Salamnews Hors-série Décembre 2013

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DÉCEMBRE 2013 HORS-SÉRIE

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HORS-SÉRIE

30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme

s p é ci a l

Interviews : Toumi Djaïdja – Christian Delorme – Tewfik Jallab



SALAMNEWS HORS-SÉRIE / Décembre 2013

ÉDITO

SOMMAIRE

Trois décennies de marche

DOSSIER SPÉCIAL 4 1983-2013 : la longue marche contre le racisme

C

6 Toumi Djaïdja : « L’égalité est un chantier permanent »

8 Les marcheurs de 1983 10 Père Christian Delorme : « La fraternité est le seul avenir de la société française » 12 Abdellali Hajjat : « La Marche est le Mai 68 des enfants d’immigrés »

© Brahim Chanchabi/ AIDDA

se souviennent et militent toujours

CINÉMA

18 L’Escale – Plot for Peace Maghreb des films Moyen-Orient : que peut le cinéma

CULTURE 20 Lumières de la sagesse Albums : BD et immigration ICI, là et au-delà

LIVRES 22 La France arabo-orientale

Jeunesses arabes L’Islam au secours de la République Sexion d’Assaut, le succès d’une amitié

Tête d’affiche 14 Nabil Ben Yadir et Tewfik Jallab : « La Marche est le vrai héros » Salamnews est édité par Saphir Média, SARL de presse au capital de 10 000 euros. Saphir Média : 153, boulevard Anatole-France – 93521 Saint-Denis Cedex 01 Directeur de la publication : Mohammed Colin. N° ISSN : 1969-2838. Dépôt légal : décembre 2013. Directeur commercial : Mourad Latrech. Directeur de la rédaction : Mohammed Colin. Rédactrice en chef : Huê Trinh Nguyên. Journaliste : Mérième Alaoui. Rédaction : redaction@salamnews.fr – www.salamnews.fr Conception graphique : Pierre-André Magnier. Imprimé en France. Photo de couverture et sommaire : © 2013 / Chi-Fou-Mi Productions / Europacorp / France 3 Cinéma / Kiss Films / Entre Chien et Loup / L’Antilope Joyeuse / Photographes : Marcel Hartmann et Thomas Bremond.

© Bayard Editions / Tous droits réservés

16 Brahim Asloum : « Incarner Victor Young Perez revêt une belle symbolique »

hères lectrices, chers lecteurs, à l’occasion des 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, nous avons le plaisir de vous présenter ce 1er hors-série de Salamnews. Cet événement qui a marqué l’Histoire contemporaine de la France se devait d’être au cœur de notre actualité tant les enjeux ont été déterminants pour les Français issus de l’immigration. Cette Marche, au départ de Marseille, à la fin de l’année 1983, qui a duré plusieurs semaines et s’est terminée par un défilé de 100 000 personnes à Paris, a mis sur le devant de la scène une nouvelle génération, les enfants des travailleurs immigrés. Jusqu’à cet événement, cette génération demeurait invisible, souvent confondue avec celle de leurs parents. Et ce, malgré leur scolarisation et leur socialisation en France. Ce sera la première génération à être confrontée au chômage de masse alors que les parents avaient vécu l’eldorado du plein-emploi… Le racisme (comme les ratonnades), la double culture faisant que l’on est entre deux chaises sans trouver de fauteuil où s’asseoir… Cette Marche est aussi un cas d’école de la meilleure récupération politique réalisée par une frange du Parti socialiste de l’époque : récupérer le mouvement antiraciste et le placer sous contrôle d’un côté, souffler sur les braises du Front national de l’autre… La Marche n’a donc pas triomphé. Contrairement à une autre Marche, celle de 1963 conduite par Martin Luther King à Washington, qui a su si bien inspirer le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil. Si le bilan n’est pas autant positif que celle d’outre-Atlantique, la Marche française a cependant la même portée symbolique dans notre mémoire collective. Trente ans plus tard, se la remémorer – pour mieux construire l’avenir – nous paraît indispensable. ■ Mohammed Colin

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SALAMNEWS HORS-SÉRIE / décembre 2013

Dossier spécial

4 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme

© Brahim Chanchabi / AIDDA

À son arrivée à Paris, le 3 décembre 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme a rassemblé quelque 100 000 personnes. Il est temps, 30 ans après, que cet événement prenne souche dans la mémoire collective et fasse partie intégrante de l’Histoire de France.

1983-2013 : la longue marche contre le racisme Par Mérième Alaoui

Épisode fondateur de la lutte antiraciste des quartiers populaires, la Marche pour l’égalité et contre le racisme reste pourtant méconnue, même de la part des jeunes militants.

U

Un soir de juin 1983, en plein mois de Ramadan, un jeune des quartiers des Minguettes, à Vénissieux (Rhône-Alpes), est violemment attaqué par un chien policier. Toumi Djaïdja, président de l’association SOS Avenir Minguettes, intervient sans réfléchir et sauve l’adolescent de la gueule de l’animal. La réaction du policier raciste est sans appel : il tire sans sommation sur le jeune Toumi et le laisse pour mort. Sur son lit d’hôpital, c’est décidé, Toumi Djaïdja va marcher pacifiquement, inspiré par la Marche du sel de Gandhi, en 1930. « On aurait pu lever le poing mais on a préféré avoir une main tendue », explique, 30 ans plus tard, l’initiateur de la Marche avec la sagesse qui le caractérise.

Marcher, la meilleure façon pour le jeune militant de dire stop à l’escalade de la violence. « La décennie 1980 est la plus meurtrière de l’histoire de l’immigration en France, supérieure aux années 1970, supérieure même à la fin du XIXe siècle quand cela concernait les Italiens », explique Abdellali Hajjat, sociologue, auteur de La Marche pour l’égalité et contre le racisme.

Prise de conscience

Toumi Djaïdja et ses amis de quartier, épaulés par le Père Christian Delorme, partent donc pour Marseille. Top départ le 15 octobre. La France est d’abord indifférente à cette mobilisation. Mais, peu à peu, les marcheurs provoquent une

prise de conscience. La France découvre ces jeunes enfants d’immigrés révoltés par les crimes racistes. Toutes les associations d’immigrés des villes de France rejoignent le mouvement. En particulier, le Collectif de soutien de Paris. « On a tout de suite adhéré à la cause ! On a fait tout le travail d’organisation pour que l’arrivée du 3 décembre soit marquante, avec un message politique », raconte Samia Messaoudi, qui était alors journaliste à Radio Beur et militante au Collectif de la capitale. Pari réussi. Le 3 décembre, ils sont 100 000 à Paris pour fêter la « France plurielle ». Réception à l’Élysée, le président François Mitterrand accorde la carte de séjour de 10 ans. Un moment


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80 %

w 80 % des Français n’ont jamais entendu parler de la Marche pour l’égalité. 59 % estiment

5

que le racisme a progressé ; 61 % qu’il est plus difficile d’être musulman qu’il y a 30 ans ou d’être d’origine maghrébine (56 %). (Source : OpinionWay pour la Licra)

historique pour les familles immigrées.

