou­ p e a u , t a n t ces a n i m a u x ont de passion pour la chasse. Voici u n trait d'un a u t r e coursier p l u s intelligent. Son m a î t r e , a y a n t plusieurs c h e v a u x , laissa celui-ci au c a m p p o u r qu'il se reposât, et, en s'éloignant, il r e c o m m a n ­ da à sa femme d e l'attacher, ce q u i n e fut point fait. S'apercevant qu'on était parti s a n s l u i , le cheval galopa après n o u s , n o u s rejoignit a u m o m e n t de la course, s'élança d a n s la m ê l é e , c o m m e s'il eût senti le fouet ; puis, suivant la v a c h e d a n s tous ses détours, il semblait a t t e n d r e qu'elle t o m b â t . La course finie, il s'en revint h e n n i s s a n t a u p r è s de son m a î t r e , qu'il sut bien retrouver, quoique les chasseurs fussent dispersés çà et là s u r u n e é t e n d u e de plusieurs milles. Q u a n d on c h a n g e de c a m p e m e n t , les loges se trouvent d r e s ­ sées d a n s des positions si différentes, q u ' u n h o m m e cherche quelquefois longtemps a v a n t de retrouver son g î t e ; m a i s le cheval, quoiqu'il ait été laissé libre à q u e l q u e distance, revient à l'heure m a r q u é e ; il va droit à la loge de son maître, et, frappant la porte du pied, il d e m a n d e impérieusement le prix de la j o u r n é e , c'està-dire sa m e s u r e d'orge. « Le 2 5 , n o u s c a m p â m e s sur la rivière Chayenne, la b r a n c h e la plus longue de la rivière Rouge ; n o u s y vîmes d ' i m m e n s e s troupeaux de vaches. Sur u n espace d'environ u n arpent carré, j e comptai deux cent vingt


309 de ces animaux ; or, les bords de cette rivière étaient ainsi couverts à perte de vue, cl d a n s toutes les direc­ tions. Qu'on j u g e m a i n t e n a n t , s'il est possible, de la richesse de ces prairies. N'est-il pas déplorable que la m a i n généreuse qui, depuis si longtemps, distribue le p a i n quotidien à t a n t de peuples, n ' e n soit pas encore c o n n u e ? Les Métis chrétiens n e sont rien, comparés à t a n t de nations qui se nourrissent exclusivement d u produit de la chasse. « C o m m e j ' a c c o m p a g n a i s p r e s q u e toujours les chas­ seurs lorsqu'ils quittaient le c a m p , j e fus témoin d e leur situation périlleuse, d a n s la p r e m i è r e course qu'ils fournirent sur ce t e r r a i n . S'étant m i s à la poursuite d ' u n e n o m b r e u s e b a n d e de vaches, ils en étaient a u plus fort de la lutte et lancés à toute vitesse, lorsqu'ils arrivèrent p ê l e - m ê l e avec ces a n i m a u x sur le b o r d d ' u n e côte escarpée, où c u l b u t è r e n t et r o u l è r e n t ensem­ b l e , vaches, chevaux, cavaliers, d a n s u n e telle confu­ sion, qu'on n e peut s'expliquer c o m m e n t a u c u n d'eux n e resta m o r t sur le coup, assommé contre les pierres ou écrasé p a r la chute de ceux qui suivaient. Un seul h o m m e perdit c o n n a i s s a n c e , et se r e m i t b i e n t ô t ; d e u x ou trois chevaux s'en tirèrent en b o i t a n t , et q u e l q u e s v a c h e s c u r e n t les j a m b e s cassées. Les cavaliers désar­ ç o n n é s se relevèrent en poussant des cris d e joie p o u r rassurer leurs c o m p a g n o n s , et se r e m i r e n t à la pour­ suite, faisant claquer le fouet à qui mieux mieux, afin d e r é p a r e r le t e m p s p e r d u ; car, c o m m e o n peut le penser, le gibier n ' a t t e n d a i t pas. Q u a n d j e m e fus as­ s u r é qu'il n'était rien arrivé de fâcheux, j e continuai à suivre, jusqu'à ce q u ' é t a n t parvenu à u n e p l a i n e u n i e , j e m ' é l a n ç a i p a r m i les chasseurs, et abattis u n e v a c h e . J e m ' e n tins là, quoique j e m e sentisse tenté d'aller p l u s loin ; m a i s pour u n e fantaisie j e n e devais pas m'exposer au d a n g e r et au b l â m e .


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« Un chasseur, au retour d e cette course, a y a n t suivi la petite rivière d a n s ses détours, avait r e m a r q u é des traces laissées p a r le castor. Le l e n d e m a i n , il tendit des pièges et en prit c i n q . J'allai m o i - m ê m e voir l e u r chaus­ sée, ouvrage v r a i m e n t a d m i r a b l e . E n cet endroit, il n e pousse q u e de petits saules d e la grosseur d ' u n doigt, à peine ; et c e p e n d a n t cette c h a u s s é e est si solide qu'elle sert d e pont au bison ; j e p u s avec facilité passer dessus q u o i q u e à cheval. « Depuis plusieurs jours le c a m p était clans u n e di­ sette entière de bois, la provision q u e n o u s en avions faite à P i m b i n a é t a n t épuisée. E n c o n s é q u e n c e , n o u s fûmes obligés de quitter ce lieu p o u r n o u s r e n d r e a u x îles d u Bois-Blanc, c'est-à-dire a u x b o u q u e t s d e bois q u i e n v i r o n n e n t ce petit lac. « Ce site est des plus pittoresques ; il offre les p o i n t s d e vue les plus beaux et les p l u s variés. Le lac, q u i n'est q u ' u n bassin e n t o u r é d e h a u t e s collines, r e n f e r m e u n e e a u t r è s - s a l é e ; m a i s il est e n v i r o n n é d e sources d'eau douce assez a b o n d a n t e s . Les pentes d e s m o n t a ­ gnes sont boisées et forment a u t o u r d u lac u n e verte c e i n t u r e . De l e u r s o m m e t , o n aperçoit, à u n e petite distance, la M a i s o n d u C h i e n , p l a t e a u élevé qui sert de vedette a u x Sioux, p o u r r e c o n n a î t r e a u loin l e u r s e n n e m i s . D ' u n a u t r e côté se d e s s i n e n t les h a u t e u r s a p ­ pelées Grands-Canaux ; elles se p r o l o n g e n t le long d u Missouri, sur u n e ligne p a r a l l è l e a u x Montagnes-Ro­ cheuses. « Arrivés d a n s ce c a m p e m e n t , le 2 octobre, n o u s y d e m e u r â m e s j u s q u ' a u 1 6 , a y a n t s a n s cesse a u t o u r d e n o u s les troupeaux de bisons. Le 1 0 , il y e u t u n e forte c h u t e de neige ; le t h e r m o m è t r e descendit à 5° a u - d e s ­ sous de zéro ; la glace devint solide s u r le l a c . N é a n ­ m o i n s le froid n e retardait e n r i e n n o s t r a v a u x ; a u


311 contraire, c h a c u n , c r a i g n a n t un hiver p r é m a t u r é , tra­ vaillait nuit et j o u r ; les plus paresseux se faisaient vio­ lence, de p e u r q u e les p l u s diligents, a y a n t complété leurs charges, n e délogeassent s a n s les a t t e n d r e . « Enfin, le 18 octobre, n o u s r e p a r t î m e s , e m p o r t a n t s u r nos voitures mille sept cent soixante-seize vaches tuées par c i n q u a n t e - c i n q chasseurs. Le tout, calculé a u t a u x le plus m o d é r é , valait u n p e u plus d e dix-sept c e n t s livres sterling. Les frais de voyage n e s'élevant g u è r e q u ' à deux c e n t s , il reste q u i n z e cents l i v r e s , g a g n é e s d a n s l'espace de deux mois. « Nous étions e n tout trois cent n e u f â m e s ; j ' a v a i s catéchisé r é g u l i è r e m e n t soixante-huit e n f a n t s ; 1 a messe s'était dite c h a q u e j o u r ; Dieu était servi et glorifie, et l ' u n i o n r é g n a i t e n t r e tous les m e m b r e s d e notre c o m ­ m u n a u t é solitaire. Deux fois le feu avait été mis à la. prairie, et c h a q u e fois u n e pluie providentielle était t o m b é e à propos pour l'éteindre. P l e i n s d e r e c o n n a i s ­ s a n c e , nos Métis s'en r e t o u r n a i e n t en r e n d a n t grâces à Dieu du b o n h e u r qu'ils avaient eu d'être a c c o m p a g n é s p a r u n de leurs pasteurs ; car c'était à son influence, qu'ils a t t r i b u a i e n t le succès de l e u r chasse. « Il est i n d u b i t a b l e q u ' u n prêtre ferait b e a u c o u p de b i e n en s u i v a n t les chasseurs, n o n - s e u l e m e n t sous le r a p p o r t m a t é r i e l , m a i s e n c o r e sous le r a p p o r t m o r a l et religieux. Sa présence préviendrait bien des désordres, il p o u r r a i t catéchiser les enfants q u i , s a n s cesse e r r a n t s sous la t e n t e , n e peuvent recevoir ailleurs l'instruction c h r é t i e n n e ; son influence s'étendrait j u s q u e sur les Sauvages, dont la conversion n'est possible q u ' e n se m ê l a n t à eux. J'en parle d'après l'expérience q u e j ' a i acquise p e n d a n t ce voyage ; tous les I n d i e n s q u e j ' a i r e n c o n t r é s , à la p r e m i è r e invitation que j e leur en ai faite, s o n t v e n u s écouter la p a r o l e de Dieu. Q u a n t à


S12 nos chrétiens, il était édifiant d e voir avec quel e m ­ pressement ils assistaient a u x catéchismes. Plusieurs ont e n t e n d u la messe tous les j o u r s ; et c h a q u e d i m a n ­ che, dix à q u i n z e d'entre e u x s'approchaient d e la sainte t a b l e . « J e dois m a i n t e n a n t parler à Votre G r a n d e u r des résultats d e m o n ministère a u p r è s des I n d i e n s . Dans les premiers j o u r s de j u i n , époque où les glaces d u lac W i n i p i k c o m m e n c e n t à se briser, j ' a v a i s gréé m o n ca­ not p o u r voyager, c o m m e d ' o r d i n a i r e , jusqu'à l'au­ t o m n e p a r m i les diverses tribus qui p e u p l e n t le désert, entre le l a c l a P l u i e et la r i v i è r e R o u g e . C'était u n e course de q u a t r e cents lieues q u e j ' a l l a i s e n t r e p r e n d r e . « Je m'étais pourvu d e r e m è d e s e n a b o n d a n c e ; m a i s la violence d e la m a l a d i e qui décimait les Sauvages, eut bientôt épuisé la provision q u e j ' a v a i s faite. Alors la mortalité fut double, et la consternation d a n s le c a m p , g é n é r a l e . Nous étions alors à u n e j o u r n é e d u Missouri ; j'invitai d o n c q u e l q u e s Métis des plus b r a v e s à m ' a c c o m p a g n e r chez q u e l q u ' u n des traitants établis «sur cette rivière, afin d'y acheter des m é d e c i n e s . Nous partîmes au n o m b r e d e six, et nous arrivâmes, vers le soir d u m ê m e j o u r , a u fort d e s M a n d a n e s et des GrosVentres, r é u n i s depuis quelques a n n é e s . Je fis aussitôt avertir leur chef q u e je désirais lui parler, et il m e fit r é p o n d r e qu'il souhaitait aussi m a visite. « Ce village i n d i e n , e n t o u r é d ' u n r e m p a r t e n pieux, se compose d e cent trente-trois loges, et m'a p a r u r e n ­ fermer plus d e deux mille â m e s . Le n o m b r e des h o m ­ mes est bien petit, c o m p a r é à celui des enfants, parce que tous les j o u r s q u e l q u ' u n d'entre e u x est s u r p r i s et m a s s a c r é p a r les Sioux, qui r ô d e n t s a n s cesse d a n s le voisinage. « Q u a n d s'ouvrit la conférence, environ c e n t hom-


313 mes, les principaux des d e u x nations, étaient r é u n i s d a n s la loge du p r e m i e r chef. Je l e u r parlai p e n d a n t près de d e u x h e u r e s , et tous écoutèrent avec u n e atten­ tion mêlée d ' a p p l a u d i s s e m e n t s . Ensuite les vieillards m e d o n n è r e n t leur réponse, après m'avoir p r é a l a b l e ­ m e n t serré la m a i n . On n e peut guère se former u n e idée de l'influence q u e la grâce exerce sur des h o m m e s qui n ' e n ont pas encore a b u s é . Vous en j u g e r e z à l e u r discours. « Nous avons toujours cru, m e dirent-ils, q u e « le soleil était le M a î t r e d e l a v i e ; m a i s toi, n o t r e père, « l u nous a n n o n c e s aujourd'hui des choses q u e nous « n'avions j a m a i s e n t e n d u e s . Q u o i q u e tu sois l e « p r e m i e r qui n o u s p a r l e ainsi, ta parole n o u s parait a si vraie, si sage, q u e n o u s en s o m m e s dès ce m o « m e n t persuadés. Nous n ' i g n o r o n s pas la supériorité « des b l a n c s sur n o u s ; c'est pourquoi q u a n d l'un « d'eux n o u s a d o n n é quelques b o n s avis, n o u s n o u s « s o m m e s efforcés de les suivre. Si d o n c tu p e u x n o u s « obtenir le b o n h e u r q u e tu n o u s fais désirer, si tu « n o u s envoies u n prêtre, n o u s lui d o n n e r o n s c h a c u n « u n cheval ; il a u r a part à toutes n o s chasses, et o n « lui fera u n généreux partage de nos récoltes. Nous « s o m m e s des insensés, ainsi q u e nos enfants et nos « femmes ; qu'on v i e n n e n o u s i n s t r u i r e , et n o u s b â t i « r o n s au milieu de n o u s u n e g r a n d e c a b a n e où n o u s « établirons notre père, p o u r qu'il n o u s a p p r e n n e à « être sages. Son e n s e i g n e m e n t sera la règle de n o t r e « conduite. » « Après ce discours v i n r e n t les présents. J e reçus, e n t r e autres gages d'amitié, u n casque de g u e r r e . Votre G r a n d e u r n e pourra s'empêcher de sourire q u a n d elle s a u r a que ce casque, o r n é d ' u n e l o n g u e q u e u e en guise de p a n a c h e et flanqué de cornes de bœuf, m e fut s o ­ l e n n e l l e m e n t posé sur la tête, en p r é s e n c e d e la n a -


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tion ma applaudissait à ma nouvelle toilette. Q u a n t à moi, je me prêtai de b o n n e grâce à cette grave c é r é ­ m o n i e ; mais j'avoue qu'il m ' a u r a i t été bien difficile de garder m o n sérieux, si q u e l q u e ami eût été témoin de ma gloire. « Je baptisai ensuite les enfants en b a s âge, a u n o m b r e de douze. J'allais procurer le m ê m e b o n h e u r à plus de deux cents autres, lorsque mes c o m p a g n o n s de voyage, voyant q u e la n u i t approchait, vinrent m'avertir qu'il fallait en profiter pour retourner vers nos chasseurs ; qu'on voyait des Sioux rôder d a n s les e n v i ­ rons ; qu'on ne pouvait leur échapper qu'à la faveur des ténèbres. Je fus donc obligé de m'éloigner de ce pauvre peuple, en lui promettant de tout faire pour se­ conder ses b o n n e s dispositions. « Superstitieux à l'excès, ces Sauvages font de cruels sacrifices, et se soumettent à d'affreuses pénitences. On en voit se taillader les bras et les cuisses, et y faire des plaies qui laissent des cicatrices de six à huit pouces de long. D'autres introduisent des lames de couteau sous la peau de leurs épaules, et après avoir passé d a n s l'ouverture des cordes, au bout desquelles sont attachés les os desséchés de sept à huit tètes de bœufs, ils traînent ces lourds fardeaux en c h a n t a n t , et tout cela pour se rendre propice le M a î t r e d e l a v i e et obtenir sa protection d a n s les combats. C'est aussi l'usage chez ce pauvre peuple, de se couper u n e p h a l a n g e des doigts à la mort de chacun de leurs enfants ou petits-enfants. J'ai vu des vieillards qui n'avaient plus q u e le pouce et l'index, auxquels il leur est défendu de toucher, à cause de la nécessité où ils sont de décocher la flèche et de défendre leurs foyers. « Hélas, Monseigneur, q u e le c œ u r saigné q u a n d on voit de ses yeux ces infortunées victimes de leurs


313 superstitions ! Que ne feraient pas pour la vérité, si elle leur était c o n n u e , des hommes disposés à de pa­ reils sacrifices ! Telle était ma compassion pour ces m a l h e u r e u x Sauvages, que j e me serais fixé au milieu d'eux avec plaisir, si j ' e n avais eu la mission. « Le commis du poste, M. Bruyères, j e u n e C a n a d i e n qui m'avait accueilli avec beaucoup de politesse, m e fit u n e part des remèdes qu'il avait à sa disposition, et j e repartis escorté d'une quinzaine de guerriers. Après avoir m a r c h é jusqu'à minuit, nous c a m p â m e s au fond d'un ravin, près d'une petite rivière, t e n a n t auprès de n o u s nos chevaux et nos armes d e crainte d'être sur­ pris par les Sioux. Au point du jour, nous remontâmes en selle, et en huit heures nous étions à la vue de notre camp. « S o u v e n t il m'arrive, e n voyageant d a n s ces prai­ ries, de r e m a r q u e r des ossements h u m a i n s mêlés à ceux des a n i m a u x sauvages, et gisant çà et là sur le sol : spectacle bien propre à faire c o m p r e n d r e au voya­ geur que sa vie est entre les m a i n s de la divine Provi­ dence ! « Nos courses d'hiver o n t u n e toute autre physiono­ mie. Au lieu de vertes prairies, c'est un océan de nei­ ge ; les charrettes sont remplacées par des traîneaux ; au pesant attelage des bœufs on substitue l'agile meute des c h i e n s , et le voyageur, de cavalier devenu p i é t o n , c h e m i n e du matin au soir m o n t é sur ses larges r a ­ quettes. « Les chiens sont attelés l'un d e v a n t l'autre, (rois par traîneau. Ce v é h i c u l e , mince et l é g e r , de seize pouces de large sur dix pieds de l o n g u e u r , porte aisément u n e charge de trois ou quatre cents livres. On se met en route au point du j o u r , et l'on marche sans s'arrê­ ter un seul instant j u s q u ' a u coucher du soleil. L'atte-


316 Lage va assez vite pour qu'il faille trotter à peu près la moitié du temps pour le suivre. Il n'est pas rare de faire ainsi vingt-cinq à trente lieues p a r jour. Si la faim se fait s e n t i r , on m â c h e u n m o r c e a u d e viande s è c h e , toujours en c o u r a n t . Q u a n t a u x c h i e n s , ils n e p r e n n e n t rien a v a n t le s o i r , lorsque la course est faite ; pour se d é s a l t é r e r , ils m a n g e n t la neige en m a r c h a n t , et souvent leurs maîtres font c o m m e eux. « Quoiqu'il m e r é p u g n e de parler de nos misères dans ces voyages, j ' e n dirai c e p e n d a n t u n mot pour les bonnes âmes de la Propagation de la F o i , qui ont droit à nos récits en échange de leurs a u m ô n e s . Q u e ne puis-je les intéresser comme elles nous assistent ! Voici donc u n épisode assez c o m m u n d a n s nos courses d'hiver. « De la Montagne de S a i n t - P a u l , j e désirais m e r e n ­ dre à la Rivière à la Souris, où se trouvait u n c a m p de Métis. Je partis d o n c avec celui de m e s conducteurs qui m'avait p a r u le plus agile. L'atmosphère était char­ gée d ' u n e épaisse b r u m e ; c e p e n d a n t à l'aide d ' u n e aiguille a i m a n t é e j ' e s p é r a i s q u e nous pourrions n o u s diriger assez juste. Mais j e m'aperçus, presque aussitôt après mon départ, q u e mon j e u n e guide s'égarait, n e voulant pas se fier au compas. 11 disait se r e c o n n a î t r e partout, et assurait qu'on allait arriver avant la nuit au but désiré. Nous m a r c h â m e s ainsi avec nos raquettes jus­ q u ' a u soleil couchant. Alors le vent s'éleva, et u n e pou. drerie (1) effrayante nous força de n o u s arrêter. Nous

(l) Un autre Missionnaire expliquant ce mot a dit : Vous connaissez le vent brûlant du désert et les sables qu'il fait tourbillonner ; mettez a la place un vent glacial et une neige extrêmement fine, qui pénètre partout, et vous aurez une u n e de la

poudrerie.


317 étions au milieu d ' u n e i m m e n s e prairie, s a n s bois, s a n s feu, sans a b r i ; nous n'avions ni bu ni m a n g é depuis notre d é p a r t ; m o n c o m p a g n o n avait m ê m e oublié ses couvertures. Il n e n o u s restait q u ' u n e r o b e de bœuf et u n e couverture pour deux. Nous fîmes u n trou d a n s la neige, et, n o u s pressant l'un contre l ' a u t r e , nous n o u s y blottîmes du mieux qu'il n o u s fût possible. E n moins de cinq m i n u t e s , u n e masse d e neige nous recouvrait, et u n e humidité froide pénétrait nos vêtements. N é a n m o i n s la fatigue s u p p l é a n t a u bienêtre, n o u s sommeillâmes un peu. Le lever était redout a b l e . Un froid vif avait succédé à la tempête, et nous sentions nos habits mouillés. C e p e n d a n t il fallait m a r cher s a n s retard. Mon avis était de rebrousser c h e m i n ; mais m o n guide ne pouvait se résoudre à la confusion qui l'attendait au retour, et il m e faisait espérer q u e n o u s étions près du t e r m e . Nous m a r c h â m e s d o n c j u s qu'à dix heures, et n o u s trouvant alors sur u n e butte très-élevée d'où l'on n'apercevait devant nous, à perte de vue, q u ' u n e m e r de neige, sans a p p a r e n c e de bois ni trace d'habitations, je réussis à le p e r s u a d e r de revenir sur nos pas. « La distance nous paraissait l o n g u e , et nos j a m b e s étaient affaiblies par le m a n q u e de n o u r r i t u r e ; de plus, u n e forte t r a n s p i r a t i o n , qui durait depuis deux jours, avait excité en n o u s u n e soif ardente, qui n o u s tourm e n t a i t encore plus q u e la faim. Mon c o m p a g n o n avait u n doigt de pied paralysé p a r le froid. Pour moi, m o n nez avait gelé et dégelé q u a t r e fois, m a l g r é tous les soins que je prenais pour le défendre. Nous m a r c h â m e s ainsi tout le j o u r avec u n e vigueur q u e soutenait l'idée du péril. Vers quatre heures de l'après-midi, u n n u a g e épais se forma r a p i d e m e n t d u côté du nord-est; la vitesse avec laquelle il s amoncelait, n o u s fit pressentir


318 le d é c h a î n e m e n t d ' u n e formidable tempête. E n effet, vers le coucher du soleil, u n e a v a l a n c h e de frimas q u i semblait rouler de la m o n t a g n e , était poussée p a r le vent avec u n e telle impétuosité, q u e les chiens, n e pouv a n t plus respirer, se blottirent d a n s la neige et refus è r e n t de m a r c h e r ; e n m ê m e temps m o n guide, se t o u r n a n t vers moi, me d é c l a r a qu'il lui était impossible d'aller plus loin. Force n o u s fut de c a m p e r sous la t o u r m e n t e . Pour cette fois il y allait de nos vies. Nous étions c o m m e noyés d a n s u n tourbillon de n e i g e . Nous n o u s c o u c h â m e s ainsi, pressés l'un contre l'autre, et essayant de n o u s réchauffer. En u n i n s t a n t n o u s étions couverts d ' u n e épaisse couche de neige, qui n o u s r e n dait tout m o u v e m e n t impossible ; celle q u i avait p é n é tré nos habits v e n a n t à fondre, u n e e a u glaciale n o u s ruisselait sur le c o r p s ; l a fatigue et la faiblesse n o u s faisaient éprouver des c r a m p e s d ' a u t a n t plus douloureuses q u e n o u s n e pouvions c h a n g e r de position; n o u s étions d a n s u n e torture i n e x p r i m a b l e . C e p e n d a n t m o n c o m p a g n o n de v o y a g e , é p u i s é , a n é a n t i , t o m b a d a n s u n e torpeur l é t h a r g i q u e , a v a n t - c o u r e u r de la m o r t . Il dormait d'un profond et effrayant s o m m e i l . « Le vent se c a l m a vers m i n u i t . J e parlai de partir, m a i s ce fut en vain. Enfin, le d a n g e r que courait m o n guide m e d o n n a u n e nouvelle é n e r g i e ; j e brisai, n o n s a n s b e a u c o u p d'efforts, la m a s s e de neige d a n s la quelle n o u s étions ensevelis, et j e le forçai de se lever avec m o i . La poudrerie avait c e s s é , m a i s u n froid de 30° R é a u m u r raidissait nos h a b i t s h u m i d e s . Nous écartons la neige qui couvrait nos c h i e n s tout attelés, n o u s mettons à profit ce qui n o u s restait de v i g u e u r ; n o u s m a r c h o n s ainsi de toutes nos forces j u s q u ' à q u a t r e h e u r e s du m a t i n , et n o u s arrivons a u c a m p d'où n o u s étions partis il y avait deux j o u r s . Depuis ce temps,


319 nous n'avions n i b u n i m a n g é . Ce q u i n o u s réjouit davantage, fut la vue d u feu. Mais m o n s a n g était t e l l e m e n t refroidi, q u e j e n ' e n p u s d'abord supporter l'effet, u n e s u e u r froide couvrit m o n front, u n étourdissem e n t m e força de sortir, et ce ne fut q u e g r a d u e l l e m e n t q u e j e p u s revenir de cet état d e m a l a i s e . « P e n d a n t tous ces d a n g e r s , j e n'avais a u c u n e i n quiétude pour m o i - m ê m e , a y a n t pris toutes les précautions q u e la p r u d e n c e d e m a n d e , a y a n t réglé les affaires de la Mission a v a n t m o n départ et fait m o n test a m e n t , laissant à m a place u n confrère pieux et zélé. D a n s l'étroite prison où j e m e trouvais p e n d a n t ces nuits rigoureuses, je n e dirai p a s les d o u c e u r s q u e j ' é prouvais d'avoir q u e l q u e chose à m ê l e r a u x souffrances du Rédempteur, h e u r e u x si le sacrifice de m a vie lui eût été agréable. « Au milieu de toutes ces miséres, il est consolant de penser q u e si le flambeau de la foi s e m b l e pâlir d a n s certaines contrées où il brilla j a d i s avec t a n t d ' é clat, sa bienfaisante l u m i è r e est reçue avec a m o u r p a r les enfants d e la solitude. En ce m o m e n t soixante Sau(euxsc p r é p a r e n t a u b a p t ê m e ; la tribu des Assiniboines appelle u n prêtre pour la disposer à la m ê m e grâce ; les Mandanes n o u s attendent toujours avec i m p a t i e n c e ; de tout côté les Sauvages se feraient chrétiens, si n o u s avions les moyens d'aller les visiter et les instruire. « J e regrette, Monseigneur, de m e voir, faute d e temps, obligé de vous envoyer ce r a p p o r t avec toutes ses l a c u n e s et ses imperfections. Mais j e m e repose s u r votre i n d u l g e n c e , et j ' e s p è r e que vous voudrez bien agréer les sentiments de respect et d'affection avec lesquels j ' a i l ' h o n n e u r d'être, etc. « J . A , BELCOURT, Mm, Apost. »


320

MISSIONS DE L'OCÉANIE.

Extrait d'une lettre de M. Fonbonne, prêtre de la Société de Marie, à M. Marcel, Curé de Fourneau (diosèse de Lyon ) .

De Taïti, le 28 mars

1850.

« MON BIEN CHER CURÉ,

« Vous vous souvenez q u e , le d i m a n c h e 15 j u i l l e t , q u a t r e pauvres Missionnaires de la Société de Marie, accompagnés de deux catéchistes, d'un prêtre de P i c p u s , avec q u e l q u e s frères et cinq religieuses de la m ê m e Congrégation, s ' e m b a r q u a i e n t sur le Paquebot des mers du Sud, les religieuses à la destination de Lim a , les Picpuciens à celle de V a l p a r a i s o , et nous pour les Missions de l'Océanie. « Vers q u a t r e h e u r e s , p e n d a n t q u e n o u s n o u s r é u nissions à bord, u n e foule n o m b r e u s e , attirée p a r la


321 nouvelle du d é p a r t , avait envahi la jetée : Mgr de Calcédoine était e n avant. Au m o m e n t où le navire déploya toutes ses voiles, n o u s e n t o n n â m e s joyeusement l ' h y m n e à l'Etoile de la mer : Ave, maris Stella. Alors on put juger d e l'impression de ce spectacle s u r la multitude, dont les gestes s a l u a i e n t et encourageaient cette colonie de pauvres prêtres et d ' h u m b l e s religieuses, qui s'en allaient au bout du m o n d e porter à la b a r b a r i e la l u m i è r e et la charité de l'Evangile. E n term i n a n t la prière, n o u s tombâmes à genoux sous la m a i n d u Pontife qui, les yeux mouillés de l a r m e s , allait n o u s bénir u n e d e r n i è r e fois. Une brise favorable nous poussait r a p i d e m e n t sur u n e m e r parfaitement belle, et déjà n o u s n'apercevions plus q u e c o m m e u n point cette foule qui e n c o m b r a i t encore la jetée, lorsque j ' e u s la pensée d'y chercher, à l'aide d ' u n e longue-vue, quelques personnes amies qui nous avaient a c c o m p a gnés. Nous vîmes alors distinctement le saint E v ê q u e , debout à la m ê m e p l a c e ; ses yeux, sans doute, ne pouvaient plus n o u s distinguer, m a i s il étendait encore la m a i n pour n o u s b é n i r . . . Il avait compris q u e nous avions besoin d'emporter, pour dernier souvenir de France, une bénédiction. « Depuis ce m o m e n t , nous tâchâmes de ne plus regarder en arrière, et de chercher désormais d a n s la prière et vers le c i e l , où se portèrent nos regards, les consolations de l'absence qui c o m m e n ç a i t et q u i brisait les derniers liens de nos affections sur la t e r r e . « Quelques-uns de nos exercices à bord renouvellent pour n o u s , tous les jours, u n genre d'intérêt particulier, c'est le c h a n t de l'Ave, maris Stella, le m a t i n ; et, le soir, avant la prière c o m m u n e , le Salve, Regina : h y m n e s mélancoliques qui redisent si bien les gémis s e m e n t s du voyageur, les soupirs de l'exilé e n t o u r é d'é-


322 cueils et de naufrages, vers cette autre patrie où il aspire avec ardeur, .le ne c o n n a i s rien de plus t o u c h a n t q u e la voix de cctîe prière, q u a n d , le soir, vous avez u n magnifique ciel étoile sur votre tête, q u ' u n silence absolu règne d a n s l'immensité, et que vous n'entendez q u e le frémissement de la vague ou son clapotement le long des flancs du navire. Que de fois j e me suis senti é m u , lorsqu'à cette h e u r e où u n e demi-obscurité a m e n a i t le recueillement a u t o u r de nous, j ' e n t e n d a i s quelques voix douces et pieuses e n t o n n e r : Ce bas séjour n'est qu'un pèlerinage ! « Quelquefois, la rêverie où vous vous laissez aller, à ces douées heures du soir, est i n t e r r o m p u e p a r le phénomène curieux q u e présente, e n t r e les tropiques, la phosphorescence de la mer, ces feux singuliers qui m i r o i t e n t , qui serpentent, qui éclatent en n a p p e s immenses, qui s'épanouissent en gerbes l u m i n e u s e s , qui vous font croire à des m y r i a d e s d'étoiles ou de diam a n t s , ruisselant d a n s le sillage du navire. Vous vous surprenez à les regarder, des h e u r e s entières, s'allonger sur la mer ou passer e n étincelant sous vos yeux. « Depuis la h a u t e u r de Buenos-Ayres, voici des oiseaux de mer qui se c h a r g e n t de vous faire escorte jusqu'au-delà du Cap, t o u r n o y a n t sans cesse a u t o u r du navire, sans que, par a u c u n m o y e n , vous les puissiez écarter. Bien n'est plus facile q u e de les p r e n d r e à l'hameçon, à cause d e leur incroyable g l o u t o n n e r i e . Alors, chargez-les de b a n d e r o l l e s , attachez-les p a r deux ou trois e n s e m b l e , vous les reverrez quelquefois des semaines entières, toujours obstinés à vous suivre, ou plutôt, a t t e n d a n t q u e vous leur jetiez q u e l q u e proie. Le plus r e m a r q u a b l e est le Pétrel (polit Pierre, p a r allusion à s a i n t Pierre m a r c h a n t sur les flots). Cet o i seau, de la grosseur d'un pigeon, doit son n o m à la


323 faculté qu'il a de courir à la surface de l'eau, sur laquelle ses pieds palmés trouvent, pour u n m o m e n t , u n point d'appui suffisant. Rien n'est plus étrange d'abord que de le voir fuir d a n s le sillon qui sépare deux vagues, comme u n e perdrix qui court d a n s u n vallon. Avant l'orage, on le voit s'élever à perte de vue pour chercher son abri, ce qui l'a fait r a n g e r p a r m i les oiseaux des tempêtes. « 15 a o û t . — Un mot sur la fête de l'Assomptionh bord. — Il faut s'être trouvé, un jour de fête, à mille lieues sur l'immensité de l'Océan; il faut avoir vu u n intérieur de navire c h a n g é tout à coup en un petit temple, p a r é , tapissé de tous ses pavillons, et l'autel o r n é de tous les objets q u e l'on a pu combiner, a r r a n g e r , transformer pour la c i r c o n s t a n c e ; il faut avoir e n t e n d u là ces chants religieux qui ne sont écoutés q u e du ciel; il faut avoir vu ces matelots qui, le m a t i n , se sont approchés de la sainte table à la suite d u capitaine et des officiers, et qui, le soir aux vêpres, reviennent, c o u verts de leur cape cirée et le chapeau g o u d r o n n é à la m a i n , s'agenouiller au pied de l'autel, tout en prêtant l'oreille à quelque bruit lointain qui semble présager u n orage; il faut avoir e n t e n d u le fracas de cet orage éclatant sur nos tètes, et ses sifflements d a n s les cordages se mêler à l ' h u m b l e concert d e voix qui c h a n tent, sur l'abîme, les g r a n d e u r s de Dieu et les l o u a n ges de Marie : il faut avoir été là témoin de ces tableaux à la fois touchants et sublimes, pour en pouvoir apprécier la b e a u t é . Telle se passa notre fête de l'Assomption. Nous étions alors d a n s ces parages de l'Equateur que le m a r i n appelle le pot-au-noir, h cause de la b r u m e épaisse et des orages qui s'y r é s o l vent sans cesse en pluies de cataractes. « Devant Rio-Janeiro,

14 septembre, — Il est sept


324 h e u r e s du soir : les passagers q u e la b r u m e , toujours épaisse et h u m i d e , avait rassemblés d a n s la c h a m b r e , se portent confusément sur la d u n e t t e d'où parait s'élever u n e sorte de r u m e u r . Allons savoir quel é v é n e m e n t y d o n n e l i e u . . . C'est u n gentil colibri qui vient de s'abattre, tout épuisé, sur les cordages du n a v i r e . Un oiseau de la grosseur d'un bouton de rose, c o m m e tout le m o n d e en a déjà vu sans d o u t e , et qui vient m o u r i r sur notre m a i n , gracieuse pétale e m p o r t é e par la brise qui l'a a r r a c h é e , en p a s s a n t , à q u e l q u e pauvre fleur. Voilà qui n'a pas g r a n d e i m p o r t a n c e en soi-même ; mais, vu la circonstance, ce petit incident p r e n d pour nous l'intérêt d'un é v é n e m e n t . La terre est donc là tout proche, puisque ce gracieux messager n o u s en apporte la n o u velle. « Cette terre si a t t e n d u e , et qui, encore hier, se cachait obstinément sous u n voile d'épais brouillards, la voici, là devant nous, qui resplendit sous u n ciel i n o n d é d e l u m i è r e . Ce q u e n o u s en apercevons est u n e e n ceinte de m o n t a g n e s détachées d e la m a s s e , et qui s'avancent d a n s la m e r en s'arrondissant c o m m e deux b r a s immenses pour former la belle rade de Rio. Celle d e g a u c h e présente des formes si singulières, qu'elle attire tous les r e g a r d s ; et les m o i n s enthousiastes se récrient en reconnaissant, d a n s ces lignes b i z a r r e m e n t tracées sur le bleu du ciel, l'image grandiose d'un de ces chevaliers g é a n t s q u e le ciseau a e n d o r m i s pieusem e n t et les deux m a i n s jointes, sur leur t o m b e a u de m a r b r e . Plus l o i n , sur u n ciel é b l o u i s s a n t , d'autres m o n t a g n e s gigantesques s'élancent en jets, m o n t e n t e n c o u r b a n t le dos, s'aiguisent en pics ou s'étalent en p l a t e a u x i m m e n s e s , vagues o n d u l a n t e s d'un a u t r e Océan de m o n t a g n e s q u e la vue suit avec effort. — C'est u n e j o u r n é e réellement délicieuse que celle q u e nous


325 avons passée à interroger les premières b e a u t é s de eette nouvelle n a t u r e , dont n o u s aspirions les suaves exhalaisons. Il est vrai que le m o m e n t semblait admirab l e m e n t choisi, au point de vue du peintre ou du poêle. Le feuillage des cocotiers, l é g è r e m e n t agité par la brise du soir, se balançait comme u n p a n a c h e gracieux d a n s les rayons m o u r a n t s du soleil. P l u s loin, l'île d u P h a r e s'élevait comme u n e sombre pyramide ; le porte-voix du g a r d e - p o r t nous hélait e n t r e les e m b r a s u r e s d'un fort a v a n c é ; et, d a n s u n pourtour i m m e n s e , à l'ombre de tous ces arbres dont le n o m sera toujours à c e r t a i nes imaginations u n parfum ou u n e h a r m o n i e , u n e longue ceinture de maisons b l a n c h e s paraissait, aux extrémités de cet i m m e n s e lac d'azur, sortir d ' u n e large et b r i l l a n t e ligne d'écume q u e les brisants r e n o u v e l lent é t e r n e l l e m e n t sur la grève. P l u s de cent n a v i res, à l'ancre autour de n o u s , qui se m i r e n t d a n s u n e m e r immobile ; de n o m b r e u x caboteurs qui courent de cap en cap, et v i e n n e n t approvisionner les m a r c h é s de Rio de toutes les productions du Brésil; le m o u v e m e n t du port où vont et v i e n n e n t u n e foule de noirs à deminus ; leurs canots faits de troncs d'arbres creusés, aussi légers que l'écume des flots, qui s i l l o n n e n t en tous sens la surface tranquille de la rade ; le mugissement de la vague qui déferle derrière nous aux falaises, tout cela r é p a n d u n e animation pleine de gaîté sur le la» bleau dont nous occupons u n point. « Voyez sur cette h a u t e u r qui d o m i n e la ville et la rade, eette. église, la plus h u m b l e , s a n s doute, mais intéressante et silencieuse c o m m e u n e précieuse relique oubliée : c'est le premier m o n u m e n t de leur foi q u e les Portugais ont élevé autrefois sur cette terre n o u v e l l e m e n t conquise. Ce m o n u m e n t est pauvre et modeste c o m m e les religieux capucins qui l'ont rouvert et qui


326 le desservent depuis quelques a n n é e s ; mais vous y trouverez toujours, quoique en petit n o m b r e , des fidèles qui savent a d m i r a b l e m e n t justifier leur foi par les œuvres. Cette église est encore toute parée de vieilles pierres sépulcrales. Souvent nous allons lui d e m a n d e r les traditions des temps anciens, c h e r c h a n t à en e x traire les actes glorieux et les leçons utiles. « Pauvres catholiques de Rio ! ce sont les ombres de vos pères que nous évoquons l à ; ce sont vos aïeux q u e nous a l lons réveiller de leur sommeil et q u e nous dépouillons respectueusement de leurs suaires, pour leur d e m a n der si la vraie foi s'est réfugiée s a n s retour au fond de leur tombeau !... » La g r a n d e ville , essentiellement commerçante, écarte à distance ces souvenirs pour s'occuper des pressantes affaires du moment. Qu'importe au négoce la religion du passé! « Voici u n cortège religieux qui s'avance en g r a n d e pompe d a n s la r u e . A m e s u r e qu'il approche, nous reconnaissons u n cercueil d e brillant acajou, avec des o r n e m e n t s incrustés en bois précieux. Le dessus est formé de deux b a t t a n t s qui s'ouvrent en r e t o m b a n t à droite et à gauche et laissent voir u n e j e u n e fille parée avec richesse, bien qu'elle a p p a r t i e n n e à u n e famille du peuple. Cela nous d o n n e la pensée de connaître la m a n i è r e dont se font les sépultures à Rio. De l'église, nous passons, à la suite du cortège, d a n s u n e cour attenante. Le pourtour est u n e galerie couverte ; et sous cette galerie, d a n s l'épaisseur des m u r s , sont pratiquées à distances régulières, et superposées en trois r a n g s , des niches cintrées, longues d'environ six pieds et n u m é r o t é e s . C'est là qu'est déposé le cercueil d a n s u n e enveloppe d e chaux vive : l'ouverture est m u r é e p e n d a n t u n a n , après quoi on retire les ossements pour les laver et les renfermer dans u n e sorte


327 d ' u r n e funéraire. — On souffre de n e voir là ni u n e croix, ni un mot d'inscription, ni u n signe religieux quelconque : la religion n'est-elle d o n c plus pour les morts ? « Un mot sur les noirs, à qui, surtout, Rio doit sa physionomie particulière. Ils forment là u n e b i g a r r u r e qui plait par le contraste qu'elle apporte clans cette population. Ainsi on voit les négresses, clans leur costume indien, jetant a u t o u r de leurs épaules u n e ample drape­ rie rayée qui redescend par-devant jusqu'à m i - j a m b e s , un m a d r a s de couleur éclatante roulé en t u r b a n autour de la t è t e , à la façon des créoles, u n e fleur brillante d'hibiscus d a n s la laine de leur noire chevelure, un col­ lier de corail rouge, u n ou plusieurs bracelets de cui­ vre ou de fer luisant autour du bras. Q u a n d elles s'a­ vancent par troupes n o m b r e u s e s , avec leur a m p h o r e sur la tôle, vers q u e l q u e f o n t a i n e , on se rappelle invo­ lontairement les filles de Mésopotamie rencontrées par Eliézer. « La g r a n d e occupation des noirs est d'aller à la provision d'eau. Vous n e voyez, à Rio, ni puits, ni source, ni rivière ; m a i s , c o m m e à Rome, c o m m e aux m o n t a g n e s de T i b u r , c'est u n e eau t r i o m p h a l e qui vi­ site et abreuve les g r a n d s quartiers de la ville. Des travaux faits sur u n e étendue de plusieurs lieues, obli­ gent les m o n t a g n e s à verser c h a c u n e u n faible tribut, que l'aqueduc d a C a r i o c a , l'un des plus beaux de toute l'Amérique, est chargé de r é u n i r . « Quelques cocotiers, quelques palmiers, qui descen­ d e n t comme des parasols j u s q u ' a u pied de ces monta­ g n e s , invitent l'étranger à s'avancer d a n s le désert. Je m e souviendrai toute m a vie des impressions que j ' a i éprouvées à cette première sortie. Cases de nègres, en lianes ou en roseaux entrelacés sur des pieux, enduite ?


328 quelque fois de terre glaise et recouvertes de feuillage ; longues avenues d'orangers, de caféiers, de b a n a n i e r s ; faisceaux i m m e n s e s de b a m b o u s ; colonnes d'arbres gi­ gantesques qui s'élancent, du fond de quelque a b î m e , à u n e élévation prodigieuse; chaos prodigieux de végé­ tation où chacun de ces géants des forêts aspire à l ' a i r libre et a u x r a y o n s d u soleil, par-dessus les a u t r e s géants qui l'entourent ; sublimes tableaux, aspects grandioses, suprêmes efforts de la n a t u r e , on cherche inutilement toutes les expressions pour r e n d r e l ' a d m i ­ ration q u ' o n éprouve. Ce ne sont plus nos b o i s , t o u t h a r m o n i e u x de leurs oiseaux et de leurs fontaines ; ici, l'aspect est différent; et ce qui en fait l'originalité c'est la variété, la v i g u e u r , les formes et la bizarre profu­ sion des éléments qui la composent. Outre ces a r b r e s entassés, c'est encore la r e n c o n t r e des plantes les p l u s h u m b l e s , qui y pullulent au milieu d ' u n e a t m o s p h è r e chaude et h u m i d e ; ce sont ces parasites qui r e c o u v r e n t les t r o n c s , ces lianes qui courent de l'un à l ' a u t r e , s'élèvent j u s q u ' à leur sommet, s'enroulent à l'entour d e leurs l i a n e s , retombent pour r e m o n t e r e n c o r e , p u i s flottent de nouveau en festons chargés de fleurs d ' u n e incroyable magnificence. « Quel spectacle imposant que celui des belles n u i t s d a n s ces déserts du Nouveau-Monde ! elles y ont un c a ­ ractère de g r a n d e u r tout différent, il m e semble, de l a g r a n d e u r sereine que j ' a i m a i s à c o n t e m p l e r en E u r o p e . Plus vague y est le cours des nuages ; plus vague l e silence de cette immensité déserte ; plus vagues c e s parfums qui n e sont plus là pour e m b a u m e r quelque habitation rapprochée, m a i s qui s e m b l e n t n e s'exhaler « que pour le ciel ; plus vagues les mille frémissements de cette n a t u r e e n d o r m i e ; plus splendide l'azur d u ciel où ruissellent des myriades de nouvelles étoiles :


329 cette h a r m o n i e est moins douce que sous le ciel de F r a n c e , mais elle est plus solennelle. Et ce qui ajoute à la grandeur du spectacle, c'est, sans doute, le calme universel ; car l'homme n'y apparaît nulle part, ni à l'imagination, ni à l'oreille, ni au regard, ni à la pen­ sée. — Dans nos belles nuits de France ou d'Italie, les impressions variées que l'on éprouve, sont, pour ainsi dire, des ravissements de détail : ici, vous êtes saisi tout entier p a r l e sentiment de l'infini ; vous restez clans u n e sorte d'extase, d'admiration rêveuse, et je pourrais dire pénible ; c a r , partout où se présente cette idée de l'infini, elle pèse sur l'esprit de l'homme : ce grandiose vous accable ; et vous êtes soulagé q u a n d , près de vous, u n arbre de c o n n a i s s a n c e repose agréablement votre vue, ou que quelque cri aigu et sauvage, perçant de loin à travers les arbres, remplit les profondeurs inconnues et l'immensité mystérieuse de ces forêts. Tout monotones et sauvages que soient ces cris, ils ont je n e sais quelle h a r m o n i e qui rassure : ils sont comme la voix de ces immenses solitudes ; sans elle, le silence ferait peur ; sans ces diversions, le spectacle causerait, peut-être, plus d'émotion q u e de jouissance. « Les forêts de Rio et de tout le Brésil sont peuplées d'oiseaux à éclatant plumage, et de singes q u e l'on surprend quelquefois se trémoussant au soleil avec leur » petits. Ils vivent d'oranges, de cannes à sucre, de b a ­ n a n e s et de tous les fruits qu'ils peuvent trouver dans les b o i s , ou qu'ils v o n t , par bandes de m a r a u d e u r s , dérober clans les champs. Questionnez les noirs, ils vous diront, avec le plus lisible sang-froid, que ces sin­ ges sont des noirs comme eux, mieux avisés, mais plus fainéants, qui s'obstinent à ne jamais parler, dans la crainte qu'on ne les assujettisse au travail. C'est avec le même sérieux qu'ils perpétuent la tradition suivante том. XXIII. 137 17


330 sur la manière de prendre ces a n i m a u x . Evidez u n e grosse citrouille pur un trou qui soit juste assez grand pour donner passage à u n e orange, ou à tout autre morceau friand que vous laisserez tomber d a n s l'inté­ rieur. Vous déposez cette citrouille dans u n lieu fré­ quenté, la nuit, par les singes. Quelqu'un d'eux n e tardera pas à venir. Il regarde le fruit du haut d'un arbre où il se balance, se hasarde à approcher en se suspendant par les pieds, et q u a n d il a suffisamment examiné, il prend la citrouille, la retourne, puis en­ fonce le bras dans le trou pour saisir le morceau d'ap­ pât. Alors il exprime sa satisfaction par u n e de ces gri­ maces, u n de ces sourires de singe que vous savez, et en m ê m e temps veut tirer à lui son butin. Mais l'oran­ ge, qui était entrée tout juste par le trou calculé sur son diamètre, n e peut plus sortir q u a n d son volume est augmenté de toute la main du ravisseur. Celui-ci s'étonne et tire encore ; puis il crie, il se fâche, montre les dents, plisse horriblement la face, mais tout est inu­ tile : malgré son instinct, malgré sa réputation faite de malice, il ne lui vient pas m ê m e en pensée de lâcher prise. Bref, le l e n d e m a i n , on vient se saisir du pauvre a n i m a l , qui se débat encore auprès de la lourde ci­ trouille. Si l'invention du piège fait h o n n e u r à l'in­ telligence des noirs, il faut avouer que sa réussite est un échec à la malice proverbiale de celui qui s'y laisse prendre. « Entre toutes les productions de celte riche nature, il en est une que je dois vous signaler. Remarquezvous, sur le flane aride de ce rocher, un arbre dont les feuilles sont sèches et coriaces, et dont les racines p é ­ nètrent à peine dans les fissures de la pierre ? C'est le palo de v a c a , ou m a s a r a n d a b a (l'arbre-vache). Peutêtre n'en avez-vous jamais e n t e n d u parler ; il mérite


331

u n e mention à juste titre. Pendant plusieurs mois de l'année, où pas u n e ondée n e vient rafraîchir son feuil­ lage, les branches paraissent mortes et desséchées.; mais si l'on perce le tronc, il en découle u n lait doux et nourrissant. C'est au lever du soleil que la source végétale est plus abondante : on voit alors arriver de toutes parts les noirs et les indigènes m u n i s de gran­ des jattes pour recevoir le lait, qui jaunit bientôt et s'épaissit à la surface. Les u n s s'en abreuvent sous l'arbre, d'autres le portent à leurs enfants : on croit voir la famille d'un pâtre qui distribue le lait de son troupeau. Les habitants prétendent r e c o n n a î t r e , à la couleur et à l'épaisseur du feuillage, les troncs qui renferment le plus de sève, comme le pâtre reconnaît, à des signes extérieurs, la bonne vache laitière. Cet arbre, l'un des plus grands des forêts du Brésil, est re­ cherché pour la construction des navires. On peut em­ ployer son suc, au lieu de lait ordinaire, d a n s le thé et le

café.

