COLLAGE : instrument de critique | MÉMOIRE DE MASTER

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DEL’ ARTÀ L’ ARCHI TECTURERADI CALE DEVASCONCELOSSALOMÉ



LE COLLAGE, MOYEN DE PROVOCATION ET INSTRUMENT DE CRITIQUE Du cubisme à l’architecture expérimentale des années soixante Les cas anticonformistes Archigram et Superstudio

Salomé De Vasconcelos Sous la direction de Daniel Bonnal Séminaire « Entre Arts et Architecture » École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse Année 2020-2021



Merci à mon directeur de mémoire, Daniel Bonnal, pour son écoute, ses réponses et son accompagnement. Merci à Renata Surcan pour sa présence, sa bienveillance, sa patience, sa relecture et son aide tout au long de l’écriture de ce mémoire jusqu’au rendu final. Merci à Léa Sévenier pour son aide et son calme dans ce sprint final. Merci aussi à Maheva Khouane pour nos quelques discussions, sa relecture et son soutien. Merci à l’équipe Ouest Architecture pour m’avoir encouragée à persister dans ce sujet. Merci aussi Guillem Pons Ros de m’avoir permis de prendre des jours de repos malgré les échéances des projets au bureau afin de pouvoir terminer la rédaction de ces pages. Merci aussi pour les quelques échanges que l’on a eus à ce sujet, qui m’ont éclairée sur la voie à suivre. Merci à mes amis et à ma famille pour leur soutien moral durant ces quelques mois difficiles. Merci surtout aux bibliothèques/librairies restées ouvertes malgré la crise sanitaire que nous traversons tous ; sans lesquelles je n’aurais pas pu avoir accès aux ressources nécessaires. Merci aussi aux conférenciers et architectes qui ont tout de même maintenu leurs événements en ligne. Enfin, merci à toutes les personnes ayant contribué indirectement à l’accomplissement de ce travail.


AVANT-PROPOS Suite à une licence à l’ENSA de Toulouse et une année d’Erasmus à l’ETSA de Valence, l’intérêt que j’ai pour la technique du collage n’a cessé de grandir. C’est pourquoi le choix du sujet de mémoire m’est apparu évident. Pendant cette année de mobilité, j’ai focalisé mon attention sur les cours que je suivais avec, en tête, l’idée de rentrer à Toulouse pour conclure mon premier semestre de master 2. Toutefois, acquérir une expérience professionnelle avant d’entrer dans la vie active est une étape qui semble indispensable à une bonne intégration dans ce métier, c’est pourquoi j’ai décidé d’effectuer une année de césure afin de faire quelques stages en agence à Bruxelles. Ce qui m’a permis de libérer du temps, en parallèle, pour avancer et finir ce travail. En discutant brièvement autour de moi durant ces deux mobilités, ainsi qu’avec mon directeur de mémoire, le choix d’analyse s’est orienté sur la naissance et l’histoire du collage à travers l’art et l’architecture au XXe siècle, apogée de cette technique de représentation. En tant que simple utilisatrice de ce moyen de communication et de conception, j’ai été intriguée d’en savoir plus. En me renseignant un peu plus sur le thème, je me suis rendue compte de l’étendue du sujet et des problématiques d’étude possibles. Il fallait alors recontextualiser le collage, son arrivée, son usage dans tous les arts (musique, littérature, arts plastiques, cinéma, etc.) puis en architecture. Après la lecture d’un certain nombre d’ouvrages, d’articles, de thèses et le visionnage de quelques documentaires, j’ai décidé d’écarter certains aspects du sujet pour me concentrer uniquement sur la production visuelle. C’est tout naturellement que j’ai resserré mon travail sur deux collectifs d’architectes que j’affectionne mais dont je ne connaissais pas les fondements ni les travaux : Archigram et Superstudio.


Tout au long de notre parcours, tant à l’école que dans la vie professionnelle, nous nous sommes tous retrouvés face aux superbes images créées par ces deux groupes de jeunes architectes, pionniers de la réflexion sur l’architecture dans une société de consommation de masse d’après-guerre. Par leur incroyable production graphique, ils ont tenté d’examiner les problèmes de leur époque tout en critiquant fortement l’architecture rigoureuse et sévère du moment. Malgré leur jeune âge et leur novicité, ils sont parvenus à s’imposer comme des penseurs importants de leur époque en intervenant et en incitant directement les étudiants à être des acteurs du monde auquel ils appartiennent. Par conséquent, l’objet d’étude de ce mémoire se porte sur le collage comme moyen de production d’images anticonformistes au XXe siècle, aussi bien dans l’univers artistique qu’architectural.


CRISTIANO TORALDO DI FRANCIA, 1982

‘I ALWAYS BELIEVED THAT THE SCHOOL HAS ONE OF THE MOST IMPORTANT ROLES WITHIN SOCIETY, THAT OF FORMING A CRITICAL AWARENESS CAPABLE OF PROPOSING ALTERNATIVES TO THE CULTURAL, SOCIAL AND ECONOMIC SYSTEM IN WHICH WE LIVE. UNDER FORMAL EDUCATION, CREATIVITY IS OFTEN RELEGATED TO TECHNICAL-EXPRESSIVE PROCESSES; IT IS RARELY CALLED UPON IN THE EVALUATION OF BEHAVIOURAL MODES AND INSTITUTIONS - IN THE STIMULATION OF SOCIAL CHANGES. WE SHOULD VIEW THE FUNCTION OF EDUCATION IN THE LIGHT OF ITS LATIN ETYMOLOGY: E-DUCERE = TO GUIDE OUT OF ... THIS, I FEEL, IS THE TRUE FUNCTION OF SCHOOL THAT OF TRYING TO LIBERATE THE CRITICAL CAPACITY OF THE STUDENT. METAPHORS AND PARADOXES ARE AMONG THE MEANS USED TO PROVOKE ORIGINAL THINKING. OUR ONLY HOPE FOR ESCAPING DEFINITION BY THE ROLES IMPOSED UPON US IS THE EMERGENCE OF A CREATIVE-CRITICAL APPROACH TO SOCIETY, AN APPROACH WHICH RENDERS CLEAR THE MAP OF THE DISTRIBUTION OF POWER IN THE TERRITORY.’


‘J'ai toujours cru que l'école a un des rôles les plus importants au sein de la société, celui de former une conscience critique capable de proposer des alternatives au système culturel, social et économique dans lequel nous vivons. Dans le cadre de l'éducation formelle, la créativité est souvent reléguée aux processus techniques d'expression ; elle est rarement mise à contribution dans l'évaluation des modes de comportement et des institutions - dans la stimulation des changements sociaux. Nous devons considérer la fonction de l'éducation à la lumière de son étymologie latine : e-ducere = guider hors de ... C'est, à mon sens, la véritable fonction de l'école - celle qui consiste à essayer de libérer la capacité critique de l'élève. Les métaphores et les paradoxes font partie des moyens utilisés pour provoquer une pensée originale. Notre seul espoir d'échapper à la définition des rôles qui nous sont imposés est l'émergence d'une approche créative et critique de la société, une approche qui rend la carte claire de la répartition du pouvoir sur le territoire.’


SOMMAIRE

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INTRODUCTION

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I. DU COLLAGE DANS L’ART AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE …

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1. ‘INVENTION’ DU COLLAGE : 1912, DATE CLÉ

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1.1. Fragmentation de l’image : cubisme 1.2. Une technique en mouvement : futurisme

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2. MOYEN D’EXPRESSION PUISSANT DÈS 1920

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2.1. Diverses méthodes de collage : dada 2.2 L’œuvre d’art totale : merz

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3. LA SOCIÉTÉ, UNE BASE ICONOGRAPHIQUE

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3.1. Miroir du consumérisme : collage Pop Art 3.2. Tremplin vers l’image d’architecture


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II. … À LA PRATIQUE RADICALE D’ARCHIGRAM ET SUPERSTUDIO DANS LES ANNÉES 1960-1970

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1. ÉMERGENCE DU COLLAGE ET IDÉOLOGIE DES DEUX GROUPES

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2. UN ANTICONFORMISME PUISSANT DANS L’IMAGE

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2.1. Des images qui rendent compte du progrès 2.2. Un outil de représentation au service d’une révolte 2.3. Visualisation des utopies négatives

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3. IMPACT DE LEURS PRATIQUES DU COLLAGE DANS LE DOMAINE ARCHITECTURAL

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CONCLUSION

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GLOSSAIRE

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BIBLIOGRAPHIE

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ICONOGRAPHIE



INTRODUCTION Le monde du XXe siècle est marqué par une succession d’événements qui viennent bouleverser la société, les mentalités et surtout les avancées en matière de technologies. En réaction à ces événements, des mouvements de soulèvement et de contestation émergent. Ce monde s’est de plus en plus standardisé après la révolution industrielle et les diverses guerres qu’il a connues pendant ce siècle. De plus, l’envie de se défaire des traditions fortement ancrées dans la société, va conduire les artistes et les architectes à chercher un moyen de rompre avec ces traditions. C’est dans ce contexte que le domaine artistique voit l’explosion d’une technique particulière de représentation : le collage. Elle marquera le point de départ d’une violente critique à l’égard des conditionnements de cette société, même si ‘le procédé collagiste n’est pas né avec le XXe siècle.’ 1 En effet, l’ère préhistorique montre déjà une démarche d’ajout de fragments d’os aux peintures dans les grottes pour figurer des parties d’animaux. 2 Mais, c’est après la révolution de l’image par les cubistes et les futuristes que l’art amène un renouveau de la technique. Dans les années 1910, les artistes trouvent, avec le collage, une nouvelle manière de représenter le monde. A partir de ce moment-là, le domaine de l’art ne va cesser de tester des méthodes jusqu’à l’utiliser de manière à critiquer la société dans laquelle ils vivent. Comme l’écrit Margaret Miller, ‘le collage, a été le moyen par lequel l’artiste incorpore la réalité dans la peinture, sans l’imiter.’ 3 C’est par cette volonté de rupture avec une tradition 1 Jean-Marc Lachaud, Collages, montages, assemblages au XXe siècle, volume 1, L’art du choc, Paris, L’Harmattan, 2018, p.21. 2 Ibid. 3 Extrait de William C. SEITZ, dans The Art of Assemblage, New York, The Museum of Modern Art, 1961. Lu dans Stéphanie Jamet-Chavigny,

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de mimésis, d’imitation de la nature, que la recherche d’une fragmentation dans l’image voit le jour. Ce moyen de représentation puissant leur permet de créer de manière iconoclaste, en rébellion face à un académisme qui semble désuet. Cette réaction va conduire à la création d’une série de sous-techniques (assemblage, montage, frottage, etc.) du collage, lui-même défini comme l’art d’introduire des éléments du réel à la production d’images 4. C’est à partir de cet ensemble de réflexions que dans les années 1950, les architectes introduisent le collage à leur pratique. Mais au lieu de se révolter contre l’académisme, c’est la société, mais aussi l’architecture moderne qu’ils veulent critiquer. C’est avec les groupes d’Architecture Radicale 5, notamment Archigram et Superstudio, que cette volonté de rompre avec l’architecture moderne devient virulente. De nombreux auteurs, artistes et architectes ont déjà théorisé sur le collage. En particulier, comme renouvellement d’une réflexion théorique qui se veut critique et qui cherche à réviser l’art et l’architecture d’une période historiquement fragile, comme l’explique Jean-Marc Lachaud, philosophe et théoricien de l’art, dans Collages, Montages, Assemblages au XXe siècle : l’Art du choc. 6 Ce livre, qui traite une multitude d’œuvres, analyse ainsi l’art du XXe siècle jusqu’au pop art, qui marque pour l’étude un basculement vers l’image d’architecture. Il montre également comment les techniques de Françoise Levaillant et Sandrine Meats, L'art De L'assemblage : Relectures, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p.18. 4 J-M Lachaud, Collages, montages, assemblages …, op. cit., p.72. 5 ‘Architecture qui revient à ses racines, qui requestionne les conditions de vie des individus. On oublie le geste d’organisation de la cité pour requestionner les relations que nous voulons avoir avec notre environnement.’ Elsa Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 19691971’, Un podcast, Une œuvre, Centre Pompidou, février 2019. 6 Jean-Marc Lachaud, Collages, montages, assemblages au XXe siècle, volume 1, L’art du choc, Paris, L’Harmattan, 2018.

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collage offrent de puissants mondes visuels qui critiquent la société dans laquelle ils ont été produits. Pour aller plus loin que le domaine artistique, Jennifer Shields, architecte, propose pour la première fois de parcourir le collage comme outil de communication et de conception pertinent pour analyser le monde. Avec Collage and Architecture, 7 elle montre les héritages et les diverses liaisons entre l’art et l’architecture avec le collage. Elle développe comment il peut être un précieux outil du domaine architectural, qui évolue et aiguise le regard de l’architecte sur le monde. À partir de là, il est important de resserrer les visions en se concentrant sur l’objet d’étude. Simon Saldler, professeur au département de Design et d’Histoire de l’Art, a écrit quant à lui un premier récit critique et historique du groupe Archigram, connu comme une avant-garde architecturale ultramoderne des années 1960. Il propose donc de théoriser, dans Archigram : Architecture Without Architecture, 8 sur la manière dont le ‘petit groupe au magazine’ concevait. Celui-ci mettait en avant, dans ses collages, le produit de consommation et la technologie plutôt que la construction de bâtiments. Il explique ainsi la vision du groupe face à une architecture moderne qui persiste à dominer le paysage architectural. Enfin, Peter Lang et William Menking, éditeur pour l’un et historien de l’art pour l’autre, écrivent un essai sur Superstudio. Le livre Superstudio : Life Without Objects, 9 dépeint le scepticisme puissant du groupe envers la société et l’architecture. Ils expliquent aussi, comment ce ‘Super bureau’ a marqué le champ architectural par sa philosophie et surtout son imagerie de ‘rêve’. À partir de ces références explicites sur l’histoire, Jennifer A. E. Shields, Collage and Architecture, New York, Routledge, 2009. 8 Simon Sadler, Archigram: Architecture Without Architecture, Cambridge, Mass: MIT Press, 2005. 9 Peter Lang et William Menking, Superstudio : life without objects. Milan, Skira, 2003. 7

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l’émergence et la pratique du collage, plusieurs interrogations émergent. À l’heure actuelle, le collage est utilisé en permanence comme un outil de communication et de conception visuelle dans la pratique architecturale. Il est vrai qu’à l’ère du numérique, ces images tendent plutôt à représenter des spatialités et créer des atmosphères autour du projet qu’à véhiculer un message de mécontentement dans une attitude contestataire. En quoi la pratique collagiste, apparue dans l’art du XXe siècle, peut-elle être exploitée comme un moyen de provocation et un instrument de critique, notamment dans le travail d’Archigram et Superstudio ? Quelles sont donc les particularités des techniques artistiques des avant-gardes pour véhiculer leur révolte ? Comment Archigram et Superstudio, élèves et successeurs des démarches de ces mêmes avant-gardes, sont-ils parvenus à ébranler la conception architecturale à travers ce médium et à renverser les dogmes de l’architecture moderne ? Afin d’explorer ce puissant outil de conception et de communication, cette étude reprend, un à un, une sélection de mouvements artistiques (cubisme, futurisme, dada/merz, pop art) qui semblent pertinents pour le sujet. Le développement de leurs contextes, de leurs pratiques collagistes sera mené dans le but d’avancer pas à pas vers le tournant du siècle : l’explosion de la société de consommation. La compréhension d’un outil aussi divers et complexe est introduite par l’observation et la prise en compte d’un corpus important sur le sujet. Les artistes et architectes du XXe siècle, dans leur relation ambiguë avec la société, semblent être les pionniers en matière de révolution de l’image. En effet, le collage permet d’appuyer le regard de l’architecte sur le monde, la société, etc. Ils semblent avoir renversé les codes de représentation

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avec cet outil et ils ont très certainement influencé les générations futures. Tout d’abord, la première partie révèle comment le contexte historique et l’évolution d’une pratique du collage à travers le domaine artistique a transcendé la production d’images. Elle pose les bases de sa création et son utilisation singulière depuis son émergence. Le but étant d’expliquer de quelles manières les artistes parviennent à critiquer un système, une société et des traditions qui les révoltent. Pour comprendre les préoccupations communes aux architectes de ce siècle, la fin de cette première partie montre l’appropriation de la technique en architecture. C’est ainsi que la deuxième partie explore les cas anticonformistes, anti-utopiques, antimodernistes et radicaux d’Archigram et Superstudio, à travers leurs larges productions de collages, utilisés exclusivement dans une démarche critique.

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I. DU COLLAGE DANS L’ART AU XXe SIÈCLE … 1. ‘INVENTION’ DU COLLAGE : 1912, DATE CLÉ 1.1. Fragmentation de l’image : cubisme Dans une volonté de rompre avec la perspective et la photographie, qui prenaient de plus en plus de place sur la peinture, les cubistes ont introduit une nouvelle façon de composer et de peindre, en phase avec la modernité. Cependant, comme l’écrit Jean-Marc Lachaud, les défenseurs du Grand Art avaient accueilli avec le plus grand mépris cet art nouveau qui va à l’encontre des règles traditionnelles, le rabaissant ‘au rang des arts mineurs’. 10 C’est en 1912 que naît le collage comme nouveau langage dans le monde des arts visuels. En introduisant des objets physiques dans la peinture, Pablo Picasso crée son œuvre phare ‘Nature morte à la chaise canée’ [1]. Après de longs débats, elle sera reconnue comme la première signature de collage, même si l’apparition de la technique n’a jamais vraiment été attribuée à un moment précis dans l’histoire de l’art. ‘Le collage est symptomatique d'une crise fondamentale de la représentation, présentant directement des fragments de la réalité plutôt que de les représenter’ 11, écrit Martino Stierli. Picasso a délibérément choisi d’insérer dans sa peinture une forme de réalité en collant un morceau de toile cirée imprimée d’un motif de paille tressée, imitant le dessin du cannage d’une chaise au lieu de le reproduire. Sa manière peu ‘orthodoxe’ de 10 Extrait de Groupe Mu, ‘Douze bribes pour décoller’, Collages, Revue d’Esthétique, n° 3-4, 1978, p. 28. Lu dans J-M Lachaud, Collages, montages, assemblages …, op. cit., p.11. 11 Martino Stierli, ‘Mies Montage’, AA Files, n° 61, 2010, p.65.

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composer l’image agit comme un véritable trompe-l’œil puisqu’il ne colle pas une chaise mais un objet qui la représente. La mise en relief ‘de matériaux issus de la vie quotidienne, relativement peu transformés par l'artiste, a empiété sur le domaine traditionnellement privilégié de la peinture’ 12 signale Christine Poggi. Picasso abandonne donc la forme conventionnelle de représentation en peinture, la perspective entre autres, pour un éclatement des surfaces. La texture du matériau et la facture de l’œuvre sont des éléments qui vont l’intéresser particulièrement. Chaque élément qui a été collé reprend le champ lexical du bistrot parisien (la chaise, le mot ‘JOU’ pour journal, la rondelle de citron, le verre, la coquille Saint-Jacques, la pipe), sujet très en vogue chez les cubistes à ce moment-là. En jouant avec l’abstraction des formes, il ajoute des touches de peinture sur la toile cirée, celle-ci étant collée à la composition, et la corde qui encadre l’œuvre lui donne du relief. ‘Grâce à Picasso la matière et la texture ont pris vie, ce qui, dans leur mise en œuvre dans notre vie quotidienne, même si elle est souvent incomprise et hors du domaine de l'individu, a un effet stimulant.... Le lien avec les expériences élémentaires de la matière, avec les "valeurs tactiles" et la "facture" est particulièrement tangible chez lui.... La maîtrise intuitive de ces domaines dans le domaine de l'optique, traduite en connaissance de cause, bien conseillée, constitue un élément de base de la nouvelle éducation.’ 13 Picasso signe ici une œuvre qui vient perturber la pureté de la surface graphique et l’audace avec laquelle il est parvenu à remettre en question les codes classiques de représentation – à savoir la manière dont une œuvre d’art doit représenter, ce 12 Christine Poggi, In Defiance of Painting: Cubism, Futurism, and the Invention of Collage. New Haven, Yale University Press, 1992, p.1. 13 Hellmuth Sting, Der Kubismus und Seine Einwirkung auf die Wegbereiter der Modernen Architektur, thèse, Rheinisch-Westfalischen Technischen Hochschule, 1965, 88.

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qu’elle peut représenter ou non, les matériaux qui peuvent être utilisés ou non, etc. – font de cette réalisation un incontournable de l’histoire du collage, émanant une puissance qui, aujourd’hui encore, fascine. La même année, Georges Braque met au point ‘Compotier et verre’ [2] et invente ce que l’on appelle ‘les papiers collés’, œuvre bidimensionnelle offrant une nouvelle façon de créer. ‘Le papier collé est défini comme un type de collage dans lequel des fragments de papier sont utilisés pour leur forme, leur couleur, leur motif et/ou leur signification - typiquement du papier journal, du papier peint ou du papier de couleur unie - conjointement avec d'autres supports tels que des huiles ou des charbons. Ces fragments peuvent être peints avec une texture avant d'être appliqués sur le collage afin qu'ils puissent signifier un autre matériau ou objet.’ 14 Avec cette nature morte, il transgresse les méthodes classiques de composition en ajoutant des bandes de papier peint imitant le bois à ses dessins au fusain. La technique de papier collé, simplement créée pour impressionner Picasso, va révolutionner la pratique du collage. À partir de ce moment-là, les deux artistes ne vont cesser d’innover et de tester des assemblages de matériaux et de textures afin de créer des œuvres de plus en plus abstraites. En composant avec uniquement quatre morceaux de papiers, Picasso parvient à faire apparaître une guitare dans son œuvre ‘Guitare, partition et verre’ [3]. La volonté d’effacer une quelconque distinction entre les genres et les médias va conduire ces artistes à inclure des écrits à leurs collages, remettant ainsi en question la peinture et la sculpture. Christine Poggi écrit que ‘les collages de Picasso étaient construits avec moins de précision, déchirant souvent le 14

J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.20.

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papier et laissant en place les épingles qu'il avait utilisées pour élaborer la composition, révélant ainsi les méthodes de construction. En revanche, les collages de Braque montrent des traces de marques de crayon et de trous d'épingle dans une attention portée à l'artisanat.’ 15 [4] Ainsi, la découpe et l’inclusion de matériaux inhabituels apparaissent dans les productions cubistes, on cherche à créer une image nouvelle à partir d’une multitude d’autres images épluchées dans divers types de supports, donnant une signification nouvelle à l’image finale réalisée. Les fragments de journaux, de publicités, ou en provenance de tout autre média, s’imposent dans les tableaux. Tout sujet ou objet peut alors devenir de l’art. En adoptant une attitude iconoclaste et révolutionnaire, les cubistes, après avoir bouleversé l’art conventionnel, vont changer la manière de produire l’art, ce qui va influencer l’évolution de leur mouvement et par la même occasion celle de l’art moderne du XXe siècle. Pour Moholy-Nagy, ‘l'une des principales leçons à tirer du collage cubiste réside dans sa capacité à manipuler les matériaux, désormais utilisés non plus comme un conduit transparent vers une restitution proche du réel, mais plutôt pour mettre en valeur ses propres caractéristiques.’ 16 Les artistes cubistes ne cherchent plus à représenter des images fidèles à la réalité mais plutôt de manipuler des objets ayant certaines propriétés physiques afin de faire ressortir ce qu’ils veulent mettre en avant. En effet, au lieu d’utiliser un matériau qui va représenter une texture réelle (par exemple un papier imprimé d’une texture de bois pour imiter le bois), ils vont commencer à décontextualiser l’objet qu’ils utilisent afin de signifier un matériau qu’ils veulent C. Poggi, In Defiance of Painting…, loc.cit. Eric K. Lum, Architecture as Artform : Drawing, Painting, Collage, and Architecture 1945-1965, thèse, sous la direction de Mark Jarzombek, Massachusetts Institute of Technology, Architecture, 1999, p.219. 15 16

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retranscrire dans le collage. Les qualités tridimensionnelles de ces éléments manipulés et l’action de les coller les uns sur les autres, dispensent l’artiste de devoir dessiner la perspective. Leurs épaisseurs respectives donnent de la profondeur à l’image. Ainsi, chaque élément sort de la toile, à des plans différents, vers le spectateur qui peut facilement comprendre la composition. Le collage, qui apparaît comme nouvelle technique de composition avec les cubistes, permet d’introduire de nouvelles dimensions à l’œuvre, tant plastique que critique ou sociale. Hal Foster dira de la pratique cubiste que : ‘la valeur, la signification, a été manifestement produite à partir de la différence matérielle ; et dans la matérialité, la signification a été montrée comme étant impliquée, dialectiquement, avec d'autres domaines sociaux, politiques et économiques.’ 17 Autrement dit, le sens que l’artiste a l’intention de donner à l’œuvre est induit, non seulement par l’utilisation de divers matériaux possédant des qualités plastiques et sémantiques propres, mais aussi par le dialogue qu’ils entretiennent. À la même période, les futuristes, qui sont aussi en pleine recherche d’une nouvelle manière de produire de l’art, vont s’approprier la technique de manière beaucoup plus virulente en insérant une autre dimension, celle du temps. L’œuvre d’art devient alors une image tridimensionnelle en mouvement possédant des caractéristiques tactiles et visuelles particulières, ainsi qu’un message de révolte ou politique.

17 Extrait de Hal Foster, ‘Some Uses and Abuses of Russian Constructivism’, Art Into Life : Russian Constructivism 1914-1932, éd. Henry Art Gallery, Richard Adams, et Milena Kalinovska, New York,Rizzoli, 1990, 253. Lu dans J. A. E. Shields. Collage and Architecture, op. cit., p.64.

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Pablo Picasso, Nature morte à la chaise canée, 1912


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George Braque, Compotier et verre, 1912

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Pablo Picasso, Guitare, partition et verre, 1912


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George Braque, Nature morte au verre et lettres, 1914

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1.2. Une technique en mouvement : futurisme L’arrivée de l’ère industrielle, des machines, de la vitesse et de la modernisation des moyens de transport va complètement ébranler l’art de ce temps. Influencés par les néoimpressionnistes mais aussi et surtout par les cubistes, qu’ils découvrent en 1910, les artistes futuristes font tabula rasa des traditions picturales du passé et prônent une nouvelle esthétique, éphémère et favorisant le progrès, la modernisation. Né dans un contexte de tensions politiques et sociales, le futurisme s’affiche comme une avant-garde rapide, violente, réactionnaire et ces artistes voient en la guerre un moyen de repartir à zéro. Leur haine pour la peinture ancienne va entraîner une profonde volonté de rupture avec toute forme d’harmonie et appuyer l’explosivité du monde moderne, affirme Jean-Marc Lachaud. 18 Filippo Marinetti déclara même dans le Manifeste du Futurisme, qu’‘admirer un vieux tableau c’est verser notre sensibilité dans une urne funéraire, au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d’action !’ 19 Pour lui, tout symbole de tradition et d’apprentissage classique, aussi bien les bibliothèques que les académies italiennes, doivent être détruites. Les musées sont, à son sens, la première chose à évincer pour la mise en place d’une éducation nouvelle : ‘Musées, cimetières !… Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas. Dortoirs publics où l’on dort à jamais côte à côte avec des êtres haïs ou inconnus. Férocité réciproque des peintres et des sculpteurs s’entretuant à coups de lignes et de couleurs dans le même musée.’ 20 Cet appel à un renouveau va conduire la création J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p. 26. Filippo Tommaso Marinetti, ‘Manifeste du Futurisme’, Le Figaro, 55ème année, 3ème série, n°51, 20 février 1909, p.1. 20 Ibid. 18 19

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d’un ensemble d’œuvres picturales [5] abondant qui utilisent des techniques novatrices et des matériaux insolites pour l’époque. Le collage fait alors son apparition dans l’univers des futuristes qui peuvent à présent façonner des images qui reflètent un rejet profond des expositions muséales, dans une volonté de désacraliser l’œuvre d’art. Les futuristes, motivés par les avancées fulgurantes de leur temps, vont utiliser l’abstraction géométrique, qui leur permet de transmettre ‘la vitesse et le dynamisme de la vie moderne, souvent par des gestes radiaux et des diagonales’ 21, héritée de l’art cubiste entre autres. Toutefois, les artistes futuristes trouvent que les cubistes n’inséraient pas assez de fragments et d’objets trouvés à leurs productions. C’est pourquoi, des artistes, tels que Carlo Carrà par exemple, tendent à imaginer le collage comme une extension de l’art traditionnel, qui conserve donc l’unité de la composition, tout en intégrant des éléments urbains du quotidien, visant à dénoncer l’attachement européen excessif aux valeurs du passé. Fanette Roche-Pézard affirme, dans sa thèse ‘L’aventure futuriste’, que : ‘la découverte du collage, de la sculpture et de l'assemblage introduit une véritable révolution dans le travail du groupe par la libération du matériau, par l'accroissement des échanges entre forme et espace.’ 22 Les futuristes exercent un art pluridisciplinaire et intègrent une palette de couleurs spécifique à leurs assemblages, qui tendent vers le bleu, le vert et le jaune. La particularité de leurs productions est l’ajout de mots ou d’onomatopées qui traduisent les sonorités du monde moderne, comme les bruits de machines ou de mouvement (‘vroom’ ou ‘tuumb, tuumb’ par exemple, pour exprimer le bruit d’une voiture). Marinetti crée le collage Irredentismo [6], en 1914. Celui-ci fait J.A.E. Shields, Collage and architecture, loc. cit. Fanette Roche-Pézard, L’aventure futuriste : 1909-1916, Rome, École Française de Rome, 1983, p.400. 21 22

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référence à la revendication territoriale italienne sur l’Europe, liée au mouvement nationaliste. Dans ce collage, les éclairs fléchés, formés par les lignes agitées de l’œuvre, ainsi que les onomatopées expriment cette volonté italienne d’expansion. Le geste, dans le dessin, donné à ces éléments, exprime ce mouvement en direction de l’Autriche. C’est ainsi que les futuristes parviennent à traduire de manière plastique ce qu’ils appellent le discours des moteurs et des machines, en découpant et en collant des lettres ou des mots tirés de magazines ou de revues. A cet effet, Carlo Carrà compose le collage Atmospheric Swirls-A Bursting Shell [7], en 1914, représentant le souffle d’un obusier. L’éclatement des formes, disposées de manière centrifuge, et les diverses tailles de lettres représentent la fulgurance de l’obus. Cette machine de guerre, ressemblant à un canon, est le sujet central de l’œuvre même s’il n’est pas représenté explicitement. Grâce aux formes circulaires au centre à gauche ainsi qu’au tube, qui peut être distingué au milieu de la composition, l’artiste suggère les roues de l’obusier. Il appuie l’effet produit par le mouvement en insistant sur la dispersion de fumée dans l’atmosphère et le bruit que génère l’explosion. Cette même explosion est marquée par des onomatopées comme ‘Zang Tumb Tuum’ dont les divers Z sont accentués par des triangles en papier collés. Les futuristes créent ainsi des collages avec une certaine forme de langage et accordent donc une importance aux mots qu’ils collent. À la différence des artistes cubistes, qui utilisent des mots pour faire comprendre une idée mais sans conserver le sens du texte, les futuristes ne les emploient pas seulement comme des moyens graphiques afin de densifier le collage, sinon comme des éléments chargés en signification. C’est ce que Fanette Roche-Pézard explique lorsqu’elle affirme que ‘le texte imprimé, découpé, collé par les futuristes peut certes

