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VISIONS DE BAGNE
Il faut avoir vu, dans l'après-midi du samedi, ces messieurs mener à Bourail leurs « épouses » toutes pimpantes. A u bas de la vallée, parmi les plantes et les arbres, miroite une coulée d'eaux lentes et paresseu ses, où s'accroche du soleil. C'est la Néra — une petite rivière sur les bords de laquelle des pêcheurs à la ligne, forçats concessionnaires d'alentour, ta quinent le poisson, charmant ainsi leurs loisirs cham pêtres. Parfois la rivière déborde. P a s moyen, pour ces dames, de la traverser à gué sans risquer de gâter leurs dessous et leurs atours des grands jours. Alors les bagnards enlèvent leurs chaussures, retroussent leurs pantalons et chargent sur leur dos celle à qui ils ont promis, devant M . le Maire, aide et protec tion. Puis ils passent le petit cours d'eau et dépo sent leur précieux fardeau sur l'autre rive... Rien de plus idyllique, rien de plus frais que ce tableau délicieux renouvelé de Théocrite ou de Vir gile... C'est Daphnis emportant Chloé d'un bord à l'autre de la fontaine des Nymphes. Seulement ce n'est pas précisément pour offrir des guirlandes aux naïades protectrices que les Chloés du bagne accèdent ainsi à Bourail. P a r b l e u ! . . . Elles y viennent exercer leur ancien métier de pierreuses et charmer les loisirs des for çats richards et des fonctionnaires célibataires, en leur apportant un peu de joie voluptueuse. Puis, avec le sourire, docilement, elles repartent