« 16 novembre. — Ile d e s E t a t s . — Je voudrais lais­ ser à d'autres la tâche de peindre les splendides cou­ chers du soleil dont nous avons le spectacle : nous n'avons rien vu jusqu'ici qui nous ait enthousiasmés à ce point. Imaginez, dans u n ciel parfaitement calme, un azur bien plus transparent que tout ce que vous pouvez connaître ; disposez sur ce fond, en teintes d'un éclat que vous n'avez pu admirer nulle part, de lon­ gues zones horizontales et superposées, où l'orange, le carmin, le vert, le rose, vous offrent réuni, sans se confondre, tout ce qui peut enchanter les yeux et la pensée. Bientôt, quand le disque immense du soleil descendra derrière les montagnes de la Patagonie, vous aurez devant vous u n e scène ravissante : ou le ciel s'est subitement entr'ouvert, et ce sont dix volcans qui


332

éclatent à la fois ; ou l'astre a dardé tous les feux de ses derniers rayons sur ces montagnes qu'il e m b r a s e , et jamais incendie n'a réfléchi de si étranges clartés. Dans ce moment, huit à dix pitons de l'ile d e s E t a l s , semés à l'horizon comme des ruches d'abeilles, se détachent en ombre d'un magique effet sur les lueurs de l'incen­ die, tandis q u ' u n e voûte immense de sombres nuages, à reflets sinistres, massés au-dessus de tout le tableau, représente admirablement les torrents de fumée de cet embrasement. Derrière n o u s , u n ciel noir comme ce­ lui des tempêtes ferme la scène et e n fait ressortir tout l'éclat. — Plusieurs jours, nous avons pu contempler ce magnifique spectacle, diversifié à chaque fois ; et le crépuscule l'avait déjà voilé, que notre ravissement durait encore. « Les vents contraires et les plans arrêtés du capi­ taine nous ôtent tout espoir de passer par le D è t r o i t d e M a g e l l a n . Nous tournons inutilement des regards avi­ des vers cette T e r r e d e feu que nos frères, à bord de A r c h e d ' A l l i a n c e , visitèrent en passant, il y a peu d'années. Nous aurions tant voulu savoir ce qu'était devenue cette croix qu'ils avaient plantée au rivage, ces médailles distribuées, cet essai de semence évangélique au milieu de peuplades misérables, où ils r e ­ grettaient qu'il n e leur fût pas permis d'exercer leur zèle, de répandre leurs sueurs et de consacrer leur vie ! « Un autre souvenir nous faisait interroger avec in­ térêt ces parages. Il y a à peine u n an, là, près du détroit, u n pieux et excellent Missionnaire de la So­ ciété, M. Monnet, trouvait d a n s les flots la sépulture qu'il allait demander à la terre d'Océanie... On devait presque s'y attendre; depuis longtemps ses vertus étaient mûres pour le ciel. C'est le deuxième apôtre de la So-


333 ciété qui a son tombeau au fond de l'Océan. Au p r e ­ mier départ, qui eut lieu en 1836, le P. Bret y avait été enseveli dans les parages de l'Equateur où nous avons offert pour] lui le très-saint Sacrifice. Chers et pieux confrères, nous allions vous plaindre, tandis que votre sort doit exciter notre envie ! N'est-ce donc pas u n e mort sainte et généreuse comme la vôtre qui pré­ pare des voies heureuses à ceux qui viennent après vous? Que de fois j ' a i cru vous voir, comme deux anges protecteurs placés à ces limites du monde, pour calmer l'Esprit des tempêtes devant ces autres Missionnaires qui cherchent à ressaisir les traces de votre généreux dévouement ! Le saint Sacrifice fut renouvelé quatre fois, ce même jour, à leur intention. Il nous semblait q u e nos chants funèbres avaient u n caractère plus g r a v e , d a n s le silence et le vague de cette immensité : cris du cœur emportés par l'orage, soupirs sans échos sur la terre, mais qui ont dû, nous l'espérons, s'élever jusqu'au ciel. « A quoi bon vous parlerais je ici de nos petites tri­ bulations à bord ? N'est-ce pas de privations j o u r n a ­ lières qu'est composée la vie à laquelle aspire le Mis­ sionnaire catholique ? Nous avons eu de fréquentes oc­ casions de faire à D i e u , jour et n u i t , l'offrande de ces légères souffrances, surtout depuis la latitude de R i o d e l a P l a t a jusqu'au terrible C a p Horn. A ce dernier point, nous avons passé trente-cinq j o u r s à lutter, dans u n rayon de quelques lieues seulement, contre toutes les conjurations des vents et de la mer, toujours ballot­ t é s , toujours r e p o u s s é s , comme s'il nous eût été ab­ solument interdit de passer outre. Un jour entre a u ­ tres, c'était le 23 novembre, à deux heures d u matin, l'orage s'était élevé furieux. Bientôt les vagues montent autour de nous comme d'effrayantes montagnes et


334 semblent à chaque instant s'avancer pour fout englou­ tir : leur sommet atteignait la h a u t e u r de la g r a n d e h u n e . Dans le navire, les u n s prient, les autres vont et viennent, mornes et silencieux comme des ombres, en s'accrochant des deux m a i n s à tout ce q u ' i l s rencon­ trent : d'autres chantent u n cantique à Marie de la même voix qu'ils auraient psalmodié l'Office des morts. Au dehors, c'était le sifflement du vent d a n s les corda­ ges ; et son mugissement, plus effrayant encore et plus sombre dans le lointain : figurez-vous de sourds et continuels roulements de tonnerre à tous les points de l'horizon à la fois. Quiconque assistera à l'une de ces scènes terribles, comprendra pourquoi il est dit d a n s l'Evangile, que le souverain J u g e , à la fin des temps, doit déchaîner l a v o i x d e s t e m p ê t e s , et comment il est possible que les hommes s è c h e n t d e f r a y e u r à la vue des flots soulevés. « Du reste, nos petites tribulations, m ê m e au Cap, n'étaient pas toujours sans diversion. Ainsi, nous n ' a ­ vions pas de nuits ; le soleil s'y couchait vers neuf heu­ res et demie, et le crépuscule durait plusieurs heures : puis, à minuit, nous voyons le ciel se colorer déjà, à l ' o r i e n t , pour annoncer l'aube du jour. Quand la mer était u n peu calme et le froid supportable, on pé­ chait l'énorme a l b a t r o s , qui abonde dans ces parages ; et comme chacun y apportait sa part d'intérêt, les offi­ ciers retenaient le précieux duvet; les matelots récla­ maient les immenses pattes, pour en faire, en les souf­ flant, des poches à tabac ; les amateurs prenaient, pour mémoire, le bec qui est d ' u n e longueur démesurée, et les religieuses choisissaient les plumes convenables, pour en composer avec beaucoup de goût et d'adresse, des niches d'exposition et des bouquets d'autel. C'était pour la nuit et la solennité de Noël qu'elles travaillaient


338 ainsi à ajouter quelque chose à la décoration de notre modeste chapelle, tandis que quelques-uns de nous, et le capitaine, avant tous, répétaient les Noëls qu'on s'é­ tait mis à composer pour la circonstance. « 31 décembre. — Quoi ! ces hauteurs jaunâtres, ces montagnes arides, ce sol austère qui, sans doute, n'a jamais connu la fécondité, c'est, là-bas devant nous, ce qu'on nous signale comme les alentours de Valparaiso ? Sauf quelques rares coins de terre qui s'épuisent à prouver une possibilité de végétation, tout ce que l'oeil peut embrasser attriste par u n e aridité absolue : c'est à croire qu'un incendie universel a dévasté ces montagnes. À part deux ou trois enclos, pas u n arbre, pas un arbrisseau ne se montre sur toute l'étendue de cette immense surface. Seulement, on nous dit que la végétation, ainsi arrêtée pendant les sécheresses, se r a n i m e au retour des pluies, et couvre passagèrement de quelque verdure ces terres et ces montagnes déso­ lées.—A droite, u n e pointe d'où s'élève un petit phare ; devant nous, u n e rade dominée par u n fort qui la pro­ tège mal contre les vents; au fond du golfe, quelques maisons sans apparence, et sur la rampe des collines brûlées, quelques vieilles et misérables huttes ; enfin, dans l'enceinte de la rade, un assez petit nombre de vaisseaux ; c'est là tout. En somme donc, l'arrivée au mouillage est un désappointement complet. Mais atten­ dez d'entrer dans la ville. Vous qui venez d'Europe, vous la trouverez sans doute insignifiante, sans aucun monument, sans luxe, sans équipages et sans bruit : c'est la ville toute neuve, dirait-on, toute blanche, toute déserte, toute silencieuse, u n e suite de maisons trèsnues et très-peu décorées. Cependant, si l'air honnête, aflable, modeste et empressé des habitants est quelque chose aux yeux de l'étranger, à coup sûr, vous serez


336 bientôt réconcilié avec elle. N o n , ce n'est pas là le naturel avide, ce n'est pas l'esprit moqueur, ce n'est pas la physionomie effrontée qu'on trouve à d'autres ports de mer. Les religieuses, dans leur grand costume blanc, descendent au port ; mais c'est u n e curiosité par­ faitement respectueuse qui les entoure, qui les accom­ pagne jusqu'à la voiture qu'on leur a préparée. Nous descendons à notre tour ; mais c'est avec u n empres­ sement discret qu'on réclame nos effets à porter : plusieurs voitures de place s'avancent vers nous au grand trot ; mais pas u n mot d'altercation entre les conducteurs ni de discussion sur le prix de la course. Nous passons à la douane : on est poli, on est traitable, on est, autant qu'on peut, complaisant. — Voilà mes premières impressions en touchant le sol de V a l p a r a i s o ; elles doivent être justes, car l'expérience m'y faisait arriver avec des préventions toutes contraires, ( L a suite a u p r o c h a i n

Numéro.)

DÉPART DE MISSIONNAIRES.:

Sont récemment partis du Séminaire des Missions étrangères cinq Prêtres, dont voici les noms et la des­ tination : MM. Boutelon, du diocèse du M a n s , et B a r e i l l e , du diocèse de B a y o n n e , pour la Mission de Pondichéry ( I n d e s ) ; Arnoux du diocèse de Besançon, pour la Cochinchine Orientale ; C a r é , du diocèse de Bayeux, pour la Mission de S i a m , et L e t u r d u , du diocèse de St Brieuc, pour celle de la Malaisie,

Lyon,

I m p r i m e r i e de J . B . P é l a g a u d .


33?

MISSIONS DE LA MONGOLIE.

L e t t r e de M . J . - B . A i m è F r a n c l e t , P r ê t r e de l a C o n g r é ­ g a t i o n d e s M i s s i o n s E t r a n g è r e s , à M. T e s s o n , D i r e c ­ t e u r d u S é m i n a i r e des M i s s i o n s E t r a n g è r e s .

Hong-Kong, 20 février 1 3 5 1 ,

« MONSIEUR E T VÉNÉRÉ D I R E C T E U R ,

« J'ai eu le plaisir de recevoir vos dernières corres­ p o n d a n c e s en a u t o m n e 1 8 1 9 . Les circonstances diffi­ ciles où se trouvait alors le Léaotong n e m e p e r m i r e n t pas d e vous r é p o n d r e au gré d e mes d é s i r s ; car à peine eus je pris c o n n a i s s a n c e d e votre h o n o r a b l e let­ tre, qu'un nouveau cri de s a u v e - q u i - p e u t ! vint tout-àcoup me chasser de ma retraite, et m e faire p r e n d r e , p o u r plus d e sûreté, le chemin de la Mongolie. Je pas­ sai t r a n q u i l l e m e n t l'hiver a u - d e l à de la B a r r i è r e d e p i e u x , ou mieux au-delà de la g r a n d e allée d'arbres q u i sépare la T a r t a n e du Léaotong, Après les fêtes d e TOM

XXIII, 138.

SEPTEMBRE,,

| 8


338 Pâques, je m'enfonçai plus a v a n t d a n s le désert pour y aller partager la solitude et les travaux de M. Négrerie. Ce confrère est chargé des petites chrétientés qui ont le b o n h e u r de posséder au milieu d'elles l'humble mausolée e n gazon d e Mgr Bruguières, p r e m i e r vicaire apostolique de la Corée, q u e la m o r t arrêta sur cette plage lointaine, avant qu'il p û t a t t e i n d r e sa Mission. Situé à cent lieues d e P é k i n , ce district d é p e n d de la ville chinoise appelée O u l a n e - H a t a . Q u a n t au territoire, il a p p a r t i e n t en majeure

partie au comtat

Mongoux

( D ' O u l a n e - P a i , qui lui m ê m e , dit-on, relève de la petite royauté de P a l i n e , reculée u n peu plus au nord, sur les rives du fleuve S a l o m o n . Notre s a i n t e foi, depuis u n e persécution suscitée contre elle en 1 8 1 5 par ce roite­ let de Paline, un des plus puissants entre les q u a r a n t e huit princes qui se partagent les steppes i m m e n s e s d e la Mongolie, y jouissait jusqu'à ce j o u r d'une liberté presqu'entière ; en sorte q u e nous pouvions o u v e r t e ­ m e n t et sans crainte vaquer aux fonctions laborieuses de l'apostolat. « Le d i m a n c h e 2 9 septembre 1850, nous nous trou­ vions réunis, M. Négrerie et m o i , d a n s u n e chrétienté de la Vallée des Eaux-Noires

; nous avions passé tout

le jour à instruire les néophytes ; et le soir, lorsque nous traversions le grand chemin qui se trouve derrière les j a r d i n s du village, n o u s nous h e u r t â m e s à l'impre­ viste contre l'escorte du roi de P a l i n e qui se r e n d a i t à Pékin, pour les obsèques de l ' e m p e r e u r

Tao-Kouang,

m o r t depuis plus d e six mois. C e t t e m a l h e u r e u s e r e n ­ contre fut l'effet du h a s a r d ou plutôt u n e permission de la divine Providence, qui voulait par là n o u s procu­ r e r l'honorable occasion d'expier nos fautes, en souf­ frant pour la gloire de l'Evangile. Sitôt que

nous

nous a p e r ç û m e s de l'imminent d a n g e r où n o u s étions


339 tombés s a n s le savoir, n o u s voulûmes l'éviter, si tou­ tefois c'était encore possible, en n o u s m e t t a n t au large, afin de n o u s trouver à u n e assez g r a n d e di tance du cortège royal, pour n'être plus obligé de saluer p a r la génuflexion d'usage. Mais cette précaution lut i n u t i l e ; notre figure u n peu é t r a n g è r e , et surtout notre proxi­ mité du h a m e a u chrétien jadis le plus persécuté et m a i n t e n a n t encore le plus c o n n u aux alentours, ins­ pirèrent q u e l q u e soupçon au roi ; il devina facile­ m e n t q u e nous étions des Missionnaires, e t , d a n s sa haine contre notre sainte R e l i g i o n , il résolut de v e n ­ ger sur nous l ' h o n n e u r paternel autrefois compromis d a n s ses démêlés avec nos néophytes. Il dépêcha a u s ­ sitôt un de ses cavaliers pour n o u s inviter à lui r e n d r e visite; n o u s nous excusâmes, d i s a n t q u ' a v e c notre cos­ t u m e négligé, n o u s n'oserions pas nous présenter d e ­ v a n t Sa Majesté Mongole. Notre réponse, portée au roi, n e fit q u e mieux confirmer ses soupçons ; et, tandis que nous nous éloignions d a v a n t a g e , le prince descen­ dit de son p a l a n q u i n q u e portaient q u a t r e cavaliers en courant, m o n t a sur le bord du c h e m i n qui lui servit de trône, et envoya la moitié de son escorte qui accourut au galop nous inviter de nouveau à venir devant lui, sous le prétexte qu'il désirait b e a u c o u p n o u s voir. Au ton impérieux et au maintien sévère d'une députation de ce genre, il nous fut aisé de c o m p r e n d r e q u e nous étions r e c o n n u s ; e t , c o m m e , d ' u n autre c ô t é , il nous était impossible d e nous soustraire au danger, nous pri­ mes le parti de nous r e n d r e de b o n n e grâce, plutôt que de nous faire e n t r a î n e r de force devant ce roitelet de Paline, et de lui dire f r a n c h e m e n t qui n o u s étions, s'il nous le d e m a n d a i t . En effet, lorsque n o u s fûmes arrivés en sa p r é s e n c e , ce fut la première parole qu'il nous adressa. Nous lui répondîmes q u e nous étions tous deux


340

M a î t r e s d e l a R e l i g i o n d u S e i g n e u r d u c i e l . Il d e m a n d a ensuite à voir nos Bréviaires, dont il s'empara, et, s a n s n o u s q u e s t i o n n e r d a v a n t a g e , il fit signe à ses gens d e nous arrêter. Alors on se r u e sur c h a c u n de n o u s ; on nous lie les m a i n s derrière le dos avec des cordes prépa­ rées d'avance ; puis, nous a t t a c h a n t l ' u n à l'autre, q u a ­ tre cavaliers n o u s font m a r c h e r d e v a n t eux j u s q u ' à S i m a o - p o - l o , où ils n o u s e m p r i s o n n e n t d a n s u n e p a u v r e c a b a n e , t a n d i s que le roi, r e m o n t é d a n s son p a l a n ­ q u i n é q u e s t r e et sans écouter nos justes r é c l a m a t i o n s , s'en va passer la n u i t u n peu plus loin d a n s u n a u t r e village. D a n s ce m é c h a n t réduit q u i n o u s servait d e prison, n o u s avions le c œ u r s e r r é p a r les angoisses et les craintes d'un avenir o r a g e u x p o u r la chrétienté m o n g o l e , m a i s aussi rempli d ' u n e j o i e bien douce en p e n s a n t que le Seigneur n e n o u s j u g e a i t pas i n d i g n e s de souffrir q u e l q u e chose pour son s a i n t n o m . « Le l e n d e m a i n , u n m a n d a r i n envoyé p a r le roi s'installa avec ses assistants s u r le f o u r n e a u t a r t a r e qui occupait u n coin de la c a b a n e , et nous m a n d a devant lui, p o u r subir u n interrogatoire à peu près e n ces termes : « Qui êtes-vous ? — Nous s o m m e s des Missionnaires français. — Pourquoi êtes-vous v e n u s d a n s ce pays ? — P o u r y p r ê c h e r la religion du Maî­ tre d u ciel. — Q u ' e n s e i g n e cette Religion ? — Elle e n ­ seigne qu'il n e faut a d o r e r q u e le seul vrai Dieu, reje­ ter toutes vos idoles, faire le bien et éviter le m a l . — Mais de quel droit êtes-vous v e n u s ici ? — De quel droit aussi votre Maître n o u s a-t-il lié les m a i n s d e r r i è r e le dos, c o m m e il a u r a i t fait à des malfaiteurs, t a n d i s q u e n o u s sommes des Maîtres de Religion, des h o m m e s q u e l ' e m p e r e u r n e veut pas q u ' o n maltraite, » Nous r é p o n d i o n s avec cette fermeté q u e la foi inspire et sou­ tient, lorsqu'arriva u n e lettre du r o i , d a n s laquelle i|


341 d o n n a i t ses ordres avant de r e p r e n d r e sa route vers P é k i n . Le m a n d a r i n , après en avoir pris connaissance, n o u s fit m e t t r e les fers aux pieds et aux m a i n s ; on n o u s porta c h a c u n sur u n e m é c h a n t e charrette traînée p a r u n bœuf ; des satellites m o n t è r e n t à nos côtés p o u r tenir u n e corde qu'ils n o u s avaient passée a u cou ; puis, escortés de plus de t r e n t e h o m m e s a r m é s de fourches et de b â t o n s , n o u s fûmes charriés ainsi vers les régions d u Nord, sur l e c h e m i n de P a l i n e . Couverts de cette humiliation glorieuse, n o u s traversâmes nos deux p l u s g r a n d e s c h r é t i e n t é s , où la veille n o u s avions i m m o l é l'un et l ' a u t r e l'Agneau sans tâche, qui s'est lui-même sacrifié le p r e m i e r pour n o u s . Tous les néophytes, fon­ d a n t en l a r m e s , a c c o u r u r e n t sur notre passage, p o u r voir leurs P è r e s , peut-être p o u r la d e r n i è r e fois, et q u e l q u e s - u n s , voulant s'approcher de m a n i è r e à pou­ voir échanger avec nous quelques paroles d e consola­ tion, furent à l i n s t a n t assaillis d e coups d e bâtons p a r les satellites. Nous arrivâmes le soir au h a m e a u de L a i - s e , où l'on n o u s e m p r i s o n n a dans u n e petite c a ­ b a n e , en a t t e n d a n t plusieurs m a n d a r i n s m o n g o u x , convoqués par le roi pour traiter notre affaire. Nous y restâmes trois j o u r s en proie a u x r i g u e u r s de la plus d u r e captivité. C'était avec b e a u c o u p d e peine q u e n o u s obtenions quelques g r a i n s de millet pour n o t r e n o u r r i t u r e : a u c u n c h r é t i e n , a u c u n e p e r s o n n e amie n e pouvait s'approcher de n o u s p o u r soulager notre m i ­ sère ; nos poignets, étroitement serrés et u n i s l'un à l'autre par deux demi-cercles de fer, é t a i e n t considé­ r a b l e m e n t enflés ; toutes nos représentations et nos in­ stances étaient impuissantes à émouvoir n o s gardiens a u c œ u r d e b r o n z e . C e p e n d a n t c o m m e n o u s refusâmes quelquefois de m a n g e r , la crainte d e nous voir t o m b e r m a l a d e s les porta à enfreindre d e temps e n temps les


342 ordres sévères de leur petit tyran, S u r ces entrefaites, arrivèrent deux Tou-se-la-se, ( n o m qu'on d o n n e a u x m a n d a r i n s mongoux) et u n certain Chinois, appelé F o u , que le roi de P a l m e avait r e n c o n t r é sur sa route et qu'il envoyait revêtu, disait-on, d e pouvoirs e x t r a ­ o r d i n a i r e s . C'était u n h o m m e fourbe, qui n e songeait qu'à compromettre les chrétiens d a n s notre affaire, a lin de tout t e r m i n e r par argent, selon la m é t h o d e chinoise. Aussi, dès son arrivée, a u milieu de la n u i t , il nous appela à sa b a r r e d a n s la m a i s o n voisine. L'interrogatoire n e fut pas long ; car n o u s r é p o n d î m e s à toutes ses d e m a n d e s , en lui m o n t r a n t u n e copie du traité fait e n t r e la Chine et la F r a n c e , traité qu'il vio­ lait sciemment p a r u n e c o n d u i t e si i n d i g n e . Il fut d o n c obligé de n o u s renvoyer d a n s notre prison. Ce­ p e n d a n t il ne se tint pas p o u r b a t t u : il n o u s fit p r e n ­ d r e la route d'Oulane-Pai, a c c o m p a g n é s de d e u x T o n s e ~ l a - s e , et il renouvela e n c o r e les séances n o c t u r n e s , mais toujours avec le m ê m e insuccès. P l u s i e u r s j o u r s n o u s voyageâmes d a n s ces lieux déserts, où déjà l'on n e voit plus q u e des troupeaux e r r a n t s de m o u t o n s , d e boeufs et de chevaux, puis quelques c h a u m i è r e s , quel­ q u e s tentes éparses de loin en loin, et des milliers d e petites voitures traînées c h a c u n e p a r u n bœuf, et s u r lesquelles des l a m a s c h a r r i e n t , d a n s tout le nord-est de la C h i n e , du sel qu'on trouve en g r a n d e q u a n t i t é d a n s les lacs de la Mongolie. Ce fut la seule distraction q u e n o u s eûmes p e n d a n t ce triste voyage. « Enfin, le s a m e d i , n o u s arrivâmes à O u l a n e - P a i , résidence d'un comte m o n g o u x . C'est u n petit château d'architecture chinoise, assez joli par son contraste avec la nudité qui l'entoure, et isolé c o m m e u n e tente dressée au milieu du désert. O n nous fit d e s c e n d r e d a n s cette vaste p l a i n e , à q u a t r e ou cinq cents pas du


313 château, et on n o u s y laissa tout le reste d u j o u r , couches sur le gazon et exposés a u x injures de l'air : c'était notre salle d'attente. S u r le soir o n vint nous avertir q u e n o u s allions subir u n interrogatoire. Alors nous c h e m i n â m e s l e n t e m e n t , à cause d e nos fer-, vers le lieu où les T o u - s o - l a - s e étaient r é u n i s . Le comte ne présidait pas. Lorsque n o u s allions franchir la p r e m i è r e porte, o n n o u s dit q u e n o u s passerions en j u g e m e n t l'un après l'autre, et o n m e fit signe d e venir le p r e mier. Arrivé en présence des m a n d a r i n s , u n satellite qui m e soutenait p a r le b r a s , voyant s a n s doute qu'avec mes m a i n s e n c h a î n é e s il m'était difficile d'ôter m o n c h a p e a u , s'empressa de m e l'enlever l u i - m ê m e , et me cria d ' u n e voix forte de m e mettre à g e n o u x . J e répondis q u e j e n ' e n ferais r i e n . Vinrent ensuite les mêmes questions q u e d a n s les interrogatoires p r é c é dents, questions auxquelles je m e c o n t e n t a i de r é p o n dre q u e j'étais Français, et q u ' o n violait i n d i g n e m e n t en m a p e r s o n n e et en celle de m o n confrère, les traités conclus e n t r e ta F r a n c e et la C h i n e . « Du reste, ajoutai-je, puisque vous m e laissez les fers aux pieds et a u x m a i n s , c o n t r a i r e m e n t a u x ordres de l'empereur, je n e vous répondrai que p a r le p l u s profond silence. — Eh bien ! dit le T o u - s e - l a - s e d e P a l i n e , d e m a i n n o u s verrons si les tortures te feront ouvrir la b o u c h e . — J e n e les c r a i n s p a s plus q u e les fers d e ton roi, lui rêpondis-je ; tout cela n'a q u ' u n temps qui passe bien vite. » « On fit ensuite e n t r e r M. Négrerie, tandis qu'on m e conduisait derrière la maison, d a n s u n large fossé, pour n e rien e n t e n d r e de cet a u t r e interrogatoire, qui se fit à peu près de la m ê m e m a n i è r e et qui se t e r m i n a par les m ê m e s m e n a c e s . S e u l e m e n t , on employa de plus la ruse et le mensonge pour t r o m p e r m o n con-


344 frère, a u q u e l on assurait, afin de l'engager à s'agenouiller et à parler, que j e m'étais m i s à g e n o u x d e ­ vant les m a n d a r i n s , q u e je leur avais tout r a c o n t é , et que le comte, satisfait de m e s explications et très-bien disposé en n o t r e faveur, m'avait e m m e n é d a n s le châ­ teau o ù nous b u v i o n s le thé e n s e m b l e . M. Négrerie n e se laissa pas p r e n d r e au piège ; il r é p o n d i t aux juges qu'il n ' e n croyait rien d u tout, et q u e , s'ils n ' a v a i e n t pas le pouvoir de n o u s ôter les fers, ils n e l'avaient pas p a r conséquent de n o u s j u g e r ; qu'enfin n o u s n e parlerions j a m a i s q u e d e v a n t u n t r i b u n a l régulier, qui pût être responsable de ses actes. P e n d a n t ce t e m p s , les ténèbres de la n u i t étaient descendues d a n s mon fossé ; on vint bientôt m ' e n retirer p o u r m e c o n d u i r e seul à u n petit h a m e a u , éloigné d ' u n e demi-lieue de l à , et en m ê m e temps on e m m e n a i t m o n confrère d'un autre côté, afin q u e n o u s n e pussions p l u s n o u s concerter s u r notre affaire. D a n s cet i s o l e m e n t , n o u s passâmes cette nuit, le c œ u r u n peu triste et l'esprit r e m p l i d'inquiétude, tandis q u e nos g a r d i e n s , gais et j o y e u x , c h a n t è r e n t tout le temps et n o u s e m p ê c h è r e n t de d o r m i r . « Le l e n d e m a i n , 6 octobre, on n o u s r a m e n a , le m a ­ tin, d a n s le désert qui servait de salle d ' a t t e n t e . Nous y restâmes tout le j o u r , en a t t e n d a n t cette a u d i e n c e q u ' o n n o u s avait a n n o n c é e si terrible. Nous étions toujours séparés l ' u n de l'autre, et ce n e fut q u e l o r s ­ q u ' o n vint n o u s appeler q u e n o u s n o u s aperçûmes a u milieu de cette vaste plaine. Cette fois, la séance d e ­ vait se tenir sous la g r a n d e porte d u château. Le comte y présidait ; il était assis sous le portique ; les T o u - s e l a - s e , en assez g r a n d n o m b r e , é t a i e n t placés à ses côtés ; sur les degrés s'échelonnaient les scribes et les i n t e r p r è t e s ; puis au bas, les satellites, dont quelques-


345 u n s portaient des instruments d e supplices, étaient r a n g é s sur deux lignes, au milieu desquelles il nous fal­ lait passer. Chacun de notre côté, m o n confrère et m o i , n o u s arrivâmes p r e s q u ' e n s e m b l e d e v a n t cet effrayant a p p a r e i l . O n fit signe à M. Négrerie de se p r é s e n t e r l e premier, et moi, pour m ' i n t i m i d e r sans doute, on m e conduisit encore derrière la m a i s o n , p e n d a n t l'inter­ rogatoire qui m e p a r u t d'assez l o n g u e d u r é e . Enfin j e fus introduit à m o n tour. Les m a n d a r i n s m ' a d r e s s è ­ r e n t toute sorte de questions sur le motif qui m'avait a m e n é d a n s ces pays l o i n t a i n s , et surtout s u r les divers lieux de m o n passage et de m a résidence : questions auxquelles je d o n n a i des réponses évasives pour n e compromettre p e r s o n n e . « C o m m e n t se fait-il, m e dito n , que vos paroles diffèrent quelquefois de celles de votre confrère ? — La r a i s o n en est bien simple, l e u r répondis-je ; c o m m e j e connais encore peu le l a n g a g e d u pays, j e n e c o m p r e n d s peut-être pas bien votre pensée ou j ' e x p r i m e m a l la m i e n n e . — L'autre Mis­ s i o n n a i r e a dit q u e votre e m p e r e u r s'appelait Philippe, et vous, vous n o u s dites que c'est N a p o l é o n . — Mais tout cela s'accorde ; n o u s sommes partis d e F r a n c e à des époques différentes, lui sous l'ancien régime, et moi sous le n o u v e a u , voilà d'où n a î t cette différence. » Après plusieurs questions aussi peu i m p o r t a n t e s , on m e fit signe de m e retirer, et m e r é u n i s s a n t à mon confrère, on n o u s conduisit e n s e m b l e d a n s u n h a m e a u d u voisinage pour y passer la nuit. Nous y fûmes assez b i e n traités ; nos gardiens n o u s dirent q u e le c o m t e , bien disposé pour nous et pour les néophytes ses su­ jets, venait de renvoyer le soi-disant p l é n i p o t e n t i a i r e d u roi de P a l i n e : n o u s c o m m e n c i o n s à vivre d ' e s p é ­ rance, et n o u s nous a t t e n d i o n s le l e n d e m a i n à u n e sentence favorable, c o m m e on semblait nous le pro-


346 m e u r e . Le l e n d e m a i n donc, on vint nous chercher, mais c'était pour n o u s faire p r e n d r e la route de la ville chinoise de Oulane-hata, en compagnie d ' u n Touse-la-se et escortés de Mongoux à pied et à cheval, ar­ més de flèches et de carabines à m è c h e . Ils e u r e n t assez soin de nous d u r a n t tout le voyage et, malgré la neige qui déjà encombrait les c h e m i n s , n o u s arriva m e ?, le 10 octobre, à cette ville, où nous espérions q u e le tribunal chinois, mieux instruit du traité fait e n t r e la F r a n c e et la Chine, n o u s délivrerait de nos fers et se hâterait de nous faire c o n d u i r e à u n r e p r é s e n t a n t de n o t r e n a t i o n . « En a t t e n d a n t q u e le t r i b u n a l chinois fût convo­ qué, les Mongoux n o u s laissèrent sur la place publique p e n d a n t plus d'une h e u r e , exposés s u r notre charrette à la curiosité d'une foule i m m e n s e , accourue pour n o u s voir. A force de s'accroître, cette m u l t i t u d e était devenue tellement compacte qu'elle débordait de tous côtés sur notre voiture. Le c o n d u c t e u r alors, c r a i g n a n t plus pour son équipage que pour nous, le fit a v a n c e r au milieu d'un g r a n d b o u r b i e r , où l'on n e cessa pas de nous regarder, mais à u n e distance u n peu plus respectueuse. Du reste, partout où n o u s passâmes d a n s la suite, n o u s fûmes témoins de ce m ê m e empresse­ m e n t et de cette insatiable avidité de voir des é t r a n ­ gers. « C e p e n d a n t le m a n d a r i n de la ville et ses assistants étaient réunis au prétoire, où l'on n o u s conduisit aus­ sitôt. Le président n o u s o r d o n n a de n o u s mettre à genoux. Nous lui r é p o n d î m e s q u e nous n e le ferions j a m a i s ; le Tou-se-la-se l u i - m ê m e l'avertit q u e jusqu'ici nous ne l'avions p a s fait, m ê m e devant le roi de Patine, et ce m a g i s t r a t b r u t a l , m a l g r e notre protestation et notre résistance, c o m m a n d a à ses satellites de nous


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prosterner d e v a n t l u i . Du t r i b u n a l nous fûmes c o n ­ duits en prison, c'est-à-dire logés d a n s u n e petite b a r a ­ q u e avec u n e trentaine de b r i g a n d s , dont la p l u p a r t étaient des voleurs de grand c h e m i n . T a n t q u e nous restâmes d a n s cet étroit et dégoûtant réduit, nous fûmes dévorés par la vermine et en proie à des souffrances qu'il m'est impossible de vous r a c o n t e r . Notre prison était ouverte à tous les vents ; déjà souillait la bise glaciale de l'hiver ; déjà la neige recouvrait notre toit, et plu­ sieurs p r i s o n n i e r s , détenus d e p u i s longues a n n é e s , n'avaient q u ' u n morceau de natte pour se couvrir. Ce qu'il y avait de plus pénible, c'est que n o n s e u l e m e n t chacun devait pourvoir à ses vêtements, m a i s encore à sa nourriture, d a n s u n lieu où l'on n e pouvait travail­ ler et d'où l'on n e pouvait pas sortir. T a n t mieux pour ceux qui avaient quelques p a r e n t s ou quelques amis charitables en ville ; car, pour les autres, ils n'avaient d'autres ressources que la générosité parcimonieuse de notre geôlier, p o u r suppléer à la très-modique ration de millet cuit à l'eau, q u e le règlement leur accorde, q u a n d ils ne peuvent en avoir d ' a u t r e . P o u r nous, sans argent et s a n s c o n n a i s s a n c e a u dehors, nous e û m e s lieu d'admirer les soins de la divine Providence, par­ tout et toujours attentive aux besoins de ceux qui ont tout quitté pour m e t t r e en elle seule l e u r confiance. Les principaux néophytes, il est vrai, étaient accourus à la ville pour n o u s être de q u e l q u e secours, s'il leur était possible ; m a i s ils n'osaient s'approcher de n o u s , de peur de se compromettre, et c h a q u e j o u r on m e n a ­ çait de les p r e n d r e , pour les e m p r i s o n n e r ou leur e x ­ torquer de l'argent. Le b o n Dieu voulut q u ' u n pauvre chrétien eût en ce m o m e n t u n e affaire à d é m ê l e r au t r i b u n a l , et qu'il pût de temps e n temps s'introduire jusqu'à n o u s , et être ainsi pour n o u s la m a i n bienfai-


348 sante de la divine P r o v i d e n c e . Les trois ou q u a t r e j o u r s qui suivirent notre arrivée à O u l a n e - H a t a , on n o u s fit encore subir plusieurs interrogatoires, s a n s c e p e n d a n t exercer sur n o u s d'aussi mauvais t r a i t e m e n t s q u e la première fois. Toutes les questions qui n o u s furent adressées a n n o n ç a i e n t l'intention d u t r i b u n a l d'impli­ quer les chrétiens d a n s notre affaire ; et, p o u r m i e u x déguiser et voiler leur piége, les m a n d a r i n s avaient la précaution d'entremêler l e u r s d e m a n d e s captieuses d'interrogations insignifiantes. Voyant qu'ils n e p o u ­ vaient pas réussir avec n o u s , ils p r i r e n t le parti de nous laisser t r a n q u i l l e s d a n s n o t r e prison, et d ' a p p e ­ ler à leur b a r r e les d e u x m a i r e s de village d e la vallée des E a u x - N o i r e s , d o n t l'un était p a ï e n , afin q u ' e n les m e t t a n t à la torture, ils arrivassent p l u s facilement à leur fin, qui était de se saisir des p r i n c i p a u x c h r é t i e n s du district et de terminer n o t r e affaire et la l e u r p a r u n e r a n ç o n fort considérable. Les d e u x m a i r e s , qui n ' a v a i e n t a u c u n r a p p o r t avec n o u s , furent d o n c a u s ­ sitôt emprisonnés ; on l a n ç a aussi u n m a n d a t d'arrêt contre les chrétiens. Quelques-uns o n t pu s'y soustraire en d o n n a n t des sommes d ' a r g e n t , et j ' i g n o r e j u s q u ' o ù a u r a i t été ce b r i g a n d a g e , si Dieu, qui éprouve ses fidè­ les serviteurs, n ' a r r ê t a i t aussi les pernicieux projets des m é c h a n t s . Sur ces entrefaites, u n p u i s s a n t L a m a pilla, dit-on, le trésor public d a n s u n e ville voisine ; le m a n d a r i n de O u l a n e - H a t a fut obligé de s'y r e n d r e , et cette affaire ralentit h e u r e u s e m e n t les poursuites contre nos n é o p h y t e s . « D'un a u t r e côté, tandis q u e n o u s traînions nos fers d a n s les diverses prisons de la Mongolie, le roi d e P a l i n e , qui nous les avait imposés, était arrivé à P é k i n , avait remis m o n Bréviaire au L i - p o u (ministère des r i ­ tes et des cultes) et informé le nouvel e m p e r e u r d ' u n e


349 prise d o n t il était si fier. S h i e n - F o n g ( i ) , qui n'en fut pas tout à fait aussi content, d o n n a aussitôt l'ordre de s'enquérir de n o u s au g r a n d m a n d a r i n d e J é e - h o . Cette ville, située au-delà de la g r a n d e m u r a i l l e , est la capi­ tale d e tous les t r i b u n a u x chinois établis d a n s celte partie de la Mongolie. Un délégué de ce m a g i s t r a t su­ p é r i e u r vint d o n c nous chercher à O u l a n e - H a t a . Nous partîmes le 2 9 octobre, encore escortés d e satellites et de soldats et a c c o m p a g n é s d e ce m a n d a r i n qui, p a r sa b o n t é et ses égards p o u r n o u s , sut adoucir les peines et les fatigues d ' u n e route aussi pénible. E n effet, nous allions à g r a n d e s j o u r n é e s , p o u r atteindre les é t a p e s ; la neige venait souvent r e n d r e la m a r c h e plus difficile, et, lorsque n o u s arrivâmes à deux j o u r n é e s de J é e - h o , il n o u s fallut, d a n s nos petites voitures, gravir des mon­ t a g n e s escarpées et passer s u r le bord glissant d e p r é ­ cipices de plus de trois cents pieds de profondeur. Le c h e m i n qui escalade ces m o n t s et descend r a p i d e m e n t d a n s ces vallées profondes, n'est le plus souvent q u ' u n étroit sentier taillé d a n s le roc, et m a l h e u r aux c h a r riots qui s'y r e n c o n t r e n t ! Aussi, pour prévenir cet ac­ cident et protéger les voyageurs, trouve-t-on quelques pagodes et quelques bonzes sur les h a u t e u r s les plus élevées et les plus impraticables ; mais tout cela n'est q u ' u n e imitation stérile du mont S a i n t - B e r n a r d et des hospices chrétiens. « Le d i m a n c h e , 3 novembre, n o u s arrivâmes à Jée h o , ville assez belle et assez g r a n d e , située d a n s la gorge étroite de ces m o n t a g n e s . Un torrent e n b a i g n e le pied ; des bois de sapin tapissent les collines d'a­ lentour ; ce sont des forêts impériales qui s'étendent à

(1) Nom de l'empereur régnant.


350 plus de trente lieues a u n o r d , et qui servent de pare à la maison de c a m p a g n e que les empereurs de Chine ont bâtie d a n s celte contrée. Le n o m de J é e - h o , qui signilie F l e u v e - c h a u d , vient, dit-on, d ' u n e source d'eau t h e r m a l e qui se trouve d a n s les d é p e n d a n c e s de ce palais impérial, le Versailles chinois de P é k i n . Dès notre arrivée, on nous conduisit au t r i b u n a l du T a o T a i : le m a n d a r i n , s a n s nous adresser u n e parole, fit briser nos fers et nous renvoya sur-le-champ au T o u T o n g , qui est le gouverneur militaire et le m a n d a r i n supérieur de la ville. Là, il n'y eut pas d'interrogatoire; seulement, après u n e conversation avec les juges d'in­ struction, ces magistrats rédigèrent u n e espèce de rap­ port qu'ils n o u s prièrent de signer et d a n s lequel il était dit en substance : que L i et N g a i étaient maîtres de la Religion du Seigneur d u ciel, qui enseigne le bien et défend le mal ; que ces Maîtres de Religion n e se m a r i a i e n t pas, et qu'ils faisaient abstinence de vian­ des deux jours sur sept. Ces indications avaient du moins l'avantage de d o n n e r u n e idée succincte de no­ tre foi et de nous distinguer des protestants. Le grandm a n d a r i n d e m a n d a ensuite à nous voir dans sa cham­ bre, où, après nous avoir très-bien accueillis, il nous déclara qu'il venait, lui esclave (expression dont se servent les Mantchoux à l'égard de l'empereur), de re­ cevoir de son maître, Fô et fils du ciel, l'ordre de nous reconduire à Canton. Il fallut donc n o u s remettre en route, désormais s a n s escorte, accompagnés seulement de deux m a n d a r i n s qui devaient nous traiter comme leurs égaux, pour traverser d'un bout à l'autre cette i m m e n s e contrée, que, par u n e basse flatterie pour le s o u v e r a i n , - o n appelle quelquefois Céleste E m p i r e . « Deux j o u r s après notre départ, n o u s atteignîmes la g r a n d e muraille, m e n u lient qui n'a rien de gigan-


351 tesque par son élévation et son épaisseur, p u i s q u e cet endroit il n e m'a p a r u que de quinze à vingt pieds de haut sur deux de large, mais qui s u r p r e n d et étonne par son ascension sur les montagnes les plus rapides, dont il aime à suivre le sommet, m a l g r é les vallées profondes qui les entrecoupent. C'est u n m u r construit en briques, s a n s fossé en dehors, s a n s terrasse en declans, reposant sur u n e base de pierres très-peu élevée et crénelé par le haut, comme toutes les fortifications chinoises. A peine nous étions éloignés d ' u n e j o u r n é e de ce rempart, que n o u s e n t r i o n s d a n s la vaste plaine du T c h e - L i ; elle se d é r o u l e aussi d a n s tout le C h a n t o n g , et nous la p a r c o u r û m e s j u s q u ' a u f l e u v e J a u n e , sur u n e é t e n d u e de plus de cent lieues. Nous nous dirigions vers P a o - T i n g - F o u , capitale d u T c h e - L i ; n o tre route n'était pas de passer par P é k i n . Un j o u r , notre m a n d a r i n , qui n e négligeait a u c u n e occasion de n o u s faire plaisir, pour n o u s faire oublier plus tôt le triste souvenir de la Mongolie, m e d e m a n d a si je serais content de voir la capitale de la C h i n e . « Je la verrais volontiers, lui répondis-je, si cela était possible. — Eh bien ! ajouta-t-il, nous y p a s s e r o n s . » Déjà nous n'en étions plus qu'à u n e petite j o u r n é e , lorsque le h a s a r d voulut que nous rencontrassions encore le roi de P a l i n e , qui s'en retournait d a n s ses solitaires Etats. Il était d a n s u n p a l a n q u i n à deux m u l e s ; de n o m b r e u x cavaliers l'accompagnaient, et u n e troupe de c h a m e a u x , portant ses bagages et sa tente de voyage, le suivait à quelques p a s . Les cavaliers nous r e c o n n u r e n t et en avertirent le prince, qui se hâta de continuer seul sa route, tandis que ses gens accoururent près de nous, pour dire au m a n d a r i n , de la part de leur maître, qu'il eût la bonté de présenter les hommages du roi de P a l i n e au vice-roi de P a o - T i n g -


Î52 F o u , et de vouloir bien le lui r e n d r e favorable. Mais le fonctionnaire chinois lui fit r é p o n d r e , d ' u n ton u n peu sévère, qu'il n'osait pas se c h a r g e r d ' u n e pareille commission ; q u e le roi a u r a i t m i e u x fait de n e pas maltraiter des h o m m e s q u i n e faisaient a u c u n m a l ; et que, m a i n t e n a n t , il y avait o r d r e i m p é r i a l de nous respecter. En effet, le m a n d a r i n nous expliqua plus tard q u e le roi de P a l i n e , à cause de notre arrestation, avait été m a l reçu à la cour, et q u e l'empereur n'avait point voulu le voir. J e croirais assez qu'il y a d u vrai d a n s ces paroles, à en j u g e r p a r l'air déconcerté qu'a­ vait l'escorte royale et p a r les h o n n e u r s q u e nous avons reçus p e n d a n t tout notre voyage. « Le 9 novembre, n o u s vînmes loger dans les fau­ bourgs de Pékin, et, le l e n d e m a i n , après le lever du soleil, nous traversâmes cette g r a n d e ville, d u r a n t l'es­ pace d ' u n e h e u r e environ, depuis la porte o r i e n t a l e jusqu'à la porte occidentale. Les fortifications, simple m u r en b r i q u e ayant u n e terrasse en d e d a n s , et ter­ m i n é en créneaux, forment, dit-on, u n c a r r é dont c h a q u e côté a u n peu plus d ' u n e lieue de l o n g u e u r . Il y a neuf portes d'entrée, à plusieurs étages et d'un aspect assez b e a u , trois au midi et deux sur c h a c u n e des autres faces. A l'intérieur, d e larges r u e s vont de l'est à l'ouest et du n o r d au m i d i ; ces rues o n t u n e élévation en forme de trottoir, au milieu, sur laquelle courent les petits chars ; les d e u x côtés, de p l a i n - p i e d avec le sol des maisons, sont réservés p o u r les grosses voitures. Toutes les habitations sont basses, n ' a y a n t qu'un rez-de-chaussée, et d ' u n extérieur g é n é r a l e m e n t fort modeste. Si l'on s'écarte de ces g r a n d e s rues, es­ pèce de boulevards, ce n e sont plus q u e des ruelles sales, tortueuses et peu p e u p l é e s ; s u r notre passage, nous n'avons aperçu ni p l a c e , ni f o n t a i n e , ni a u -


353 très m o n u m e n t s q u e la tour assez élevée d ' u n e l a m a ­ serie impériale ; et partout l'on r e n c o n t r e , e n c o m b r a n t le chemin, des t r o u p e a u x de c h a m e a u x qu'on emploie pour toute espèce de transport. Au milieu de cette pre­ mière enceinte, e n est u n e seconde qui p e u t avoir u n quart d e lieue d e c h a q u e côté, et qui r e s s e m b l e b e a u ­ coup à u n m u r de j a r d i n ; d a n s cette seconde e n c e i n t e , s'en trouve u n e troisième qui renferme le palais im­ périal. J e n'ai vu nulle part quelques restes d ' u n e a n ­ cienne s p l e n d e u r ; si le palais de l'empereur c o r r e s ­ pond à la pauvreté de la ville, il n e doit pas être bien r e m a r q u a b l e . Les choses sont belles de loin ; mais, lorsqu'on les voit de près, il faut b e a u c o u p r a b a t t r e de la réputation que leur a faite u n e n t h o u s i a s m e ir­ réfléchi et quelquefois p e u sincère. a Nous arrivâmes, le 14, à Pao-Tiing-Fou. Les m a n ­ d a r i n s q u i nous avaient accompagnés, n o u s firent, p a r h o n n e u r , monter d a n s leur propre voiture, s'asseyant eux-mêmes sur le devant, à la place du cocher, et nous conduisirent ainsi à la d e m e u r e du vice-roi. Nous r e s ­ tâmes plusieurs j o u r s d a n s cette g r a n d e ville, logés dans u n hôtel u n i q u e m e n t réservé a u x m a n d a r i n s qui v i e n n e n t de la province. Nous y r e ç û m e s la visite de plusieurs fonctionnaires, d ' u n , e n t r e a u t r e s , qui nous offrit d u Champagne. Le vice-roi lui-même n o u s fit ca­ deau d'habits d e fourrure, p o u r n o u s préserver du froid p e n d a n t le v o y a g e ; et, le 18 du m ê m e mois, nous n o u s r e m î m e s en route, avec d e u x nouveaux m a n d a r i n s lettrés qui nous suivirent j u s q u ' à Canton. D u r a n t tout ce long trajet, n o u s fûmes partout traités avec b e a u c o u p d ' h o n n e u r ; nous logeâmes toujours d a n s les hôtels destinés aux m a n d a r i n s , qui se t r o u ­ vent d'étape en étape, sur toute la route de Pékin à C a n t o n . Les villes où n o u s devions passer é t a i e n t pré-


354 venues plusieurs jours d'avance, pour p r é p a r e r les voi­ tures, les b a t e a u x ou les chaises à porteur, et pour pourvoir à tous les frais et à notre n o u r r i t u r e , qui fut partout somptueuse. Nos d e u x m a n d a r i n s firent por­ ter, p a r l'estafette qui n o u s précédait de ville en ville pour a n n o n c e r notre arrivée, u n d r a p e a u sur lequel on lisait en gros caractères cette inscription : M a n d a ­ r i n s é t r a n g e r s d u royaume d e F r a n c e . Ce d r a p e a u en­ tra avec notre b a r q u e clans le port de C a n t o n , le 6 février 1 8 5 1 . « Après u n court séjour d a n s cette ville, n o u s som­ mes venus nous reposer u n instant, à notre Procure, des fatigues d'un si long voyage, et n o u s y attendons de j o u r en j o u r l'occasion favorable de r e t o u r n e r d a n s notre Mission, que cet éloignement i n a t t e n d u n o u s r e n d encore plus c h è r e . Daigne la divine Providence nous accorder u n p r o m p t et h e u r e u x retour, avec la force et le courage de s o u t e n i r victorieusement LE3 nouvelles et incessantes attaques du prince de ce m o n d e qui, refoulé d a n s ce coin de l'Asie, veut nous en chasser, comme de son empire. P o u r obtenir cette faveur, j'ose r é c l a m e r le secours de vos prières et celles de MM. les Directeurs, vous p r i a n t tous en m ê m e temps d'agréer l'expression des sentiments de vénéra­ tion et de reconnaissance avec lesquels j ' a i l ' h o n n e u r d'être, « Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

« J.-B. AIMÉ FRANCLET, « Missionnaire Apostolique. »


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BUSSIONS DE L'OCEANIE L e t t r e d e M. F o n b o n n e , M i s s i o n n a i r e A p o s t o l i q u e d e l a S o c i é t é d e M a r i e , à M. M a r c e l , C u r é de F o u r n e a u -, (Suite.) (1)

D e T a h i t i , le 2 S m a r s 1 8 3 9 ,

« Le 2 février, nous primes congé d e Valparaiso, où nous avions séjourné quelques s e m a i n e s avec b o n h e u r . En quittant ce bon peuple, q u e l'égoïsme et la soif de l'or n'ont pas encore énervé, nous faisions des vœux pour qu'il conservât longtemps ses vieilles et pieuses coutumes qui lui sont chères. Puissent les révolutions qui l'agitent souvent, passer au-dessus de ses m œ u r s sans les altérer davantage ! Puissent ses goûts r e l i gieux, son caractère de générosité et son esprit de foi résister aux efforts que les étrangers t e n t e n t pour les détruire ! « Douze jours de traversée nous conduisirent en vue de la capitale du Pérou. Nous entrions, le 14 février au soir, dans la plus magnifique r a d e d u m o n d e . Pour se faire u n e idée du tableau q u e nous avions sous les yeux, qu'on se représente, sur le fond de ce p a n o r a m a ,

(i) Voir le Numéro précédent, page 3 2 0 .


