Aventures de Guerre au temps de la République et du consulat. Vol.1

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AVENTURES DE GUERRE.

cisses gigantesques. Sur l’orle des escarpes se penchaient des arbres robustes dont les racines étaient cramponnées à des basaltes, et dont la cime servait de hune à des cordages formés par des milliers de plantes volubiles, qui descendaient jusque dans la vallée, et tenaient lieu de haubans aux nègres fugitifs pour escalader la berme de la rivière. Au-dessus du ht caverneux du torrent qui s’enfonçait comme une tranchée obscure dans les flancs de la montagne, on voyait se dresser les hautes régions du volcan, couvertes de forêts bleues. Quand les nuages n’en dérobaient pas la vue, le sommet du cône, crénelé par les pitons de ses cratères, apparaissait à l’extrémité de cette immense perspective, qui joint à la majesté des Alpes la beauté gracieuse des Pyrénées. Tout ce paysage, où la nature prodiguait tant de fécondité, n’était pourtant qu’un désert; et pour m’y reconnaître, bien m’en prit de savoir mon chemin par cœur. Je trouvai, dans l’escarpement qui bordait la gauche du torrent, un sentier qui se repliait vingt fois sur lui-même, et qui pourtant était si rapide qu’il n’était possible de le descendre qu’à la ramasse, sans pouvoir se tenir debout. La grande terrasse à laquelle il me conduisit n’était que la première des trois assises que je devais gravir. J’arrivai à la dernière, par un chemin sinueux qui me sembla pratiqué plutôt pour les chèvres que pour les hommes. J’étais enfin au bout du prologue de mon voyage. Au milieu d’un jardin, dont les cultures offraient autant d’abondance que de variété, s’élevait une case appuyée à la montagne et encadrée dans un bois de lataniers. Des clôtures épineuses de campêche en rendaient l’accès difficile, et des chiens vigilants la gardaient. Leurs cris appelèrent le maître du logis, qui vint au-devant de moi. C’était un vieux nègre ridé, balafré, mais encore robuste et dispos. En étudiant sa figure qui, comme celle de ses semblables, paraissait inerte, on y découvrait de la résolution et de la malice cachées sous une feinte stupidité. En l’abordant je lui demandai s’il n’était pas le citoyen Lubin, ancien caporal dans l’armée française, à la Guadeloupe ; l’orgueil de sa contenance, bien mieux que sa réponse entortillée, m’ayant montré que je ne me trompais point, je fis un geste convenu, et je lui dis le mot d’ordre : « Ça bon ». Il répondit aussitôt : « Ça ben bon », et fit un signe de reconnaissance ; puis, convaincu qu’il trouvait enfin quelqu’un de sa religion politique, il se mit à crier : « Vive la République ! vive le général ! au diable les Anglais ! » Cette bruyante effusion fit


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