Chez nos Indiens, quatre années dans la Guyane française (1887-1891). Partie 1

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CHEZ NOS I N D I E N S .

sur une grande étendue, puis elles s'élèvent peu à peu. Les champs de roseaux à flèches ou de bambou sont nombreux à droite et à gauche ; quelquefois, dans les endroits marécageux, ce sont de hauts buissons de la cime desquels de gros iguanes se jettent dans la rivière en nous voyant passer. Des aigrettes, quelques canards s'envolent dans les pripris. A partir du petit saut de Noucounoucou, les rives s'élèvent sensiblement. Nous retrouvons le chêne d'Amérique, dont les glands finissent maintenant de tomber. Des nids de caciques sont suspendus aux branches des grands

arbres du

haut

desquels des familles de singes rouges et

de couatas, père, mère et petits, nous regardent passer. Les singes, rouges surtout sont très nombreux dans cette rivière ; on les entend hurler à toute heure de la journée ; les Indiens perdent beaucoup de flèches après eux. Nous vivons bien : le gibier et le poisson ne nous manquent pas. De plus, nous avons le caumou

et le maripa. Tous les jours nous allons

couper des caumous et abattre des maripas dans les forêts de la rive. Un peu en aval de la grande crique Oroye, affluent de droite de l'importance de l'Alama, se trouve, rive droite, l'arbre-sorcier des Bonis. Apatou, qui souvent monte, pour parler aux simples mortels, par-dessus les Alpes et le Caucase, se surpasse aujourd'hui, à l'occasion de l'oubiaoudou, l'arbre sacré ou sorcier des Bonis. Le dieu, grave et sourcilleux, daigne laisser tomber à dents serrées quelques mots inintelligibles qu'il faut recueillir l'oreille tendue, en se crispant les nerfs pour concentrer momentanément toutes ses facultés dans l'audition de l'oracle. Il tient sans doute de quelque imbécile de Français ce tic assommant, les enfants n'imitant jamais que ce qu'ils voient faire de mal ou de bête. Apatou dit qu'il a laissé « toutes bêtises bonis » et « toutes bêtises monpé » , c'est-à-dire qu'il n'a aucune des superstitions de sa tribu et qu'il ne croit pas à la religion des prêtres, mais il croit à Youbia-oudou,

l'arbre-

sorcier, et il va lui faire ses dévotions. C'est cet arbre, une espèce de fromager, qui donne le fameux poison d'épreuve.

Comme

cet arbre est unique

dans

toute

la contrée,

les

Bonis sont obligés de se rendre jusque dans le haut du Marouini quand ils veulent s'assurer de la bonne foi de quelqu'un. Ainsi, par exemple, deux personnes ont une contestation. Elles se rendent à l'arbre (il y a quinze jours de canotage de Cottica à l'oubia-oudou), elles se rendent à l'arbre et boivent de sa sève. L'individu qui est de mauvaise foi meurt dans les trois jours, enflé. Celui qui est de bonne foi ne ressent aucune incommodité. Vous, simple particulier, vous demandez au grand-man des


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