З56 le soleil i n o n d a n t de ses d e r n i e r s r a y o n s les crêtes majestueuses des Cordilières, qui paraissent c o m m e se fondre d a n s l ' e m b r a s e m e n t d'un vaste i n c e n d i e ; au pied de ces m o n t a g n e s , à trois lieues d e v a n t nous, la ligne fantastique des maisons b l a n c h e s de Lima, p a r m i lesquelles s'élancent les flèches n o m b r e u s e s des égli­ ses ; plus p r è s , et sur u n massif d e sombre verdure, le petit port du C a l l a o ; en a v a n t du port, u n e forêt de navires qui font l'effet d ' u n e m u l t i t u d e d e cathédrales flottantes; et tout cela réfléchi sur u n e m e r en feu. Et, pour a n i m e r cette scène, des myriades d'oiseaux aquatiques, noirs et b l a n c s , qui tantôt nous d o n n e n t le singulier spectacle de brillants flocons de neige qui remplissent le ciel et obscurcissent le j o u r ; tantôt, d a n s d'incessantes évolutions à fleur d'eau, défilent rapide­ m e n t en larges bataillons serrés, et décrivent sans re­ lâche autour d e n o u s et avec la plus a d m i r a b l e régu­ larité, u n e circonférence de plusieurs lieues dont nous occupons le c e n t r e . . . Q u ' u n peintre reproduise sur la toile ce magique tableau, qu'il y emploie les couleurs les plus vives, les contrastes les plus t r a n c h é s , on l'ac­ cusera d'exagération, et pourtant il sera au-dessous d e la réalité. « A voir le port du C a l l a o , on dirait u n e c i n q u a n ­ taine de pauvres habitations jetées en avant p a r Lima, qui trône à deux lieues plus loin, et e n t e n d faire ses affaires sans se déranger. Ses vieilles m a i s o n s , sans toiture ni vitrages, où p e r c h e n t en plein jour, c o m m e sur des ruines, u n e multitude d'oiseaux sinistres, don­ nent à croire qu'on arrive d a n s quelque ville saccagée. Aussi, nous cédons sans peine à la proposition qu'on nous fait de nous transporter à Lima. L i m a , la reine de ce pays de sables et de déserts, était j a d i s u n e capitale de 1 6 0 , 0 0 0 âmes ; m a i s les guerres et les dissensions


357 tarissent insensiblement sa population et sa prospérité. Un Noir est là q u i nous attend sur le siège de son o m ­ nibus attelé de quatre mules ; nous voilà partis avec notre retentissant attelage, à travers les pierres entas­ sées, les fondrières et les flots poudreux qu'on appelle la g r a n d e route d e L i m a . « Cependant, il faut égayer la monotonie d u trajet, et nous prêtons l'oreille aux faits d'armes qu'on nous raconte des h a r d i s brigands qui attendent la nuit, em­ busqués là, tout près de nous, d a n s les roseaux, et que nous sommes v r a i m e n t bien contrariés de n e point voir. La vérité est q u e les voleurs sont u n fléau du pays, et la ville m ê m e n e dort pas tranquille avec sa police ; souvent, au milieu de la nuit, des b a n d e s or­ ganisées envahissent u n e r u e , et luttent a u x aboutis­ sants, à coups d e feu ou de poignard, contre la force a r m é e , tandis q u e d'autres se hâtent de dévaliser les maisons. « Otez à Lima ses souvenirs, il restera u n e ville peu intéressante. Cela s'explique : q u e peuvent avoir à faire l'architecture et les beaux-arts, là où l'appréhension continuelle des tremblements de terre r e n d impossible le choix des m a t é r i a u x et le développement des édifi­ ces? On y compte c e p e n d a n t soixante-trois dômes d'égli­ ses desservies p a r divers Ordres religieux. Montez à l'une d e ces tours où, sur des m a t é r i a u x trop p e u d u ­ rables, l'esprit religieux semble avoir voulu exécuter des prodiges de patience : de là, vous embrasserez d'un coup-d'œil le p a n o r a m a de la ville e n t i è r e . Tou­ tes ces terrasses poudreuses des maisons vous p r é s e n ­ teront u n ensemble d i s g r a c i e u x ; m a i s vous suivrez avec plairir la c h a î n e majestueuse des Cordilières, et, au pied de votre observatoire, vous verrez se dessiner une multitude d e cloîtres où l'on peut recueillir d'in


358 téressants souvenirs. O n r e c o n n a î t q u ' u n e m ê m e pen­ sée a présidé à ces constructions quelquefois immenses, et entrecoupées de cours et de j a r d i n s : tout a u t o u r ré­ g n e n t u n e sorte de c o l o n n a d e m a u r e s q u e et des g a l e ­ ries parées et revêtues de faïences bleues, qui retracent souvent la légende de quelque saint de l'Ordre. Nous avons visité avec intérêt l'église de S a n P e d r o , dont tous les décors, en bois doré, c o m m e à Rio et à Valpa­ raíso, sont si merveilleusement fouillés, que c h a q u e p a n n e a u s e m b l e avoir coûté à l'ouvrier le travail de toute sa vie. La cathédrale, fi elle était construite en pierres., et qu'on en retranchât, certains o r n e m e n t s de mauvais goût, serait vue partout avec plaisir. Bien n'est plus gracieux que son j u b é ; rien n'est plus majestueux que cette immense boiserie qui sert de fond au double r i n g de stalles. Un b a l d a q u i n , d'un dessin a d m i r a b l e , s'élève encore au-dessus du maître-autel, m a i s ce n'est que pour perpétuer le souvenir d'une spoliation s a c r i ­ lège : sur ces colonnes qui le supportent, et q u e l'on a vues autrefois, avec le c o u r o n n e m e n t , recouvertes de brillantes lames d'argent doré, en a remplacé l'argent par des feuilles de cuivre. Les h a b i t a n t s du NouveauMonde dégénèrent de la piété généreuse et sincère de leurs aïeux ! Constatons qu'en même temps la prospé­ rité s'en éloigne. « Entre tous ces sanctuaires, il en est un que nous ai­ mions à visiter, c'est celui de S a n - D o m i n g o . Là, sur la tombe de la première Sainte q u e le catholicisme vénère d a n s le Nouveau-Monde, nous étions h e u r e u x d'aller prier ou célébrer les saints mystères pour nos familles et pour nos Missions. Là, nous pouvions suivre pas à pas s a i n t e R o s e d e L i m a , d a n s la pratique de ses héroïques vertus, recueillir u n à u n tous les faits de sa vie, qui composent u n e légende si poétique et si pieuse. Sur


359 l'autel, au-dessous de la châsse où l'on conserve ses re­ liques, elle est représentée en m a r b r e b l a n c , e n d o r m i e par la mort, avec u n e c o u r o n n e de roses sur le front, et auprès d'elle quelques grenades d o n t elle faisait sa nourriture. A quelques pas de l'autel, vous r e m a r q u e z u n e plaque de bronze incrustée d a n s u n e dalle, et sur laquelle on lit en castillan : « R o s e d e m o n c œ u r , j e te c h o i s i s p o u r é p o u s e . » Et u n peu plus bas : « C'est i c i qiCest t o n e s c l a v e , ô R o i e t é t e r n e l l e m a j e s t é ! Je s u i s e t s e ­ r a i t o u j o u r s à t o i ! » Ces paroles, extraites de sa légen­ de, sont celles du colloque de N. S. qui lui était appa­ ru ; cette dalle recouvre u n caveau où la Sainte jeta la clé qui fermait son cilice. Dans u n e a u t r e église qui lui est dédiée, on trouve la tombe m ê m e où elle fut ense­ velie ; tout auprès, le petit j a r d i n dont elle avait fait sa solitude; et au fond du c h œ u r , en ouvrant u n e porte à gauche, la grotte étroite où elle a exercé tant de saintes austérités. « De Lima, les vents g é n é r a u x nous poussèrent, en vingt-quatre jours, en vue de F a t o u - H i v a , la plus avan­ cée des îles Marquises. Le 2 3 au m a t i n , nous sommes en vue de l'ile F l i e g i n , et quelques heures plus lard nous longeons K r u s e n s l e r n , autre île basse, ou plutôt forêt impénétrable q u e l'on pourrait appeler u n e i m ­ mense corbeille de magnifique verdure b a i g n é e dans l'Océan. Nous n'y avons pu découvrir a u c u n e trace d'habitation. Le soir du dimanche des R a m e a u x , la vi­ gie crie : Terre ! Nous avons, à vingt lieues devant nous, l'ile de T a h i t i . « U n e vaste ceinture de rescifs à fleur d'eau e n v e ­ loppe l'ile de toutes p a r t s ; c'est une m u r a i l l e de coraux élevée du fond de l'Océan par les polypes, ces m a ç o n s de la m e r . Heureusement, cette enceinte n'est pas tout à fait continue : en face de Papéété, la capitale de l'ile,


360 clic est coupée d ' u n e ouverture profonde, et laisse à l'arrivage u n e passe assez large, mais dangereuse pour les navires qu'y surprendrait le calme, et que le cou­ r a n t briserait alors presque i n é v i t a b l e m e n t contre re­ cueil ; Une fois d a n s la r a d e , où l'on trouve partout mouillage, on est merveilleusement abrité p a r ces rescifs. « L'ile de Tahiti a trente lieues de circonférence et u n e population de cinq à six mille habitants dispersés sur la côte ; l ' i n t é r i e u r , occupé par de hautes monta­ g n e s , est a b a n d o n n é aux chèvres et aux cochons sauvages. « Les Tahitiens ont, d a n s le caractère, beaucoup de douceur et d'enjouement; m a i s , d ' a u t r e p a r t , c'est c h o s e risible q u e de voir cette population de géants, qui a d o n n é des preuves d ' u n e b r a v o u r e incontestable d a n s ses escarmouches contre les Français, n'oser faire u n pas, la nuit, d a n s la crainte du Tou-Papaho (le re­ v e n a n t ) . . . Vous trouvez aussi, chez eux, l ' i n s u b o r d i n a ­ tion d a n s la famille, la passion d e s liqueurs fortes pour le seul plaisir de s'enivrer, et surtout l'immoralité à son comble. Leur a m o u r de la d a n s e est c o n n u de tout le m o n d e ; ils s'y livrent avec fureur. Depuis q u e l q u e s années, elle l e u r avait été interdite par le gouverneur, aussi bien que l'usage des boissons fermentées ; et l'on comprend que, chez un peuple d o n t la vie n'est q u ' u n e longue oisiveté, pareille défense ait soulevé des r é c r i ­ minations : cette m e s u r e n'en fait pas m o i n s d ' h o n n e u r à M. Lavaux, comme intéressant au plus haut degré la moralité publique. « La population de Tahiti n'est point groupée d a n s u n e nationalité c o m m u n e ; elle se compose d e tribus d'origine diverse, qui obéissent à u n certain n o m b r e de chefs, Ces chefs sont convoqués en assemblée à Fa-


361 péétê, sous la présidence du gouverneur français qui traite de leurs intérêts avec eux et la reine. Rien n e distingue la reine P o m a r é des autres femmes de l'île, sinon qu'elle a o r d i n a i r e m e n t deux suivantes, dont l'une prépare les cigarettes, et l'autre les présente allu­ m é e s ; j ' a i r e m a r q u é aussi u n e sorte de fleuron trèsproéminent sur sa c o u r o n n e de pyat (1). Quelquefois, elle parcourt les îles de ses Etats, et alors c h a c u n des naturels s'empresse de lui payer son tribut d'hommage : ainsi, à sa dernière visite, elle rapporta trois cents porcs qui lui avaient été offerts, et dont elle fit u n e fête, au retour, à ses sujets de Tahiti. Si quelque chose lui m a n q u e , elle le fait a n n o n c e r p a r u n exprès, et c h a c u n se hate de le fournir ; m a i s , depuis l'adoption d'un impôt fixe de 1 f 25 c. par habitant, elle a r a r e ­ ment besoin de recourir à cette m e s u r e . Du reste, elle vit retirée, au milieu de cinq petits enfants, tous adop­ tés par des chefs d'iles voisines, et p a r c o n s é q u e n t ap­ pelés a u droit de leur succéder. « Le fruit de l'arbre à pain est le principal aliment des Tahitiens : ils y ajoutent, taro l'igname, la banane,

suivant leurs goûts, le

et quelquefois du poisson.

Nous avons pu voir qu'ils a u r a i e n t encore la ressource de la tortue de m e r , s'ils savaient en profiter, surtout q u a n d elle a p o n d u et qu'elle monte à la plage pour y déterrer ses œufs et e m m e n e r ses petits éclos. J ' a i sou­ vent admiré l'instinct providentiel de ces a n i m a u x : ils déposent leurs œufs clans le sable, au-delà de la limite extrême qu'atteignent les vagues de la m e r , d a n s une exposition favorable pour recevoir les rayons du soleil,

(1) Le pyal est un arbuste dont on tire des filament» d'une éclatante blancheur pour faire des ouvrages d'une grande délicatesse.


362

et, c i n q u a n t e j o u r s après, s a n s le m o i n d r e retard, ils v i e n n e n t les déterrer. Au m o m e n t précis où ils e n l è ­ vent la couche de sable qui les recouvrait, les j e u n e ? tortues r o m p e n t leur coquille, et m a r c h e n t en file à l a suite de leur m è r e qui les conduit à l'eau : dès q u ' e l l e s o n t touché le flot, elles s'attachent au ventre de celleci qui les emporte au l a r g e . « La Bible, traduite en k a n a c k par les méthodistes, a été r é p a n d u e à profusion d a n s toute I'ile ; et l e d i m a n c h e , au temple, les j e u n e s gens et les j e u n e s p e r s o n n e s c h a n t e n t , en c h œ u r s dialogues, q u e l q u e s chapitres des saintes Ecritures. E n cela consiste, d u reste, toute leur religion ; et c'est en v a i n q u e v o u s chercheriez p a r m i eux u n seul protestant capable d e r e n d r e compte de sa foi et disposé à la soutenir. E u revanche, ils a p p l a u d i r o n t à tous nos a r g u m e n t s ; i l s seront les premiers à préférer le Missionnaire à leur » ministres; [ils feront volontiers l'éloge de nos c é r é m o ­ nies. A les e n t e n d r e , on est é t o n n é de trouver p a r t o u t des catholiques, là où l'on vous a dit q u e tout est p r o ­ testant. A quoi tient-il qu'ils n e soient, en réalité, c e qu'ils se m o n t r e n t en t a n t d'occasions? L'indifférence, les passions, et enfin la priorité du protestantisme au milieu d'eux, voilà ce q u i les a r r ê t e j u s q u ' à ce j o u r . E t c e p e n d a n t , q u ' u n k a n a c k influent d o n n e l'exemple, i l aura aussitôt de n o m b r e u x imitateurs. « U n chef des P o m o t o u s m ' a b o r d a l'autre jour, e t m'adressa u n g r a n d n o m b r e de q u e s t i o n s , a u x q u e l l e s j e r é p o n d i s a p p a r e m m e n t de m a n i è r e à le satisfaire, car il m e prit la m a i n et m e dit avec affection : « P ô p è ! (papiste) l a v é r i t é est s u r t e s l è v r e s ; v i e n s a v e c m o i d a n s m o n î l e , afin q u e m o n p e u p l e e n t e n d e l a t r o m p e t t e d e la p a r o l e ! » Pauvres g e n s ! j e voudrais q u e la chose f û t en m o n pouvoir ; c o m m e j'accepterais avec b o n h e u r u n e pareille invitation !


363 « Je vous ai écrit l o n g u e m e n t , m o n bien cher Curé, pour vous d i r e peu de chose. Vous voudrez b i e n n e voir dans cette lettre que les distractions d'une i m ­ m e n s e traversée ; les occupations sérieuses vont com­ m e n c e r désormais. Âpres avoir attendu i n u t i l e m e n t jusqu'ici la goëlette de Mgr Bataillon, nous n o u s som­ mes décidés à d e m a n d e r passage s u r la corvette fran­ çaise l ' A c m è n e qui doit visiter nos îles. Le g o u v e r n e u r et le c o m m a n d a n t ; du navire, M. d ' i l a r c o u r t , ont a c ­ cueilli notre requête avec u n e parfaite bienveillance. Nous toucherons bientôt aux Marquises, et dix à douze j o u r s après, s'il plaît à Dieu, n o u s serons aux Wallis, à la disposition de n o t r e E v ê q u e . Priez, faites prier vos excellents paroissiens, si zélés p o u r i'OEuvre de la Propagation de la Foi, que j e ne sois p a s u n ouvrier inutile dans cette vigne du Père de famille où j ' a r r i v e , peut-être, à la onzième h e u r e . 11 ne m e m a n q u e réel­ lement que de pouvoir compter sur q u e l q u e s saintes prières, pour être dans le plus absolu c o n t e n t e m e n t . Aussi, c'est en s o u r i a n t que j e vois d'ici, à côté des p e r s o n n e s pieuses qui croient au dévouement religieux, le m o n d e expliquer à sa façon la d é m a r c h e à laquelle nous devons ce b o n h e u r de l'apostolat. Nos pauvres Noirs de Rio, i n s p i r é s , sans doute, par les m é c r é a n t s de la ville, ont seuls trouvé l'interprétation véritable : nous sommes d e s c h e r c h e u r s d ' o r , disaient-ils, qui voyons tout u n m o n d e de merveilleuses richesses au bout de notre navigation... ; n o u s sommes des Christo­ p h e Colomb enthousiastes qui voguons avec transport à la conquête de ces N o u v e a u x d e u x et de cette N o u ­ v e l l e T e r r e , où nous allons t r a v a i l l e r a i n t r o d u i r e bien­ tôt, avec nous, les p e r s o n n e s que n o u s a i m o n s ! Vos q u i r e l i q u i s t i s o m n i a . . , c e n t u p l u m a c c i p i e t i s . . . e t i n fu-


364 t i t r a , v i t a m œ t e r n a m ! — Vous q u i a v e z t o u t q u i t t e , v o u s r e c e v r e z le c e n t u p l e en ce m o n d e , et dans l ' a u t r e l a vie éternelle. « Agréez, monsieur le Curé, l'assurance du profond et respectueux attachement avec lequel je suis, pour la vie, « Votre dévoué serviteur et sincère a m i , «L.

lettre

FONBONNE, Miss.

Apost.

d u R . P . Montrouzier, Provicaire Apostolique l a Société de M a r i e , a u R . P . S ê o n

Ile Woodlark, s'abon de N. D. des Sept D o u ' e r s , 18 janvier 184 ) .

c MON

RéVÉREND PÉRE

« Vous avez appris, par mes lettres p r é c é d e n t e s , la m a n i è r e providentielle dont nous nous sommes établis à W o o d l a r k . E v i d e m m e n t , Dieu nous a accordé u n e protection toute spéciale. Si quelque âme d o u a i t encore de l'assistance divine, si souvent promise aux Apôtres et aux continuateurs de l e u r œ u v r e , il suffirait, pour r a n i m e r leur confiance, de leur a p p r e n d r e d a n s quelles circonstances s'est fondée cette Mission. Les voici ; Quelques an-


365 nées avant notre a r r i v é e , u n navire s'était brisé sur les coraux qui b o r d e n t les lies L a n g l a n . C'était p a r suite d'une affreuse tempête qui porta la désolation chez les insulaires. P l u s i e u r s matelots périrent d a n s la t o u r m e n t e . D'autres plus h e u r e u x atteignirent le r i ­ vage. Arrivés sur la g r è v e , ils furent bien accueillis ; toutefois l ' h a r m o n i e n e d u r a pas l o n g t e m p s e n t r e les naufragés et les indigènes. C e u x - c i , irrités des vio­ lences exercées p a r les é t r a n g e r s , l e u r déclarèrent la guerre et en tuèrent plusieurs. Les a u t r e s s'enfuirent p r é c i p i t a m m e n t d a n s leurs e m b a r c a t i o n s , puis ils ga­ g n è r e n t le large ; mais ils n ' é c h a p p è r e n t à u n d a n g e r que pour t o m b e r d a n s u n autre. Ne pouvant se rési­ g n e r à m o u r i r de faim sur les flots, ils se laissèrent aller au vent, et bientôt ils furent tout près d ' u n e terre qu'ils avaient a p e r ç u e de loin. C'était W o o d l a r k . L'ac­ cueil fut cruel. A la vue des é t r a n g e r s , les gens du pays avaient poussé le cri de g u e r r e , la conque funè­ b r e avait r é s o n n é , on s'était réuni de tous les points ; les naufragés n e sortirent de leur b a r q u e q u e pour tomber sous les coups de leurs e n n e m i s . Un seul fut é p a r g n é : il avait été protégé par u n chef fatigué de carnage. « D a n s les c o m m e n c e m e n t s , les n a t u r e l s e u r e n t le plus g r a n d soin de nous c a c h e r toute cette histoire ; et quoique plusieurs circonstances contribuassent à éveil­ ler nos s o u p ç o n s , n o u s n o u s g a r d i o n s bien de trop approfondir le mystère. C'eût été peu p r u d e n t . Qui sait si, u n e fois d é m a s q u é s , ils n e se fussent pas portés à de n o u v e a u x excès ? Enfin, depuis q u e n o u s c o m p r e n o n s mieux la l a n g u e , on nous a tout révélé. Vous pouvez j u g e r m a i n t e n a n t , m o n très-cher P è r e , du d a n g e r que nous avons couru en a b o r d a n t ici. Le bon Dieu a per-


366 mis que nous n'en fussions instruits qu'après coup. Peut-être n'eussions-nous pas osé l'affronter ; et de fait il eût été assez téméraire de s'y exposer s c i e m m e n t , puisqu'il n'a tenu, comme on nous l'a dit depuis, qu'à la volonté d'un chef qu'on ne nous traitât comme les mal­ heureux naufragés. « Une autre attention de la Providence a été de faire cesser les guerres à notre arrivée. Si faible que soit la population de W o o d l a r k , les pauvres habitants de celte île étaient divisés en plusieurs p a r t i s , avant que nous leur eussions porté la bonne nouvelle, et ces partis se faisaient u n e guerre acharnée. Armés d'énor­ mes lances, ils se battaient le plus souvent de très-près, ce qui rendait les mêlées plus meurtrières ; le reste du temps, ils tombaient à l'improviste sur les villages en­ n e m i s , y mettaient tout à feu et à s a n g , et en extermi­ naient parfois la population entière. Eh bien ! grâces en soient rendues à Dieu, à peine avons-nous été établis, que, sans avoir ouvert la bouche pour réconci­ lier tous les c œ u r s , nous avons appris q u ' u n e paix gé­ nérale avait été c o n c l u e , et depuis rien ne l'a trou­ blée. « Il me serait facile de vous donner d'autres exem­ ples de la tendresse avec laquelle la divine Providence nous tient entre ses bras ; mais j'ai hâte de vous parler de nos travaux et de l'état de notre chère Mission. « Les premiers mois de notre séjour à Woodlark se sont passés, ou à souffrir de la fièvre, ou à étudier la langue. Pourtant nous n'avons pas tardé à commencer nos catéchismes et à réunir auprès de nous les enfants. « Les soins que nous donnons à ces jeunes insulai­ res nous ont été fort avantageux d a n s u n e circon­ stance où peut-être, sans e u x , ne serions-nous plus en vie. Voici le fait : les naturels avaient pris un poisson


367 n o m m e Kut, qu'ils r e g a r d e n t c o m m e e m p o i s o n n é , et a u q u e l ils se g a r d e n t bien de toucher pour cette raison. Excités par la cupidité plutôt que p a r le désir de n o u s l'aire du m a l , ils v i n r e n t n o u s l'offrir : n o u s r a c h e t â ­ mes. Mais, c o m m e les p a r e n t s de nos élèves savaient q u e nous leur d o n n i o n s d e n o t r e n o u r r i t u r e , ils accou­ r u r e n t aussitôt et n o u s firent jeter le poisson fatal. Il est vrai q u e cette aaffairen o u s causa des tracasseries d e la part du chef E n a i , q u i , fâché de ce qu'on avait d é ­ daigné le poisson vendu par un de ses a m i s , et p l u s e n c o r e de ce q u e , peu de j o u r s a u p a r a v a n t , son fils s'était fait renvoyer de n o t r e m a i s o n , vint p e n d a n t la nuit assaillir nos p e n s i o n n a i r e s d'un t o r r e n t d ' i n j u r e s , qui r e t o m b a i e n t sur nous. « Etes-vous d o n c sans p a ­ r e n t s , leur disait-il, pour aller vous réfugier chez ces é t r a n g e r s ? n'avez-vous pas de quoi m a n g e r chez vous pour accepter leur n o u r r i t u r e ? » Vous voyez l à , m o n r é v é r e n d P è r e , un échantillon de l'orgueil de nos sau­ vages. Ils sont pauvres c o m m e J o b , et i g n o r a n t s à faire pitié, ils a d m i r e n t nos richesses, notre industrie ; m a i s , avec tout cela, ils se croient bien supérieurs a u x E u r o ­ p é e n s , et le plus misérable croirait nous faire u n e g r a n d e faveur en vivant sous le m ê m e toit q u e nous. J e vous a v o u e , à ce s u j e t , qu'avant de venir e n m i s s i o n , je n e pensais pas avoir b e a u c o u p à souffrir de ce côtelà. J e m'étais attendu à d'autres peines. Je n e m e se­ rais j a m a i s douté q u e p a r m i les sauvages on fût exposé à b e a u c o u p d e m é p r i s . E h bien ! voilà trois a n s passés q u e j e suis d a n s les î l e s , et j e puis assurer q u e je n'ai peut-être pas été u n e seule fois p a r m i les i n d i g è n e s , s a n s avoir l'occasion d'offrir à Dieu quelque humilia­ tion. M a l h e u r e u s e m e n t j e n'en ai pas toujours profité ; u n m i s s i o n n a i r e v r a i m e n t h u m b l e , qui eût été à m a p l a c e , eût acquis des trésors de m é r i t e . P r i e z , m o n


308 cher P è r e , celle q u i , toute m è r e de Dieu q u e l l e était, se plaisait à se r e c o n n a î t r e sa très-humble s e r v a n t e , d e dem ' o b t e n i rcette belle vertu. Avec e l l e , d a n s nos Mis­ s i o n s , on serait bientôt u n s a i n t . « Le caractère vaniteux de ce pauvre peuple se r é ­ vèle à tout propos. Que d e fois, p a r e x e m p l e , en j e t a n t les yeux sur la c a r t e , et en voyant le petit point q u e j e leur ai i n d i q u é c o m m e r e p r é s e n t a n t leur î l e , ils se d é p i l e n t , et ont l'air de m e dire : « I m p u d e n t m e n « leur, oses tu bien p r é t e n d r e q u e Moiou soit si peu de « chose ? mais n e vois-tu d o n c pas nos villages et nos « p l a n t a t i o n s ? peut-il y en avoir de comparables en « Europe ? » « Dans le but d'être utile à q u e l q u ' u n de nos con­ frères de F r a n c e , j e vais vous parler des difficultés et des peines q u e p r é s e n t e n t nos courses apostoliques. Outre les sept villages de la baie m ê m e de G u a s u p , où n o u s sommes établis, n o u s avons trois autres postes à catéchiser : O l a v a t , Kavalk et Kadéo. Ce d e r n i e r est le p l u s difficile à desservir. Situé au-delà d ' u n e g r a n d e b a i e d a n s laquelle se r e n d e n t d e u x r i v i è r e s , il compte sept villages, fort éloignés les u n s des a u t r e s , en sorte qu'il faut la j o u r n é e e n t i è r e p o u r les visiter. Mais ce n'est là q u e le m o i n d r e inconvénient. Le plus g r a n d e m b a r r a s vient de ce qu'on n e peut y aller p a r terre et qu'il faut avoir recours aux naturels. O r , pour dire toutes les misères q u e l'on a à souffrir q u a n d on est à leur m e r c i , il faut nécessairement l'avoir éprouvé. Ou tre qu'on est obligé de les p a y e r , on n e les a pas tou­ jours q u a n d on les veut. Quelquefois c'est le contraire qui arrive. On n e pense à rien moins qu'à aller de ce côté-là; mais pour eux ils ont envie d'un morceau de fer ou d'un couteau. Ils v i e n n e n t donc vous dire qu'il y a u n m a l a d e à Kadéo. Vous quittez tout, vous vous


-369 empressez, vous arrivez h a l e t a n t , et vous trouvez le prétendu m a l a d e en fort bon état. Q u e pensez-vous de ce t o u r ? vous en r i r e z , p e u t - ê t r e ; mais pour moi j e m'en impatiente souvent. Et c e p e n d a n t j e n e dis r i e n , de peur q u ' u n e autre fois, q u a n d r é e l l e m e n t il faudrait m ' a v e r t i r , on n e le fit pas. « Un second inconvénient de nos courses à K a d é o , c'est le m a u v a i s état des b a r q u e s d e nos insulaires. Elles sont si m a l calfatées qu'on est c o n t i n u e l l e m e n t occupé à les vider. De p l u s , c o m m e elles sont fort l o u r d e s , elles ne m o n t e n t pas sur la vague qui vient alors se briser contre elles et les remplit presque à cha­ q u e fois, pour peu que la m e r soit grosse. C e l a , j o i n t aux pluies fréquentes des tropiques, fait que j e ne suis encore revenu que trois fois de celle t o u r n é e sans être t r e m p é j u s q u ' a u x os. Or, la suite de ces b a i n s forcés est toujours la fièvre. « Enfin il est u n d a n g e r à c r a i n d r e d a n s cette vi­ s i t e , c'est la r e n c o n t r e des C a ï m a n s . Les deux rivières de Kadéo en sont p e u p l é e s , et j ' e n ai déjà vu trois. Ces vilains a n i m a u x ont de sept à huit p i e d s , et peuvent être de la grosseur d'un h o m m e ; les n a t u r e l s les crai­ g n e n t b e a u c o u p . Au fait, il n e ferait p a s bon passer en­ tre leurs n o m b r e u s e s d e n t s , qui n e m o n t e n t pas à m o i n s de vingt-cinq pour la m â c h o i r e s u p é r i e u r e , et de vingt-huit pour l'inférieure. « Veut-on savoir m a i n t e n a n t quels préjugés super­ stitieux nous avons à c o m b a t t r e ; o n en j u g e r a par cet aperçu mythologique. C'est u n e histoire qu'il m ' a fallu écouter sans r i r e ; car le sauvage qui m e la racontait eût cru que j e me m o q u a i s d e l u i , et dès-lors il n'y eù plus eu moyen de lui a r r a c h e r u n e seule parole. « Un « j o u r , du côté de G u a g n a g ( à l'ouest de W o o d l a r k ) « vint u n h o m m e p u i s s a n t , qui avait le pouvoir de se


370

« g r a n d i r ou d e se rapetisser à volonté. Il s'appelait « G e r e n ; m a i s il y avait e n lui d e u x êtres, d o n t n o u s « r e m a r q u e r o n s les volontés différentes, et ces d e u x « êtres avaient n o m , l ' u n M a r i l a , l'autre T u d a r . C o m m e « nos s a u v a g e s , il portait au-dessous d u c o u d e u n s i a « s i r . , ou l a r g e b r a c e l e t . Arrivé à M o i o u , il n e vit « q u ' u n pays m i s é r a b l e , formé e n t i è r e m e n t d e co« r a u x . Aussitôt de son s i a s i r il tire u n petit p a q u e t « qu'il jette e n l ' a i r , et à l ' i n s t a n t les c o r a u x se recou« v r e n t de terre v é g é t a l e , et l'on voit sortir à l'envi « l'igname., le t a r o t , le cocotier et les autres p l a n t e s « a l i m e n t a i r e s . G e r e n voulait m ê m e pousser la g ê n é « rosité plus l o i n , et faire q u e ces fruits vinssent s a n s « c u l t u r e ; m a i s M a r i t a s'y o p p o s a , en p e i g n a n t sous « de vives couleurs les d a n g e r s d e l'oisiveté. Ce n'est « pas tout : l'illustre v o y a g e u r d o n n a des lois a u x h a « b i t a n t s , prescrivit q u e l q u e s formules d e p r i è r e , e n « joignit d e se vêtir d ' u n e m a n i è r e conforme à la d é «décenceet défendit d e m a n g e r d e c e r t a i n e s v i a n d e s . D e « là il passa a u x îles N a a l ou L a n g l a n . C'était u n e g r a n d e « terre é g a l e m e n t composée d e coraux. Muni d ' u n au« tre p a q u e t , il r e n o u v e l l e le prodige o p é r é ici ; m a i s « il n e trouve ni la m ê m e docilité ni la m ê m e recon« n a i s s a n c e . Les i n s u l a i r e s d e Naal refusent d e cul « tiver les i g n a m e s et les tarots. Irrité d e leur obstina­ it l i o n , G e r e n frappe d u p o i n g cette terre m a u d i t e , et « voilà qu'aussitôt l'île fractionnée n e présente plus « q u e h u i t à neuf ilots, o ù , p o u r toute r e s s o u r c e , v é « gèle le cocotier, lequel n'exige a u c u n e c u l t u r e . » Tel est le g e n r e de nos n a t u r e l s , qui d a n s tous l e u r s récits excellent à déprécier les a u t r e s p o u r se faire va­ loir. J e poursuis l'histoire de la théologie d e Moiou. « Après le m o r t , on va à Tum. C'est u n e petite île « très-fertile où les âmes des b o n s trouvent des b a n a -


371 « « « « « « « « « «

nes en a b o n d a n c e . Mais n'y entre pas qui veut. Sur le rivage veille D i k i n i k a n , la terrible déesse. A côté d'elle est u n serpent qui sert de pont e n t r e Moiou et T u m . Obtient-on grâce à ses y e u x , le serpent laisse passer ; en est-on réprouvé, le monstre plonge et le trépassé tombe e n t r e les dents d'un r e q u i n . Si m a i n t e n a n t vous m e d e m a n d e z ce qu'il faut pour être admis au séjour de la félicité, j e vous r é p o n d r a i qu'il suffit d'avoir sur les bras deux petites lignes de tatouage.

« Ce qui est plus curieux e n c o r e , c'est la m a n i è r e dont le soleil et la l u n e ont été créés. Il y a sur ce point quelques différences d a n s les détails; le fonds est le m ê m e . Le voici : Une b o n n e vieille avait le monopole du feu; elle exceptée, c h a c u n m a n g e a i t les aliments tout crus. Son fils lui dit : Vous êtes bien cruelle, vous voyez que le tarot n o u s écorche le p a l a i s , et vous n e nous donnez point de feu pour le faire cuire. La vieille avare fit la sourde oreille ; son fils la vola. Furieuse alors, elle prend le reste du feu qu'on lui avait laissé, le coupe en deux et le jette en l'air. Le plus gros mor­ ceau fit le soleil, et l'autre la l u n e . Tels sont les p r i n ­ cipaux traits de la mythologie indigène. « Après vous avoir m o n t r é le mauvais côté de nos sauvages, il est j u s t e , m o n cher P è r e , de vous parler de l e u r s b o n n e s qualités. Quoique cupides, ils n e sont pas aussi voleurs qu'on pourrait l'attendre de leur avi­ dité. Relativement aux occasions qu'ils ont eues, ils ont commis peu de larcins à notre préjudice. Bien qu'ils soient implacables d a n s les g u e r r e s , on peut pourtant dire qu'ils ont des m œ u r s douces : ont-ils des différends entre e u x ; les parties boudent quelque t e m p s , puis un ami c o m m u n les réconcilie. Joignez à cela qu'ils sont fort laborieux, et vous pourrez juger qu'il y a


372 encore du b o n chez nos K a n a c k s . Mais ce n*est pas tout : on peut tirer u n excellent parti de leur a m o u r - p r o p r e et m ê m e de la légèreté d e leur esprit. Ainsi l'excellent P è r e Thomassin a fait v e n i r au catéchisme tout u n vil­ lage qui m o n t r a i t b e a u c o u p de froideur, rien qu'en leur disant : « Aujourd'hui j ' i n v i t e les b o n s à venir m ' é c o u t e r ; q u a n t aux m é c h a n t s , qu'ils restent chez e u x . » P e r s o n n e n e voulut être d u n o m b r e des m é ­ c h a n t s , et l'auditoire fut au complet. U n e a u t r e f o i s , on vint m'avertir q u e le chef de l'île empêchait les enfants de se r e n d r e à la prière. J e tâchai de r é u n i r b e a u c o u p de m o n d e ; le chef l u i - m ê m e répondit à l'appel. Je m e t o u r n a i alors vers les h o m m e s , et leur dis avec u n e a p p a r e n t e colère : « Vous serez d o n c toujours men « teurs ; a u j o u r d ' h u i e n c o r e vous m'avez t r o m p é . Vous « m'avez dit q u ' E n a i n e voulait pas q u e les enfanta « vinssent p r i e r , c o m m e s'il n'était pas notre a m i . » Je fis alors son éloge. C'en fut assez ; il nia p u b l i q u e ­ m e n t l a conduite q u ' o n lui avait p r ê t é e , et fort de cet a v e u , j e pus facilement r e u n i r la j e u n e s s e . « Chose fort r e m a r q u a b l e ! n o u s avons tout près d'ici des îles où l ' a n t h r o p o p h a g i e est en h o n n e u r , et n é a n ­ moins nos naturels ont h o r r e u r de cette é p o u v a n t a b l e c o u t u m e . Puissent-ils en r é c o m p e n s e être bientôt a d ­ mis à la c o n n a i s s a n c e de la vérité ! Enfin ce qui nous soutient et n o u s e n c o u r a g e d a n s nos é p r e u v e s , c'est le bel avenir qui nous s e m b l e r é s e r v é , u n e fois q u e les premières difficultés s e r o n t a p l a n i e s . Doué d ' u n e intel­ ligence q u e j e n e c r a i n s pas d'appeler r a r e , ce peuple converti d o n n e r a c e r t a i n e m e n t de fort b o n s c a t é c h i s ­ t e s , et avec sa n o m b r e u s e j e u n e s s e , q u i , proportion­ n e l l e m e n t à la p o p u l a t i o n , excède de b e a u c o u p celle des autres î l e s , il n o u s fait e s p é r e r q u ' u n j o u r , on p o u r r a fonder u n collége et c o m m e n c e r ainsi l'oeuvre


373 i m p o r t a n t e d ' u n clergé i n d i g è n e . Une d e r n i è r e c o n s i ­ d é r a t i o n q u i a t t a c h e de l'intérêt à notre Mission, c'est qu'elle a des r e l a t i o n s faciles avec les archipels v o i ­ s i n s . Les N a a l , les G u a g n a g , les M a s i n , qui probable­ m e n t c o m m u n i q u e n t avec la N o u v e l l e - G u i n é e , vien­ n e n t f r é q u e m m e n t à W o o d l a r k . Déjà u n petit enfant de Naal a reçu le b a p t ê m e , et j ' a i fait assez de caté­ chismes a u x Masin pour dire que p l u s i e u r s savent l'es­ sentiel d u d o g m e et de la m o r a l e . « Voilà, mon révérend P è r e , un tableau abrégé de la vigne q u e le S e i g n e u r nous a confiée. Vous voyez (sue les ronces n'y m a n q u e n t p o i n t , m a i s elles n e r e ­ couvrent pas n o n plus u n sol tout à fait i n g r a t . J'ajoute en finissant u n état succinct de n o s œ u v r e s et d e nos succès. « Nous avons r é g u l i è r e m e n t d e u x c a t é c h i s m e s p a r j o u r d a n s notre m a i s o n , l'un le m a t i n , l ' a u t r e le soir. Le peuple est convoqué a u son d e la c l o c h e . Il y vient toujours b o n n o m b r e d ' e n f a n t s et parfois q u e l q u e s h o m m e s . Les femmes sont plus r e b e l l e s , p a r c e q u e leurs désordres sont m i e u x c o n n u s . E n g é n é r a l l'in­ struction religieuse est assez a v a n c é e . Q u a n t au c h a n ­ g e m e n t d u c œ u r , il est m o i n s r a p i d e . Il n'y a g u è r e q u e la j e u n e s s e qui ait s e n s i b l e m e n t profité, aussi il faut le d i r e , sa docilité n o u s d o n n e bien de la satisfaction. Du r e s t e , b i e n q u e l e s v i e i l l a r d s m o n t r e n t plus q u e de l'indifférence, qu'ils s o i e n t m ê m e parfois bien c h a g r i n é s d e n o u s e n t e n d r e t o n n e r c o n t r e leurs vices, et de voir l e u r s petits-fils leur faire la leçon par leurs e x e m p l e s ; b i e n que le chef E n a i et les prêtres n o u s suscitent de temps e n t e m p s q u e l q u e s tra­ casseries, toutefois on n e peut pas dire q u e n o u s soyons entravés d a n s notre ministère. Nous s o m m e s d o n c pleins d ' e s p é r a n c e p o u r l'avenir ; et q u a n t au p r é s e n t ,


374 nous avons déjà b a p t i s é b o n n o m b r e d ' e n f a n t s , q u i , joints à q u e l q u e s adultes r é g é n é r é s à l'article de la m o r t , n o u s d o n n e n t le chiffre total d e soixante-cinq chrétiens. De ce n o m b r e dix-sept s o n t m o r t s . D e p l u s n o u s avons six c a t é c h u m è n e s et b e a u c o u p de p o s t u lants. « P r i e z , m o n r é v é r e n d P è r e , le D i e u d e m i s é r i corde d'achever son œ u v r e . Hélas ! s'il n'y m e t la m a i n , nos efforts s e r o n t i m p u i s s a n t s . J e vous r e c o m m a n d e surtout notre Mission. Si vous r e n c o n t r e z d a n s vos courses des âmes fortes, g é n é r e u s e s , prêtes à tout souffrir p o u r J é s u s - C h r i s t , d i t e s - l e u r qu'à Moiou elles trouveront d e quoi satisfaire l e u r sainte passion. Ici des c r o i x , des é p r e u v e s , des c o m b a t s ; qui sait ? peutêtre la mort ! Mais aussi q u e de c o u r o n n e s ! O n m ' a n n o n c e q u ' u n protestant vient de s'établir d a n s l'île. Il d é c l a m e fort contre les catholiques ; il a m ê m e , diton, e n g a g é les n a t u r e l s à se défaire d e n o u s . Eh bien ! si Dieu p e r m e t q u e ses m a u v a i s desseins r é u s s i s s e n t , si n o t r e tête va o r n e r u n e p i r o g u e ou le faîte d ' u n e c a s e , p e r d r o n s - n o u s p o u r cela l'espoir de n o u s retrouver en corps et en â m e au g r a n d j o u r d e l'éternité ? Perd r o n s n o u s le droit de dire au j u s t e J u g e : Ego le clarifîcavi super terrain, opus consummavi, quod dedisti mihi ut facium ; et nunc clarifíca me ? (1) « J e vous e m b r a s s e d a n s les s a i n t s cœurs d e Jésus et d e M a r i e , « Votre tout dévoué frère : « X . MONTROUZIER, pro-vic.