Les militants de terrain évincés

Mais les lendemains de cette belle aventure humaine sont difficiles. La majorité des marcheurs historiques se dispersent… « En juin 1984, toutes les associations qui ont convergé autour de la Marche décident de se rassembler pour créer une fédération nationale. Mais c’est un échec », poursuit le sociologue. Convergence 84, née de la Marche, organise une deuxième mobilisation similaire, mais qui connaît un succès mitigé. C’est surtout à ce moment-là qu’on voit apparaître la fameuse main jaune de SOS Racisme… « Quand on y repense, tout était préparé ! Pendant l’organisation, c’était tellement le bazar chez Convergence qu’ils ont oublié de prendre leurs écriteaux pour la manifestation… Du coup, les membres de SOS Racisme ont abreuvé les manifestants de petites mains jaunes. L’opération communication était réussie, c’est ce que tout le monde a retenu… », se rappelle Daniel Duchemin, ancien directeur du Relais Ménilmontant, endroit de rendez-vous mythique des marcheurs à Paris. « SOS a bénéficié d’un vide et d’un échec des associations. Mais aussi de moyens financiers, par Pierre Berger ; médiatique, par la presse comme Libération ; et politique, par le PS, la mairie de Paris… », précise Abdellali Hajjat. D’un côté, des jeunes de 20 ans ; de l’autre, toute une organisation politique millimétrée. Le rapport de force est déséquilibré. Les militants de terrain issus de l’immigration sont évincés. Harlem Désir et ses acolytes proches de Julien Dray crèvent l’écran.

Transmettre la mémoire

Trente ans plus tard, les jeunes générations associent encore la Marche à SOS Racisme et donc au pouvoir politique… Résultat, cet événement n’est pas inscrit dans les

mémoires des quartiers. Pour Saïd Bouamama, marcheur responsable du Comité d’accueil du Nord devenu sociologue, la responsabilité incombe aussi aux militants euxmêmes. « Il est vrai que nous n’avons pas su transmettre cette mémoire aux jeunes générations », concède celui qui est proche des Indigènes de la République. Les jeunes militants antiracistes voient souvent leurs aînés comme des « manipulés », des « naïfs »… Ce n’est pas le cas de Rokhaya Diallo, cofondatrice des Indivisibles, qui signe le documentaire Les Marches de la liberté. « On montre souvent nos parents, nos grands frères comme des gens qui ont baissé la tête, mais c’est faux ! Ils ont milité et ils n’avaient que 20 ans ! J’ai un grand respect pour cela. Je ne connais pas beaucoup de militants si jeunes aujourd’hui qui auraient le courage d’un Toumi Djaïdja ! » Malheureusement, le combat antiraciste, en particulier contre l’islamophobie, est plus que d’actualité. Les jeunes militants ont-ils compris les leçons du passé ? « Je trouve les jeunes plus politiques qu’à notre époque… », reconnaît Saïd Bouamama. En même temps, « toutes les générations ont l’impression d’inventer l’eau chaude… Il faut regarder ce que les autres ont fait avant nous, ce n’est pas le premier reflexe. Je m’inclus d’ailleurs ! », avoue Rokhaya Diallo.

Idéalistes d’hier, individualités d’aujourd’hui

Pour Nadia Hathroubi-Safsaf, journaliste et auteure de La Longue Marche pour l’égalité, les leçons n’ont pas été retenues : « Aujourd’hui, les jeunes se vendent davantage en tant que “diversité”, ils pensent plus “individualité” et moins “collectif”. C’est la course au siège, au poste. L’idéal des marcheurs de 1983 est loin. Ils étaient certes plus naïfs mais aussi plus idéalistes… » Du côté des « anciens » comme Djamel Atallah, marcheur historique, les jeunes militants sont

parfois trop « radicaux ». « Je pense, par exemple, aux Indigènes de la République qui ont un combat que je comprends, mais je ne suis pas d’accord avec la méthode. » Pour Samia Messaoudi, le mot même d’islamophobie est à bannir. « Oui, il y a du racisme en 2013, qu’on doit combattre en tant que tel. Mais mettre l’accent sur les musulmans me gêne. On a dit qu’on avait fait la Marche des Beurs, mais c’est faux ! Dès le départ, nous étions dans une logique plus ouverte, on se battait pour l’égalité et contre le racisme tout simplement. » Quant aux jeunes associations anti-islamophobie, elles ne semblent pas éprouver le besoin de raviver la mémoire de 1983. « À ma connaissance, aucun texte sur la Marche n’a été écrit par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) », précise Abdellali Hajjat.

Continuer à militer

La Marche, méconnue, occultée ou tout simplement oubliée ? Il est fort à parier que le film de Nabil Ben Yadir et la promotion qui l’accompagne vont contribuer à faire connaître la Marche aux jeunes publics. Car 2013 semble bien marquer un tournant : « Il y a malheureusement un écho entre 1983 et 2013 : un Front national qui perce, un gouvernement socialiste qui porte des espoirs et qui les déçoit… Je pense aux droits de vote des étrangers, au contrôle au faciès… » Ce qui a changé pour le sociologue, c’est la présence des enfants d’immigrés dans le tissu associatif. « L’aventure de la Marche a permis à toute une génération de se politiser et à continuer à militer. Beaucoup sont entrés dans des syndicats, des partis politiques, des associations. Donc, pour moi, la Marche reste une réussite. » 1983-2013 : trois décennies de combats antiracistes, qui devraient enfin commencer à s’inscrire dans la mémoire des enfants de l’immigration et dans l’Histoire de France. ■

