Les nègres en politique; couleur, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe. Tome I-2

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et le quittent, emmenant avec eux les conseillers généraux et maires du canton de PortLouis. Leur désaccord entraîne du même coup de graves dissensions à la municipalité de Pointe-à-Pitre dont Jean-François était le premier adjoint109. La première manche est pour les scissionnistes puisque Boisneuf leur abandonne le titre du journal770 et fonde un autre organe de presse, en novembre 1918. La facture du nouvel organe est simple, dépouillée même, mais le titre est évocateur de l'état d'esprit de René-Boisneuf : La Petite Patrie. Le nouvel organe qui reprend en bandeau la devise qui fut celle du Libéral111 ne se réclame d'aucune idéologie, déclarant que son titre à lui seul résume son programme d'intention; il se veut "l'organe des braves gens de la

Guadeloupe”112. Si la popularité personnelle de Boisneuf semble sortir à peu près intacte de l'épreuve, le parti boisneuviste est électoralement déstabilisé par cette scission qui le prive d'un seul coup d'une partie de ses élus locaux. Jean-François et Dubois s'en vont rejoindre le courant radical des anciens réachistes de la Basse-Terre113, regroupés autour des journaux Le Citoyen et La Liberté et des anciens partisans basse-terriens de GéraultRichard. Une jonction politique anti-boisneuviste s'amorce avec les restes des partisans grand-terriens de Gérault-Richard représentés par Lara. Pour s'éviter un isolement politique, Achille René-Boisneuf se tourne alors vers son collègue de la Chambre, Candace114. Ils n'ont que peu d'affinités mais ont collaboré loyalement dans l'action parlementaire pendant la durée de la guerre. Boisneuf joue la

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: Les motifs purement politiques de la séparation n'apparaissent pas clairement, sinon cette accusation portée par Jean-François d'autoritarisme et le reproche fait à Boisneuf de vouloir accaparer tous les postes politiques. A la faveur de la polémique, on apprendra que les divergences couvaient en réalité depuis 1906, et que dès cette époque Jean-François avait émis le souhait d'être candidat dans la deuxième circonscription. 110 : Le Libéral ne survit pas à la scission. 111 : "Fais ce que dois, advienne que pourra !" 112 : Cf; La Petite Patrie n°l, 23 novembre 1918. (Source : ADG; 4 Mi 188) 113 : dont Wilffid Jean-Romain, Labique, Béville. 114 : Gratien Candace, né en 1873 dans une famille de petits cultivateurs de la petite bourgade du Baillif (Basse-Terre) avait émergé assez tardivement sur la scène politique puisque c'est seulement en 1910, qu'il présenta pour la première fois sa candidature à une élection. Mais, il était à cette date déjà connu en Guadeloupe, non comme militant ou politicien, mais comme intellectuel nègre sympathisant de la cause négriste socialiste. Il s'était fait connaître des milieux politiques en faisant des articles et donnant conférences sur des sujets savants. Il passait surtout comme l'exemple même de la réussite professionnelle d'un nègre issu de condition modeste qui avait pu poursuivre des études supérieures (de sciences naturelles) et faire, en France, une belle carrière de professeur d'école normale. Entre 1906 et 1909, Candace est attaché à plusieurs cabinets ministériels. Il décide alors d'entrer en politique, et comme certains hommes de cette première génération d'intellectuels nègres (l'ancien médecin particulier du Négus, le docteur Vitalien est un autre exemple) sollicite les suffrages des électeurs guadeloupéens sur un programme promotionnel et socialisant. Après un premier échec devant Gérault-Richard en 1910, il est élu député de la circonscription de la Basse-Terre à la législative partielle de 1912, suite au décès de ce dernier, en partie avec les voix des électeurs de son ancien adversaire.


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