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avoir son importance matérielle, chromatique, sa texture particulière, son aspect fruste ou éclatant, il peut donc être considéré comme une surface de couleur qui joue son rôle dans la composition d'ensemble, mais il n'en perd pas pour autant, au contraire, sa signification linguistique.’ 23 Alors qu’il est assez rare dans les productions cubistes d’avoir affaire à un texte collé qui a du sens, les futuristes introduisent un véritable message à travers l’usage des mots, dans leur collage, de façon systématique. À titre comparatif, l’usage du texte est différent dans l’œuvre cubiste Violon et Pipe. Le Quotidien de Georges Braque [8] et dans le Portrait de Paul Fort [9] réalisé par le futuriste Gino Severini. De son côté, Georges Braque utilise les morceaux de papier journal pour leur texture, afin d’imiter la réalité et de signifier la présence d’un journal dans cette composition. Le sens du texte n’a pas vraiment d’importance, c’est l’acte de découper dans la page et l’usage du matériau en soi, détourné pour former le violon, qui comptent. Cette manipulation est la caractéristique principale des collages cubistes. En revanche, le texte dans l’œuvre de Severini prend du sens. Il rend hommage à son ami et beau-père, en représentant les différentes facettes de cet homme, exprimées à travers un collage, dont les couleurs et les papiers collés trouvent une grande symbolique. 24 L’homme est d’abord représenté en peinture, par des traits dynamiques futuristes, puis par différents objets réels tels qu’une lavallière, une petite boîte à tabac, une épingle de cravate, un binocle ainsi qu’une moustache, placée au centre de la composition. Autour de cette dernière, plusieurs éléments sont peints et collés ; les pages imprimées sont apposées dans leur entièreté afin d’être lues par la personne qui regarde l’œuvre. Parmi ces ajouts, une carte de visite fait référence à la personne physique et morale qu’il était : dessus est inscrit son identité (nom, Fanette Roche-Pézard, L’aventure futuriste : 1909-1916, Rome, École Française de Rome, 1983, p.405. 24 J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p. 27. 23

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prénom, sexe) mais aussi son métier, à savoir poète et directeur de revue. L’être social se distingue par un programme de théâtre, une couverture de sa revue Vers et prose ainsi que la liste de ses collaborateurs. En bas à gauche, il y a également une page de son bulletin bimensuel Poèmes de France, qui relate l’épouvantable bombardement du 19 septembre 1914 de la cathédrale de Reims, et l’indignation de Paul Fort contre l’action allemande, donnant à l’œuvre un ton militant. Afin de dédramatiser le ton sérieux de l’œuvre, l’artiste retranscrit une citation du poète en haut du tableau, avec une typographie, considérée comme enfantine, aux lettres roses, possédant une petite faute d’orthographe volontaire. En 1914, Carrà dispose en désordre les images qu’il utilise dans son collage Manifestation interventionniste [10], composé de papiers collés, de gouache et d’encre. L’œuvre en forme d’hélice est dynamique et symbolise un mouvement, celui de la vie. L’utilisation de ces matériaux divers, contenant des mots dont la disposition en spirale sur le support en carton permet de marquer un rythme, matérialise l’ensemble des sons que l’on entend ou voit au quotidien. L’artiste place les mots en vortex de telle manière, que le spectateur a l’impression que les sons arrivent de tous les côtés, mettant ce dernier au centre de l’œuvre. On y trouve des poèmes, des articles de journal, des publicités, des slogans soutenant l’armée et des drapeaux italiens peints à plusieurs reprises. Les mots font référence à l’agglomération, à la ville, au sport, aux couleurs, aux odeurs, à la musique ainsi qu’aux sons. Cette recherche multisensorielle est l’une des principales caractéristiques du mouvement futuriste. Se sentant fortement concerné par les événements de la première Guerre Mondiale, dont il fera partie en s’engageant, Carrà va réaliser en 1915, dans son recueil Guerrapittura, un photocollage dont on parle peu : Ufficiale francese che osserva

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le mosse del nemico [11]. Christine Poggi écrit à ce sujet qu’‘ici, l'artiste a simplement collé une photo de journal du général Joffre sur un dessin par ailleurs très abstrait d'un soldat en marche.’ 25 Ici, on observe une autre différence majeure avec les collages cubistes. En effet, elle poursuit en affirmant que ‘bien que les cubistes aient également utilisé des coupures de journaux dans leurs collages, ils n'ont pas fait allusion à la menace de guerre ou aux controverses politiques de leur époque de manière si directe et instrumentale.’ 26 Il est vrai qu’en 1914, les futuristes vont fortement utiliser la presse de guerre concernant l’Italie et le rôle qu’elle joue, alors que les cubistes utilisent des matériaux plus neutres comme du papier peint, du sable, des cartes à jouer, du papier journal quelconque, sans connotation politique donc. On peut même dire qu’à cette période, le collage s’essouffle dans les travaux cubistes, alors que pour les futuristes, il représente le meilleur outil de propagande. Ce début de siècle est fortement marqué par une volonté de rupture avec l’art du passé, dans un premier temps, et par le contexte de la guerre dans un second temps. À partir de 1912, année qui, comme on le sait, marque un tournant dans la pratique, les peintres cubistes et futuristes s’influencent mutuellement jusqu’à créer une sorte d’hybridation dans les productions plastiques entre les deux mouvements. Le cubofuturisme 27 dépassera même les deux courants en effectuant une véritable fusion des styles et des gammes de couleurs, dans des tons ocres et sables. C’est notamment le cas dans l’œuvre Still Life with Tray [12], représentant une nature morte de l’artiste Liubov Popova, qu’elle réalise en 1915. Ce collage est un bon exemple de la fusion entre le futurisme dynamique et le cubisme statique. En effet, dans cette composition, C. Poggi, In Defiance of Painting: Cubism, Futurism, op.cit.,p.26. Ibid. 27 J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p. 26. 25 26

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l’artiste mélange des coupures de journaux, de bouts de papier peint collés sur la peinture et d’une boîte de crayons de charbon de bois, dans une gamme chromatique relevé par des touches de bleus, de rouges et de vert. La multitude de courants artistiques qui émergent au même moment, qui s’influencent mutuellement et développent chacun des pratiques du collage distinctes, provoque une confusion dans la compréhension de l’évolution de la technique. C’est pourquoi il est essentiel de repérer l’enjeu critique du collage dans chacun d’entre eux afin de saisir son évolution jusqu’à son aboutissement dans les années 60, dans le travail d’Archigram et Superstudio. Vers la fin des années 1920, ce mode de représentation est utilisé à la fois comme instrument politique mais aussi à des fins didactiques ou de propagande afin de célébrer la civilisation technologique. L’idéologie suivie par les artistes feront du futurisme plus un art de vivre qu’un mouvement artistique et sera plus tard associé au fascisme. Cependant, c’est à partir de ce ‘mouvement ’que l’on lie l’art à la société, comme support de contestation, de révolte, de provocation, de satire ou de parodie. Ces thématiques seront le champ d’exploration du dada, qui sera le mouvement ayant le plus utilisé le collage comme instrument critique.

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Gino Severini, Red Cross Train Passing a Village, 1915


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Umberto Boccioni, Visioni simultanee, 1912

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Filippo Marinetti, Irredentismo, 1914


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Carlo Carrà, Atmospheric Swirls-A Bursting Shell, 1914

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Georges Braque, Violon et Pipe. Le Quotidien, 1913


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Gino Severini, Portrait de Paul Fort, 1915

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Carlo Carrà, Manifestation interventionniste, 1914


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Carlo Carrà, Ufficiale francese che osserva le mosse del nemico, 1915

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Liubov Sergeevna Popova, Still Life with Tray, 1915


2. MOYEN D’EXPRESSION PUISSANT DÈS 1920 2.1. Diverses méthodes de collage : dada Né à Zurich au début de la Seconde Guerre Mondiale, ‘dada est une protestation’ 28 écrit Tristan Tzara – certainement la plus marquante du XXe siècle - qui se considère comme un anti-art. En tant qu’avant-garde à l’origine de l’art moderne, dada remet en question la définition du ‘beau’, ce qui lui permet de se démarquer de ses prédécesseurs en donnant la possibilité au non-art de faire son entrée dans le domaine artistique. Fortement liés au climat politique du moment, opposés au régime en place à l’époque, réfractaires à la guerre, et réactionnaires face à un système culturel et social qu’ils ne cautionnent pas, les dadaïstes vont adopter le collage. Dans une volonté de rupture totale avec l’ordre établi, aussi bien en art que dans la société, les artistes dada s’approprient la pratique et vont produire un très grand nombre d’images, cassant ainsi les codes de l’esthétique et faisant d’elle leur principal outil de communication. Avec les dadaïstes, tout est art et leur démarche artistique prend une dimension ‘politique’ contre l’académisme ; on le voit très bien lors de la première foire internationale dada de 1920 dont le slogan, inscrit sur une affiche, clame ‘L'art est mort ! Vive le nouvel art mécanique de Tatline !’ 29 [13] Cette affiche semble prôner les avancées techniques permises par les machines de ce temps, et est placée près d’une œuvre de Raoul Hausmann ‘Tatline vit à la maison’. [14] Dans ce collage, qui montre la fusion entre le 28 Citation de Tristan Tzara dans Raoul Hausmann, Courrier Dada. Paris, Editions Allia, 1992, p.141. 29 M. Stierli, ‘Mies Montage’, loc. cit. Traduction de l’affiche : ‘Die Kunst ist tot. Es lebe die neue Maschinenkunst Tatlines’.

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personnage aux allures bourgeoises et les pièces automobiles, Hausmann parvient à transcrire la volonté dada d’harmonie entre les techniques, l’art et le quotidien avec tout de même une dimension critique par rapport au progrès technique favorisé à l’époque. C’est entre fascination et répulsion vis-à-vis de la machine, que Georges Grosz crée l’œuvre ‘Souviens-toi de l'oncle Auguste, le malheureux inventeur’. [15] De retour de la Guerre et ‘animé d’un sentiment de dégoût violent envers la société et les valeurs qui l’ont rendue possible’ 30, Grosz participe à la foire dada, qu’il organise avec John Heartfield. Il ajoute un point d’interrogation sur le front de la figure masculine, afin d’accentuer ses doutes quant au progrès technique qui a permis cette guerre, qui lui semble inhumaine. À un moment où ‘tous les efforts de développement sont au point mort’ 31, signifiés par l’attitude du personnage aux bras ballants, ce progrès qui était censé élever le confort et la condition humaine, a été utilisé à des fins dévastatrices pendant la Grande Guerre. C’est pourquoi Heartfield écrira à propos de l’œuvre, dans le catalogue de la foire, que comme ‘toute possibilité d’évolution est étouffée dans l’œuf. Ne survit que cette habitude de boutonner la veste avec soin jusqu’au cou, suivant la devise : "Modeste mais honnête".’ 32 Grosz, qui s’interroge donc sur le rôle de ce progrès, après avoir intégré le parti communiste, reprend, pour la première fois en 1919, la technique de collage, initié par les cubistes. Cette œuvre devient alors une véritable attaque visuelle à caractère politique contre les institutions liées à la guerre. ‘Une lecture formaliste tend à 30 Didier Ottinger, ‘Remember uncle August, the unhappy inventor/Souviens-toi de l’oncle Auguste, le malheureux inventeur‘, Centre Pompidou. https://www.centrepompidou.fr/es/ressources/oeuvre/tNdteTj 31 Wieland Herzfelde et Brigid Doherty, ‘Introduction to the First International Dada Fair’, October, vol. 105, 2003, p.103. 32 D. Ottinger, ‘Souviens-toi de l’oncle Auguste, le malheureux inventeur‘, loc.cit.

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désaccentuer le contenu politique (de ce) montage, alors qu'une interprétation plus sémantique l'accentue,’ 33 écrit Martino Stierli à ce propos. Il va utiliser des éléments disparates, en lien avec la société de ce temps, ayant des significations singulières mais qui, une fois mis ensembles, prennent une valeur plus virulente. Avec sa manière de composer, il dénonce un gouvernement qui n’a pas été capable de désamorcer cette guerre atroce. L’artiste dada va continuellement produire dans la liberté la plus absolue. Selon Lista, dada est impertinent, ‘libertaire seulement dans la mesure où il s’est voulu idéologiquement libertin.’ 34 Dada voulait ‘créer un nouveau monde’ 35. Hans Richter affirme d’ailleurs que ‘les collages, le photomontage et tout ce que vous voulez, tout était fait sous le patronage, pourrait-on dire, de la liberté.’ 36 Ce sentiment de liberté, Max Ernst va l’exploiter jusqu’au bout. Pour lui ‘si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage.’ 37 Tous les moyens sont bons pour insérer des éléments à l’œuvre, tant qu’ils ont du sens. Max Ernst, à la différence des cubistes n’emploie pas seulement des matériaux pour leurs qualités plastiques, quel que soit l’élément (dessin, papier, peinture, etc.), il faut qu’il véhicule un message. Pour ce faire, ‘Ernst a inventé un certain nombre de techniques à incorporer dans son processus de collage, et le processus luimême lui a été d'une valeur inestimable.’ 38 Il a, en particulier, M. Stierli, ‘Mies Montage’, loc. cit. Extrait de G. Lista, Dada libertin et libertaire, Paris, L’Insolite, 2005, p. 12. Lu dans J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p.32. 35 Extrait de Hans Richter, « Je parle de l’expérience », entretien avec Philippe Sers, dans Ph. Sers, Sur Dada, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1997, p. 105. Lu dans Ibid., p.34. 36 Ibid. 37 Citation de Max Ernst lue dans ibid., p.149. 38 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.132. 33 34

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intégré à ses collages la technique de ‘frottage’, qui consiste à frotter une feuille sur du bois avec un crayon, comme nous l’avons tous déjà fait étant enfant. C’est en 1925 que lui vient l’idée d’estamper une lame de parquet en bois sur du papier. Cette méthode, utilisée aussi en archéologie pour relever l’empreinte d’une pierre, par exemple, lui permet de produire des images fortement contrastées. Les associations de matières qui résultent de ses créations sont rassemblées dans une sélection de trente-quatre illustrations dont l’une d’elles ‘Forêt et Soleil’ [16] est très certainement le croquis de l’œuvre, qu’il signera en 1941, ‘Den imaginära sommaren’. [17] En 1927, c’est avec le ‘grattage’, technique qu’il invente avec Joan Miró – c’est-à-dire, creuser le pigment directement sur la toile – que Max Ernst parvient à appliquer la technique de frottage à la peinture. Son goût pour les matériaux en relief, le subconscient et la fantaisie sont mis à l'honneur avec cette technique. En effet, sa manière d’écorcher la peinture encore humide de la toile avec une spatule ou un couteau à palette rend possible la création de nouvelles couches par excavation de la matière, donc de nouveaux univers. On le voit notamment dans son œuvre ‘La Forêt’, [18] une autre variante de son frottage. À la différence des photomontages de Heartfield, qui se concentraient sur la transmission des maux du régime nazi, Ernst n’exprimait pas de motivation sociale ou politique, son intérêt se portait plutôt sur les espaces et les mondes surréalistes ou imaginaires dont les sources principales sont tirées de magazines ou de publicités, explique Jennifer Shields. 39 Contrairement aux cubistes et aux autres dadaïstes, Ernst gomme toute trace de facture, de colle ou d’ajout d’images, créant de véritables trompe-l’œil. L’image est réaliste pourtant elle montre bien un monde irréel, on se questionne alors sur la technique utilisée pour la réaliser.

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J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.131.

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Même si le collage faisait déjà partie de la pratique cubiste et futuriste, les dadaïstes vont y apporter une nouvelle variation : le photomontage. Créé après la Guerre, il a été conçu à la fois ‘comme un prolongement et une opposition au collage.’ 40 En effet, il faut bien distinguer les deux techniques. Alors que les artistes cubistes ont commencé à l’utiliser afin d’aller à l’encontre des concepts romantiques de l’invention artistique, les artistes dada utilisent le photomontage d’une autre manière. Ce dernier, permet l’inclusion des nouvelles techniques de reproduction mécanique, à travers la matière première utilisée, à savoir la photographie. Pendant que le collage reste plus dans la tradition de l’artisanat, le photomontage, lui, se tourne vers l’industrialisation. Une autre différence est visible, l’introduction d’objets physiques dans les collages cubistes n’est pas reprise par les dadaïstes qui préfèrent plutôt coller des photos d’objets. Pour Bürger : ‘l’illusionnisme des fragments de réalité qui ont été collés sur la toile est essentiel. Malgré les perturbations que ces fragments provoquent, l'œuvre d'art cubiste reste largement subordonnée à la composition esthétique’ 41. Cela veut dire que même si les cubistes remettent en cause la représentation, il y a tout de même une recherche esthétique et une volonté de faire de l’art, tandis que les dadaïstes le remettent totalement en question : ils ne cherchent pas à créer des œuvres d’art à travers leurs photomontages. Les intentions dadaïstes de remise en cause de la notion d’œuvre d’art et leur refus de sa sacralisation sont véhiculés tout au long de leur première foire en 1920. Ils vont totalement saturer l’espace de l’exposition, ne mettant plus l’œuvre sur un piédestal, questionnant ainsi son statut et celui de l’artiste. [19] En effet, historiquement, l’œuvre doit faire preuve d’originalité, d’authenticité mais dada refuse de faire de l’art une création exceptionnelle. Martino Stierli, ‘Mies Montage’ loc. cit. M. Stierli, Montage and the Metropolis : Architecture, Modernity, and the Representation of Space, New Haven : Yale University Press, 2018, p.18. 40 41

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Le photomontage constitue donc un sous-type de collage n’utilisant que la photographie, contrairement au collage qui juxtapose et assemble des matériaux issus de divers médias, dont des fragments d’images. L’utilisation exclusive de photographies a laissé place à des images plus réalistes, plus provocantes et qui touchent un large public. L’artiste dada n’hésite pas à puiser dans la presse populaire afin d’intégrer au collage des figures connues, dénonçant parfois ces mêmes figures ou des événements auxquels elles sont rattachées. De cette manière, l’œuvre s’universalise, se popularise et parle à tout le monde. Les dadaïstes parviennent alors à transmettre des messages forts, vecteurs d’une critique sociale et des conditions de la politique du moment. D’après Raoul Hausmann, ‘le premier type de photomontage est l'éclatement de la surface par la multiplication des points de vue et par l'interpénétration tourbillonnante de nombreuses surfaces d'images dont la complexité dépasse largement celle de la peinture futuriste.’ 42 Les dadaïstes intègrent une pratique héritée des futuristes à leurs productions, à savoir l’éclatement des surfaces, mais pas seulement. En effet, ils vont aussi s’intéresser aux mots, plus particulièrement à l’importance du langage dans l’œuvre. Il faut bien tenir en compte que le mouvement dada, à son origine, a été fondé par des écrivains qui se réunissaient au Cabaret Voltaire exécutant différentes performances artistiques. Le cabaret devient ainsi un lieu d’improvisation où l’on joue avec le langage. Hausmann, comme les futuristes, ‘cherche un jeu subtil de correspondances entre l’image et le son, une équivalence poétique entre le sens de la vue et celui de l’ouïe. Le but des photocollages de Hausmannn est de concourir à cette “optophonétique” que sans cesse rappelle la présence de bouches ouvertes et de lettres collées dans ses 42 Raoul Hausmann et John Cullars, ‘Photomontage’, Design Issues, vol. 14, no. 3, 1998, p.68.

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compositions.’ 43 Lorsque l’on regarde la poésie sonore de Raoul Hausmann Kp’erioum, [20] réalisée en 1919, et les Mots en liberté de Marinetti, [21] on se rend bien compte de leurs similitudes. Bien que Raoul Hausmann prétende avoir inventé le photomontage en 1918 44, ‘en 1858, par exemple, le photographe britannique Henry Peach Robinson a produit une œuvre intitulée Fading Away, [22] basée sur un montage de cinq négatifs individuels’ 45 écrit Martino Stierli. Ceci peut donc remettre en question la véracité de son propos puisque la technique est apparue au XIXe siècle. La certitude de son arrivée dans le cercle dada avec Hausmann n’est pas non plus confirmée. En effet, ‘d'autres artistes dada, dont Hannah Höch et John Heartfield, ainsi que des artistes de l'avantgarde russe, ont expérimenté cette technique à peu près à la même époque.’ 46 Toutefois, même s’il n’en est pas vraiment l’inventeur, Hausmann va permettre la large diffusion de la technique dans le monde dada. Grâce à lui, les artistes vont suivre le pas initié et utiliser ce nouveau moyen de communication comme un outil de satire et de protestation politique. C’est pourquoi, ‘Heartfield a intégré le photomontage dans ses attaques dadaïstes contre le nationalsocialisme’ 47, devenant très certainement l’artiste dada ayant le plus utilisé cette technique. Parmi les nombreux exemples à disposition, l’œuvre Adolf, the Superman : Swallows Gold and 43 Michel Poivert, 'La condition moderne de la photographie au XXe siècle', L’Ombre du temps, Paris, Jeu de Paume, 2004, p. 24-27. 44 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op. cit., p.128. 45 M. Stierli, ‘Mies Montage’, loc. cit. 46 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, loc. cit. 47 Extrait de Susan Buck-Morss, The Dialectics of Seeing : Walter Benjamin and the Arcades Project, Cambridge, Mass.,MIT Press, 1989, p.60-64. Lu dans E.K.Lum Architecture as Artform : Drawing, Painting, Collage, and Architecture 1945-1965, thèse, sous la direction de Mark Jarzombek, Massachusetts Institute of Technology, Architecture, 1999, p.208

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Spouts Junk [23] réalisée en 1932 illustre ce sujet. Elle représente Adolf Hitler avec une croix gammée remplaçant son cœur ainsi qu’une radiographie remplaçant son torse, révélant des pièces d'or coulant dans sa gorge et s'accumulant dans son estomac. 48 Les nombreux photomontages de Heartfield sont réalisés à partir de photographies de presse officielle. Parfois, il les mélange même avec des photographies de lui-même, souvent en noir et blanc, et des typographies bien visibles et lisibles, aux messages forts. C’est donc un art de la provocation, métaphorique. 49 Dans le même esprit, Hannah Höch ‘prélève des images et des titres de journaux faisant référence à l’actualité politique de l’époque. Elle renvoie au gouvernement de Weimar qui essuie plusieurs révoltes militaires et civiles à partir de l’automne 1919 entraînant l’abdication du kaiser Guillaume II.’ 50 Par exemple, elle réalise un photomontage, en 1919, Coupe au couteau de cuisine à travers la première ère allemande de la culture du ventre à bière de la République de Weimar. [24] Dans cette composition, on peut reconnaître dans l’angle en haut à droite, l’image de l’empereur Guillaume II, ainsi que certains hommes politiques appartenant à son régime, face aux figures appartenant au nouveau gouvernement. Dans cette cacophonie d’images, il faut analyser chaque élément afin de comprendre les grandes thématiques du Berlin Dada, mais ce que l’on retiendra ici, c’est la dimension critique politique et sociale et le ton moqueur que l’artiste adopte pour dénoncer les nombreuses incohérences du nouveau régime. L’utilisation du photomontage dans l’univers des dadaïstes, ‘née de leur désir d'être considérés comme des ingénieurs ou https://www.moma.org/calendar/exhibitions/393 https://retroavangarda.com/john-heartfield-and-the-dawn-ofphotomontage/ 50 Elisabeth Spettel, ‘Les artistes femmes : des esthétiques de la limite dépassée’, Recherches féministes, volume 27, n° 1, 2014, p.165. 48 49

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des mécaniciens plutôt que comme des artistes,’ 51 va leur permettre d’aller plus loin que jamais auparavant. En plus de leur permettre de créer une nouvelle image avec une dimension fictive, c’est un moyen pour dada de communiquer en véhiculant sa frustration et son mécontentement vis-à-vis du système. Comme l’explique Raoul Hausmann et John Cullars, ‘Dada - qui était une sorte de critique de la culture ne reculait devant rien, et il est bien connu que la plupart des premiers photomontages suivaient les événements politiques de l'époque avec un ridicule cinglant.’ 52 Les œuvres produites par le cercle dada sont, la plupart du temps, des images déstructurées mêlant des photographies en pagaille, la dernière œuvre, précédemment expliquée, en est une parfaite illustration. Pour pouvoir les utiliser à des fins politiques, les artistes dada ont dû structurer leur manière de créer rendant les productions d’autant plus puissantes et scandaleuses. C’est surtout le cas du groupe dada berlinois qui ‘évolue vers une tendance révolutionnaire, […] Le photomontage devient un moyen d’expression de leur positionnement politique,’ 53 comme l’explique Elisabeth Spettel. La plupart de ces artistes sont communistes, voire anarchistes et s’opposent clairement à la bourgeoisie, dont Hannah Höch qui fait partie des plus militants. De manière plus explicite, le collage a été un moyen de provocation et de militer chez dada par la déchirure du papier, au sens propre et figuré du terme. Cet acte marque la douleur d’une époque, surtout dans les protestations de Heartfield et Hausmann contre le national-socialisme, comme ‘Der Kunstkritiker’ de ce dernier. Hausmann écrivait ‘les matériaux ne sont pas inertes, au contraire, ils possèdent une 51 J.A.E.

Shields, Collage and Architecture, op. cit., p.7. R. Hausmann et J. Cullars, ‘Photomontage’, Design Issues, op.cit., p.67. 53 Elisabeth Spettel, ‘Les artistes femmes : des esthétiques de la limite dépassée’, loc.cit. 52

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force d’expression qu’on doit découvrir, pour démontrer qu’ils sont animés. C’est cela le caractère caché mais révélateur du collage.’ 54 Il poursuit en affirmant qu’‘en déchirant un morceau de papier, ce morceau vous donne une indication, une direction, il montre comment il voudrait être formé et il faut avoir assez de doigté pour suivre les indications de la matière, qu’on ‘libère’ ainsi.’ 55 Toutefois, l’usage de la déchirure était d’abord lié à une envie d’abstraction et de ‘hasard’ de la part des artistes, notamment dans une première série, en 1932, des ‘papiers déchirés’ [25] de Hans Arp, même s’il ‘réfute la notion d’art abstrait, lui préférant celle d’art concret’. 56 Les papiers noirs sont déchirés puis dispersés sur une feuille, pour ensuite être collés pardessus, en respectant la place qui leur a été attribuée par ce geste hasardeux. C’est pour lui une sorte de jeu formant des ombres chinoises. La constellation aux formes organiques ainsi créée rappelle une forme de vie bactérienne sans vraiment chercher à donner du sens à l’œuvre. ‘Dada est le fond de tout art. Dada est pour le sans sens ce qui ne signifie pas le non-sens. Dada est sans sens comme la nature. Dada est pour la nature et contre l’art. Dada est direct comme la nature et cherche à donner à chaque chose sa place essentielle. Dada est ‘moral’ comme la nature. Dada est pour le sens infini et les moyens définis’ 57 dira l’artiste en ajoutant que ‘le papier déchiré est beau comme la nature.’ 58

R. Hausmann, Courrier Dada, op. cit., p.207. Ibid. 56 J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p.60. 57 Extrait de Jean/Hans Arp, Le temps des papiers déchirés, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 1983, p.33. Lu dans J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p. 61. 58 Extrait de Ibid. Lu dans https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cozqRX/rd5xp5 54 55

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Pratiquer l’anti-art en éparpillant des fragments déchirés sur une surface, sans chercher à leur attribuer un emplacement à l’avance et en laissant le hasard décider, rend sa façon de composer quasiment inépuisable. ‘Ces œuvres sont construites avec des lignes, des surfaces, des formes et des couleurs qui cherchent à atteindre par-delà l’humain, l’infini et l’éternel’ 59 dira-t-il lui-même. Néanmoins, Arp se détachait du lien homme-machine, plus en vogue chez le reste des dadaïstes, pour se concentrer plutôt sur une harmonie avec la nature. Ce phénomène est visible pour la première fois au début des années 1920. ‘Arp ramasse sur une plage des morceaux de bois flotté qu’il assemble pour réaliser deux reliefs, Trousse d’un Da [26] et Trousse des naufragés (1921). [27] Objets insolites et inclassables, faits de matériaux naturels et ordinaires, marqués par l’usure du temps, ces reliefs expriment une conception de la création humaine en communion profonde avec les forces de la nature.’ 60 Traumatisé par la Guerre, qui va lui permettre de se révéler, Arp va chercher cette harmonie et créer ses œuvres de manière spontanée, ‘refusant l'usage des ciseaux, parce qu'ils donnent à voir le travail volontaire de la main, il préfère la déchirure qui fait trembler d'émotion le contour des formes’ 61, écrit Jacques Michel en 1983. Dans cet infini de possibilités, chaque artiste, à sa manière, apporte au collage un moyen d’avoir plus d’impact, tant dans 59 Extrait de H./J. Arp, ‘Préface’, dans Konkrete Kunst, Bâle, Kunsthalle, 1944. Lu dans J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p.60. 60 Laurent Le Bon (éd.), Dada, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 2006, p. 102. 61 Jacques Michel, ‘Arp au centre Pompidou. Les lois de la déchirure’, Le Monde, février 1983. Pour plus d’informations, consulter l’article web à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/02/23/arpau-centre-pompidou-les-lois-de-la-dechirure_3079947_1819218.html

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les techniques que dans les thématiques transmises. Cela, jusqu’à atteindre l’œuvre absolue. On peut donc dire que ce que le collage dada a apporté de façon significative pour le sujet de recherche, c’est la dimension critique très forte envers la politique et la société. Il s’est présenté pour la première fois comme un outil parfait pour dénoncer et aller à l’encontre des valeurs établies. Parmi les dadas, on retrouve un artiste particulier, qui a lui seul a fait totalement basculer les bases dadaïstes vers une autre dimension, il s’agit de Kurt Schwitters. Artiste bien souvent incompris et rejeté par les dadaïstes, il a su réagir aux tumultes de son époque avec plus de subtilité et de flair, avec une exploration du collage dans toutes ses dimensions, dans le but d’atteindre l’œuvre d’art totale.

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Foire internationale Dada, Raoul Hausmann et Hannah Höch devant l’affiche L'art est mort ! Vive le nouvel art mécanique de Tatline ! 1920

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Raoul Hausmann, Tatline vit à la maison, 1920


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Georges Grosz, Souviens-toi de l'oncle Auguste, le malheureux inventeur, 1919

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Max Ernst, Forêt et Soleil, 1931


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Max Ernst, Den imaginära sommaren, 1927

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Max Ernst, La Forêt, 1927


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Foire internationale Dada, Les membres du cercle à l’exposition, 1920

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Raoul Hausmann, Kp’erioum, 1919


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Filippo Tommaso Marinetti, Les Mots en liberté, 1919

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Henry Peach Robinson, Fading Away, 1858


23 John Heartfield, Adolf, the Superman: Swallows Gold and Spouts Junk, 1932

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Hannah Höch, Coupe au couteau de cuisine à travers la dernière époque culturelle ventripotente allemande de Weimar, 1920


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Hans Arp, Papiers déchirés, 1932

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Hans Arp, Trousse d'un Da, 1920-1921


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Hans Arp, Trousse du Naufragé, 1921

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2.2. L’œuvre d’art totale : merz Kurt Schwitters, artiste ayant commencé à créer sous l’influence Dada, suit les pas initiés par les cubistes. Il comprend et intègre la technique du papier collé, de la fragmentation et de l’ajout de matériaux divers à ses œuvres. Il tentera d’entrer dans le ‘club Dada’ mais Georges Grosz et Richard Huelsenbeck seront formellement contre. Le ‘désintérêt affiché de Schwitters pour la politique’ 62, selon Patrizia Mc Bride, ‘lui avait valu le mépris de dadaïstes militants’ 63. Son lien étroit avec la galerie d’art Der Sturm, dans laquelle il a été exposé plusieurs fois, a aussi pu le désavantager. Cette galerie, qui représentait l’Expressionnisme et la culture postclassique, ne correspondait pas à l’idéal de ces dadaïstes. Selon ces artistes, ce serait comme adhérer aux traditions élitistes du marché de l’art. Huelsenbeck le qualifiera même de ‘petit bourgeois’. Or, pour Dada, l’œuvre d’art ne s’affichait pas aux côtés des traditions bourgeoises, elle n’est pas pureté et exclusivité mais simplicité et quotidien. À l’issue du débat sur son intégration au cercle Dada, la vote non-unanime lui empêchera d’en faire partie officiellement, même si Hausmann, avec qui il deviendra très ami, avait insisté pour l’accepter. Pris de colère, il fonde de son côté Merz, contraction du mot ‘Kommerz und Privatbank’, un mouvement ‘anti-dada’ dont il sera l’unique membre. Il trouve ce titre dans une annonce, qu’il va intégrer à l’un de ses premiers collages qui va non seulement donner son nom au tableau Das Merzbild – détruit à la suite de l’exposition d’art dégénéré en 1937, organisée par les nazis pour dénoncer les artistes jugés marginaux – mais 62 Patrizia C. Mc Bride, ‘The Game of Meaning: Collage, Montage, and Parody in Kurt Schwitters' Merz’, Modernism/Modernity, vol. 14, n° 2, 2007, p.249. 63 Ibid.