CHRONO ■ Octobre 1980 À 17 ans, Lahouari Ben Mohamed est tué par un CRS à Marseille lors d’un contrôle de police. ■ Juin 1983 À Vénissieux, Toumi Djaïdja reçoit une balle dans le ventre tirée par un policier. Il lance l’idée de la Marche sur son lit d’hôpital. ■ 15 octobre 1983 Lancement de la Marche à Marseille avec quelques dizaines de personnes. ■ 14 novembre 1983 Habib Grimzy, touriste algérien de 26 ans, est assassiné dans le train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère. Les marcheurs sont à mi-parcours. Ce meurtre raciste va plonger la France dans l’horreur et provoquer un emballement médiatique autour du mouvement. ■ 3 décembre 1983 Les marcheurs arrivent à Paris, accueillis par 100 000 personnes. Une délégation est reçue à l’Élysée par François Mitterrand. ■ Juin 1984 Assises des jeunes issus de l’immigration à Vaulx-en-Velin et à Villeurbanne. ■ Décembre 1984 Convergence 84 organise la Marche Convergence 84 pour l’égalité. Succès mitigé. Apparition de la main jaune « Touche pas à mon pote ». ■ 15 octobre 1984 Naissance de SOS Racisme par les cercles du Parti socialiste, autour de Julien Dray, symboliquement un an après la Marche. ■ 16 mars 1986 Le Front national décroche 35 sièges à l’Assemblée nationale.


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Dossier spécial

6 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme Par Mérième Alaoui

Toumi Djaïdja : « L’égalité est un chantier permanent »

© Brahim Chanchabi / AIDDA

© Éd. de l'Aube

Initiateur de la Marche, Toumi Djaïdja est resté très discret pendant 30 ans. Pour la première, fois, il témoigne dans un livre*. « Avare en mots », il a accepté notre interview exclusive.

Toumi Djaïdja, en 1983.

Le film de Nabil Ben Yadir retrace votre aventure, Tewfik Jallab joue votre rôle sous le nom de Mohamed… Cela doit être déroutant de voir sa vie sur grand écran ? Toumi Djaïdja : Lorsque j’ai vu le film pour la première fois, j’ai éclaté en sanglots… Revoir cette partie de ma vie m’a fait remémorer tellement de choses… Trente ans pour un historien, ce n’est pas grand-chose, mais la mémoire a besoin de se nourrir d’Histoire. Le cinéma est un vecteur très important pour cela, notamment pour les plus jeunes. Quoi que votent leurs parents, je pense qu’ils sont forcément touchés si le message est sincère et vrai, et surtout porteur d’égalité, valeur universelle. Vous avez eu un courage incroyable, d’abord en sauvant un adolescent attaqué par un chien, puis après avoir pris une balle dans le ventre, de lancer l’idée folle d’une marche pacifique…

Se faire tirer dessus, subir une opération de microchirurgie de 9 heures, ce n’est pas de la blague. Toute ma famille a été touchée dans sa chair… Même après cela, je n’arrivais pas à avoir de colère. Il est difficile de changer sa nature profonde, je suis le fruit d’hommes qui sont avant moi. Je pense à papa, bien sûr... On aurait pu lever le poing, mais c’est la main tendue qu’on a préféré lancer à la France. Il y avait aussi un contexte qui expliquait la Marche… La vie est sacrée et on nous bafoue, on nous tue. Nous avions déjà expérimenté la non-violence en faisant une grève de la faim, c’est une arme redoutable. Je me rappelle qu’un jour, au local, une maman arabe vient me raconter qu’on a tué son fils ! Elle m’a bouleversé ! Toutes ces mamans n’ont jamais crié vengeance, elles ont demandé justice. Après avoir rassemblé 100 000 personnes à Paris et dans une telle effervescence, vous décidez de vous effacer. Avez-vous été déçu par la suite des événements ? Déçu non, mais vous ne pouvez pas mener un combat sans soldats, on ne peut pas tous être des généraux ! On ne gagne pas des batailles en ordre dispersé. Et plus tard, SOS Racisme n’a pas « récupéré » le mouvement, on a subi une OPA non amicale ! La machine de guerre d’une certaine gauche et des énarques parisiens étaient déterminés à récupérer le capital sympathie de la Marche. Et nous n’avions que 20 ans ! Surtout, il était important de garder mon intégrité, ma liberté de parole. Pour ma part, l’atterrissage était assez doux, car j’étais amoureux ! Puis j’ai fait ce qu’il y a de plus merveilleux, j’ai construit une famille. Pour la première fois, vous décidez de témoigner dans un livre d’entretiens avec Adil Jazouli, La Marche pour l’égalité*.

Cette visibilité autour de la Marche me permet simplement de diffuser un message qui me tient à cœur avec systématiquement une double grille de lecture. À la fois une dimension humaine et une dimension politique. Mais mon engagement est quotidien. Toutes les bonnes actions démultipliées à l’infini, cela peut faire une belle société ! L’essentiel est qu’on puisse vivre ensemble par-delà nos différences parce que c’est l’essence même de la vie ! Mais l’on doit avoir un projet commun qui fasse consensus, dans lequel chacun puisse s’identifier. C’est ce qui fait la base du sentiment d’appartenance à son pays. Attaque raciste contre une ministre d’État, un FN en hausse… L’actualité montre que le combat antiraciste est encore très vif. Aujourd’hui, on balance une banane à une ministre parce qu’elle est Noire ! C’est une honte. C’est à la justice d’intervenir. Je repense au pain au chocolat, à l’Auvergnat… Oui, il y a un constat à faire et il est amer ! Mais les bourreaux raffolent des victimes. Je veux dire qu’il ne faut pas rester dans une position victimaire ! L’égalité est un chantier permanent. Comme la lutte contre l’islamophobie ? Nous sommes les enfants d’hommes qui ont quitté femmes et enfants pour venir dans ce pays mourir sur les plages et dans les villages et combattre le nazisme. Ils sont venus avec tout ce qui les constitue. Leur foi était essentielle pour gagner la guerre, donc pourquoi aujourd’hui on nie à leurs enfants leur religion ? Pourquoi on nie simplement leurs droits ? ■ * Toumi Djaïdja, La Marche pour l’égalité. Une histoire dans l’Histoire – entretiens avec Adil Jazouli, Éd. de l’Aube, novembre 2013, 160 p., 13,80 €.