(1) Je vous ai glorifié sur m'aviez

confiée ; et maintenant

la terre ; jai

termine

glorifiez-moi à votre

I

S. M. »

l'œuvre tour.

que

vous


376 Lettre d u R . P . R o u g e y r o n , Missionnaire Apostolique d e la Société d e M a r i e , à u n d e ses Confrères,

Annatom, juin 1 8 4 9 ,

« MON RÉVÉREND P È R E ,

« Nous n'avons pas à combattre ici contre la férocité des indigènes ; m a i s n o u s y avons trouvé d e u x autres e n n e m i s r e d o u t a b l e s . Le premier est le protestantisme, représenté p a r d e u x ministres qui sont v e n u s se fixer à côté de n o u s , et qui travaillent de toutes l e u r s for­ ces à paralyser le bien q u e n o u s c h e r c h o n s à faire. S'ils sont encore u n peu réservés à notre s u j e t , c'est q u ' e n t r e leur établissement et le nôtre, se trouve celui d ' u n Anglais, M. P a d d e n , qui fait en g r a n d le c o m ­ m e r c e du bois de s a n d a l d a n s ces îles. Q u o i q u e p r o ­ testant, M. P a d d e n n'a j a m a i s cessé de n o u s p r o t é g e r , et son associé, M . S o m m e r v i l l e , I r l a n d a i s c a t h o l i q u e , veille également s u r nos intérêts. « Notre second e n n e m i , c'est la fièvre q u e nous n e nous attendions pas plus à r e n c o n t r e r ici q u e le p r o ­ testantisme. Elle r è g n e d a n s tout le pays ; d e p u i s treize mois que n o u s h a b i t o n s l'île, n o u s n ' a v o n s pas cessé d'avoir des m a l a d e s , et n o t r e m a i s o n r e s s e m b l e à u n h ô p i t a l . Sur treize q u e n o u s sommes, y compris q u a t r e j e u n e s Calédoniens, a u c u n n'a pu éviter ses atteintes. Ma position à la tête de cette Mission désolée m e paraît


376 bien pénible, et les souffrances d e mes confrères m e n a v r e n t le cœur. Mon Dieu, m'écrié-je souvent, s'il est possible, q u e ce calice s'éloigne de moi ! C e p e n d a n t q u e votre sainte volonté se fasse et n o n la m i e n n e ! C h a q u e j o u r j e r e g a r d e si j e n e vois pas p o i n d r e à l'ho­ rizon q u e l q u e navire qui n o u s a m è n e Mgr d ' A m a t a . J e n e soupire plus q u ' a p r è s l'arrivée de Sa G r a n d e u r pour m e délivrer d ' u n fardeau q u i m ' a c c a b l e . « Je n e parle pas de conversions. 11 y a à peine u n an q u e nous résidons à A n n a t o m , et en Mélanésie sur­ tout, ce n'est pas a u bout d ' u n a n , ni m ô m e de deux, qu'on peut espérer faire d e bons chrétiens d e nos San vages. Outre les vices de tout g e n r e e n r a c i n é s chez eux dès l'enfance, n o u s avons encore à c o m b a t t r e l'indiffé­ r e n c e la plus complète en m a t i è r e d e religion. Le rôle q u e la Providence paraît n o u s destiner, consiste à d é ­ fricher p é n i b l e m e n t ce c h a m p jusque-là inculte, à r é ­ p a n d r e avec nos sueurs et n o s l a r m e s la s e m e n c e de la vraie doctrine. D'autres v i e n d r o n t après n o u s lever la moisson; h e u r e u x nous m ê m e s , si nous pouvons cueil­ lir quelques épis m û r s a v a n t le temps ! Deux adultes ont été baptisés e n d a n g e r d e m o r t ; l'un est décédé u n e d e m i - h e u r e après son b a p t ê m e ; l ' a u t r e , qui a sur­ v é c u , nous est resté attaché et d e v i e n d r a , nous l'es­ pérons, u n fervent c h r é t i e n . Le j o u r de sa régénéra­ tion, q u e nous crûmes être celui d e sa mort, le P. Gagnière lui mit au cou u n e m é d a i l l e d e la sainte Vierge, et malgré toutes les railleries qu'on en a fait, il n e l'a pas quittée. Lui propose-t-on u n e m a u v a i s e action, il répond, en m o n t r a n t sa m é d a i l l e : « Ne vois-tu pas ce q u e j e porte ? » Nous n o u s trouvons aussi c h a r g é s d e quelques blancs q u i h a b i t e n t d a n s cette ile pour y faire le bois de s a n d a l .


377 « Cette fois j e ne vous enverrai pas de notice sur les m œ u r s et les usages d e ce peuple. P o u r en p a r l e r avec vérité, nous sommes encore trop é t r a n g e r s à ses usages et n o u s n ' a v o n s pas u n e c o n n a i s s a n c e assez approfon­ die de sa l a n g u e . C e p e n d a n t il faut q u e je vous fasse connaître u n e a b o m i n a b l e c o u t u m e qui r è g n e à A n n a tom. 11 y a trois mois q u ' u n de nos voisins est m o r t . Il avait à peine r e n d u l'âme, q u e q u a t r e h o m m e s , proches parents de la femme du défunt, se sont précipités c o m m e des furieux s u r cette pauvre veuve, qui n'oppo­ sait a u c u n e résistance et qui paraissait m ê m e d e m a n ­ der qu'on lui ôtàt la vie, p o u r aller a c c o m p a g n e r son m a r i d a n s le t o m b e a u . En u n i n s t a n t elle eût été étran­ glée, si nous n'étions a c c o u r u s pour a r r ê t e r ces assas­ sins. Voilà l'état sauvage ; voilà ce q u e sont les h o m ­ mes sous l'empire de celui qui fut homicide dès le c o m m e n c e m e n t . La raison d e celle b a r b a r i e est d ' e n ­ gager les femmes à veiller sur les j o u r s de l e u r s m a r i s ; et., de fait, elles en p r e n n e n t le plus grand soin, car elles savent que de sa mort d é p e n d la leur. Cette politique vous fait frémir, et nous aussi n o u s en f r é m i s s o n s , q u a n d nous voyons u n e foule de j e u n e s o r p h e l i n s p a r suite de cette infernale c o u t u m e . Ce qui est n a v r a n t p o u r le c œ u r , c'est d ' e n t e n d r e ces petites c r é a t u r e s , q u a n d n o u s leur d e m a n d o n s où est leur m è r e , nous r é p o n d r e d ' u n air r i a n t : « Ma m è r e ! a h ! elle a été é t r a n g l é e . » Et si n o u s ajoutons : « Quel m a l h e u r ! quel c r i m e ! » ils r é p l i q u e n t aussitôt : « Pourquoi m o n père est-il m o r t ? puisqu'il était mort, il fallait bien étrangler ma mère. » « Les i n s u l a i r e s d'Annatom ont d e singulières idées s u r les p h é n o m è n e s n a t u r e l s du soleil, de la pluie, d u v e n t , etc. P o u r le soleil, ce sont certains individus de la m o n t a g n e , qui le r e n d e n t plus ou moins ardent. La


378 pluie, selon eux, est produite par d'autres h o m m e s qui h a b i t e n t d u côté d'où elle vient o r d i n a i r e m e n t . Q u a n d elle arrive d'un a u t r e côté, ils vous r é p o n d e n t q u e per­ s o n n e n'a fait celle-là, qu'elle t o m b e parce qu'elle veut tomber. il en est de m ê m e d u vent. J'ai vu souvent quelques-uns de ces faiseurs de pluie, et lorsque je leur ai d e m a n d é si v r a i m e n t ils faisaient pleuvoir, ils m ' o n t toujours certifié leur pouvoir avec a s s u r a n c e . « Faitesmoi d o n c tomber d e la pluie m a i n t e n a n t , leur d i s a i s je. — Il faut, répondaient-ils, q u e l q u e s j o u r s p o u r la préparer. — Eh bien ! faites-moi assister à cette f a b r i ­ c a t i o n . — Mais c'est t a p u ( s a c r e ) , ajoutaient-ils. » Si p a r h a s a r d la pluie survenait à q u e l q u e s j o u r s de là, ils accouraient tout t r i o m p h a n t s p r o c l a m e r leur puis­ s a n c e . Si, au contraire, elle n'arrivait pas, ils savaient bien répliquer : « Vous n e m ' a v e z p a s fait de présent, voilà pourquoi j e n e vous ai pas d o n n é de pluie. » Que résulte-t il de cette m a l h e u r e u s e superstition ? des guerres continuelles. Qu'il y ait u n e sécheresse, q u ' u n orage dévaste les p l a n t a t i o n s , aussitôt les Sauvages s'en p r e n n e n t aux p r é t e n d u s a u t e u r s de ces fléaux, et la g u e r r e est déclarée aux tribus où h a b i t e n t les fabri­ cants de la pluie ou du v e n t . « Je prévois q u e Mgr d'Amata, à son arrivée, m ' e m ­ m è n e r a avec lui en Nouvelle-Calédonie ; c'est l à , du reste, m o n désir; j e m e r e t r o u v e r a i avec m e s anthropo­ p h a g e s . J'ai avec moi q u a t r e j e u n e s guerriers calédo­ n i e n s , bien a r m é s du bouclier d e la foi et du casque d e l'espérance. P e u t - ê t r e sont-ils destinés à devenir les apôtres de l e u r p a y s . Ils sont fort pieux ; eux seuls font m a consolation et m a joie. « Me voilà a u bout de m a lettre ; p a r d o n n e z son insi­ gnifiance à u n p a u v r e m a l a d e à qui la fièvre p e r m e t à peine de tenir la p l u m e , et qui compte s u r vos prières. « ROUGEYRON, S , M . , P r o v i c a i r e A p o s t o l i q u e . »


379)

A u t r e l e t t r e d u même M i s s i o n n a i r e a u R . P . S u p é r i e u r général d e l a Société d e Marie.

A bord de l'Elisabeth,

près de Sydney,

le 10 juin 1 8 5 0 ,

« Mon

TRÈS-RÉVÉREND

PÈRE

« Si j ' a i tardé cette fois à vous écrire, c'est que j ' a i voulu a t t e n d r e le d é n o u e m e n t des épreuves q u i d é s o ­ ient notre infortunée Mission de la Nouvelle-Calédonie. Mon âme était vivement é m u e p a r la résolution q u i avait été prise d ' a b a n d o n n e r p o u r toujours ce n o u v e a u vicariat. L ' a d i e u q u e j ' a i dit à ce p a y s , c o n d a m n é , ce s e m b l e , à n e plus revoir de Missionnaires q u ' a u g r a n d jour des v e n g e a n c e s , m'a fait plus d e m a l q u e la fiè­ vre b r û l a n t e qui m ' a consumé p e n d a n t plus d ' u n an à A n n a t o m . J e c o m m e n c e m a i n t e n a n t à r e s p i r e r , parce q u e le saug du p r e m i e r m a r t y r de la Nouvelle-Calédo­ nie paraît avoir o b t e n u grâce pour cette terre jusquelà si rebelle et si ingrate. Mais, pour b i e n m e t t r e votre paternité a u c o u r a n t de tout, j e vais r e p r e n d r e les évé­ n e m e n t s à leur source, c'est-à-dire a u r e t o u r d e Mgr d'Amata, le 7 s e p t e m b r e d e r n i e r . « Sa venue fut p o u r n o u s tous u n e fête de famille. Après quelques j o u r s passés ensemble, Monseigneur, d o n t l'intention était de r e t o u r n e r à son a n c i e n n e Mission, m'emmena avec lui pour me s o u s t r a i r e a u x


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atteintes de la fièvre, et aussi parce q u e m o n poste était n a t u r e l l e m e n t fixé d a n s la Calédonie. H e u r e u x de notre rentrée d a n s cette î l e , q u e de g r a n d e s épreuves n o u s avaient r e n d u e si c h è r e , n o u s nous présentâmes à H i e n g u è n e , chez le g r a n d a n t h r o p o p h a g e d o n t vous avez p r o b a b l e m e n t e n t e n d u p a r l e r . Bouarat, c'est son n o m , nous reçut avec de vives démonstrations de j o i e ; des P è r e s furent désignés pour cette s t a t i o n , t a n d i s q u e Monseigneur, le P . B e r n i n et m o i , devions aller fonder u n second établissement à P o u é b o ou à Ballade. T a n d i s q u e n o u s formions ces projets, n o u s a p p r î m e s , à Hienguène, q u e notre m a i s o n d e Pouébo était d é ­ truite ; q u e les h a b i t a n t s de B a l l a d e , de leur côté, avaient surpris u n navire et e n avaient m a n g é l'équi­ page. Cette nouvelle n o u s fit frémir et r e n v e r s a tous nos plans. Nous n e laissâmes cependant pas de n o u s r e n d r e d a n s celte d e r n i è r e t r i b u , où il fut facile de re­ connaître p a r nous-mêmes la triste vérité du récit qu'on nous avait fait. Il y aurait eu grave i m p r u d e n c e à n o u s fixer p a r m i ces h o r r i b l e s a n t h r o p o p h a g e s . Aussi n o t r e parti fut bientôt arrêté, c'était de recevoir à b o r d nos q u e l q u e s néophytes et d e n o u s retirer avec e u x d a n s u n lieu p l u s sur. « Ce dernier acte de c a n n i b a l i s m e , j e vous l'avoue, m'avait t e l l e m e n t i n d i g n é , q u e je ne voulais pas m ê m e m e t t r e pied à t e r r e d a n s cette t r i b u ; m a i s , Monsei­ gneur, qui désirait revoir l e l a m e n t a b l e théâtre de nos épreuves, était déjà descendu dans l'embarcation ; je s a u t a i après lui, car j e n e pouvais le laisser aller seul au d a n g e r . A mesure q u e n o u s a p p r o c h i o n s d u rivage, n o u s apercevions les Sauvages a r m é s qui se r é u n i s ­ saient et avaient l'air d e chuchoter e n s e m b l e . Nous avancions vers e u x à toutes r a m e s , et de l e u r côté ils venaient à n o u s , mais à pas lents et en se t e n a n t s u r


3Si leurs gardes. Bientôt u n cri p a r t de l e u r s r a n g s : « C'est « l'Epikopo, c'est le P. Rougeyron et J e a n ! » En m ê m e temps ils jettent leurs a r m e s et v i e n n e n t droit à n o t r e canot. Leur chef, T i a n g o u n é , p r e n d en m a i n u n mor­ ceau de t a p e , en signe de p a i x , et e n n o u s a b o r d a n t il n o u s improvise ce petit discours : « Epikopo, P . Bougeyron et toi J e a n , nous avons « honte de p a r a î t r e devant vous a p r è s tout le mal q u e « n o u s vous avons fait. P a k i l i p u m a , n o t r e ancien chef « n'est p l u s , et voilà pourquoi n o u s s o m m e s d e v e n u s « m é c h a n t s . Mais, p a r d o n n e z - n o u s , et n o u s r e d e v i e n d r o n s bons. Revenez h a b i t e r au milieu de n o u s . Si « vous ne pouvez s u p p o r t e r notre p r é s e n c e , p a r c e q u e « n o u s avons été trop c o u p a b l e s , voyez ces h a u t e s « m o n t a g n e s de Diaote, n o u s irons c a c h e r notre honte « derrière elles, et vous d e m e u r e r e z ici. Choisissez la « vallée q u i vous sera la plus a g r é a b l e . » « Nous leur r é p o n d î m e s que le p r e m i e r s a n g r é p a n ­ d u aurait été p a r d o n n é de bon c œ u r , s'ils n ' e n avaient versé de n o u v e a u . À cela, T i a n g o u n é répliqua qu'ils se croyaient a b a n d o n n é s des Missionnaires pour tou­ j o u r s ; q u ' a i n s i ils s'étaient laissés aller au désespoir, et, p a r suite, au crime. J'ai a p p r i s depuis qu'un petit n o m b r e s e u l e m e n t de Baladiens, et des p l u s mauvais sujets, avaient t r e m p é d a n s cet h o r r i b l e attentat contre l'équipage du C u t t e r . Monseigneur l e u r p r o m i t toute­ fois qu'il r e v i e n d r a i t plus lard a u milieu d'eux, s'ils voulaient sincèrement se convertir, et ils fuient satis­ faits. « Le l e n d e m a i n n o u s r e d e s c e n d î m e s à terre, et e n ­ couragés par les b o n n e s dispositions des n a t u r e l s , nous désirâmes revoir ces lieux p o u r n o u s de si triste m é m o i i v . C'était u n vrai c h e m i n de croix q u e nous avions à p a r c o u r i r depuis l'emplacement où s'élevait, deux


382

ans et demi a u p a r a v a n t , notre petite chapelle, et q u e nous retrouvâmes couvert d'herbes et de broussailles, jusqu'à l'endroit où le pieux frère Biaise avait versé son s a n g . Partout n o u s fûmes bien accueillis. La dou­ leur paraissait peinte sur tous les visages. Un seul, et c'était le g r a n d chef Nemona, se m o n t r a fier et peu r e ­ pentant. Bien que sa t e n u e fût assez c o n v e n a b l e , il y avait u n e fourberie m a l déguisée au fond de cette â m e perverse, première cause de tous nos m a u x « Nous quittâmes donc Balade, après avoir e m b a r ­ qué la plupart de nos néophytes, au n o m b r e de vingttrois, t a n t h o m m e s q u e femmes. Nous n'avions pas eu de p e i n e à les r é u n i r , car ils fuient les p r e m i e r s à nous recevoir sur le rivage. P e n d a n t tout le temps d e notre exil, ils avaient persévéré d a n s la prière et l e u r s pieux exercices. Cette fidélité aux devoirs d e la Reli­ gion, p e n d a n t u n a b a n d o n de deux ans et d e m i , fait espérer beaucoup de ce peuple pour le jour de sa con­ version. Elle est d ' a u t a n t plus méritoire qu'on lui avait fait, après notre d é p a r t , u n e g u e r r e ouverte. Le chef Michel, notre bon catéchiste, avait r e c o m m a n d é a u x siens de faire le signe de la croix p e n d a n t le c o m b a t , et ils y ont été fidèles. À la vérité, ils ont d û s u c c o m ­ ber, vu leur petit n o m b r e ; m a i s pas u n seul n'a péri, et p o u r t a n t ils se sont vus plusieurs fois cernés de si près, qu'ils avouent que Dieu seul a pu les sauver. Michel, lui-même, a été transpercé d ' u n coup de l a n c e ; déjà les e n n e m i s se précipitaient sur lui pour l'achever à coups de casse-tête ; il les e n t e n d a i t se disputer leur proie pour la dévorer ; et il p a r v i n t à s'arracher tout seul à leur fureur. « Tous nos néophytes é t a n t à bord, excepté Grégoire, père de famille, qui se trouvait à dix lieues d a n s l'in­ térieur, le navire fit voile vers le s u d de la Nouvelle-


383 Calédonie, où n o u s établimes notre petite réduction d a n s u n lieu appelé J a t é . Là, tout prospérait déjà ; nos j e u n e s Baladiens avaient cultivé de vastes c h a m p s , lors­ q u e , d a n s cette retraite q u e n o u s r e g a r d i o n s c o m m e peu habitée, n o u s nous vîmes entourés d ' u n e foule de Sauvages, accourus de plus de dix lieues à la r o n d e . Des m e n a c e s , des complots se formaient chaque j o u r c o n t r e n o t r e colonie n a i s s a n t e . S u r ces entrefaites, ar­ riva Monseigneur avec toute sa suite, ils avaient failli t o m b e r sous les coups du cruel Bouarat, le chef d'Hieng u è n e , et ils comptaient trouver sûreté et repos au m i ­ lieu de n o u s . Nous leur a p p r î m e s , h é l a s ! qu'à J a t é n o u s avions peu d'espérance pour l'avenir ; q u e tôt ou tard, surtout au t e m p s de la récolte, il faudrait, ou laisser piller la moisson, ou p e r m e t t r e à nos gens de se défendre avec les a r m e s à feu. Sa G r a n d e u r n e put se résoudre à employer u n moyen peu en r a p p o r t avec le b u t de notre Mission. Après nous avoir tous consultés, Mgr d'Amata décida que n o u s quitterions la NouvelleCalédonie, p u i s q u e n o u s n e pouvions y rester sans re­ pousser la force p a r la force. « Avant d e secouer la poussière de ses pieds sur ce m a l h e u r e u x pays qui n e voulait pas recevoir la grâce de Dieu, Monseigneur me chargea d'aller a n n o n c e r cette résolution à nos néophytes. Ils avaient le choix, ou de r e t o u r n e r chez eux avec le navire q u i était a u port, ou bien d'aller à F u t u n a où ils trouveraient des Missionnaires. A cette nouvelle, tous fondirent en l a r ­ mes ; c'était la foi qui les leur faisait verser. « Et m o n père, disait l'un, et ma m è r e , disait l'autre, n e seront d o n c j a m a i s chrétiens ! » Ainsi s'exhalait l e u r douleur. Je n e pus tenir à u n spectacle si attendrissant, et j e m'éloignai d'eux pour leur laisser le loisir de se c o m -


384 m u n i q u e r leurs idées Q u e l q u e s i n s t a n t s après je r e ­ vins ; j e fis cesser leurs sanglots en leur d e m a n d a n t quel parti ils avaient pris. — « Vous suivre partout où vous irez, r é p o n d i r e n t - i l s . — Mais si nous r e t o u r n o n s d a n s notre pays, il y fait froid et vous m o u r r i e z b i e n ­ tôt. — T a n t mieux, s'écrièrent-ils ; m a i n t e n a n t n o u s n e désirons plus q u e la m o r t . » L e u r avis u n a n i m e fut de se transporter d a n s u n e île bien éloignée, où il y aurait des Missionnaires, afin de n e plus e n t e n d r e p a r ­ ler d'une patrie qu'ils r e g a r d a i e n t c o m m e réprouvée p o u r toujours. « Nous m i m e s alors à la voile, chassés p o u r la se­ conde fois de la Calédonie, et bientôt n o u s a r r i v â m e s à file des P i n s . J e profitai de ce t e m p s pour finir d'in­ struire les c a t é c h u m è n e s . Monseigneur les baptisa, au n o m b r e de treize, à l'arrivée d u vaisseau q u i devait nous transporter à F u t u n a . « Vint le m o m e n t du d é p a r t . Comme la g ë l e t t e était petite, q u e n o u s nous trouvions d a n s la saison des tempêtes, et q u e notre c a p i t a i n e , j e u n e h o m m e de dixneuf a n s , c o m m a n d a i t p o u r la p r e m i è r e fois u n n a v i r e , j e priai M o n s e i g n e u r de m e d o n n e r u n c o m p a g n o n de voyage. Le P . Gagnière m e fut accordé, ce qui était d ' a u t a n t plus facile q u e les P P . ( h a p u y et Vigoureux v e n a i e n t d'arriver à l'île des P i n s avec le frère Mallet, Monseigneur n'avait pu l e u r p e r m e t t r e de rester plus longtemps à A n n a t o m , où la fièvre les épuisait toujours davantage. « Après u n mois de traversée, nous a r r i v â m e s heu­ r e u s e m e n t à F u t u n a . D u r a n t le voyage, n o s chrétiens étaient si édifiants, que le c a p i t a i n e et l'équipage, bien que tous protestants, m'ont d e m a n d é plusieurs fois d'invi­ ter nos néophytes à faire leurs prières sur le pont, pour qu'ils eussent le loisir d'en être les témoins. Aussi tous


38.5

les soirs, q u a n d la m e r n'était pas o r a g e u s e , les C a l é ­ doniens d ' u n côté, les W a l l i s i e n s d e l ' a u t r e , faisaient retentir les airs de leurs c h a n t s religieux. C'était u n touchant et b e a u spectacle de voir ces p r e m i e r s c h r é ­ tiens, agenouillés sur u n e frêle b a r q u e , au milieu de l ' O c é a n , faire m o n t e r vers les cieux de si ferventes prières. Les solitudes de l'abîme retentissaient de leurs saints c a n t i q u e s ; et les n o m s si d o u x de Jésus et de Marie venaient se mêler a u bruit des vagues, et réjouir délicieusement nos c œ u r s . Abstraction faite des misères inséparables du séjour d'un n a v i r e c o m m e le n ô t r e , tout le reste allait bien : le c a p i t a i n e conduisait à mer­ veille son b a t e a u ; l'équipage était u n i et tout à fait complaisant à n o t r e é g a r d ; le bon ordre léguait parmi nos n a t u r e l s . Ils souffraient eux aussi d a n s la cale où ils couchaient p r e s q u e les u n s s u r les a u t r e s ; mais au­ cun ne m u r m u r a i t . L'un d'eux, Michel, d o n t j e vous ai p a r é plus haut, est resté é t e n d u et m a l a d e , s u r la c h a î n e de l'ancre, d u r a n t environ quinze j o u r s . C'était un assez gros cilice : eh bien ! il n ' a pas fait e n t e n d r e u n mot de p l a i n t e . Pour d é d o m m a g e r m e s néophytes d e cet état de g ê n e , q u a n d arrivait u n j o u r de calme, j e leur permettais de se b a i g n e r . Alors éclatait leur j o i e . Au signal q u e j e d o n n a i s , ils se précipitaient à la m e r , les u n s des bastingages, les a u t r e s du h a u t des mâts, et ils folâtraient si bien dans l'eau, qu'on les eût pris pour u n e troupe de m a r s o u i n s . Ce petit délasse­ m e n t leur faisait oublier tous leurs m a u x . « Nous mouillâmes à F u t u n a u n d i m a n c h e m a t i n . Le port était désert. « Où sont les h a b i t a n t s de ce vil­ lage ?» m e répétaient s a n s cesse le c a p i t a i n e et ses ma­ telots. Ils ignoraient q u e les n a t u r e l s d e F u t u n a , ca­ tholiques fervent ?, étaient tous allés à la messe. Les maisons étaient a b a n d o n n é e s , car d a n s celte île converTOM

XXIII

138

20


386 lie on ne sait pas ce q u e c'est q u e le vol. Une h e u r e d'attente se passe ; alors nous entendons retentir de toutes parts le c h a n t des cantiques. C'étaient les insu­ laires qui revenaient de l'église en b é n i s s a n t le Sei­ g n e u r . Nos Pères s'empressèrent d e venir n o u s rece­ voir. Cette e n t r e v u e fut v r a i m e n t u n j o u r de fête p o u r nous tous. Ces premiers chrétiens de la Nouvelle-Ca­ lédonie, persécutés p o u r la foi par leurs compatriotes, étaient reçus c o m m e des frères p a r les nouveaux fidè­ les d e F u t u n a . Oh ! c o m m e la religion est a d m i r a b l e ! J u s q u ' a u bout du m o n d e , sur u n îlot p e r d u a u milieu de l ' O c é a n i e , partout elle fait trouver des frères d a n s la g r a n d e famille des chrétiens. On plaça notre petite colo­ nie auprès d u chef P h i l i p p e , n o n loin d u collége qu'on essaie de fonder. Le B. P. Mathieu a bien voulu y rece­ voir six j e u n e s Calédoniens. Le P . Gagnière restera avec eux pour a p p r e n d r e leur l a n g u e et leur d o n n e r ses soins. Pour moi, j'ai repris la m e r , et me voilà près d'aborder à Sydney. Mon b u t est, aussitôt q u e j e serai arrivé, de frêter u n navire et de r e p a r t i r p o u r la Nou­ velle-Calédonie. Si j'y trouve deux cents n a t u r e l s qui veuillent me suivre, j e les conduis tous à F u t u n a , au milieu de ces b o n s néophytes qui seront e n c h a n t é s de les recevoir, et qui m'ont déjà comblé de présents pour leurs hôtes futurs. J e suis convaincu qu'en très-peu de temps, avec les instructions qui leur seront faites et les bons exemples qu'ils a u r o n t sous les yeux, ils d e v i e n ­ d r o n t d'excellents chrétiens. Aussi, si je vais à Balade, je n'hésiterai pas à p r e n d r e ceux qui se p r é s e n t e r o n t , les chefs de préférence, et le g r a n d chef l u i - m ê m e , tout m a u v a i s qu'il peut être. « Si vous voulez, m o n très-révérend Père, c o n t i n u e r cette Mission de la Nouvelle-Calédonie, je consens vo­ lontiers à retourner pour la troisième fois sur le c h a m p


387 d e bataille, et cette fois il faudra vaincre ou mourir. J e n'ignore pas les peines sans n o m b r e q u e j ' y rencon­ trerai e n c o r e . Mais, n'importe, j e m e dévoue pour mes premiers enfants en Jésus-Christ D a n s celte nouvelle tentative, j ' a i la confiance que la croix t r i o m p h e r a , et q u e le glorieux é t e n d a r d du salut sera enfin arboré sur ces rives sauvages et inhospitalières. Il y a tout à espé­ r e r de ces gens, u n e fois qu'ils seront convertis : j u s ­ q u ' à présent a u c u n de nos cliers enfants n e nous a été infidèle. « Au cas où la volonté de Dieu, q u i m e sera m a n i ­ festée par votre décision, m e rappellerait en Calédonie, il nous faudra c o m m e n c e r le plus simplement possible: d e u x prêtres sans frères suffiront pour les premières a n n é e s , et nous ne p r e n d r o n s avec n o u s q u e les objets absolument indispensables. « Je crois vous avoir tout dit en simplicité de c œ u r . Faites ce que le b o n Dieu vous suggérera.: vous trou­ verez en moi, j e l'espère, u n enfant docile et soumis aux volontés de son p è r e . . . « ROUGEYRON, S. M, »

P o s t - S c r i p t u m du 2 0 septembre 1850. —- Mon pro­ jet réussi. Apres être revenu en Calédonie, j e suis reparti p o u r F u t u n a avec quarante-trois n a t u r e l s , tant h o m m e s q u e f e m m e s ; sept d'entre eux s o n t des chefs influents, et trois sont du n o m b r e de nos assassins. Touchés d e repentir, ces derniers m'ont supplié de leur permettre de me suivre. A tout péché miséricorde. Ils sont aujourd'hui m e s p l u s g r a n d s amis. P e t e n s e s t D e u s


388 d e l a p i d i b u s i s t i s s u s c i l a r e filios A b r a o c (1). La traversée a été l o n g u e et pénible, n o u s avons eu continuellement vent d e b o u t . Enfin, le 8 septembre, fête de la Nativité d e la Sainte Vierge, nous sommes arrivés à F u t u n a , et le soir, j ' a i d o n n é la bénédiction du Saint S a c r e m e n t . La première colonie était fidèle à ses devoirs et accli­ m a t é e à sa nouvelle patrie. J'espère qu'il en sera de m ê m e des derniers v e n u s . Ici nos Calédoniens sont à l'école de la sagesse; j ' a i m e à croire qu'ils en profite­ ront, et q u ' a p r è s avoir imité les F u t u n i e n s d a n s leurs crimes, ils les imiteront u n j o u r d a n s l e u r p é n i t e n c e et leurs vertus. Dès qu'ils seront bien convertis, le P. Gagnière et moi comptons les r a m e n e r d a n s leur pays. En a t t e n d a n t , je vais m ' a p p l i q u e r de mon m i e u x à les instruire et à prier pour eux ; le bon Dieu fera le reste. Ce temps q u e je passe à F u t u n a , j e le r e g a r d e c o m m e un temps de grâces pour m e p r é p a r e r à c o m b a t t r e de nouveau les combats du S e i g n e u r . Que Marie n o u s soit en aide ! « Agréez « ROUGEYUON,

(!)

De ces pierres

Dieu a la puissance

S.

M.

de tirer de ; enfants

»

d'Abraham.


389

Extrait d ' u n e lettre d u R . P . Petitjean,

Missionnaire

A p o s t o l i q u e d e l a S o c i é t é d e M a r i e , à M. P a i l l a s s o n , son

beau-frère.

Nouvelle Zélande, 15 août 1 8 5 0 .

« MON ensa F r è r e ,

« Après la division de la Nouvelle-Zélande en deux vicariats apostoliques, Mgr Viard, laissant la partie sep­ t e n t r i o n a l e à Mgr Pompallier, s'est r e n d u à W e l l i n g ­ ton, principale ville de sa j u r i d i c t i o n nouvelle, située sur le détroit de Cook. Il fallut pour le suivre dire adieu aux fidèles q u e n o u s avions cultivés jusque-là ; mais leur cœur sut n o u s t é m o i g n e r u n e générosité filiale qui adoucit celte s é p a r a t i o n , et qui nous fit goû­ ter u n e p a r t i e d u c e n t u p l e promis à ceux qui a u r o n t tout quitté. « En e n t r a n t d a n s le détroit d e Cook, nous sentîmes q u e n o u s t o u c h i o n s à la région des tempêtes. Mais, plus h e u r e u x q u e bien d'autres vaisseaux qui, de temps à autre, périssent d a n s ce r e d o u t a b l e p a s s a g e , le nô­ t r e nous déposa

le 1

e r

m a i au port q u e nous cher­

chions. « Aujourd'hui, après q u a t r e mois de séjour,

nous

s a l u o n s déjà plus d ' u n e e s p é r a n c e p o u r notre sainte Religion. D ' a b o r d , à l'arrivée d ' u n évêque, les catholi­ ques e u r o p é e n s se sont é m u s . Ceux de W e l l i n g t o n , à


390 peine a u n o m b r e de deux cents, ont recueilli p a r leurs souscriptions et m ê m e p a r celles de leurs frères e r r a n t s , près de 1 5 , 0 0 0 fr. p o u r la construction d ' u n e seconde église : elle était i n d i s p e n s a b l e p o u r la population dis­ s é m i n é e s u r l ' i m m e n s e e m p l a c e m e n t de la cité n a i s ­ s a n t e . La Providence a pris soin d'envoyer ici d ' a v a n c e plusieurs familles d ' I r l a n d e et d ' A n g l e t e r r e , aussi d i s ­ tinguées p a r leur foi q u e p a r la noblesse d e l e u r r a n g : elles concilient la faveur p u b l i q u e a u catholicisme. Ce q u i distingue nos frères, anglais et i r l a n d a i s , c'est leur générosité pour tout é t a b l i s s e m e n t pieux ; chez eux, cet esprit d e d é v o u e m e n t et de c h a r i t é s'est perfectionné d u r a n t les siècles d e p e r s é c u t i o n , où n o n s e u l e m e n t ils suffirent aux besoins d e leur Eglise d é n u é e de toute ressource, m a i s e n c o r e à l'impôt prélevé s u r elle p a r la r a p a c i t é d'un g o u v e r n e m e n t e n n e m i . « A l'aide de ces secours, nos édifices sacrés s'élè­ v e n t avec u n e r a p i d i t é q u i é t o n n e tout le m o n d e . Le 1 s e p t e m b r e , q u a t r e religieuses p r e n d r o n t posses­ s i o n d ' u n c o u v e n t et ouvriront l e u r école. B e a u c o u p d'autres œ u v r e s se p r é p a r e n t d a n s les différents dis­ tricts. A la rivière Hult, à q u e l q u e s lieues d e W e l l i n g ­ ton, u n Missionnaire jette les f o n d e m e n t s d ' u n e église et d ' u n e école. Mômes efforts, et s a n s doute m ê m e suc­ cès à Nelson, à Akansa d a n s la presqu'île d e B a n k . J e n e dois pas o m e t t r e u n i n t é r e s s a n t h a m e a u de d e u x cents Z é l a n d a i s , qui a u r a l'aspect d'un village c h r é ­ t i e n ; il a sa chapelle, son p r ê t r e , son école ; u n de n o s Pères a formé ces I n d i e n s a u l a b o u r a g e ; u n e p l a i n e c o n s i d é r a b l e a été e n s e m e n c é e , et u n m o u l i n attend déjà la future moisson. Q u e l b o n h e u r de procurer un peu de bien-être à ces p a u v r e s i n s u l a i r e s ! D'autres fractions de tribus, à q u e l q u e s lieues de la ville, o n t e m b r a s s é notre sainte foi. C h a q u e j o u r , des raisons de e r


391 p a r e n t é ou d'intérêt a m è n e n t ici de nouveaux conver­ tis d u Nord, et en font a u t a n t d'apôtres p a r m i leurs compatriotes. « Il est vrai q u e le protestantisme n o u s a précédés, e n s e m a n t sur notre route les préjugés et les calomnies ; mais il n'a point fait de conversions sincères ; et, quoi­ q u e arrivés à la troisième h e u r e , n o u s c o m m e n ç o n s à lui disputer l'empire des â m e s . Du reste, les ministres de l'erreur ont plus travaillé à leur fortune q u ' à remplir l e u r mission ; d e r n i è r e m e n t , au g r a n d s c a n d a l e des sociétés c h r é t i e n n e s , la Compagnie des Missionnaires a n g l i c a n s a expulsé de son sein l'un de ses apôtres, o p i n i â t r e m e n t attaché à des t e r r a i n s i m m e n s e s , et qui ne trouvait p a s q u e ce fût assez de 2 , 6 0 0 acres p o u r sa cupidité. C'est ainsi q u e l'Eglise reçoit d e ses e n n e ­ mis l ' h o m m a g e d'un contraste plus é l o q u e n t q u e tous les discours. 11 y a peu de temps q u ' u n sectaire lui r e n ­ dait u n a u t r e genre d ' h o m m a g e qui n'est p a s moins t o u c h a n t : j e veux parler d'un criminel, c o n d a m n é à m o r t , et q u i , a v a n t de m o n t e r sur l ' é c h a f a u d , voulut r e n d r e témoignage à la vraie foi. Hérétique, il s'était souillé d'un m e u r t r e ; catholique, il s'est réconcilié à l'Eglise, et s'est lavé d a n s le s a n g de Jésus-Christ d u s a n g i n n o c e n t qu'il avait r é p a n d u . « Voilà, cher a m i , les premiers pas et les premières conquêtes de notre Religion. Il faut qu'elle se presse : la colonisation suit,un cours rapide sous la g i g a n t e s ­ q u e impulsion de l'Angleterre. Où l'on n e comptait, il y a dix ans, q u e quelques aventuriers, se sont fondées des villes avec faubourgs. Tout attire ici l'industrie : les m i n e s de cuivre et de charbon à exploiter, les sta­ tions de pêcheries, des vallées et des plaines fertiles q u e l'on remplit de bétail. Mais l'hérésie se hâte, d e son côté, appelée et soudoyée qu'elle est p a r le g o u -


392 versement b r i t a n n i q u e , r e n d a n t q u e les presbytériens fondent u n établissement près d'Otako, u n e ville im­ m e n s e sort de terre, sous les auspices d e capitalistes pris u n i q u e m e n t clans la c o m m u n i o n a n g l i c a n e , et elle porte le n o m significatif de New-Cantorbéry. C'est d a n s de semblables circonstances qu'il faut q u e notre Eglise p r e n n e r a c i n e , et justifie, au milieu des rivalités qui veulent l'exclure, ses droits au titre de catholique. « T o n frère dévoué, « P E T I T J E A N , S.

M.

»

Lettre d u R . P . Honoré L a v a l , prêtre d e l a Société d e P i c p u s , à Mgr l ' A r c h e v ê q u e d e C a l c é d o i n e , S u p é r i e u r général del à même Congrégation.

Tahiti, 16 Mai 1 8 4 9 .

« MONSEIGNEUR ET TRÈS-RÉVÉREND P È R E ,

« J e n e suis plus a u milieu des c h r é t i e n s q u e j ' a i ­ mais depuis t a n t d ' a n n é e s ! Me voilà de n o u v e a u s u r l'Océan, à bord d ' u n n a v i r e de l'Etat, q u i m e porte a u x îles P o m o t o u , p o u r y c o m m e n c e r u n e nouvelle Mission. Je dois p r e n d r e ici le P . Fouquet, et c'est à Faite q u e ce j e u n e Confrère va faire avec moi l ' a p ­ prentissage de la vie apostolique.


393 « Ce qui a d é t e r m i n é Mgr J a u s s e n à m e confier cette fondation, c'est q u e j ' a i travaillé autrefois à met­ tre en p a i x les n a t u r e l s de Pomotou avec le peuple de M a n g a r é v a , qu'ils étaient v e n u s a t t a q u e r . Il y a peu d e t e m p s , ils m e d e m a n d a i e n t avec i n s t a n c e u n P i è ­ tre p o u r les i n s t r u i r e . Enfin, j ' a i eu le b o n h e u r de baptiser, d a n s l'ile A u k e n a , le j e u n e Makipotero, u n de l e u r s c o m p a t r i o t e s . Ce j e u n e h o m m e m ' a c c o m p a ­ gne, et c o m m e il sait la l a n g u e de M a n g a r é v a , il p o u r r a , au besoin, m e servir d ' i n t e r p r è t e et de bon catéchiste. « E n a t t e n d a n t q u e j e puisse avoir le plaisir de vous écrire d u théâtre de m e s t r a v a u x , permettez, m o n trèsr é v é r e n d P è r e , q u e j e vous d o n n e ici l'itinéraire d e m o n voyage. « D e Mangaréva à N o u k a h i v a , la m a r c h e de n o t r e navire (l'Alcmène) a été assez l e n t e ; m a i s n o u s avons été d é d o m m a g é s de ce r e t a r d p a r les égards d o n t nous avons c o n s t a m m e n t été l'objet de la p a r t de tout l ' é ­ q u i p a g e , et j e suis h e u r e u x d e pouvoir e x p r i m e r ici n o t r e r e c o n n a i s s a n c e bien sentie pour M. le c o m m a n ­ d a n t d u Rousier, pour M M . les officiers, et m ê m e pour­ ies matelots, a u p r è s desquels n o t r e m i n i s t è r e a trouvé u n libre accès. « Le 2 9 avril, n o u s a p e r ç û m e s O u a p o u . C'est u n e île q u ' o n p o u r r a i t a p p e l e r l'île aux clochers, t a n t elle est a c c i d e n t é e d e flèches et d'aiguilles. Le 3 0 , a u m a ­ tin, n o u s n o u s h â t â m e s d'aller c o n t e m p l e r Noukahiva qui posait d e v a n t n o u s . Ce s o n t des vallées étroites et c o m m e étranglées e n t r e des m o n t a g n e s à pic, h é r i s ­ sées d e masses basaltiques. A cause d e ces d é c h i r e ­ ments de t e r r a i n , la r e i n e des Marquises offre à l'œil peu de v e r d u r e , quoiqu'elle fournisse, dit-on, d e bons pâturages.


394 « À m e s u r e q u e n o u s avancions, j e distinguais sur les m a m e l o n s c o m m e des maisonnettes b l a n c h e s , q u e l'on m e dit être des Blockhaus ; puis, à droite et tout près de la grève, u n fort, u n e c a s e r n e , le pavillon du gouverneur et celui des officiers ; enfin, çà et là u n e dizaine d e c a b a n e s en bois pour loger les vachers, les soldats et les matelots. Je cherchais la d e m e u r e du Missionnaire ; o n m e m o n t r a u n e petite m a i s o n cou­ verte de b a r d e a u x , située sur u n t e r t r e , fort loin de l'habitation des i n d i g è n e s . « La population de cette île infortunée est plongée tout entière d a n s la corruption la plus profonde. Le roi lui-même est la p l u p a r t du temps ivre. Il se n o m m e T é m o a n a , mot qui signifie la h a u t e m e r . « Je m ' e m p r e s s a i d e lui faire u n e visite, en c o m p a ­ g n i e du P . Dordillon et de d e u x i n d i g è n e s . Nous r e n ­ contrâmes Sa Majesté seule sur la grève, accroupie à l'ombre de q u e l q u e s arbres q u i nous d é r o b a i e n t la case royale. T é m o a n a était occupé à disposer u n petit h a m e ç o n pour aller à la pèche ; il n'avait, selon sa c o u t u m e , d'autre vêtement q u e sa c e i n t u r e ; sa cheve­ l u r e liée au s o m m e t d e la tête, d e m a n i è r e à p e n c h e r sur l'oreille droite, m e r a p p e l a l'effet des bonnets de coton q u e portent les h a b i t a n t s de la B e a u c e . Ce roi n'est distingué ni par sa taille ni p a r sa b o n n e m i n e ; il me p a r u t âgé de 2 5 à 27 a n s . Après quelques paro­ les échangées, il n o u s invita à venir boire un coco d a n s sa c a s e . « En e n t r a n t n o u s trouvâmes la r e i n e m a l a d e et couchée sur sa natte. Autour d'elle é t a i e n t trois fem mes et u n j e u n e h o m m e occupé à agiter un éventail pour d o n n e r de l'air à Sa Majesté souffrante. Après le salut d'usage ( k a o h a ) , qui nous lut r e n d u , la r e i n e garda le silence. Le roi parla t r è s - p e u , et je fus seul à tenir la conversation.


395 « Du palais nous allâmes visiter les cases des insu­ laires. Voilà q u a t r e mois q u e le P. Dordillon a n n o n c e l'Evangile d a n s cette île, la principale d e l'Archipel ; et d a n s la p e u p l a d e m ê m e où il d e m e u r e , on trouve des naturels qui n e le c o n n a i s s e n t pas e n c o r e , tant est g r a n d e leur a p a t h i e ! C e p e n d a n t on n o u s a vus, par­ tout où n o u s sommes allés, sans a u c u n e m a r q u e d'a­ version et m ê m e , ce semble, avec plaisir. Ces courses n o u s ont mis à m ê m e de porter la b o n n e n o u v e l l e à beaucoup d'indigènes ; m a i s , qu'il sera difficile de faire p é n é t r e r la morale c h r é t i e n n e d a n s u n e p o p u l a t i o n aussi abrutie par tous les vices ! C e p e n d a n t , on n o u s a dit dans u n e case : « Nous n o u s ferons c h r é t i e n s , « q u a n d T é m o a n a se fera baptiser. » « Nos Pères n ' o n t encore à Noukahiva q u e sept ou h u i t néophytes et a u t a n t de c a t é c h u m è n e s ; ils les l o ­ g e n t dans leur enclos, afin de les m o i n s perdre de vue. L'un d'eux, n o m m é L o u i s - P h i l i p p e , est le chef de Ouapou. J e ne crois pas, Monseigneur, q u ' o n puisse trouver plus de générosité chrétienne q u e chez lui : en voici u n trait. Vous avez appris nos a p p r é h e n s i o n s r é ­ centes pour l'archipel de Mangaréva, m e n a c é de la fa­ m i n e . Elles sont loin d'être dissipées a u j o u r d ' h u i . J e n ' e u s pas plutôt d o n n é c o n n a i s s a n c e de ce d a n g e r à cet excellent h o m m e , qu'il se leva et m e dit : « Mon « Père, j ' a i d a n s m e s terres u n e fosse p l e i n e de m a « très-ancien : elle peut contenir à peu près 2 , 0 0 0 « barils de n o u r r i t u r e . Eh b i e n ! j e d o n n e tout cela à « G r e g o r i o M a p u t e v a pour son p e u p l e . Quoi ! le roi de « Mangaréva est chrétien, je le suis aussi, son peuple « a faim, tandis q u e j ' a i des vivres en a b o n d a n c e , et « j e ne le soulagerais pas ! Père, ces provisions de m e s « ancêtres sont à Gregorio ; c'est e n t r e tes mains q u e « je les r e m e t s ; écris-lui donc, pour q u e sa tribu


396 « v i e n n e les c h e r c h e r ; et p o u r lui prouver q u e j e veux « être son ami, je p r é t e n d s adopter u n de ses fils pour « le m i e n , car j e n'ai pas d'enfants. » — « Eh b i e n ! « lui dis-je, j ' a c c e p t e au n o m de Grégorio Maputeva « ce que tu veux bien lui d o n n e r p o u r sauver son peu« pie de la famine ; m a i s aussi n e refuse pas les p r é « sents q u e je vais lui conseiller de l'offrir en retour. « Ce sont des nattes de feuilles, quelques barils de « n a c r e avec laquelle vous pourrez faire des h a m e « çons, et u n e certaine q u a n t i t é d'étoffe filée et tissée « p a r les chrétiens. » Ces offres m i r e n t le bon chef au comble de la joie, et par cet échange r é c i p r o q u e de présents, le traité d'amitié fut définitivement ratifié. Il n e n o u s m a n q u e plus q u e de trouver u n n a v i r e pour le t r a n s p o r t . « Après u n séjour d e neuf à dix j o u r s , j e m ' e m b a r ­ q u a i p o u r T a h i t i , où n o u s a r r i v â m e s le 1 3 m a i . La nouvelle ville de P a p é é t é , v u e d u milieu du port, a peu d ' a p p a r e n c e . On est p l u s satisfait, lorsque l'on en p a r c o u r t les rues. Le palais d u g o u v e r n e u r , les p a v i l ­ lons des officiers de m a r i n e et d ' i n f a n t e r i e , la c a s e r n e , l'hôpital et q u e l q u e s autres édifices sont assez b i e n . Le reste est peu de chose, m ê m e l'église et le presby­ tère des c a t h o l i q u e s , qui p o u r t a n t sont t e n u s fort p r o ­ prement. « Je dois toute sorte de r e c o n n a i s s a n c e à M. L a v a u d , commissaire de la R é p u b l i q u e française à T a h i t i . A la suite d'un d î n e r où il v o u l u t bien m'inviter avec le P. Ernest et plusieurs a u t r e s p e r s o n n e s , M. le gouver­ n e u r des é t a b l i s s e m e n t s français d a n s l'Océanie me proposa d e m e faire son r e p r é s e n t a n t à Faite. Je ne crus pas devoir accepter celte faveur, parce qu'il m e semble qu'elle eût e n t r a v é peut-être le m i n i s t è r e de l'Evangile. Mais j e reçus avec r e c o n n a i s s a n c e son of-


3.97 fre d e m e faire c o n d u i r e à Faite à bord du vapeur de l'Etat, le G a s s e n d i , avec u n e lettre de r e c o m m a n d a t i o n p o u r les chefs. M. L a v a u d veut la civilisation de T a h i t i . Il a le courage de r é p r i m e r les désordres m a l g r é mille r é c r i m i n a t i o n s , surtout des c o m m e r ç a n t s . Il tient à ce q u e tous les T a h i t i e n s sachent lire, écrire et p a r l e r français, et c'est pour cela qu'il se propose d'envoyer, d a n s tous les districts, des agents chargés d'y faire l'école. « M. le g o u v e r n e u r et le R. P . E r n e s t croient q u ' u n r a y o n d'espérance e n faveur du catholicisme com­ m e n c e à luire d a n s ce pays. E n effet, q u e l q u e s chefs sont v e n u s leur d e m a n d e r des prêtres p o u r faire l'école aux n a t u r e l s de leur d é p e n d a n c e ; m a i s le caractère a p a t h i q u e de ce peuple m e fait attribuer cette d e m a n d e à u n e p u r e curiosité. « Mon très-révérend Père, j e ne p u i s quitter Tahiti s a n s raconter à Votre G r a n d e u r tout ce q u e j ' a i vu de ferveur et de piété d a n s la chapelle d u R. P . Ernest, qui n ' a plus m a l h e u r e u s e m e n t , suivant les ap­ parences, que peu de temps à vivre. C'est bien, je crois, le petit n o m b r e des élus que j ' a i eu sous les yeux d u r a n t q u a t r e jours. Des officiers, des m a r c h a n d s , des soldats, des matelots, des infirmiers, des g e n d a r ­ mes, six sœurs de Saint-Joseph, u n e vingtaine de j e u n e s filles indigènes ou créoles, et enfin m a d a m e L a v a u d assistaient a u x offices le d i m a n c h e , et, d a n s la s e m a i n e , à tous les exercices du Mois de Marie, avec u n recueillement et u n e piété qui m e faisaient verser des l a r m e s . Oh ! q u e leurs c a n t i q u e s surtout m e p a ­ raissaient b e a u x ! Ce qui m ' é t o n n a i t e n c o r e , c'était de les voir tous venir à la chapelle, soir et m a t i n , m ê m e de très-loin, pour y assister à la prière et à la médita­ tion. Ce noyau de fidèles n'est pas très-nombreux, mais il est vraiment admirable de ferveur et de zèle.