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aussi le nom que vont prendre tous ses autres collages par la suite. De plus, ce nom va s’étendre à toute sa création artistique, que ce soit la sculpture, la poésie, la musique, la publicité, l’architecture, etc. Merz, ce mot qui veut tout et ne rien dire, doit devenir universel, tout est Merz. Ce pourquoi, à partir de la base Merz, Schwitters va créer des déclinaisons du mot, comme Merzbild 64 ou Merzbau 65, en référence à toutes ses recherches. En affirmant dans ses propos, que ‘le Merz pur est de l'art pur, le dadaïsme pur est du non-art ; dans les deux cas, c'est délibérément volontaire’ 66, il se met lui-même à distance des autres artistes Dada. Malgré ce refus, Schwitters sera, pour toutes ses autres manières de faire l’œuvre d’art, lié au dada. Cependant, dans une lettre adressée à Hausmann, Schwitters écrivait : ‘Moi, j’étais dadaïste sans intention de l’être. Réellement je suis Merz.’ 67 Plus loin dans cette lettre, il explique ce qu’il a envoyé à un collectionneur d’art à Göteborg, Mr Gabrielson : ‘Je m’appelais Merz, mais les autres m’appelaient dada. Dada était un triomphe sur ce qu’était l’art de ce temps-là. Il montrait à l’art le chemin de la forme’ 68, qui indique qu’il ne semblait pas chercher à appartenir à ce mouvement puisqu’il avait trouvé le sien. Dada est une attitude et chacun a la sienne, lui il était Merz et Merz s’apparentait à Dada. Mais ‘Le Merzbild est un assemblage où se rencontrent des objets divers, des débris multiples et des matières hétéroclites trouvés au hasard des rues : chiffons, morceaux de bois, grillages, pièces de machines…’ Cité dans Denis Laoureux, Histoire de l’art au XXe siècle : clés pour comprendre, Bruxelles, de Boeck, 2009, p.89. 65 ‘En 1923, Schwitters entame son Merzbau (‘Construction Merz’) qui transpose le principe du merz dans le domaine de l’aménagement spatial. ‘Le Merzbau’, explique-t-il en 1933, ‘est la construction d’un espace intérieur à l’aide de formes plastiques et de couleurs’.’ Ibid. 66 Dorothea Dietrich, The Collages of Kurt Schwitters: Tradition and Innovation. New York, Cambridge University Press, 1993, p.19. 67 R. Hausmann, Courrier Dada, op. cit., p.125. 68 Ibid. 64

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‘Merz suppose l’appareillage des arts par le musée, ce à quoi le cubisme procédait déjà’ 69, en cela il se distingue des autres dadaïstes, la variante Merz présuppose donc une approbation muséale. Ses premiers collages Merz ont été exposés dans la galerie Der Sturm en 1919. C’est le cas notamment de l’œuvre Das Undbild. [28] Ce collage fait à partir de matériaux de toutes sortes, contient un mélange de peinture avec de la ferraille, de bois, de clous, d’un ticket de train et de plein d’autres choses. Le mot ‘und’ signifie ‘et’, ainsi pour Schwitters le fait d’accumuler ces matières de manière non hiérarchique sur la toile était sa façon d’illustrer le mot ‘et’. Dans cette œuvre, Schwitters a une certaine démarche esthétique. En effet, son but est de faire de l’art et de l’exposer en galerie. C’est pour cette raison-là que certains dadaïstes le considèrent trop ancré dans une tradition picturale qu’ils cherchent eux-mêmes à dépasser. Il fait de Merz l’art de sa vie, mêlant sa propre expérience, son quotidien, son intimité à ses créations. Il englobe aussi tous les arts, toutes les techniques, tous les matériaux à ses productions qui sont comme la synthèse de toutes les pratiques collagistes avant lui. Ainsi, il représente à lui seul Merz et Dada – on peut le considérer de la sorte car, comme le dit Hausmann dans Courrier Dada ‘Merz était autant dada que dada était Merz.’ 70 – Schwitters, qui s’est souvent exprimé sur son œuvre au cours de sa vie, affirmera un jour : ‘Mon but, c’est l’œuvre totale Merz, qui, en une unité artistique, résume tous les genres artistiques. D’abord, j’ai marié certains genres artistiques entre eux. J’ai collé ensemble des mots et des phrases de poèmes de façon à ce que leur disposition forme un dessin rythmé. A l’inverse, j’ai collé des tableaux et des 69 Jean-Louis Déotte, Cosmétiques : Simondon, Panofsky, Lyotard. La Plaine-Saint-Denis, éd. des maisons des sciences de l’homme associées, 2018, p.3. 70 R. Hausmann, Courrier Dada, op. cit., p.108.

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dessins où il fallait lire des phrases. J’ai cloué des tableaux de façon à ce que, outre l’effet pictural, il y ait également un effet de relief plastique.’ 71 Grâce à Merz, Schwitters réalise ainsi un véritable ‘Gesamtkunstwerk’, autrement dit une œuvre d’art totale. ‘Merz représente la liberté de toute entrave, pour le bien de la création artistique. La liberté n'est pas un manque de retenue, mais le produit d'une discipline artistique stricte. Merz signifie également la tolérance à l'égard de toute limitation motivée par des raisons artistiques.’ 72 Pour lui, soit une œuvre d’art est totale, soit elle n’est pas une œuvre d’art : le cosmos doit être Merz. Tout comme les dadaïstes l’imaginaient aussi, il n’y aucune limite avec Merz, la liberté de création est sans fin. Tout est permis, le mouvement ne peut pas évoluer puisque tout est déjà possible. Il ne pratiquera jamais l’auto-censure, préférant se perfectionner et tout essayer, dans n’importe quel domaine. Il voit dans le collage, son principal moyen de production, la possibilité de bricoler de toutes pièces une image en laissant apparentes toutes traces de fabrication comme l’avait suggéré les cubistes. Il se démarque ainsi d’autres dadaïstes, surtout Ernst, pour qui la facture devait être effacée, en tout cas dissimulée. Avec Schwitters, l’œuvre créée est brute, composée de fragments assemblés, dénichés un peu partout (déchets, débris, rebuts de la société…), l’esthétique de son art est elle-même basée sur le collage de matériaux de récupération. ‘Ramassés dans les décharges et dans les poubelles, ces matériaux sont précipités dans l’engrenage Extrait de K. Schwitters, « Merz » (1920), dans Merz, Ecrits choisis et présentés par M. Dachy, trad. M. Dachy et C. Graber, Paris, Gérard Lebovici, 1990, p. 59. Lu dans J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p. 64. 72 Extrait de Kurt Schwitters, "Merz," 1920, traduit par Ralph Mannheim, réimprimé dans The Dada Painters and Poets, 2ème éd., Robert Motherwell (éd.), Cambridge, Harvard Unversity Press, 1988, p.59. Lu dans E.K.Lum, Architecture as Artform…, op.cit., p.214. 71

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d’un processus qui vise leur transfiguration, leur possibilité de pénétrer un univers encore inexploré’ 73, raconte Jean-Marc Lachaud en reprenant les mots de Richter qui affirmait que Schwitters ramassait ces objets aussi dans ‘les cendriers et les corbeilles à papier.’ 74 Il puise dans les objets de la société de consommation, qui sont destinés à l’abandon, la déchetterie pour créer des œuvres très singulières. Par exemple, dans son œuvre Merzbild 1A. The mental doctor, [29] réalisée en 1919, il assemble des matériaux qu’il trouve dans les rues à Hanovre, afin de montrer l’état de ruine de l’Allemagne et sa culture. ‘Des artistes comme Robert Rauschenberg et Allan Kaprow ont vu dans les collages de déchets recyclés de Schwitters un modèle pour critiquer le cycle auto-entretenu du consumérisme et des déchets dans les sociétés capitalistes’ 75, écrit Patrizia Mc Bride. Toutefois, elle poursuit en disant que l’utilisation de ces mêmes déchets ‘avait à l'origine servi à soutenir une esthétique formaliste fondée sur l'autonomie de l'art par rapport à la politique.’ 76 Schwitters se dit contre les règles traditionnelles dans la production d’une œuvre d’art. En effet, il ne créait pas pour créer et son œuvre n’était pas vide de sens. Au contraire, son opposition formelle à l’académisme est marquée par cette culture du déchet, pour lui ‘de toute façon, tout était fichu, et il s’agissait de construire des choses nouvelles à partir des débris’ 77. Toutefois, il refusait l’engagement politique dada dans l’art et la politisation de l’art en général. Comme le dit Patrizia McBride, à la différence de l’art de Huelsenbeck, son rival et ennemi en art, ‘le principe de Merz de Schwitters est J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p.65. Ibid. 75 P.C. McBride, ‘The Game of Meaning…’, loc.cit. 76 Ibid. 77 Jacques Rancière, ‘Sens et figures de l’histoire’, Face à l’histoire, 19331996. L’artiste moderne devant l’événement historique, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 20. 73 74

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présenté comme étant à la fois plus radical et plus tolérant dans son expérience contemporaine globale, à condition que l'on cesse d'exiger que l'art soit quelque chose qu'il n'est pas, à savoir la politique.’ 78 Cependant, même s’il n’exprime pas volontairement d’opinion politique dans ses œuvres, sa pratique artistique n’en reste pas moins engagée. Il est vrai que le simple fait d’utiliser une technique anti-traditionnelle, à savoir le collage, donne déjà toute la dimension politique. Cette prise de position particulière s’inscrit dans la vision utopique constructiviste de l’époque, qui remettait en question les structures hiérarchiques traditionnelles. Selon Clement Greenberg, ‘le déni moderniste de la mimèsis découle du refus polémique de l'artiste d'entrer en relation avec une expérience contemporaine souillée par le matérialisme, la cupidité et le pouvoir corrompu.’ 79 Pour les modernistes, l’utilisation de ces objets, issus ou délaissés par une société de consommation, nuit à l’authenticité de l’œuvre d’art et ceci n’est pas envisageable. Schwitters voit les choses autrement, ‘l'accent n'est pas mis sur l'exploration des possibilités d'un médium dans une quête sacrée de pureté, mais plutôt sur la manière d'établir des connexions entre des éléments distincts.’ 80 En utilisant des morceaux et des objets du quotidien, détournés de leur sens original, transférés d’un contexte à un autre, associés les uns aux autres, Schwitters développe une relation esthétique entre ces objets, sans considérer leur provenance ou la manière dont ils ont été produits. ‘Les matériaux sont choisis non pas pour leurs qualités expressives inhérentes, mais plutôt pour leur capacité à entrer en relation les uns avec les autres.’ 81 Dans l’œuvre P.C. McBride, ‘The Game of Meaning …’, op. cit., p.252. Extrait de : Clement Greenberg, Art and Culture: Critical Essays. Boston, Beacon, 1965, p.3–7. Lu dans Ibid, p.251. 80 Ibid. 81 Ibid. 78 79

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Opened by Customs, [30] qu’il crée en Norvège en 1937, après avoir fui l’Allemagne nazie, il travaille avec divers fragments collés comme du papier à lettres, des étiquettes nazies, un texte norvégien, des étiquettes d’oranges espagnoles, ainsi qu’une liste de mots en lien avec le voyage. Dans ce collage, chacun des fragments pris séparément ne pourraient pas donner le sens voulu à l’œuvre. Mis ensemble, ils donnent une puissante signification à la composition, à savoir la migration forcée de l’artiste à cause des conditions politiques en Allemagne à l’époque. Comme explique le fils de Schwitters : ‘Mon père voulait que certaines parties de ses collages soient lues et comprises, intellectuellement, et il en faisait souvent les titres réels de ses œuvres. En général, ils étaient pleins d'esprit, ironiques ou même sarcastiques.’ 82 Cette remarque s’applique aussi au titre de cette œuvre, choisi par Ernst Schwitters lui-même, en lien avec une étiquette de la douane se trouvant dans la composition. Avec ces nouvelles connexions, ces objets/matériaux deviennent des outils avec lesquels l’artiste peut composer et véhiculer ses idées. ‘Le regard que porte Schwitters sur notre société désigne celle-ci comme un vaste chantier, ouvert aux investigations. Il ne s’agit pas de recoller les fragments pour célébrer une grandeur passée, mais de les réunir, pour imaginer le surgissement d’autre chose’ 83, explique Jean-Marc Lachaud. L’utilisation de fragments dans l'œuvre de Schwitters permet de l’impliquer en tant qu’être social, les déchets qu’il récolte deviennent donc un reflet de sa condition humaine contemporaine. Il voit dans la diversité des objets de la société, collés ensembles, un moyen de créer quelque chose de plus important. Chaque chose a, individuellement, un sens, une valeur. Toutes ces choses, une fois assemblées, prennent une signification collective. En cela, il exprime le fait que https://www.tate.org.uk/art/artworks/schwitters-opened-by-customst00214 83 J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op. cit., p.66. 82

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chaque chose est la partie d’un tout. La manière de rassembler ces objets divers, qui n’ont nécessairement pas d’harmonie entre eux, forment ce tout, une composition unitaire à forte symbolique. De 1923 à 1927, il va entreprendre ce qui sera la concrétisation de son art : Merzbau, le bâtiment Merz. Il transforme son atelier à Hanovre en un collage total, connu aussi sous le nom de Kathedrale des erotischen Elends (Cathédrale de la Misère érotique), [31] nom lié à sa fascination pour les cathédrales médiévales, monuments chargés en valeur sociétale et artistique. Cette structure érigée comme un modèle architectural fait à partir d’un noyau interne de matériaux de récupération collés et d’une enveloppe faite main avec des matériaux de construction architecturaux traditionnels comme le bois et le plâtre - est une œuvre d’art totale évolutive. Il va ajouter, accumuler, jeter de plus en plus d’éléments sur cette pile d’objets jusqu’à devoir ouvrir le plafond de l’atelier pour permettre à l’œuvre de s’étendre et d’envahir toutes les parties de sa maison. ‘Patricia Falguière insiste sur la complexité contradictoire de cette architecture habitée par une vie souterraine successivement montrée/masquée. En fait, Schwitters laisse se déployer l’implacable force du « pouvoir créateur » de cette œuvre absolue.’ 84 En effet, Dorothea Dietrich écrit à ce propos que ‘l'intérieur fait référence, tout comme ses collages bidimensionnels, à la modernité. L'extérieur, en revanche, est caractérisé par des matériaux anciens comme le bois et le plâtre, et par des méthodes de construction établies, et rappelle la notion traditionnelle d'architecture comme artisanat.’ 85

Extrait de Patricia Falguière, ‘Désœuvrement de Kurt Schwitters’, Kurt Schwitters, Paris, Centre Pompidou, 1994, p.162. Lu dans Ibid., p.67-68. 85 D. Dietrich, The Collages of Kurt Schwitters…, op. cit., p.164. 84

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Cette œuvre ‘met en évidence la compréhension de Schwitters sur l'artiste comme instigateur de changement par l'application systématique de la créativité aux problèmes de forme.’ 86 Merzbau était en mouvement, ‘des directions et des mouvements des surfaces construites, il émane des plans imaginaires qui agissent comme des directions et des mouvements dans l'espace et qui se croisent dans l'espace vide’ 87. Le caractère inachevé de la structure était voulu, il dira lui-même que Merzbau ‘est inachevé par principe’ 88. Cependant, c’était une œuvre complète qui mêlait l'architecture organique et l'organique, le moderne et le traditionnel, le public et le privé. La plupart des pièces de l’œuvre n’étaient pas accessibles et réservées à un public initié, ‘en partie certainement pour se prémunir contre les éventuelles répercussions d'un climat politique et culturel de plus en plus hostile à l'art expérimental.’ 89 Après son émigration en Norvège en 1937, l’œuvre sera détruite et il ne reste aujourd’hui qu’une très large documentation photographique ainsi que des écrits de sa création. ‘Schwitters a commencé à travailler sur un deuxième Merzbau en Norvège, et après avoir fui ce pays, il a commencé à travailler sur un troisième en Angleterre, son "Merz-barn". La construction du Merzbau a donc préoccupé Schwitters pendant la majeure partie de sa carrière artistique et doit être considérée comme une partie importante de son travail.’ 90 Le D. Dietrich, The Collages of Kurt Schwitters…, op. cit., p.164. Extrait de John Elderfield, Kurt Schwitters, Thames et Hudson, Londres 1985, p.156. Cité dans Gwendolen Webster, Kurt Schwitters Merzbau, Thèse, sous la direction du docteur Jason Gaiger et Paul W. Wood, Open University de Milton Keynes, histoire de l’art, 2007, p.68. Lu dans J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op. cit., p.26. 88 Extrait de Kurt Schwitters, ‘Ich und meine Ziele’, Merz, vol. 5, 1931, p.343. Lu dans D. Dietrich, The Collages of Kurt Schwitters…, op. cit., p.166. 89 Ibid., p.167. 90 Ibid. 86 87

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Merzbarn [32] est une œuvre particulière puisqu’il l’a commencée trois mois avant son décès et elle a donc à peine été entamée. Il a utilisé la grange qui lui servait d’atelier à Langdale, pour réaliser un début de collage expérimental sur les murs, fait d’objets trouvés, de sculptures, de verres et autres matériaux. Toutes ces architectures prenaient à chaque fois place dans son espace de vie et de travail et étaient un reflet de son environnement proche, vu qu’il récupérait tout ce qu’il pouvait trouver autour de lui pour faire ses œuvres. La grange qui accueillait l’œuvre se retrouvait en pleine nature, c’est pourquoi on retrouvait beaucoup d’éléments comme des branches, des pierres ou des fleurs. Tout au long de sa vie et jusqu’à sa mort, Schwitters poursuit ‘ce travail à partir de la banalité quotidienne’ 91, affirme JeanMarc Lachaud. L’art du déchet qu’il a ainsi initié va marquer en profondeur le champ artistique anglais des années 1950. En effet, en Angleterre il va expérimenter encore plus ce que ce qu’il a pu faire auparavant, créant ainsi des œuvres inédites qui font de lui le précurseur du Pop Art. À sa manière, Schwitters s’approprie la culture de masse, l’objet industriel abandonné et la bande dessinée – notamment en 1947 dans En Morn, [33] un collage dans un style complétement Pop Art. Le collage comprend donc des éléments comme un emballage de chocolat à la menthe poivrée, un ticket de bus londonien, une étiquette d’une boîte de pêches Golden Morn, une Pin-Up blonde affichant un grand sourire, ainsi que le slogan ‘Ce pourquoi nous combattons.’ Ce slogan prend tout son sens, parce que d’un côté il est tiré de la propagande alliée, ravivant ainsi les souvenirs de la guerre qui est encore toute récente et d’un autre côté, il fait référence à ces images qui représentent la société de consommation. Comme l’explique Isabelle Ewig, ce slogan ‘renvoie en effet autant aux souvenirs encore brûlants 91

J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op.cit., p.66.

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de la guerre qu’aux nouveaux objets de consommation, forcément dérisoires’ 92. Elle poursuit en disant qu’‘au combat contre le fascisme et pour la paix succède en 1947 celui pour le « confort moderne », pour une société de bien-être et de divertissement inspirée du modèle américain.’ 93 L’intelligence et le flair avec lesquels Schwitters analyse, encore une fois, les mouvances de son temps, sont impressionnantes. Si l’on doit retenir un artiste clé, qui a enclenché ce qui deviendra l’art collagiste de Superstudio et Archigram, c’est bien Kurt Schwitters, influençant donc dans un premier temps la culture pop anglaise, notamment ses piliers, Eduardo Paolozzi et Richard Hamilton.

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https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cKaLdr Ibid.

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Kurt Schwitters, Das Undbild, 1919


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Kurt Schwitters, Merzbild 1A. The mental doctor, 1919

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Kurt Schwitters, Opened by Customs, 1937–38


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Kurt Schwitters, Kathedrale des erotischen Elends, 1933 Merzbau

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Kurt Schwitters, Merz Barn, 1947-48


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Kurt Schwitters, En Morn, 1947

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3. LA SOCIETE, UNE BASE ICONOGRAPHIQUE 3.1. Miroir du consumérisme : collage Pop Art Dans les années 1950, c’est en Angleterre que le Pop Art se tourne vers le collage. Pour résumer, le Pop Art, contraction de Popular Art, est le terme trouvé par Lawrence Alloway, un des membres fondateurs de l’Independent Group, faisant référence à la culture populaire qui a foi dans le pouvoir des images. Richard Hamilton le décrit comme étant ‘populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, spirituel, sexy, plein d’astuces, fascinant et qui rapporte gros.’ 94 Il y a deux écoles, le Pop Art anglais et le Pop Art américain, bien que différentes, les fondements sont similaires, à savoir une réaction face à la société de consommation. Le monde entre dans une période de grand optimisme et le boom qui l’accompagne a profondément bouleversé l’art d’après-guerre. Baignés dans une société de consommation américanisée, de publicité, de production de masse et de révolte politique, les artistes pop vont réagir face à ce monde. Ils réutilisent n’importe quel objet, ou image, issus de l’industrie de masse pour produire des œuvres en série avec des formats beaucoup plus imposants que ceux de leurs prédécesseurs. ‘Le ‘pop prend comme base iconographique l’univers de l’emballage publicitaire’, du rayonnage de supermarché ou du produit tel qu’il sort de l’usine’ 95 affirme Nicolas Bourriaud.

94 https://www.tate.org.uk/whats-on/tate-modern/display/witty-sexygimmicky-pop-1957-67 95 Extrait de Nicolas Bourriaud, ‘Formes usagées, actualité du nouveau réalisme’, Les Nouveaux Réalistes, artpress 2, n° 4, 2007, p.24. Lu dans JM. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op.cit., p.248.

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Compte tenu de la situation culturelle en Angleterre, un groupe informel d’intellectuels, d’artistes et d’architectes, l’IG 96 donc, se forme en 1952. Les membres de ce groupe ont resitué la pratique du collage dans une culture populaire d'après-guerre, à l'occasion de l'exposition Collages et objets à l'ICA de Londres. Eduardo Paolozzi, un autre de ses membres fondateurs, initiait en 1947 sa célèbre série Bunk, [34] Cette série, qui fait d’abord la risée de ses contemporains à sa première projection en 1952, est constituée de 45 collages, dont des images fragmentées déchirées, des ébauches, etc. Bien plus tard, elle sera reconnue comme un ouvrage majeur du Pop Art, faisant de cet artiste le véritable géniteur du mouvement grâce à son premier collage I was a Rich Man's Plaything, [35] – dont il annotera lui-même qu’il est le premier collage Pop Art jamais créé. Cette œuvre est pleine d’humour et rappelle les publicités incitant à la consommation, à l’image de Coca-Cola par exemple. Les divers symboles de cette image montrent l’américanisation incessante de la société d’après-guerre (pin-up, bombardier américain, logo coca-cola, etc.) et le confort américain rêvé qui commence peu à peu à s’installer en Europe. Cependant, lorsque le Pop Art émerge en Angleterre, fortement influencé par Schwitters, Paolozzi cherche à illustrer un fantasme populaire envers ce modèle de vie à l’américaine. En effet, en 1947, les anglais rêvent d’accéder aux mêmes privilèges que les américains, alors que la réalité en Angleterre, à ce moment-là, est loin d’être celle d’une société de divertissement et de bien-être. Paolozzi ne promeut pas cette société de consommation, il la montre. Pour marquer les esprits, il faut que l’œuvre soit choc, qu’elle parle, c’est pour cette raison qu’il utilise sans relâche ces éléments du quotidien, banalisés et superficiels bien souvent. Il s’inspire directement de bandes dessinées et de magazines policiers, en total accord avec les objets de son temps, pour créer ses 96

Abréviation d’Independent Group.

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œuvres d’un tout nouveau genre. En effet, les images produites par le Pop Art tendent à permettre l’intégration du grand public à l’art, créant des images universelles dont les matériaux sont extraits de la production de masse, de l’industrie, comme l’avait amorcé Schwitters avec Merz quelques années auparavant. John-Paul Stonard note, à propos de Bunk que ‘contrairement à d'autres collages réalisés par Paolozzi à la même époque, […] les collages de Bunk forment une catégorie différente, utilisant l'imagerie moderne en couleur des magazines et de la publicité, et présentant ce matériel dans un format direct et non pictural. Toutefois, de nombreuses œuvres de la série se caractérisent par la grossièreté avec laquelle le matériau source a été découpé et collé, en incorporant des bandes jaunes de ruban adhésif et en les fixant sur des feuilles de carton qui semblent recyclées à partir de collages précédents.’ 97 C’est notamment le cas dans les œuvres A new brand of brilliance [36] et You can’t beat the real thing. [37] Pour Paolozzi, avoir un matériel source déchiré, taché, froissé, désuet, était primordial pour fabriquer des collages. Ces images sont un reflet du monde dans lequel il évolue, elles tendent à montrer la condition sociale dans laquelle il vit, à l’image de l’œuvre de Schwitters, et par la même occasion de dénoncer l’amas de déchets produit par la société. C’est pourquoi, elles doivent avoir une apparence de mauvaise qualité. Il faut, à partir de maintenant, créer en pensant à un recyclage des matériaux. Dans cette impulsion de réemploi, il va commencer à décoller des collages déjà présents dans des magazines, par exemple, et les réutiliser pour ses propres collages. Il fait preuve d’esprit critique à l’égard du machinisme d’une société basée sur une production massive, rapide, systématique et en phase avec les profonds John-Paul Stonard, ‘The 'Bunk' Collages of Eduardo Paolozzi,’ The Burlington Magazine, vol. 150, n° 1261, 2008, p.238. 97

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changements socio-économiques alimentés par une culture populaire tout droit venue d’Amérique. Paolozzi est profondément intéressé par le lien entre l’homme et l’objet, au point de pousser l’art dans ses retranchements, Alloway écrit même à son sujet que ‘l’œuvre de Paolozzi montre une manière de repousser les limites de l'art, alors même que l'image de l'homme est poussée vers de nouvelles limites.’ 98 Grand ami de certains membre du cercle Dada, Paolozzi est directement influencé par leurs manières de créer, il va expérimenter de nombreuses techniques de collage déjà connues de cette avant-garde, ‘d'abord, le type "ready made", c'est-à-dire une feuille de déchirure unique et inaltérée ; [38] ensuite, le type "proposition de mise en page", [39] dans lequel Paolozzi semble expérimenter des schémas de mise en page ; enfin, le type "composite", [40] des assemblages plus picturaux qui se rapportent à une tradition qui remonte au photomontage dada de Hannah Höch et Raoul Hausmann.’ 99 Ici, il n’est pas question de peindre, on remplace les techniques de production classiques de l’œuvre d’art par l’automatisation et l’utilisation des moyens mécaniques industriels de fabrication (sérigraphie, lithographie, collage, etc.). Le Pop Art rompt donc définitivement avec l’académisme classique et refuse toute facture apparente dans le collage afin d’être en parfaite harmonie avec son temps. La sacralisation de l’œuvre d’art est, par ailleurs, une vision de l’art qui appartient au passé. On ne fait plus un objet unique mais on le produit en série, comme un produit du commerce. Les pop anglais ont donc très bien compris que la culture devient de plus en plus américaine. De cette prise de 98 99

Lawrence Alloway, ‘Eduardo Paolozzi.’, October, vol. 136, 2011, p.31. J-P. Stonard, ‘The 'Bunk' Collages of Eduardo Paolozzi’, op.cit., p.244.

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conscience émanent des images faites à partir de ces objets de consommation, démultipliés, répétés, reproduits et largement diffusés dans les médias de masse. Les groupes de distribution, d’impression et de fabrication en Amérique, disposaient de moyens bien plus avancés que dans l’Angleterre d’après-guerre. Ces mêmes médias regorgeaient donc de potentiel incroyable que les membres de l’IG ont utilisés à des fins artistiques, comme le magazine LIFE, dans lequel John McHale puisait une grande partie du matériel nécessaire à l’IG pour créer. ‘Une autre source commune de matériel de collage était le Ladies' Home Journal, un magazine américain de premier plan et l'une des sources les plus fréquemment citées d'imagerie publicitaire pour les artistes anglais de l'après-guerre.’ 100 La banque de matériaux utilisée devient non seulement, un outil de représentation mais aussi, et surtout, un thème artistique et un moyen de critiquer la société d’après-guerre. Tout ce qui était insignifiant hier devient sujet d’actualité, potentiellement exploitable pour en faire de l’art ; de la station essence à la chaise, en passant par la boîte de conserve, la banalité quotidienne est une scène ou une œuvre d’art en soi. ‘Les collages et les assemblages pop artistes mettent en scène, selon Tilman Osterwold, les « hommes et les choses qui font partie d’une certaine société » et qui, dès lors, « constituent les signes du temps »’ 101, écrit Jean-Marc Lachaud en reprenant les mots de ce dernier.

Extrait de J.P. Stonard: 'Pop in the Age of Boom: Richard Hamilton's "Just what is it that makes today's homes so different, so appealing?'", the Burlington magazine, n° 149, 2007, p.615. Ibid, p.247. 101 Extrait de Osterwold, Tilman, Pop Art, Köln, Taschen, 2013, p. 38. Lu dans J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op.cit., p.239. 100

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Ces magazines qui exposent des images du quotidien américain ont permis à Paolozzi, par exemple, de créer l’œuvre It's a psychological fact pleasure helps your disposition, [41] dont l’ensemble des images est puisé dans le Ladies' Home Journal d’avril 1947. Le titre qu’il lui a donné était aussi le slogan utilisé depuis plusieurs années pour faire la publicité des cigarettes Camel. 102 La parodie et l’ironie qu’il en fait symbolisent, en quelque sorte, la puissance de la manipulation exercée sur le grand public via l’image publicitaire qui incite à consommer toujours plus. Le Pop Art, choqué par cette pratique, réutilise le même modèle pour dénoncer cet endoctrinement dissimulé. Ce qui nous amène à explorer l’œuvre d’un autre artiste très important du Pop Art anglais, précédemment cité, John McHale. Beaucoup moins mis en avant que ses confrères de l’IG et dont l’‘œuvre plastique, qui s’épanouit principalement dans la pratique du collage, reste tout aussi peu connue.’ 103 Grâce à lui le mouvement Pop a pu émerger en Angleterre. En effet, il a ramené une grande quantité de matériels, issus de magazines des États-Unis et a stimulé l’IG à créer en masse. Avec ces fragments importés, McHale compose, en 1956, une œuvre intitulée Machine Made, America [42] qui fera la couverture de la revue d’architecture anglaise Architectural Review. Ce collage, qui représente une sorte de robot anthropomorphe, est composé de fragments mécaniques et alimentaires, que McHale associe à la société de consommation. Cette œuvre sera décrite par Reyner Banham, dernier membre majeur de l’IG, comme une ‘figure à la tête en forme de dôme, émaillée de preuves enchevêtrées des prouesses des États-Unis en matière de technologie, de J-P. Stonard, ‘The 'Bunk' Collages of Eduardo Paolozzi’, loc.cit. Juliette Bessette, ‘John McHale : de l’art du collage à la pensée prospective’, Les Cahiers du Musée national d'Art moderne, n° 140, été 2017, p.35. 102 103

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moyens de communication et d’opulence — composée d’éléments imprévisiblement mécaniques ou végétaux, animaux ou arithmétiques — était, néanmoins, délibérément et incontestablement humanoïde.’ 104 La figure de l’œuvre apparait comme une représentation de la fusion entre l’homme et la machine, à une époque où le robot entre dans la culture populaire. Ainsi, comme le dit Lawrence Alloway, ce collage exprime ‘tantôt la subordination de la machine (notamment dans la sphère domestique), tantôt la prise de pouvoir du robot sur l’être humain,’ 105 ce qui démontre aussi que l’humanisation de cette machine cherche à rassurer, quelque part, sur l’étrangeté de celle-ci. La volonté d’une ‘consommation de l’image’ est donc très importante dans le travail de McHale. Lawrence Alloway le confirme même en disant que cette œuvre est constituée de ‘matériaux jetables de notre culture imprimée.’ 106 Puisqu’il compose avec ces fragments d’images, récoltés dans les magazines américains, ‘les images de McHale sont définies par ce qu’elles consomment […] en cela, elles sont aussi éphémères que les produits de consommation desquels elles sont constituées. Ce n’est pas des Beaux-Arts, c’est de l’art qui concerne la vie quotidienne,’ 107 explique Robert Freeman. En tant que couverture du magazine, Machine Made, America, ce collage prend une valeur plus importante qu’un simple collage. ‘En 1951, Marshall McLuhan a suggéré dans son 104 Extrait de R. Banham, The Expendable Ikon: Works by John McHale, cat. d’expo., Buffalo, Albright-Knox Art Gallery, 1984, p. 40. Lu dans J. Bessette, ‘John McHale : de l’art du collage à la pensée prospective’, op.cit., p.50. 105 J. Bessette, ‘John McHale, l’Amérique passée à la machine’, Les Cahiers de l’École du Louvre, n° 13, juin 2019, p.7. 106 Extrait de Lawrence Alloway, « Paolozzi and the Comedy of Waste », Cimaise, octobre-décembre 1960, p. 120. Lu dans Ibid., p.2. 107 Extrait de Robert Freeman, ‘The Human Image’, Lady Clare, juin 1959, p. 8. Lu dans Ibid.