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Dossier spécial

8 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme Par Mérième Alaoui

Les marcheurs de 1983 se souviennent et militent toujours Ils avaient à peine une vingtaine d’années en 1983. Qu’ils soient marcheurs permanents ou temporaires, ils reviennent sur leurs expériences lors de cette page historique pour les quartiers populaires et pour la France. Témoignages.

archeur historique, Djamel est présent dès le départ aux côtés de Toumi Djaïdja. M Issu des quartiers des Minguettes, il revient sur

le contexte particulièrement tendu de l’époque. « Le corps policier était souvent composé des rapatriés d’Algérie qui avaient bénéficié de ce qu’on appelle la politique de la discrimination positive. Dans mon quartier, à 15-16 ans, on se faisait interpeller pour rien et les policiers nous appelaient “petit fellaga”. C’était le vocable utilisé ! » Djamel et ses amis pensaient que leur frontière était celle du quartier des Minguettes. Au-delà ils ne seraient plus en sécurité. Et pourtant, un soir, avec son ami Toumi Djaïdja, ils assistent à l’agression d’un jeune adolescent par un chien policier. « On a essayé de le tirer de là. Puis j’ai bien vu ce policier tirer sans aucune sommation sur Toumi. Le pire, c’est qu’après il a récupéré son chien et il est reparti tranquillement », se rappelle Djamel. Quand l’idée de la Marche est lancée, bien sûr qu’il en ferait partie. « Il faut se rappeler le contexte de l’époque, il y avait des jeunes qui se faisaient assassiner. On avait le sentiment d’être écrasés, relégués, abandonnés… Il fallait réagir ! Interpeller la République ! » Et le groupe, une fois élancé, ne se doutait pas une seconde de la portée de l’action en cours. « [Le père] Christian Delorme et [le pasteur] Jean Costil s’en rendaient bien compte, mais nous pas du tout ! Nous étions tous des jeunes en échec scolaire. C’était une initiative qui venait simplement du cœur, pas un acte politique recherché. Plus la Marche prenait de l’ampleur et plus elle nous dépassait complètement. »

Pourtant avec le recul, Djamel se rappelle qu’au départ il n’était pas très enthousiaste. « J’étais davantage branché sur les mouvements de droits civiques des Blacks Panthers plutôt que sur Martin Luther King ou Gandhi… J’étais pour une méthode plus dure, plus organisée… Aujourd’hui, je pense honnêtement que si cette méthode avait été utilisée, peut-être qu’on ne serait pas encore dans de telles configurations. » Pour Djamel, si la Marche a eu le succès qu’elle a eu, c’est grâce à la prise de conscience nationale intervenue à la suite de la mort de Habib Grimzi dans le train Bordeaux-Vintimille. « La France a découvert comment on traitait ces populations. Elle a découvert l’horreur ! À partir de ce moment-là, la presse a eu une sorte de mauvaise conscience et a mis le paquet sur cette Marche en la valorisant... À une semaine de l’arrivée, des politiques ont tenu à marcher avec nous. Et puis nous avons été reçus par le président… » ■

À LIRE • Nadia HathroubiSafsaf, 1983-2013 : la Longue Marche pour l’égalité, Éd. Les Points sur les i, septembre 2013, 150 p., 14 €. • 1983. La Marche pour l’égalité et contre le racisme, revue Migrance, n° 41, Éd. Mémoire-Génériques, 1er semestre 2013, 236 p., 10 €. • Marilaure Garcia-Mahé, En marche, Sokrys Éd., 160 p. 13 €.

À VOIR • Les Marcheurs, chronique des années beurs, film documentaire de Samia Chala, Naïma Yahi et Thierry Leclère, diffusé sur Public Sénat. • Les Marches de la liberté, documentaire de Rokhaya Diallo, diffusé sur France Ô. • Une marche, deux générations, webdocumentaire de Ouafia Kheniche, diffusé sur France Info.

Farouk Sekkai et Djamel Atallah, aux Minguettes, en 1983

© Brahim Chanchabi /AIDDA

© D. R.

Djamel Atallah « Il fallait interpeller la République »

• La Marche pour l’égalité et contre le racisme. Une histoire photographique des luttes de l’immigration et des quartiers en France, CD de 89 photographies, de Brahim Chanchabi, Amadou Gaye et Salah Jabeur, AIDDA.


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13 M€ millions 78,95

11 9 w Directement concernées par la violence

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commise contre leurs enfants, frères ou cousins, les femmes ont vite investi l’organisation de la Marche, en créant, par exemple, l’Association des mères victimes de crimes racistes et sécuritaires. Ici, arrivée de Collective Jeunes à la manifestation à Paris, le 3 décembre 1983.

Marilaure Mahé « Des jeunes mouraient sous les balles racistes »

E

n 1983 Marilaure a 21 ans, elle suit une formation d’éducatrice à Paris. En juillet, elle apprend la mort de Toufik Ouanes, 9 ans, tué d’un coup de carabine par un voisin excédé par le bruit. « Outre le fait que cela m’a révoltée, indignée, j’ai pris conscience que beaucoup de jeunes de mon âge mouraient sous les balles racistes. Je découvrais un climat raciste, car la presse commençait à répertorier tous les morts qu’on nous cachait auparavant… » Cette prise de conscience la questionne beaucoup. Un jour de septembre, elle tombe sur un article du magazine Expression annonçant la Marche. « J’ai décidé d’y aller ! J’ai embarqué avec moi une

copine de promo, Cécile. Nous sommes parties pour Marseille, point de départ de la Marche, le 15 octobre. On a rencontré le groupe des marcheurs historiques des Minguettes, il y avait environ 8 personnes… » Le petit groupe enfin constitué, le voilà qui commence à marcher. « Nous avions presque le même âge, il y avait des garçons, des filles… On était curieux de savoir comment les uns et les autres vivaient. Je me rappelle de Farouk qu’on décrivait comme un écorché vif. Moi qui venais de Paris, qui était étrangère à ce qu’il racontait, sa façon de parler ne m’étonnait pas car on se comprenait tellement ! Il ne pouvait pas en être autrement. Puis on a

adopté le même phrasé. » Comme la plupart des marcheurs historiques, Marilaure était loin d’imaginer ce qui se tramait politiquement autour de la Marche. « Au départ, il n’y avait pas de revendication politique précise. D’ailleurs, je n’ai su que 30 ans après, le 31 mai dernier, que des contacts avaient été pris avec l’Élysée dès le départ ! C’est affligeant, mais c’est vrai. » Après la Marche, Marilaure est l’une des rares marcheuses permanentes à poursuivre le mouvement militant en rejoignant le groupe Convergence 84. Un an après la Marche, le nouveau groupe organise une nouvelle marche, qui trouve un écho mesuré. ■

© D. R.

