Un Parisien dans les Antilles

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PREMIÈRE PARTIE. — LA TRAVERSÉE.

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J’ai subi cela et ne connais pas de plus grand supplice : aussi ai-je passé les premiers jours avec un bandeau sur les yeux. « Il faut manger, vous dit le steward. — Il faut manger », reprend le docteur. Alors commence un défilé de ragoûts plus faits pour vous rendre malade que pour vous soulager : De l’oie aux navets, de la morue salée, de l’omelette aux oignons, du hareng à l’huile et autres friandises cherchent tour à tour à vous séduire. Votre estomac s’indigne, se révolte, et, franchement, comment lui en voudrait-on? « Il faut vous lever, vous dit le steward. — Il faut vous lever », reprend le docteur. Pendant une heure vous méditez cet avis. Tout à coup, saisi de rage, vous mettez les pieds sur le parquet. Grand Dieu !... quel souvenir ! Les vagues se dressent gouailleuses et viennent heurter la lucarne. Le plancher monte et descend. Tous les objets accrochés à la muraille se dandinent lentement. L’eau conserve son niveau dans la cuvette qui se balance. Votre cœur se soulève, vos oreilles bourdonnent, vos tempes se mouillent, des frissons secouent vos membres, et vos jointures fléchissent. Brisé, découragé, vaincu, vous retombez inerte sur votre lit de douleur. « Vous avez tort, vous dit le steward. — Vous avez tort, reprend le docteur. — Il faut monter sur le pont. — Il faut monter sur le pont. » Depuis le départ, la mer est affreuse.


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