De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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Soldat du devoir, je savais que c'était un maître jaloux et sévère, auquel on ne donnait point assez, même en lui sacrifiant tout, et dont la main ne s'ouvrait jamais pour payer ses serviteurs. Et cependant, j'ai trouvé à lui obéir plus de consolations que de mécomptes. Quand le malheur est venu à moi, avec son cortége habituel de déceptions, il m'a valu de larges compensations, ménagé d'heureuses surprises, et je puis dire aujourd'hui que, pour qui ne place pas avant tout la misérable satisfaction des intérêts matériels, la paix de la conscience est encore le premier des biens. Depuis mon retour, On m'a montré du doigt des transfuges et des traîtres que, sans cela, je n'aurais pu reconnaître sous l'appareil nouveau de leur scandaleuse prospérité. Ils passaient dans la foule, dédaigneux comme des parvenus; ils devaient être heureux, car leur chute n'avait pas été un accident, mais le but de toute leur vie, et cependant leurs regards se troublaient, leurs fronts se baissaient quand ils rencontraient quelqu'un de ceux qui les avaient connus au temps où déjà ils préparaient savamment leur trahison. J'en ai vu d'autres qui, après avoir payé noblement leur dette, sont venus tristement se briser contre l'écueil de leur vanité, possédés du besoin de paraître, voulant jouer à tout prix un rôle auquel ne les destinaient ni leur intelligence ni leur éducation, ils ont escompté leurs services passés à des 7.


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