Kaïssa Titous « Donner une dimension plus politique à la Marche »

P

résidente de Radio Beur (devenue Beur FM) à Paris en 1983, Kaïssa se rendait déjà dans la région lyonnaise, aux Minguettes bien avant la Marche pour couvrir la grève de la faim ou encore le Forum justice pour la mort de Wahid Hachichi. « Nous étions très sensibilisés sur les questions de crimes racistes. Dès qu’il y avait un affrontement ou un jeune tué dans les quartiers de la région parisienne, les gens venaient nous voir à la radio et nous allions sur place pour enquêter. » Pour Kaïssa Titous, « on ne peut pas comprendre le succès de la Marche si on ne prend pas la mesure du nombre important de morts soit par des tontons flingueurs, soit par des bavures policières ». De plus en plus, les mouvements associatifs commençaient à s’organiser dans les quartiers. « On percevait une grande sensibilité

sur ces questions et la nécessité de l’obtention de droits politiques. Les jeunes des Minguettes voulaient montrer qu’ils faisaient partie des réalités françaises, et qu’il fallait respecter leur intégrité physique et morale. » L’été 1983 a été particulièrement meurtrier puis, un jour, Kaïssa reçoit la lettre du Père Christian Delorme à la radio, il annonce la Marche. « Avec mes camarades, on décide de créer le Collectif parisien composé de jeunes issus de l’immigration et indépendants des organisations politiques et antiracistes. Ce collectif était majoritairement féminin et les femmes le dirigeaient sans aucun problème ! », ajoute-t-elle. « Avec les marcheurs, nous avions des rapports fraternels, une grande confiance résidait déjà entre nous, ce qui nous a permis de relayer leurs demandes pour l’arrivée et donner une dimension plus politique à la marche. » À Paris, les collectifs de banlieues venaient rejoindre celui

de Paris. Kaïssa, qui ne fait pas partie des marcheurs permanents, faisait des allers et retours sur place pour organiser leur arrivée. « Et surtout nous avons organisé leur périple dans la région parisienne, notamment le Forum police justice à Levallois… » Loin d’être un semi-échec comme elle l’est souvent présentée, la Marche reste pour l’ancienne présidente de Radio Beur une grande réussite : « C’est le premier mouvement de jeunes après 1968 dirigé par des Arabes et qui a su rallier une grande partie de la société française à un moment difficile : essoufflement du mouvement ouvrier, désindustrialisation et début du chômage de masse… Ce mouvement est parti des quartiers, pas des usines ni des lycées ni des facs, ce qui en fait son originalité. Certes, il n’a pas réussi à éradiquer les crimes racistes, ni les bavures policières, ni le délabrement et la relégation des quartiers, mais qui a réussi ? » ■


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Dossier spécial

10 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme Par Mérième Alaoui

Père Christian Delorme : « La fraternité est le seul avenir de la société française »

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Le Père Delorme fait partie des marcheurs historiques de 1983. C’est lui qui a coordonné toutes les étapes et organisé les contacts avec les pouvoirs publics.

Christian Delorme et Farid Arar, en 1983.

Avec le recul, 30 ans déjà, comment percevez-vous cette aventure incroyable ? P. Christian Delorme : C’est vrai qu’on se dit : quelle force il a fallu, quel enthousiasme, quelle espérance à quelques jeunes d’un quartier assez défavorisé pour avoir envie de se lancer dans pareille épopée pour finalement arriver au but ! Il a fallu qu’il y ait beaucoup de confiance. Encore aujourd’hui, c’est cela qui me sidère ! Beaucoup de ces jeunes n’avaient jamais quitté leur quartier ni leur famille. Et ils sont partis à la rencontre d’une France qu’ils ne connaissaient pas, c’est ça qui tient un peu du miracle. Dans cette Marche, ils étaient porteurs d’une parole de fraternité, on aurait pu l’appeler « la Marche de la fraternité » ! Est-ce que la place de la religion faisait partie des débats des marcheurs en 1983 ? Quelle place a eu l’Église ? Quasiment pas, c’est là qu’il y a un grand changement avec aujourd’hui. Bien sûr, l’islam est présent de manière impor-

tante au début des années 1980, mais cela ne fait pas débat dans la société française ou très peu. Beaucoup de ceux qui ont fait la Marche étaient habités d’une spiritualité musulmane ou chrétienne, mais cette dimension n’était pas mise en avant. Le mouvement était très pluriel, c’est ce qui fait son originalité. Quant à l’Église, on ne peut pas séparer cet événement de toute une histoire de solidarité qui remonte aux années 1950. L’Église avait déjà une longue tradition, depuis la guerre d’Algérie, d’accueil et de solidarité avec les familles immigrées. C’était très enraciné dans l’Histoire de France… Quel est votre plus beau souvenir de la Marche ? Je retiens surtout une très grande fraternité, assez étonnante d’ailleurs… Car ce groupe était composé de gens d’âges différents, de milieux sociaux différents, d’histoires familiales différentes, de religions différentes. Dans un contexte très difficile qui était celui des meurtres racistes, on a vécu un temps de fraternité, un peu comme un rêve ! Avez-vous des regrets sur l’organisation ou les conséquences de la Marche ? Je n’ai pas de regret sur l’organisation. Mais sur les fruits de la Marche, oui. La manière dont les pouvoirs publics ont manqué la main tendue offerte, c’est un ratage. Ils se sont retrouvés avec le mouvement de toute une jeunesse de France qui demandait à être reconnue, à être aimée et à être partenaire de la société. Or les pouvoirs publics et les médias n’ont pas su saisir l’occasion de reconnaître la pleine citoyenneté et la pleine légitimité de cette jeunesse. Encore aujourd’hui, c’est difficile…

Justement, si comparaison n’est pas raison, car les années 1980 étaient les plus meurtrières en actes racistes, quels parallèles peut-on établir entre 1983 et 2013 ? Le racisme est une maladie et même une réalité monstrueuse qui est toujours tapie dans le cœur de l’homme. À l’occasion de situation de crise, de rivalité sur le marché de l’emploi, il y a de nouveau le surgissement de ce mal. On voit aujourd’hui que c’est du refoulé. La manière dont la ministre Christiane Taubira est insultée renvoie à des images véhiculées pendant des siècles de mépris de l’Occident à l’égard du monde noir. Je reste persuadé que la société française n’est pas guérie de son passé colonial ! Heureusement, les meurtres racistes sont beaucoup plus rares. Mais il ne faut pas se leurrer, on peut très bien retrouver des périodes de grandes violences. Il faut faire très attention. Cela ne vous donne-t-il pas envie comme hier de vous engager politiquement ? Aujourd’hui comme hier, je suis resté fidèle à ces combats. À l’époque, j’avais une position importante car j’avais déjà un passé militant et des réseaux. Mais il était important de m’effacer ensuite pour laisser la place aux jeunes. Mais c’est difficile de militer quand on est jeune et au chômage. Et lorsque j’entends ces discours ouvertement racistes, cela donne envie de monter plus souvent au créneau, c’est vrai… La fraternité est le seul avenir de la société française. ■ Christian Delorme, La Marche. La véritable histoire qui a inspiré le film, Bayard Éd., novembre 2013, 212 p., 16 €.