398

« Je vous ai p a r l é , Monseigneur, de l'un des natuc h q u e j ' a i pris avec moi ; le second est u n b o n chré­ tien, n o m m é R a p h a ë l : il est tisserand de son état. Nous pouvons compter sur lui c o m m e sur le plus fer­ vent de nos Frères convers. J'ai pris en m ê m e temps u n métier et du coton, afin de tâcher, au d é b u t de la Mission, d'introduire d a n s l'île la filature et la tisser a n d e r i e . J'espère e n g a g e r les i n d i g è n e s à travailler et par ce moyen les vêtir, g a g n e r l e u r affection et les convertir à Jêsus-Christ. P e n d a n t q u e l'on e m p l o i e r a les matières que n o u s apportons avec nous, Dieu don­ nera sans doute sa bénédiction aux graines de coton q u e nous n e m a n q u e r o n s pas de confier à la t e r r e , dès notre arrivée. « Aujourd'hui, 19 mai, a p r è s deux jours de traver­ sée à bord du v a p e u r le G a s s e n d i , nous voici enfin en vue de Faïte. Déjà notre bénédiction est d o n n é e à cette île de triste a p p a r e n c e , m a i s riche en espoir, et nous venons de la mettre sous la sauvegarde de Notre-Damedes-Victoires. O vous ! qui remplissez tous les j o u r s à Paris son sanctuaire, et dont les p r i è r e , c o m m e on le raconte, n e lui sont j a m a i s adressées en vain, veuillez lui r e c o m m a n d e r les pauvres Missionnaires ; obteneznous, par son intercession toute-puissante, q u e la croix de son divin Fils t r i o m p h e encore sur ces plages in­ connues, quelque faibles et quelqu'indignes q u e soient les mains qui vont l'y p l a n t e r ! « M a i n t e n a n t , m o n très-révérend Père, que l'on est occupé à d é b a r q u e r nos effets, il n e m e reste q u e le t e m p s d'ajouter u n mot. Tout le m o n d e s'accorde à nous dire que, d a n s ce3 parages, on ne trouve a u c u n e a u t r e n o u r r i t u r e q u e des cocos et du poisson. Je m e suis pourvu de quelques sacs de biscuit et de haricots. Si je fusse venu seul ou avec u n ancien Missionnaire,


399 j e n ' a u r a i s pas songé à faire ces provisions. Mais le P. Fouquet est n o u v e a u , il est j e u n e , et l'on n e s'ha­ b i t u e p a s sur-le c h a m p à vivre à la m a n i è r e sauvage. « Voici u n e nouvelle m a r q u e d'attention de la part des officiers du G a s s e n d i : « Prenez, m e dirent-ils, ces deux pains, ce m o r c e a u d e v i a n d e et ces d e u x bouteil­ les de vin; vous n'allez pouvoir, de la j o u r n é e , faire cuire vos haricots. Ces provisions vous serviront, au moins, en a t t e n d a n t q u e vous ayez u n e case. » « Ce petit trait est encore pour moi u n indice q u e l a P r o v i d e n c e e s t e n r o u t e . Je répète avec plaisir ces deux mots, parce que ce sont ceux-là même q u e n o u s aimions à prononcer souvent, le P . Caret et moi, au début d e notre c a r r i è r e apostolique, en voyant q u e la divine Providence à laquelle le bon P. Coudren n o u s avait confiés, n e nous faisait j a m a i s défaut. Oui, l a d i ­ v i n e P r o v i d e n c e est en r o u t e , et j'espère, m o n très-révé­ rend Père, vous en d o n n e r bientôt des preuves. « A la veille d e r e c o m m e n c e r les combats du S e i ­ gneur, permettez-moi de m e jeter à vos pieds et de vous d e m a n d e r , pour moi et pour les m i e n s , la bénédiction qui fait les forts « Je suis avec u n très-profond respect, « Monseigneur et très-révérend Père, « Votre très-humble fils et tout dévoué serviteur, « Honoré LAVAL, Miss. A p o s t . »


400

MISSIONS DE L'INDE. VICARIAT

APOSTOLIQUE

DE

VISAGAPATAM.

L e t t r e d e Mgr N e y r e t , E v ê q u e d ' O l è n e et V i c a i r e A p o s ­ t o l i q u e de V i s a g a p a t a m , à M. l'abbé M e r m i e r , S u p é ­ r i e u r d e l a C o n g r é g a t i o n d e s M i s s i o n n a i r e s de S a i n t François d e Sales (1). Visagapatam, 6 septembre 1 8 5 0 .

« MONSIEUR

LE S U P É R I E U R E T RÉVÉREND P È R E ,

« Il est temps que j e vous d o n n e u n e courte notice sur la Mission confiée à vos enfants ; son o r i g i n e , ses progrès et ses besoins feront le sujet de cette lettre.

(1) Il n'y a que six ans que les Missionnaires de St-François de Sales évangélisent cette c o n t r é e , et déjà trois y sont morts : MM. Mar­ tin, Gavard et Sermet. Pour les remplacer, quatre membres de la même Congrégation viennent de partir, et portent maintenant à treize prêtres le personnel de la mission. Ce vicariat apostolique, plus étendu que la France, renferme une population mélangée de catholiques, de protes­ tants, de païens, et même d e sauvages chez qui les sacrifices humains sont encore en honneur. Les principaux postes du pays sont Aurangabad, Nagpour, Kamptée , Visagapatam, Julnah, Cutach et Vanaon qui possède une communauté de Sœurs de St-Joseph.


401 « Vous savez déjà son é t e n d u e . C'est u n carré l o n g d'environ cent quatre-vingts lieues s u r cent de l a r g e u r , situé entre le golfe d u B e n g a l e et l e s q u a t r e fleuves : G o d a v e r y , M a h a n u d d y , Hustoo et N o r b u d d a . « Il y a à peine douze a n s , on n e comptait encore, sur cette vaste superficie, q u ' u n seul Missionnaire. Ce n'est pas q u e le christianisme soit n o u v e l l e m e n t implan­ té d a n s ces contrées. Selon toute a p p a r e n c e , il y a u r a i t été apporté p a r l e s P o r t u g a i s dès les p r e m i è r e s a n n é e s de leur établissement s u r le littoral de la P é n i n s u l e . Mais, trop p e u n o m b r e u x p o u r pouvoir v i s i t e r , m ê m e u n e fois l ' a n , les fidèles confiés à leurs soins, les diffé­ r e n t s apôtres qui o n t p a r u s u r la côte d'Orissa, ainsi q u e dans le district d ' A u r a n g a b a d , n'ont g u è r e songé à e n t r e p r e n d r e la conversion des idolâtres. Eussent-ils même été en forces suffisantes, il est à croire que l e u r ministère a u r a i t échoué devant le m é p r i s q u ' i n s p i r a i t aux païens u n e religion dont les sectateurs é t r a n g e r s n e se distinguaient d'eux que par p l u s de s c a n d a l e s . Quoi qu'il en soit des causes de cette stérilité, il n'est q u e trop vrai q u e j u s q u ' e n 1 8 3 8 , le chiffre des c a t h o ­ liques s'est c o n s i d é r a b l e m e n t affaibli. « Mais j e viens de p r o n o n c e r u n e date qui fera é p o ­ q u e clans les a n n a l e s religieuses de ces contrées. En effet, Sa Sainteté Grégoire XVI venait d'adjoindre au Vicariat Apostolique d e Madras les vastes régions d'Hiderabad et de V i s a g a p a t a m . Cette nouvelle circonscrip­ tion était u n bienfait i m m e n s e , t a n t p o u r les anciens chrétiens de ces Missions, q u e p o u r les soldats c a t h o ­ l i q u e s , bien p l u s n o m b r e u x , dont la diffusion des troupes anglaises d a n s toute l'Inde, a doté le pays : elle permettait au Vicaire Apostolique de M a d r a s , de­ venu le premier pasteur de ces c o n t r é e s , d e fournir à ses nouvelles ouailles des secours tout à la fois plus


402 a b o n d a n t s et plus a p p r o p r i é s à l e u r s besoins. Dès 1 8 3 9 , trois prêtres e u r o p é e n s furent dirigés sur les postes les p l u s i m p o r t a n t s . C'était u n e p r e m i è r e faveur p o u r ce pays délaissé. U n e s e c o n d e g r â c e , non m o i n s m a r ­ q u a n t e , fut l'érection de V i s a g a p a t a m en Mission dis­ t i n c t e , confiée p a r le P è r e c o m m u n des fidèles au d è voûment de votre Congrégation. À p e i n e cinq ans se sont é c o u l é s , et déjà vous avez pu b é n i r quinze de vos e n f a n t s , douze p r ê t r e s et trois frères, envoyés ici pour y défricher u n e terre restée p r e s q u e sans c u l t u r e . E n ­ core quelques m o i s , e t , selon les espérances q u e vous nous en avez fait concevoir, M. le S u p é r i e u r , d e n o u ­ veaux ouvriers n o u s a r r i v e r o n t . Ce n e sera pas trop d e l e u r s efforts, unis à nos l a b e u r s , p o u r recueillir la mois­ son qui s e m b l e b l a n c h i r d a n s q u e l q u e s parties d ' u n c h a m p aussi i m m e n s e . a Dans toute la vaste é t e n d u e d e la Mission, vous le s a v e z , notre sainte religion n'occupe encore q u e q u e l q u e s p o i n t s , c o m m e p e r d u s a u milieu d u paga­ n i s m e . A l ' i n t é r i e u r , se trouve u n e chaîne d e m o n t a ­ gnes m e s u r a n t u n e échelle d'environ cinq d e g r é s , et jusqu'ici é t r a n g è r e s n o n - s e u l e m e n t aux bienfaits du c h r i s t i a n i s m e , mais encore à l'investigation d u v o y a ­ g e u r . Les h a b i t a n t s d e ces vallées forment u n peuple à p a r t , n ' a y a n t q u e fort peu de r a p p o r t avec les Indiens de la p l a i n e , dont ils diffèrent p a r les m œ u r s aussi b i e n que p a r la l a n g u e . Chez e u x , d i t - o n , le système des castes est i n c o n n u , excepté sur les frontières de la côte d ' O r i s s a , et encore y sont-elles moins t r a n c h é e s et p l u s tolérantes q u e d a n s tout le reste de la P é n i n s u l e . « Il y a q u e l q u e s a n n é e s , le g o u v e r n e m e n t anglais c r u t devoir porter la g u e r r e jusqu'aux foyers des C o n d e s ; c'est le n o m de ces vallées et de leurs habi tants. Voici à quelle occasion. Les sacrifices h u m a i n s


403 sont encore e n usage chez ce m a l h e u r e u x p e u p l e . A l'occasion d'une fête ou d ' u n e c a l a m i t é , à l'époque des semailles s u r t o u t , ils immolent des enfants d e l'un et d e l'autre sexe. A cette fin, on fait de ces i n n o c e n t e s victimes comme des dépôts p o u r servir dans les diffé­ r e n t e s circonstances. Là r è g n e donc aussi la traite, celle d e petits orphelins que l'on a c h è t e à la m i s è r e , ou q u ' o n enlève de force d a n s le voisinage. Quelquesu n s d e ces enfants sont élevés avec ceux du m a î t r e , s a n s qu'ils connaissent ni l e u r o r i g i n e , ni l e u r desti­ n a t i o n . C o m m e on pourrait mettre en doute l'exis­ tence d'une si horrible c o u t u m e , j e transcris les dé­ tails fournis p a r u n Missionnaire qui vient de visiter ces c o n t r é e s . « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

« Voici, m'écrivait-il à son r e t o u r , ce q u e j ' a i appris de la bouche m ê m e de ces j e u n e s gens qui doivent être immolés et qui ont plus d ' u n e fois été témoins oculaires de tels sacrifices. « E n g é n é r a l on a c h è t e les victimes. Les p a r e n t s qui sont pauvres et surchargés de f a m i l l e , v e n d e n t quelques-uns de leurs enfants. Aucun âge n'est excepté ; si les enfants sont g r a n d s , l'acquéreur les attache pour les c o n d u i r e d a n s son village. Il les garde ainsi e n c h a î n é s jusqu'à ce qu'ils p r e n n e n t l ' e n g a g e m e n t d e r e n o n c e r à toute t e n t a tive d'évasion. Pour mieux s'assurer de leur pers o n n e , on leur promet qu'on n e les sacrifiera pas. E n effet, on leur tient quelquefois parole. D a n s ce c a s , le m a î t r e m a r i e l'adolescent qu'il a a c h e t é , se r é s e r v a n t de lui substituer les enfants qui n a î t r o n t d e cette u n i o n . Au r e s t e , il conserve toujours le droit de l'immoler plus t a r d , s'il le juge à propos. T o u t prétexte est b o n pour cette b o u c h e r i e , u n fléau p u b l i c , u n e m a l a d i e g r a v e , u n e fête de f a m i l l e , u n e n o c e , etc. Huit jours avant


401 « « « « « « « « « « « « « « « «

le sacrifice, le m a l h e u r e u x qui doit en faire les frais est garrotté ; on lui d o n n e à m a n g e r et à boire ce qu'il désire. P e n d a n t cet intervalle les villuges voisins sont invités à venir p r e n d r e part à la fête. Lorsque tout le m o n d e se trouve r é u n i , on conduit la victime au lieu du sacrifice. E n g é n é r a l , o n a soin de la mettre d a n s u n état d'ivresse ; après l'avoir a t t a c h é e , la m u l t i t u d e d a n s e à l ' e n t o u r , et au signal d o n n é , c h a q u e assistant court couper u n morceau de chair qu'il emporte chez lui ; la victime est dépecée toute vivante. Le l a m b e a u q u e c h a c u n en détache p o u r son p r o p r e compte doit être p a l p i t a n t ; ainsi c h a u d et s a i g n a n t il est porté en toute hâte sur le c h a m p q u ' o n veut féconder. T e l est le sort réservé à ceux qui m e p a r l a i e n t , et c e p e n d a n t ils d a n s è r e n t u n e g r a n d e partie de la n u i t ! »

« Le g o u v e r n e m e n t a y a n t d o n c eu c o n n a i s s a n c e , et de cet usage b a r b a r e des C o n d e s , et de l'existence de ces enfants e n t r e t e n u s par milliers pour le j o u r de l ' i m m o l a t i o n , voulut porter r e m è d e à u n m a l aussi affreux. Après des m e n a c e s restées s a n s r é s u l t a t , les villages situés à l'entrée des montagnes furent livrés aux flammes p a r les troupes a n g l a i s e s , et le résultat de cette p r e m i è r e e x p é d i t i o n , qui eut lieu il y a trois a n s , fut l'extradition d'environ 500 e n f a n t s , q u e les écoles méthodistes se sont partagés. « L'autorité n e s'en est pas t e n u e à ce p r e m i e r acte d e vigueur c o n t r e les C o n d e s ; elle a créé au pied de leurs collines, à R u s s e l - C o n d a h , u n nouveau poste m i l i t a i r e , d'où c h a q u e a n n é e , après la saison des p l u i e s , on forme des d é t a c h e m e n t s pour parcourir le pays à plusieurs j o u r n é e s de m a r c h e , et prévenir ainsi les horribles sacrifices. « Ce b u t , si digne d'un g o u v e r n e m e n t

chrétien,


40o se trouve-t-il maintenant rempli ? Les sacrifices ont-ils cessé? Selon toute a p p a r e n c e , non ; car la fièvre du pays, mortelle aux étrangers, n'ayant pas permis aux troupes anglaises de pénétrer bien avant dans ces gor­ g e s , il est à croire que l'horrible superstition continue ses ravages là où elle n'a rien à craindre des Anglais. J ' a i appris récemment que ces derniers se proposaient de faire la reconnaissance de tout le pays. Que Dieu y trouve sa gloire, comme l'humanité y trouvera son avantage ! Inutile de dire qu'à cette double fin, la Re­ ligion doit venir en aide au pouvoir. « Je dois vous faire observer que, malgré leurs sa­ crifices h u m a i n s , les Condes ne sont pas d'un carac­ tère féroce ; c'est, d i t - o n , un peuple encore tout neuf dont la bonté égale la simplicité et la franchise. Per­ mettez-moi de vous en citer u n trait que je tiens d'un des officiers supérieurs qui leur ont fait la guerre : « Un jour que les Condes se crurent en forces pour se mesurer avec les troupes de la Compagnie, ils vou­ lurent bien prévenir ces dernières que, dès le surlen­ demain, ils seraient prêts à leur répondre. Les Anglais, ne se croyant pas tenus par le droit des gens à tant de délicatesse envers leurs faibles e n n e m i s , leur présen­ tèrent la bataille dès le l e n d e m a i n . Il serait superflu de dire ce qui en arriva aux pauvres Coudes. Mais, en r e v a n c h e , ils se plaignaient hautement aux Anglais de leur mauvaise foi : « Vous avez, disaient-ils, devancé « le jour fixé pour le combat, c'est u n e déloyauté ! » « Voilà, Monsieur le S u p é r i e u r , l'intéressant trou­ peau sur lequel j'appelle votre sollicitude, vos ferventes prières, ainsi que celles de la Congrégation et de tou­ tes les âmes pieuses qui s'intéressent à notre œuvre. Mais où trouver les ressources pécuniaires et person­ nelles que réclamerait l'entreprise ? Dieu y pourvoira,


406 si,

comme j ' a i lieu de le croire, la moisson doit être

prospère. C'est eu nourrissant mon âme d e ces douces espérances, et en d e m a n d a n t votre bénédiction que je suis, M . l e Supérieur et Révérend P è r e , « Votre très-humble et obéissant fils en N . - S . , « + Théophile-Sébastien NEYRET,

« Evêque d'Olène »

MANDEMENTS M

FAVEUR DE L'OEUVRE

Aux nombreux Mandements publiés en faveur de l'OEuvre, et dont nous dressons la liste à chaque N u m é r o , viennent s'ajouter sans cesse de nouvelles recommandations épiscopales. Nous devons les plus récentes à Nosseigneurs les Evèques d'Albenga, de Nocera, d'Halifax, d'Alger, d'Aire et de Limoges.

DÉPARTS DE MISSIONNAIRES. Mgr Crétin, premier Evêque d e Saint-Paul a u

Mine-

sota (Etats-Unis), vient de repartir du Havre, avec six Missionnaires, pour son nouveau diocèse où tout est à créer. Quatre Prêtres de la Société des Missions-Etrangères se sont récemment embarqués à Bordeaux pour se rendre dans l'Inde. Ce sont : MM. Serougne, du dio­ cèse d'Agen ; Maury, du diocèse de Rodez ; Léveillard, du diocèse de Saint-Brieuc, et Lefeuvre, du diocèse d'Autun. Les trois premiers vont dans la Mission de Pondichéry; le quatrième d a n s celle de Coimbatour. Le vicariat apostolique de Visagapatam, confié à la


407 Congrégation de Saint-François de Sales, vient de re­ cevoir de précieux, renforts en Missionnaires et en Religieuses. Voici les noms des u n s et des autres : MISSIONNAIRES.

MM. Richard Cugnet, du diocèse d'Annecy, prêtre ; Deeompoix, du diocèse d'Annecy, prêtre ; Delalex, du diocèse d'Annecy, prêtre ; Domenge-Héritier, du diocèse d'Annecy, diacre. SOEURS

DE

SAINT-JOSEPH.

So;ur St-Jean, née Boissat, diocèse de Chambéry ; S œ u r Marie des A n g e s , née Coudurier, diocèse de Chambéry ; Sœur Marie-Augustine, n é e Culat, dioc. de Chambéry ; S œ u r Ursule, n é e Bosson, diocèse d'Annecy ; S œ u r Rose, née A r a m b o u r g , diocèse d'Annecy ; S œ u r St-Augustin, née G r a n d , diocèse de L a u s a n n e et Genève.

E x t r a i t d'une l e t t r e de M. P i n c h o n , en C h i n e .

Missionnaire

« Je vous ai dit qu'en décembre d e r n i e r le père et le (ils Mà avaient été traduits d e v a n t les t r i b u n a u x p a r u n e ligue de Prétoriens, d o n t le propre frère du père Mà était le chef. Cette horde forcenée avait j u r é de p o u r ­ suivre les néophytes jusqu'à la mort, ou d'obtenir leur apostasie et la perte totale de leur p a t r i m o i n e . Le Sei­ g n e u r soutint et consola ses n o u v e a u x enfants, Ils fu­ rent soumis à plusieurs interrogatoires, cruellement frappés p a r o r d r e du m a n d a r i n ; on les somma de fouler la croix. S u r leur refus plein d'énergie, q u a t r e


satellites s'emparent aussitôt du fils Mà, le traînent et le couchent sur u n e croix tracée à dessein au milieu du prétoire. Mais le pieux néophyte ne fit q u ' e m b r a s ­ ser le glorieux i n s t r u m e n t de son salut, en disant à ses persécuteurs : « C'est de plein gré que je me suis fait chrétien ; je veux rester chrétien jusqu'à la mort ! » Le m a n d a r i n alors menaça ses innocentes victimes de la perte de leur dignité : il ne fut pas plus h e u r e u x . Ils furent fermes dans leur croyance. Et comme on frappait le fils, pensant en triompher plus facilement, le père Mà se tourna vers sa femme qui était accourue et qui jetait les hauts cris : « Ma femme, tu devrais te réjouir de ce que ton fils est frappé pour la gloire de Dieu! » Ces paroles, dites avec fermeté, émurent l'au­ ditoire, et furent suivies d'un profond silence. Le m a n d a r i n aussitôt fait lever la séance, en disant aux néophytes qu'il leur accorde trois jours de réflexion, et ne leur assigne pour prison que la ville de Kouanthién. Le lendemain le père Mà se réfugiait auprès de moi, qui visitais une station située à cinq lieues du théâtre de la persécution. Oh ! quels n e furent pas mes pensées et mon attendrissement en voyant ce vieillard docte et plein de dignité, autrefois la terreur du pays, venir aujourd'hui

se jeter aux pieds d'un

pauvre prêtre pour y trouver u n asile contre la persé­ cution dont naguère il était l'âme. Aujourd'hui la per­ sécution a cessé. La famille a perdu u n e partie de son avoir ainsi que sa dignité au prétoire ; mais elle a eu le bonheur de conserver sa foi d a n s toute sa pureté ; daignez prier pour e l l e , et r e n d r e gloire au Seigneur.

Lyon , impr. de J.

P.

élagaud.


409

NOTICE SUR LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS,

LES PROGRÈS ET L'ÉTAT ACTUEL

DU CATHOLICISME AUX (SUITE

ÉTATS-UNIS.

(1)

Trois races n a t u r e l l e m e n t distinctes, pour n e pas dire e n n e m i e s , p e u p l e n t le territoire des Etats-Unis : l'Américain élevé d a n s la civilisation, l'Indien placé aux limites extrêmes de l ' i n d é p e n d a n c e , et le Nègre tombé au d e r n i e r d e g r é de la servitude. C h a c u n e d'el­ les poursuit à part sa destinée, séparée q u ' e l l e est des autres par l'origine, l'éducation, la loi, et j u s q u ' à la c o u l e u r . Entre les Blancs, les Peaux-rouges et les Noirs la distinction est encore aussi profonde, m ê m e après u n contact d e plusieurs siècles, q u e celle des castes d a n s l'Inde. Placé en c o n q u é r a n t ou en m a i t r e e n t r e

( 1 ) Voiries N ° 1 3 2 , page 3 2 9 ; et 1 3 5 , page 1 0 1 . TOM XXIII.

139,

NOVEMBRE 1851

20


410 les sauvages au Nord, et les esclaves a u Sud, l'Améri­ cain tient les premiers au b o u t , de sa c a r a b i n e , les se­ conds au b o u t de leur c h a î n e ; c'est jusqu'ici le seul trait d'union sociale qui les rapproche. H e u r e u s e m e n t pour tous la Religion en connaît u n autre, la croix qui leur a p p r e n d à s'aimer. Mère c o m m u n e de tous ces enfants qui ont au ciel u n m ê m e Père, elle fran­ chit les barrières qui les p a r q u e n t d a n s leurs préjugés et leur h a i n e , se prodigue à tous sans acception de peuples policés ou b a r b a r e s , et confond clans les e m b r a s s e m e n t s de sa charité ces m e m b r e s divisés d ' u n e m ê m e famille, étonnés de se r e n c o n t r e r au pied du m ê m e a u t e l , d a n s l'adoration du m ê m e D i e u , d a n s l'espérance d'un égal et s u p r ê m e a v e n i r . Nous avons dit ce que le catholicisme a déjà accompli au milieu des Blancs ; il nous reste à voir ce qu'il a fait pour les Nègres et les Indiens. Le recensement officiel de 1860 porte à 3 , 2 0 6 , 4 2 5 le n o m b r e des esclaves, et à 2 2 4 , 3 1 8 celui des h o m ­ m e s libres de couleur d a n s les Etats du Sud, sur u n total de 9 , 6 9 9 , 4 7 2 h a b i t a n t s . C o m p a r é a u chiffre de 1840, c'est u n accroissement de 6 9 2 , 4 7 6 esclaves. Cette partie de la population a g a g n é 2 2 pour 100 p e n d a n t les dix dernières a n n é e s . Q u a n t à la race affranchie, elle continue de dépérir et semble m e n a c é e d ' u n e extinction plus ou m o i n s p r o c h a i n e . Séparé de l'Afrique qu'il regrette t o u j o u r s , bien qu'elle l'ait vendu, r é p u d i é par la société de ses m a î ­ tres, qui le voit multiplier dans son sein c o m m e u n e source de richesse et d'effroi, le Nègre reste isolé entre les deux peuples, également déshérité de sa patrie, de lui-même, de ses enfants qui e n t r e n t en m ê m e temps d a n s la servitude et d a n s la vie, et du sol qu'il exploite


411 sans y avoir m ê m e obtenu droit au cimetière c o m ­ m u n . Vînt-il à s'affranchir, il serait e n c o r e en butte à la t y r a n n i e des lois et à l'intolérance des m œ u r s , qui poursuivent en lui j u s q u ' a u souvenir de l'esclavage. D a n s cet état d'universelle exclusion, on dit q u e son â m e s'est abaissée au niveau de sa misère, et on sem­ b l e c r a i n d r e q u e l'instruction n e v i e n n e aggraver ses m a u x e n lui en m o n t r a n t l'étendue. A u n e a u t r e épo­ q u e , sa conversion rencontrait u n double obstacle : ce­ lui qu'opposait l'esclave, et celui qui venait du m a î t r e ; car celui-ci n e pouvait alors refuser a u x Noirs baptisés le repos des j o u r s de fête, ni m é c o n n a î t r e a b s o l u m e n t en eux le caractère d e c h r é t i e n s . Mais alors c o m m e aujourd'hui l'Eglise, q u i avait détruit la servitude en E u r o p e , n e la laissait p a s sans consolations a u Nouveau-Monde. « Jésus-Christ, é c r i « vait P a u l III en 1 5 3 7 , n e veut pas de distinction en« tre peuple et p e u p l e ; m a i s il veut q u e la l u m i è r e « soit portée à tous, parce q u e tous sont capables de « la recevoir.... C e p e n d a n t , des h o m m e s pleins d ' u n e « h o n t e u s e cupidité ont servi d'instrument à la malice « de Satan , pour e m p ê c h e r , si cela était p o s s i b l e , « q u e l'Eglise reçût d a n s son sein les gens de l'Orient « et de l ' O c c i d e n t , q u e n o u s avons c o n n u s depuis « peu. Tous les I n d i e n s , selon ces artisans d e m e n « s o n g e , ne doivent être regardés et traités que c o m m e « u n bétail sans r a i s o n , et réduits en esclavage.... Or a d a n s le poste où la divine miséricorde nous a placé, « nous n e négligerons rien pour faire e n t r e r d a n s le « bercail du bon P a s t e u r toutes les brebis de son troua p e a u . Et c o m m e elles sont toutes confiées à nos « soins, il n o u s appartient d'en p r e n d r e la d é f e n s e . . . . « En conséquence, n o u s invitons tous les fidèles qui « sont en r e l a t i o n avec les I n d i e n s et autres p o p u l a -


412 « tions, à les attirer et les a p p e l e r à la foi catholique. « Ce q u e les u n s p e u v e n t faire p a r le ministère de la « prédication, d'autres le peuvent p a r des instructions « familières, et tous p a r l'exemple » (1). Ces accents du Pontife r o m a i n se sont reproduits d a n s la b o u c h e d e ses successeurs jusqu'à Grégoire XVI, « qui a r e ­ prouvé, de son autorité apostolique, la traite des Noirs c o m m e i n d i g n e d u n o m chrétien » (2). Dociles à ces inspirations de la charité, les Mission­ n a i r e s n e cessèrent j a m a i s d'intervenir en faveur des esclaves, et de se vouer, q u a n d ils n e p u r e n t faire d a v a n t a g e , à soulager l e u r s souffrances. P a r m i ces religieux a m i s des Noirs, o n a i m e à citer le n o m d u Père jésuite C l a v e r , qui s'était imposé ce ministère p a r u n vœu, et avait s i g n é en faisant profession : « P i e r r e , e s c l a v e d e s N è g r e s p o u r t o u j o u r s . » Dès q u ' u n b â t i m e n t arrivait, il accourait avec du biscuit et d e l'eau-de-vie, baptisait les enfants n é s p e n d a n t la t r a ­ versée, secourait les m a l a d e s ; et, a m e n a n t avec lui d'autres nègres, déjà convertis, il s'en servait c o m m e d'interprètes pour s'insinuer d a n s ces âmes ulcérées p a r le m a l h e u r II n e les a b a n d o n n a i t pas d a v a n t a g e d a n s leurs misérables gites. Dressant l'autel au milieu d e cette a t m o s p h è r e fétide, il faisait e n t e n d r e des p a ­ roles d ' a m o u r et d e p a r d o n à des gens qui n e r e s p i ­ r a i e n t q u e le désespoir et la v e n g e a n c e , et les r é c o n ­ ciliait avec leur sort, e n l e u r a n n o n ç a n t q u e l'escla­ vage pouvait être pour e u x l ' a c h e m i n e m e n t à u n e li­ b e r t é céleste. De nos j o u r s , le m i s s i o n n a i r e américain accomplit

(1) Lettre au Cardinal-Archevêque de Tolède, 2 9 mai 1 5 3 7 . (2) Lettre apostolique du 3 décembre 1 8 3 9 .


413 la m ê m e tâche, celle d'adoucir la sévérité d u maître et de r e n d r e l'esclave meilleur, tout en évitant de se h e u r t e r au m u r de séparation que le t e m p s a élevé e n t r e les deux classes. D a n s l'intérêt m ê m e de ceux qui servent, l'Eglise catholique a dû se conformer a u x coutumes et aux lois de ceux qui d o m i n e n t , et bien qu'elle étende indistinctement sur e u x c o m m e sur des enfants chéris toute sa sollicitude m a t e r n e l l e , elle se gare avec soin des écueils où p o u r r a i e n t l ' e n t r a î n e r u n e conduite indiscrète et u n zèle i m p r u d e n t . Ainsi, d a n s l'église, à la table sainte, au t r i b u n a l de la p é n i ­ tence, aux fonts sacrés, et a u x prédications, elle a d ­ met tous les fidèles, sans distinction d'esclaves et de libres, de noirs et de b l a n c s . Mais elle a des écoles à part pour le nègre, des colléges distincts pour les per­ s o n n e s de couleur qui recherchent l'instruction, des c o m m u n a u t é s spéciales pour celles q u i a u r a i e n t voca­ tion à l'état religieux. C'était tout ce qu'on pouvait faire ; car essayer de placer, d a n s ces établissements, l'affranchi à côté de celui qui fut son m a î t r e , eût été aussi i m p r u d e n t qu'impossible (1). A la Nouvelle-Orléans, des Sœurs d e N. D. d u MontC a r m e l se dévouent à l'éducation des filles de couleur; elles reçoivent des p e n s i o n n a i r e s , et leurs écoles sont fréquentées p a r u n g r a n d n o m b r e d'externes. Balti­ m o r e possède u n e c o m m u n a u t é de filles noires, con­ n u e s sous le n o m de Sœurs d e la Providence. Elles se consacrent à Dieu par les vœux de religion, observent u n e règle m o n a s t i q u e , édifient toute la ville p a r leur conduite exemplaire, et dirigent avec succès l'éduca-

(1) Mémoire de Mgr Rosali au Souverain pontife, 1 8 4 2 .


414 don des enfants d e leur sexe et de l e u r classe ( 1 ) . Pou­ vait-il se concevoir u n plus b e a u spectacle q u e celui de ces h u m b l e s Négresses, élevées a u r a n g des chastes épouses de Jésus-Christ, transformées à leur tour en i n s t r u m e n t de civilisation, et faisant descendre sur la jeunesse d e leur peuple d é d a i g n é la l u m i è r e et la vertu qu'elles ont reçues de la foi ! P e n d a n t q u e le catholicisme s'occupe à guérir a u Nouveau-Monde les m a u x d e l'esclavage, ses prêtres vont essayer de le tarir à sa source, en é v a n g é l i s a n t la race n è g r e dans ses propres foyers. D'importantes missions se fondent et p r o s p è r e n t s u r les côtes de l'A­ frique occidentale ; des prêtres noirs, o r d o n n é s à P a r i s , o n t repris le c h e m i n du S é n é g a l , l e u r patrie, pleins d ' a r d e u r pour la conversion de l e u r s frères : ils ont été reçus en t r i o m p h e . Ces misérables tribus s e m b l e n t avoir éprouvé q u e l q u e s e n t i m e n t de la dignité h u m a i n e , en voyant leurs enfants revêtus d u sacerdoce chrétien. Déjà la Guinée possède deux Evêques qu'elle e n t o u r e d e sa vénération ; des églises, des écoles, des croix, tous ces i n s t r u m e n t s de pieuse conquête, s'élèvent et s'affermissent sur le sol africain. V i e n n e le t r i o m p h e d e l'Evangile dans ces contrées, et la traite en a u r a disparu ; u n e fois le Niger d e v e n u c h r é t i e n , le Mississipi n ' a u r a plus d'esclaves. L'Indien c o m m e le Nègre vit en dehors d e la civili­ sation a m é r i c a i n e ; m a i s avec cette différence q u e le noir en est exclu c o m m e i n d i g n e p a r la société d e ses maîtres, t a n d i s q u e le s a u v a g e la d é d a i g n e et la fuit comme u n e déchéance et u n e servitude. Le p r e m i e r ,

(1) Mémoire de Mgr Rosatif


415 q u o i q u e é t r a n g e r et esclave, m u l t i p l i e d a n s u n e éton­ n a n t e progression a u sein d e son abjecte m i s è r e ; le second, i n d i g è n e et libre, m a r c h e à u n e r a p i d e extinc­ tion d a n s sa fière i n d é p e n d a n c e . Au sud des EtatsUnis, o n craint q u e ce n e soit u n e lutte à m o r t qui se p r é p a r e en silence e n t r e les deux castes ; a u Nord Ouest, c'est p r o b a b l e m e n t u n e lutte qui va finir par la disparition prochaine de tout u n p e u p l e . Les I n d i e n s eux-mêmes o n t le p r e s s e n t i m e n t de ce d o u l o u r e u x a v e n i r . Une de leurs tribus l'exprimait ainsi, e n 1 8 2 9 , dans sa pétition au Congrès : « Nous voici les d e r n i e r s d e n o t r e race, nous faut-il d o n c aussi m o u r i r ! » (1) Un mot sur les causes d e ce dépérissement g r a d u e l , s u r l'intervention des]Missionnaires d a n s les m i g r a ­ tions forcées de l ' I n d i e n , et sur les d e r n i e r s efforts ten­ tés p a r la Religion p o u r conserver à ce peuple primitif u n e vie qui lui é c h a p p e . Quelques familles d ' I n d i e n s , égarées a u m i l i e u d e la civilisation a m é r i c a i n e , végètent e n c o r e au m i d i sur le territoire q u e peuplaient leurs aïeux. Ces d e s c e n ­ d a n t s attardés de vingt tribus éteintes s o n t tout ce qui reste des Chactas, des Creecks, des L e n a p e s , des Chérokis et des Natchez. « Autrefois, dit u n Missionnaire qui les a visités (2), vous eussiez r e n c o n t r é l e u r s ten-

(1) « On peut prévoir déjà le moment où la race indienne disparaîtra de ces contrées. Mais en admettant, ce que nous ignorons, que les desseins impénétrables de la Providence aient décrété cette extinction totale, elle ne sera pas consommée avant un siécle. D'ici là il y a plu­ sieurs générations à faire jouir en paix des bienfaits de la vie chrétien­ ne ; il y a des millions d'enfants à envoyer au ciel par la grâce du saint baptême. En faut-il davantage pour soutenir la ferveur des Missionnaires et pour leur créer de nombreux imitateurs ? «—Henri de Courcy, 1 8 5 1 . (2) Lettre de M. Chalon, 16 janvier 1 8 3 1


416 tes partout où a b o n d a i t l'ours, où paissait le chevreuil, et où coulait u n e f o n t a i n e . Aujourd'hui q u e de l o n ­ gues guerres ont décimé l e u r s guerriers, on les a re­ légués d a n s les extrémités de l'Etat : q u e dis-je ? il n'y a q u e peu de j o u r s q u ' o n les a forcés de céder ces retraites, pour l e u r d o n n e r en échange des solitudes plus profondes, d'où la cupidité les chassera e n c o r e . . . Je l'ai vu ce fier sauvage m a r c h e r au milieu des b l a n c s la tête h a u t e ; son port était majestueux ; il semblait l e u r dire : « Nous vous avons accordé l'hospitalité, et voilà q u e vous voulez n o u s chasser d e cette t e n t e , sous l a q u e l l e n o u s vous avons reçus. Ce sont n o s terres q u e vous convoitez ; peuplez d ' a b o r d les déserts q u e n o u s vous avons a b a n d o n n é s , et, a v a n t q u e vos g é n é ­ rations les couvrent, n o t r e race sera éteinte. » En ef­ fet, elle n e vit presque p l u s q u e d a n s le souvenir des h o m m e s ; il faut faire p l u s de cent lieues d a n s l'inté­ r i e u r d u c o n t i n e n t pour r e n c o n t r e r u n I n d i e n . C'est a u x frontières de l'ouest et à l'entrée d u désert q u i s'étend au pied des Montagnes-Rocheuses, qu'on doit m a i n t e n a n t le chercher : outre la pression des B l a n c s qui l'y pousse à m e s u r e q u e l'émigration d e m a n d e d e nouvelles t e r r e s , il est forcé de s'y enfoncer à la suite des bisons, qui sont le p a i n d e chaque j o u r p o u r ce peuple c h a s s e u r . « « « « «

« A l'instant où les b r u i t s c o n t i n u s d e l'industrie e u r o p é e n n e se font e n t e n d r e en q u e l q u e endroit, dit u n a u t e u r c o n t e m p o r a i n (1), le gibier c o m m e n c e à fuir et à se retirer vers l'ouest, où son instinct lui a p p r e n d qu'il rencontrera des déserts encore s a n s b o r n e s . On m ' a a s s u r é q u e cet effet de l'approche

(1] M, de Tocqueville ; De la démocratie

en

Amérique.


417 « des Blancs se faisait s o u v e n t s e n t i r à deux cents « lieues de leur frontière. Leur influence s'exerce « ainsi sur des tribus dont ils savent à peine le n o m , « et qui souffrent les m a u x d e l'usurpation l o n g t e m p s « avant d'en connaître les a u t e u r s . Les I n d i e n s , qui « avaient vécu j u s q u e - l à d a n s u n e sorte d ' a b o n d a n c e , « trouvent difficilement à subsister. E n faisant fuir « l e u r gibier, c'est c o m m e si on frappait de stérilité « les c h a m p s de nos cultivateurs. O n r e n c o n t r e alors « ces infortunés r ô d a n t c o m m e d e s loups affamés a u « milieu de leurs bois déserts. L ' a m o u r instinctif d e « la patrie les attache au sol qui les a v u s n a î t r e , et « ils n'y trouvent plus q u e la misère et la m o r t . Ils se « décident enfin ; ils p a r t e n t , et s u i v a n t d e loin d a n s « sa fuite l'élan, le buffle et le castor, ils laissent à ces « a n i m a u x sauvages le soin de l e u r choisir u n e n o u « velle p a t r i e . . . La contrée où ils vont fixer leur s é « j o u r est déjà occupée p a r des p e u p l a d e s qui n e « voient qu'avec jalousie les n o u v e a u x a r r i v a n t s . Der« r i ê r e eux est la faim, devant eux la g u e r r e , la m i « sère partout. A6n d'échapper à t a n t d ' e n n e m i s ils « se divisent. C h a c u n d'eux c h e r c h e à s'isoler p o u r « trouver furtivement les moyens d e soutenir son exis« t e n c e , et vit d a n s l'immensité des déserts c o m m e l e « proscrit d a n s le sein des sociétés civilisées. Le lien « social depuis longtemps affaibli se brise alors. Il « n ' y avait déjà plus pour eux d e patrie, bientôt il « n'y aura plus de p e u p l e ; à p e i n e s'il restera des fa« milles : le n o m c o m m u n se perd, la l a n g u e s'oublie, « les traces d e l'origine d i s p a r a i s s e n t . La nation a « cessé d'exister... J'ai vu de mes propres yeux p l u ­ plusieurs des misères que j e viens de décrire ; j ' a i c o n « templé des m a u x qu'il m e serait impossible de re« tracer. »


I

418 Ce que l'écrivain m o d e r n e se refuse à exprimer, des vieillards indiens l'avaient depuis longtemps e n ­ trevu et prédit en plaintes prophétiques, q u i furent alors attribuées aux exagérations d u désespoir, m a i s qui n e sont plus aujourd'hui q u e l'histoire fidèle d u passé, la peinture du présent, la prévision d e la des­ tinée probable de la race a b o r i g è n e . Au c o m m e n c e ­ m e n t de ce siècle, lorsque les Américains passèrent s u r la rive occidentale du Mississipi, et i m p r i m è r e n t a u x tribus qui l'occupaient u n m o u v e m e n t de retraite qui n e devait plus avoir de t e r m e , u n vieux guerrier des Osages tint ce discours aux agents d u g o u v e r n e ­ m e n t fédéral. Malgré sa l o n g u e u r , on n o u s p a r d o n ­ n e r a de le transcrire, c o m m e le c h a n t funèbre du sauvage vaincu en voyant les apprêts de son sacrifice. « Le g r a n d fleuve, le p è r e des e a u x , n o u s séparait « d e vous : pourquoi venez-vous n o u s c h e r c h e r et « vous établir sur notre rivage? La terre d u m a t i n n e « vous suffisait-elle pas ? Elle a, c o m m e la n ô t r e , des « e a u x , des m o n t a g n e s , des forêts ; elle vous offre, « comme à n o u s , ses fruits, ses a n i m a u x , ses o m b r a « ges. J'en ai parcouru les contrées, d a n s la fleur de « m a jeunesse, et le t o m a h a c à la m a i n , q u a n d j ' a l « lais enlever les chevelures de m e s e n n e m i s pour « parer m a h u t t e sauvage. Les plaines où j e triom« pliais m ' o n t p a r u belles : leur état a-t-il c h a n g é ? « sont-elles devenues stériles ? n e reçoivent-elles plus « l'eau des n u a g e s et les r a y o n s d u j o u r ? les rivières « où flottait la pirogue ont-elles suspendu leur cours? « Ces régions sont vastes : vous n e les remplissez pas « encore ; et si elles vous suffisent, pourquoi changer « de demeures ? Vous avancez, et tout ce qui avait « reçu la vie t o m b e ou disparaît : l'incendie s'étend « devant vous; il éloigne ceux q u e vous n e pouviez


419 « atteindre, et vous vous e m p a r e z du désert q u e vous « avez fait. « J'ai prévu le sort qui attend tous les h o m m e s rou­ te ges, q u a n d du h a u t de nos m o n t a g n e s j ' a i vu la « terre q u e vous envahissez se dépouiller de ces bel« les forêts q u i avaient été notre séjour, q u a n d j ' a i vu « ces i m m e n s e s troupeaux de buffalos, de cerfs, d'au« très a n i m a u x sauvages, s'éclaircir d a n s les p l a i n e s , « et gagner p r é c i p i t a m m e n t les savanes, les prairies « de l'ouest : ils étaient notre cortége ; ils n o u s sui« vent pour s'affaiblir encore, et pour s'anéantir u n « j o u r au fond de nos solitudes, « « « « « « « « « « « « « « « » « « «

« Nos pères nous ont appris que d'autres régions s'étendaient au-delà de ces m o n t a g n e s ; mais si n o u s franchissons Cette b a r r i è r e , les peuples que n o u s r e n c o n t r e r o n s voudront-ils n o u s recevoir? La terre qu'ils h a b i t e n t ne leur a-t elle pas été d o n n é e p a r le Grand-Esprit, pour qu'ils puissent en parcourir paisiblement les forêts ? S a n s doute vous nous y poursuivrez encore ; et les débris de nos n a t i o n s , refoulées les u n e s sur les a u t r e s , ne laisseront plus d a n s les vastes contrées qui leur avaient a p p a r t e n u que les m o n u m e n t s de leur passage et de l e u r destruction. Qui sait m ê m e s'il en restera q u e l q u e trace sur la terre ? On dit que les g r a n d e s e a u x l'enveloppent comme d ' u n e ceinture : si vous nous repoussez sans cesse vers l e u r s rivages, il v i e n d r a u n t e m p s où nos dernières générations, ne p o u v a n t p l u s s'éloigner d a v a n t a g e , et n e voulant pas plier sous la servitude, contempleront ce gouffre i m m e n s e c o m m e u n dernier asile, et n ' a s p i r e r o n t plus qu'à s'y ensevelir » (1).

