Soulages

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l’outrenoir

On a beaucoup écrit sur l’outrenoir et, sur ce point, je ne suis moi-même pas en reste. Soulages a inventé ce terme, sur le modèle probable d’outremer, en 1990 et le commentaire très précis qu’il en a fait en 1996 n’appelle aucun développement supplémentaire. Sinon celuici : s’agissant de l’outrenoir, il faut oublier, lecteur, la défense et illustration de la reproduction photographique que vous venez de lire, et vous fier plutôt à cette autre réponse de Soulages : « La photographie réduit la multiplicité du temps à l’unité de l’instant, elle écrase sur la toile l’espace que crée devant elle la lumière et, ne pouvant restituer l’éclat ni la fluidité de la lumière réfléchie par le noir, elle traduit les reflets par des gris différents. C’est ainsi que la reproduction de ces toiles les renvoie, malheureusement à une conception classique de la peinture. » J’ajoute : la photo propose une image de la toile, avec une unique répartition des clairs et des sombres, quand la caractéristique même de l’outrenoir c’est de proposer des surfaces qui basculent du sombre au clair et du clair au sombre lorsque le regardeur change de point de vue. La surface de ces toiles offre au regard la potentialité d’une infinité d’images lumineuses dont aucune ne peut prétendre en retenir la vérité picturale. Il faut donc aller voir l’outrenoir. Depuis 1979, où Soulages pour la première fois a recouvert la totalité de la surface de la toile d’une épaisse couche noire dont la texture, striée par la brosse ou lissée en aplat renvoie la lumière par reflet, cette pratique a beaucoup évolué, faisant vivre avec cet unique pigment noir des toiles d’une diversité insoupçonnable. Le domaine de l’outrenoir, que Soulages désigne aussi comme noir lumière, est particulièrement celui du très grand format. A Toulouse, on en verra deux ensembles majeurs, caractéristiques de traitements nettement différenciés de la surface : les neuf polyptyques carrés ou horizontaux

présentés dans la grande salle du sous-sol et les cinq grands tétraptyques verticaux qui accueillent les visiteurs à l’entrée de l’exposition, fixés dans l’espace sur des câbles tendus entre la voûte et le sol de la nef, quatre d’entre eux étant présentés dos-à-dos selon un dispositif inauguré par Soulages au musée de Houston en 1966 – métaphore saisissante de son affirmation constante que la peinture ne fait pas fenêtre mais mur auquel se confronte le regard. Le visiteur pourra y distinguer deux grands types : les polyptyques de 1985-1986 d’abord, où joue maximalement l’opposition entre les surfaces lisses et les surfaces striées, et, partant, la bascule des clairs et des sombres au changement de point de vue. C’est le cas des Polyptyques A, E et G composés de quatre éléments horizontaux superposés de 81 x 362 cm, et du tétraptyque dédoublé Peinture 162 x 724 cm, mars 1986, format le plus allongé de toute l’œuvre de Soulages, formé de quatre éléments semblables aux précédents mais juxtaposés deux à deux. Dans ces très grands tableaux, où l’élément formel, outre le format qui en est partie prenante, est volontairement réduit au rythme des oppositions lisse/strié, le regardeur est amené à combiner les différentes lectures latérales avec une réappropriation de l’ensemble en vue simultanée. Avec mars 1986, Soulages pousse à l’extrême l’obligation d’un regard latéral dans lequel les valeurs lumineuses d’un même point s’échangent nécessairement. Les autres polyptyques outrenoirs donnent à voir un tout autre travail de lumière. Qu’il s’agisse de l’immense Peinture 290 x 654 cm, janvier 1997, ou des quatre polyptyques de 324 x 181 cm, présentés dos-à-dos dans l’espace, les surfaces y sont intégralement traitées à l’horizontale, en stries rectilignes et parallèles, mais différent en épaisseur d’un élément à l’autre et parfois à l’intérieur d’un même élément. Soulages fait jouer ici maximalement la continuité lu-


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