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Dossier spécial

12 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme Par Mérième Alaoui

Abdellali Hajjat : « La Marche est le Mai 68 des enfants d’immigrés » Abdellali Hajjat, sociologue et maître de conférences en science politique à l’université Paris-Ouest Nanterre, a commencé le pointilleux travail sur les archives et les témoignages autour de la Marche pour l’égalité dès 2006.

© D. R.

tant pour les militants. Un « Mai 68 » des enfants d’immigrés. Une prise de parole nationale généralisée qui a permis de socialiser des milliers de jeunes politiquement.

Les enfants d’immigrés pensent souvent que leurs parents ont rasé les murs, baissé la tête… On voit dans votre livre que c’est faux. Abdellali Hajjat : C’est un mythe qui est construit dès les années 1980 mais la réalité est plus nuancée. On ne peut pas dire que tous les travailleurs immigrés se sont mobilisés non plus, mais certains syndiqués étaient très présents. Sans parler de la période de la guerre d’Algérie et de la lutte anticoloniale où ils étaient premièrement impliqués. C’est intéressant de voir que les premiers jeunes qui se mobilisent à la fin des années 1970 sont souvent des enfants de militants anticolonialistes algériens ou marocains. Est-ce le cas pour les marcheurs de 1983 ? Dans le groupe d’origine SOS Avenir Minguettes, ce ne sont pas des militants au départ ni des enfants de militants. Mais des jeunes faiblement scolarisés, qui ont emprunté des voix de garage, certains sont enfants de harkis… Les profils des jeunes immigrés qui ont accueilli la Marche à Paris sont très différents : eux ont fait l’université, sont déjà militants. La Marche n’a pas marqué toutes les familles immigrées, en revanche c’était un événement très impor-

Mais cet épisode a été occulté dans l’Histoire de France, notamment parce que ces mêmes militants n’ont pas réussi à se mettre d’accord en 1984… Pas complètement occulté grâce au secteur associatif mais qui reste, en effet, assez confidentiel. Ce n’est pas du tout un événement dans la mémoire nationale, il ne figure pas dans les manuels scolaires. Mais les 30 ans marquent un tournant. Comment les marcheurs perçoivent avec le recul les leçons du passé ? Il y a le sentiment qu’il y avait un coup à jouer. Ils étaient pris dans une mécanique dont ils ne cernaient pas tous les enjeux. Certains regrettent de ne pas avoir soutenu de position plus radicale, de ne pas avoir tenu un autre discours devant le président Mitterrand… C’est un événement difficilement reproductible, même un an après. C’est une question non pas de spontanéité, mais d’alliances entre le gouvernement, les médias, les associations… Une alliance qui n’a pas duré longtemps. Y a-t-il des connexions entre les luttes contre le racisme d’hier et celles contre l’islamophobie d’aujourd’hui ? Le terme islamophobie apparaît dans le contexte français au début des années 2000. Mais la question religieuse n’était pas absente de la mobilisation des années 1980, contrairement à ce qui est rapporté à posteriori. Je donne l’exemple dans le livre* d’un dialogue, lors de la Marche à Creil, entre

un marcheur Farouk Sekkai, membre de SOS Avenir Minguettes, et Jack Lang, alors ministre de la Culture. Pour Farouk, « une mosquée a le droit d’autant de respect qu’une église, une synagogue ». Il y a un codage différent : à l’époque, c’étaient les « Arabes » ou les « Noirs » ; aujourd’hui, on parle de « musulmans »… Mais la question est toujours la même : la légitimité de la présence de l’immigration postcoloniale en France. Comment a-t-on ensuite construit ce que vous appelez dans votre livre Islamophobie, coécrit avec Marwan Mohammed, « le problème musulman » ? Cela commence dès 1983 avec des grèves et des occupations d’usines, notamment à Citroën d’Aulnay-sous-Bois ou à Poissy. Des grèves dures, où les travailleurs immigrés ont des revendications contre les licenciements, pour l’amélioration des conditions de travail, etc. Le gouvernement crée une opposition entre les « Beurs laïcs » (la génération des marcheurs) et les travailleurs immigrés dits « musulmans ». On va parler de « grèves intégristes », de « grèves chiites » à cause de la révolution iranienne de 1979. Les grévistes vont être disqualifiés. À mon avis, c’est le moment fondateur de la construction du « problème musulman » après la guerre d’Algérie. ■ * Abdellali Hajjat, La Marche pour l’égalité et contre le racisme, Éd. Amsterdam, octobre 2013, 264 p., 14 €.



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Tête d’affiche

Nabil Ben Yadir et Tewfik Jallab

© 2013 / Chi-Fou-Mi Productions / Europacorp / France 3 Cinéma / Kiss Films / Entre Chien et Loup / L’Antilope Joyeuse Photographes : Marcel Hartmann et Thomas Bremond

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Jeunes enfants en 1983, ils n’ont pas connu la Marche. Et pourtant, 30 ans plus tard, le réalisateur Nabil Ben Yadir et le comédien Tewfik Jallab ont à cœur de dire combien défendre les droits à l’égalité et combattre toute forme de racisme, et cela de façon pacifique, conserve tout son sens. Interview croisée.

« La Marche est le vrai héros » La Marche (en salles le 27 nov.) est votre 2e film après Les Barons, que vous aviez mis une dizaine d’années à écrire. La Marche était-il aussi un projet de longue date ? Nabil Ben Yadir : Cela a pris deux ans et demi d’écriture, de financement et de tournage, mais Nadia Lakhdar, coscénariste, avait ce projet depuis quelques années. On a gardé la grande histoire et récrit ensemble le film. Il y a aussi eu cette urgence de le faire, car cela sonne tellement d’actualité, il fallait profiter du médium du cinéma pour parler de ce sujet maintenant. Pourquoi s’intéresser à la Marche pour l’égalité, alors que vous êtes Belge ?

