Aventures de guerre au temps de la République et du consulat. Vol.2

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EXPÉDITION DE CORK.

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Nous venions de remonter à cheval lorsqu’une scène étrange attira mon attention. D’un enclos adjacent au faubourg partaient les cris d’une multitude d’animaux qui répondaient à des cris humains non moins rauques et discordants. Ceux-ci étaient un appel, une excitation ; ceux-là manifestaient le désir, l’impatience, la colère d’une immense quantité de chevaux, de bœufs, de taureaux frappant la terre de leurs pieds ou heurtant de toute la puissance de leurs cornes la clôture qui les tenait renfermés. Une partie de ces animaux avaient été saisis pour solder des impôts arriérés ; d’autres, pour acquitter le loyer des plus misérables chaumières ; le plus grand nombre, pour payer la dîme à l’Église anglicane. Ils avaient été parqués hors la ville afin d’etre vendus à l’encan le lendemain. Leur enlèvement était entré dans le projet de notre expédition nocturne, et s’il n’avait pas été effectué, c’est que l’officier chargé de cette entreprise n’avait pu résister à l’envie de prendre part avec son détachement à l’attaque de la caserne, qui lui paraissait plus glorieuse. A défaut de forces militaires, une foule de femmes et d’enfants s’étaient rassemblés pour tenter de recouvrer leurs bestiaux. Toutefois, ils n’osaient en approcher, crainte de l’ennemi, et ils entretenaient de loin avec eux le colloque bruyant et passionné dont j’avais cherché vainement l’explication. En reconnaissant la voix de ceux qui les avaient nourris, tous ces animaux avaient poussé des cris d’allégresse ; mais en voyant qu’on tardait à les délivrer, ils entrèrent en fougue, et, se ruant contre l’enceinte qui les retenait en captivité, ils la renversèrent et sortirent par la brèche serrés en masse, jetant de sauvages et effrayantes clameurs et faisant trembler le sol sous le galop furieux de leur colonne lancée dans la plaine impétueusement. Quelques heures après, tous avaient retrouvé, avec un admirable instinct, le toit domestique qui les avait vus naître. De retour au camp des insurgés, je m’établis dans l’une de ses baraques, croyant y trouver le sommeil profond que la fatigue m’avait préparé ; mais, poursuivi par l’image des événements dont je venais d’être témoin, je revis dans mes rêves l’assaut de la caserne fortifiée et le massacre de sa garnison ; j’entendis les cris lamentables de ceux qu’on égorgeait, et l’impression qu’ils firent sur moi fut si violente que je me réveillai. Quand j’ouvris les yeux, je les entendis encore. C’était, au lieu d’une illusion, une funeste réalité. A quelques pas, un homme couché à terre, garrotté comme


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