Les nègres en politique; couleurs, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe. Tome I-1

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grains de poivre), chivé kòdé (cheveux entortillés, pareils à de la corde tressée), chivé maré (cheveux emmêlés), chivé rèd (cheveux durs), môvé chivé ("mauvais" cheveux) s'opposent à

chivé plat (cheveux plats), gran chivé (cheveux lisses et longs), chivé fen (cheveux fins) ... et surtout au terme qui englobera le tout, bèl chivé

64.

Notons enfin, l'existence d'une panoplie quasi illimitée de mots dévalorisants attachés à la désignation de l'individu. Soit par référence à l'évidence d’un phénotype négro-africain :

nèg Ginné, nèg Sénégal, Moudonng, Kongo,...65; soit par assignation d'une aire spatiale liée aux travaux de la terre : nèg bous (nègre de brousse), nèg bitasyon, nèg bitako (nègre d'habitation), nèg boloko (rustre), nèg bwa (nègre des bois), ... ou préjugeant des qualités humaines dans une projection négative de l'être : mové nèg (mauvais nègre, nègre méchant),

vyé nèg (nègre misérable), ti nèg ("petit" nègre, nègre méprisable, de peu d'envergure), nèg mawon (vagabond, mauvais sujet, bandit)... Cette profusion lexicale, que nous avons ici arrêtée aux termes les plus explicites de la couleur, illustre, à notre sens, la parfaite intégration de l'idéologie de couleur par le segment noir de la population. De l'autonomisation de l'ordre des couleurs à sa translation dans la société en marche vers l'abolition ; le processus s'est poursuivi au travers de deux phénomènes concourants : D'une part, on observe une fixation de l'ordre hiérarchique des couleurs. Dans le tableau correspondant, nous donnons une approche des perceptions visuelles que recouvrent les taxons les plus communément utilisés dans la période considérée. Pour la commodité de manipulation de ces combinaisons, nous les avons ramenées à quatre grands types66 qui resteront désormais nos référents taxonomiques de la catégorisation coloriste. • type 1 : sangs-mêlés et métis clairs • type 2 : mulâtres 64

: Même remarque que pour "bèl po". "bèl chivé" signifie toujours "cheveux fins " ou "cheveux lisses et longs". Notons que ces expressions se retrouvent dans toute l'aire afro-américaine. Ainsi en Jamaïque, "bad hair', "good hair"... (voir Rex Nettleford. Mirror. mirror. identity. race and protest in Jamaica. Collins Sangster. 1972.) 65 : Ces appellations étaient à l'origine des désignations indicatives de la nation d'origine. C'est sans doute après l'abolition de l'esclavage qu'elles sont devenues des dénominations dépréciatives. 66 : Entendus au sens de " phénotypes". On remarquera que le terme a quasiment le même sens en créole et dans l’usage local du français. Encore aujourd’hui, il est commun que deux personnes ne se connaissant pas, et ayant pris rendez-vous par téléphone, soient amenées à se définir par leurs types en guise de signe de reconnaissance.


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