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Marc Mercier à propos de Ekke Nekkepenn
Marc Mercier à propos de Ekke Nekkepenn (2010)
Les habitants de Sylt frémissent à l’écoute d’un conte qui évoque l’existence d’un monstre marin que nul ne peut nommer. Nous touchons-là le cœur du problème. L’innommable.
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Comment se défendre quand on est dans l’incapacité de
nommer l’ennemi ? Ce n’est pas pour rien qu’à la partie la plus vulnérable de l’humanité, on ait donné le nom d’enfant. Mot qui provient du latin classique infans qui signifie « qui ne parle pas ». Nous demeurons enfants tant que nous ne sommes pas en mesure de désigner ce qui nous entoure, de nommer ce qui nous protège, nous aime, nous veut du bien…, et ce qui nous menace, nous détruit, nous tire vers la mort. […] C’est l’un des atouts de la musique de pouvoir exprimer l’innommable. Oui, le mot est ici bien choisi : ex-primer. Faire sortir, par une pression, ce qui est contenu, détenu, retenu par la mer, comme le jus d’un fruit.
C’est pourquoi nous pouvons parler d’une évocation sonore à propos d’Ekke nehhepenn, ou d’une musique hors limites. Hors des limites de la mer et hors des limites de ce que l’on appelle communément de la musique. Cette composition est encore de la vidéo, elle donne à voir. Elle est même télévisuelle puisque qu’elle donne à voir de loin. On pourrait même s’aventurer à dire que Samuel Bester invente là une composition télévidéosonore tant ce qu’il porte à notre attention est transformé, au moyen d’un système électronique, pour que l’objet évoqué (le monstre) soit sans cesse déterritorialisé. Le monstre n’est pas perçu in situ. Il est traqué par l’imaginaire technologique, il est cerné par le sensible, il est hors de portée. Mais ne croyez pas vous en sortir pour autant. Le monstre est bien là. Ce que nous percevons n’est peut-être, au bout du compte, que notre innommable musique intérieure.