Les nègres en politique; couleurs, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe. Tome I-1

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canne payée aux petits planteurs par les usines stagne. Ce mouvement de baisse des revenus tirés du travail de la canne s’accentue pour culminer au moment de la récolte de l’année 1902. Remarquons toutefois que contrairement à sa voisine martiniquaise, la Guadeloupe ne connaît pas de grands mouvements sociaux avant l’année 1902, alors que la baisse des revenus du travail s’effectue dans des conditions drastiques. L’une des raisons que l’on peut avancer pour expliquer cet apparent déficit en luttes sociales, tient à l’importance en Guadeloupe du secteur informel, dont nous analysons infra la fonction régulatrice40 . Outre les baisses de salaires, les usiniers resserrent les conditions de l’exploitation. Les sources témoignent d’une tendance à la généralisation de certaines pratiques qui aboutissent à une surexploitation de la main d’oeuvre agricole, et particulièrement des ouvriers d’habitation : la pratique du piquant ou retenue sur salaire, quand le travail est jugé mal accompli, le recours plus systématique aux towmblaks41, viennent parachever la surexploitation et la dépendance de la main-d’oeuvre agricole. Parallèlement, les exigences du travail se renforcent : à la récolte de 1902, le travail à la tâche est généralisé en remplacement du travail à la journée42. Mais c’est surtout le change, véritable dévaluation de 34 % du franc local décidé par la Banque de la Guadeloupe pour permettre aux usiniers, dans la conjoncture de crise, de régler leurs créances, qui, conjugué à l’assimilation douanière (1892) privilégiant les denrées importées de la métropole, entraîne un surcoût des denrées d’importation et une flambée des prix à la consommation. Dès 1895, la hausse des prix est générale, mais elle est amplifiée pour les denrées de base alimentaires et les produits de consommation courante, d’autant plus que les négociants pratiquent coalitions et ententes pour maintenir des prix de détails élevés. Ainsi, la livre de

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: Cf; nos développements : section de Chapitre III-2. : Il s'agit de bons en papier, émis par les usines en guise de paiement et valables seulement dans les boutiques d'habitation dépendant du centre. 42 : Le travail à la journée était rémunéré "par quinzaine" sur la base d’une journée de travail de six à sept heures en moyenne. Ce système de rémunération permettait aux travailleurs de toucher leur salaire, une fois " la journée" effectuée et de vaquer dans l’après-midi à leurs jardins ou à d’autres activités de subsistance. La rémunération à la tâche suppose que la tâche fixée, dépassant la journée ordinaire de travail car généralement très lourde et indexée sur les capacités de travail des plus robustes, soit entièrement achevée. Voir entre autres : Anonyme. La propriété, le travail les travailleurs à la Guadeloupe. Paris, Morris, 1879. Et surtout Le rapport d’enquête du Conseiller Salinières. Origines et causes du mouvement gréviste de Février 1910. Basse-Terre, Imprimerie du gouvernement, 1910. 41


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