Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères. Tome sixième

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L E T T R E S ÉDIFIANTES

de cette commisération si naturelle à un honnête h o m m e à la vue des malheureux, il tâcha de la faire passer dans le c œ u r des O u t a o u a c k s , maîtres des prisonniers ; il m a n i a si adroitement leurs esprits, qu'il vint à bout de les rendre sensibles, et de les intéresser en faveur de la cause des misérables. Ils s'y portèrent avec u n zèle qui n e pouvait qu'infailliblement réussir. A peine la berge fut-elle assez près d u rivage, p o u r q u e la voix pût y porter, qu'un Outaouack, prenant fièrement la parole, s'écria d'un ton menaçant : Ces prisonniers sont à moi ; je prétends qu'on me respecte, en respectant ce qui m'appartient ; trêve d'un mauvais traitement dont tout l'odieux rejaillirait sur ma tête. Cent Officiers Français auraient parlé sur le m ê m e ton, que leurs discours n'auraient abouti qu'à leur attirer à eux des mépris, et à leurs captifs des redoublemens de coups : mais u n Sauvage craint son semblable, et n e craint que lui : leurs moindres disputes, vont à la mort ; aussi n'en viennent-ils guères là. L e s volontés de l'Outaouack fuient d o n c aussitôt respectées que notifiées : les prisonniers furent débarqués sans tumulte et conduits au fort, sans m ê m e q u e la m o i n d r e h u é e les y accompagnât. Ils furent d'abord séparés; ils subirent l'interrogatoire, o ù il ne fut pas nécessaire d'user d'artifices, pour en tirer les éclaircissemens qu'on souhaitait. L a frayeur dont ils n'étaient pas trop bien revenus leur déliait la langue, et leur prêtait, une volubilité qui a p p a r e m m e n t n'aurait


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