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livre The Mechanical Bride que la première page d'un journal ou une simple feuille d'un magazine pouvait être considérée comme une œuvre d'art’ 108, affirme John-Paul Stonard en reprenant les mots de ce dernier. Quelle que soit la page du magazine, l’œuvre doit être soignée. Ceci induit donc une nouvelle manière de considérer l’œuvre d’art : l’image devient un produit de consommation, dont les médias de masse, comme le magazine, la télévision, etc., deviennent le principal moyen de diffusion. De plus, John McHale exprime que ‘de par leur nature, ces images (collectées) sont des icônes. Elles tentent de définir une image humaine approximative dans les termes d’une iconographie dérivée, souvent littéralement, du contexte des médias de masse. Le vaste champ du cinéma, de la télévision, des magazines illustrés et de la pub sur papier glacé reflète la situation humaine actuelle – à la fois symboliquement et réellement’ 109 Il poursuit en ajoutant que ‘le collage comme médium pour la construction de ces icônes est adéquat en tant qu’il fournit un parallèle à notre expérience vécue de l’image lorsque nous tournons les pages d’un magazine, regardons un film ou parcourons un journal. Des fragments saisis de façon aléatoire sont organisés en ensembles signifiants.’ 110 Autrement dit, en choisissant des fragments issus des médias de masse pour produire une image à consommer, celle-ci percute l’esprit du consommateur, puisque le fragment fait déjà partie de sa culture visuelle.

J-P. Stonard, ‘The ‘Bunk’ of collages of Eduardo Paolozzi’, loc.cit. Extrait de John McHale, 3 Collagists. E.L.T. Mesens, John McHale, Gwyther Irwin, Londres, ICA, livret d’exposition 5-29 novembre 1958, 1959. Lu dans Juliette Bessette, ‘John McHale : de l’art du collage à la pensée prospective’, op.cit., p.37. 110 Ibid. 108 109

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Le concept d’icône est donc un élément clé dans cette volonté d’atteindre un plus large public à travers l’œuvre d’art, ici le collage. À force de les diffuser, les images deviennent des icônes, mais temporaires, car les images sont vite remplacées par de nouvelles images, qui deviennent de nouvelles icônes à leur tour et ainsi de suite. Comme l’explique Juliette Bessette : ‘En général, aux époques qui nous sont antérieures, les icônes avaient tendance à durer relativement longtemps ; (…) elles se réclamaient d’une universalité qui était la condition première de leur acceptation.’ 111 Alors que les icônes de McHale ‘sont éphémères, jetables. Puisées dans l’environnement quotidien, elles sont utilisées puis, une fois leur contenu symbolique consommé, remplacées par d’autres icônes assurant une fonction similaire.’ 112 Ce qui prône donc, c’est le changement. L’œuvre, en tant que nouvel objet à consommer, doit être attirante pour que sa diffusion soit favorisée, même si ce n’est qu’éphémère. C’est la raison pour laquelle les artistes Pop doivent être percutants à travers leurs images, ils doivent immédiatement attirer l’œil. La mise en valeur du kitsch, du superficiel, des super héros, très en vogue dans les bandes dessinées, et du quotidien fait alors partie des productions pop pour la simple raison que ces éléments interpellent le plus grand nombre. L’effet recherché est donc atteint. En plus d’être populaires, ces fragments récupérés ouvrent une palette colorée beaucoup plus flashy, justement pour attirer le regard, à l’image des stars de leur temps, les images deviennent, bel et bien, des icônes. Richard Hamilton, autre artiste membre de l’IG, a été l’un des plus importants praticiens de la théorie de Lawrence Alloway, qu’il a interprétée de la manière suivante : ‘tous les arts sont Extrait de John McHale, ‘The Expendable Ikon’, Architectural Design, vol. 29, février 1959, p. 82, J. Bessette, ‘John McHale, l’Amérique passée à la machine’, Les Cahiers de l’École du Louvre, p.9. 112 Ibid. 111

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égaux - il n'y a pas de hiérarchie de valeurs’. 113 En 1956, il montre et critique le consumérisme de la société qui entoure le Pop Art dans son œuvre Just what is it that makes today’s home so different, so appealing ?, [43] qui deviendra le collage le plus emblématique du Pop Art britannique. Ce collage est réalisé pour la couverture du catalogue de la fameuse exposition This is Tomorrow, [44] où des groupes formés par un artiste, un architecte et un photographe étaient invités à exposer pour représenter leur vision de l’avenir. C’est d’ailleurs à l’issue de cette exposition que le Pop Art anglais jaillit en tant que mouvement artistique. À partir du fameux matériel ramené par McHale depuis les États-Unis, Hamilton aborde des thèmes d’actualité fondés sur les nouvelles technologies, les nouveaux médias, l’érotisme, l’affiche publicitaire et la bande dessinée. En 1990, il dira que le but de ce collage de 1956 était de ‘jeter dans l'espace restreint d'un salon une représentation de tous les objets et idées qui s'entassent dans notre conscience d'après-guerre : ma "maison" aurait été incomplète sans sa force vitale symbolique, alors Adam et Eve ont pris la pose avec le reste des gadgets. […] Nous semblions être sur la voie d'un avenir radieux et notre monde changeant, celui de la haute technologie, était accueilli avec une confiance en soi sans faille ; un élan d'optimisme qui nous a fait entrer dans les années 60. […] Il s'agit d'une allégorie plutôt que de la représentation d'une pièce.’ 114 En effet, chacun des éléments du collage fait référence à une idée bien spécifique, on retrouve des éléments comme des appareils ménagers, une télévision montrant une femme parlant au téléphone et un magnétophone. Il illustre l’égalité des arts, citée auparavant, https://www.tate.org.uk/art/artists/richard-hamilton-1244 Extrait de Exteriors, Interiors, Objects, People, p.44. Lu dans https://www.tate.org.uk/art/artworks/hamilton-just-what-was-it-that-madeyesterdays-homes-so-different-so-appealing-upgrade-p20271 113 114

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en mettant côte à côte un tableau portraitiste traditionnel du XIXe siècle, une bande dessinée encadrée ainsi qu’une fenêtre donnant sur un cinéma. Le logo Ford au centre de l’œuvre fait référence à la voiture, symbole de la société de consommation. Avec ce collage, il ironise le mode de vie américain régi par la technologie moderne en affichant l’intérieur à la mode d’un couple stéréotypé formé par un bodybuilder et une pin-up. Le titre de l’œuvre a été modifié en 1992 passant de Just what is it that makes today’s home so different, so appealing ? à Just what is it that makes yesterday’s home so different, so appealing ? La même année, il a fait une nouvelle version de l’œuvre, s’intitulant Just what is it that makes today’s home so different, so appealing ? [45] Il voulait renouveler l’expérience de son premier collage en 1956, mais cette foisci, en démontrant comment l’artiste pouvait utiliser un ordinateur pour générer de l’art, avec des images reflétant la société des années 1990. Hamilton s’est beaucoup intéressé aux représentations d’intérieurs, qu’il réalisait toujours en collage de fragments de magazines. On peut citer Interior I [46] et Interior II. [47] Ces deux collages s’appuient sur une photographie qu’Hamilton a trouvée par hasard, issue du film Shockproof [48] réalisé par Douglas Sirk en 1949. Dans ces deux collages, il veut recréer l’ambiance angoissante du film. Richard Hamilton explique que ‘la version sérigraphiée du thème de l'Intérieur part d'une photographie en noir et blanc d'un groupe de collages et de la couleur est ajoutée pour donner un effet pseudophotographique de reproduction des couleurs en demi-teinte. J'ai fait des séparations de couleurs à la main, en utilisant des teintes mécaniques toutes faites.’ 115 Hamilton, de par son intérêt envers les espaces architecturaux et ses nouvelles 115

https://www.tate.org.uk/art/artworks/hamilton-interior-p04250

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techniques de collage, a certainement beaucoup inspiré Archigram et Superstudio. De par ses premières expérimentations numériques, il a aussi été un de ceux qui ont initié le collage numérique que nous utilisons aujourd’hui. C’est sous une forme un peu différente que le mouvement explose aux Etats-Unis au milieu des 1950. Comme avec l’IG, les objets trouvés, à consommer, les déchets, la banalité quotidienne deviennent de l’art (argent, bande dessinée, spectacle, cinéma, etc.), dans un discours anonyme associé à ces objets. De manière beaucoup plus agressive que les artistes anglais, les artistes pop américains, confrontés quotidiennement à cette société, vont puiser en profondeur les techniques industrielles jusqu’à les appliquer systématiquement à leurs œuvres. La répétition, la reproduction et la démultiplication d’une même image, avec des couleurs éclatantes, permettent aux artistes de reprendre des œuvres déjà produites et de les parodier, ou de créer des œuvres de toutes pièces, symboles d’ironie. La notion d’ironie est très importante dans le Pop Art Américain. Robert Rauschenberg, artiste plasticien et précurseur du Pop Art, est d’ailleurs très critique lorsqu’il efface ou gomme des bouts de dessins d’autres artistes. C’est le cas, par exemple, dans son œuvre Erased De Kooning drawing [49] de 1952. Il demande à De Kooning ses dessins, dont il apprécie beaucoup le travail, pour les effacer. Rauschenberg estime que, comme la vie, l’œuvre se transforme. En reprenant et effaçant le dessin, il le parodie et, avec sa manière scandaleuse d’agir, il critique l’académisme lui-même. Il exerce un art qui s’inscrit dans un espace/temps en accord avec la vie de son époque. Combine Paintings, [50] œuvres hybrides associant la peinture, le collage et l’assemblage d’objets trouvés, de déchets de la société chargés d’histoire, ainsi que de matériaux dénichés un peu partout,

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expriment très clairement son propos. ‘Par l’organisation de cette rencontre, Rauschenberg prend le parti d’unir le passé (peinture) et le présent (objets), de créer une totalité résolument tournée vers l’avenir. Lorsqu’il explique son amour des objets récupérés, il précise sa volonté de ne pas rejeter une parcelle du réel parce qu’elle serait inscrite dans le passé ou parce qu’elle aurait été décrétée impure, qu’il serait inconvenant de l’introduire dans le domaine artistique,’ 116 explique Jean-Marc Lachaud. Influencé lui aussi par les collages dadaïstes mais surtout ceux de Schwitters, Rauschenberg suit la pensée de cet artiste en suggérant un lien étroit entre l’art et la vie. L’absence de facture est aussi une caractéristique associée à leur forme d’art, leur discours a ainsi un impact plus important, il est plus direct. Ils parviennent même à pousser l’exploit en dépersonnalisant complètement l’œuvre, la femme devient, par exemple, un objet de désir, qui donne envie de consommer l’image d’autant plus que l’icône attire l’œil. Nous parlons bien sûr de l’incontournable Marilyn Diptych [51] d’Andy Warhol, détournée plus tard en des milliers de combinaisons. Cette sérigraphie de 1962, sorte de collage indirect qui permet de calquer une photographie ou une image déjà imprimée sur un support, met en scène Marilyn Monroe, sûrement le symbole de la pin-up la plus connue. Tout juste décédée, l’icône qu’elle représente et la photographie, provenant de la publicité du film Niagara de 1953, [52] qu’il reproduit en 50 fois, permettent à l’artiste de charger son œuvre en symboles forts. Cette répétition rappelle l’apparition systématique de Marilyn dans les médias, faisant d’elle-même et de son image un objet de consommation, et le culte de l’image incessant depuis cette époque. Il fait ici un véritable parallèle entre la vie et la mort ainsi que le lien qu’entretenait 116

J-M. Lachaud, Collages, montages, assemblages…, op.cit., p.226.

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l’actrice avec ces dernières. Les couleurs vives à gauche, symboles de vie, s’effacent et se décolorent peu à peu sur la droite, symbole de mort. Actuellement, cette image a été tellement diffusée qu'on peut la retrouver non seulement sur le marché de l’art mais aussi, dans les supermarchés et les magasins de grande distribution. Cette reproduction à grande diffusion, intégrée au marché industriel marque un nouveau moyen de propagation de l’image artistique en dehors du cadre restreint des expositions de collections d’art. Son influence se fait encore sentir, même 50 ans plus tard. L’art se démocratise, il joue, se diffuse, critique, parle de tout et peut maintenant s’adresser à tout le monde, surtout aux noninitiés. C’est un art qui scandalise les critiques mais que le public s’approprie facilement. Gérard Xuriguera dira même qu’avec les artistes pop, on a affaire à ‘une véritable révolution des formes et du regard’. 117 L’art devient un emblème au même titre que l’artiste devient une icône. Ce dernier n’est plus seulement connu dans le cercle artistique ou alors après sa mort, mais il a de la popularité auprès du grand public. En cela, l’artiste parvient à toucher le plus grand nombre pour diffuser une idée ou une critique. Après avoir effectué une première analyse historique de l’art pour comprendre les enjeux de la pratique collagiste, il est nécessaire de comprendre comment et pourquoi le collage a fait son apparition dans le domaine architectural. Cette approche permet de voir s’il existe ou non une dimension critique de la pratique dans les productions modernes. C’est pourquoi le prochain point abordera l’idée en parcourant le travail de quelques architectes modernes notables pour le collage. 117 Extrait de Gérard Xuriguera, Regards sur la peinture contemporaine, Paris, Arted, 1985, p. 160. Lu dans J-M. Lachaud, p.238.

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Eduardo Paolozzi, Bunk, 1972

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Eduardo Paolozzi, I was a Rich Man’s Plaything, 1947


36

Eduardo Paolozzi, A New Brand of Brilliance, 1972

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106

Eduardo Paolozzi, You Can’t Beat the Real Thing, 1972


38

Eduardo Paolozzi, Was This Metal Monster Master or Slave?, 1952

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108

Eduardo Paolozzi, One Man Track Team, 1953


40

Eduardo Paolozzi, Fisherman and Wife, 1946

109


41

110

Eduardo Paolozzi, It’s a Psychological Fact Pleasure Helps your Disposition, 1948


42

John McHale, Machine Made, America, 1956

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43

112

Richard Hamilton, Just what was it that made yesterday’s homes so different, so appealing ? 2004


44

Groupe 2 formé par John Voelcker, Richard Hamilton et John McHale, Installation pour l'exposition montrant Robby le Robot emportant une femme légèrement vêtue, 1956

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114

Richard Hamilton, Just what is it that makes today’s homes so different ?, 1992


46

Richard Hamilton, Interior I, 1964

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116

Richard Hamilton, Interior II, 1964


48

Douglas Sirk, Shockproof, 1948

117


49

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Robert Rauschenberg, Erased de Kooning Drawing, 1953


50

Robert Rauschenberg, Untitled, Combine painting, 1955

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51

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Andy Warhol, Marilyn Diptych, 1962


52

Gene Kornman, Marilyn Monroe, 1953

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3.2.

Tremplin vers l’image d’architecture

Les idées avant-gardistes de l’art du XXe siècle, surtout du Pop Art, considéré comme le dernier mouvement artistique moderne, coïncident avec une nouvelle manière de penser et véhiculer l’architecture. Durant toute la première partie du XXe siècle, les artistes des divers mouvements qui se sont succédés ont trouvé dans le collage un moyen technique permettant de créer des univers visuels variés tout en dénonçant les nombreuses failles d’un système qui ne correspond plus à cette société en mutation. ‘Ainsi, en quelques années, le collage a été utilisé comme un moyen ironique de provocation, un corrupteur esthétique, un agitateur politique, un évocateur d'images et d'utopies futuristes, un instrument d'analyse critique, un séducteur visuel, un moyen publicitaire, etc. C'était un outil, à la fois innocent et raffiné ; un symbole d'exposition hybride, de spéculation, de métissage, d'économie, de rapidité, de mondialisation... Le collage a été et reste l'une des stratégies d'exploration, de préfiguration et de composition les plus créatives et les plus polyvalentes, propice à s'appliquer à la pensée architecturale.’ 118 Les pratiques collagistes de ces mouvements, ont donc ouvert la voie aux architectes de ce temps qui ont emprunté et se sont appropriés l’outil afin de diffuser leurs idées. La culture de l’image, qui s’est peu à peu construite durant le siècle, a amené ces nombreux architectes à concevoir avec les nouveaux moyens de fabrication d’images. Le collage et le photomontage sont alors devenus, pour certains d’entre eux, un outil de communication incontournable. Pour clôturer la fin de cette grande première phase, il est indispensable de regarder d’un peu plus près une Fernando Linares García, ‘Recorta Y Pega: Los Primeros Usos Del Collage Y Fotomontaje En La Representación De La Arquitectura Moderna’, Estoa. Revista De La Facultad De Arquitectura Y Urbanismo De La Universidad De Cuenca, Vol. 7, n.º 13, juillet 2018, p.49. 118

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sélection de travaux de ces architectes qui vont à leur tour ouvrir le pas à leurs successeurs. Mies Van Der Rohe, qui est connu pour ‘la production et la présentation d’architecture d’images et d’images architecturales - ce qui a souvent été qualifié, de façon péjorative, notamment par Mies lui-même, d'architecture de papier,’ 119 s’impose en maître dans la pratique du collage qu’il utilise en connaissant parfaitement les médias et les techniques mises au point par les artistes de son époque. Sa fascination pour le rassemblement de matériaux hétérogènes, tirés de photographies ou de magazines, associés au dessin à l’encre, rend possible la production de ses photomontages. Les moyens mis à sa disposition lui permettent de ‘révolutionner la représentation architecturale et d'élaborer sa propre conceptualisation de l'espace.’ 120 Il devient ainsi l’instigateur d’un changement radical dans la production d’images d’architecture. Ses collages ont tendance à chercher une intégration maximale du projet dans son contexte, c’est pourquoi il intègre la perspective pour obtenir un effet plus réaliste. Mies parvient ainsi à prévisualiser le bâtiment final et à concevoir le projet avec les images qu’il produit. Le collage reste, toutefois, très exclusif dans sa pratique, seuls les grands projets, ceux destinés aux concours, qui méritent plus d’attention, sont illustrés. Par exemple, en 1910, il a effectué deux photomontages, entre photographies de site et photographies de maquette, pour le concours du monument national en l’honneur de Bismarck. Dans le premier, on observe le projet, surplombant le Rhin, depuis la rive du fleuve. [53] Le deuxième, est une image rapprochée du bâtiment depuis un sentier voisin. [54] Ce dernier est 119 120

M. Stierli, ‘Mies Montage’, op.cit., p.64. Ibid.

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augmenté par une aquarelle qui montre son agilité pour manipuler des images avec des moyens picturaux de représentation. Dans les deux cas, les collages témoignent de la monumentalité du projet grâce au minimalisme et l’abstraction dont Mies fait preuve, suivant sa devise ‘Less is more’. Les éléments fondamentaux du projet sont les seuls rendus visibles, le reste étant plus superficiel, on peut s’en abstenir. Plus tard, en 1921, Mies participe au concours pour la Friedrichstrasse à Berlin. Il met au point un gratte-ciel en verre, matériau pour lequel il a une attention particulière, qu’il va beaucoup représenter dans ses collages. Ici, la structure se retrouve à l’extérieur et ses montages le montrent de manière très précise. Cette fois il en a réalisé trois, [55] dont deux possèdent le même point de vue, qui jouent avec l’ombrage pour marquer l’oppression de la ville et l’expression du cône par ses parois de verres inclinées qui se présente comme un phare dans la ville. ‘Il obtient ainsi un effet cristallin extrêmement séduisant par ses reflets, ses lumières et ses ombres,’ 121 explique Fernando Linares. Ses collages sont sans couture, à l’image de ceux de Ernst, et trompent l’œil en faisant croire que les images sont toutes unifiées, pour un effet réaliste total. Ceci lui permet d’inscrire violemment son architecture moderne dans le tissu traditionnel de la ville en perturbant le contexte existant. Le collage forme une sorte de grille qui lui permet d’intégrer une hiérarchie dans les éléments qu’il met en corrélation, il bricole à l’intérieur de cette grille divers matériaux qu’il affectionne. Ceci lui permet de créer des projets, comme le musée Georg Schaefer, [56] calibrés par la standardisation des mesures des matériaux industriels. C’est-à-dire que toutes les 121

F. Linares García, ‘Recorta Y Pega …’, op.cit., p.45.

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hauteurs, largeurs, longueurs, épaisseurs de ses collages, qu’il compose pour former ses projets, sont calepinées à partir de ces matériaux (les éléments collés remplaçant les matériaux réels). De plus, il cherche, au-delà des dimensions, à représenter en miniature les qualités tactiles et visuelles des matériaux. En intégrant des images possédant un certain grain, il parvient à transmettre la texture qu’il recherche dans ses projets, à travers les collages qu’il produit. L’utilisation précoce du collage par Mies, semble sans précédent à l’époque en architecture. 122 Le Corbusier, plus ou moins à la même période, s’empare également de la technique en produisant des images à base de papiers collés. Dans un processus similaire aux cubistes, Le Corbusier a travaillé avec du papier peint, de la gouache et de l’encre dans une intention purement plastique. Il se démarque ainsi de Mies qui cherchait plutôt un moyen de représenter ses projets de manière fidèle, sans dimension artistique. Les premières tentatives du Corbusier, en 1920, sont des images très simples à partir de papiers découpés et imprégnés de peinture. C’est le cas dans l’œuvre Still Life with Pile of Plates, [57] inspiré directement des cubistes, il met en scène une guitare, comme Picasso, sous forme de nature morte géométrique. Même si ses productions sont avant tout artistiques et qu’elles n’ont pas vraiment de message derrière, leur contenu avait un lien direct avec son œuvre architecturale. 123 On pourrait voir dans cette œuvre une sorte d’élévation axonométrique d’un projet imbriqué dans une ville. Il a composé ses collages avec le modulor au même titre que ses projets, 124 [58] ce qui lui permet d’intégrer une échelle humaine à ses compositions. Il compose donc ses collages comme il compose son architecture.

M. Stierli, ‘Mies Montage’, op.cit., p.65. J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.30. 124 Ibid. 122 123

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C’est dans les années 1950 que le collage commence à prendre, timidement, une dimension réellement critique. En 1952, Alison et Peter Smithson participent au concours de la Golden Lane dont la parcelle se trouve sur un ancien site bombardé à Londres. Leur proposition met en lien de grands blocs d’habitation irréguliers allant jusqu’à 10 étages, reliés par des rues aériennes. Ils vont utiliser le collage afin d’illustrer les ambiances du projet. Avec ce projet, qui se veut révolutionnaire à l’égard des visions européennes de l’architecture, comme celles du Corbusier ou Walter Gropius, les Smithson conçoivent un projet qui reconsidère la place de la mixité du programme dans les bâtiments collectifs et de la rencontre sociale. Ils marquent ainsi un début dans la révolte contre la rigidité et le formalisme des architectes modernes, préférant une vision progressiste de la société. La communauté était mise en valeur par la création d’un réseau aérien de circulation piétonne invitant l’usager à rencontrer son voisinage. Ce réseau était aussi une sorte de réponse à la place de l’automobile qui commençait à devenir omniprésente dans la ville des années 1950. Les collages qu’ils vont produire pour ce concours signalent déjà leur philosophie à propos de l’architecture. Ils portent un intérêt certain pour la vie sociale, en incluant des figures connues à ces collages, comme Monroe ou des images tirées du film de Gérard Philippe, ainsi que des étudiants de l’école des Arts and Crafts déambulant dans ces rues dans le ciel. 125 On pourrait voir un parallèle avec le travail des artistes de l’IG, dont ils faisaient également partie, qui avaient des préoccupations similaires et la même manière d’utiliser les Alison M. Smithson, Peter Smithson, Dirk Van Den Huevel, et al. (éd.). Alison and Peter Smithson: From the House of the Future to a House of Today. Rotterdam, 010 Publishers, 2004, p.62. 125

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images issues de la consommation. Contrairement aux photomontages de Mies, qui fait preuve d’une grande abstraction et d’une absence de facture, les Smithson ont mélangé des matériaux issus de divers médias et n’ont pas hésité à dessiner par-dessus les photographies ou à effacer la distinction entre le bâtiment et le ciel afin de mettre le collage au premier plan, le rendant indépendant du reste. [59] Dans leur travail, la fragmentation était le fond de toutes leurs propositions et le collage leur permettait de promouvoir l’insertion radicale d’une nouvelle vision urbaine à partir des décombres. Ces collages sont publiés bien plus tard, en 1961, dans le numéro 250 de la revue Casabella. L’un d’eux est une axonométrie qui montre l’imbrication du bâtiment dans la ville. [60] Certains des collages créés à partir de ces photographies, truquées par Peter Smithson, sont montrés lors du IXe congrès des CIAM en 1953. Ils les ont intégrés dans une grille revisitée (en référence à la grille du Corbusier ; habiter, travailler, se déplacer et se divertir), dans laquelle ils apportent une vision plus humaine. Pour ce faire, ils vont établir de nouvelles catégories qui se concentrent sur les relations humaines, à savoir la maison, la rue, le quartier et la ville. Cette grille de réidentification urbaine [61] est divisée en deux parties, la première inclut des photographies d’enfants jouant dans les rues de Bethnal Green, un quartier pauvre de Londres. Elles sont prises par Nigel Henderson –avec qui ils participeront à l’exposition internationale This is Tomorrow 126 aux côtés de 126 This Is Tomorrow est une exposition d'art, d'architecture, de musique et de graphisme phare qui a eu lieu à Londres en août 1956. Parmi les participants, les membres de l’IG, Reyner Banham, Lawrence Alloway, Nigel Henderson, Eduardo Paolozzi, Richard Hamilton, William Turnbull et John McHale, entres autres, seront présents. Au cœur de l'exposition, une salle leur était réservée et ils y ont exposé, par groupes de trois (un architecte, un artiste, un photographe), leurs compositions. La présentation

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Paolozzi – et montrent, comme l’explique Frédéric Pousin : ‘L’image d’enfants jouant sur le pas de la porte constituait l’emblème d’un nouvel humanisme porté par un certain nombre d’écrits sur la crise de la ville occidentale contemporaine. (..) Le transfert des populations ouvrières dans les complexes du nouveau logement de masse s’accompagnait d’un démantèlement des communautés ouvrières traditionnelles et des formes de sociabilités qu’elles avaient pu générer.’ 127 C’est donc en réponse à cette architecture, qu’ils considèrent austère et rompant tout lien humain, que les Smithson intègrent leur proposition pour la Golden Lane dans la seconde partie de la grille. Ils mettent ainsi côte à côte, le lien social présent dans les quartiers ouvriers – illustré par les enfants qui jouent ensemble dans la rue – et comment ils imaginent l’intégrer dans leur projet innovant. Ce projet a, par ailleurs, été présenté en concours un an avant ce congrès. On peut donc dire que la grille du CIAM est un grand collage, bien organisé, de photographies, de schémas, de photomontages, de dessins et dans ce cas-ci on peut lui trouver une certaine dimension critique. En effet, les associations d’éléments le composant sont indirectement une attaque envers l’architecture moderne d’après-guerre. Cette association appuie d’autant plus leur remise en question des couloirs intérieurs modernistes qui ne permettent aucune interaction sociale. Ce n’est qu’en 1966-1972 qu’ils pourront réaliser une partie de leurs idées, présentées au concours pour la Golden Lane, qu’ils ont perdu, en construisant la Robin Hood Gardens, [62] qui a été détruite récemment. Toutefois, les deux architectes vont être fortement critiqués pour cette réalisation. En effet, elle a de ces œuvres à ouvert et introduit la formation du phénomène Pop-Art, notamment grâce à l’œuvre I Was a Richman’s Plaything de Paolozzi. 127 Frédéric, Pousin, ‘Les concepteurs de la ville en quête de l’espace familier (1945-1975)’, Strates, n°14, 2008, p.191-211.

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très mal vieilli et a fini par devenir un foyer de délinquance très important, malgré une intention de projet, qui se voulait initialement, bienveillant. Dans les années 1960, plusieurs groupes de jeunes architectes, cherchant à se démarquer totalement de leurs prédécesseurs, réagissent face à un monde basé sur la consommation de masse et les produits en série. Ils veulent se défaire d’une architecture désuète, sévère et rigide qui n’est plus en phase avec une époque qui ne cesse d’évoluer, tant dans le progrès technique que dans la condition humaine et sociale. D’un côté, ‘Archigram s'est approprié les formes de la culture populaire (les images drôles, le langage instantané, l'indifférence aux références) pour pouvoir intervenir sur des questions importantes concernant la finalité de l'architecture,’ 128 explique Simon Sadler. De l’autre, Superstudio a développé diverses thématiques – reprises dans la thèse d’Adolfo Natalini, membre fondateur de Superstudio – dont l’architecture de l’image qui ‘a provoqué une vaste expérimentation visuelle des techniques et des applications, s'appropriant des sources diverses, telles que le collage, le pop art, le cinéma et le dada’ 129, affirment Peter Lang et William Menking. Tandis que les architectes des temps modernes ont utilisé le collage comme moyen de communication du projet, Archigram et Superstudio ont transmis une toute autre approche, plus en lien avec l’utilisation faite par les artistes du XXe siècle. Dans cette attitude réactionnaire, le collage apparait comme un moyen de représentation et de critique indispensable, représentant une architecture sans architecture, autrement dit une architecture de papier. Fortement influencés par la culture pop du moment, les membres de ces deux groupes réagissent à 128 129

S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.197. P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.16.