Nabil : Parce que c’est une histoire extraordinaire : je m’en suis personnellement voulu de ne pas la connaître. J’avais cette excuse d’avoir eu 3 ans à l’époque et d’être Belge ; mais, selon un sondage, 81 % des Français ne connaissent pas cette histoire, c’est dramatique. Moi qui suis à la recherche de sujets à raconter, ce qui m’a intéressé, c’est l’aspect cinématographique de la Marche. Tewfik, vous-même n’avez pas connu la Marche. Comment retrouver cette mémoire-là ? Tewfik Jallab : Pour la retrouver, on a eu la base du scénario, qui a été un vivier d’informations important, puis l’équipe

de production nous ont mis à disposition les archives de l’INA, des interviews, des DVD, des reportages, dont ceux de l’émission « Mosaïque ». Chacun a fait ce travail personnel pour s’approprier l’histoire. De quelle façon avez-vous travaillé l’écriture ? Écriture d’une fiction par-dessus la réalité historique ou bien d’abord rencontre avec les vrais marcheurs ? Nabil : J’ai rencontré Toumi Djaïdja pendant l’écriture, aux Minguettes : là où il s’est ramassé la balle, là où il est né et a grandi. La rencontre avec Toumi a été décisive, car une personne, 30 ans après l’événement,


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Tewfik, comment s’est passée votre rencontre avec Toumi Djaïdja ? Tewfik : Il était hors de question que je ne rencontre pas Toumi, le personnage que j’allais incarner. Je suis parti à Lyon, surtout je l’ai beaucoup écouté, il a été une source d’inspiration : quand on interprète une personne encore vivante, on prend le plus d’informations sur lui, sur sa façon de réfléchir, de bouger, de s’exprimer ; c’est une matière où l’on puisera pour jouer telle ou telle scène. Le film La Marche n’est pas dénué d’humour : est-ce votre patte reconnaissable également dans Les Barons et qui fait le lien entre vos deux films ? Nabil : J’ai l’impression que les marcheurs sont les grands frères des barons. C’est toujours une histoire de pas. Il y en a qui s’arrêtent de marcher pour vivre, d’autres décident de marcher pour survivre. Les marcheurs sont les grands frères qui se sont battus pour leurs droits, pour exister, et les barons sont peut-être ceux qui ont hérité de cela sans en profiter vraiment. Vous avez réussi à mettre de la psychologie dans vos personnages, alors que l’on pouvait s’attendre à un film historique. Or chacun a sa personnalité, ses travers… Tewfik : La force de Nabil a été qu’il voulait que cela sonne vrai tout le temps, il nous a prévenus qu’il allait nous voler des images, il nous a fait comprendre qu’il y aurait beaucoup de regards, un souci de raconter par une simple attention, des gestes, avec des actions en arrière-plan. De plus, à l’intérieur du groupe, il montre qu’il y a divergence d’idées et de valeurs, on se rend compte que ce sont simplement des êtres humains, criblés de doutes. Nabil : Ce sont des personnages qui vont parcourir 1 500 km ensemble et ils ne sont pas parfaits, ils ont leurs blessures, c’est ce qui les rend humains. Peut-on considérer le fait d’être devenu cinéaste comme une revanche sur la vie, sachant que l’on vous avait orienté en mécanique durant votre jeunesse ? Nabil : On peut le voir comme une revanche, mais ce n’est pas mon moteur. Après Les Barons, on m’a sollicité pour réaliser des comédies, avec de gros chèques à la clé. Mais j’ai besoin de raconter des

histoires qui touchent, de ne subir aucune pression. J’ai travaillé en usine, dans des parkings, à la chaîne, etc. Maintenant, je suis content de faire du cinéma, parce que quand je regarde en arrière, ce n’est pas si loin… Le cinéma, c’est aussi pour ma mère et pour mon père… Vous avez commencé très jeune à jouer au cinéma : peut-on dire que vous avez été à l’encontre des stéréotypes auxquels on assigne les jeunes issus de l’immigration ? Tewfik : La volonté, c’était surtout de ne pas faire comme les autres. Dans ma famille, la seule personne qui était dans le cinéma, c’était ma grand-mère qui faisait le ménage dans l’UGC d’Enghien-les-Bains. C’est comme ça que j’ai eu mes premières émotions au cinéma, je l’accompagnais le mercredi et le samedi. Ça fait Cinema Paradiso mais c’est la réalité. J’ai donc été pris lors d’un casting, à l’âge de 10 ans, pour jouer le rôle d’un enfant soldat libanais. Dès le premier jour je me suis rendu compte que c’est ce que je voulais faire. J’ai eu mon bac pour faire plaisir à mes parents, j’ai été à la fac un petit peu. Après j’ai décidé de prendre en main mon destin ! Quel regard portez-vous sur la société d’aujourd’hui 30 ans après la Marche ? En quoi la lutte contre le racisme est-elle encore d’actualité ? Nabil : Quand on traite une ministre de guenon, je pense que le film doit sortir, il y a une urgence. Tewfik : J’ai l’impression qu’on est dans un contexte où il n’y a jamais eu autant de gens qui se déclarent ouvertement racistes, avec des actes ou paroles racistes sans aucune forme de pudeur ni d’hésitation. Avant on était raciste sous couvert de l’anonymat, maintenant on le signe. Avez-vous conscience que votre film fait œuvre de mémoire pour les jeunes générations, même s’il s’agit d’un film de fiction ? Nabil : J’en suis ravi ! Comme dirait Toumi Djaïdja, « le message a dépassé le messager », cela va au-delà du cinéma. Ce n’est pas une raison pour qu’il ne faille pas avoir une vision artistique du film en ne se reposant que sur le sujet historique. D’où le choix du 35 mm, d’avoir de grands comédiens pour ce film : j’avais besoin de rendre un hommage à cette histoire-là. Gandhi a son film ; Malcolm X a son film ; Mandela a son film. La Marche a son film ! En n’étant pas un biopic, car le héros, c’est le groupe, c’est la Marche. ■ Propos recueillis par Huê Trinh Nguyên

