Recherche des bouches du Mississipi et voyage à travers le continent. Vol. 2

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IL RÉSOUT DE REMONTER PAR LES TERRES

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falloit faire pour arriver à l’Establissement, avec deux livres de poudre au plus. Le péril de ceux qui estoient restez derrière n'estoit pas moindre. Il ne leur restoit pas davantage de munitions, et ils estoient obligez de faire divers signaux pour en retrouver deux qui estoient esgarez, ce qui donnoit à connoistre de loin aux Sauvages le lieu où ils estoient ; mais l’espérance de trouver à la Belle et du secours et des munitions les rendoit moins défiants. Estant arrivé au poste le 24Mars, il leur envoya aussitost du secours et des munitions, et ensuite fut luy-mesme les prendre secret. Ils nous dirent aussy qu’ils s’estoient mariez dans ce village et qu’ils n’avoient point eu de peine à en apprendre la langue. Ils nous menèrent ensuite dans une grande cabane, où nous fusmes logez commodément. C’est de ces trois Sauvages que nous apprismes que nous n’estions esloignez que de quarante lieues de la mer; que les Sauvages chez qui nous estions faisoient la guerre à d’autres qui avoient relation avec les Espagnols, esloignez de la mer d’environ cent trente lieues; qu’il y avoit une rivière à trente lieues de nous, plus belle que le Mississipy, et deux autres à quinze ou vingt lieues, dans lesquelles on trouvoit l’or en gros grains et en poudre ; que les Sauvages s’en servoient seulement à faire des colliers et des bracelets, mais qu’ils les estimoient moins que certaines pierres rouges qui leur servoient pour le mesme usage

Après qu’ils nous eurent raconté toutes ces choses, mon frère voulut les engager à le suivre pour retourner à leur patrie ; mais ils luy respondirent qu’ils n’estoient pas assez dénaturez pour abandonner leurs femmes et leurs enfans ; que d’ailleurs, estant dans le pays le plus abondant, le plus sain et le plus pacifique du monde, ils manqueroient de jugement s’ils le quittoient, et s’ils s’exposoient à se faire assommer par les Islinois ou brusler par les Iroquois sur la route, pour aller dans un autre où les hivers estoient d’un froid insupportable, les estez sans gibier et les peuples tousjours en guerre ; mais que si les François bastissoient ou establissoient quelque colonie dans le Mississipy, qu’ils s’en approcheroient et qu’ils auroient le plaisir de leur rendre des services considérables. Environ la fin de Janvier, nous nous séparasmes de nos braves Chaouanons, qui ne purent pas nous accompagner jusques au Mississipy, de crainte qu’on les soupçonnast de vouloir nous suivre, mais ils engagèrent dix ou douze guerriers à nous conduire. Le 10e Mars nous reconnusmes le fleuve du Mississipy, où nous laissasmes quelques hommes dans un petit réduit de piquets, que nous fismes nous mesmes, et, retournant sur nos pas, nous repassasmes par le village de nos Chaouanons, où nous fusmes regalez autant que ces bonnes gens le pouvoient faire, et, continuant nostre marche, nous nous rendismes à la baye de Saint-Louis le 30e du mois de Mars 1685.


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