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l’architecture austère dont ils ont hérité en adoptant un ton ironique et en réemployant tous les éléments provenant de la consommation de masse ainsi que les images et objets des mass médias. Le goût prononcé d’Archigram pour la bande dessinée, les super héros, les célébrités ou toutes autres figures qui marquent la société des années 1960, incite les architectes du groupe à intégrer ces éléments à leur architecture, et plus particulièrement aux collages qui les illustrent. Ceci leur permet de transfigurer les moyens de représentation d’une ‘architecture vivante’. Les architectes de Superstudio sont, quant à eux, plus réactionnaires face à la pop, comme la plupart de leurs contemporains. ‘A cette époque, de nombreux étudiants étaient sceptiques à l'égard du pop : en fait, le rapprochement avec le capitalisme bourgeois était précisément un facteur qui identifiait le mouvement pop art comme une "néo-avant-garde" au sens dénigrant du terme.’ 130 Ils utilisent, toutefois, le même discours ironique afin de dénoncer une société de consommation, à laquelle ils empruntent les éléments, et la retourner contre elle-même. 131 Révoltés par l’architecture du modernisme, les membres de Superstudio proposent des édifices qui entretiennent une relation ambigüe de fascination/répulsion vis-à-vis du fonctionnalisme, notamment envers les grilles totalitaires de Mies, qu’ils jugent trop strictes, explique Eric Loret 132. Ces deux groupes conçoivent alors des architectures d’utopies technologiques critiques qui reprennent des éléments du consumérisme dans le but de parler au plus grand nombre. Grâce à la pratique du collage, dont ils héritent des BeauxArts, ils parviennent à revendiquer l’émergence d’une nouvelle réalité sociale en véhiculant leurs idées et en S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.47. Eric Loret, ‘Les utopies négatives de Superstudio’, Le Monde, juillet 2018. 132 Ibid. 130 131

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dénonçant un modèle architectural moderne qu’ils jugent dépassé, épuisé. Ce n’est pas tout, les idéaux architecturaux, inconstructibles, auxquels ils réfléchissent, pendant leurs quelques années d’existence, sont aussi des attaques délibérées face aux autres utopies naissantes qui proposent d’autres modèles antimodernes. C’est pourquoi l’autre moitié de l’étude s’oriente complétement sur la pratique collagiste des deux groupes. Il est nécessaire de comprendre pourquoi et comment ils parviennent à analyser, critiquer et proposer des architectures qui vont marquer le champ architectural qui les succède.

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Ludwig Mies van der Rohe, Bismarck Monument Project, Bingen, Germany, 1910

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Ludwig Mies van der Rohe, Bismarck Monument Project, Bingen, Germany, 1910


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Ludwig Mies van der Rohe, Friedrichstrasse Skyscraper Project, 1921

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Ludwig Mies van der Rohe, Friedrichstrasse Skyscraper Project, 1921


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Ludwig Mies van der Rohe, Friedrichstrasse Skyscraper Project, 1921

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Ludwig Mies van der Rohe, Projet du musée Georg Schaefer, Schweinfurt, Allemagne, Perspective intérieure avec vue du site, 1960-1963


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Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret), Still Life with Pile of Plates, 1920

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Le Corbusier (Charles-Edouard Jeanneret), Le Modulor, 1950


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Alison and Peter Smithson, Collage pour la Golden Lane, 1952

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Alison and Peter Smithson, Collage pour la Golden Lane, 1952


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Alison and Peter Smithson, Grille de réidentification urbaine, 1953

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Alison et Peter Smithson, Robin Hood Gardens, 19661972


II. … Á LA PRATIQUE RADICALE D’ARCHIGRAM ET SUPERSTUDIO DANS LES ANNEES 1960-1970 1. ÉMERGENCE DU COLLAGE ET IDÉOLOGIE DES DEUX GROUPES Le monde architectural du début des années 1960 est marqué par un sentiment de conspiration partagé par les divers groupes d’avant-gardes architecturales. Les membres de ces groupes ressentent un profond désaccord vis-à-vis de leurs contemporains, qui ne leur semblent plus être en phase avec les attentes collectives d’une époque. Au vu d’une telle dissemblance, Archigram d’abord, puis, quelque temps plus tard, Supertudio, s’imposent comme des acteurs incontournables dans l’utilisation du collage pour communiquer sur la scène populaire. Ils empruntent à la société, basée sur la culture de masse, ses diverses composantes pour produire leurs images, traduisant leurs idées. Archigram, contraction des termes ARCHItecture et téléGRAMmes, naît en Angleterre, en 1961, dans une société anglo-saxonne noyée dans l’américanisation de la vie. Les six membres qui composent ce groupe, Peter Cook, le leader, David Greene, Michael Webb, Ron Herron, Warren Chalk et Dennis Crompton, [63] vont s’imprégner d’une réalité sociale existante afin de contribuer à l’évolution du cadre intellectuel strict de l’architecture de ce temps. ‘Avec beaucoup d’impertinence, un peu d’opportunisme, une grande liberté et une foi en leur époque, ils ont réussi, de façon inédite, à renouveler le vocabulaire et les moyens de représentation, à convoquer le nouveau paysage social et à se nourrir des

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autres disciplines artistiques,’ 133 affirme Marie-Pierre Vandeputte. De plus, ils apparaissent à un moment des années 1950 qui a besoin d’un événement marquant pour se réveiller. L’entrée de la culture américaine en Angleterre, relativement pauvre à ce moment-là, par rapport au gigantisme social américain, permet de donner une voix à la vision de la jeunesse représentée par Archigram. Lors d’une conférence, Dominique Rouillard 134 explique que les années 1950 sont marquées par un discours architectural très sérieux, un peu obsolète, et l’idée d’introduire des couleurs aux dessins remplaçant le noir blanc traditionnel fait l’effet d’une bombe dans le domaine architectural. Le passage de l’austérité à l’abondance, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 en Angleterre, fait connaître à la population une ère de prospérité, de modernité et de nouveauté mises en avant par la publicité massive et permanente, explique Christopher Booker 135. Dans cette frénésie de la consommation, ‘le bâtiment idéal serait aussi désirable qu'une nouvelle voiture, et aussi jetable qu'une ancienne,’ 136 explique Sadler. C’est typiquement l’attitude Pop dont s’empare Archigram. Sadler poursuit en disant que ‘dans les années trente, les architectures de la conscience et de la joie étaient considérées comme complémentaires : l'une offrant la décence du lundi au vendredi et l'autre une libération le week-end. Cette distinction n'était plus valable pour les architectes des années soixante. La conscience dictait que l'homme et la femme du commun devaient être ravis sept jours sur sept. C'est ce que promettait Pop. Au lieu de confiner Marie-Pierre Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, Azimuts, n° 34, mai 2010, p.64. 134 Dominique Rouillard, Superarchitecture, Cité de l’architecture, cours 2008. 135 S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.36. 136 Ibid. 133

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la classe ouvrière dans des logements de masse, Archigram transférait sans vergogne les locataires dans des logements dispersés et branchés.’ 137 Archigram a donc principalement cherché à rompre avec l’architecture moderne, architecture qui au lendemain de la guerre a été utilisée pour refaçonner les villes des années 1950. 138 En revanche, Archigram ne remet pas seulement en question l’architecture moderne, mais l’ensemble de l’architecture présente dans le paysage britannique (les blocs d’habitation, les mégastructures, l’architecture désuète, etc.). Suivant les pas initiés par Richard Hamilton – pour qui les objets de consommation étaient représentés comme des objets sacrés 139 – Archigram ouvre l’architecture à culture pop en intégrant, dans son travail, des éléments produits par la société de consommation, axée sur les loisirs et le plaisir. Les membres du groupe sont, pour l’heure, très jeunes, et ils vivent avec la société de leur temps. Ils sont donc plus sensibles à cette culture de masse qui émerge et aux nouvelles envies sociales que les architectes de la génération antérieure, encore fortement figés dans le passé. La fascination d’Archigram pour la société de consommation et la technologie leur permet d’inclure des éléments de la production de masse à leur travail et d’adopter, ainsi, un ton ironique vis-à-vis de leurs contemporains. C’est ainsi que le collage apparaît au sein du groupe, ils n’hésitent pas à emprunter du matériel à l’industrie tel que la bande-dessinée, les dessins de super-héros et d’autres produits référant au loisir pour créer. [64] Suite à de nombreuses discussions dans un bar à Londres, les membres du groupe se demandent ‘Pourquoi ne publierait-on pas des choses joyeuses ?’ C’est pour cette raison qu’ils vont S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.37. D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit. 139 S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.35. 137 138

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donc mettre en circulation leur magazine Archigram, portant le même nom que le groupe. Diffusé en majorité dans les écoles d’architecture, les divers numéros de la revue, dont le premier était un prospectus [65] en réaction à ‘la stérilité de l'architecture qui l'entourait à Londres pendant l'hiver 196061’ 140, ont pour but de s’adresser directement aux étudiants, qu’Archigram considère comme les futurs acteurs du monde architectural de demain. C’est la raison pour laquelle ils doivent être mis au courant de la détresse architecturale dans laquelle le monde se trouve. Les dessins et collages qui accompagnent chaque projet publié contiennent souvent des onomatopées, des bulles et tout autre élément faisant référence à la culture du divertissement et du quotidien tirés de la science-fiction dont le groupe est fan. [66] Archigram affiche la plus grande provocation en utilisant ces moyens de communication anticonformistes dans l’expression graphique architecturale. Les neuf numéros, publiés entre 1961 et 1974, année de dissolution du groupe, reprennent tous des thématiques chères à la philosophie du groupe et incluent l’ensemble de leur travail basé sur la production d’images aux couleurs éclatantes, dont la palette est complétement pop. Pour Jean-Claude Garcias ‘il n’y a pas vraiment de théorie chez Archigram. C’est « un amalgame de pop art, de situationnisme, de mégastructuralisme, d’informatique, de « taux de permanence différentielle » et de cynisme infantile » qui s’amuse à transformer les notices explicatives des appareils ménagers en architecture mobile par agrandissement à la photocopieuse.’ 141 Leur intérêt pour l’art Extrait de Anon, ‘Archigram Group, London : A chronological survey’, Architectural Design, vol.35, no. 11, November 1965, p.560. Lu dans S. Sadler, ‘The brutal birth of Archigram’, Twentieth Century Architecture, n° 6, 2002, p.122. 141 Marie-Pierre Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, op.cit., p.64. 140

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les rendait réceptifs au mouvement pop. En effet, Cook, Greene et Chalk ont tous les trois fait leurs études d’architecture aux Beaux-Arts ce qui a nécessairement influencé leur production graphique et leur envie de produire une architecture d’images, une architecture sans architecture, explique Simon Sadler. 142 C’est pourquoi, en plus d’être au courant des techniques artistiques d’avant-garde, ils vont les emprunter et les inclure dans leur propre travail. Plutôt enclins à diffuser leurs idées à travers leurs collages qu’à construire, leur ‘architecture’ est alors considérée comme une architecture de papier. Cette absence de construction est permise par une époque de grand progrès qui ne connaît pas le chômage. 143 C’est pour cette même raison qu’Archigram peut se permettre de développer des modèles qui ne s’ancrent pas nécessairement dans le réel. Des collages, comme ceux qu’ils ont produits pour leur projet Plug-in City, par exemple, prennent vie et prônent un univers fondé sur le confort et la technologie. Ils montrent un environnement consommable, à base de machines, de câbles, de gadgets et de gigantisme qui mettent en scène des architectures et des villes complétement futuristes. [67] Archigram ne cherche pas vraiment à proposer des solutions aux échecs du modernisme, mais plutôt à apporter un changement radical dans la façon de concevoir l’architecture, à l’image de la société américanisée. Ils trouvent que les modernistes ont une façon de concevoir l’architecture très ennuyante et qui n’est plus en phase avec toutes les envies de l’époque. Comme l’explique Marie-Pierre Vandeputte, ‘plutôt que de proposer une réponse aux problèmes, Archigram cherche à diffuser un rêve affleurant la déraison, l’excès, le

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S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, loc.cit. D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit.

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jeu, le farfelu. […] L’architecture bouge, vit, flotte.’ 144 Les images qu’ils créent à cet effet mettent en avant des architectures démontables en très peu de temps, transformables, mobiles, légères et directement inspirées des hangars industriels de Floride ou de plateformes pétrolières 145. [68] Chacun de leurs bâtiments ou villes sont illustrés par des collages. C’est le cas de la série de Living City comme Plug-in City, Instant City, Living Pod, Walking City, entre autres, dont les images mettent en mouvement des architectures mécaniques et métalliques, dans la continuité d’une tradition anglosaxonne du matériau. Ces projets en grande réaction face au fonctionnalisme moderne, marquent un tournant dans le travail du groupe. Nous verrons plus tard dans quelles mesures et pourquoi. Toujours est-il, Archigram fait entrer une nouvelle manière de produire de l’architecture. Le collage, qui était rarement utilisé comme moyen de conception, devient un puissant outil de transmission et de réflexion architecturale à partir d’Archigram, ce qui inspire d’autres jeunes architectes à faire de même. Quelque temps plus tard, Superstudio démarre sous l’impulsion d’un homme : Adolfo Natalini. Celui-ci, se décrit dans une autobiographie comme ‘professeur d'université et architecte, mais (dont la) vocation est d'être un artiste’ 146 ce qui indique déjà l’ambivalence de sa pratique. Il s’inscrit à la faculté d’architecture de Florence en 1959 et peu de temps après, ce dernier, rencontre Frances Brunton, une jeune 144 Marie-Pierre Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, op.cit., p.60. 145 Richard Copans Le Centre Pompidou, film, France, 1998, 26 minutes. http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/4906 146 Extrait de Adolfo Natalini, ‘Autobiografia patetica’, Quattro Quaderni. Dal Superstudio alle città dei Natalini Archittetti, Forma Edizioni, Florence, 2015, p.10. Lu dans Emmanuelle Chiappone-Piriou, Beatrice Lampariello, Gabriele Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. Bruxelles, CIVA et Verlag der Buchhandlung Walther und Franz König, 2020, p.12.

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anglaise, qu’il épousera en 1969. Cette rencontre, lui permet d’entrer en contact avec la culture britannique et c’est à Londres que le jeune homme va découvrir la modernité, l’atmosphère pop, l’IG, et rencontrer Paolozzi. 147 Cela montre à quel point tout est lié à cette époque et comment les influences s’entremêlent à ce moment-là. Lors de ses voyages à Londres, il découvre l’architecture de James Stirling ou encore James Gowan, à l’image de la modernité et surtout, il ramène à Florence, lors de chacun de ses voyages à Londres, la revue d’Archigram. 148 Poussés par celui qui sera le leader du groupe, à savoir Natalini – qui persuade d’abord son ami aristocrate, Cristiano Toraldo di Francia, de se retourner contre l’exaltation vis-à-vis de la société de consommation et de l’architecture de leur époque – d’autres jeunes architectes florentins, fraîchement diplômés, suivent le mouvement Superstudio qui jaillit. Le groupe Superstudio, voit donc le jour sous l’influence du travail amorcé par Archigram, dont les membres connaissaient déjà les productions grâce à l’enseignement qu’ils ont reçu par le professeur et mégastructuraliste Leonardo Savioli 149, mais aussi grâce aux voyages de Natalini. Né à l’ère de l’innovation technologique et du progrès technique, qui avaient atteint des sommets parmi les élites politiques et culturelles italiennes, Superstudio s’agrandit donc en accueillant Roberto Magris, Gian Piero Frassinelli, Alessandro Magris et Alessandro Poli. [69] C’est à Pistoia que le groupe se forme donc. Il émerge avec un projet commun de Natalini avec Archizoom, dont le nom rend hommage au groupe Archigram, en 1966 à l’occasion de E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.12. 148 Ibid. 149 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.105. 147

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l’exposition Superarchittetura. [70] Il est dans un premier temps formé par le duo Adolfo Natalini, brillant architecte et peintre Pop Art et Cristiano Toraldo di Francia, qui se rencontrent à l’université pendant leurs études. Ce dernier, est très important dans l’histoire de Superstudio, il est très certainement celui qui a introduit la pratique du collage, ou plus précisément du photomontage, à leurs réalisations. En effet, durant ses années universitaires, il possédait un studio de photographie, où il s’amusait déjà à découper des photographies pour réaliser des photomontages. À la création de Superstudio, afin de marquer l’identité du groupe, l’un des premiers collages, réalisé en 1968 par di Francia, est un portrait du groupe, intitulé Compagni di viaggi. [71] Comme l’explique Gabriele Mastrigli, il ‘décompose et recompose les personnages pour en renforcer la fiction littéraire. On retrouve ainsi, par exemple, aux extrêmes, la double silhouette athlétique de Roberto Magris, qui semble soutenir le grand portail architectural qui encadre le groupe - comme pour nous rappeler qu'avec ses commandes des premières années il assurait le travail, « sale » mais rentable, de Superstudio. Une deuxième image double apparaît ensuite, celle d'Adolfo Natalini, reproduite une fois de face et une fois de profil, comme pour restituer l'âme double, excentrique et rigoureuse, ce fameux « bipolarisme » de Superstudio, oscillant entre surréalisme et hyper-rationalité, qui définitive accompagnera Natalini tout au long de sa vie. Et puis il y a le portail luimême, le cadre de ce portrait, qui est le véritable héros de l'histoire, l'histoire de l'architecture « mystérieusement disparue ».’ 150 Ce collage est donc très important, non seulement parce qu’il définit un langage visuel qui deviendra l’emblème du groupe, mais aussi parce qu’il en dit beaucoup sur leur attitude. E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.16.

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En effet, pour expliquer le passage de Roberto Magris, il faut savoir que ‘les membres de Superstudio ont découvert qu'ils pouvaient refuser le type même de travail que l'industrie du logement exigeait des architectes à cette époque. Toutefois, cela ne signifie pas qu'ils n'avaient pas l'intention de travailler. En effet, ils feraient usage de leurs pouvoirs de concepteurs, d'universitaires et d'éducateurs. Mais ils le feraient dans un état d'autonomie ultime, non soumis aux exigences incessantes du marché, des promoteurs immobiliers, des clients ou des codes de construction municipaux,’ 151 explique Ross K. Elfline. Ce qui veut certainement dire que, quelque part, Roberto Magris assurait quelques commandes architecturales, pour subvenir aux besoins du groupe et pour leur assurer le statut de groupe d’architectes, mais en réalité, le groupe était totalement opposé à l’architecture, ce qui est paradoxal. Et en effet, ce que l’on retient du groupe, ce ne sont pas leurs architectures, mais plutôt leurs collages qui la critiquent. Le parallèle avec Archigram est clair, c’est par la critique architecturale que les deux groupes sont liés. Superstudio, bourreau de travail possédant un goût pour l’élégance, va créer une grande quantité de collages architecturaux malgré l’absence de construction de leurs projets. Cette architecture de papier, déjà acquise par Archigram, était complétement voulue et elle devient le fil conducteur de la réflexion du groupe. Les collages qu’ils vont diffuser, notamment ceux de Frassinelli et di Francia, principaux collagistes du groupe, montrent des paysages le plus souvent évidés d’architecture, [72] afin de rendre compte du contexte environnant ‘gâché’ par celle-ci. La rapidité du monde a simplement fait oublier à l’usager les fondements même de la vie sur terre. 152 En effet, Ross K., Elfline, ‘Superstudio and the « Refusal to Work’, Design and Culture, vol. 8, n° 1, 2016, p.60. 152 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, loc.cit. 151

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si l’architecture apparaît dans leurs collages, c’est uniquement dans une démarche critique. Selon eux, le modernisme est parvenu à ruiner le paysage en prônant des architectures de verre, des hauts buildings, de la démesure, de la non-échelle humaine et du stress engendré par l’urbanisation. Les bâtiments kitsch et les villes proposées par les architectes de leur temps, sans sens avec le contexte ou l’époque pour laquelle ils sont conçus, sont érigés par des techniques d’industrialisation visant à construire pour construire. 153 C’est le cas de la ville de Florence, fortement endommagée par les allemands pendant la seconde guerre mondiale, dont l’échec de la reconstruction a fait réagir le groupe. Les édifices construits, basés sur une consommation excessive, irritent les membres du groupe qui se sentent impuissants dans le débat culturel qui prône une accélération des constructions afin d’accueillir toujours plus d’habitants. C’est la raison principale pour laquelle ils refusent la quasitotalité des commandes architecturales qu’ils reçoivent. Fondamentalement opposés à l’architecture, ils ne pouvaient tout bonnement pas répondre aux attentes des demandeurs. Typiquement, l’architecture de Superstudio montre ce que le monde deviendra si l’humanité continue de flirter avec la surconsommation, la modernité excessive et la production de masse. Il n’est pas vraiment possible de dissocier la pratique collagiste du groupe et sa profonde révolte vis-à-vis du système et de l’architecture de son temps. Plus tard, nous développerons ce sujet plus précisément ‘parce que leur travail n'aurait pas pu prendre forme sans une croyance fondamentale dans la nécessité d'un engagement politique,’ 154 c’est le fondement même de son idéologie et de sa production. 153 154

Ibid., p.20. P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, loc.cit.

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La pratique de Superstudio pourrait ainsi se résumer en un slogan : ‘Sur le fait que le monde soit rond et qu’il tourne, il semble qu’il n'y ait pas matière à discuter. Ce dont il faut encore discuter, par contre, c'est la manière dont vivre dessus.’ 155 Dotés d’une volonté d’aller plus loin qu’Archigram, les six membres contestent non seulement les convictions modernes communes au monde de l’architecture des années 1960 mais aussi cette société de consommation et la culture de masse. Ce qui nous amène à la dimension critique supplémentaire que prend la pratique de Superstudio par rapport à Archigram. Leur pratique a donc démarré dans le but d’affaiblir l’optimisme public éprouvé pour ces dogmes. Ils développent alors une forme extrême de production qui remet en question l’omniprésence de l’objet et interrogent des domaines liés au consumérisme (mondialisation, communication instantanée, flux de voiture, flux de personnes, flux de produits, etc.) C’est dans le manifeste de l’exposition à Pistoia que Superstudio, formé uniquement par Natalini à ce moment-là, avec la collaboration d’Archizoom, va noter par écrit les thèmes qui vont préoccuper sa réflexion architecturale à travers sa production graphique : ‘La superarchitecture est l’architecture de la superproduction, de la superconsommation, de la super incitation à la consommation, du supermarché, du superman et du supercarburant. Les mythes de la société prennent forme dans les images que la société produit. […] LA SUPERARCHITECTURE accepte la logique de la production et de la consommation et elle y exerce une action démystificatrice. C’est une architecture dotée d’une grande figurabilité, c’est-à-dire qu’elle est Extrait de Design d’invenzione e design d'evasione », Domus, Milan, n°475, juin 1969, p. 28. Lu dans E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.8. 155

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capable d’évoquer des images rigoureuses et d’inspirer des comportements ; autrement dit, elle est capable d’induire sa propre consommation : c’est une architecture dotée de la même force subversive que la publicité, mais encore plus efficace que celle-ci parce qu’elle introduit des images chargées d’intentionnalité dans un grand dessein et dans la réalité de la ville avec toutes ses continuités et son histoire.’ 156 Suivant cette succession de superlatifs naissants dans la société de consommation, Supertudio devient un Super bureau, anti-design, anti-utopique, anti-moderne, effectuant une véritable satire de la culture populaire. 157 [73] Leur travail va donc représenter la tension politique et architecturale palpable dans les années 1960 en utilisant la société de consommation pour en donner une critique virulente 158, contrairement à Archigram qui l’utilise et en fait souvent l’éloge. Leur principal objet de mécontentement est le fait de persister avec un modèle architectural moderne qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi leurs recherches s’inscrivent dans ce que Natalini détaille dans sa thèse en 1967, à savoir ‘l’architecture du monument’, ‘l’architecture de l'image’ et ‘l'architecture technomorphe’. Ces trois concepts sont un moyen pour Superstudio, d’une part, de créer de l’ordre, d’autre part, d’expérimenter divers types de représentations graphiques, tels que des photomontages, des collages et des dessins, inspirant les ‘séduisants rendus qui sont devenus la célèbre signature du groupe’ 159, et enfin, de proposer une architecture qui utilise consciemment la machine, les 156 Archizoom et Superstudio, Superarchitettura, Manifeste de l’exposition. https://www.frac-centre.fr/collection-artarchitecture/superstudio/superarchitettura64.html?authID=185&ensembleID=995 157 E. Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 1969-1971’, loc.cit. 158 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, loc.cit. 159 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.16.

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techniques et l’image en se mettant à distance vis-à-vis du mythe du progrès 160. C’est pourquoi, à partir de ce constat, il est indispensable de comprendre maintenant comment, Archigram et Superstudio intégraient les avancées technologiques à leurs rendus.

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E. Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 1969-1971’, loc.cit.

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Archigram, Photo de groupe, 1987


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Archigram, Warren Chalk, Première de couverture du magazine Archigram 4, 1964

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Archigram, Peter Cook, David Greene, Michael Webb, Archigram 1, 1961


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Archigram, Part Section, Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, Ron Herron, Control and Choice Dwellings, 1967

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Archigram, Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, Plug-in City, 1964


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Cap Canaveral, Complex 40, 1961

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Superstudio, Photo de groupe, 1969


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Superstudio, Superarchitettura, 1966

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Superstudio, Compagni di viaggio, autoportrait, 1968


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Superstudio, The happy Island, 1972

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Superstudio, Superarchitettura, Manifesto per la mostra alla Galleria del Comune di Modena, 1967


2. UN ANTICONFORMISME PUISSANT DANS L’IMAGE 2.1. Des images qui rendent compte du progrès Les architectes d’Archigram et de Superstudio voient dans le progrès, tant technique que social et architectural, le sujet principal du siècle, qu’il faut prendre en considération et dont on ne parle pas assez. Baignés dans cette culture pop et visuelle, les deux groupes développent une certaine idéologie quant à la dimension plastique de leurs productions, non négligeable dans le cas d’une architecture non bâtie. 161 Ils empruntent aux artistes pop, technique et doctrine pour produire des collages et photomontages, esthétiquement révolutionnaires, possédant des qualités graphiques les rendant attirants. 162 Cette volonté de séduction par l’image est, comme dans la pratique des artistes pop, due à une envie de marquer les esprits au premier coup d’œil et d’utiliser un langage qui parle à tous. Cependant, même si les deux groupes ont tous deux des influences Pop Art, ils ne défendent pas les mêmes points de vue et visuellement, cela se ressent bien évidemment au niveau de leurs collages. D’un côté, une véritable mise en valeur du progrès par l’image est poursuivie dans l’ensemble du travail d’Archigram. Ainsi, tant dans leur production graphique que dans leur vision du monde, ces architectes prônaient le progrès, à tous les niveaux. Comme l’explique Simon Sadler, ils ‘n'ont pas eu honte de la réalité du goût populaire : ils n'ont pas cherché à vider leurs dessins de couleur ; ils n'avaient pas peur du plastique ; ils María Asunción Salgado de la Rosa, ‘Complejidad y contradicción. El legado gráfico de Superstudio/Complexity and contradiction. Superstudio’s graphic legacy.’ EGA Expresión Gráfica Arquitectónica, n° 20, septiembre 2012, p.237-238. 162 E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.10 et 36. 161

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n'avaient pas peur la mode et la possibilité que leurs bâtiments soient un jour emportés par le service de nettoyage.’ 163 Ils vont alors imaginer des architectures qui parlent au plus grand nombre. Pour cela il faut que la population, initiée ou non, sensible ou pas à l’architecture, comprenne l’image et le message dont elle est chargée. C’est pourquoi Archigram rompt avec les codes conventionnels de diffusion de l’architecture, au même titre que Superstudio. En effet, il faut bien comprendre qu’avant Archigram, les dessins d’architecture ne communiquaient pas vraiment avec les personnes non-initiées au domaine architectural. À défaut d’une succession classique plans, coupes, élévations, ils préfèrent des story-boards, collages, dessins ou photomontages qui soient compréhensibles de tous. L’introduction d’une industrie du loisir dans le quotidien de la société d’après-guerre, marquée par le boom technologique, amène Archigram à introduire ces thématiques à sa réflexion. Son architecture ‘était caractérisée par un intérêt mutuel pour les formes spectaculaires, les nouvelles technologies et le changement social,’ 164 indique Philip Sturm. Alors que la pop envahit l’espace quotidien du corps social, les architectes d’Archigram suggèrent un univers dans lequel l’architecture technologique trouve sa place. Le premier numéro de la revue Archigram, soulignait déjà ces préoccupations à propos de la vie future, de la haute technologie, du produit standardisé, de la machine. [74] En effet, les membres du groupe acceptaient les progrès techniques en matière d’architecture et de consommation. Complètement fascinés par la technologie de pointe qui S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.33. Philip Sturm, Peter Cachola Schmal, Yesterday’s future visionary designs by future systems and Archigram, Francfort, Deutsches Architekturmuseum , 2016, p.8. 163 164

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explose dans les années 1960, leurs collages pour leur projet phare Walking City montrent des bâtiments intelligents et l’omniprésence des robots. [75] Ils évoquent une architecture mobile, capable de se déplacer, complétement consommable et les images qui l’illustrent proposent une vision très glamour de cette ère futuriste. Archigram voit dans la culture de masse, le produit instantané et l’accessibilité à tous les biens de consommation une preuve de progrès. Peter Cook affirme même qu’‘il est maintenant raisonnable de traiter les bâtiments comme des produits de consommation, et la véritable justification des produits de consommation est qu'ils sont l'expression directe d'une liberté de choix.’ 165 C’est le cas de Plug-In City, cette mégastructure formée de cellules modulaires d’habitation faites de matériaux issus de la production en série et standardisée. Archigram pousse plus loin l’idée moderniste de la ‘maison comme machine à habiter’, promue par Le Corbusier, qui avait promis que les technologies d’après-guerre seraient injectées directement dans la création architecturale du moment. Il disait qu’‘une maison ne sera plus cette chose solidement construite qui cherche à défier le temps et la décadence... elle deviendra un outil comme l'automobile devient un outil.’ 166 Ainsi, ils mettent en place une architecture qui peut être légère, interchangeable, consommable et par la même occasion, jetable. C’est notamment le cas d’Air-Hab, projet dans lequel Archigram développe un camping idyllique basé sur le progrès technologique. L’unité de vie est une sorte de microcosme Extrait de Cook, ed., Archigram, 78. Lu dans J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.100. 166 Extrait de Le Corbusier, Towards a New Architecture (London: Architectural Press, 1947). Cité dans Barry Curtis, “A Necessary Irritant,” in Crompton, ed., Concerning Archigram, p. 25‒79. Lu dans S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.100. 165

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mobile refermé par des coques en plastique déployables ou rétractables. L’unité, basée sur un modèle d’habitation de deux pièces, est censée offrir au consommateur un logement nomade, déplaçable. [76] Les formes des bâtiments dessinés par Archigram, ressemblant à des insectes, sont donc une reprise et une interprétation de cette idée de ‘machine à habiter’. 167 Le principe avec Plug-In City, par exemple, n’est pas que l’architecture se comporte mieux, mais qu’elle change la vie, 168 et Archigram est convaincu que les qualités du quotidien pouvaient être améliorées par le design. De plus, pour Archigram, les améliorations en matière de confort peuvent être atteintes par cette nouvelle architecture, c’est en tout cas ce que diffusent les collages. 169 Avec Cushicle ou Suitsaloon, [77] les architectes tentent de réfléchir à une sorte de scaphandre contenant tous les éléments de confort nécessaires à la vie de consommation (télévision, nourriture, lit, etc.) D’un autre côté, le groupe Superstudio procède à une démystification du mythe du progrès dans son travail. Les architectes partent du constat que le progrès technologique provoque un basculement vers une société de consommation dans les années 1960 et la culture de masse qu’elle engendre, permet une production foisonnante de biens matériels. Les architectes de Superstudio ne s’opposent pas au progrès, mais ils s’opposent à cette euphorie environnante de la déraison. 170 Ils mettent en garde sur le fait de foncer tête baissée dans l’innovation sans penser aux conséquences. Ce qu’ils Pour plus d’informations, consulter l’article sur le travail d’Archigram à l’adresse suivante https://somethingcurated.com/2020/05/06/whatarchigram-taught-us/ 168 S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.14. 169 Ibid. 170 E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.10 et 36. 167

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imaginent plutôt, c’est un progrès utilisé à bon escient, en développant principalement une architecture technomorphe. La technologie de pointe qui émerge devait rendre accessible le bonheur à chaque individu, en offrant confort matériel et liberté. Andrea Branzi explique en 1984 que Superstudio ‘assume la logique de l'industrie comme un moteur de diversification, mais non d’homologation à l'architecture : l'avenir ne sera pas constitué par un monde de normes, de robots et de produits de grande série mais par des logiques de production contrastées, où la pièce unique vit sans problèmes avec la production de masse, les langages codifiés avec les anarchistes, les produits impérissables avec les produits jetables, les éléments de haute technologie avec d’autres plus primitifs.’ 171 Autrement dit, Superstudio prend en considération le fait que l’industrie de masse et de plaisir fasse partie inhérente de la société et le montre dans ses images. Toutefois, leur refus de l’assimiler à l’architecture, malgré cette normalisation, fait de leurs collages des objets uniques en leur genre. Ils ont compris et intégré, dans leur architecture, l’expression de sujets d’actualité et surtout, un questionnement sur ce que la population ressent et attend de la société. Tout comme Archigram, Superstudio veut utiliser un langage simple, parlant, qui touche le plus grand nombre. María Asunción Salgado de la Rosa dira que ‘dans le cadre d'une société basée sur les stratégies de consommation de masse et l'influence culturelle apparue dans les universités américaines, qui font appel à un retour aux valeurs de collectivité et de nature perdues par la société, Superstudio propose de rapprocher l'architecture du grand public à

171 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.68-69.

