Vingt années de la vie d'un négrier. 1

Page 157

LE CAPITAINE CANOT.

137

de l' escorte lui fit signe d’arrêter et s’opposa formellement au débarquement. Ce fut le signal d’un brouhaha général, tel que peuvent se l’imaginer ceux-là seulement qui ont résidé en Afrique et dont les oreilles ont été régalées du clabaudement d’une armée de singes. Notre grosse ambassadrice et maîtresse des cérémonies semblait consternée. Joseph exprimait son déplaisir et son inquiétude avec une incroyable volubilité. Je courus de l’un à l’autre pour m’informer de la cause d’un pareil contretemps; et après plus d’une demi-heure perdue à parlementer, j’appris enfin que le cortége de la princesse et le chef de l’escorte se trouvaient blessés : d’abord de ce que nous n’avions pas brûlé de poudre en leur honneur et pour saluer leur arrivée; secondement, de ce que nous n’avions pas étendu, depuis le rivage jusqu’à la maison nuptiale, des nattes sur lesquelles la princesse pût mettre son pied vierge sans le souiller. Tant que ces deux formalités impérieusement requises par l’étiquette ne seraient pas remplies, Comba ne débarquerait pas. Nous nous trouvions enfermés dans un fâcheux dilemme. Le difficile n’était pas le salut demandé; mais où Se procurer en un clin-d’œil une quantité suffisante de nattes pour en tapisser cinq cents mètres et plus, depuis la rivière jusqu’à la maison? Je crus le mariage manqué.

De son côté, Joseph portait la crête singulièrement nasse. D’abord il essaya de se disculper, en alléguant son ignorance des coutumes du pays. Il était à cent lieues de se douter que l’étiquette exigeât des nattes; sans cela il se serait pourvu des plus riches tapis. Le maître des cérémonies n’en demeura pas moins inflexible et ne Se relâcha pas d’un iota. A la fin notre grosse ambassadrice, s’approchant à son tour du personnage et se jetant à ses pieds, essaya de


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.