L'enfer du bagne

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L'ENFER

DU

BAGNE

La discussion se prolongea pendant plus d'une heure; mais les principes, sur lesquels s'appuyait l'imputation lancée contre Andréa, élargissaient toujours davantage l'abîme existant entre ses juges et lui. Plus intelligent, moins inculte, et d'esprit plus élevé et plus ncble, s'il tentait de s'affranchir des absurdes préjugés moraux imposés par t'« omertà » (1) de cas gens-là, il ne réussissait en fait q u ' à s'attirer davantage encore défiances et soupçons. Aussi ne discutait-il pas. Mais eux, de leur côté, lisaient trop bien dans le cœur de cet homme pour ne pas se sentir profondément scandalisés de son « immoralité ». — Compère Andréa — dit finalement Turridu — je regrette de me voir dans l'obligation de vous donner un conseil : il est préférable que vous vous en alliez volontairement d'ici. Et ainsi nous n'aurons pas l'humiliation et la douleur d'être obligés de chasser un compatriote. — M'en aller, moi? — se récria le coupeur, dans un élan de dédain et de fierté. M'en aller volontairement? Vous faites erreur, compère : j ' a i la conscience propre : me prenez-vous pour Tresoldi? Me chasse qui veut et qui peut : tant pis pour lui, s'il est assez injuste et assez vil pour oser me. faire injure en vue de plaire au chef d'atelier, l'homme lo plus infâme et le plus scélérat qui soit ici. Et ils se séparèrent, et ne se saluèrent plus. Deux jours près, Bon Petit, le filou milanais, était conduit au cachot pour avoir chanté, la veille au soir, dans le dortoir : il s'entendit appeler dans sa cellule sou(i) Faux principe d'honneur, d'après lequel lu plupart des gens de l'Italie méridionale croient déshonorant au plus haut point le fait de prêter s e c o u r 9 aux autorités pour appliquer la justice.


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