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travers ses dessins.’ 172 Cette prise de conscience du monde qui part à la dérive, aveuglé par le progrès, doit être collective. Les architectes ne peuvent plus s’adresser seulement à leurs confrères pour faire évoluer les mentalités, mais doivent intégrer l’ensemble de la société pour opérer des changements. Archigram ouvre la voie à cette communication directe, seulement, leur langage pop poussé à l’extrême, utilisant un langage de cartoons et de science-fiction dans l’architecture, ne permet pas vraiment d’identifier notre monde. Ils utilisent certes un langage parlant, mais semblant appartenir à une autre planète, très certainement dû à leur fascination pour la NASA et le langage spatial. Pour en revenir à Superstudio, comme l’explique María Asunción Salgado de la Rosa : ‘Inspiré de l'iconographie technologique qui filtrait à travers la publicité, ce langage graphique, loin d'être contradictoire, a servi de canal de communication avec lequel exprimer un état d'esprit soumis non seulement à une réalité concrète inhérente à l'Italie de la fin des années soixante, mais à un état de pensée créative extrapolable à la réalité contemporaine.’ 173 Ainsi leur langage graphique permet d’un côté, d’exprimer une réalité concrète, qui fait écho à leur société, mais en même temps d’utiliser cette réalité pour exprimer leurs visions évolutives, tout en restant proche de cette réalité. Comme les artistes pop, ils vont puiser dans l’iconographie technologique mise à leur disposition par la publicité, pour traduire de manière réduite les objets et matériaux qu’ils veulent mettre dans leurs collages. C’est ainsi qu’ils vont insérer des éléments rappelant des produits de consommation à leurs images dans le but de montrer l’aberration de leur utilisation massive. À l’image d’un de ces collages pour Supersuperficie, dans lequel on observe une petite fille qui balaye le sol au beau milieu de la grille qui s’étend à l’infini. [78] Autour d’elle persiste M.A. Salgado de la Rosa, ‘Complejidad y contradicción…’, op.cit., p.243. 173 Ibid., p.244. 172

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seulement quelques objets de son quotidien, une chaise, une poubelle, des déchets, surement une métaphore d’un monde qui tombe en ruine. Dans une ère de changement social et une rupture avec le modernisme, le progrès chez Superstudio n’est pas de composer exclusivement avec l’objet de consommation mais de faire cohabiter nature et technologie sans que l’un prenne le dessus sur l’autre, comme le montrent les collages pour L’architecture réfléchie. [79] Ils mettent donc en garde par rapport au progrès à travers une remise en question du mauvais et incessant usage de cette technologie qui est en train de s’opérer dans leur société. Peter Lang écrit à propos de l’architecte, critique et historien Kenneth Frampton qu’il ‘a été attiré par la position controversée et engagée du groupe florentin, reconnaissant que leur position remettait en question de manière agressive la relation entre la technologie et la consommation sociale.’ 174 On voit apparaître, pour la première fois, une prise en considération de l’écologie et une peur de ce que l’architecture mal gérée peut engendrer dans le futur. ‘Comme l'ange de Paul Klee, les dessins et les montages de ce groupe expérimental indiquent la voie vers un monde serein de nature et de technologie accessibles, tout en étant simultanément poussés par derrière par les vents du progrès qui cherchent à perturber ces moments de fragile équilibre.’ 175 Cette phrase explique le positionnement de ce groupe face à l’histoire. En effet, l’ange de Paul Klee est une métaphore de l’histoire, l’ange a ‘le visage tourné vers le passé. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.21-22. 175 Ibid., p.7. 174

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ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.’ 176 Cela signifie que, l’ange regarde le passé en signe de nostalgie, avec une volonté de revenir en arrière, de retrouver une harmonie révolue. Rien ne peut stopper le progrès, ni l’empêcher, ni l’ignorer, mais il faut savoir l’apprivoiser. C’est là toute la subtilité du travail de Superstudio. Cet excès et dépendance de la technologie est représentée par la maille, comme l’explique María Asunción Salgado de la Rosa. ‘Dans les dessins d'un Viaggio nelle regione della ragione, la maille universelle apparaît pour la première fois, une allégorie sur l'impact de la technologie sur l'architecture. Il s'agit d'une maille quadrangulaire qui, à partir de là, définira largement le discours graphique avec lequel le reste de ses projets seront formulés, en les reliant à une pensée idéologique spécifique.’ 177 Comme on le voit dans les collages pour le Monument Continu, [80] réalisé en 1969-70, qui sera plus détaillé dans le point suivant, l’utilisation de la grille infinie vise à satisfaire une sorte d’accessibilité instantanée et éternelle à la communication permise par la technologie, l’industrie du loisir et du plaisir. Ce monument, fédérateur de liens sociaux, devient comme la métaphore de ce que l’on connaît aujourd’hui avec Internet et de notre dépendance technologique. Le discours concernant l’utilisation de la technologie est à double sens, en plus de transmettre une sorte de juste cohabitation, ils vont aussi démentir l’idée que l’accès au bonheur est permis par la profusion de biens de Extrait de Walter Benjamin, Über den Begriff der Geschichte, thèse, Paris, 1940. 177 M.A. Salgado De La Rosa,‘Retórica gráfica. El dibujo del arquitecto como herramienta de comunicación crítica’, Arte, Individuo y Sociedad, vol. 29, n° 3, 2017, p.595. 176

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consommation. ‘Cette maille carrée vise à satisfaire l'idée d'accessibilité à la communication tout en suggérant une sorte de discipline et d'uniformité imposée par la technologie, la culture et d'autres formes de contrôle social résultant de l'impérialisme,’ 178 énonce María Asunción Salgado de la Rosa. Le groupe Superstudio, est totalement opposé à la société de consommation, contrairement à Archigram, qui la glorifie. Jennifer Shields explique que Superstudio ‘a offert une critique de la culture de consommation et du rôle de l'architecture moderne dans sa perpétuation.’ 179 En effet, Peter Lang ajoute à ce sujet que Superstudio trouve que cette architecture ne servait qu’à ‘endoctriner la société dans une culture de consommation hors de propos, et a donc cherché à extraire de l'architecture tout ce qui pesait sur la capacité de l'homme à vivre et à libérer la vie.’ 180 Il poursuit en affirmant que c’est avec Le Monument continu, vu précédemment, qui est conçu ‘comme un signe urbain muet et la production d'une série de vignettes illustrant un monde dont les biens de consommation avaient été éliminés,’ 181 [81] que le groupe exprime son avis sur la société de consommation. Dans un autre projet, intitulé Les douze Villes idéales, réalisé en 1971, un récit de dessins et de collages dans lequel ‘les douze scènes se déroulent comme des projections exagérées sur certaines de nos obsessions les plus courantes, où la culture de la consommation devient aveugle, les bureaucraties se déchaînent, la haute technologie pacifie. Cela peut également être interprété comme une critique de M.A. Salgado de la Rosa, ‘Complejidad y contradicción…’, op.cit., p.240. 179 J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.105-106. 180 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.13. 181 Ibid., p.21-22. 178

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l'américanisation, un phénomène croissant dans la scène italienne contemporaine.’ 182 Toutes ces villes dénoncent quelque part la société de consommation, mais si on peut retenir un exemple, on pourrait citer la Onzième Ville [82] qui est ‘certainement la plus belle ville du monde, car tous ses habitants, à chaque moment de leur existence, se dirigent vers le seul but de posséder la plus belle maison.’ 183 Cet exemplelà en particulier, montre la maison comme un objet de consommation, sur un ton critique, bien entendu. Toutefois, contrairement à Archigram à propos de cette thématique, Superstudio voit cela d’un mauvais œil, tandis qu’Archigram voit l’habitat en tant qu’objet de consommation, comme un objet sacré. En 1971, Superstudio a réalisé une série de collages, intitulé Supersuperficie, avec ce même motif de grille, qui aborde ici le sujet de l’homme et la nature. Dans cette union, ils vont y juxtaposer des éléments artificiels comme des éléments architecturaux du modernisme ou encore des biens de consommation. Parmi ces collages l’un retiendra l’attention. Il s’agit du collage The happy Island, [83] qui ‘met en scène une femme devant une planche à repasser et d'autres appareils ménagers dont elle n'a "pas l'intention de se passer".’ 184 Elle est représentée tristement isolée au milieu de ses appareils sur une petite île herbeuse au milieu du plan. Le titre, mis en lien avec ce collage, montre bien évidement le ton ironique envers cette société de consommation. Les deux groupes ne traitent pas cette question du progrès de la même manière. Alors qu’Archigram est complètement pour l’ajout de produits standardisés, de capsules spatiales, de ce mouvement dont la société les années 1960 est folle, P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.45. Ibid., p.160. 184 Ibid., p.25. 182 183

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Superstudio remet en question une vie matérialiste et super technologique. La différence dans la démarche des deux groupes à propos du progrès se situe dans leur prise en compte ou non du monde tel qu’il existe. Archigram propose un univers basé exclusivement sur le progrès social et technologique, qui se détache de la réalité des années 1960 : à travers leurs collages représentant des montgolfières, des structures gonflables, des villes mouvantes qui sont des idées inenvisageables. [84] Autrement dit, Archigram va projeter sa vision dans un monde post-apocalyptique, alors que Superstudio, situe sa vision de l’architecture dans un contexte proche de l’époque. Le fait d’utiliser des photographies de paysages réels, projette le spectateur face à son propre monde. Leur travail ne se situe pas dans un univers de bande dessinée ou de science-fiction, mais bien sur la planète Terre. Ce premier point conclut sur l’attitude de ces deux groupes vis-à-vis de leur époque en termes de progrès, mais ce qui a le plus marqué l’histoire de l’architecture les concernant, c’est très certainement la révolte et la dystopie vers laquelle tendent leurs architectures. Ces deux concepts seront bien évidemment nuancés et expliqués dans le point suivant.

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Archigram, Peter Cook, David Greene, Michael Webb, Archigram 1, 1961


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Archigram, Ron Herron, Walking City, New York At Night, 1964

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Archigram, Ron Herron, Air Hab, 1967


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Archigram, Ron Herron, Air Hab, 1967

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Superstudio, Atti Fondamentali,Vita, 1971


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Superstudio, Architettura riflessa, Niagara falls, 1970

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Superstudio, The Continuous Monument: St. Moritz Revisited, project (Perspective) 1969


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Superstudio, Continuous Monument Crosses The Desert, 1969

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Superstudio, Le Dodici Città Ideali, Undicesima città: Città delle case splendide, 1971


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Superstudio, Supersuperficie, The Happy Island, project, 1971

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Archigram, Peter Cook, Instant City Visits Bournemouth, 1968


2.2. Un outil de représentation au service d’une révolte Comme les parties précédentes l’ont amorcé, les architectes des deux groupes radicaux exploitent le collage afin de produire des images qui marquent une rupture avec l’architecture moderne. À l’ère du changement social, du milieu des années 1960 aux années 1970, Archigram comme Superstudio remettent en question l’idée généralement admise qu’un architecte doive bâtir ce qu’il dessine ainsi que ‘la valeur du travail de conception’ 185. Les membres des deux groupes, qui refusent de construire, gardent leur statut d’architectes comme étiquette professionnelle, afin de développer une forme de révolte qui fait suite à leur indignation. 186 Autrement dit, afin que le milieu architectural les prenne aux sérieux, ces architectes tiennent à garder ce statut, même s’ils ne construisent pas vraiment, afin que leur voix puisse se faire entendre. Cependant, comme leurs réflexions restent à l’état de papier et qu’ils ne réalisent aucun bâtiment, leurs contemporains estiment qu’ils ont mal interprété le rôle de l'architecte, qu’ils sont fainéants et ils ne sont donc finalement pas pris au sérieux. Le membre du groupe Superstudio, Gian Piero Frassinelli dira : ‘Je n’ai pas beaucoup construit car, en réalité, je n’ai jamais voulu choisir entre mes idées et celles de mes clients, si bien que la majorité a laissé tomber, avoue l’architecte. Néanmoins, le peu de travail concret n’a fait que conforter mes idées radicales sur l’architecture.’ 187 Ce refus de mise en œuvre fait partie d’une doctrine importante de l’Architecture P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.63. Ibid., p.60. 187 Christian Simenc, ‘Superstudio et le degré zéro de l’architecture’, Le journal des Arts, mai 1919. 185 186

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Radicale qui voit le jour en 1965 et à laquelle les deux collectifs vont adhérer. Ils feront même partie des pionniers du mouvement. En 1973, Andrea Branzi en donne une définition qui désigne l’ensemble des ‘expérimentations excentriques [internationales] par rapport à la ligne droite de la profession : contre-dessin, architecture conceptuelle, technologies primitives, éclectisme, iconoclasme, néodadaïsme, nomadisme…’ 188 Il ajoute que l’Architecture Radicale cherche à libérer l’Homme de la culture populaire et que cette libération doit passer par le rejet de tout ce qui empêche l’individu de se réaliser, de s’élever, ce qui inclut l’architecture elle-même. ‘Tous ces groupes d’architectes radicaux, mettent en avant l'autonomie ultime de l'individu pour diriger ses propres actions et, en tant que tels, leurs positions sont en corrélation avec l'activisme politique de gauche plus large de l'époque.’ 189 Les deux groupes font donc partie de ce mouvement. En effet, ils imaginent des mondes dans lesquels un humanisme nouveau apparaît. 190 Celui-ci est caractérisé par des individus dotés d’un esprit critique et capables de s’auto-suffire, dans une réalité quotidienne qu’ils prennent en considération. Ces divers intérêts sont alors véhiculés directement à travers leurs collages ; qu’ils utilisent comme moyen de penser et de communiquer. C’est ainsi qu’Archigram a tenté de rassembler et radicaliser les étudiants de Grande-Bretagne à travers la revue Archigram. 191 Le groupe tente de renverser les fervents supporters qui adhèrent à la méthodologie du modernisme. En effet, son premier numéro, imprimé sur un papier de mauvaise qualité, exprime le fait qu’il a ‘choisi de contourner l'image du P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.14. Ibid., p.63. 190 Ibid., p.70-71. 191 S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.4445. 188 189

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BAUHAUS en déclin qui est une insulte au fonctionnalisme.’ 192 C’est pourquoi David Greene a précisé dans un texte accompagnant le prospectus qu’‘une nouvelle génération d'architecture doit naître, avec des formes et des espaces qui semblent rejeter les préceptes du "modernisme".’ 193 Ainsi, il faut se séparer de tout concept lié à la modernité, comme ses murs rideaux, son design, son histoire et son graphisme. C’est donc dans cet esprit-là qu’Archigram a entamé sa production de collages. Ils imaginent, comme Superstudio le fait plus tardivement aussi, que la nouvelle génération ne doit pas laisser les dirigeants et responsables de ce désastre mondial poursuivre les dégâts qu’ils ont commis. Cette manière de construire qui ne réfléchit pas aux véritables besoins humains doit être défaite. Suivant la devise ‘Sauver pour détruire, détruire pour se sauver’ 194 Comme Archigram le disait en 1966, ‘les bâtiments qui n'ont pas la capacité de changer ne peuvent que devenir des taudis ou des monuments anciens.’ 195 Le modernisme semble de moins en moins adapté à l’ère démocratique et va conduire à la rupture des CIAM. Comme cela a été énoncé auparavant, cette rupture a été amorcée par les Smithson avec leur grille de ré-identification urbaine. Il faut donc aussi prendre en considération que Peter Smithson a donné cours aux membres d’Archigram et il a certainement dû évoquer les problèmes des règles du CIAM avec ses étudiants. Tout cela amène leur réflexion à refuser la solennité de l’architecture moderne, de la durabilité des bâtiments et des S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.42. Ibid., p.41. 194 E. Chiappone-Piriou, B. Lampariello, G. Mastrigli et al. (éd.). Superstudio Migrazioni. op.cit., p.72. 195 Extrait de Barry Curtis,’The Heart of the City,’ Hughes and Sadler, eds., Non-Plan. Lu dans S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.94. 192 193

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contraintes de respect liées aux constructions anciennes associées au passé. Ils vont donc commencer un travail graphique imaginant des villes nouvelles, machinistes, dont l’idée est, la recherche d’un existentialisme dans la conception où l’humain prime sur la connaissance. 196 Par exemple, avec Instant City, ils conçoivent une ville volante qui prend en considération l’humain comme un consommateur. L’architecture, sous forme de bulle dans le ciel, crée un nouvel environnement, en dehors de la terre, sans ancrage, destiné à l’être humain. [85] Simon Sadler décrit ces architectures comme ‘étant plus que de simples organisations fonctionnelles de l'espace, elles sont les machines de soutien à la vie d'une culture en perpétuel changement.’ 197 Archigram ne cherche donc pas à concevoir sans tenir compte de la dimension humaine comme pouvaient le faire les architectes modernes en pensant exclusivement esthétique et programme, mais bien au contraire. De cette recherche émane une volonté, de la part d’Archigram, de permettre à l’humain lambda de loger dans des appartements tendances quelle que soit sa classe sociale. 198 Les architectes du groupe remettent ainsi en cause la question des logements sociaux et proposent les Capsule homes. [86] Ce projet, diffusé par de nombreux dessins imprimés en couleur vives, exprime une nouvelle vision du logement. Inspirés par la vie dans une capsule spatiale, qui induit la conception d’un espace avec le strict nécessaire pour vivre, ils imaginent ici une maison portable et modulable aux besoins, aux antipodes de l’architecture de leur temps. L’idée de vivre dans une capsule devient rapidement une préoccupation qui va suivre le groupe tout au long de son M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, op.cit., p.61. S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.8. 198 Ibid., p.7. 196 197

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existence. Chalk, à l’initiative de ce projet, trouve que l'espace de vie proposé par les architectes modernes devient de plus en plus stérile et rigide. 199 Il a donc introduit l'idée de concevoir ces capsules de vie, composées d'unités de différents modèles interchangeables. Ces unités d’habitation, une fois empilées, forment une tour et permettent une communauté en hauteur, en lien direct avec la ville et ses loisirs. [87] L’assemblage des diverses boîtes de vie, faites de matériaux préfabriqués, permet à chaque maison d’être polyvalente et unique, modifiables selon l’envie de l’usager. C’est de cette manière qu’Archigram concevait l’architecture, une boîte d’habitation qui permet à chaque individu d’évoluer à sa guise. 200 Leur attitude et leur moyen de représentation qualifient leur architecture d’architecture Pop. Au-delà de l’aspect déshumanisant qu’ils attribuent à l’architecture de leur époque, l’architecture moderne est aussi critiquée par Archigram. Elle lui semble fade et pour cette même raison, ils conçoivent, dans leurs collages, des architectures enthousiastes aux couleurs vives et éclatantes. 201 De son côté, Superstudio dont ‘les critiques et les historiens ont tenu à souligner le rôle important joué par [leurs] actes de désaveu provocateurs,’ 202 a également émis un doute quant à l’architecture de son époque. La construction des utopies modernes à la reconstruction révolte les membres du groupe. 203 Dans la formulation de leur rupture avec l’architecture moderne, qui a déjà été un peu abordée auparavant, les membres de Superstudio vont requestionner les M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, op.cit., p.60. Ibid., p.58. 201 D’après les mots des architectes lors d’une des conférences. M+, M + Matters and M + International: Archigram Cities, 2020. 202 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.60. 203 D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit. 199 200

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formes architecturales construites sur la base d’une société marquée par la production massive d’objets. Pour ce faire, ils vont réfléchir à une nouvelle forme d’architecture qui réfute l’homogénéité permise par l’architecture moderne et rejette celle-ci comme modèle pour l’avenir. Les architectes de Superstudio développent avec le collage, un outil qui leur permet d’analyser le monde et l’architecture moderne ainsi que de critiquer de manière virulente une situation moderniste incontrôlée. ‘Dès ses premiers dessins, on peut constater une tentative de trouver un nouveau langage pour exprimer les nouveaux conflits qui affectent les êtres humains et la société dans son ensemble.’ 204 Ce nouveau langage est nécessaire dans la mesure où de nouvelles questions émergent, à partir de cette révolte contre le modernisme, qui n’a pas su répondre aux besoins humains d’après-guerre. Ils considèrent que cette architecture est : trop d’acier, trop de béton. L’architecture moderne n’a, selon eux, pas assez réfléchi au déjà-là historique, aucune règle de respect de la ville n’a été considérée et elle a juste effacé la culture. L’envahissement des villes par cette architecture de vide pousse Superstudio à se moquer d’une situation moderniste réelle, qu’ils vont pousser à l’extrême. ‘Superstudio utilise la superposition d'images pour revendiquer des valeurs et des comportements contraires à ceux convenus par la société, échappant ainsi aux conventionnalismes.’ 205 Leurs images deviennent le moyen idéal, dans un premier temps, pour avoir une réflexion sur une architecture qu’ils considèrent comme un énorme échec. Suite à ce constat, les architectes du groupe préconisent une architecture de la conscience. Dans un article de Domus publié M.A. Salgado de la Rosa, ‘Complejidad y contradicción…’, op.cit., p.238. 205 Recolectores Urbanos. Los múltiples usos del collage, mars 2014. 204

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en 1969, repris comme une sorte de manifeste du groupe, ‘Progetti E Pensieri’, ils écriront que ‘l'augmentation de la vitesse de lecture (le transport comme facteur de vitesse spatiale, le consumérisme comme facteur de vitesse temporelle) et l'accroissement de la mobilité sociale appellent une architecture qui puisse faire le point sur la situation instant par instant... Témoigner devient un travail dans l'histoire, avec l'histoire et pour l'histoire.’ 206 Autrement dit, ils expliquent que, dans un monde régi par l’accélération de la vie, il est nécessaire de marquer une pause et de développer un modèle architectural qui permette de redonner à l’architecture sa place dans l’histoire. C’est ce qu’ils appellent ‘l’architecture de la raison’, une architecture qui, suivant le modèle des trois étapes (monument, image, technomorphe), réfute le futurisme et le renouveau historique. Pour rappel, les trois étapes sont une manière pour Superstudio de créer de l’ordre, d’expérimenter divers types de représentations graphiques et de proposer une architecture qui utilise consciemment les innovations techniques. Ils insisteront sur le fait qu’ils repartent de ‘l'art de la construction, de l'économie des matériaux, des raisons de la construction et de la signification d'un bâtiment. La raison a réaffirmé sa place, en se rendant compte d'elle-même.’ 207 Ils prônent donc une architecture qui soit consciemment réfléchie et s’opposent au fait de construire juste pour construire, sans prendre en compte tous les éléments avant d’agir. Puisque les architectes de leurs temps ne parviennent pas à avoir cette conscience du monde, Superstudio établit une solution plus radicale. De manière bien plus virulente vis-à-vis de l’unité de vie, le groupe imagine un monde sans objet, sans mobilier, sans architecture. En effet, Natalini remarquera en 1971 que : ‘si le design est une pure incitation à consommer, 206 207

Superstudio, ‘Progetti E Pensieri’, Domus, n° 479, 1969, p.43. Ibid.

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alors nous devons rejeter le design ; si l’architecture est une pure codification des modèles bourgeois de propriété et de société, alors nous devons rejeter l’architecture ; si l’urbanisme est une pure formalisation des injustices sociales du présent, alors nous devons rejeter l’urbanisme […] jusqu’à ce que ces activités aient enfin toutes pour but de satisfaire nos besoins primordiaux. D’ici là, le design doit disparaitre. Nous pouvons vivre sans architecture.’ 208 C’est pourquoi la plupart de leurs images sont dépourvues d’architecture et lorsqu’ils la montrent, comme par exemple dans le Monument Continu, [88] c’est uniquement pour mettre en lumière à quel point le modèle architectural en place est mauvais. Le monument n’est donc pas une représentation de l’architecture mais d’une architecture chargée de sens critique, pour reprendre les mots de Natilini lui-même, ‘où le langage de l'architecture est détourné pour atteindre d'autres objectifs que celui de construire pour construire.’ 209 La machine est déjà en marche pour détruire le monde et cette destruction va conduire le groupe à repousser encore plus loin ses réflexions. Il sème la panique en proposant une grille neutre associée au vide, au néant, il n’y a plus rien sur la surface de la terre. 210 Les images qu’ils vont alors produire sont dotées d’une grille d’analyse, c’est une manière pour les architectes de Superstudio de découper le monde. Cette démarche a une dimension critique, car cette grille universelle et continue, efface tout sur son passage. En effet, dans l’un des collages du Monument Continu, [89] on voit un pêcheur naviguant sur les eaux de la côte calabraise, fasciné et inquiet quant à cet énorme édifice de grille transparente dont les échancrures laissent entrevoir la ville existante. Comme l’explique le P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.20. Ibid. 210 E. Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 1969-1971’, loc.cit. 208 209

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podcast du Centre Pompidou, le spectateur est confronté à un sentiment d’étrange tranquillité devant ce collage sans vague, sans vent, qui met en suspens du temps présent. 211 Superstudio fait une sorte de pause dans ce chaos afin de montrer que la ville moderne a grandi n’importe où, n’importe comment et qu’elle phagocyte le monde. Ils ne critiquent donc pas seulement le futur, mais une situation actuelle déjà catastrophique. En 1972, avec ce modèle de grille infinie, ils proposent une grande variété de collages, qu’ils réunissent dans Supersuperficie, dont on en a déjà cité quelques exemples auparavant. [90] La thématique principale est le lien entre l’humain et la nature juxtaposée à l’humain, l’architecture moderne et au bien de consommation. Dans cette série, la grille représente la démocratie, en effet chaque point de la grille est égal aux autres. Le message véhiculé est donc une critique de la super modernité et de l’homogénéité de l’architecture. Cette grille est à la fois un moyen de composer, d’analyser, de critiquer mais, elle est elle-même critiquée par le groupe dans son utilisation. Le groupe va également fortement s’opposer au design et ils iront jusqu’à faire la satire de la pop en lançant une campagne Anti-Design en 1970, ayant pour but de critiquer les excès du design pop de l’époque. ‘En reconsidérant le lien entre design, architecture et urbanisme, l’Anti-design se veut une manière d’agir sur le monde et sur l’univers artificiel qui le compose.’ 212 C’est avec la série Quaderna, [91] sorte d’extension du Monument Continu, que Superstudio critique donc l’environnement moderne, stérile et fade déjà remis en question par Archigram. 211

Ibid. Léonor Salem, Radicalité et objets//L’imaginaire du design. Histoires et divergences, 2015, p.22. 212

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Ce banc/table/lit/placard/chaise est conçu encore et toujours sur l’idée de cette grille infinie et considère que cette même grille remplace donc tout ce qui existe. Dans un commentaire ironique mais qui donne à voir une désillusion politique, on pourrait dire que Supertudio effectue donc une critique totale de l’objet, dans tous les domaines. Leur création n’avait pas d’autre but que celui d'être employé comme un moyen de critiquer le consumérisme et la ‘recherche permanente de nouveauté’ de la société de l’époque. D’une conception sans goût, surdimensionnés et neutres, ces objets ont servi de message, plutôt politique, afin de diffuser une mise à termes de la décadence occidentale. Superstudio a donc utilisé le mauvais goût comme arme contre les intérieurs statiques du modernisme. ‘Notre souci est de continuer à produire des objets, grands, colorés, encombrants, utiles et pleins de surprises, de vivre avec eux et de jouer avec eux ensemble et de toujours nous retrouver à trébucher sur eux jusqu'à ce que nous arrivions au point de les frapper et de les jeter, ou bien de nous asseoir sur eux ou de poser nos tasses de café dessus, mais il ne sera en aucun cas possible de les ignorer. Ils exorciseront notre indifférence.’ 213 Plutôt que de rejeter le design, le design radical cherche des solutions dans les productions. Superstudio s’est donc, dans un premier temps opposé à l’architecture d’après-guerre, avec le Monument Continu, que l’on expliquera de manière détaillée dans le chapitre suivant. Ils ont poussé leur raisonnement à l’extrême, jusqu’à totalement supprimer l’architecture. Cependant, malgré la provocation et l’ironie dont ils font preuve, leur discours ne parvient pas à renverser l’idéologie moderne qui a continué à prospérer. Ils ont été jugés juvéniles, trop romantiques et 213 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.177.

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marqués par la production d’images perçues comme une folie utopique. De cette folie, les deux groupes basculeront peu à peu dans la dystopie.

201


85

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Archigram, Peter Cook, Dennis Crompton, Graham Foundation, Ron Herron, Gordon Pask, Instant City (Ic), 1968


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Archigram, Capsule Homes Project, 1964

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Archigram , (Warren Chalk), Capsule Houses, 1964


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Superstudio, Il Monumento Continuo, Manifesto New New York (in nero e azzuro), 1969

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Superstudio, Il monumento continuo, Paise d'o ‘sole, 1969


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Superstudio, Gli Atti Fondamentali, Vita (Supersuperficie), 1972

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91

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Superstudio, Quaderna, 1969


91’

Superstudio, Quaderna, 1969

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2.3.

Visualisation des utopies négatives

Avant toute chose, il est important de comprendre la définition de l’utopie. En effet, comme l’écrit Peter Lang, ‘en architecture, l'activité critique a toujours été liée au concept d'utopie.’ 214 C’est pourquoi Archigram et Superstudio, pour critiquer, s’y sont référés. Toutefois, Peter Lang affirme que ‘l'utopie n'est pas un modèle alternatif : elle met en avant des problèmes non résolus (et non pas une "solution aux problèmes").’ 215 Comme l’étymologie donnée par Thomas Moore, inventeur du concept, l’exprime, une utopie ne s’attache pas à un territoire, c’est une pure invention, une envie, un leurre que l’on veut voir réalisé. Donc, l’utopie c’est l’espoir, un espoir qui est issu d’une insatisfaction collective comme l’explique Yona Friedman son ouvrage Utopies réalisables en 1976. Il ajoute que l’utopie ne peut exister que si un moyen de mettre fin à cette insatisfaction est possible et qu’elle ne peut se réaliser que si elle obtient une approbation collective. 216 Suivant ce modèle, Archigram et Superstudio tentent d’obtenir l’approbation collective de leurs réactions personnelles vis-àvis de leur époque. C’est bien évidemment, comme déjà énoncé, grâce à leurs images qu’ils essayent de convaincre le plus grand nombre de la nécessité de changement. Ce qui a posé problème, avec ces deux groupes, est qu’après avoir soulevé une grande partie des soucis de la société et/ou architecture, ils basculent peu à peu dans une réflexion de plus en plus extrême.

214 P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.166. 215 Ibid. 216 Léonor Salem, Radicalité et objets//L’imaginaire du design. Histoires et divergences, op.cit., p.8.