(1) Etats-Unis

d'Amérique,

par Roux de Rochelle.


420 L'Union américaine m a r c h e d ' u n pas rapide et con­ tinu à ce fatal d é n o u e m e n t . On a calculé qu'elle em­ piète c h a q u e a n n é e de dix lieues sur le désert ; il est d o n c facile de compter dès aujourd'hui le n o m b r e d'étapes a n n u e l l e s qui la s é p a r e n t encore de l'OcéanPacifique. P o u r lui frayer la route et déblayer devant elle le terrain, elle a trois auxiliaires d'une irrésistible puissance : l'eau-de-vie qui consume les sauvages en les d é p r a v a n t , les armes à feu qui leur servent à s'ent r e t u e r , et la famine qui dispense les Blancs de recou­ rir à l'expulsion des anciens possesseurs pour s'instal­ ler dans leur héritage. C'est là tout ce que la politique h u m a i n e a réalisé jusqu'ici pour les I n d i e n s (1). Il eût été trop long de les civiliser : on a trouvé plus simple et plus court de les déclarer insociables et de les trai­ ter en conséquence. Qu'on j u g e de la g r a n d e u r d u désastre par les débris qui restent encore debout. 11 résulte d'un travail fait en 1836, qu'à l'est du Mississipi on compte 8 1 , 2 3 6 sauvages; 2 6 5 , 5 6 7 errent à l'ouest du m ê m e fleuve; 2 , 6 0 0 , 0 0 0 occupent les soli­ tudes du Mexique et d u Texas ; plus d e 1 , 4 0 0 , 0 0 0 sont r é p a n d u s d a n s les colonies anglaises et russes, s a n s parler de la multitude de métis (2). C'est donc

(1) En 1 8 4 4 , un chef des Ouinébégo s'exprimait ainsi dans une conférence avec le général Doge, commissaire du gouvernement : « Pour se dispenser d'être juste envers n o u s , on nous accuse d'être la nation la plus perverse qui soit sous le soleil. Je m'étonne que les blancs osent nous reprocher des vices qui sont leur ouvrage.. Pourquoi venez-vous nous tenter jusqu'à la porte de nos cabanes avec votre eau de f e u , si fatale à notre tribu ? S'il se commet des crimes parmi nous, c'est par suite de l'ivresse ; et qui nous enivre ? qui ? des hommes avides qui nous vendent du poison au prix de nos dépouilles ! » — Lettre de M. l'abbé Crélin, 1 8 4 5 . (2) Lettre du P. de Smeti


421 près de 4 , 4 0 0 , 0 0 0 Indiens qui a t t e n d e n t d a n s la mi­ sère l'Evangile ou la mort. Après u n e longue a b s e n c e , l'Evangile a reparu de nos jours au milieu des anciennes peuplades, chez qui le souvenir des Robes-noires n'avait pas cessé d'être u n culte filial et u n regret traditionnel. Jusque-là les Mis­ sionnaires avaient été si absorbés par les soins à don­ n e r aux colons européens, qu'ils obtenaient difficile­ m e n t l'honneur d'aller mourir au milieu des Sauvages. Les premières tribus qu'ils rencontrèrent, pliaient déjà leurs tentes pour s'acheminer vers l'exil. Ils eurent à consoler les douleurs, à soutenir la résignation, à sanc­ tifier les épreuves de ces multitudes déportées. Toutes les migrations indiennes auxquelles le prêtre s'est mêlé pour en adoucir les rigueurs, présentent les m ê m e s scènes de désolation et de charité : il nous suffira donc d'en citer u n e seule, celle des Potowatomies, dont M. Petit fut l'ange consolateur ( 1 ) . C'était en 1837. Le g o u v e r n e m e n t fédéral venait de fonder, à l'ouest de l'Arkansas et du Missouri, u n dis­ trict exclusivement indien, où seraient rassemblés les débris des nations indigènes épars sur l'immense terri­ toire de l'Union Une fraction des Potowatomies, pres­ q u e toute chrétienne, avait sollicité pour elle u n e ex­ ception à la mesure générale, et d a n s l'attente d e la décision du Congrès, ces Sauvages, qui n'en avaient plus que le nom, continuaient leur vie patriarcale sous la direction du j e u n e Missionnaire. Les lignes suivan­ tes feront connaître le pasteur et le t r o u p e a u .

(1) M. Petit avait été avocat au barreau de Rennes, avant de se vouer au ministère apostolique : il avait 2 6 ans, et venait d'être or­ donné prêtre par Mgr Brulé.


422 «... Dans deux jours je partirai d'ici tout seul, al« lant à près de trois cents milles r é p a n d r e parmi des « peuples q u e j e n e connais point, m a i s auxquels Dieu « m'envoie, des grâces ratifiées au ciel. Q u a n d je m e « vois d'avance voyager en compagnie de m o n Dieu « reposant sur ma poitrine nuit et jour, portant sur « m o n cheval les instruments du g r a n d sacrifice, m'ar« rêtant de temps à autre au fond des bois, et faisant « de la chaumière d ' u n obscur catholique le palais du « roi de gloire : oh ! comme j e m e fie avec délices en « l u i ! . . . Aller de messe en messe j u s q u ' a u c i e l ! . . . « Vous le savez, souvent j e disais q u e j'étais n é heu« r e u x : eh ! bien, j'avais toujours désiré Une mission « sauvage, nous n ' e n avons q u ' u n e d a n s l'Indiana, et « c'est moi que les Potowatomies vont appeller leur « Père la R o b e - n o i r e . Arrivé au village indien, le Missionnaire décrit ainsi les joies de son ministère. « Me voici à Chichipé-Ou« tipé, au sein de m o n église sauvage. Comme je les « aime mes enfants, et comme j e m e plais au milieu « d'eux ! C'est toujours la m ê m e merveille, u n i n « croyable mouvement de conversions parmi ces pau« vres infidèles. 11 y a m a i n t e n a n t mille à douze cents « chrétiens ; et puis u n e ferveur, u n e simplicité admi« rable et t o u c h a n t e ! . . . Si vous voyez, q u a n d j ' e n t r e « d a n s u n e cabane, les petits enfants qui m ' e n t o u r e n t « et m o n t e n t sur mes genoux ; les père et m è r e qui se « recueillent, font pieusement le signe de la croix, et « avec u n sourire confiant v i e n n e n t m e presser la « m a i n , vous n e pourriez vous défendre de les aimer « comme moi. Q u a n d on les visite, le soir, d a n s leurs « cabanes, on les trouve la tète p e n c h é e sur le feu, « c h a n t a n t des cantiques, ou récitant le catéchisme à « la lueur de leur brasier...


« « « « « « « « « « « « «

423 « J'ai m a i n t e n a n t la triste perspective de m a mission indienne bientôt détruite, et c'est comme u n fond noir au tableau de ma vie présente. Les réclamalions de mes pauvres I n d i e n s n ' o n t pas été entendues. Pour moi, j ' a u r a i à essuyer leurs l a r m e s quand ils iront en exil ; j ' a u r a i à détruire l'autel et l'église, à mettre en terre la croix qui s'élève sur l e u r s tombes, pour épargner à ces choses saintes d'hérétiques profanations ; et puis il faudra leur dire adieu pour n e les plus revoir ! Et ces âmes chrétiennes iront se dessécher sans le secours des sacrements, dont ils s'approchaient avec tant d'amour, et l a n g u i r sous u n ciel i n c o n n u . Oh ! j e ferai tout ce qui dépendra de moi pour n e pas les a b a n d o n n e r .

A quelque temps de là, le gouvernement américain s'empara de l'église où les Sauvages se réunissaient pour la prière. « Alors, dit M. Petit, j e rassemblai mes « enfants à l'heure du départ. Nous, Mission qui mou« rait, nous priâmes pour le succès des autres Missions, « et nous chantâmes tous ensemble : « J e mets ma « confiance, Vierge, en votre secours. » Celui qui e n « tonna eut la voix étouffée par u n sanglot, et quel« ques voix seulement arrivèrent j u s q u ' à la fin. Il est « triste, je vous assure, pour u n Missionnaire de voir « u n e œuvre si j e u n e et si vigoureuse expirer entre « ses b r a s . Quelques j o u r s après, j ' a p p r i s q u e les In« diens, malgré leurs dispositions paisibles, avaient « été surpris et faits prisonniers de guerre ; q u e , pous« ses la baïonnette d a n s les r e i n s , ils comptaient déjà « d a n s leurs rangs u n g r a n d n o m b r e de m a l a d e s ; que « plusieurs, entassés d a n s des w a g o n s de transport, « étaient morts de c h a l e u r et de soif... A ces nouvel « les, Monseigneur m e p e r m i t enfin de rejoindre les « émigrants. Le sourire r e p a r u t aussitôt p a r m i la dé-


424 « solation de l'exil ; nous n o u s retrouvions en famille.» De ce m o m e n t , l'émigration s'accomplit s a n s m u r ­ m u r e . Ces sauvages avaient tout perdu ; mais ils em­ portaient avec eux l'autel où Dieu nous d o n n e s a n s fin l'exemple du sacrifiée, et pour fêter sa présence mysté­ rieuse ils retrouvaient, eux proscrits, leurs cantiques de la terre des aïeux Un prêtre qu'ils aimaient, qui avait aussi tout quitté pour les servir, accompagnait leurs pas sous u n ciel étranger, assistait leurs m a l a d e s , bénissait les tombes des morts qu'ils semaient en g r a n d n o m b r e sur le c h e m i n . Il n e les quitta q u ' a u terme de cette voie douloureuse, e n les r e m e t t a n t aux m a i n s des Pères jésuites, dont les établissements s'élèvent au centre du territoire indien (1). Son œuvre et sa vie étaient achevées ; la fatigue avait épuisé ses forces; il m o u r u t au retour, d e r n i è r e victime d'une émigration dont il fut le consolateur (2).

(!) Ce territoire a pour limites la rivière Rouge au sud, le Missouri à l'est, le désert et les Montagnes-Rocheuses à l'ouest et au nord. Il r é u ­ nissait déjà en 1 8 3 8 les débris des nations suivantes : Punchas, Dourvas, Ottœs, Kansas, Osages, Kickapoux, Pottowatomies, Delawares, Shawanons, Weas, Piankashaws, Peorias, Kaskaskias, Ottawas, Senecas, Saucs, Quapaws, Creeks, Cherakees et Choctaws. C'est une agglomération d'en­ viron cent mille sanvages. — Extrait d'une lettre du P. de Smet. (2) Voici, d'après M. de Tocqueville, le tableau d'une émigration i n ­ dienne. « A la fin de l'année 1 8 3 1 , je me trouvais sur la rive gauche du Mississipi, à un lieu nommé par les Européens Memphis. Pendant que j'étais en cet endroit, il y vint une troupe nombreuse de Chactas ; ces sauvages quittaient leur pays et cherchaient à passer sur la rive droite du Mississipi, où ils se flattaient de trouver un asile que le gou­ vernement américain leur promettait. On était alors au cœur de l'hiver, et le froid sévissait cette année-là avec une violence inaccoutumée ; la neige avait durci sur la terre, et le fleuve charriait d'énormes glaçons. Les Indiens menaient avec eux leurs familles ; ils traînaient à leur suite des blessés, des malades, des enfants qui venaient de naître, et des


425 Biais ce n'était pas assez pour le catholicisme d'avoir adouci l'exil de quelques t r i b u s , c o n d a m n é e s à périr c o m m e l'arbre qu'on transplante sans cesse. Il fallait tenter au fond des plus âpres solitudes u n d e r n i e r ef­ fort pour sauver des nationalités m o u r a n t e s , en les convoquant au pied de la croix, ce mystérieux serpent d'airain qui peut seul r e n d r e la vie à tout u n peuple expirant au d é s e r t ; il fallait, après avoir servi d'ins­ t r u m e n t de salut aux sauvages, q u e le Missionnaire essayât de d o n n e r la fertilité à leurs plaines incultes, et l'aspect de colonies florissantes à l e u r s b a n d e s aussi malheureuses que désordonnées. Cet espoir, n e fût-il qu'un rêve généreux, mériterait encore, par sa coura­ geuse initiative et ses premiers succès, de fixer les re­ gards du chrétien. Il y a seulement u n e quinzaine d ' a n n é e s qu'un petit n o m b r e d ' h o m m e s apostoliques, j e t a n t les yeux sur cette immensité de lacs, de prairies et de forêts qui s'étendent d u St-Laurent à la Colombie, et la voyant couverte de tribus infidèles, entreprit d'y faire e n t e n ­ d r e le nom et goûter les bienfaits du Dieu i n c o n n u . S a n s s'être concertés, mais obéissant à l'impulsion du m ê m e esprit qui les guide, ils y pénètrent p a r tous les

vieillards qui allaient mourir. Ils n'avaient ni tentes, ni charriots, mais seulement quelques provisions et des armes. Je les vis s'embarquer pour traverser le grand fleuve, et ce spectacle solennel ne sortira jamais de ma mémoire. On n'entendait parmi cette foule assemblée ni sanglots, ni plaintes ; ils se taisaient. Leurs malheurs étaient anciens, et ils les sentaient irrémédiables. Les Indiens étaient déjà tous entrés dans le vaisseau qui devait les porter ; leurs chiens restaient encore sur le ri­ vage : lorsque ces animaux virent enfin qu'on allait s'éloigner pour tou­ jours, ils poussèrent ensemble d'affreux hurlements, et, s'élançant à la fois dans les eaux glacées du Mississipi

ils suivirent leurs maîtres à la nage. ».


426 côtés à la fois. Nous n'essayerons pas de suivre leurs courses d a n s ce désert où la tanière des bêtes féroces inspire moins d'effroi au vayageur q u e la hutte du sau­ vage : quelques n o m s nous suffiront à j a l o n n e r l e u r route. En 1839, M. Proulx traverse le lac Huron sur u n canot d'écorce, et fonde à Ste-Croix de Manitouline u n e chrétienté de sept cents Algonquins. M. Provenc h è r e , s'élevant plus au nord, va s'établir sur la rivière Rouge, et de St-Boniface d o n n e la m a i n aux Mission­ naires de la Baie. d'Hudson et de l ' I o w a . Poussant en­ core plus loin d a n s cette voie périlleuse, MM. Blanchet et Demers n e s'arrêtent qu'aux rivages de l'Orégon, où M. Bolduc vient les rejoindre à travers l'Océan-Pacifiq u e . Au midi, c'est M. Belcourt qui r e m o n t e le Mississipi j u s q u ' à sa source, et dresse tour à tour son autel n o m a d e , tantôt d a n s le c a m p des métis qu'il suit à la chasse du bison, tantôt sous la tente des M a n d a n e s , des Sauteux et des Assiniboines qu'il visite p e n d a n t l'hiver, emporté sur la neige par u n attelage de chiens. C'est enfin le Père de Smet qui parvient, après mille lieues de détours, au centre des Montagnes-Rocheuses, limites imposantes du m o n d e atlantique, convertit les Têtes-Plates, les Pandéras et les Kalispels, reunit cha­ que soir dans u n e c o m m u n e prière jusqu'à d e u x mille néophytes, représentants de vingt nations sauvages, proclame e n t r e elles la paix de Dieu au désert, et ébauche la civilisation i n d i e n n e par les premiers es­ sais d'agriculture. Les fruits ont dignement r é p o n d u aux sueurs des apôtres. A l'absence de tout établissement religieux dans ces contrées perdues, a succédé l'érection de qua­ tre siéges épiscopaux et de deux vicariats apostoliques sur le territoire indien. Ces six Evêque ont, pour se


427 conder le zèle de leur clergé, deux Congrégations de Missionnaires et d e u x C o m m u n a u t é s de femmes. Sept à huit mille Sauvages déjà baptisés (1) n e sont q u e les prémices de deux cents mille de leurs frères, qui ap­ pellent dans leurs tribus les Robes-noires, et s'offrent d'eux-mêmes aux conquêtes de la grâce. Leur piété est encore plus consolante q u e leur n o m b r e « Il serait impossible, dit le P è r e de Smet, de voir sur terre u n e r é u n i o n d'hommes plus semblable à la compagnie des saints. Que n e puis-je vous peindre l'émotion dont j ' é ­ tais saisi, en e n t e n d a n t ces enfants des montagnes c h a n t e r à la louange du Créateur u n cantique solennel qu'ils avaient eux-mêmes composé. Ces deux mille voix s'élevant en chœur du sein du désert, avec cet é l a n d ' u n e foi naissante qu'exaltait encore le c a l m e religieux d'une belle nuit, et d e m a n d a n t à Dieu de m i e u x le connaître afin de lui témoigner plus d'amour, formaient pour moi le plus sublime concert. » Ce n'est pas tout. La solitude a m a i n t e n a n t ses villages, ses défrichements et ses moissons : les gracieux souvenirs du Paraguay semblent se réveiller aux Montagnes-Ro­ cheuses avec leur parfum d'innocence et leur poésie patriarcale. A St-François Xavier de W a l l a m e t , à Ste-Marie chez les Têtes-Plates, à St-Ignae chez les Kalispels, a u Sacré-Cœur de Jésus chez les Cœursd'Àlône, des bois ont été abattus, des bassins creusés,

(1) Le P. Mazuccheli eu compte 1 , 5 0 0 au Lac Supérieur, etc. ; le P. Chazelle

7 0 0 au Lac Huron ;

le P. Sorin

5 0 0 au Lac Michigan ;

M. Petit

M. Beleourt

P, de Smet

Total

1,200

au Missouri ;

2 0 0 à Pimbina ; 4 , 0 0 0 aux, Montagnes-Rocheuses 7,900


428 des chemins ouverts, d ' a b o n d a n t e s récoltes recueillies. La loge du blé s'élève déjà à côté de la maison de prière, et assure a u sauvage les ressources de la p r é ­ voyance, comme sa hutte, fixée désormais aux c h a m p s qu'il cultive, lui promet les douceurs du foyer. 0 Eglise du désert! puissent les vallées a u fond desquelles tu t'abrites, te protéger assez contre la cupidité des b l a n c s pour que leur influence n e vienne pas étouffer ta foi et ta civilisation au berceau 1 Un Missionnaire raconte qu'en 1836 u n iconoclaste m o d e r n e , n o m m é Parkers, brisa u n e croix sur la tom­ be d'un enfant, en disant avec e m p h a s e qu'il n e v o u ­ lait pas laisser a u désert u n m o n u m e n t d'idolâtrie, élevé en p a s s a n t p a r q u e l q u e Iroquois c a t h o l i q u e . Quinze a n s se sont à peine écoulés, et s'il revenait aujourd'hui aux m o n t a g n e s , il e n t e n d r a i t les louanges d u Seigneur sur le bord des rivières et des lacs, d a n s les prairies comme au sein des forêts ; il verrait la croix p l a n t é e de rive e n rive s u r u n espace de trois cents lieues, d o m i n a n t la c h a î n e principale qui sépare les e a u x du Missouri de celles de la Colombie, et suspen­ due avec a m o u r au cou de plus de quatre mille Indiens. Que n'est-il d o n n é à ce briseur de croix de repasser aux mêmes lieux, et à la v u e de cette famille i m m e n s e , composée de tant de tribus diverses, prosternée d e v a n t l'image de Jésus crucifié avec u n e égale ferveur, et oubliant à ses pieds toutes les h a i n e s , toutes les rivali­ tés de p e u p l a d e s , peut-être que l u i - m ê m e la saluerait avec eux comme notre u n i q u e espérance! O c r u x , a v e , spes u n i c a ! Tel est l'état du catholicisme aux Etats-Unis, d e cette Eglise qui est déjà u n géant, bien qu'elle touche encore à son b e r c e a u . Quelles ressources matérielles


429 oui favorisé son prodigieux essor ? à peu près a u c u n e s . En Amérique plus q u e partout ailleurs, la Religion n ' a dû qu'à elle-même s o n établissement et ses p r o ­ grès. Là point de m o n a r q u e , n u l prince qui ait édifié ses églises, fondé ses monastères, érigé et doté ses sé­ m i n a i r e s , ses colléges, ses universités, ses écoles, ses hôpitaux et ses refuges d'orphelins. Le clergé n'a trouvé a u c u n secours dans les revenus de ses évêchés et de ses paroisses. Les fidèles eux-mêmes, pour la plupart é t r a n g e r s , venus en Amérique pour améliorer leur sort, n e pouvaient offrir que des largesses proportion­ nées à leur h u m b l e fortune ; mais la Providence y a suppléé par les inépuisables trésors d e la charité chré­ t i e n n e . Voici d'abord les ressources locales. Les Evê­ ques, ainsi q u e les Curés et les Missionnaires, n'ayant point de traitement, les offrandes volontaires des fidèles sont leurs seuls moyens de subsistance. Le plus souvent ces offrandes sont recueillies les dimanches et j o u r s de fête, à l'église, p e n d a n t l e chant du C r e d o , par quelques laïques chargés de ce soin. Dans la plu­ part des églises il y a des b a n c s pour l'usage des pa­ roissiens et des é t r a n g e r s , et leur r e n t e a n n u e l l e cou­ vre en partie les frais du culte. S'agit-il d ' u n e dépense considérable, par exemple d'élever u n e église ou un collége, alors on a recours aux souscriptions. L'Evêque ou le prêtre qui en pro­ pose l'érection, accompagné des catholiques les plus r e c o m m a n d a b l e s , porte de maison en maison u n re­ gistre où le projet est discuté, et prie ceux auxquels il le présente de coopérer à la b o n n e œuvre par u n e contribution volontaire. Cette m e s u r e obtient généra­ lement u n h e u r e u x succès. 11 arrive souvent que les protestants eux-mêmes prêtent au Missionnaire u n con­ cours généreux. De cette m a n i è r e on réalise au m o i n s


430 u n e partie des fonds les plus nécessaires, puis on s'a­ dresse à l'OEuvre d e la Propagation d e la Foi. Les six cent c i n q u a n t e mille francs qu'elle a jusqu'ici alloués chaque a n n é e aux Missions a m é r i c a i n e s , sont le prin­ cipal budget d ' u n e Eglise qui s'étend des Florides à Van­ couver et de Boston à la Californie. P e n d a n t la dernière période de dix ans, nos Associés ont concouru pour près de sept millions à ses i m m e n s e s progrès. Aussi l'Episcopat de l'Union n e cesse-t-il de nous n o m m e r d a n s ses prières et sa reconnaissance. « Si votre OEuvre, dit Mgr Hughes, Evêque de New-York, doit être regardée partout comme suscitée de Dieu pour devenir, à notre époque, la Providence visible des parties lointaines et indigen­ tes d u royaume de Jésus-Christ, c'est surtout a u x EtatsUnis d'Amérique q u e ces titres la font bénir. Nulle part, peut-être, elle n'a opéré plus d e bien q u e d a n s nos églises naissantes. Naguère la foi n'éclairait q u e les côtes maritimes de ce vaste pays : aujourd'hui les émigrants catholiques, en q u e l q u e lieu qu'ils portent leurs pas, sont assurés de trouver des Evêques, des prêtres et des secours religieux... Heureux chrétiens d'Europe, ajoute le Prélat, vous n'avez eu qu'à r e c e ­ voir de la foi de vos pères ces édifices et ces établisse­ m e n t s religieux qui vous ont été transmis comme u n riche héritage ; mais pour nous le passé n'a rien fait. C'est à notre faiblesse à tout e n t r e p r e n d r e et à tout créer, en m ê m e temps qu'elle doit conserver et soute­ nir. Puisse le bien qui s'est déjà accompli par votre concours, dilater encore votre charité en faveur de nos immenses b e s o i n s ! »


1808 1808 1847 1847 4843

Sud.)

NEW-YORCK, Arch.;

du

HARTFORD ,

(Rhede-Island.)

(New-Yorck.)

(New-Yorck.)

BCPFALO ,

ALBANT,

(Sew-Yorck.)

(Massachusetts.)

(Géorgie.)

BOSTON,

SAYANNAH,

RICHMOND, (Virginie Orientale.) PITTSBOURG, (Pensylvanie Occidentale.) W H E E L I N G , (Virginie Occidentale.)

CHARLESTON, (Caroline

1700 1808 1820 1820 1845 1850 1850

a)

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BALTIMORE , Arch. ; (Maryland.) PHILADELPHIE, (Pensylvanie Orientale.)

DIOCÈSES.

63

295

Total. . . . 5 4 9

8

57 6 12

403 93 16

80 88 57 40 67 A 45

Eccleston. Kenrik. Reynolds. M. Gill. O'Connor. Whelan. Garllaud.

H

4G7

2 26 6 ««

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98 50

« n « DE BALTIMORE. •Sa

Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr.

4 50 63 440 58 42 573

nughes. Fitzpatrick M. Closkey. Timon. O'Relly. Total. . . .

298

109 Cl 01 53 44

G2

42 42 7

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51

5

«« 4 ««

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40

et Ecoles.

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45

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24 10

PENSIONNATS

5

45

o 1 «« A 1 1 4

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7

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2 s 9. «

1i

ECCLÉSIASTIQUES.

2° PROVINCE D E NEW-YORK.

Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr.

1° PROVINCFl

TITULAIRES.

PAR S . S . PIE I X E N SIX PROVINCES

EGLISES et Chapelles.

DIVISÉE 1

É T A T S - U N I S ,

1 d'Hommes.

COMMUNAUTÉS.

A U X

STATISTIQUE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE

SÉMINARISTES.

|

de charité. 25

o 4 4 ««

44

38

25 7 2 3 2 «« 1

ETABLISSEMENTS

POPULATION

509

515,000

220, 0 0 0 100, 000 80,000 70,000 20.000

557,

4 00,000 170,000 5,000 7,000 45,000 5, 0 0 0 5, 500

Catholique.


(Texas.)

CLETELAND,

VINCENNES,

DÉTROIT ,

LOUISYILLE,

(Okio.)

(Ohio.)

(Indiana)

(Michigan.)

(Kenluhy.)

CINCINNATI , Arcli.

GALVESTON,

(Arkansas.)

(Mississipi.)

(Âlabama.)

LITTLE-ROCK,

NATCHEZ,

MOBILE ,

NOUVELLE-ORLÉANS, A r c b . ;

DIOCÈSES.

(Louisiane)

TITULAIRES.

a

c

tC

M

COMMUNAUTÉS.

d'Hommes.

SÉMINARISTES.

EGLISES et Chapelles.

1821 1808 1853 1834 4847

-1793 -1825 1857 4 S 43 1848 Total.

Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr.

g

414

Total. . . .

4 22

63 77 43

4 05

Purcell. Spalding. Lefèvere. do St Palais. Rappe.

245

80 55 50 58 40

1

4

8

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42

5

44 4 «« 40 14

21

40 4 3 2 2

11 G

48

439

. . . 225

«« 4

5

4

4

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7 2

82 22 4 1 6 48

5 2

de Femmes.

8 5 «u

COMMUNAUTÉS, 8

64 27 45 49 70

Blanc. Portier. Chanche. Byrne. Odin.

4 ° PROVINCE DE CINCINNATI.

Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr.

3 " PROVINCE DE LA NOUVELLE-ORLÉANS.

c

69

49 20 20 7 5

25

47

4

6 2 2

6

40

a« ««

4

3

et Ecoles.

6

PENSIONNATS

3 2 2 4

de charité. 4 4

[ÉTABLISSEMENTS

POPULATION

285,000

50,000 30,000

85,000

85,000 35,000

232,000

40,000

4,000

4 0, 0 0 0

41,000

470,000

Catholique.


TOM.

xxm.

139.

21

. .

54

110

4 850

OU MONTAGNES-RO- j 4 8 5 0 Tolal

I Mgr. Lamy. Mgr. Miége.

.

. |

1832 |

93

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50,000

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40,000

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« « 0

204,000

70,000 8, 0 0 0 5,000 4.000 54,000 65,000

( 1 ) La création toute récente et l'extrême éloignement de ces cinq diocèses ne n O H S ont pas permis d'en donner une notion précise. (2) Le total réel est bien supérieur aux chiffres officiellement constatés, les seuls que nous ayons rvulu reproduire. On estime généralement a deux millions la population catholique des Etats-Unis; quelques-uns la portent même à trois millions.

Total général : 5 4 diocèses et 2 vicariats apostoliques , .

53

«« t.

45

««

APOSTOLIQUES.

. . .

VICARIATS

30

CALIFORNIE.

Mgr. A l e m a n v .

La population catholique de l'Orégon, de la Californie et du Territoire Indien, q « i ne figure pas dans ce tahleau, est évaluée approximativement à

CHEUSES.

NOUVEAU MEXIQUE , TERRITOIRE INDIEN

1850

MOWTSRET,

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21

«...

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Mgr.M.Rlanchet. ;>

4850

4848

4850

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D'ORÉGON-CITY.

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25

91

SAINT-LOUIS.

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PROVINCE

Total.

R.Kenrick. Loras. Crétin. Miles. Vandcvcldc. Henni.

Mgr.F.Blanchet. |

Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr. Mgr.

5> P R O V I N C E

4850

4 840

1843

1843

4 857

4 850

4 857

4 826

ORÉGOH-CITY , A r c h . ; (Orégon.) NESQUALY, (Orégon.) VYALLA-WALLA , (Orégon.) FORT-HALL, (Orégon.) CoLTttLE, (Orégon.)

ST-LOUIS, A i c k . (Missouri.) DUBUQUE , (lowa.) ST-PATJL , (Minesota.) NASHTILLE, (Jeunesse.) CHICAGO, (Illinois.) MILWALKIE, (Wisconsin.)

!


434

MISSIONS DE L'ABYSSINIE. VICARIAT APOSTOLIQUE DES PEUPLES GALLAS.

Extrait

d'une

lettre

gieux

Capucin,

traux

de Lyon

du R. P. Léon

des Avanchers,

à MM. les Membres et de

des Conseils

Relicen-

Paris.

Massouah, côte de l'Abyssinic , le 12 mars 1 8 5 0 .

« MESSIEURS,

« Monseigneur Massaia, Vicaire Apostolique des peu­ ples Gallas, vient de r e n t r e r d a n s cette ville située sur les bords de la m e r Rouge. Après avoir, p e n d a n t u n e course de dix mois, visité les différentes tribus c h r é ­ tiennes qui se trouvent dans les r o y a u m e s de Choa et de Gojam, il s'est vu de n o u v e a u forcé d e quitter sa Mission, à cause de la persécution suscitée p a r L ' A b o n n a , évêq u e schismatique de l'Abyssinie. Brisé par la fatigue et la douleur, il m e charge de vous écrire la relation d e son voyage, en a t t e n d a n t qu'il puisse de vive voix


435 vous communiquer ses plans et ses projets, en faveur de populations encore toutes plongées d a n s les ténè­ bres de l'idolâtrie. « Mon Evoque était arrivé à Massouah vers la fin d'octobre 1 8 4 6 , avec trois Missionnaires, les P P . César, Juste, Felicissime. Ce port de l'Abyssinie n'est q u ' u n m é c h a n t ilôt, situé à cinq minutes du c o n t i n e n t et sou­ mis à la domination t u r q u e . C'était u n point i m p o r t a n t de la côte aux j o u r s florissants de l'empire Abyssin. On y voit encore u n g r a n d n o m b r e de citernes et d e puits destinés à contenir l'eau de pluie ; car Massouah n'est q u ' u n rocher aride où pas u n brin d'herbe n e verdit, pas u n e source n e coule. Mais ces m o n u m e n t s précieux de l'antiquité ne sont plus q u e des ruines, d e ­ puis q u e les Musulmans s'en sont e m p a r é s . Il existe encore une a n c i e n n e église, à fenêtres ogivales, bâtie par les Portugais, et qui a été c h a n g é e en Mosquée. C'est l'unique vestige de la religion c h r é t i e n n e . « De Massouah pour se r e n d r e sur le p l a t e a u Abys­ s i n , on a devant soi u n e pente de 3 , 0 0 0 mètres, for­ m é e de différentes chaînes d e m o n t a g n e s , toutes pla­ cées en gradins. Arrivé à cette h a u t e u r prodigieuse, le voyageur c h e m i n e à travers d'autres m o n t a g n e s qu'il voit quelquefois couvertes d e gelée b l a n c h e a u m a t i n . Là on jouit de l'air le plus pur ; e t , bien q u e sous la zone torride, on y souffre du froid, t o u t e s les cimes q u ' o n franchit j u s q u ' a u pied du g r a n d p l a t e a u , sont de formation volcanique, ou plutôt ce sont a u t a n t d e cratères éteints. A m e s u r e qu'on s'éloigne d e la m e r , la végétation devient de plus en plus r i c h e et vigou­ r e u s e . Entre autres plantes i n c o n n u e s en E u r o p e , on y trouve les arbres qui produisent le b a u m e et la gommeLes indigènes en font peu de cas. L e u r principale res­ source consiste en bestiaux ; ils sont tous bergers. Le


436 uns m è n e n t u n e vie e r r a n t e et vagabonde ; d'autres sont fixés d a n s quelques plaines, où ils peuvent facilement faire paître leurs troupeaux. Leur religion est le m a h o métisme ; m a i s ils ont été autrefois chrétiens, et, c o m m e souvenir de leur a n c i e n n e foi, ils observent les fêtes de Pâques, de la Pentecôte, de l'Ascension et de l'As­ somption. Si on leur d e m a n d e pourquoi ils respectent ces solennités, ils r é p o n d e n t que l e u r s pères faisaient ainsi. « Pour mieux vous mettre au fait de nos trois a n s de persécution,

nous jetterons u n rapide coup d'oeil sur

l'ensemble des pays que Mgr Massaia était obligé de traverser. L'ancien

empire Abyssin, qui n'existe plus

depuis l'invasion des Gallas, est actuellement divisé e n trois r o y a u m e s : celui du T i g r é - A m a r a où r è g n e Oubié ; celui du Choa composé en g r a n d e partie de tribus Gallas, et celui du Gojam. Ces différents Etats sont c o n s ­ t a m m e n t e n hostilité les u n s avec les autres ; aussi les rois habitent-ils sous des tentes, entourés de leurs sol­ dats et toujours prêts à faire la g u e r r e , qui consiste à tout détruire et à tout massacrer. Les nouveaux domi­ n a t e u r s ont c e p e n d a n t conservé u n e o m b r e de l'ancien Negus ou e m p e r e u r abyssin. Ce m o n a r q u e

purement

n o m i n a l , dont toute l'autorité se b o r n e à lever u n léger impôt sur le beurre, d e m e u r e à G o n d a r d a n s le palais des anciens empereurs. « Bien q u e les chrétiens d'Abyssinie professent l'erreur de Dioscore, c o n d a m n é e au concile de Chalcédoine, u n g r a n d n o m b r e d'entre eux vivent là-dessus d a n s une complète ignorance, et croient q u e l e u r Evêque, ou L ' A b o u n a qui leur est envoyé par le patriarche schism a t i q u e d u Caire, est en communication avec le P a p e . « D'après les lois du pays, il n e peut y avoir q u ' u n seul évèque en Abyssinie, et il y a peine de mort con-


437 tre q u i c o n q u e en usurperait le titre. Tel fut le motif de la persécution suscitée à Mgr Massaia. L ' A b o n n a ac­ tuel, avant d'être évêque, était un p a u v r e j e u n e h o m m e n'ayant pour toute fortune q u ' u n â n e qu'il louait aux voyageurs. Après deux a n s d'études au Caire, on le trouva suffisamment instruit pour remplir les fonctions épiscopales ; il fut o r d o n n é et envoyé en Abyssinie avec des ministres anglicans, qui furent chassés plus tard par les populations. Depuis ce m o m e n t , il cherchait l'occasion d'opprimer les catholiques, qui devenaient de j o u r en j o u r plus n o m b r e u x , et à qui il attribuait l'expulsion des missionnaires protestants. Or, u n voya­ geur européen (que j e ne n o m m e pas), a y a n t eu à se plaindre de m o n Evèque, qui n'avait pas voulu faire en sa faveur u n acte d'injustice, résolut de se venger de ce refus. Il lui tomba e n t r e les mains u n e lettre adressée au Vicaire apostolique; il la décacheta, la porta aussitôt à l ' A b o u n a , et lui dit : « Regarde, il y a u n a u t r e Evêque que toi en Abyssinie. — Qui donc ? d e m a n d a l'Abouna furieux ; il faut qu'il m e u r e : où est-il ? — T u l'auras ; mais que me d o n n e r a s - t u ? » Ils convinrent e n s e m b l e du prix. « M a i n t e n a n t , dit l'A­ b o u n a , j ' a i besoin de soldats ; c'est à Oubié de m ' e n fournir. » Il alla donc trouver le roi, et le s o m m a de lui d o n n e r des troupes pour saisir et mettre à mort l'Evèque é t r a n g e r , qui était en Abyssinie contre les lois du r o y a u m e . Oubié, malgré l'intérêt qu'il porte secrètement aux catholiques, lui accorda les h o m m e s qu'il réclamait.

« Pars, dit l'Abyssin au n o u v e a u Ju­

das, et amène-moi l'Abouna Massaia mort ou vif. — Sois tranquille, répondit l'Européen ; » et il s'éloigna avec sa troupe. « Comment le connaîtrons-nous ? lui d e m a n d è r e n t les soldats. — Celui qui porte u n e g r a n d e b a r b e rouge, à qui l'on fait des saluts à l'église et à


438 qui j e baiserai la m a i n , c'est l ' A b o u n a Massaia : pre­ nez-le. » « Mais Dieu qui veille sur ses serviteurs n e permit point le succès de la trahison. Un fervent catholique, qui avait tout vu et tout e n t e n d u , les devança à Goulia, où étaient les Missionnaires, et d é n o n ç a le complot à M. de Jacobis qui, sans rien dire à Monseigneur, le lit partir aussitôt pour u n e A m b a (1). Le l e n d e m a i n , tous les Missionnaires, suivis de quelques chrétiens qui por­ taient leurs effets, se retirèrent sur d'autres m o n t a ­ gnes. C'était le 13 mai 1 8 4 7 . L ' A b o n n a , voyant ses p l a n s découverts, usa de toute son influence pour faire a u t a n t de m a l qu'il pût aux catholiques. Il fit publier, sur tous les marchés de l'Abyssinie, u n e s e n t e n c e d'ex­ communication contre Mgr Massaia et ses prêtres. E n vertu de ce décret, il était défendu à tout Abyssin de leur d o n n e r à boire et à m a n g e r , ou de les recevoir dans sa maison, et u n e s o m m e de cent talaris était promise à quiconque lui apporterait la tête d ' u n Mis­ sionnaire. Cet éclat n e servit qu'à faire c o n n a î t r e d e plus e n plus la croyance catholique. Le n o m de Mgr Massaia fut dès lors d a n s toutes les b o u c h e s ; p a r t o u t on parlait d u nouvel A b o n n a envoyé par le Pontife de R o m e . « Le 3 j u i n , ils furent de nouveau poursuivis et obli­ gés d e quitter leurs retraites pour chercher ailleurs u n plus sûr asile. P e n d a n t qu'ils étaient tous r é u n i s , la c a b a n e qui leur servait de refuge fut tout-à-coup c e r ­ née par des soldats. C h a c u n d'eux s'attendait à avoir la tête t r a n c h é e , car il n e restait a u c u n moyen de fuir.

(1) On appelle Amba, eu Abyssinie, de hautes montagnes couvertes de verdure et n'offrant aucun accès. On y monte au moyen de cordesi


439 A ce m o m e n t critique, Monseigneur, en bon père, vou­ lut d o n n e r sa vie pour sauver celle de ses enfants. Il allait se livrer à ses e n n e m i s ; mais ses c o m p a g n o n s s'y opposèrent, en disant : « Si n o u s devons mourir, ce sera tous e n s e m b l e . » Ils se confessèrent à la hâte les u n s aux autres ; puis ils se m i r e n t à prier, a t t e n d a n t avec résignation le martyre. C e p e n d a n t des cris s a u ­ vages se faisaient toujours e n t e n d r e a u t o u r d e la ca­ b a n e , mais a u c u n soldat n'osait entrer. U n m o m e n t après, des clameurs plus terribles éclatèrent ; c'était comme le tumulte d'un combat. La porte de la c a b a n e est enfoncée ; c h a c u n des apôtres se croit à son d e r ­ nier i n s t a n t . Un guerrier était sur le seuil, b r a n d i s s a n t sa lance et m e n a ç a n t d'en percer le premier soldat q u i ferait u n pas en avant. O protection divine d e la Pro­ vidence ! Cet h o m m e était u n chef a m i des catholiques, qui était accouru avec sa tribu pour délivrer les Mis­ sionnaires. Sa présence intimida les assaillants q u i , désespérant de triompher par la force, se dispersèrent d a n s toutes les directions. Le Vicaire apostolique pro­ fita de l e u r retraite pour se rapprocher d e la m e r Rouge. P e r s u a d é que son caractère épiscopal était la principale cause de la persécution, il p e n s a qu'elle s'éteindrait lorsqu'il aurait lui-même d i s p a r u , et il se décida à quitter pour u n temps l'Abyssinie, en se diri­ g e a n t vers Aden. ( 1 ) .

( 1 ) Aden est une ville de 1 5 , 0 0 0 âmes, sur la côte de l'Arabie, à 20 milles au sud-est de Bab-el-Mandel. C'est une espèce de presqu'île, aveu un port magnifique pouvant contenir plus de ceut vaisseaux. La Péninsule est entourée d'une chaîne de montagnes volcaniques, et la ville est comme assise au milieu du cratère. Avant 1 8 3 5 , c'était la cam­ pitale d'une principauté indépendante et la résidence d'un sultan. Lors­ que la Compagnie des Indes établit sa ligne de paquebots à vapeur


440 « Tandis qu'il s'éloignait à regret d e sa Mission, u n nouvel orage assaillit ses confrères à Guolla. C'était le soir de l'îmmaculéc-Conception ; ils venaient de finir le chapelet.T o u t - à - c o u pde g r a n d s cris retentissent audehors ; la porte s'ouvre, et des catholiques se précipi­ tent d a n s la c a b a n e , en leur disant : « Fuyez, fuyez vite ! les soldats sont ici ; ils o n t ordre de vous massa­ crer. » Chacun prit ce qu'il avait de plus précieux, et se hâta de courir vers la m o n t a g n e pour y trouver u n refuge. Les soldats arrivèrent u n m o m e n t après leur départ ; ils pillèrent ce qui restait d a n s la maison, dont ils s'emparèrent au n o m du roi Oubié. «Il faisait nuit, le ciel était couvert de n u a g e s , nos fugitifs s'égarèrent d a n s les bois. P o u r se guider à la suite les u n s des autres au milieu des ténèbres, ils

elle demanda la permission, d'y faire provisoirement un dépôt de char­ bons ; niais bientôt elle finit par s'emparer du terrain prêté, et par r e ­ léguer le sultan dans l'intérieur du pays, moyennant une gratification annuelle. Aujourd'hui Aden est devenue une place formidable, qu'on appelle avec raison le Gibraltar de l'Orient,

et qui ne sera jamais prise

de force. Il y a habituellement à Aden 2 , 0 0 0 soldats, dont 6 0 0 Anglais ou Irlan­ dais, les autres Indiens. Le ceux-ci, le tiers ou à peu près est catho­ lique, le reste, idolâtre, 11 te fait, parmi ces derniers, des conversions assez fréquentes. Le nombre des enfants catholiques, dans la ville, est de 100 au plus. Il est triste de les voir contraints de fréquenter l'école protestante, la seule qui existe. Pour les soustraire à ce danger, il fau­ drait appeler des Frères de la Doctrine Chrétienne, et des Religieuses ; mais leur établissement rencontrerait des difficultés de tout genre. Le climat est peu salubre ; le terrain ne produit pas la moindre végé­ tation ; on manque d'espace pour faire un peu d'exercice. Aussi, les Missiounairesy perdent la santé ou la vie après deux ou trois ans de résidence. Et cependant la Mission d'Aden est, pour le moment, le seul point de la côte où l'on jouisse d'une certaine tranquillité, et où l'on puisse fait quelques fondations solides


441 n'avaient que le froissement des broussailles brisées d a n s leur course, et le bruit des pierres qui se déta­ chaient sous les pas de ceux qui ouvraient la m a r c h e , et qui passaient, en sifflant, sur la tête de leurs compa­ gnons placés plus bas. Enfin, u n e pluie diluvienne acheva de leur enlever le peu de force qu'ils avaient. C'est ainsi qu'ils arrivèrent, les u n s après les autres, sur le versant opposé de la m o n t a g n e . Là un vent gla­ cial avait succédé à la pluie. Transis de froid, épuisés de fatigue, pressés par la faim, la soif et le sommeil, ils résolurent, malgré la crainte d'être encore poursui­ vis, de faire halte et de se reposer u n m o m e n t . L'un d'eux, ayant découvert d a n s le lointain quelques caba­ nes, y alla chercher du feu, p e n d a n t que d'autres r a m a s ­ saient des b r a n c h e s mortes pour les a l l u m e r à son r e ­ t o u r ; mais ce fut impossible ; le bois était trop mouillé. Alors pour tâcher de réparer leurs forces, ils démêlè­ r e n t un peu de farine d a n s de l'eau, et en firent u n e espèce de pâte qu'ils se p a r t a g è r e n t ; puis chacun se coucha sur le sol h u m i d e . Une h e u r e après, l'aube commençait à paraître ; on prit le parti de se diviser p o u r arriver plus facilement d a n s l'Altiena, où déjà M. de Jacobis s'était r e n d u . Cette contrée est indépen­ dante. Elle r e n f e r m e u n e n o m b r e u s e et indigente tribu de pasteurs qui se sont déclarés catholiques. C'est la fleur de la chrétienté abyssinienne. Le pays est p a u ­ vre; ce sont des rochers n u s ou des plaines s t é r i l e s , mais le Missionnaire y goûte les véritables consolations. Là s'accomplit littéralement cette parole de notre divin Maître : P a u p e r i b u s e v a n g e l i z a r e m i s i l m e D o m i n a s ) ( 1 ) . Les fugitifs p u r e n t enfin s'y reposer en paix.

( 1 ) Le Seigneur m'a envoyé évangéliser les pauvres,


442 « Vers la fin du mois d'octobre 1 8 4 8 , m o n Evêque et le P è r e Félicisshne abordèrent de nouveau à Massouah. Cette î l e , qui avait été jusqu'alors dans u n état parfait de tranquillité, fut tout-à-coup remplie de ter­ reur. Voici à quelle occasion. L'ancien gouverneur, au mépris du droit des gens, était descendu à l'improviste sur le territoire Abyssin, et s'était e m p a r é de la ville d'Arkico qu'il avait détruite. Après y avoir bâti u n e petite forteresse, il y laissa u n e garnison autour de la­ quelle vinrent se grouper de nouvelles c a b a n e s , et il n o m m a u n nouveau chérif, après avoir e n c h a î n é celui qui était tributaire du roi Oubié. Ce prince dissimula d'abord son ressentiment. L ' a n n é e était trop avancée pour pouvoir descendre sur la côte ; car, p e n d a n t les mois de juillet, j u i n et a o û t , les environs de Massouah ne sont que des sables b r û l a n t s . Mais au mois de n o ­ vembre 1848, il rassembla tout-à-coup ses troupes, et, avec plus de 3,000 cavaliers, il fondit comme un tor­ rent sur les bords de la mer Rouge, livrant aux flam­ mes tout ce qu'il rencontrait sur son passage, m u t i l a n t les hommes, réduisant en servitude les femmes et les enfants, et s ' e m p a r a n t de tous les troupeaux qui se trouvaient sous sa m a i n . Ainsi fut i n c e n d i é le village de Mont-Coullo, et, avec lui, la chapelle de la Mission. Le consul français, qui avait u n e maison sur le con­ tinent, arbora en vain son pavillon, qui fut abattu, traîné dans la boue, et ignominieusement b r û l é . Luim ê m e n e dut son salut qu'à la fuite et au dévoûment de ses serviteurs. « Les Abyssins p a r u r e n t enfin vis-à-vis de Mas­ souah. On les voyait caracolant sur leurs fougueux chevaux, remplissant l'air de cris sauvages, et b r a n ­ dissant contre la ville leurs lances et leurs sabres ; mais comme ils n'avaient a u c u n e b a r q u e , et qu'ils n e


443 connaissaient point les bas-fonds, ils ne p u r e n t arriver jusqu'à l'ile, qui, p e n d a n t ce temps-là, était d a n s la plus g r a n d e anxiété. P o u r peu que le séjour de l'en­ n e m i se fût prolongé sur les c ô t e s , on était m e n a c é de mourir de soif et de faim, vu que l'eau et le grain sont tirés du continent. Un autre péril s'annonçait à l'inté­ rieur. Le secrétaire du divan, turc fanatique, forma le complot de massacrer en représailles tous les chrétiens qui se trouvaient à Massouah. Mais le gouverneur Cally Bey, a m i sincère des blancs, signifia aux conspi­ rateurs qu'il ferait incendier la ville, si on touchait à u n cheveu de la tête des Européens. C e p e n d a n t , pour plus g r a n d e sûreté, il lit avertir Mgr Massaia et les au­ tres étrangers qu'ils feraient bien d'aller passer quel­ ques jours à D h a l a c , île voisine de Massouah. M. de Jacobis y résidait depuis quelque temps. La Providence avait ses vues en r a p p r o c h a n t d e n o u v e a u les deux Missionnaires. Il y avait plus d'un a n que M. de Jacobis avait reçu les bulles du Souverain P o n ­ tife qui l'appelait à l'épiscopat, et il se refusait tou­ j o u r s à cette dignité, dont sa modestie lui exagérait le fardeau. Mgr Massaia lui fit de nouvelles observations ; mais comme il résistait toujours, le Prélat lui enjoignit, en vertu de la sainte obéissance qu'il devait à l'Eglise, de recevoir la consécration épiscopale. Ainsi fut vain­ cue l'humilité du préfet apostolique. La cérémonie commença à neuf h e u r e s du soir ; il n'y avait pour té­ moin que le frère Pascal. A u n e h e u r e du m a t i n tout était fini. Mgr de Jacobis, nommé Evêque de Nilopolis, devenait Vicaire apostolique de l'Abyssinie, et, par u n e exception peut-être u n i q u e dans ce g e n r e , passait du rite latin au rite éthiopien ( 1 ) . Après s'être d o n n é l'acco-

(1) Mgr Massaia a de plus ordonné vingt-cinq prêtres i n d i g è n e s .


