Les Antilles Françaises sous l'ancien régime

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L'INSTITUTION DES ENGAGÉS (1626-1774)

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des gens très grossiers, volontiers brutaux. Aide-chasseur, il est en outre chargé de préparer le repas du maître et le sien. Chargé aussi d'écorcher les taureaux et vaches tués, d'apprêter leur « cuir » (peau) pour la vente prochaine s'il est au service d'un des boucaniers qualifiés improprement chasseurs de « bœufs ». Ou bien, s'il est l'engagé d'un chasseur de sangliers, chargé alors, après le dépeçage, de « boucaner » (fumer) la viande, réservant une large portion pour l'équipe de chasse, le reste étant destiné à la vente. Il subit des châtiments corporels pour maladresse, négligence, lenteur, etc. Châtiments qui au reste deviennent espacés, finalement exceptionnels, à mesure qu'il s'accoutume aux difficultés et fatigues du métier, qu'il sait mieux vaincre les unes et ne plus ressentir les autres. La fatigue, les coups reçus, ne changent guère ses habitudes, qu'il soit ex-valet de ferme, ex-domestique à la ville, soldat libéré ou déserteur, ex-galérien, même artisan ou apprenti dégoûté de sa profession. Par contre, il éprouve la satisfaction de voir le maître qui l'avait acheté mener la môme vie que lui. Puis la satisfaction, également nouvelle, d'une nourriture abondante ; il l'apprécie d'autant plus qu'elle se compose, en très grosse part, de viande, mets qui en France était pour lui exceptionnel (surtout à la campagne). Parfois même, la côte n'étant pas loin, on capture une tortue et l'on se donne un friand régal assaisonné d'eau-de-vie ou de tafia (j'ai décrit ailleurs le festin d'un « boucan de tortue ») (32 bis). Son passé récent, sa présente vie sylvestre, le rendent peu difficile sur l'article vêtements : il enfile volontiers chemise, haut-de-chausse, casaque de grosse toile résistante ; sans barguigner il met les étonnantes chaussures de vache ou de porc, dont les boucaniers euxmêmes étaient les extraordinaires tanneurs (?!) et plus extraordinaires cordonniers ; d'un poing allègre il enfonce sur sa tête le vieux bonnet de drap ou le « cul de chapeau qui n'a de bord que par devant ». Et le dormir à la belle étoile, sous un climat chaud, sous un ciel qui presque toujours scintille merveilleux, lui paraît excellent, dans la tente de fine toile que le jour chacun porte roulée en bandoulière, et qui la nuit l'abrite des moustiques, — quand il se rappelle le couchage en un recoin d'étable, une ignoble chambrée de caserne, une soupente étouffante et puante d'apprenti, de •domestique ou d'artisan.


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