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Leurs inquiétudes vis-à-vis de l’utopie architecturale moderne deviennent de plus en plus grandes. Dans une pensée globale en désaccord avec cette architecture, qui commence à se généraliser, les deux groupes ont tenté de proposer une vision qui démantèle les villes existantes. Leur volonté est donc de proposer un monde, au travers du collage, exprimant une nouvelle utopie qui se met en opposition contre l’utopie moderne en place. Cette prise de position à l’encontre d’une autre utopie existante, celle du modernisme dans leur cas, bascule vite vers une dystopie involontaire d’une part et recherchée d’une autre. Autrement dit, au lieu d’imaginer un avenir serein pour l’humanité, Archigram – qui conçoit une ville mobile qui phagocyte les autres villes dans une ambiance cauchemardesque avec Walking City [92] – et Superstudio – qui imagine le malheur de l’Homme, ses pires cauchemars avec le Monument Continu – dépeignent un monde très inquiétant. Si l’utopie propose un modèle positif pour l’avenir, la dystopie dépeint un avenir de stagnation, de progrès à l’excès et reflète de manière décuplée les mauvaises choses qui existent. Concernant Archigram et Superstudio, le premier chapitre a abordé la question du progrès et la façon dont ces deux groupes ont su trouver le moyen parfait pour exprimer leur positionnement par rapport à celui-ci, à savoir le collage. On comprend déjà dans cette première analyse, que les deux groupes vont avoir une approche différente, tant graphique qu’intellectuelle. D’un côté un Archigram euphorique, entrainé dans le tourbillon de ce progrès et de ses opportunités, d’un autre côté, un Superstudio prudent, qui accepte cette réalité, mais qui appelle à la raison. Ensuite, dans un second point, la question de l’architecture a été abordée. En effet, c’est quelque part là que nous pouvons trouver un terrain commun entre les deux groupes. En effet, tous deux architectes, tous deux ayant une sensibilité artistique très

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développée et tous deux opposés à l’architecture moderne, même si leur façon d’exprimer cette opposition est bienentendu très différente. C’est là qu’intervient ce dernier point, où sera abordée plus en détail la question de l’utopie, plus précisément de l’anti-utopie. On verra ici, comment les deux groupes ont évolué de leurs premières intentions jusqu’au point de bascule vers la dystopie et surtout, on analysera cette évolution à travers leurs collages emblématiques. Dans un premier temps, c’est l’évolution d’Archigram qui sera abordée. Pour rappel, les membres du groupe Archigram étaient portés par la nouveauté insufflée par l’Amérique. À cette période, au début des années 1960, toute la culture en Angleterre était inspirée par la culture Américaine. Le groupe est totalement fasciné par cette dernière, du langage de la bande dessinée déjà mentionné, jusqu’aux concepts de la mobilité, la consommation et la NASA, d’où ils vont puiser leur inspiration pour concevoir leur architecture. La vision du groupe sur la ville et l’architecture a énormément évolué entre le début et la dissolution de leur groupe. 217 Le passage de leurs premières idées utopiques vers leur vision plus extrême qui sera, comme on le verra plus tard, qualifiée de dystopique, sera entamé ici avec Plug-in City. Les collages de Peter Cook, datent de 1964. Il a composé plusieurs collages pour ce projet, dont on peut citer la coupe, l’élévation et l’axonométrie. [93] Ces collages ont été réalisés suivant la même technique, que les membres du groupe vont beaucoup utiliser pour la création de leurs collages emblématiques. Dans un premier temps Peter Cook réalisait le dessin à l'encre noir sur du papier calque, ensuite il imprimait et découpait son dessin afin de le coller sur du carton gris, puis, il rajoutait de la couleur à l’aide de 217

D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit.

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films de couleur et de feutres, enfin, le tout était scellé à chaud à la fin. 218 Ils obtenaient ainsi des collages très proches du langage de la bande dessinée, gardant un contour fin noir ainsi que des couleurs flashy et contrastées qui choquent presque le spectateur, surtout à cette époque dans le domaine architectural. Enfin, ce monde de représentation transmet une certaine passion de la jeunesse pour un monde technologiquement amélioré. 219 Le projet Plug-in City est un projet de mégastructure, réalisé en 1964. Cette ville est appelée ainsi car elle intègre non seulement des résidences mais aussi des voies d'accès et des services essentiels pour ses habitants dans une construction unique et complexe. 220 Pour une meilleure compréhension, une brève définition de la mégastructure s’impose. Pour citer Ralph Wilcoxon, il la définit comme ‘un groupe d'unités modulaires sur lesquelles on pourrait construire et développer presque indéfiniment. Des unités plus petites et préfabriquées pourraient être ajoutées dans la mégastructure globale, adaptées aux besoins spécifiques de ses occupants.’ 221 Ce projet montre bien, comme le décrit Marie-Pierre Vandeputte, une ‘ville modulaire composée d’une immense trame sur laquelle viennent se connecter de nombreuses cellules standardisées et interchangeables.’ 222 C’est donc l’une de leurs premières propositions choc, montrant une ville futuriste, ressemblant plus à un site industriel complexe, qu’à une proposition d’urbanisme dédié à l’Homme. Pourtant, ce n’est que le début de ce que les architectes imagineront par la suite, on pourrait presque dire que cette proposition est trop sage. http://archigram.westminster.ac.uk/ MOMA : https://www.moma.org/collection/works/797 220 MOMA : https://www.moma.org/collection/works/797 221 Ralph Wilcoxon, Council of Planning Librarians Exchange Bibliography, p. 66. (Charlottesville: University of Virginia, 1968). 222 M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, op.cit., p.61. 218 219

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Ainsi, énonce Sadler, ‘le schéma iconique Plug In City de Peter Cook résume parfaitement les préoccupations d'Archigram dans ses premières années. L'examen de Plug-In City permet d'apprécier l'ampleur de l'ambition d'Archigram. Plug-In a rétabli l'élan d'avant-garde qui avait inspiré la première génération de modernistes et qui avait été mis en germe par la deuxième génération.’ 223 Ce projet est une manière pour Archigram, de se démarquer des architectes modernes et de créer son propre langage. Ce projet est quelque part une première tentative afin de casser les codes de stabilité de la ville, grâce à cette idée d’extension à l’infini. De plus, cette structure avait une durée de vie de maximum 40 ans, parce qu’il faut que l’architecture évolue. Les architectes imaginaient une extension de leur structure à travers toute la Grande-Bretagne voire jusqu'en Europe continentale. 224 On peut voir là une similitude avec le Monument Continu de Superstudio, de cette construction qui s’étend à travers le monde. Sadler décrit le projet comme une ‘mégastructure vouée à la circulation continue, ses fonctions brouillées, ses frontières floues, il a soustrait la promesse de vie collective à un pessimisme rampant sur "l'urbanisme".’ 225 Ils mettent l’accent sur la mobilité. Aussi, ils entament un début de réflexion sur une ville itinérante. Avec Plug-in City, Archigram émet une vision utopique sur un monde où l’architecture a un impact sur la vie, il créait sous l’impulsion que le progrès technique pouvait améliorer le quotidien. Ainsi, Sadler dira que ‘le citoyen de Plug-In était presque certainement employé dans une profession de col blanc : les usines n'étaient pas apparentes dans Plug-In City, même si sa forme s'inspire des raffineries de pétrole et des usines d'assemblage. Plug-In a adopté l'ambition commune S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.94. Ibid., p.20. 225 Ibid., p.16. 223 224

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des années 1960 de mettre fin au travail physique répétitif par l'automatisation.’ 226Avec cette proposition, les membres du groupe avaient l’ambition d’organiser une ville interconnectée où les connexions entre les différents lieux seraient plus intelligentes, facilitant les déplacements entre le lieu de travail et le domicile par exemple. C’est donc une utopie, basée sur les avancées technologiques ainsi que toutes les facilités qu’elle peut, à travers l’architecture, apporter au quotidien. Archigram a également, en parallèle, dessiné Computer City. [94] C’est une ville qui synthétise tout ce qu’il se passe dans la métropole, grâce à la changeabilité électronique, tout est changeable grâce au computer. 227 Dennis Crompton disait que cette ville était l’ombre de Plug-in city, qui avant, ne pouvait pas fonctionner sans un système informatique pour gérer cette complexité du changement. 228 Banham dira que ‘l'équipement futuriste de Plug-in-City était nécessaire à l'époque, afin d'affirmer que "l'architecture n'a pas besoin d'être permanente". Plus tard, cela peut être simplifié en disant "L'architecture n'a pas besoin d'être"...’ 229 Ainsi, par la suite, Archigram, après avoir développé cette idée utopique de ville interconnectée, qui n’est plus statique, grâce à ces branchements évolutifs, va encore plus loin. En effet, même si Plug-in City avait cette capacité d’extension, de mouvement interne et de modularité, Archigram a l’impression que sa ville est encore trop statique. Sa volonté était de faire une architecture qui ‘était une porte de sortie des conditions environnementales, et non un internement en leur

S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.20. D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit. 228 Ibid. 229 Extrait de : Banham, “Monaco Underground,” p. 272. Lu dans S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.20. 226 227

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sein.’ 230 C’est alors que la ville se met en marche dans leur projet Walking city, réalisé en 1964 par Ron Herron qui se décrit comme un architecte qui ‘tente de faire de l'architecture en fusionnant le bâtiment, la technologie et l'art pour créer quelque chose de 'spécial' pour l'utilisateur’. 231 Dans l’un des collages, [95] datant de 1968, Ron Herron, utilise cette technique afin d’exprimer l’idée d’une nouvelle architecture qui circule. Les éléments surréels du collage comme les points de vue simultanés, la profondeur et la planéité, sont indispensables afin de proposer une ville qui se déplace, mais qui est aussi capable de s’adapter à des changements sans fin. 232 Son travail a été diffusé par le biais de petits magazines sous forme d’architecture virtuelle basée sur l’image. Pour anecdote, Ron Herron a raconté que ce projet était adressé aux chômeurs, pour qu’ils rentrent dans ces villes et repartent dans le monde chercher du travail. Il emmène les chômeurs avec lui, en disant que, plutôt que d’attendre sur place que le travail arrive, on part à sa recherche. 233 Dans ce projet, il s’agit également d’une utopie technologique, mais cette fois-ci, ‘le projet Walking City fait passer le propos d’Archigram de l’utopie positive à la fiction négative. Avec son apparence de colonie de cloportes gigantesques, montés sur des bras télescopiques, les Walking Cities ressemblent à des monstres. Reliées entre elles, juxtaposées à Manhattan ou disposées sur un paysage accidenté, elles constituent la

S. Sadler, Archigram : Architecture Without Architecture, op.cit., p.20. Extrait de la publication de Matilda McQuaid, éd. de "Envisioning Architecture" : Dessins du Musée d'art moderne de New York : The Museum of Modern Art, 2002, p. 150. Lu dans MOMA : https://www.moma.org/collection/works/814 232 Extrait de Étiquette de la galerie de Cut 'n' Paste : De Architectural Assemblage à Collage City, du 10 juillet au 1er décembre 2013. Lu dans MOMA : https://www.moma.org/collection/works/814 233 D. Rouillard, Superarchitecture, loc.cit. 230 231

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métropole.’ 234 Ainsi, Archigram s’inspire des sous-marins militaires, ressemblant à des squelettes, reliés par des couloirs rétractables, formant une métropole instantanée et itinérante. 235 Cette ville n’a plus de lien avec le territoire, elle s’implante partout mais sans s’ancrer dans le paysage, puisqu’elle est mobile. ‘Toute l’iconographie qui les représente dégage une atmosphère apocalyptique : les images sont saturées en couleur ou noircies de détails machinistes. L’ambiance est cauchemardesque.’ 236 On est donc bien ici dans une vision d’horreur, cette ville ne donne pas envie et c’est pour cela que la pratique d’Archigram sera considérée comme dystopique. Cette absence de lien de la ville avec son territoire va à l’encontre d’une manière humaine de vivre. La société se retrouve dans les airs et n’a plus aucun contact avec la terre ferme. Même en voulant critiquer une architecture moderne qui ne marche pas, Archigram propose un modèle qui va trop loin. Jean Dethier fera même la réflexion, en parlant d’Archigram, que ‘croyant s’inscrire dans une modernité euphorique de surconsommation et de croissance illimitée, les auteurs des mégastructures se trompent de cible: ils contribuent en fait à réduire la crédibilité des architectes et à les marginaliser davantage dans une société qui ne s’identifie pas à ces fantasmes mégalomaniaques et cherche déjà, tout au contraire, à être sécurisée par rapport aux accélérations frénétiques et aux premiers dérapages de la Modernité’. 237 Ainsi, Archigram, dans son exploration utopique de l’architecture fusionnée à la technologie, pour de meilleures M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, loc.cit. MOMA : https://www.moma.org/collection/works/814 236 M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, loc.cit. 237 Ibid., p.64. 234 235

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conditions humaines, a basculé dans la mauvaise utopie. Cependant, ses recherches ont tout de même ‘contribué à faire sortir l’architecture du cadre intellectuel strict dans lequel elle se trouvait.’ 238 Ces architectes exploraient dans le contexte euphorique de leur époque, des progrès qui étaient nouveaux et excitants. Il n’y avait pas vraiment une mise en garde dans leur dystopie, même si, par l’horreur que peuvent montrer certaines de leurs images, on tend à ne pas vouloir d’une telle évolution pour l’architecture, mais cet effet était involontaire. Cependant, pour Superstudio, la dystopie ou l’anti-utopie, était volontairement utilisée, afin que le monde prenne conscience de la catastrophe vers laquelle il se dirige. Comme expliqué précédemment, Superstudio est réticent face à cette nouvelle technologie et à la modernité. Si l’on doit détailler un projet qui concentre la vision de Superstudio de la manière la plus complète, c’est bien évidemment Le Monument Continu. Déjà mentionné plusieurs fois auparavant, puisqu’il est impossible d’écrire sur Superstudio sans l’évoquer, il sera ici analysé plus en profondeur. Le Monument Continu est un projet qui reprend de grandes structures blanches quadrillées, que Superstudio incruste dans divers paysages, soit des agglomérations, soit des paysages naturels. Maria Asunción Salgado de la Rosa écrit que les ‘représentations de ce projet montrent la contradiction d'une œuvre dans laquelle l'espace architectural est représenté comme homogène et modulé par un maillage cellulaire carré, par opposition à l'environnement dans lequel il est inséré.’ 239 Superstudio propose ainsi une grille qui souligne la catastrophe architecturale mondiale en racontant à travers ses collages un monde qui finira mal. La grille est le vide, le M-P, Vandeputte, ‘Archigram, de l’utopie à la folle fiction’, loc.cit. M.A. Salgado de la Rosa, ‘Complejidad y contradicción…’, op.cit., p.240. 238 239

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néant, elle conduit à la mort de l’architecture donc de la vie et des relations sociales. [96] Pour Superstudio, il y a eu une rupture quelque part, entre la volonté de l’architecte depuis toujours, de faire le bonheur de l’Homme et la réalité, qui s’en est de plus en plus éloignée, surtout avec le modernisme. La ville est construite par l’homme mais la ville nous influence aussi. Ainsi, ‘à l’échelle de la ville, il invente, avec le « Monument continu », un modèle architectural pour une urbanisation totale. En clair : la grille orthogonale, extensible à l’infini et, en théorie, adaptable à tous les besoins de l’individu, peut engendrer des édifices qui franchissent n’importe quel obstacle naturel (montagne, lac, océan) ou construit (bâtiment contemporain ou patrimonial).’ 240explique Christian Simenc. Superstudio critique non seulement l’architecture moderne, mais aussi la société. Parce qu’il considère que si la société va mal, alors l’architecture va mal, donc ce lien de cause à effet remet en question tout le système qui nous entoure. Dans les années 1960, cette euphorie environnante et la société de consommation donnent l’illusion d’un bonheur éternel. Superstudio annonce un signal d’alarme face à cet optimisme aveugle. Le groupe ne nous montre pas un monde idéal, il ne cherche pas à représenter le bonheur, bien au contraire. Comme il considère que la société de consommation s’immisce partout, elle est omniprésente, alors Superstudio va façonner le Monument Continu dans le même esprit. Il va ainsi se propager à travers toute la planète, en prenant soin de laisser certaines architectures pointer le bout de leur nez. Ainsi, on peut le constater sur leur collage à New York, [97] où l’on voit les gratte-ciels sortir de cette construction qui 240 Christian Simenc, ‘Superstudio et le degré zéro de l’architecture’, Le journal des Arts, mai 1919.

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poursuit sa route, un peu à la mémoire d’une architecture passée. Après ce travail sur le monument, Superstudio va aussi, tout comme Archigram après Plug-in City, monter d’un cran. Puisque l’architecture est nocive, alors il faut supprimer l’architecture. Peter Lang dira : ‘Le renoncement de Superstudio à l'architecture, son retrait conscient du système pervers basé sur la commercialisation de la demande populaire, visait délibérément à dépouiller l'architecture de tout sauf de sa vérité vivante la plus nue.’ 241 Pour ce faire, Superstudio va façonner le monde à travers cette grille, qu’il pose à plat sur le sol et qui traverse villes et campagnes, qu’il appelle Supersuperficie. Cette grille, explique Ross K. Elfline, permet d’imaginer un monde où les hommes, ‘libérés des maisons auxquelles ils sont attachés, ainsi que de l'anxiété liée à l'acquisition d'une gamme apparemment infinie d'accessoires, les habitants de la terre deviennent nomades. Il est permis de s'aventurer où l'on veut, et un réseau omniprésent, dissimulé juste sous terre et interconnecté à travers le globe, fournirait tout ce dont on aurait besoin pour survivre. Un abri instantané, de la nourriture, des moyens de communiquer avec les autres : le réseau fournirait tout cela dès que l'on se brancherait sur un de ses nœuds.’ 242 Cette grille représente non seulement l’élément avec lequel il faut composer, mais aussi l’élément qu’il faut détruire. Ils utilisent cette grille comme représentation de l’aberration de notre monde et surtout en référence à la grille moderne qu’ils trouvent absurde. Ils remettent en question ainsi la notion même d’architecture, de projet dans une anti-utopie puissante. ‘Superstudio P. Lang et W. Menking, Superstudio : Life Without Objetcts, op.cit., p.13. Ross K.Elfline ‘Superstudio and the «Refusal to Work »’, Design and Culture, vol. 8, n° 1, 2016, p.67. 241 242

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entretient volontiers le doute sur ses intentions. Au début, ses six membres présentent leur travail comme une « utopie modérée pour l’avenir immédiat » mais, plus tard, ils écriront aussi avoir inventé des « utopies négatives » et proposé une « lobotomie délicate » par le design.’ 243 Cette grille, pur objet mental et obsessionnel à cette époque devient une source d’angoisse infernale, 244 malgré la facilité qu’elle engendre pour composer l’image et l’architecture. C’est ce que Superstudio tente de défaire, l’image d’une architecture, régie par cette grille infernale, qui persiste. Leur anti-utopie, est une source d’espoir, cette fois à l’encontre de ce modèle qui ne fonctionne pas. Gian Piero Frassinelli affirme cependant que Superstudio a fait une erreur en produisant des images aussi séduisantes car elles ont, au final, éclipsé leur manifeste. 245 Avec Supersuperficie, Superstudio représente une vision de malheur et d’horreur, ils se positionnent clairement contre l’architecture. Dans le podcast du Centre Pompidou, il est expliqué que ‘ce projet, délibérément, remet en question son propre statut de projet architectural, se présente comme une image, un projet qui dans les versions de plus en plus élaborées, affirme son impossibilité, son absurdité, se joue du projet et du discours utopique même. L’utopie connaît alors son pendant négatif : la contre-utopie.’ 246 Les architectes voulaient confronter le monde à sa propre réalité, le mettre face aux problèmes afin qu’il y ait une certaine prise de conscience. Superstudio ne croyait plus au bonheur des hommes et ils ne montrent pas de solutions dans leurs collages. Ils cherchent à ouvrir les yeux des hommes sur le monde qui les entoure. 243 Eric Loret ‘Les utopies négatives de Superstudio’, Le Monde, juillet 2018. 244 E. Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 1969-1971’, loc.cit. 245 Christian Simenc, ‘Superstudio et le degré zéro de l’architecture’, loc. cit. 246 E. Daynac, ‘Superstudio. Il Monumento Continuo, 1969-1971’, loc.cit.

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Archigram, Warren Chalk, Frank Brian Harvey, Ron Herron, Walking City, 1964

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Archigram, Peter Cook, Plug-in City: Maximum Pressure Area, project Section), 1964


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Archigram, Computer city, 1964

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Ron Herron, Walking City on the Ocean, project (Exterior perspective), 1966


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Superstudio, Gli Atti Fondamentali : Morte, 1971

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Superstudio, Il Monumento Continuo, 1969-1970, Con de Maria, 1969


3. IMPACT DE LEURS PRATIQUES COLLAGISTES EXTREMES Pour clôturer cette étude, il est important de comprendre que l’attitude avec laquelle les deux groupes ont posé un regard sur le monde architectural a laissé des traces. Par leurs idéaux révolutionnaires et leurs collages, Archigram et Superstudio ont marqué le champ architectural contemporain. Toutefois, ils ont laissé un héritage dont les réactions divergent. C’est pourquoi, il est utile de voir, en quelques exemples concrets, le réemploi de cette technique dans le domaine architectural qui les suit. En effet, Rem Koolhaas emprunte aux deux groupes une démarche de communication et de conception singulière. ‘Les techniques de collage utilisées par Koolhaas ont clairement été adaptées des collages d'Archigram.’ 247 De plus, Jennifer Shields précise que ‘l'examen des travaux d'une génération ultérieure d'architectes suggère que les techniques de collage, de dissection, d'extraction et de géométrie développées par Superstudio ont imprégné le discours dans les décennies qui ont suivi.’ 248 En se rapportant au travail de Koolhaas, par exemple, cette affirmation peut être confirmée. En effet, elle ajoute que ‘les projets spéculatifs et les ouvrages construits par Koolhaas cherchent à équilibrer l'ordre et l'indétermination comme Archigram, en utilisant le premier pour créer des opportunités pour le second.’ 249 Il se base donc, d’abord, sur le travail ‘anti-historique’ et ‘optimiste’ d’Archigram pour proposer une nouvelle imagerie à ces projets. C’est notamment le cas avec Exodus, [98] mégastructure au même titre que Plug in City mais, dont la conception est littéralement opposée à celle d’Archigram. J.A.E. Shields, Collage and Architecture, op.cit., p.113. Ibid. p.110 249 Ibid. p111. 247 248

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Cette ville fortifiée dans la ville de Londres fait clairement écho à leur travail. Koolhaas propose dans le storyboard de sa thèse, en 18 feuillets, un modèle pour une nouvelle culture urbaine mise en lumière par le progrès architectural et la déraison. Exodus fait, cependant, la critique d’Archigram et ironise la culture de consommation prônée par le groupe. ‘L'innocence positiviste distillée par les collages d'Archigram a fait place à une prise de conscience plus dramatique de ce que la technologie et le revers de main de la modernité allaient apporter.’ 250 Pour cette même raison, Exodus propose une vision négative de l’avenir, d’absence de progrès, c’est une dystopie comme Superstudio l’a pensé. 251 L’ambiguïté des collages que l’architecte va produire se trouve dans l’utilisation d’une imagerie, reprise d’Archigram, pour donner une critique de sa réflexion. Koolhaas lui-même écrira : ‘Archigram était au sommet de son pouvoir et des groupes comme Archizoom et Superstudio concevaient des histoires architecturales supposant une vaste expansion du territoire de l'imagination architecturale.... "Exodus, or the Voluntary Prisoners of Architecture" était une réaction à cette innovation : un projet visant à souligner que le pouvoir de l'architecture est plus ambigu et dangereux.’ 252 La radicalité et le caractère angoissant du projet Exodus, par son emmurement, a un lien direct avec le Monument Continu 250 M.A. Salgado De La Rosa,‘Retórica gráfica. El dibujo del arquitecto como herramienta de comunicación crítica’, Arte, Individuo y Sociedad, vol. 29, n° 3, 2017, p.597. 251Dominique Rouillard. ‘Superarchitecture - le futur de l'architecture’ 19501970. Paris, Éditions de la Villette, p.515. 252 Extrait de Rem Koolhaas, "Sixteen Years of OMA", dans OMA-Rem Koolhaas : Architecture 1970-1990, éd. Jacques Lucan New York : Princeton Architectural Press, 1991. Lu dans Scott, Felicity D. “Involuntary Prisoners of Architecture.” October, vol. 106, 2003, p.88.

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de Superstudio. Son admiration pour leur travail va conduire Koolhaas à produire des collages qui illustrent un bâtiment qui s’étend à l’infini. ‘Il en reprend les thématiques, la démarche critique, la fiction narrative comme programme, les formes et les modes d'expression’ 253, écrit Dominique Rouillard. À la seule différence qu’Exodus est pourvue d’un programme, qui était complétement dissimulé avec Superstudio. Comme le Monument Continu, Exodus s’étant, dévorant tout sur son passage, notamment la ville de Londres. Ce cannibalisme tient son fondement dans une ville traditionnelle qui n’est plus adaptée à la société et, il refuse d’accepter les dogmes modernistes qui persistent. Il fait donc la même constatation que Superstudio avant lui. Ron Herron explique : ‘Nous sommes arrivés à une époque (1961) où il y avait beaucoup de territoires architecturaux où s'installer et où le travail sortait de nous. Pendant une génération immédiatement après nous, nous avions usurpé tout leur territoire architectural.’ 254 Pourtant, quelques années après Archigram, Renzo Piano et Richard Rogers, architectes connus par le groupe, vont s’inspirer directement de de l’imagerie utopique d’Archigram pour proposer un bâtiment à Paris qui rompt avec l’architecture traditionnelle de la ville. 255 Ils auront donc la chance de construire le Centre Pompidou, [99] qualifié, après sa mise en œuvre, de ‘bâtiment Archigram.’ 256 Il y a également une grande inspiration Archigram dans les œuvres d’Alain Bublex, un plasticien dont l’imaginaire est très Dominique Rouillard. ‘Superarchitecture - le futur de l'architecture’ op. cit. p.516. 254 S. Sadler, ‘The brutal birth of Archigram’, Twentieth Century Architecture, n° 6, 2002, p.121. 255 Richard Copans Le Centre Pompidou, loc.cit. 256 Ibid. 253

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proche des images de Plug-in City. [100] On reconnait dans l’une de ses séries de photos et vidéos réalisées en 2005, des sortes d’unités ressemblant à des conteneurs, qu’il appose sur des buildings préexistants. Les couleurs employées par l’artiste, ainsi que la composition globale font écho aux images d’Archigram. Il imagine moduler la ville existante avec ces ajouts standardisés, qui symbolisent la mondialisation. C’est quelque part une sorte de réponse à l’utopie urbaine d’Archigram, une quarantaine d’années plus tard, un peu comme une mise à jour des idées de ce groupe emblématique. Les pensées utopiques de ces deux groupes, ont eu pour mérite de revaloriser la représentation en architecture et surtout de lancer le débat sur l’architecture de papier et l’objet architectural comme outil de pensée et de critique. Les générations après Archigram et Superstudio, se sont emparées de l’outil du collage comme l’un des moyens de communication et conception parmi les plus importants dans la représentation architecturale, même s’ils ne l’utilisent plus de la même manière.

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Rem Koolhaas, Elia Zenghelis, Madelon Vriesendorp, Zoe Zenghelis, Exodus, or the Voluntary, Prisoners of Architecture: The Strip (Aerial Perspective), 1972

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Centre Pompidou, Paris


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Alain Bublex, Plug-In City (2000), São Paulo 093 (objets trouvés), 2016

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CONCLUSION Le collage est donc apparu, dans un premier temps, avec les cubistes et les futuristes dans une volonté de rompre avec les codes établis de la peinture traditionnelle. Ces artistes sont parvenus à renouveler une technique, déjà présente dans l’univers artistique préhistorique. Grâce, à l’introduction d’une nouvelle dimension au collage, les papiers collés, ils ont donc commencé à ajouter des matériaux issus de divers médias, afin de composer des images qui répondent à leurs envies de rupture. En cela, ils engendrent une véritable révolution de l’image, puisqu’à partir de ce moment-là, tout est art. Cette nouveauté permet l’émergence d’une approche critique par l’outil qu’est le collage. Au même moment, les futuristes développent ce que l’on a nommé ‘le langage des machines’, c’est-à-dire que l’ajout de mots à leurs œuvres leurs ont permis de représenter graphiquement des sonorités qui accentuent l’idée de vitesse à laquelle ils tiennent. On passe alors de la création de nature morte à une prise de position politique par l’image, autour du sujet de la guerre. Alors que tous les mouvements s’influencent, le dada se démarque. Leur dégoût pour la guerre va les conduire à user du collage, quasi systématiquement pour dénoncer. Cet outil apparait donc comme le meilleur moyen d’aller à l’encontre de l’ordre établi. Peu après, ils étendent cette révolte à d’autres domaines et marquent la recherche d’une totale liberté dans les productions. Ce pas à pas permet de déceler les envies et comment les artistes parviennent à intégrer d’autres techniques au collage (frottage, grattage, photomontage, etc.). L’artiste se soumet alors à la matière en intégrant aussi des objets trouvés et ramassés partout. Schwitters apparaît donc comme la fusion des doctrines de son siècle avec son art total Merz. Tout comme Schwitters, les artistes pop ont intégré cette démarche de récolte d’objets, mais ils le font dans une démarche de

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reflet de la société de consommation de leur temps. Ce reflet est induit par l’utilisation de matériaux issus des médias de masse provenant directement des États-Unis. Ce qui leur permet donc d’être critiques à l’égard de la société de leur temps. De leur côté, les architectes utilisent d’abord la technique comme un moyen de représentation plus qu’une démarche de révolte (Mies Van Der Rohe, Le Corbusier, etc.) et ce n’est qu’avec les erreurs du modernisme que cette dimension critique dans la pratique émerge. En effet, les Smithson d’abord, avec la présentation aux CIAM de leur grille de réidentification urbaine qui marque un grand questionnement vis-à-vis de l’architecture des années 1950. Peu après c’est avec les groupes radicaux d’avant-garde architecturale que le collage parvient enfin à prendre une dimension critique et finit par tourner à la dystopie. L’excès des groupes Archigram, par une réflexion trop profonde de la machine comme habitat et Superstudio, par une frénésie de la grille dans des images de rêves, fait perdre le message diffusé. Pourtant, ils marquent le champ architectural et ce jusqu’à aujourd’hui. Malgré une recherche resserrée, le sujet reste tout de même très ample et ne permet pas de vérifier l’intégralité du problème. D’autres artistes, d’autres architectes ont utilisé le collage dans une attitude contestataire. En revanche, ce qui semble évident c’est que ceux qui ont été abordés tout au long de cette étude sont, selon moi, les plus pertinents du XXe siècle. Aujourd’hui le numérique a universalisé et banalisé des techniques de collage héritées du domaine artistique et architectural, la large palette de matériaux pour pratiquer le collage s’est décuplée avec l’apparition du web et a ramené la

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technique à son utilisation principale en architecture : représenter. Pourtant le charme et la puissance du collage manuel semblent inégalés du fait du choix spécifique que l’on a en sélectionnant les images ou textures provenant de la consommation, de déchets ou tout matériel issu des médias. Le collage a en cela une dimension tactile, plastique, un relief, une épaisseur qui n’est pas permise avec le numérique. Nous avons bien vu que cette technique n’est pas restée au rang d’images, elle s’étend à tous les arts, tous les médias (cinéma, musique, littérature, etc.). Là où elle a un impact encore plus puissant c’est lorsqu’elle est pratiquée dans la rue (par exemple, Ernest pignon-Ernest qui travaille sur la ville de Naples). L’anonymat de l’artiste et de l’œuvre font de l’acte et de l’objet un symbole de pensée très important, seul le message véhiculé a de l’importance. Si durant le XXe l’usage du collage comme procédé de communication et de conception a permis la popularisation de ce langage, qui s’adressait à tous, compris de tous, qu’en est-il aujourd’hui, depuis l’apparition de l’ère numérique, des réseaux sociaux et de la communication instantanée de l’information ? L’approfondissement d’un tel sujet semble d’autant plus pertinent qu’aujourd’hui cette pratique est fortement diffusée dans le milieu architectural. Sans s’en rendre compte, les concepteurs, étudiants ou professionnels, empruntent un outil, initialement, de révolte afin de faire parvenir une représentation de leurs projets, compréhensible de tous.