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lade fraternelle, les deux Evêques proscrits se s é p a r è ­ rent : l'an reprit le chemin de son lieu de refuge, les montagnes de l'Altiena; l'autre alla d e m a n d e r quel­ ques jours de repos aux rochers de Dhalac. Cette île est bien déchue de son a n c i e n n e splendeur. Suivant la tradition, elle renfermait autrefois u n e chrétienté flo­ rissante avec un Evêque ; plus tard les Vénitiens y bâ­ tirent u n fort pour y protéger la pêche des perles, qui est toujours a b o n d a n t e . Elle possède des eaux m i n é r a ­ les qui ont plus de 50 degrés R é a u m u r de chaleur ; et, chose étonnante, dans la source la plus c h a u d e on trouve de petits poissons qui vivent à cette h a u t e tem­ pérature. « Les cavaliers Abyssins, n ' a y a n t rien pu contre Mass o u a h , m a r c h è r e n t sur Arkico, afin d'assouvir leur vengeance sur cette ville ; mais quelques mauvaises pièces d'artillerie, qui étaient d a n s la forteresse, suffi­ rent pour les mettre en déroute. Peu habitués au siffle­ m e n t des boulets et de la mitraille, ils s'enfuirent a u x premiers coups de c a n o n . Quatre jours après, ils dis­ p a r u r e n t de la côte, ne laissant sur leur passage q u e ruines et désolations. « Sur ces entrefaites, le bruit courut q u e Téclafa, supérieur de plus de 1 , 0 0 0 moines, jouissant d ' u n e g r a n d e réputation de sainteté et d'un pouvoir égal à l ' A b o u n a , avait a b a n d o n n é le catholicisme, qu'il étu­ diait depuis quelque temps, pour repasser sous le dra­ peau de l'hérésie. Cette nouvelle était la plus funeste qu'on pût r é p a n d r e ; car, le g r a n d chef des moines est le p e r s o n n a g e qui exerce la plus g r a n d e influence sur le peuple Abyssin, qui le r e g a r d e comme u n modèle de mortification et de piété. Sa défection allait donc en­ traîner bien des apostasies. Heureusement qu'elle n'é­ tait pas vraie. Au moment où l'on s'y attendait le


445 m o i n s , Téclafa parut à M a s s o u a h , suivi de quelquesuns de ses moines. Il venait lui-même démentir la ca­ l o m n i e que l ' A b o u n a S a l a m a avait r é p a n d u e sur son compte. J a m a i s , disait-il, il n'avait pensé à quitter la religion catholique. Indigné d e la perfidie de l'Evêque schismatique, et convaincu de la vérité de l'Eglise ro­ m a i n e , il s'était hâté de se mettre en communication avec l'Evêque Massaia, et de faire abjuration entre ses mains. « Après cette éclatante profession de foi, il repartit et s'en alla proclamer, à la cour des rois de l'Abyssinie et au fort de la persécution, qu'il était prêtre catholique. Cette déclaration si courageuse d a n s la b o u c h e d'un néophyte, fit baisser la tête à nos e n n e m i s et rendit le courage à nos chrétiens. P e r s o n n e n'osa mettre la main sur Téclafa ; on eût craint u n soulèvement popu­ laire. A son retour d a n s son monastère, tous ses moi­ nes se déclarèrent aussi catholiques. Son zèle ne s'en tint pas là ; nouveau saint P a u l , il se livra à la con­ version de ses frères, et déjà trois chrétientés se sont réunies par ses soins à l'Eglise de Jésus-Christ. « Q u a n t à Mgr Massaia, impatient de rejoindre ses Missionnaires qui tous étaient parvenus sur les frontiè­ res des premières tribus Gallas, il se décida à rentrer de nouveau en Abyssinie, malgré l'édit de mort qui pesait sur sa tête. Son projet était de se présenter d'a­ bord au roi Oubié, qui lui avait o r d o n n é précédem­ m e n t de quitter ses Etats. Il voulait sonder les disposi­ tions de ce prince, qu'on dit convaincu de la vérité de notre religion, et seulement retenu sous les drapeaux de l'hérésie p a r des raisons politiques. « Le 5 j u i n 1 8 4 9 , il quitta Massouah, et se dirigea seul vers l'Abyssinie. Après avoir coupé sa l o n g u e b a r ­ be et s'être revêtu d'un mauvais habit à la turque, il


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se joignit à u n e c a r a v a n e qui retournait à G o n d a r , se faisant passer pour u n pauvre m a r c h a n d : son n o m d ' e m p r u n t était A n t o n i o . Arrivé le 18 du m ê m e mois au c a m p d'Oubié, il lui envoya aussitôt u n tapis en présent, et sollicita u n e audience. Peu d'instants après, le secrétaire du prince vint le voir, l'accabla de q u e s ­ tions auxquelles l'Evêque n e fit a u c u n e réponse, se b o r n a n t à répéter qu'il désirait parler au roi Oubié, en a p p r e n a n t cette réserve mystérieuse de l'étranger, se prit à réfléchir, et dit à son confident : « Cet h o m m e doit être l ' A b o u n a M a s s a i a ou u n de ses prêtres. Ne dis rien à p e r s o n n e , et d e m a i n , de g r a n d m a t i n , tu m e l'amèneras. » « Le l e n d e m a i n , en effet, avant le jour, Monsei­ g n e u r était introduit d a n s la tente du roi. Oubié était assis à terre sur u n tapis ; au-dessus de sa tête pendait u n mauvais b a l d a q u i n de toile rouge. Ses principaux officiers, en costume de cour, c'est-à-dire le h a u t du corps n u , se tenaient debout à ses côtés. L ' h u m b l e m a r c h a n d Antonio, après avoir salué le roi, qui le re­ çut de la m a n i è r e la plus gracieuse, fut invité à s'as­ seoir, et présenta au prince u n e lettre, d a n s laquelle il lui déclarait qu'il était l ' A b o n n a M a s s a i a , r é c e m m e n t exilé par ses ordres. « Mais, ajoutait-il, ton c œ u r m'est c o n n u ; je sais q u e tu aimes les catholiques, que la politique seule a inspiré ta conduite à mon é g a r d . Ren­ tré sous u n déguisement d a n s l'Abyssinie, j e pouvais passer sur tes Etats sans q u e tu en susses rien ; mais j ' a v a i s confiance en ta générosité, et j ' a i voulu te voir. » Oubié fut touché de la franchise et du courage de m o n Evêque ; des larmes lui v i n r e n t aux yeux. Cepen­ d a n t , c o m m e toute la cour était présente, il craignit de le compromettre en trahissant son émotion, et le congé­ dia en lui disant qu'il le reverrait. En même-temps, il


447 donna ordre de le c o n d u i r e d a n s u n e des plus belles c a b a n e s du c a m p , et lui envoya le présent réservé aux g r a n d s personnages, c'est-à-dire, u n e vache, d e la bière et de l'hydromel. « Malgré cet h o n o r a b l e accueil, Mgr Massaia avait hâte de continuer son voyage, de crainte que les es­ pions de l ' A b o u n a n'eussent le temps de le découvrir et de t r a m e r contre lui de nouveaux piéges. Le confident d'Oubié étant venu le voir pour lui d e m a n d e r s'il avait besoin de quelque chose : « Dis à ton maître, lui r é ­ pondit-il, que j e veux repartir ce soir ou d e m a i n . » Le roi, à cette nouvelle, le fit aussitôt rappeler et le reçut seul à seul. Libre alors de lui ouvrir son cœur, Oubié témoigna à l'Evêque la joie qu'il avait de le voir, et lui dit : « T u as agi sagement, et comme j e pensais q u e tu ferais. Maintenant que personne ici n e se doute de ta présence, reste d a n s m o n c a m p ; a u c u n danger n e te presse de partir. — Je dois, au contraire, m'éloigner au plus vite d a n s ton intérêt c o m m e d a n s le m i e n ; car si l ' A b o u n a sait m o n retour, nous serons compromis tous les deux. De plus, il y a d a n s ton c a m p u n euro­ péen qui me connaît (c'était le secrétaire du consul b r i t a n n i q u e ) ; s'il a vent de m o n arrivée, tout sera dé­ couvert. — Eh bien ! j e vais le faire partir aussitôt. — Non ; si tu le renvoies, on soupçonnera que j ' e n suis cause. Le seul parti p r u d e n t est u n e prompte retraite. » Oubié réfléchit u n m o m e n t , et ajouta : « T u as raison ; p a r s . Mais rappelle-toi que j e suis ton a m i . » « Le soir m ê m e , Mgr Massaia quittait le c a m p d'Ou­ bié, accompagné d'un soldat qui avait ordre de lui faire r e n d r e partout les m ê m e s h o n n e u r s q u ' a u roi. Le 6 juillet, il était sur les bords du fleuve T a c a z z è , sur lequel existent encore les ruines d'un p o n t fait par les Portugais ; l'arche du milieu est e n t i è r e m e n t détruite,


448 on est donc forcé de la traverser en b a t e a u x . De là, l'Evêque se rendît à Gondar où de nouvelles persécu­ tions l'attendaient. Le l e n d e m a i n de son arrivée, il fut m a n d é au t r i b u n a l de la cité impériale. Il y trouva p o u r juges u n e douzaine de vieillards, au visage hypo­ crite, et prêts à le c o n d a m n e r avant m ê m e de l'avoir e n t e n d u . « Pourquoi m'avez-vous fait appeler, d e m a n da-t-il, et que m e reprochez-vous ? — T u es entré, lui dit-on, de nuit d a n s la ville, afin de te soustraire au paiement du tribut; et, lorsqu'on est venu le r é c l a m e r , tu nous as m e n a c é s de tes armes. » Ces deux a c c u s a ­ tions étaient d ' u n e insoutenable fausseté. Il fut facile à Monseigneur de prouver qu'il était e n t r é en plein j o u r , et que ni lui ni ses domestiques n e portaient des a r m e s d ' a u c u n e espèce. Il n ' e n fut pas moins contraint de payer 1 0 0 talaris, sous peine d'être lié et jeté en prison. « La ville de Gondar, qui joue u n si g r a n d rôle d a n s l'histoire de l'Empire Abyssin, n'est plus q u e l'ombre de l'ancienne capitale du g r a n d Negus. Elle est située d a n s u n e belle p l a i n e , au pied de vertes collines, toutes chargées d'une riche végétation. A en juger par les ruines qu'on trouve avant d'entrer d a n s l'enceinte actuelle, elle devait avoir plusieurs lieues de l o n g u e u r . De tous ses m o n u m e n t s il ne reste que le château im­ périal, bâti par les Portugais, vers l'an 1 6 8 0 , lorsqu'ils v i n r e n t au secours de l'empereur m e n a c é par u n géné­ ral m u s u l m a n . C'est u n e forteresse flanquée de q u a t r e é n o r m e s tours. Les c h a m b r e s intérieures sont pour la plupart délabrées ; elles abritent tant bien que m a l la g r a n d e u r d é c h u e d u souverain qui y réside. Toute son autorité se b o r n e au droit de vie et de m o r t sur les habitants de la seule ville de Gondar. Bien q u e les rois qui l'ont supplanté soient obligés, en paraissant devant


449 lui, de se tenir d a n s la position h u m i l i a n t e de sujets et d'esclaves ( a i n s i le veut l'usage abyssin), c e p e n d a n t lorsque ce fantôme d'empereur leur fait o m b r a g e , ils ne c r a i g n e n t point de le destituer et d'en n o m m e r u n autre à sa place. Pourquoi ces vassaux révoltés conser­ vent-ils u n titre fastueux, auquel ils o n t enlevé toute puissance? C'est d'abord que ce souvenir est cher à l'esprit national dont il entretient l'orgueil et l'espé­ r a n c e ; c'est de plus que les princes rivaux se flattent de reconstituer u n j o u r l'empire à leur profit. Ce rêve est surtout celui d'Oubié ; et s'il le réalisait, ce serait le plus g r a n d b o n h e u r pour l'Abyssinie. E n t r e autres sin­ gularités du palais impérial, on voit l ' a n c i e n n e salle où l'empereur e t l ' A b o u n a venaient traiter de leurs dif­ férends. Comme tous deux voulaient avoir le droit de préséance, c'était toujours de nouvelles contestations pour savoir qui se lèverait lorsqu'une des deux p u i s ­ sances arrivait la dernière. Pour t r a n c h e r cette question d'étiquette, on imagina de construire deux espèces de chapelles latérales, où chacun d'eux avait son trône Elles étaient fermées par-devant avec u n large rideau. L'Empereur venait d a n s la sienne par u n chemin cou­ vert dont la porte était au nord. Un pareil passage don­ nait entrée, par u n e porte au levant, d a n s celle de l ' A b o u n a . De cette m a n i è r e , il leur était impossible de se voir ou de se rencontrer sur leur passage, et lorsque tous deux étaient assis, on tirait le r i d e a u , ce qui les exemptait de se saluer. « Mgr Massaia, c r a i g n a n t de nouvelles vexations, se décida à quitter aussitôt G o n d a r . Le l e n d e m a i n il partit de cette ville pour se r e n d r e a u camp du Ras Ali, afin de rallier ce prince à la cause des catholi­ ques. Le Nil qu'il avait à franchir était alors débordé ; l'ancien pont des Portugais était couvert par les eaux ;


450 tout passage était devenu impossible avec les b a r q u e s ordinaires en j o n c , que l'impétuosité du c o u r a n t a u ­ rait brisées. Voici en pareilles circonstances le procédé qu'emploient les Abyssins. On fixe d'une rive à l'autre u n câble tendu à u n e certaine élévation au-dessus des flots ; puis on passe u n e corde en guise de siège sous les j a m b e s de celui qui veut a t t e i n d r e l'autre bord, et on le fait couler le long de ce p o n t s u s p e n d u . Ce g e n r e de traversée est très-dangereux à c a u s e des c r o ­ codiles qui remplissent le fleuve, et qu'on est obligé de chasser à coups de pierres, de p e u r qu'ils n e s'élancent s u r la proie h u m a i n e qu'ils voient passer à leur portée. C'est là q u e périt, il y a quelques a n n é e s , u n voyageur français, M. Petit, lieutenant de vaisseau ; il fut dé­ voré par les c a ï m a n s . a Après avoir r e m o n t é le Nil bleu jusqu'à sa source, et traversé, en compagnie d ' u n e caravane de d e u x mille personnes, des tribus en guerre et des forêts peuplées de tigres qui enlevèrent deux h o m m e s sous leurs yeux, l'Evêque et ses deux Missionnaires arrivè­ rent enfin au c a m p du Ras, dressé sur u n e petite col­ l i n e et s'étendant de là j u s q u ' à la p l a i n e . On eût dit, à voir l'espace au loin couvert d e tentes, u n pré s e m é d e meules de foin pressées par milliers les u n e s contre les autres. Il y avait, e n effet, trente mille h o m m e s sous les a r m e s , sans compter les esclaves, les femmes et les enfants. C h a q u e capitaine c a m p e a u milieu de sa compagnie, les huttes des soldats formant u n cercle autour de son pavillon. Au centre de tous ces groupes se dessinent q u e l q u e s toiles b l a n c h e s et noires ; c'est le quartier royal. De la porte d u c a m p à ce quartier, il y a u n e b o n n e h e u r e de d i s t a n c e . Tout ce terrain est occupé par des bataillons a u b i v o u a c . Arrivés à la tente royale, les Missionnaires se firent a n n o n c e r . Le


451 Ras d o n n a , à l'instant m ê m e , l'ordre de les introduire. 11 les reçut d a n s u n e mauvaise c a b a n e en paille, où il était alors avec ses officiers, qui étaient tous assis à terre sur de beaux tapis et d a n s l'endroit le plus appa­ rent. Le Ras, a u contraire, était vers la porte, n ' a y a n t sous lui q u ' u n tapis tout déchiré, vêtu d ' u n e toile gros­ sière, et appuyé sur u n e botte de foin pour oreiller. Tel était le palais du Ras Ali, u n des plus puissants princes abyssins, et qui n'a pas moins de cent mille h o m m e s de troupes. Bien qu'il soit baptisé, il a ce­ p e n d a n t reçu u n e éducation toute m u s u l m a n e . Aussi fut-il impossible à Mgr Massaia de l'entretenir sérieu­ s e m e n t de la religion chrétienne, pour laquelle il n'a que de l'indifférence. La conversation dura plus d'une heure : ensuite vint le repas. Ici, les assiettes, les cuil­ lers et les fourchettes sont choses i n c o n n u e s ; c h a c u n puise avec ses doigts d a n s le plat c o m m u n . Mais chez les princes et les grands, vous êtes exempt de vous d o n n e r cette peine ; les esclaves p r e n n e n t eux-mêmes les mets dans les plats, avec des m a i n s plus ou moins propres, et en font de petites boulettes qu'ils viennent ensuite vous introduire délicatement d a n s la b o u c h e . Quelquefois la reine ou les d a m e s de la cour s'acquit­ tent elles-mêmes de cet office ; c'est lorsqu'il y a des convives auxquels on désire faire un g r a n d h o n n e u r . Je puis vous assurer, Messieurs, qu'il faut avoir bon appétit pour s'habituer à cet usage. E n sortant de la tente r o y a l e , les Missionnaires furent accostés par M. Bel, voyageur anglais établi en Abyssinie et capi­ taine d a n s l'armée du Ras. Il leur fit p r é p a r e r u n e tente d a n s son quartier, et se m o n t r a toujours, quoi­ qu'il fut protestant, le protecteur et l'ami de m e s con­ frères. « Je n e puis passer sous silence u n e scène horrible


452 qui eut lieu au c a m p d u Ras p e n d a n t le séjour de mon Evêque. Un vieillard d e soixante ans s'était r e n d u coupable d'homicide sur la p e r s o n n e de sa b r u , qui avait u n e fille de huit à dix a n s . La j e u n e o r p h e l i n e , désespérée et furieuse de d o u l e u r , d e m a n d a justice. Aussitôt le meurtrier fut pris, j u g é , et, en vertu de la loi du talion, c o n d a m n é à subir le g e n r e de mort qu'il avait d o n n é . En vain offrit-il 100 talaris pour le prix du s a n g , c'est-à-dire pour racheter sa vie. (100 talaris en Abyssinie sont u n e fortune i m m e n s e ; les plus riches en ont à peine vingt). L'offre fut repoussée par la j e u n e fille qui ne voulut rien e n t e n d r e . « Non, dit elle, point de r a n ç o n ; il faut q u ' i l m e u r e , j e veux venger m a m è r e . » Le vieillard fut donc c o n d u i t au lieu du supplice. Il avait tué sa b r u à coups de pierres, il devait être lapidé, et cela par la m a i n d u plus pro­ che parent de sa victime. Or, ce plus proche p a r e n t était l'orpheline m ê m e , qui, dévorée par la soif de la vengeance, puisa d a n s son désespoir les forces q u e lui refusaient la n a t u r e . Ce fut elle-même qui lapida son aïeul, et, t a n t q u e le m a l h e u r e u x eut u n souffle de vie, elle ne cessa de l'accabler sous u n m o n c e a u de pier­ res. Ces exemples, qui n e sont pas rares d a n s le pays, attestent tout ce qu'il y a encore de férocité au milieu de ces populations à d e m i sauvages. « Plus d'un mois s'était écoulé en conférences i n u ­ tiles avec le Ras, et toutes les espérances q u e les Mis­ s i o n n a i r e s avaient fondées sur lui étaient évanouies. Il fallut donc songer a u départ. Ce fut le 30 janvier q u e Mgr Massaia quitta l e c a m p abyssin, pour se r a p ­ procher de la m e r Rouge. Il avait déjà franchi les pla­ t e a u x les plus élevés, et venait de faire halte avec son escorte sur les bords d u fleuve Mareb, lorsqu'on vit tourbillonner à l'horizon des n u a g e s noirs ; c'était la


453 fumée d'un vaste incendie. Le feu était à u n e partie du désert. Les flammes, h a u t e s c o m m e des m o n t a ­ gnes, arrivaient terribles c o m m e les vagues de l'Océan. Le vent les poussait avec la rapidité et le bruit de la foudre. Nos voyageurs prirent tous la fuite vers le lit du fleuve. Il était temps. Déjà le feu c o m m e n ç a i t à se c o m m u n i q u e r a u x herbes qu'ils foulaient aux pieds, au m o m e n t où ils atteignirent les b o r d s du torrent, d a n s lequel ils se précipitèrent tous e n s e m b l e et ga­ g n è r e n t l'autre rive. L'incendie, ne p o u v a n t franchir la large b a r r i è r e du Mareb, se replia sur lui m ê m e et courut d a n s u n e autre direction. Peu à p e u il disparut d a n s le lointain, n e laissant sur son passage q u e des débris fumants. « Enfin, le 7 m a r s , du h a u t des d e r n i è r e s c h a î n e s de m o n t a g n e s qui v i e n n e n t , p a r u n e p e n t e d o u c e , aboutir aux sables du rivage, les Missionnaires décou­ vrirent la mer Rouge, et le l e n d e m a i n j ' a v a i s le b o n ­ h e u r d e s e r r e r d a n s mes bras m o n Evêque et m o n p è r e . « Voici m a i n t e n a n t les postes que M o n s e i g n e u r le Vicaire apostolique nous a assignés. Le P . César est d a n s le T i b b o u - M a r i a m , chez ces b o n n e s tribus qui di­ saient à m o n Evêque : « A b o u n a , reste avec n o u s ; nous serons les enfants ; tu boiras le lait d e nos t r o u p e a u x , et tu t'abriteras sous notre tente. O p è r e ! a p p r e n d s nous à aimer Dieu. » Le P. J u s t e p a r c o u r t le G o j a m , vers les sources du Nil bleu. Le P . Félicissime est comme prisonnier d a n s le r o y a u m e d u Choa. Le F r è r e de la Mission est à Massouah pour le service de nos corres­ p o n d a n c e s . Pour moi, j e suis réservé à battre les côtes. Un c i n q u i è m e Père est à A d e n , où il r e m p l i t provi­ soirement les fonctions de vice-préfet apostolique. Tel est, Messieurs, le t a b l e a u d e notre p a u v r e Mission. Après trois a n s de souffrances et de persécutions, à


454 peine a-t-il été d o n n é à m o n Evêque de fouler la terre d e son vicariat, qu'aussitôt il a été obligé d e fuir. De tous côtés nous voyons se dresser des obstacles, et Dieu seul connaît le jour où les portes de l'Abyssinie n o u s seront enfin ouvertes. Ce j o u r , n o u s l'attendons tous avec impatience ; mais, hélas ! p e u t - ê t r e nos péchés sont-ils cause de la malédiction qui pèse sur ce p a y s , s u r cette terre qui boit les sueurs des Missionnaires, s a n s produire des fruits de salut. « Nous espérons que vos pieux Associés, auxquels n o u s devons déjà le pain quotidien, voudront bien y ajouter, pour les pauvres tribus Gallas, ces prières h u m b l e s et ferventes qui d é s a r m e n t la colère céleste, o b t i e n n e n t a u x pécheurs les grâces de conversion, et a u x Missionnaires la force de tout braver pour g a g n e r des âmes au Seigneur. « Veuillez agréer, etc. F . LÉON DES A V A N C H E R S ,

Relig.

Cap.,

Miss. Apost. des tribus G a l l a s »

L'étal actuel de l'Abyssinie, au point de vue reli­ gieux, est résumé en ces ternies dans u n e note que Mgr Massaia a bien voulu nous confier. « L'importance de cette Mission tient b e a u c o u p m o i n s au n o m b r e de ses néophytes, qui n e dépassent pas le chiffre d e dix mille, qu'à la nécessité de m a i n ­ tenir au catholicisme cette u n i q u e voie d e c o m m u n i ­ cation avec l'Afrique c e n t r a l e . O n sait q u e l'islamisme


455 garde toutes les côtes de ce vaste continent ; q u ' u n i m m e n s e réseau de populations fanatiques, constam­ m e n t excitées p a r les émissaires de la Mecque, interdit tout passage vers l'intérieur aux chrétiens. U n e fois cet!e barrière franchie, on trouve des tribus n o m a d e s , qui sont les meilleures de l'Afrique, et qui promettent u n e riche moisson aux apôtres assez h e u r e u x p o u r ar­ river jusqu'à elles. O r , l'Abyssinie est a u j o u r d ' h u i le seul point par où elles soient accessibles : celte porte fermée, le blocus de l'intérieur par les Musulmans se­ rait complet. « Aussi leurs efforts se portent-ils avec u n e astu­ cieuse persévérance sur cette contrée, qu'ils investis­ sent de toutes parts. Leurs moyens d'action sont i m m e n ­ ses, leur prosélytisme a r d e n t , leurs progrès m a l h e u ­ r e u s e m e n t rapides. Déjà les deux tiers au m o i n s du pays Galla sont m u s u l m a n s . D a n s l'Abyssinie chré­ t i e n n e ils forment u n tiers de la population. D a n s les capitales de G o n d a r , du Tigré et du Choa, ils d o m i n e n t par le n o m b r e , par la richesse et par l'influence. Tout le commerce est d a n s leurs m a i n s ; tous les emplois supérieurs leur sont dévolus. 11 n'y a q u e le pouvoir politique qu'ils n'aient pas encore usurpé d ' u n e ma­ n i è r e formelle, parce q u e la loi fondamentale d u pays exige q u e les princes soient chrétiens. Toutefois on n e peut n i e r , q u ' e n dépit des traditions n a t i o n a l e s , le m a h o m é t i s m e n e g a g n e c h a q u e j o u r d u terrain et n e tende à arriver p r o c h a i n e m e n t à la suprématie. Oubié d a n s son r o y a u m e de Tigré, Berci Gono d a n s le Gojam, Toko-Brillé dans l'Amara, et quelques autres petits princes sont les seuls chefs abyssins qui résistent à l'influence m u s u l m a n e . Autour de leur b a n n i è r e r e l i ­ gieuse et politique se rallie u n e population de q u i n z e cent mille c h r é t i e n s , qui n e sont hérétiques q u e de


456 naissance, et qui e m b r a s s e r a i e n t volontiers n o t r e foi s'ils n'étaient opprimés p a r l'Abouna et les Musul­ mans. « A la tête de ces d e r n i e r s est le Ras, q u ' o n peut appeler le dictateur des principautés a b y s s i n i e n n e s , parce qu'il a sous ses ordres u n e a r m é e de cent mille soldats. Né et élevé dans l'islamisme, il s'est fait chré­ tien pour occuper le trône de Devra-Tabord ; m a i s tou­ jours m u s u l m a n p a r le c œ u r , il trahit en secret la r e l i ­ gion qu'il professe en public. D a n s ses Etats, les sec­ tateurs d e Mahomet occupent tous les postes élevés, se partagent e n t r e eux les dépouilles des églises, et p e u ­ vent i m p u n é m e n t faire des prosélytes par la violence et avec le bâton. On peut en dire au ant du r o y a u m e de Choa, où les M u s u l m a n s g o u v e r n e n t aussi sous le n o m du prince. « De ces faits on peut conclure q u e l'élément conraire à notre foi en Abyssinie n'est pas s e u l e m e n t l'hérésie, mais surtout le m a h o m é t i s m e , qui est bien plus à redouter. Du reste, ils se sont ligués e n s e m b l e , d a n s la p e r s o n n e du Ras et de l'Abouna, pour étouffer la Mission catholique. La d e r n i è r e persécution était le résultat de leur entente c o m m u n e et avouée. « Un dernier fait qui paraîtra incroyable, et q u i est p o u r t a n t v r a i , c'est l'obstination des Musulmans à pu­ blier d a n s l'intérieur de l'Afrique que tout l'univers est mahornétan, et que toutes les puissances du m o n d e sont tributaires du Grand-Seigneur. »


457

MISSIONS DE L'OCÉANIE.

E x t r a i t d'une lettre d u R . P . F o n b o n n e , Missionnaire Apostolique d e l a Société d e M a r i e , à s a famille.

Sydney, le 1er avril 1 8 5 1 .

« MOIS DON PÈRE ET MA TENDUE MÉRE,

« J e n'ai pas été assez heureux pour Trouver u n e lettre de vous, à m o n arrivée à Sydney; mais au moins j'ai eu la satisfaction d ' a p p r e n d r e , p a r l'un de nos Pè­ res de Lyon, que vous alliez bien, et que vous aviez fait d e m a n d e r par quelle voie vous pourriez m'écrire. Je suis sûr q u e cette lettre est en route, et qu'elle sera ici a v a n t la fin du mois : m a l h e u r e u s e m e n t , il ne m'est pas possible d ' a t t e n d r e , et j ' i g n o r e q u a n d u n e occasion se présentera de m e la faire parvenir à W a l l i s . Voilà le côté pénible de notre position dans les îles, la difficulté de recevoir les nouvelles. C'est que Dieu, sans doute, afin de faire notre c o u r o n n e plus belle, veut q u e rien n e m a n q u e à la perfection de notre sacrifice. Non, rien de ce TOM XXIII. 1 3 9 .

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458 qui parait, de loin, composer l'auréole du Missionnaire n'est si didifficile,de près, à celui qui n ' a cherché que Dieu d a n s la plénitude de son i m m o l a t i o n . P a r exemple, vous vous souvenez comme j ' é t a i s délicat, sinon sur le choix, du moins sur la propreté de la n o u r r i t u r e ; et voilà que je m ' a c c o m m o d e sans p e i n e , tous les j o u r s , de ce qui m'eût révolté il y a quelques mois. Je couche, toujours habillé, sur ma natte ; m a i s quel mérite p u i s je y avoir, lorsqu'ainsi je dors p a r f a i t e m e n t , et s a n s en éprouver a u c u n e mortification ? La t e m p é r a t u r e est fatigante, il est vrai, et il faut se résoudre, ici, à s u p ­ porter u n e extrême chaleur qui énerve, et les inconvé­ nients des pluies qui r è g n e n t d a n s nos îles la moitié de l ' a n n é e ; mais c'est là bien peu de chose, p u i s q u e le Missionnaire n e songe m ê m e pas à s'en p l a i n d r e . Ce n e sont, enfin, ni les dangers sur terre ou s u r mer, ni cette vie de sauvage, au milieu des Sauvages; n o n , ce n e sont point là les véritables épreuves d ' u n apôtre de l'Océanie. Il est moins difficile qu'on n e pense, voyez-vous, d'acquérir cette habitude des privations et du péril qui fait qu'on se rend la mort familière et qu'on la méprise. Et c o m m e n t en serait-il a u t r e m e n t ? Le Missionnaire n'y voit-il pas la réalisation de ses v œ u x , la fin et le c o u r o n n e m e n t de tous ses travaux ? Mais, si vous v o u ­ lez retrouver l'homme, l ' h o m m e faible et sensible, r a p pelez-lui sa famille à laquelle il s'est a r r a c h é ; parlezlui des personnes dont la douce affection faisait tout son b o n h e u r ; alors vous verrez ses yeux se mouiller de larmes. Parlez-lui du supplice a u q u e l le c o n d a m n e u n e position qui le prive, u n e a n n é e tout entière, de recevoir des nouvelles de ceux qu'il aime : à l'expres­ sion de son visage, vous comprendrez qu'il a besoin d'appeler à lui toutes les ressources de la foi, le souve­ nir des motifs qui l'ont d é t e r m i n é à son premier sacri-


459 ficе, p o u r ne pas se laisser aller à quelque faiblesse. Le croiriez-vous, m o n cher père et m a b o n n e mère, cent fois je m e suis senti le cœur battre bien vivement en m e rappelant nos fêtes, nos chants, nos exercices pieux, l'entrain de nos belles cérémonies en F r a n c e . O h ! dites alors, si vous voulez, que le Missionnaire a besoin de beaucoup de foi et de c o u r a g e ; c'est vrai ! car voilà l'épreuve qui lui est rude ; voilà le sacrifice qui lui est pénible, et pour lequel il a besoin que le bon Dieu l'aide beaucoup. Mais sans doute qu'il m ' a i ­ de, grâce à vos prières de c h a q u e j o u r , mes b o n s pa­ rents ; car, a u milieu de ces petites épreuves dont je viens de parler, j e puis bien d i r e , comme saint P a u l , que j e s u r a b o n d e d e j o i e . Et n o n - s e u l e m e n t la tentation ne m'est jamais venue de regretter ce q u e j ' a i d o n n é à Dieu ; mais, si j'étais en F r a n c e , je referais le pas, j'es­ père, sans plus d'hésitation que la première fois. Et, en effet, pourquoi voudrais-je oublier qu'en d o n n a n t tout à Dieu, nous nous sommes assuré le b o n h e u r de retrouver tout en lui au centuple ? « Maintenant que notre goëlette est a c h e t é e , que mes emplettes pour approvisionner nos Missions sont faites, nous allons mettre à la voile sous peu de jours. Je dis n o u s , parce que j e conduirai à l ' I l e d e s p i n s , puis à B a l l a d e en C a l é d o n i e , Mgr d'Amata avec ses Mission­ naires. « Ce nom de B a l l a d e m e rappelle u n e triste histoire que j e dois vous raconter, parce qu'elle est toute ré­ cente et que j ' a i c o n n u particulièrement q u e l q u e s - u n s de ceux qui y ont figuré. « En vous écrivant de Taïti, il y a u n a n , j e vous disais que nous avions l'espoir, c h a q u e j o u r , de voir arriver la goëlette de notre Mission qui nous porterait à W a l l i s . Après avoir attendu inutilement plusieurs se-


460 mairies, nous nous étions décidés à d e m a n d e r passage au gouverneur et à M. d'Harcourt, c o m m a n d a n t la cor­ vette de guerre l'Alcmène, qui allait appareiller pour visiter quelques îles de l'Océanie, et n o t a m m e n t la Nouvelle-Calédonie. Notre d e m a n d e fut accueillie avec u n e bienveillance dont n o u s aimons à garder le souve­ nir ; et nous visitâmes ainsi les îles P o m o t o u , puis les N a v i g a t e u r s , W a l l i s et enfin Sydney. Avant de quitter ce dernier port, le c o m m a n d a n t avait d e m a n d é et ob­ t e n u de Mgr d'Amata qu'il lui d o n n â t pour guide et pour interprète u n F r è r e de la Mission qui avait habité la Nouvelle-Calédonie. C'est ce Frère qui, en r e v e n a n t il y a quelques j o u r s , nous a r a p p o r t é le dé­ tail des scènes qui se sont passées sous ses yeux. « Après avoir relevé déjà diverses positions de l'île, le c o m m a n d a n t jeta l'ancre à B a l l a d e ; puis, v o u l a n t tracer la carte de la pointe de l'île, il avait expédié u n e chaloupe montée p a r douze h o m m e s d ' é q u i ­ page, u n chef de timonerie et deux officiers. On avait fourni l'embarcation de vivres pour u n e douzaine de j o u r s , et, en cas de q u e l q u e surprise, on avait pris q u a t r e fusils avec des munitions. Le point que l'on vou­ lait explorer était à dix lieues de Ballade. La crainte de tomber e n t r e les m a i n s de tribus féroces et a n t h r o ­ pophages empêcha l'équipage de faire u n e descente sur la g r a n d e île de Calédonie ; mais c o m m e on crut être certain q u e quelques îles voisines, à peu de distance, étaient inhabitées, dès le l e n d e m a i n matin on y descendit, et sans défiance; ce fut là le g r a n d m a l h e u r . Les deux officiers étaient à peine à terre, q u ' u n e troupe de quelques centaines de sauvages fon­ dait sur eux tout-à-coup, en poussant les h o u r a s les plus féroces. Ils étaient a r m é s de haches, de frondes, de casse-têtes, de lances et d e flèches. On avait eu à


461 peine le temps de les apercevoir, q u e le premier officier tombait, frappé à la tête de deux coups de hache. Deux matelots qui le relèvent et le portent, au milieu d ' u n e grêle de traits, sur l'arrière de l'embarcation, expirent bientôt eux-mêmes sous les coups qui pleuvent de toutes parts. En vain on cherche dans cette lutte à mort, d a n s cet effroyable pêle-mêle, à dégager les fu­ sils et les munitions, on n ' e n a pas le temps ; en vain le pilote de la chaloupe se fait j o u r autour de lui, en frappant à droite et à gauche avec la barre du gou­ vernail dont il s'était armé ; en vain le second officier, déjà percé de coups, pare avec son épée : en quelques instants, les Sauvages font a u t a n t de victimes qu'il y avait de matelots d a n s la chaloupe. Q u a t r e seu­ lement essaient de se sauver à la n a g e ; mais l'un d'eux est massacré sur la plage où on l'attendait ; les trois autres avaient fui d a n s des directions opposées. « Cependant huit jours s'étaient p a s s é s , e t , à bord de la corvette, on commençait à concevoir des inquié­ tudes. Le Frère dont j e vous ai parlé, et qui connaissait les m œ u r s féroces du pays, augmentait les alarmes par les prévisions qu'il exprimait. Un j e u n e Calédonien était allé à bord et y avait r é p a n d u quelques vagues r u m e u r s ; mais il n e savait, disait-il, rien de bien posi­ tif. Vous jugez de l'effervescence q u i gagne l'équipage à c h a c u n e de ces conversations. Un jour, à l'heure où l'on bat l e rappel du soir, les matelots s'écrient : « Ce ne sont plus nos hamacs qu'il nous faut, ce sont des fusils ! » Le c o m m a n d a n t , p o u r calmer l'exaspé­ ration des esprits, m o n t e sur le pont, et l e u r dit que rien ne prouve que le m a l h e u r soit réellement arrivé, qu'il faut attendre encore ; mais q u e , s'il se confirme, on tirera certainement vengeance de la barbarie des naturels.


462 « Dès le l e n d e m a i n m a t i n , u n e chaloupe a r m é e est expédiée pour avoir quelque nouvelle; et bientôt l'on acquiert la triste certitude du m a l h e u r qu'on a p p r é ­ hendait. La première embarcation est retrouvée intac­ te, mais complètement dévalisée, et p r é s e n t a n t les hor­ ribles et sanglants vestiges d'un combat à mort. Quel­ ques naturels que l'on interroge n e laissent plus de doutes. Après le massacre, on avait éventré et vidé les cadavres ; puis i m m é d i a t e m e n t les C a n n i b a l e s avaient procédé à l'horrible festin, envoyant aux parents et a u x alliés u n e part de cette épouvantable b o u c h e r i e . « Trois matelots, ajoutait-on, qui s'étaient enfuis à la n a g e , avaient été adoptés d a n s u n e tribu voisine ; m a i s qu'étaieul-ils devenus ?.. » On n'avait rien de mieux à faire, pour le m o m e n t , que de r e g a g n e r le bord. Figurezvous tout l'équipage silencieux sur les bordages, atten­ d a n t quelques nouvelles, et les yeux fixés de loin sur la chaloupe qui revenait tristement, ayant à sa r e m o r ­ que u n e embarcation vide. . « C o m m a n d a n t , dit l'of­ ficier de l'expédition, en a b o r d a n t avec u n e c o n t e n a n c e m o r n e et les yeux gros de l a r m e s , voilà tout ce q u e nous avons pu recueillir!.. » Vous connaissez le m a ­ telot français : au silence qui se faisait tout-à-l'heure succèdent mille cris de mort. A p e i n e on laisse a u c o m m a n d a n t le temps de délibérer avec son conseil ; il faut immédiatement opérer u n e descente. Sept cha­ loupes, montées p a r plus de cent h o m m e s et armées de toutes pièces, se dirigent vers le théâtre des événe­ ments. « A quelque distance du rivage p a r u r e n t alors quel­ ques Sauvages qui, derrière les arbres où ils s'abri­ t a i e n t , brandissaient leurs a r m e s , et agitaient divers l a m b e a u x d'étoffes, peut-être les dépouilles de leurs infortunées victimes... Les chaloupes se r a n g è r e n t aus-


463 sitôt de m i n i è r e q u e , si les C a n n i b a l e s avançaient ou quittaient leur retraite, on pût faire feu de toutes les pièces à la fois ; m a i s o n attendit en vain ; et les Sau­ vages, qui prirent cette m a n œ u v r e pour u n effet de la peur des matelots, redoublèrent leurs provocations, tout en se tenant s o i g n e u s e m e n t abrités derrière leurs ar­ bres. Il fallut d e s c e n d r e à terre. On se développa en demi-cercle p o u r envelopper l'ile de tous côtés, et il se serait fait là d'épouvantables représailles, car a u c u n n'essayait m ê m e de se défendre ; mais les u n s à la n a g e , les autres dans des canots, tout avait fui ou fuyait sur la grande terre d e Calédonie, a u risque d'être dé­ vorés par quelque peuplade e n n e m i e , s'ils n e réussis­ saient pas à rejoindre u n e tribu alliée : car, e n t r e eux c'est la seule alternative possible. Dès qu'ils touchent à u n e terre étrangère à leur tribu, ou ils s'y trouvent c o m m e auxiliaires et amis, suivant des usages établis de temps i m m é m o r i a l , ou ils t o m b e n t chez u n e tribu e n n e m i e qui les tue et les m a n g e en détail. — Nos matelots leur ont tué u n e v i n g t a i n e de p e r s o n n e s seu­ l e m e n t ; mais cette île et trois autres alliées qui avaient pris p a r t au festin de mort, ont été ravagées ; on y a coupé cinq à six mille pieds d e cocotiers et détruit tou­ tes les p l a n t a t i o n s ; les cases et les pirogues ont été b r û l é e s . C'est, du reste, le plus g r a n d c h â t i m e n t que l'on puisse tirer de ces tribus : de plusieurs a n n é e s elles n e pourront habiter ces îles où elles n e trouve­ r a i e n t plus a u c u n e ressource pour vivre. J ' a v a i s o u ­ blié d e vous dire que les h a b i t a n t s de B a l l a d e , hom­ mes, femmes et enfants, étaient accourus e n masse pour aider n o s matelots, et s'en sont r e t o u r n é s ensuite chargés de tout le butin qu'ils ont pu emporter. Des l a m b e a u x de vêtements, des restes de chevelure, des ossements é p a i s , qui furent retrouvés, n e laissèrent


464 a u c u n doute q u e les pauvres victimes n'eussent été dé­ vorées après le massacre, c o m m e quelques naturels l'avaient assuré d'abord. Les recherches qui ont fait découvrir ces tristes pièces de conviction ont eu u n a u t r e résultat plus consolant : du fond d'un bois, nos matelots virent tout-à-coup accourir à eux les trois in­ fortunés c a m a r a d e s qui s'étaient enfuis à la n a g e . L'un d'eux avait le poing cassé et le nez traversé d'un coup de lance; les autres m o n t r a i e n t des blessures sur tout le corps. Cependant ils n'avaient point été maltraités depuis leur fuite ; au contraire, on leur avait déjà peint le visage, relevé et attaché les cheveux suivant la m o d e la plus coquette d u pays. Après avoir recueilli ce qu'on a p u d'ossements, on en a fait deux caisses q u ' o n a ensuite chargées de pierres pour les couler au fond de la m e r . « Vous dirai-je l'impression q u e m'a dû causer cet épouvantable récit, à moi qui, p e n d a n t plus de cinq semaines, avais vécu avec ceux dont le F r è r e nous ci­ tait tous les n o m s ? Le chef de timonerie était u n père de famille, h o m m e d'environ q u a r a n t e ans, paisible et r a n g é comme le sont bien r a r e m e n t les m a r i n s . Le second officier, M. de St-Phal, était u n j e u n e h o m m e de vingt ans à peine, modeste et doux comme u n e j e u n e fille. Le premier, M. de V a r e n n e s , le plus beau et le plus g r a n d j e u n e h o m m e du bord, avait a u t a n t de no­ blesse d a n s le port et d a n s les traits que d a n s le carac­ tère. Pauvres j e u n e s g e n s ! pauvres familles! M. d e V a r e n n e s était protestant : j ' a v a i s réussi à m e r e n d r e très-familier avec lui, sous prétexte de lui d o n n e r quel­ ques leçons de m u s i q u e ; et, le soir, q u a n d il était de q u a r t , nos conversations se prolongeaient toujours jus­ qu'à neuf ou dix heures s u r les bastingages. Se serat-il souvenu de q u e l q u e s - u n s des conseils intimes q u e j e prenais alors occasion de lui d o n n e r ? 11 m'avait


465 promis tant de fois qu'il m'irait voir u n j o u r d a n s l'ile où j e serais envoyé ! S u r la carte de Calédonie dressée par les officiers de l ' A l c m è n e , ils o n t m a r q u é d ' u n e croix le lieu où furent massacrés leurs c o m p a g n o n s ; et u n passage qu'ils ont découvert e n t r e les terres y est appelé D é t r o i t d e V a r e n n e s . « Vous jugez bien que la scène d e barbarie que j e viens de vous raconter n'est pas u n fait r a r e chez ces anthropophages. Dans u n e excursion avec sa t r o u p e , le c o m m a n d a n t d'Harcourt aperçut le squelette d'un j e u n e h o m m e de quinze à dix-huit ans attaché tout droit contre u n a r b r e , auprès d ' u n e c a b a n e ; et comme il voulut savoir ce que cela signifiait, les naturels lui r é ­ pondirent que la case était celle d'un chef, et le sque­ lette, celui d'un j e u n e h o m m e du pays : le chef l'avait attaché à cet arbre tout vivant, et l'avait laissé pourrir et sécher d a n s cette position, parce qu'il lui avait volé quelques c a n n e s à sucre... Il faudrait que nos petits philosophes réformateurs, e n F r a n c e , vinssent u n peu visiter ces pays, avant de tant déclamer : peut-être n'oseraient-ils p l u s , en r e v e n a n t , invectiver, comme j e l'ai e n t e n d u au Havre à m o n départ, c o n t r e c e s M i s ­ sionnaires brouillons q u i vont ; sans motifs, troubler l a p a i x , l a s i m p l i c i t é et le b o n h e u r de c e s p e u p l e s , s i i n t é ­ r e s s a n t s à l'état d e n a t u r e . . . . « Puisque j e ne puis pas vous p a r l e r de W a l l i s , j e veux vous transcrire ici u n e lettre que je suis chargé d'y porter : elle est écrite par u n j e u n e Wallisien qui en ce m o m e n t se trouve en F r a n c e , où on l'a trans­ porté sur l ' A r c h e d ' a l l i a n c e , afin de d o n n e r à ces pau­ vres gens u n e idée de notre civilisation en Europe. J e ne ferai que traduire, mot pour mot, la lettre dont j e vous parle, et qui a été écrite dans la l a n g u e du pays ; seulement j e pourrai ajouter quelques notes entre pa­

renthèses, afin de vous la rendre plus intelligible.


468

L e t t r e d ' u n W a l l i s i e n à J a c q u e s s o n p è r e , et à s a m è r e Angélique.

« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « «

« Ceci est le livre écrit (la lettre) d'amitié, de moi, S a l o m o n , à vous deux, Jacques et Angélique. Certain e m e n t j e vous aime beaucoup. Vous qui m'aimez aussi, souvenez-vous de Dieu. Vous aimez Dieu et vous m'aimez ; alors c'est bien pour vous et pour moi. « Je vais vous parler à présent de eu que j ' a i vu en France. « Je suis m o n t é d'abord d a n s u n coin de terre qui s'appelle B r e s t ; c'était le onzième j o u r de juillet de l ' a n n é e 1849 ; et puis j e suis allé a u Havre. Le Havre, c'est u n coin de terre où il y a beaucoup de g r a n d s bateaux qui trafiquent. Je suis d e m e u r é d a n s ce port trois j o u r s . Alors on a préparé u n g r a n d j o u r pour le grand chef français (Napoléon), qui allait venir a u Havre voir ses soldats montés sur des c h e vaux. Et moi, j ' é t a i s b e a u c o u p , beaucoup content. Ensuite tous les grands bateaux ont fait voir leurs drapeaux. Ensuite on a rempli le ventre de tous les gros fusils de terre (les canons), qui ont éclaté tous à la fois. Ensuite les soldats sont venus vite, vite, sur des chevaux; ils étaient d a n s de jolis sacs de fer (leurs cuirasses). Ensuite le grand chef est venu au milieu. Les soldats qui étaient devant étaient u n million (en grand n o m b r e ) . Ensuite on a fait éclater les gros fusils d e terre j u s q u ' a u soir. 11 a fait n u i t : alors le grand chef français est allé d a n s son coin de terre, et moi j e suis resté au Havre avec Marceau encore


467 « « te « « « « « « « « « te « « te « « « « « «

un autre d i m a n c h e . Ensuite nous s o m m e s allés tous les d e u x d a n s le coin de terre du g r a n d chef fran­ çais ; j ' a i vu des maisons et des églises lout-à-fait belles, tout-à-fait belles. J'y suis resté deux d i m a n ches. Alors Marceau est parti, et j ' a i été seul dans le village d u grand chef français. Ensuite Marceau m'a écrit d'aller vers lui : j ' y suis allé tout seul d a n s u n e maison de feu (par le c h e m i n de fer). U n e maison de feu, c'est u n e chose bien jolie, qui va bien vite. Moi j e croyais que ceux qui d e m e u r a i e n t vers la m e r , c'était là tout le m o n d e français ; m a i s q u a n d j ' a i m o n t é s u r la g r a n d e terre, alors j ' a i été s a n s pa­ rôle, en voyant toujours des h o m m e s , toujours des h o m m e s . Ensuite des jours froids sont venus, et j ' a i vu u n e chose qui fait peur : c'est l'eau qui est dévê­ n u e d u r e c o m m e les pierres ; et j ' a i m a r c h é s u r cette eau dure. « C'est ici la fin de ce que j e vous dis sur les choses que j ' a i Vues. Il y a encore beaucoup de choses; mais j e vous les porterai afin que vous les connaissiez. « Jacques et Angélique, si vous m ' a i m e z tout-à-fait, priez Dieu qu'il m e d o n n e la sagesse et le b o n h e u r . Aimez Dieu, aimez .Marie qui est la vraie protectrice de ce m o n d e et notre m è r e parfaite. SALOMON.

Toulon français.

« Avouez, m e s chers parents, que si l'on compare les naturels de W a l l i s , tels q u e les a faits la Religion, avec les hideux anthropophages de la Calédonie, on n e peut assez bénir l'OEuvre de la Propagation de la Foi, à qui l'on doit ces h e u r e u x r é s u l t a t s .


468 « Je n e veux point dire par là que ces néophytes n'aient plus de défauts et que notre vie, au milieu d'eux, soit tout-à-fait celle des Apôtres au milieu des c h r é ­ tiens de la primitive Eglise. Ce qui leur m a n q u e avant tout, c'est u n terme de comparaison. Comment, en effet, pourraient-ils apprécier le dévouaient du Missionnaire qui s'arrache à sa famille et à son pays pour aller vivre au milieu d'eux ? Ils sont g é n é r a l e m e n t convaincus que si l'existence était réellement plus agréable en Europe que dans leurs îles, nous resterions certainement chez nous ; mais que leurs ignames, leurs taros, leurs pois­ sons et leurs cocos sont au-dessus de tout ce que notre pays peut produire. Aussi, n'y a-t-il que ceux qui ont pu voir quelque pays civilisé qui soupçonnent la géné­ rosité de notre apostolat. Sydney et ses environs n e sont pas u n paradis terrestre, tant s'en faut : le terrain a u n aspect sauvage ; presque partout la roche s'y montre à nu, ou recouverte d'arbres d'une seule espèce et assez tristes. Cependant, à force de soins et de tra­ vaux, on supplée à l'eau qui m a n q u e , et on parvient à fertiliser quelques coins de terre où l'on peut cultiver plusieurs de nos productions d'Europe. Eh bien ! les Sauvages qui y viennent, qui voient ce q u e c'est que la civilisation dans u n e grande ville, qui y goûtent le pain, le vin, la viande, des fruits étrangers, des légu­ mes inconnus, commencent bientôt à c o m p r e n d r e que nous n e sommes pas allés chez eux pour les agréments de la vie ; mais qu'un motif de religion a pu seul nous y conduire. « Une autre raison des obstacles que le prêtre trouve au succès de son œuvre, c'est le caractère m ê m e de ces peuples : ce sont d e s enfants, à peu près dans toute l'accep­ tion du terme. Un fait e n t r e mille vous en fera j u g e r . A mon départ, les jeunes filles de la Providence que j ' a i


469 desservie à Lyon, voulurent a b s o l u m e n t faire u n petit envoi à l e u r s s œ u r s de l ' O c é a n i e , et p a r m i ces bagatel­ les se trouvaient de fort jolies poupées, grandes et p e ­ tites, toutes parées c o m m e de riches et belles d a m e s . Un jour, e n visitant mes effets, la pensée m e vint d'es­ sayer quelle impression produirait la vue d e ces per­ sonnages en miniature, et j e portai chez la maîtresse d'école (elle est française) un g r a n d carton qui les contenait. La foule n e tarda pas à venir, et bientôt toute la population du village se pressa autour de nous. Vous dire toutes les exclamations qui furent poussées pendant u n e d e m i - h e u r e , toutes les questions qui fu­ rent adressées, toutes les r e m a r q u e s qui furent faites sur c h a q u e détail du corps et de l ' h a b i l l e m e n t , serait chose longue et impossible, mais à coup sûr, il y avait de quoi rire beaucoup. Un g r a n d n o m b r e soutint sérieusement que c'étaient des personnes vivantes ; et la raison, c'est q u e rien n'y m a n q u a i t pour cela : « Voilà b i e n , disaient celles qui partageaient cet avis, v o i l à bien d e v r a i s cheveux ; v o i l à bien de vrais y e u x qui n o u s r e g a r d e n t ; une bouche avec toutes ses dents ; l a cou­ leur d uv i s a g e c o m m e chez les F r a n ç a i s ; des habits tout c o m m e c e u x de M a r i e (la maîtresse d'école). Voilà b i e n l a m è r e ; v o i c i b i e n s a fille, e t c . , e t c . , et ces raisons étaient, pour quelques-uns, s a n s réplique. Vous aurez peine à le croire ; mais il fut question, fort sérieuse­ ment, de leur apporter à m a n g e r ; et des femmes vin­ rent s'offrir pour être nourrices. Voilà, en deux mots, l'histoire de tous ces peuples : enfance ou b a r b a r i e . « Petits enfants de la famille, qui êtes autour des grands-parents pour e n t e n d r e lire la lettre de votre cher oncle, cette histoire vous aura fait rire, n'est-il pas vrai? Si j'avais plus de temps, je p o u r r a i s vous amuser en­ core, en vous p a r l a n t de certains usages du pays.


470 Voyez-vous, p a r exemple, le d i m a n c h e , cette femme qui vient c o m m u n i e r avec u n e g r a n d e veste de soldat ou de matelot? Soyez bien surs que tout le m o n d e porte envie à son costume. Après la messe, ce sera ou la s œ u r ou le mari qui endossera la veste à son tour ; le soir, à vêpres, ce sera u n e j e u n e fille ou u n petit garçon ; car, ici, q u a n d on a q u e l q u e chose de b e a u d a n s u n e famille, on se le fait toujours passer des u n s aux autres. J e ne parle pas des chemises d ' h o m m e s que les femmes portent par-dessus leur habillement, c'est chose trop c o m m u n e ; mais si vous d o n n e z un pantalon au m a r i le s a m e d i , vous êtes sûrs de le voir à la femme le d i m a n c h e : elle n e l'enfilera pas, mais elle se le mettra autour d e l a c e i n t u r e , e n nouant l e s deux j a m b e s par-devant ; le reste ira c o m m e il voudra par derrière. « M a i n t e n a n t qu'ils sont convertis, les W a l l i s i e n s n e s'appellent e n t r e eux que par leurs n o m s de b a p t ê m e ; mais q u a n d il faut faire u n acte de naissance ou de décès, c o m m e n t voulez-vous q u e je m'empêche de rire, lorsque j e les e n t e n d s décliner leur n o m de fam ille, leur n o m propre, entendez bien, et n o n pas des sobri­ quets ? voici la famille des v i e u x c o c o s ; voilà celle de l ' é t a b l e à c o c h o n ; puis celle de l a c o q u i l l e de m e r , du r o i affamé, etc., etc. Je vous en raconterai plus long u n e a u t r e fois. « Je suis toujours parfaitement c o n t e n t , et n'ai be­ soin de r i e n . Adieu, n o u s nous r e v e r r o n s ! ! . . .

« Votre fils, « FONBONNE, M i s s .

Apost.»


471

MISSIONS DE L'INDE. ILE DE CEYLAN.

E x t r a i t d ' u n e l e t t r e d u R . P . S é m é r i a , de l a C o n g r é g a ­ t i o n d e s M i s s i o n n a i r e s O b l a t s de M a r i e I m m a c u l é e , à M o n s e i g n e u r l'Evêque d e M a r s e i l l e , S u p é r i e u r g é n é r a l de l a m ê m e C o n g r é g a t i o n .

Jaffna, le 4n o v e m b r e1850.

« MONSEIGNEUR ET BIEN-AIMÉ PÉRE,

« Les trois mois qui viennent de s'écouler ont été pour nos chrétiens de Jaffna des jours de désolation et de deuil. Le choléra-morbus qui, depuis u n certain n o m b r e d ' a n n é e s , parait être le ministre le plus ordi­ n a i r e des vengeances divines, se déclara inopinément près de la g r a n d e église de Jaffna, d a n s le quartier habité presque exclusivement par nos chrétiens. P e n ­ d a n t u n e vingtaine de jours, le fléau y frappa ses coups, le plus souvent mortels. Il n'y a eu peut-être pas u n e seule maison, u n e seule famille où il n'ait fait des vic­ times.


472 « Bientôt le mal, sans a b a n d o n n e r entièrement le quartier où il s'était déclaré d'abord, étendit ses rava­ ges plus l o i n ; les catholiques n'étaient plus frappés seuls. La m a l a d i e visita également les gentils et les protestants, qui jusque-là avaient semblé être épar­ gnés. T a n d i s que le choléra sévissait de la sorte, Jaffna qui, d a n s les temps ordinaires, est assez animé, était dans u n e sorte de s t u p e u r ; les travaux restaient s u s ­ pendus, les écoles désertes ; n o u s n e rencontrions d a n s les rues que des figures consternées et abattues ; nous n e voyions dans les maisons q u e des scènes d é c h i r a n ­ tes. Il n'était pas r a r e de trouver des morts à côté des malades q u e nous allions a d m i n i s t r e r . Un j o u r que j'étais près d'un cholérique, m o n pauvre pénitent n ' a ­ vait pas encore achevé sa confession, qu'un a u t r e e n ­ tra d a n s l'appartement pour m e prier de l'entendre, atteint qu'il se sentait par les premiers symptômes du fléau ; mais comme j e n'apercevais rien de bien ur­ gent, j e le laissai pour courir à u n e habitation voisine, où u n père de famille se mourait. Il avait, les j o u r s précédents, vu périr quatre de ses enfants; le plus j e u n e avait expiré le malin m ê m e ; ses restes étaient encore d a n s la maison. Ce fut donc près de ce petit cadavre et aux cris déchirants de sa m è r e inconsolable de tant de m a l h e u r s , que j e dus remplir m o n minis­ tère, tandis q u e le bruit et les prières d'un convoi fu­ n è b r e qui passait d a n s la r u e m ' a p p r e n a i e n t q u e d'au­ tres morts étaient portés à la tombe. Le l e n d e m a i n cet h o m m e et son enfant leur étaient r é u n i s . Je n'en fini­ rais p a s , si j e voulais vous retracer les autres scènes de douleur dont nous avons été témoins : n o n - s e u l e m e n t nous avons eu des familles en g r a n d e partie ou m ê m e entièrement éteintes ; mais il nous est encore arrivé d'en voir tous les m e m b r e s s i m u l t a n é m e n t atteints par le fléau, et portés tous en même temps au cimetière.


473 « Au milieu de cette désolation générale, nous n e pouvions rester oisifs. Presque toute la j o u r n é e et u n e b o n n e partie de la nuit, nous étions auprès de nos pauvres malades q u i , h e u r e u s e m e n t , conservaient toute leur connaissance j u s q u ' a u dernier soupir. Mgr Bettachini, notre digne Vicaire apostolique, s'était mis à l'œuvre comme le dernier des Missionnaires. Appe­ lée ou non, Sa G r a n d e u r , aussitôt après sa messe, se rendait où le mal sévissait avec le plus de violence, visitait les cholériques, leur administrant, outre les se­ cours spirituels, des remèdes et des a u m ô n e s selon q u e leur état et leur position l'exigeaient. D a n s les mo­ m e n t s libres, le Prélat, à l'exemple de notre divin Maî­ tre, appelait à lui les petits enfants, les instruisait des premières vérités de la Foi, et s'assurait p a r lui-même d e quelle m a n i è r e les parents remplissaient le devoir, m a l h e u r e u s e m e n t trop négligé, de l'éducation c h r é ­ tienne. « Cette conduite si sainte et si dévouée de notre pre­ mier pasteur devenait n a t u r e l l e m e n t la règle de la nô­ tre. Tous nos instants se sont ainsi écoulés, soit à visi­ ter les m a l a d e s , soit à administrer les derniers sacre­ ments, soit à catéchiser chez eux nos chrétiens, pour les porter à profiter de l'épreuve q u e Dieu leur envoyait, en purifiant leurs cœurs et en se t e n a n t toujours prêts à paraître devant le souverain J u g e . « Pour clore les travaux de la j o u r n é e , le soir, vers les neuf à dix heures, nous nous rendions, ayant à notre tête Mgr le Vicaire apostolique, d a n s les quar­ tiers les plus désolés; u n de nos catéchistes, au moyen d'une clochette qu'il agitait de t e m p s en temps, aver­ tissait les voisins de la présence des prêtres ; et si quel­ q u e malade nous était signalé, n o u s allions à l'instant lui porter les secours de la religion. P a r cette pieuse


474 industrie, plusieurs r e ç u r e n t les derniers sacrements dès les premières atteintes d u fléau, et tandis qu'ils étaient encore à m ê m e de remplir ce grand devoir avec moins de fatigue et avec plus de fruit. « A la maladie vint se j o i n d r e l'indigence par suite tic la suspension des travaux. La plupart de nos chré­ tiens, pêcheurs de profession, étaient réduits à la mi­ sère et seraient nécessairement morts de f a i m , si Mgr Bettachini ne l e u r fût venu en aide. Se r a p p e l a n t ces paroles du Pasteur des pasteurs : M i s e r e o r s u p e r t u r b a m , q u i a n o n h a b e n t q u o d m a n d u c e n t ( 1 ) il fit ache­ ter u n e g r a n d e quantité de riz, et, p e n d a n t u n e ving­ taine de j o u r s , nous en distribuâmes, c h a q u e matin après la messe, à u n e centaine des plus pauvres. C'était u n spectacle attendrissant q u e de voir c h a q u e jour, sur la place de l'église, cette multitude de m a l h e u r e u x qui attendaient leur portion de riz, pour aller aussitôt s'en rassasier eux et leurs enfants. Monseigneur aurait voulu soulager toutes les misères de ses ouailles; il aurait désiré surtout recueillir les orphelins, pour pren­ dre soin et de leurs âmes et de leurs corps ; mais, dans cette détresse générale, p e r s o n n e n'est venu à notre secours. Réduits aux seules ressources de la Mis­ sion et à celles q u e les Conseils de la Propagation de la Foi ont eu la charité d'allouer à ce Vicariat, p o u ­ vait-on faire d a v a n t a g e ? Cependant, comme la charité est ingénieuse, notre Evêque, outre les a u m ô n e s dont j e viens de parler et celles qu'il versait en secret d a n s le sein des pauvres, trouva encore le moyen d e d o n ­ ner à u n e centaine de veuves et d'orphelins des habits convenables, pour qu'ils pussent le d i m a n c h e se r e n ­ dre aux offices divins.

( 1 ) J'ai pitié d e celte f o u l e , parce qu'ils n'ont p a s de quoi manger,


475 « La conduite de Mgr Bettachini et de ses Mission­ naires n e pouvait q u e produire de salutaires effets, n o n - s e u l e m e n t dans l'esprit de nos chrétiens, mais en­ core d a n s les r a n g s de l'hérésie et de l'infidélité. Tous ceux qui ont des yeux et u n cœur ont pu reconnaître, d a n s cette circonstance, l'énorme différence qui existe entre les prêtres catholiques et les ministres protes­ tants. Si les premiers, par les sacrifices qu'ils ont faits en s'arrachant généreusement à toutes les affections terrestres, se sont r e n d u s aptes à procurer la gloire de Dieu et le salut des âmes, on peut bien dire avec vérité que les ministres, avec leurs gros honoraires et leurs familles, sont radicalement incapables de produire le m o i n d r e fruit. Aussi ne se sont-ils pas toujours m o n ­ trés empressés de visiter leurs coreligionnaires mala­ des. L'un d ' e u x , a p p a r e m m e n t pour chasser les p e n ­ sées tristes qui pouvaient l'obséder, n e craignit pas de d o n n e r u n bal au m o m e n t m ê m e où le choléra sévissait. Singulier contraste ! Une fête, tandis que la ville était dans le deuil, que les prêtres catholiques n e quittaient point le chevet des malades, et que des p r o ­ testants aussi se débattaient entre la vie et la mort ! Après cela, c o m m e n t comprendre qu'ils osent encore r é p a n d r e contre nous et contre la religion sainte que nous enseignons, les calomnies et les absurdités les plus révoltantes? « Avant de finir, permettez-moi de payer u n juste tribut de reconnaissance au R. P . Vistarini q u i , après avoir été le père des pauvres et la providence vivante des m a l a d e s d a n s Fondi, sa patrie, s'est dévoué depuis cinq a n s à la conversion des habitants de Ceylan. Ce digne et zélé Missionnaire accourut à Jaffna a u fort de l'épidémie, et, malgré ses infirmités, il visitait les cho­ lériques avec u n e charité au-dessus de tout éloge.


476 Bientôt arrivèrent aussi nos Pères Moukel, Keating et Leydier, et j e vous avoue, Monseigneur, qu'ils vinrent fort à propos ; nos forces physiques c o m m e n ç a i e n t à n e plus correspondre à notre b o n n e volonté. Déjà Mgr le Vicaire apostolique était assez gravement indisposé ; le Père Le Bescou, si admirable de dévoûment pour les pauvres, était atteint d ' u n e fièvre causée par ses fati­ gues. Q u a n t à moi, j ' a i pu tenir j u s q u ' à l'arrivée de nos trois Pères, qui nous remplacèrent aussitôt avec empressement auprès de nos m a l a d e s . « Nous avons eu, p e n d a n t l'épidémie, le b o n h e u r de baptiser u n e cinquantaine d'adultes, païens ou protes­ tants, dont la moitié à peu près a d e m a n d é la grâce d e la régénération peu avant d e mourir. Nous avons éga­ lement baptisé u n certain n o m b r e de petits enfants de gentils, dont plusieurs sont allés i m m é d i a t e m e n t au ciel, où ils intercèdent m a i n t e n a n t auprès de Dieu pour l'entière conversion de leurs p a r e n t s et de leurs c o n ­ citoyens. D'autres païens adultes se disposent aussi à recevoir le b a p t ê m e , et j ' e s p è r e q u e bientôt nous les admettrons au sein de l'Eglise. A ces consolations si j'ajoute que tous nos chrétiens malades, sans en excep­ ter u n seul, ont été m u n i s des derniers sacrements, et que, dans cette circonstance, beaucoup d'indifférents et de pécheurs se sont empressés de r e n t r e r d a n s le devoir, j ' e n conclurai sans peine que si le choléra-morbus a été à Jaffna u n fléau pour les corps, il a été l'instrument d ' u n e g r a n d e miséricorde pour les â m e s .

« Agréez, Monseigneur, e t c .

0. M. I, M i s s . Apostolique. »

« SÉMÉRIA,


477

E x t r a i t d ' u n e autre lettre d u m ê m e Missionnaire à Mgr l ' E v ê q u e d e M a r s e i l l e .

Jafna, 8 juillet 1-851 »

«.... Notre Mission vient de faire u n e g r a n d e perte. Le R. P. François Leydier, attaqué p a r le terrible choléra-morbus, dont il avait pris le g e r m e en assistant les malades, a r e n d u sa belle â m e au Seigneur. On peut dire, sans la moindre exagération, qu'il a été victime de son zèle et véritable martyr de patience et de charité. « P e n d a n t que ce cher P è r e était e n santé, il parlait de temps en temps de la mort, et n o u s nous aperce­ vions qu'il semblait alors craindre b e a u c o u p ce terrible passage. Il en fut tout a u t r e m e n t à son dernier j o u r , ce qui me prouve qu'il s'y préparait depuis longtemps. E h effet, il vit approcher le terme de sa vie non-seule­ m e n t avec calme et sérénité, mais avec u n e joie sensi­ ble. Ce fut lui-même qui s'empressa de d e m a n d e r les derniers sacrements ; le R. P . Mauroit et tous les assis­ tants furent touchés jusqu'aux larmes par l'expression de foi et d'amour avec laquelle il reçut le saint viati­ que. Notre pieux Confrère conserva toute sa c o n n a i s ­ sance jusqu'à son dernier soupir. D u r a n t sa courte ma­ ladie, qui fut de six ou sept heures, il ne faisait pres­ q u e que serrer sur son c œ u r et coller sur ses lèvres mourantes la Croix de son oblation, en p r o n o n ç a n t souvent des aspirations affectueuses à Jésus crucilié ou à Marie, notre glorieuse p a t r o n n e et t e n d r e m è r e , comme il l'appelait ; enfin il dit lui-même qu'il était heureux de mourir d a n s le sein de la Congrégation qui


478 l'avait adopté pour e n f a n t . . . Tels sont, Monseigneur, les beaux sentiments clans lesquels le premier parmi vos enfants envoyés à Ceylan s'est endormi dans le Seigneur, après d e u x a n n é e s et deux mois de travaux apostoliques. Ce qui nous console, c'est que, si nous avons perdu sur la terre u n frère dévoué, u n prêtre doux et h u m b l e de c œ u r , u n ouvrier i n f a t i g a b l e , nous avons sans doute acquis u n protecteur de plus dans le ciel.

VICARIAT APOSTOLIQUE DE VÉRAPOLY.

E x t r a i t d ' u n e l e t t r e d e Mgr B e r n a r d i n de S t e Thérèse, V i c a i r e A p o s t o l i q u e de V è r a p o l y , a u x M e m b r e s d e s Conseils centraux d e l ' Œ u v r e .

Vérapoly, 2 9 d é c e m b r e 1849,

« MESSIEURS,

o L'état de la Mission est à peu près le m ê m e que l ' a n n é e dernière. Comme p a r le passé, notre misère est telle, q u e je suis contraint de m e priver non-seule­ m e n t des choses convenables, m a i s m ê m e d u n é c e s ­ saire. Aussi ma s a n t é en a-t-elle éprouvé u n r u d e échec. Mais, comment m e procurer quelque soulage-


479 ment, q u a n d cette détresse est partagée par deux Mis­ sionnaires de mon ordre, dont l'un est d ' u n e santé fort délicate, en sorte que l'excès des privations le fait souvent tomber d a n s un état sérieux de m a l a d i e ? « Vous serez peut-être surpris de l'extrême pauvreté d a n s laquelle se trouve la Mission de Coulam, n o n ­ obstant vos charitables secours ; mais cet é t o n n e m e n t cessera, q u a n d vous saurez que les allocations de votre OEuvre sont sa seule ressource, t a n t est g r a n d e la misère de la population c a t h o l i q u e , composée en g r a n d e partie de p ê c h e u r s ! De plus, il n'y a pas de clergé indigène : il nous faut donc faire v e n i r ici, à g r a n d s frais, des prêtres étrangers, et les soutenir p e n d a n t tout le temps de leur ministère ; car ils ne peuvent attendre ce dont ils ont besoin, d'un troupeau qui végète l u i - m ê m e d a n s l'indigence. J'ajoute que, par suite de cet état, j ' a i dù laisser tomber différentes écoles, qui étaient c e p e n d a n t très-utiles. Ce n'est q u ' a ­ vec b e a u c o u p de peine que j e puis conserver les deux principales. « De plus, j ' a i été forcé de contracter des dettes, et je n e vois a u c u n autre m o y e n h u m a i n de les r e m ­ bourser que votre charitable assistance. Aussi, p u i s q u e votre OEuvre a pour but spécial d'aider les Missions pauvres, je suis plein de confiance, et j ' e s p è r e qu'à ce titre vous ne m ' a b a n d o n n e r e z pas. De toutes les Mis­ sions des Indes, celle de Coulam est c e r t a i n e m e n t l'une des plus nécessiteuses. « C e p e n d a n t , au milieu de tant de misères et de souffrances corporelles, le b o n Dieu n e laisse pas de nous consoler. Les enfants innocents qui, à peine ré­ g é n é r é s d a n s les eaux baptismales, s'envolent au ciel, les païens q u e c h a q u e jour nous recevons dans le sein de l'Eglise, les protestants qui reviennent comme


480 l'enfant p r o d i g u e à la m a i s o n paternelle : tout cela n o u s soutient au milieu d e nos afflictions. U n a u t r e spectacle q u i n o u s a t t e n d r i t quelquefois j u s q u ' a u x lar­ m e s , c'est q u e la r a r e t é des prêtres n e p e r m e t t a n t pas au pasteur d e c h e r c h e r ses brebis, ce sont les brebis q u i r e c h e r c h e n t l e u r pasteur. Avec quelle émotion n e voyons-nous pas u n e foule de gens faire plusieurs lieues de c h e m i n , sous les r a y o n s b r û l a n t s d u soleil, ou p a r u n e pluie affreuse, p o u r venir assister a u s a i n t Sacrifice, faire l e u r confession et recevoir le p a i n des a n g e s ! B e a u c o u p d'entre eux, p o u r couvrir l e u r n u d i t é et se présenter d é c e m m e n t d a n s l'église, sont obligés d ' e m p r u n t e r les m i s é r a b l e s v ê t e m e n t s dont ils se s e r ­ v e n t , et cela aux d é p e n s d e l e u r chétive n o u r r i t u r e . 11 n'est pas j u s q u ' a u x p a u v r e s m a l a d e s , p r e s q u e à l ' a g o ­ nie, qui n e se fassent t r a n s p o r t e r à u n e distance d e plusieurs lieues, p o u r recevoir les d e r n i e r s secours d e la Religion. Et il arrive assez f r é q u e m m e n t q u e le m a ­ l a d e m e u r t avant d'arriver a u p r è s d u P r ê t r e , ou e n t r e les b r a s d e c e l u i - c i , ou b i e n au r e t o u r . De telles ac­ tions p e u v e n t servir d ' e x e m p l e a u x chrétiens d ' E u r o p e . J e vous laisse à p e n s e r c o m b i e n m o n c œ u r souffre d e n e pouvoir s u b v e n i r a u x plus p r e s s a n t s besoins d e mon troupeau ! « M a i n t e n a n t q u e j e vous les ai fait c o n n a î t r e , j e suis p e r s u a d é , Messieurs, q u e vous m e viendrez en aide d ' u n e m a n i è r e aussi efficace qu'il vous s e r a possible. D e m o n côté, j e lève les m a i n s au ciel p o u r appeler ses bénédictions s u r l'OEuvre de la Propagation de la Foi, etc. « + B E R N A R D I N DE

STE-THÉRÈSE,

« Vicaire Apostolique d e Vérapoly, »


TABLE DU TOME

VINGT-TROISIÈME.

Décrets d ' I n d u l g e n c e s , R é s u m é général des i n d u l g e n c e s , M a n d e m e n t s des E v o q u e s , Compte-rendu, Nouvelles, Départs de Missionnaires,

82 - 94 98 255-406 161

159

255-266

336-100

159

MISSIONS D'ASIE. CHINE

27

Lettre de M . D e l a p l a c e , D é p l o r a b l e état d e la M i s s i o n d u H o - N a n clans le p a s s é . — Heureux

changement depuis son érection en Vi­

cariat a p o s t o l i q u e . — E n t e r r e m e n t p u b l i c d ' u n c h r é ­ tien. — Conversions n o m b r e u s e s . —

Zèle

et

succès

d e d e u x n é o p h y t e s , O u et T c h a n g . — F o r m a t i o n d ' u n clergé i n d i g è n e . — D é p e n s e s nécessitées par les pro­ g r è s d e la foi.

40

Lettre de M g r Louis de Castellazzo, Histoire

d'un n é o p h y t e chinois persécuté p a r

sa

fa

mille. Lettre

de

M.

43

Combelles,

N a v i g a t i o n sur le K i a n g . — L a f o r t e r e s s e d e O u - S o u g . Le commerce européen à Chang-Hai.— Débordement

du

K i a n g . — Souvenir et t o m b e a u du

ministre

Su,

ami d u P è r e R i c c i . — E g o ï s m e d e s m a t e l o t s c h i n o i s . — N u i t p a s s é e s u r u n é c u e i l . — P i r a t e r i e d e la m a ­ r i n e c h i n o i s e a u profit d e s m a n d a r i n s . — P h é n o m è n e s a n g l a n t sur m e r . — L a b a i e d e L i o u - K o u a n g - T a o , U n e p a n i q u e p a r m i la flotte. — A v a n i e s f a i t e s a u M i s ­ sionnaire. — soie s a u v a g e s .

I n d u s t r i e d u L e a o - t o n g . — L e s vers à


482 L e t t r e de M g r N o v e l l a ,

La ville d e H o n g - K o n g o u V i c t o r i a . — S e s rapides d é ­ v e l o p p e m e n t s , et s o n c o m m e r c e . — A r i d i t é

de l'ile.

— S a l u b r i t é du c l i m a t . Autre lettre

du m ê m e ,

68

R e m e r c î m e n t s à l'Œuvre.— L e n o u v e l e m p e r e u r H i e n F o u m . — Singularité de la c h r o n o l o g i e

chinoise. —

C h o i x d'un s u c c e s s e u r à l'empire. — F a v e u r s accor­ d é e s à l ' a v é n e m e n t du j e u n e p r i n c e . — A m n i s t i e a u x C o n d a m n é s . — D é c o r a t i o n s a u x vieillards. — D é s a s ­ tres d e d e u x i n o n d a t i o n s s u c c e s s i v e s . — I n c e n d i e d e la ville et du port de H o u - C h a m - F o u . — D i s t r i b u t i o n g r a t u i t e de 1 0 , 0 0 0 c e r c u e i l s . — A s i l e o u v e r t a u x mal­ heureux

par u n e société de m a r c h a n d s . — Stérilité

d e la b i e n f a i s a n c e c h i n o i s e .

69

L e t t r e de M g r R i z z o l a t i , I n c e n d i e d'une flotte sur le K i a n g . — L e s villes de HanY a n - F o u et d e H a n - K e o u . Lettre

de

Mgr

Ephise C h i a i s ,

227

P r o c è s e n t r e c h r é t i e n s et idolâtres. — S e n t e n c e d u j u g e favorable a u x c h r é t i e n s . — Q u e l q u e s n é o p h y t e s frap­ p é s de v e r g e s et r e n v o y é s a b s o u s .

Lettre d e M. P i n c h o n ,

2Öi

Un a n c i e n p e r s é c u t e u r d e v e n u c o n f e s s e u r de la foi. L e t t r e du R. P .

Ш

Poissemeux,

r a m i n e à C h a n g - H a i . — L a charité c h r é t i e n n e . — Zèle d'un a n c i e n b o n z e c o n v e r t i . —

Ecoles o u v e r t e s par

les Missionnaires. — R é s u m é des derniers travaux a p o s t o l i q u e s . — L e s p r e m i e r s a c t e s du n o u v e l e m p e ­ r e u r . — M o r t d u P . Cajetan M a s s a . Autre lettre

du m ê m e ,

Vie patriarcale des pêcheurs au Kiang-Nan. — F e r ­ veur des pécheurs chrétiens. — U n e

m e s s e sur leurs

b a r q u e s r é u n i e s . — R a v a g e s d u t y p h u s . — Le P . Pa­ celli s u c c o m b e à la c o n t a g i o n . L e t t r e d u R. P .

Ш

Lemaittre,

F a m i n e dans le district de H a i - M e n . —

Secours don­

n é s aux p l u s n é c e s s i t e u x . — 6 0 0 a d u l t e s et 1,000 e n -


483

fants baptisés. — Arrestation, courage et délivrance de deux catéchistes. Lettre de Mgr. P e r r o c h e a u , 221 Le nouvel empereur. — Son ordonnance favorable aux chrétiens. — Origine de ses bonnes dispositions : sa gouvernante était chrétienne. — La liberté reli­ gieuse n'existe que pour les provinces maritimes. — Situation du Su-Tchuen. — Baptêmes des enfants d'infidèles. 234 Lettre de M . L e t u r d u , Baptême de la fille d'un mandarin.—Fureur et vengeance de son beau-père.— Arrestation du Missionnaire et de deux chrétiens. — Appareil menaçant d'un pré­ toire chinois. — Interrogatoire, torture et cachot. Belle réponse d'un fils chrétien à sa mère payenne. Départ du Missionnaire pour Canton. — La prison de celte ville est une ancienne église. — Eloge de M. Forth-Rouen. — Le secret d'avoir raison du m a u v a i s vouloir chinois. — Préparatifs de retour dans la Mis­ sion.

257 Lettre de M. B e r t r a n d , Bonheur de la chrétienté de Li-Tou-Pa. — Il est troublé par la cupidité d'un mandarin. — Une apostasie. — Courage de cinq néophytes arrêtés. — Scène d'horri­ bles tortures. — Ruse du persécuteur. — Mise en li­ berté des prisonniers chrétiens. MONGOLIE,

Lettre de M. F r a n c l e t , Rencontre du roi de Paline. — Arrestation do deux Mis­ sionnaires. —Interrogatoire. — Résidence d'un comte Mongou. — Scène de prison. — Délivrance des Mis­ sionnaires. — La ville de Jee-ho. — La grande mu­ raille. — Nouvelle rencontre du roi de Paline disgra­ cié. — La vérité sur Pékin. — Honneurs rendus aux Missionnaires. — Leur arrivée à Canton.

337

CORÉE.

Lettre de Mgr F e r r é o l , Trève aux persécutions. — Le nouveau roi, tiré de la

71


484 misère pour

m o n t e r sur l e trône. — Révolution d e

p a l a i s et c h â t i m e n t d e s a n c i e n s

ministres. — Abais­

s e m e n t d e la f a c t i o n hostile a u x c h r é t i e n s . — M. Maistre t o u j o u r s a t t e n d u en C o r é e . — S a c r e m e n t s nistres en

admi-

1839. TONG-KING.

Lettre de Mgr Retord, Etat a c t u e l d e la M i s s i o n . —- P e r s o n n e l

268 religieux, — In­

s u f f i s a n c e d e s r e s s o u r c e s , — Q u a s i - l i b e r t é d a n s l'exercice d u s a i n t m i n i s t è r e . — N o m b r e u s e s

conversions.

— B a p t ê m e s d'enfants d'infidèles. — Publicité d e s tra­ v a u x apostoliques. — Ambassade chinoise l i i n g . — E x c è s c o m m i s par les p i r a t e s

au Tonget l e s bri­

g a n d s . — P e r s é c u t i o n s locales. — R a v a g e s d e la p e s t e e t d u c h o l é r a . — A p p e l à la c h a r i t é .

290

L e t t r e d e M. L e g r a n d , D i v e r s e s p o u r s u i t e s d i r i g é e s c o n t r e le M i s s i o n n a i r e . — C o m m e n t il y é c h a p p e . — Sa faible santé résiste m e r ­ v e i l l e u s e m e n t à la f a t i g u e e t a u c l i m a t .

Lettre de M. T i t a u d ,

295

L e M i s s i o n n a i r e s u r p r i s à l'autel par l e s s a t e l l i t e s . — — Sa fuite à travers c h a m p s . — Il est r e ç u dans u n e famille p a y e n n e , q u i est en v o i e de se c o n v e r t i r . CAMBOGE.

Lettre de Mgr Miche, E x p l o r a t i o n d u pLaos. — L e c o u r s d u M e y c o n . — C r o y a n ­

133

ces religieuses des Cambogiens. — Prédication p u ­ b l i q u e à S a m b o c . — Visite d u M i s s i o n n a i r e aux tribus s a u v a g e s . — B a p t ê m e d'un e n f a n t m o r i b o n d . — H e u ­ reuses dispositions des indigènes ; INDE.

Lettre de Mgr Neyret, O r i g i n e d e la m i s s i o n d e V i s a g a p a t a m . — N o u v e l l e s c i r ­ c o n s c r i p t i o n s d i o c é s a i n e s . — Enfants sacrifiés par l e s Condes,usage. -

E x p é d i t i o n des A n g l a i s p o u r E s p é r a n c e s de c o n v e r s i o n s ,

abolir c e t

400


485 478

Lettre de Mgr Bernardin de Ste T h e r è z e , Misère d e s chrétientés Malabares. — D é t r e s s e de l'Evê­ q u e . — A p p e l aux s e c o u r s de

l'OEuvre.

Lettres du R. P. S e m é r i a ,

471

Le c h o l é r a - m o r b u s a Jaffna. —

Admirable dévoùment

All

de Mgr B e t t a c h i n i et d e ses M i s s i o n n a i r e s . — La fa­ m i n e se j o i n t à l ' é p i d é m i e . — Les pauvres n o u r r i s par l'Evêque. — C o n v e r s i o n s n o m b r e u s e s parmi les p r o ­ testants

et

les p a y e n s . — L e

P . Leydier m e u r t en

servant l e s c h o l é r i q u e s .

AFRIQUE. GUINÉE.

Lettre de M. Gallais, L'état p a s s é et présent d e la c h r é t i e n t é d e Joal. — Espé­ r a n c e s q u e d o n n e la j e u n e s s e . — F e r v e u r d e d e u x n é ­ gresses converties. — L a n g u e , usages

et

caractère

des S é r e r s . — D e u i l et funérailles. — Culte r e n d u au s e r p e n t . — V é n a l i t é des j u g e s . — G é n é r e u s e hospita­

lité

d e s i n d i g è n e s . — Leur respect pour l ' a u t o r i t é . —

F o n d a t i o n d'un p e t i t s é m i n a i r e . CAP DE BONNE-ESPÉRANCE.

Lettre de Mgr Devereux, Les m i s s i o n s p r o t e s t a n t e s au

20

Cap. — Découverte

d'un

lac au c e n t r e de l'Afrique. ABYSSINIE.

Lettre d u R. P. Léon des A v a n c h e r s ,

434

M g r Massaia se d i r i g e de Massouah v e r s l'intérieur. P a r t a g e de l'ancien e m p i r e A b y s s i n e n t r e les Gallas. — B i o g r a p h i e

tribus

de l ' A b o n n a p e r s é c u t e u r . —

F u i t e des M i s s i o n n a i r e s . — Le port d ' A d e n . — L ' A l t i e n a , o a s i s c a t h o l i q u e . — E x p é d i t i o n d'Oubié contre Massouah. — de

Sacre d e M. d e J a c o b i s . — C o n v e r s i o n

Tecla-fa, chef d e 1.000 m o i n e s a b y s s i n s . — E n ­

t r e v u e m y s t é r i e u s e d e Mgr Massaia et d u roi O u b i é . — I n i q u i t é d e s j u g e s de G o n d a r . — M o n u m e n t s

de cette

ville. — L e N é g u s . — Question de préséance. P o n t s u s p e n d u sur

le Nil b l e u . — Camp du Ras-AH,


486 U n vieillard accusé et lapide par sa petite-fille. — Inc e n d i e au d é s e r t . — P o s t e s a s s i g n é s aux divers Mis­ s i o n n a i r e s . — E t a t religieux de l'Abyssinie. — Pro­ p a g a n d e m u s u l m a n e d e la M e c q u e .

AMÉRIQUE. ÉTATS-UNIS.

Notice s u r l'Eglise d e s Etats-Unis (suite), E l é m e n t s divers dont se c o m p o s e la p o p u l a t i o n

101 - 409

catholi­

q u e . — 1° L e s d e s c e n d a n t s des a n c i e n s c o l o n s . — M i ­ nistère sacerdotal dans les g r a n d e s villes. — S o n m i ­ l i e u ; indifférence r e l i g i e u s e . — S e s rapports

avec

l'Etat ; n i faveurs ni e n t r a v e s . — Ses s u c c è s . — L a li­ berté q u i t u e l e s sectes a profité a u c a t h o l i c i s m e .

T o u s l e s ordres r e l i g i e u x s e s o n t a c c l i m a t é s s o u s le ciel a m é r i c a i n . — A c c r o i s s e m e n t d u c l e r g é i n d i g è n e . — Réveil de la f o i p a r m i les laïcs. — R é s u l t a t s d'une retraite à C i n c i n n a t i . — S e r v i c e s r e n d u s à l'Eglise p a r la p r e s s e p é r i o d i q u e . — R e t o u r partiel d e s protestants à l ' u n i t é . — 2 ° L e s é m i g r a n t s . — C a u s e s d e leur expatria­ tion.—Chiffre a n n u e l d e s n o u v e a u x c o l o n s . — L e s Ir­ landais e t l e u r foi. — Les A l l e m a n d s et l e u r p a t r i o t i s ­ m e . — Misère d e s é m i g r é s source d'apostasies dans l e p a s s é . — C h a r g e s q u e l'émigration i m p o s e à l ' E g l i s e a m é r i c a i n e . — 3° L e s n è g r e s . — D e r n i e r r e c e n s e m e n t des noirs. — Patronage que l'Eglise étend sur eux. — D é v o ù m e n t d e s M i s s i o n n a i r e s à leur salut. — C o n ­ d u i t e à la fois prudente e t p a t e r n e l l e d u c l e r g é .

E t a b l i s s e m e n t r e l i g i e u x e n faveur d e s n è g r e s . —

La

r a c e noire é v a n g é l i s é e d a n s s a p a t r i e . — 4° L e s I n d i e n s . — Causes de

leur dépérissement graduel. —

Mission consolatrice d u prêtre

dans

leurs migrations

f o r c é e s . — M. P e t i t et les P o t o w a t o m i e s . —

Apostolat

d e s t r i b u s errantes d a n s l e d é s e r t . — E s s a i d e civilisa­ tion chrétienne aux M o n t a g n e s R o c h e u s e s . — R e s s o u r ces matérielles de l ' E g l i s e a m é r i c a i n e , — A s s i s t a n c e de l'OEuvre d e la Propagation d e la F o i : — Statistique g é n é r a l e d e s six p r o v i n c e s e c e l é s i a t i q a e s d e l ' U n i o n .

Lettre du R. P . Chirousc, Humble résidence de Sainte-Croix, — Hostilité d u ser-

75


487 pent jaune,

chef de s a u v a g e s . — Travaux et succès

a p o s t o l i q u e s . — E p i d é m i e et famine parmi les Indiens. —

Soins prodigués

Missionnaire. —

aux malades. — D é n û m e n t

du

S o n i s o l e m e n t , sa pauvreté et sa

résignation. Lettre de M.

301

Belcourt,

La chasse aux bisons. — Salutaire influence d u prêtre sur les c h a s s e u r s . — V i s i t e à u n camp de s a u v a g e s . — Cruelles mutilations e n usage chez les Mandancs. — Courses apostoliques

d'hiver. — A t t e l a g e s

chiens» — L e Missionnaire

égaré

de

sur u n e mer de

n e i g e . — La t o u r m e n t e . — E s p é r a n c e s d o n n é e s par les tribus indiennes. BAIE D'HUDSON.

Lettres du R. P Laverlochère,

115-202

L e canot des Missionnaires s u s p e n d u sur u n a b î m e . — A r r i v é e à T é m i s k a m i n g . — Douleur et

résignation

des I n d i e n s catholiques. — Sainte m o r t d'une p é c h e ­ resse sauvage. — Les néophytes du l a c Abbitibbi. — U n e mission ambulante. — L a m e s s e célébrée dans les forêts. — L e C h e m i n de la Croix au fort M o o s e . — Aurore boréale. — L e s Indiens Makégons. — A p o s ­ tolat d'une sainte femme au fort A l b a n y . — Conver­ sion d'un

m a g i c i e n octogénaire

et lépreux. — La

femme anthropophage. — Mort édifiante d'une jeune indienne. — L e jeûne et la confession usités chez les sauvages. — Orage sur la mer de g l a c e . — La Baie Jaimes. — Vie des E s q u i m a u x . — L e s O u t a r d e s . — Les chiens de T e r r e - N e u v e . — L e s baleines. — Adieux les néophytes au Missionnaire. — U n mot de

recon-

aaissance à l'OEûvre.

OCÉANIE. L e t t r e d u R. P. H o n o r é L a v a l , Nouvelle mission aux îles P o m o t o u . — V u e de

302

Nouka-

hiva. — Audience royale. — G é n é r o s i t é chrétienne du chef d'OuapoU. — La ville de P a p é é l é . — F e r v e u r des catholiques de Tahiti. — Eloge des officiers français. L e t t r e d u R. P. Départ du

Havre.

Fonbonne,

320 - 355

Exercices religieux à bord. — V u e


488 de R i o - J a n e i r o .

— La n a t u r e ,

les funérailles

et

l e s n o i r s au B r é s i l . — C o u c h e r d u soleil à l'île d e s Etats. — Tempête

au cap Horn. — Description de

V a l p a r a i s o . — L e port d u C a l l a o . — L i m a e t S a i n t e R o s e . — T a h i t i e t la r e i n e P o m a r é . — N i d s d e t o r t u e s . — Missions p r o t e s t a n t e s . — A p o s t o l a t c a t h o l i q u e . A u t r e lettre du m ê m e ,

407

La véritable épreuve du Missionnaire,

souvenir de sa

famille. — Equipage d'une chaloupe française

mangé

par l e s C a l é d o n i e n s . — S o t t i s e d e s p h i l a n t h r o p e s i r r é ­ l i g i e u x . — Lettre d'un j e u n e W a l l i s i e n à s e s p a r e n t s . — I m p r e s s i o n s d e ce s a u v a g e transporté à P a r i s . — Les Océaniens sont des enfants. — Leurs commen­ taires s u r d e s p o u p é e s . L e t t r e d u R. P . M o n t r o u z i e r ,

361

U n naufrage à Woodlark.—Réconciliation

d e s tribus

e n g u e r r e . — Sot o r g u e i l d u s a u v a g e . — F a t i g u e s e t dangers d e s courses apostoliques. — Mythologie i n ­ d i g è n e . — O r i g i n e d u s o l e i l e t d e la l u n e . — Q u a l i t é s des naturels.

Lettre d u R. P . R o u g e y r o n ,

375

T o u s l e s M i s s i o n n a i r e s d ' A n n a t o m a t t e i n t s d e la f i è v r e . P e u d e c o n v e r s i o n s . — L a f e m m e é t r a n g l é e a la mort du mari. — L e s faiseurs de pluie. Autre lettre d u m ê m e ,

370

Résolution d'abandonnerla Nouvelle-Calédonie. — Der­ n i è r e visite à l ' é t a b l i s s e m e n t

de B a l a d e . — 23 néo­

phytes s'embarquent avec les Missionnaires. — L e u r piété p e n d a n t la t r a v e r s é e . — A r r i v é e d e la c o l o n i e a Fuluna. — Seconde émigration de Calédoniens. L e t t r e d u R. P . P e t i t - J e a n ,

389

P a r t a g e d e la N o u v e l l e - Z é l a n d e e n d e u x vicariats aposto­ l i q u e s . — A r r i v é e de Mgr V i a r d à W e l l i n g t o n . — P é ­ r i l l e u s e n a v i g a t i o n d u détroit de C o o k . — F a c i l e é r e c ­ t i o n d e s é g l i s e s . — Un h a m e a u d e 2 0 0 Z é l a n d a i s c a ­ tholiques. — Rapide fortune des ministres protestants. — Progrès de la colonisation anglaise. FIN

D E LA

TABLE

D U TOME

VINCT-TROISIÈME.

Lyon, imp. de J. B.PÉLAGAUD.






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