Paysans, Systèmes et Crise. Travaux sur l'agraire haïtien. Tome 2 : Stratégies et logiques sociales

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264 nombre de travaux pour lesquels, dans le cas contraire, on ne les appellerait pas. C'est alors la possession de l'outil de base - la truelle - qui leur permet de revendiquer le statut d'associé et les distingue des simples employés ou apprentis. Mais là encore, l'enquête fait apparaître des distinctions fondamentales entre plusieurs catégories de maçons. - Ceux qui ont pu se procurer les outils leur donnant accès aux travaux plus élaborés et se sont construits une réputation de maçons confirmés (Tanante, Bonè, Noelsim). Ce sont eux qui réalisent les caveaux funéraires, savent tailler les pierres et monter un mur en blocs de ciment. Il est à noter que ces artisans, même s'ils sont les mieux placés des cinq enquêtés, ne disposent pas toujours de tous les outils nécessaires ; ainsi, seul Tonante dispose d'une pelle. Les autres devront emprunter ou, le plus souvent, louer, un outil aussi utile. Dans la région, un gros paysan propriétaire de nombreux jardins et usurier possède plusieurs pelles qu'il loue aux artisans locaux. S'il leur prête, ce qui arrive parfois, c'est en échange d'une contre prestation - un travail de maçonnerie en général - qu'ils devront lui rendre à leur tour. Les artisans de ce premier groupe sont aussi ceux qui sont les plus favorisés lorsque l'on considère leurs moyens de production agricole. Seul Noelsim, le plus jeune, n'a pas encore acheté de terres ; il se situe néanmoins sur une trajectoire ascendante, puisqu'il prend des jardins en "potek". Tonante, le mieux placé de tous (seul possesseur d'une pelle) a acheté 0,75 ca. et des animaux qu'il rétrocède en gardiennage. Socialement, ces artisans se rattachent au groupe des scieurs de long et menuisiers peu valorisés, qui ont des possibilités d'accumulation, mais peu considérables. - Les "petits" maçons tels Vilma et Elison, auxquels on fait appel pour les tombes et les glacis n'ont que leur seule truelle. Il s'agit en fait d'une main-d'œuvre peu spécialisée et qui trouve là un complément de revenu à une activité agricole insuffisante. (Elison, 0,75 ca. seulement pour une famille nombreuse), ou devenue trop pénible (Vilma, 60 ans). Eux aussi doivent louer les outils complémentaires. Notons à ce propos que Vilma ne possède pas la truelle qu'il utilise ; elle appartient à un ami que Vilma rémunère en lui cédant une partie de ses gains ou en lui offrant la réalisation d'un service occasionnel. Pour ce groupe, la rémunération du travail est particulièrement faible. Rappelons, pour mémoire, une troisième catégorie qui échappe à notre enquête : celle des artisans ayant appris à Portau-Prince qui possèdent une gamme d'outils plus large et sont socialement les plus valorisés. Eux se rattacheraient au groupe des ébénistes les mieux valorisés.


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