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GLOSSAIRE ANTICONFORMISME : opposition aux usages établis, aux traditions. ANTI-DESIGN : mouvement artistique de style et de flux de design né en Italie et qui a duré des années 1966 à 1980. Le mouvement mettait l'accent sur les couleurs vives, la distorsion d'échelle (c'est-à-dire des chaises géantes qui vous font paraître petit), et utilisait l'ironie et le kitsch. La fonction de l'objet était de subvertir la façon dont vous pensiez à l'objet. En architecture, cette période est également connue sous le nom de "Radical Design" (marqué par les groupes Archigram et Superstudio notamment). ARCHITECTURE DE LA RAISON : architecture qui s'exalte comme un produit de l'histoire humaine. ARCHITECTURE DE PAPIER : cette expression a souvent été utilisée pour qualifier les architectes réalisant des projets utopiques, dystopiques ou fantastiques n’ayant jamais pour but d’être construits. C’est une notion qui a été introduite dans les années 1980 par en Yuri Avvakumov en Russie et dont les productions en lien ont été exposées comme un moyen de critiquer la nature déshumanisante de l'architecture russe de l'époque ainsi que l’absence de soin administrée aux bâtiments. Elle désigne, historiquement, tous les projets non réalisés d’architectes, qui deviennent des références en matière de composition. L’utilisation de l’image et du dessin qualifie cette manière théorique de concevoir le projet et est souvent employée de manière péjorative, rabaissant l’œuvre à un DIY pour enfants. Pourtant, certains enseignants et architectes l’utilisent afin de développer la créativité de leurs étudiants et de manipuler les matériaux dans diverses dimensions pour comprendre toutes les parties du projet.

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ARCHITECTURE RADICALE : terme ambigu et polyvalent qui suggère des significations différentes et clairement contrastées. Andrea Branzi, l'un des membres fondateurs d'Archizoom, écrivait en 1973, et a donné cette impression sur l'ampleur du mouvement radical : ‘Aujourd'hui, le terme d'architecture "radicale" rassemble au niveau international toutes les expérimentations excentriques par rapport à la ligne droite de la profession : contre-dessin, architecture conceptuelle, technologies primitives, éclectisme, iconoclasme, néodadaïsme, nomadisme…’ ASSEMBLAGE : d’après Jean-Yves Bosseur, c’est la confrontation de matériaux divers. Plus proche du bas-relief, cette technique se distingue du collage par l’incorporation d’objets physiques dans le tableau de manière tridimensionnelle. COLLAGE : expression artistique qui consiste à assembler et à joindre différents éléments (photographies, illustrations, tissus ou tout élément réutilisable) pour obtenir une image bidimensionnelle unique et différente. Cette technique, utilisée par de nombreux courants artistiques et par les architectes, permet d’organiser une création plastique par la combinaison (juxtaposition, accumulation, confrontation, approche complémentaire, etc.) d’éléments séparés. Les images peuvent se combiner à d’autres éléments de toute nature : extraits de journaux avec texte et photogravures, papier peint, documents, objets divers, etc. Elle est liée historiquement à une pratique manuelle dont l’image résultante possèdent des propriétés tactiles qui, aujourd’hui avec les outils informatiques sont complétement absent. DYSTOPIE : représentation fictive d'une société future avec des caractéristiques négatives provoquant l'aliénation de l'homme.

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IMAGE : concept qui entretient un lien entre l’existant et l’imaginaire ou l’abstrait, c’est une transfiguration de la réalité. Elle peut être esthétique, un échantillon plastique, un objet et peut être transformée en critique ou rester le reflet d’une valeur. MONTAGE : assemblage (souvent photographique) qui sont en relation les unes avec les autres d'une manière ou d'une autre pour créer une seule œuvre ou une partie d'une œuvre d'art. PHOTOCOLLAGE : Il s'agit d'une technique expressive qui utilise l'interaction réciproque entre le dessin et les découpages photographiques. PHOTOMONTAGE : assemblage de photographies par collage, par tirage, ou par logiciel donnant d’une photo un aspect différent, par incorporation d’une ou plusieurs parties ou de la totalité d’une autre photo et permettant toutes retouches et trucages. A la différence du collage cité précédemment, il n’incorpore pas d’autres éléments que des photographies, parfois dans l’objectif de créer une image dite ‘photo-réaliste’. UTOPIE : -

1. f. plan, projet, doctrine ou système souhaitable qui semble très difficile à réaliser 2. f. représentation imaginative d'une société future avec des caractéristiques qui favorisent le bien de l'homme. 3. f. signifie impossible, une chimère, une construction purement imaginaire, dont la réalisation ou le mode de fonctionnement est hors de notre portée.

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• SCHIEB, Corentin. La photographie : outil de conception d’espace architectural ?, mémoire de fin d’études, sous la direction de Rémy Jacquier, Maelle Tessier et Marie Roland, ENSA Nantes, 2014.

ICONOGRAPHIE [1] Pablo Picasso, Nature morte à la chaise canée, 1912 Huile et toile cirée sur toile encadrée d’une corde © Musée national Picasso, MP36, René-Gabriel Ojéda, Paris https://www.museepicassoparis.f r/sites/default/files/202001/Fiche_oeuvre_Nature_morte_ chaise_cannee_web.pdf [2] George Braque, Compotier et verre, 1912 Huile et sable sur toile, 50 × 65 cm © collection privée https://georgebraqueparom.word press.com/2013/12/12/compotier -et-verre-premier-papier-colle1912-et-compotier-et-cartesdebut1913/ [3] Pablo Picasso, Guitare, partition et verre, 1912 Papiers et journal collés, gouache et charbon sur papier © McNay Art Museum, San Antonio, Texas http://museedelaguitare.free.fr/af fiche.php?num=120 [4] George Braque, Nature morte au verre et lettres, 1914

Papier imprimé découpé et collé, fusain, pastel et crayon sur papier, 51.1 x 71.4 cm ©2020 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris https://www.moma.org/collectio n/works/33278 [5] Gino Severini, Red Cross Train Passing a Village, 1915 Huile sur toile, 90,2 x 116,8 cm © 2018 Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris https://www.guggenheim.org/art work/3925 Umberto Boccioni, Visioni simultanee, 1912 Huile sur toile, 60,5 x 60,5 cm Wuppertal, Von der HeydtMuseum © Medienzentrum Wuppertal https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources [6] Filippo Marinetti, Irredentismo, 1914 Collage, 28.4 cm × 22.4 cm Lugano, coll. privée © Tous droits réservés https://archivioirredentista.wordp ress.com/2015/12/07/irredentism o-filippo-tommaso-marinetti1914/ [7] Carlo Carrà, Atmospheric Swirls-A Bursting Shell, 1914 Encre et collage sur papier, 26.6 x 37 cm © Bridgeman Images https://www.bridgemanimages.c o.uk/en/asset/105516/summary?f bclid=IwAR2R11SjhvrwJekvYh modfVcVCdBQsV-

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huIYFUKiNpjZ5K-nFKn2UJWCTE [8] Georges Braque, Violon et Pipe. Le Quotidien, 1913 Fusain, mine graphite, craie et papiers collés sur carton, 74 x 106 cm © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Dist. RMN-Grand Palais https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cpgXbgx [9] Gino Severini, Portrait de Paul Fort, 1915 Huile, craie, fusain, encre de chine, objets et papiers collés sur toile, 81 x 65 cm © Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-Grand Palais https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cn7kLyd [10] Carlo Carrà, Manifestation interventionniste, 1914 Tempéra, stylo, poudre de mica et papier collé sur carton, 38.5 × 30 cm © Collection Gianni Mattioli, Peggy Guggenheim, Artists Rights Society (ARS), New York/SIAE, Rome https://www.guggenheim.org/blo gs/checklist/speed-space-andsatire-italian-futurism-on-theblog?fbclid=IwAR0gMoBtEtZFl RwtXenv3mmYo6H7t7JtnuR9_bjuK MT0J4KiFQrA9-Nhf0 [11] Carlo Carrà, Ufficiale francese che osserva le mosse del nemico, 1915 Papier collé et fusain sur papier © Collection privé

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https://monoskop.org/images/9/9 2/Poggi_Christine_In_Defiance_ of_Painting_Cubism_Futurism_a nd_the_Invention_of_Collage_1 992.pdf [12] Liubov Sergeevna Popova, Still Life with Tray, 1915 Matériaux divers et collage sur toile, 40 x 58cm © Talinn, Fine Art Museum of the Republic http://www.sothebys.com/en/auct ions/ecatalogue/2007/russian-artevening-l07114/lot.36.html [13] Foire internationale Dada, Raoul Hausmann et Hannah Höch devant l’affiche L'art est mort ! Vive le nouvel art mécanique de Tatline ! 1920 © Photo: Robert Sennecke https://berlinischegalerie.de/en/c ollection/our-collection/estatehannah-hoech/ [14] Raoul Hausmann, Tatline vit à la maison, 1920 Photomontage et aquarelle, 41 x 28 cm © Moderna Museet, Stockholm https://archivesdada.tumblr.com/post/42100218 041/raoul-hausmann-tatlin-lebtzu-hause-tatlin-at [15] Georges Grosz, Souviens-toi de l'oncle Auguste, le malheureux inventeur, 1919 Huile, crayon, papiers et cinq boutons collés sur toile, 49 x 39,5 cm © The estate of George Grosz, Princeton, N.J/ Adage, Centre Pompidou, Paris. https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/tNdteTj


[16] Max Ernst, Forêt et Soleil, 1931 Frottage et crayon sur papier, 20.0 x 27.8 cm © MoMA, Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris https://www.moma.org/collectio n/works/37053 [17] Max Ernst, Den imaginära sommaren, 1927 © Max Ernst/BUS 2008 https://www.modernamuseet.se/s tockholm/en/exhibitions/maxernst/collage-frottage-grattage/ [18] Max Ernst, La Forêt, 1927 Huile sur toile, 80,7 x 100 cm © ADAGP, Ville de Grenoble/Musée de Grenoble Jean-Luc Lacroix http://www.museedegrenoble.fr/ 981-artmoderne.htm?TPL_CODE=TPL _OEUVRE&PAR_TPL_IDENTI FIANT=21&UTB_RESET=1 [19] Foire internationale Dada, Les membres du cercle à l’exposition, 1920 © Archives John Heartfield https://www.nova.fr/novamag/57 655/dada-centenaire [20] Raoul Hausmann, Kp’erioum, 1919 Poème optophonétique © Coll. Musée d'art contemporain de la HauteVienne, château de Rochechouart. https://www.museerochechouart.com/index.php/fr/le sexpositions/archives/2011/raoul-

hausmann-c-est-la-langue-qui-sevenge-des-poetes [21] Filippo Tommaso Marinetti, Les Mots en liberté, 1919 Milan, A. Taveggia, BnF, Réserve des livres rares, Rés. p X 400, p.103 © tous droits réservés https://monoskop.org/images/c/c 8/Marinetti_FT_Les_mots_en_li berte_futuristes.pdf?fbclid=IwA R0G1JG9kEEy6GHS4i4XVIKJP xxLHuYsDzVDdXY2hPkWkDC SsR4wuTqEvVo [22] Henry Peach Robinson, Fading Away, 1858 Tirage sur papier albuminé à partir de négatifs, 23.8 x 37.2 cm © the George Eastman Collection, Rochester, New York. https://www.metmuseum.org/art/ collection/search/302289 [23] John Heartfield, Adolf, the Superman: Swallows Gold and Spouts Junk, 1932 Procédé gélatino-argentique, 35.4 x 24.6 cm © 2006 Artists Rights Society (ARS), New York / VG BildKunst, Bonn https://www.johnheartfield.com/J ohn-Heartfield-Exhibition/johnheartfield-art/famous-antifascist-art/heartfield-postersaiz/adolf-the-superman-hitlerportrait [24] Hannah Höch, Coupe au couteau de cuisine à travers la dernière époque culturelle ventripotente allemande de Weimar,1920 Collage sur papier, 114 x 90 cm,

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© Neue Nationalgalerie, Berlin https://www.smb.museum/en/mu seumsinstitutions/nationalgalerie/home/ [25] Hans Arp, Papiers déchirés, 1932 Papiers déchirés et collés sur papier, 14 x 14 cm © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAM CCI/Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cozqRX [26] Hans Arp, Trousse d'un Da, 1920-1921 Bois flotté cloué sur bois et rehauts de peinture, 38,7 x 27 x 4,5 cm © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM - CCI/Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/uL0v8pe [27] Hans Arp, Trousse du Naufragé, 1921 Assemblage de six morceaux de bois montés sur une planche de bois, 19 x 32 x 4 cm © Musées de Strasbourg, M. Bertola https://www.musees.strasbourg.e u/-uvre-mamcs//entity/id/220128 [28] Kurt Schwitters, Das Undbild, 1919 Collage, Gouache, Matériaux divers, Carton, 35,8 x 28 cm © Staatsgalerie Stuttgart, Stuttgart, Duitsland https://www.staatsgalerie.de/g/sa mmlung/sammlungdigital/einzelansicht/sgs/werk/ein

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zelansicht/66B8E02544619F6E2 38C4BACB44FFF69.html [29] Kurt Schwitters, Merzbild 1A. The mental doctor, 1919 Huile, assemblage et collage d'objets sur toile. 48,5 x 38,5 cm © Museo Nacional ThyssenBornemisza, Kurt Schwitters (Merz), VEGAP, Madrid https://www.museothyssen.org/e n/collection/artists/schwitterskurt/merzbild-1a-psychiatrist [30] Kurt Schwitters, Opened by Customs, 1937–38 Papier, papier imprimé, peinture à l'huile et graphite sur papier, 33,1 × 25,3 cm © Tate https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/schwitters-opened-bycustoms-t00214 [31] Kurt Schwitters, Kathedrale des erotischen Elends, 1933 Merzbau © Tate, Wilhelm Redemann, DACS 2007 https://www.tate.org.uk/research/ publications/tate-papers/08/kurtschwitters-reconstructions-ofthemerzbau?fbclid=IwAR1B7W5tA u-61iMkx85QghpgBhgHIyP1OcYB O0eGnxEkW2XLJbQYBukrzI [32] Kurt Schwitters, Merz Barn, 1947-48 Photo : Ernst Schwitters © Archives Kurt Schwitters, Sprengel Museum de Hanovre http://merzbarn.co.uk/themerzbarn-on-display/ [33] Kurt Schwitters, En Morn, 1947


Collage de papiers découpés, 32 x 26,5 cm © Bertrand Prévost - Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cKaLdr [34] Eduardo Paolozzi, Bunk, 1972 Sérigraphie et lithographie sur papier, 30,1 × 21,3 cm © The Eduardo Paolozzi Foundation https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-1-evadne-in-greendimension-p02020 [35] Eduardo Paolozzi, I was a Rich Man’s Plaything, 1947 Papiers imprimés sur carte, 35,9 × 23,8 cm © Tate, The estate of Eduardo Paolozzi https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-i-was-a-rich-mansplaything-t01462 [36] Eduardo Paolozzi, A New Brand of Brilliance, 1972 Lithographie et collage sur papier, 41 × 28,6 cm © Tate, The Eduardo Paolozzi Foundation https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-30-a-new-brand-ofbrilliance-p02050 [37] Eduardo Paolozzi, You Can’t Beat the Real Thing, 1972 Sérigraphie et lithographie sur papier, 34,7 × 24,9 cm © Tate, The Eduardo Paolozzi Foundation https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-32-you-cant-beatthe-real-thing-p02052

[38] Eduardo Paolozzi, Was This Metal Monster Master - or Slave?, 1952 Papiers imprimés sur carte, 36,2 × 24,8 mm © Tate, The estate of Eduardo Paolozzi https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-was-this-metalmonster-master-or-slavet01458?fbclid=IwAR1DOM36I mdvw_kTn4aXOCP9x276uqzqd 8x6ZDBvHcyXyQ0_M_GoAc7x lMQ38 [39] Eduardo Paolozzi, One Man Track Team, 1953 Documents imprimés sur papier, 27,3 × 20,8 cm © Tate,The Eduardo Paolozzi Foundation https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-one-man-trackteamt06933?fbclid=IwAR23pLUJDR Nu6OlxAEaZejJhUSI9O6QPE4Qku4CF oPhBi5yEpFLowD6L5E [40] Eduardo Paolozzi, Fisherman and Wife, 1946 Encre, papier et aquarelle sur papier, 76,8 × 61 cm © Tate, The Estate of Eduardo Paolozzi https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-fisherman-and-wifet00274?fbclid=IwAR0oUlOMC3 dxSWwLVbhoPhGWkpznFbOUqCSgxTdL3mX5lrJB9 qlGnFmXbI [41] Eduardo Paolozzi, It’s a Psychological Fact Pleasure Helps your Disposition, 1948

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Papiers imprimés sur carte, 36,2 × 24,4 cm © Tate, The estate of Eduardo Paolozzi https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/paolozzi-its-a-psychologicalfact-pleasure-helps-yourdisposition-t01463 [42] John McHale, Machine Made, America, 1956 Collage original non localisé/perdu, dimensions inconnues, reproduit en couverture du magazine Architectural Review, mai 1957 © Architectural Review https://journals.openedition.org/c el/1875 [43] Richard Hamilton, Just what was it that made yesterday’s homes so different, so appealing ? 2004 Impression numérique sur papier, 26 × 25 cm © Tate, Richard Hamilton 2020. All rights reserved, DACS https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/hamilton-just-what-was-itthat-made-yesterdays-homes-sodifferent-so-appealing-upgradep20271 [44] Groupe 2 formé par John Voelcker, Richard Hamilton et John McHale, Installation pour l'exposition montrant Robby le Robot emportant une femme légèrement vêtue, 1956 Photo : Sam Lambert © Archives de presse architecturales / Collections RIBA https://www.architecture.com/im age-library/features/this-is-

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tomorrow.html?fbclid=IwAR1Ip _wFZ18S1516kL61JqlT1E6QaoI StdoCDuhn3H5HXqTn9VSc6w V3nGk [45] Richard Hamilton, Just what is it that makes today’s homes so different ?, 1992 Impression numérique sur papier, 21 × 29,6 cm © Tate, The estate of Richard Hamilton https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/hamilton-just-what-is-it-thatmakes-todays-homes-sodifferentp11358?fbclid=IwAR0rjLvseQz uJfEX1z9BDdSRtoIELm8q5Wl wMtsDD6qFUFWloY25ZjKu57 w [46] Richard Hamilton, Interior I, 1964 Sérigraphie sur papier, 49,5 × 63,8 cm © Tate, The estate of Richard Hamilton https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/hamilton-interior-p04250 [47] Richard Hamilton, Interior II, 1964 Peinture à l’huile, peinture cellulosique et papier imprimé sur carton, 121,9 × 162,6 cm © Tate, The estate of Richard Hamilton https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/hamilton-interior-ii-t00912 [48] Douglas Sirk, Shockproof, 1948 Image issu du film https://www.phillips.com/article/ 12985471/a-hint-of-murder-andthe-threat-of-punishment-


richard-hamiltons-portraits-ofpatricia-knight [49] Robert Rauschenberg, Erased de Kooning Drawing, 1953 Traces de dessin sur papier avec étiquette et cadre doré, 64.1 × 55.2 × 1.3 cm © Robert Rauschenberg Foundation https://www.sfmoma.org/artwork /98.298/ [50] Robert Rauschenberg, Untitled, Combine painting, 1955 Huile, crayon, pastel, papier, tissu, reproductions imprimées, photographies et carton sur bois, 39,3 x 52,7 cm Collection Jaspers Johns © Robert Rauschenberg / Adagp, Paris 2007 http://mediation.centrepompidou. fr/education/ressources/ENSRauschenberg/ENSrauschenberg.htm [51] Andy Warhol, Marilyn Diptych, 1962 Encre de sérigraphie et peinture acrylique sur 2 toiles, 205,4 × 144,8 × 2 cm © 2020 The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by DACS, London https://www.tate.org.uk/art/artwo rks/warhol-marilyn-diptycht03093 [52] Gene Kornman, Marilyn Monroe, 1953 Photographie publicitaire du film Niagara

[53] Ludwig Mies van der Rohe, Bismarck Monument Project, Bingen, Germany, 1910 Collage de photos et encre, 76.2 x 101.6 cm © Artists Rights Society (ARS), New York / VG Bild-Kunst, Bonn https://www.moma.org/collectio n/works/87492 [54] Ludwig Mies van der Rohe, Bismarck Monument project, Bingen, Germany, 1910 Gouache sur lin, 141 x 240 cm © 2020 Artists Rights Society (ARS), New York / VG BildKunst, Bonn https://www.moma.org/collectio n/works/256 [55] Ludwig Mies van der Rohe, Friedrichstrasse Skyscraper Project, 1921 MoMA Mies van der Rohe Archive © 2013 Artists Rights Society (ARS), New York / VG BildKunst, Bonn https://www.moma.org/collectio n/works/165129 [56] Ludwig Mies van der Rohe, Projet du musée Georg Schaefer, Schweinfurt, Allemagne, Perspective intérieure avec vue du site, 1960-1963 New York, Museum of Modern Art (MoMA) Mies van der Rohe Archive. © The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence / VG Bild-Kunst, Bonn, 2016 https://architizer.com/blog/inspir ation/industry/mies-van-derrohe-

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collages/?fbclid=IwAR18d9Qd9l q5T9M83qZ6p68cLxJEbBmeuY jj1kI_SPHqjqpobrmuErafFss [57] Le Corbusier (CharlesÉdouard Jeanneret), Still Life with Pile of Plates, 1920 Huile sur toile, 80.9 x 99.7 cm © Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris / FLC https://www.moma.org/collectio n/works/79312 [58] Le Corbusier (CharlesEdouard Jeanneret), Le Modulor, 1950 Encre de Chine et collage de papiers gouachés et découpés, 70 x 54 cm ©Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAM CCI/ Dits.RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cLrB5z?fbcli d=IwAR1sL3oYuwxxpZtZUYjH zl4OF23m6OxY2LOsOyv2hHia Cu06JPxTiZsXbuk [59] Alison and Peter Smithson, Collage pour la Golden Lane, 1952 Encre de Chine sur papier et tirages photographiques, 44,5 x 64,2 cm © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat. https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/c57AGG [60] Alison and Peter Smithson, Collage pour la Golden Lane, 1952

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©Alison y Peter Smithson on Housing, Productor.- B. S. Johnson https://www.metalocus.es/es/noti cias/alison-y-peter-smithsonsobre-la-vivienda [61] Alison et Peter Smithson, Grille de réidentification urbaine, 1953 Collage, photographies, encre sur papier collés. © Smithson Familly Collection. Photo CNAC/MNAM Dist. RMN, Georges Meguerditchian https://books.openedition.org/ms ha/10249?lang=fr [62] Alison et Peter Smithson, Robin Hood Gardens, 1966-1972 Photo : Sandra Lousada, 1972 © The Smithson Family Collection https://municipaldreams.wordpre ss.com/2014/02/04/robin-hoodgardens-poplar-an-exemplar-ademonstration-of-a-moreenjoyable-way-of-living/ [63] Archigram, Photo de groupe, 1987 De gauche à droite : David Greene, Warren Chalk, Peter Cook, Michael Webb, Ron Herron, Dennis Crompton © Archives Archigram [64] Archigram, Warren Chalk, Première de couverture du magazine Archigram 4, 1964 Projet n° 100.4, 17 x 22 cm © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=99 [65] Archigram, Peter Cook, David Greene, Michael Webb, Archigram 1, 1961


© Project by Centre for Experimental Practice http://archigram.westminster.ac.u k/magazine.php?id=96 [66] Archigram, Part Section, Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, Ron Herron, Control and Choice Dwellings, 1967 Impression au jet d'encre d'un dessin au trait, d'un lettrage dessiné à la main, collagé et coloré, 137,6 x 67,0 cm © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=109 [67] Archigram, Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, Plug-in City, 1964 © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=56 [68] Cap Canaveral, Complex 40, 1961 Activités de prélancement sur la rampe de lancement de Mercury 5 © NASA [69] Superstudio, Photo de groupe, 1969 Photo originale publiée dans la revue Domus N° 479 https://www.domusweb.it/en/fro m-thearchive/2012/02/11/superstudioprojects-and-thoughts.html [70] Superstudio, Superarchitettura, 1966 Sérigraphie sur papier, 101 x 52 © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAMCCI/Dist. RMN-GP

https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cyjLdy [71] Superstudio, Compagni di viaggio, autoportrait, 1968 de gauche à droite : Roberto Magris, Adolfo Natalini, Cristiano Toraldo di Francia, Gian Piero Frassinelli, Alessandro Magris, Adolfo Natalini, Marianne Brukhalter, Roberto Magris Photomontage à l'encre, crayon et écrans demi-teintes sur carton. © Collection Gabriele Mastrigli https://zero.eu/it/persone/gabriele -mastrigli-superstudio-maxxi/ [72] Superstudio, The happy Island, 1972 © Superstudio (Piero Frassinelli, Alessandro Magris, Adolfo Natalini, Alessandro Poli, Cristiano Toraldo di Francia) https://www.civa.brussels/fr [73] Superstudio, Superarchitettura, Manifesto per la mostra alla Galleria del Comune di Modena, 1967 Tirage sur papier, 74 x 19,5 cm © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAMCCI/Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cbrMBG?fbc lid=IwAR0OVADq3i3EqeYBFA7qfYN1ZJnBuCrXg S7DZe035Ow_Px7Y_udWPXO 6ZE [74] Archigram, Peter Cook, David Greene, Michael Webb, Archigram 1, 1961 © Project by Centre for Experimental Practice

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http://archigram.westminster.ac.u k/magazine.php?id=96 [75] Archigram, Ron Herron, Walking City, New York At Night, 1964 © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=60 [76] Archigram, Ron Herron, Air Hab, 1967 © Archigram Archives http://indexgrafik.fr/air-habnomad-archigram-1967/ [77] Archigram Nº6 Collage ©Archigram Archives https://barcelonarchitecturewalks .com/michael-webb-ofarchigram-at-fadfest-2017inaugural-conference/ [78] Superstudio, Atti Fondamentali,Vita, 1971 Supersuperficie, Collages ©MAXXI Museo nazionale delle arti del XXI secolo, Roma. Collezioni MAXXI Architettura. © Fondo Superstudio [79] Superstudio, Architettura riflessa, Niagara falls, 1970 Tirage numérique sur papier glacé, 69,2 x 87 cm © Superstudio https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/c7r8dp [80] Superstudio, The Continuous Monument: St. Moritz Revisited, project (Perspective) 1969 © Gift of The Howard Gilman Foundation

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https://www.moma.org/collectio n/works/935?artist_id=5733&pa ge=1&sov_referrer=artist [81] Superstudio, Continuous Monument Crosses The Desert, 1969 © Superstudio https://moodmoods.wordpress.co m/2014/02/26/superstudiosuperarchitettura/amp/ [82] Superstudio, Le Dodici Città Ideali, Undicesima città: Città delle case splendide, 1971 Dessin, Encre sur calque, 21 x 30 cm © François Lauginie https://www.fraccentre.fr/auteurs/rub/rubinventair e-detaille90.html?authID=234&ensembleI D=&page=264&sortby=&dir=1 [83] Superstudio, Supersuperficie, The Happy Island, project, 1971 Encre, aérographe, graphite et papier imprimé sur papier coupé et collé 50,2 x 70,2 cm https://www.moma.org/collectio n/works/869?artist_id=5733&pa ge=1&sov_referrer=artist [84] Archigram, Peter Cook, Instant City Visits Bournemouth, 1968 Dessin, Photomontage, 23 x 34,5 cm © Philippe Magnon https://www.fraccentre.fr/_en/authors/rub/rubwor ks318.html?authID=44&ensembleI D=113&oeuvreID=533


[85] Archigram, Peter Cook, Dennis Crompton, Graham Foundation, Ron Herron, Gordon Pask, Instant City (Ic), 1968 © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=119 [86] Archigram, Capsule Homes Project, 1964 © Project by Centre for Experimental Practice http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=58 [87] Archigram , (Warren Chalk), Capsule Houses, 1964 © Archigram Archives http://archigram.westminster.ac.u k [88] Superstudio, Il Monumento Continuo, Manifesto New New York (in nero e azzuro), 1969 Lithographie, Encre sur papier, 70 x 100 cm © François Lauginie https://www.fraccentre.fr/auteurs/rub/ruboeuvres65.html?authID=185&ensembleI D=988&oeuvreID=13218 [89] Superstudio, Il monumento continuo, Paise d'o ‘sole, 1969 Collage, tirage et graphite sur calque et papier monté sous Marie-Louise, 45,5 x 54 cm © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cn7K7yj [90] Superstudio, Gli Atti Fondamentali, Vita (Supersuperficie), 1972 © François Lauginie

https://www.fraccentre.fr/auteurs/rub/ruboeuvres65.html authID=185&ensembleID=2010 &oeuvreID=22705 [91] Superstudio, Quaderna, 1969 © Cristiano Toraldo Di Francia. Mobili Della Serie Misura, Disegno A China E Collage, 1969 https://divisare.com/projects/295 089-superstudio-quaderna Superstudio, Quaderna, 1969 © Cristiano Toraldo Di Francia. Prototipi Per Mobili, Serie Misura, 1970. Panzano Nel Chianti https://divisare.com/projects/295 089-superstudio-quaderna [92] Archigram, Warren Chalk, Frank Brian Harvey, Ron Herron, Walking City, 1964 © Project by Centre for Experimental Practice http://archigram.westminster.ac.u k/project.php?id=60 [93] Archigram, Peter Cook, Plug-in City: Maximum Pressure Area, project (Section), 1964 Encre et gouache sur impression photomécanique, 83.5 x 146.5 cm Peter Cook © Archigram 1964 https://www.moma.org/collectio n/works/797 [94] Archigram, Computer city, 1964 Tirage et feutre de couleur sur film plastique monté sur carton, 51 x 84 cm © Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle -

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Centre Pompidou/ Dist. RMNGP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/c6jjxB [95] Ron Herron, Walking City on the Ocean, project (Exterior perspective), 1966 Imprimés et photographies en coupe-collage, papiers et graphite recouverts d'une feuille de polymère; 29.2 x 43.2 cm © Moma, Gift of The Howard Gilman Foundation https://www.moma.org/collectio n/works/814?fbclid=IwAR1h_o HaeRV3gKLYTRQBUiEwuzjtK MCJzPUvwliGwUagwlqgbOBrvdti Vo [96] Superstudio, Gli Atti Fondamentali : Morte, 1971 Supersurface, Lithographie, 70 x 100 cm © François Lauginie https://www.fraccentre.fr/auteurs/rub/rubinventair e-detaille90.html?authID=185&ensembleI D=2014 [97] Superstudio, Il Monumento Continuo, 1969-1970, Con de Maria, 1969 Graphite et collage sur tirage, 66 x 51 cm © Georges Meguerditchian Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Dist. RMN-GP https://www.centrepompidou.fr/f r/ressources/oeuvre/cdLpp6 [98] Rem Koolhaas, Elia Zenghelis, Madelon Vriesendorp, Zoe Zenghelis, Exodus, or the Voluntary, Prisoners of

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Architecture: The Strip (Aerial Perspective), 1972 Cut-and-pasted paper with watercolor, ink, gouache, and color pencil on gelatin silver photograph 40.6 x 50.5 cm © 2020 Rem Koolhaas https://www.moma.org/collectio n/works/104692 [99] Centre Pompidou, Paris ©ParisZigZag https://www.pariszigzag.fr/sortirparis/tendancesculture/retrospective-dora-maarau-centre-pompidou [100] Alain Bublex, Plug-In City (2000), São Paulo 093 (objets trouvés), 2016 Épreuve chromogène laminée diasec sur aluminium (photographie) ©Alain Bublex https://alainbublex.fr/fr/plug



SÉMI NAI RE‘ ENTREARTSETARCHI TECTURE’ SESSI ON J ANVI ER 2021


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