Bio express Né le 24 février 1979, à Bruxelles, Nabil Ben Yadir aime dessiner et écrire, il est orienté en formation d’électromécanique dont il sort diplômé. Tout en exerçant son métier de mécanicien, il continue à écrire et réalise son premier court métrage en 2005 Sortie de clowns. Son premier long métrage Les Barons sur la « vie de glandeurs bruxellois pleins de ressources » est le plus gros succès du cinéma belge l’année de sa sortie en 2009 : il remporte le prix du public et le prix d’interprétation masculine du festival d’Amiens et le prix du jury du festival de Marrakech. La Marche est son deuxième long métrage. Né le 9 janvier 1982 à Argenteuil, Tewfik Jallab commence sa carrière d’acteur à l’âge de 10 ans dans le rôle principal d’un enfant soldat du film Killer Kid, de Gilles de Maistre, qui remporte le prix du jury et celui du public de Cannes Junior 1994. Diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, il joue beaucoup pour le metteur en scène d’origine libanaise Wajdi Mouawad, dans Littoral, de 2008 à 2010, et le quatuor Le Sang des promesses, de 2009 à 2010. Le festival de la fiction TV de La Rochelle 2010 lui décerne le prix de la meilleure interprétation dans le téléfilm Frères, de Virginie Sauveur. Dans le second film de Nabil Ben Yadir, il incarne le rôle de Toumi Djaïdja, l’initiateur de la Marche pour l’égalité, sous le prénom de Mohamed.

© 2013 / Chi-Fou-Mi Productions / Europacorp / France 3 Cinéma / Kiss Films / Entre Chien et Loup / L’Antilope Joyeuse / Photographes : Marcel Hartmann et Thomas Bremond

qui n’a pas de haine et tient toujours ce discours humaniste te remet vite les pieds sur terre. Cela m’a conforté dans le fait qu’il fallait raconter cette histoire coûte que coûte.

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© Ariles De Tizi

« Liberté, égalité, fraternité résument mon état d’esprit. Liberté de penser, liberté de culte, égalité en droits… Des valeurs universelles, que la France a écrites, alors pourquoi on ne les respecterait pas ? » Tewfik Jallab


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CInÉMA Par Huê Trinh Nguyên

Jouer un jeune boxeur vous a-t-il demandé une préparation physique particulière ? Brahim Asloum : J’avais arrêté la boxe depuis trois ans, il fallait que je me remette en forme, que je retrouve les sensations. J’ai perdu 12 kilos au total pour les besoins du film. Cette partie physique, je la connaissais déjà du fait de ma quinzaine d’années de ma carrière de boxeur. En parallèle, j’apprenais aussi à jouer la comédie. Comment avez-vous abordé votre nouvelle expérience d’acteur ? J’ai travaillé avec un coach, avec 3 heures de coaching quotidiennes. En dehors des cours, Jacques Ouaniche, le réalisateur, me prenait régulièrement en aparté pour retravailler certaines scènes. Cela m’a permis de savoir ce qu’il attendait du personnage. Aviez-vous des personnalités de cinéma en tête ? Ma référence, pendant le tournage, était Jean-Paul Belmondo, connu pour faire des cascades et ne pas se faire doubler. Si je prends des références actuelles qui me plaisent, ce seraient Tahar Rahim ou Jason Statham... Quelles scènes du film vous ont le plus marqué ? C’était les scènes dans les camps : il y a une telle dureté, même si je n’étais pas dans la réalité car tout était reconstitué. Ça, tu te le prends en pleine figure. Je ne pouvais pas imaginer ce que les prisonniers avaient vécu, mais j’ai essayé d’être le plus vrai possible, par respect pour la mémoire de Victor. Avant le film, connaissiez-vous le personnage de Victor Young Perez ?

Je l’ai connu car, quand j’ai commencé la boxe en 1994-1995, un an après je devenais champion de France et étais pris en équipe de France. Quand je suis arrivé à Paris, à l’INSEP, une plaque commémorative de Victor Young Perez venait d’être posée la même année. Et, tous les jours, je passais devant parce que c’était un champion de France à la fois de ma discipline et de ma catégorie : j’étais donc attiré ! Douze ans après, on m’appelle pour jouer le rôle de Victor. Comme quoi ce film était sans doute écrit pour moi [rires] ! Quels sont vos points communs avec Victor Young Perez ? Ils sont d’abord sur l’aspect pugilistique. Ensuite, le fait qu’il ait eu une carrière fulgurante : il a été champion du monde à 20 ans, j’ai été champion olympique à 20 ans. On était tous les deux très jeunes. Victor a une fin de vie différente de la mienne… Mais quand je vois la montée des extrêmes droites en Europe, je me dis : « Hier, c’était les juifs qui étaient stigmatisés, j’espère que ce ne seront pas demain les musulmans qui le seront. » Je suis Français de confession musulmane. Victor était Tunisien de confession juive. Je trouve la symbolique belle : elle parle d’elle-même. Quelles sont les valeurs qui vous animent au quotidien ? Sont-ce des valeurs de la boxe qui sont devenues des valeurs de la vie ? Mes valeurs sont puisées dans mon éducation et ma culture. J’ai un respect énorme pour mes parents, sachant ce qu’ils ont vécu. Ils ont tout fait pour qu’on ne grandisse pas avec un handicap. La vie est faite d’épreuves, en permanence ; mais c’est ton

© Océan Films

Double champion olympique et champion du monde, Brahim Asloum a renfilé ses gants pour jouer le rôle-titre du film Victor Young Perez, un biopic sur le boxeur juif tunisien sacré champion du monde en 1931 et mort en déportation en 1945.

© 2013 Arnaud Borrel

Brahim Asloum : « Incarner Victor Young Perez revêt une belle symbolique »

BIO EXPRESS Né le 31 janvier 1979 à Bourgoin-Jallieu (Rhône-Alpes), Brahim Asloum est le 4e d’une famille d’origine algérienne de 10 enfants. Inscrit à l’âge de 14 ans dans un club de boxe, il est médaillé d’or dans la catégorie mi-mouches aux jeux Olympiques de 2000 à seulement 20 ans, devenant la première médaille d’or française en boxe anglaise depuis les JO de Berlin en 1936. Devenu professionnel, il est sacré champion du monde des mi-mouches en 2007, à 28 ans. Il pose ses gants en 2009. Aujourd’hui chroniqueur sportif radio sur RMC et TV sur BeinSport, il a publié un livre d’entretiens Je ne vous ai pas tout dit (Jacob-Duvernet Éd.) en juin dernier.

éducation qui fait que tu acceptes de relever ces difficultés, de grandir et d’avancer. Sans doute la boxe m’a apporté aussi ce tempérament d’aller toujours de l’avant, de ne jamais baisser les bras, de se battre. C’est une culture sportive pure boxe. Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui veulent se lancer dans la boxe ou dans un sport de compétition ? Le vrai conseil, c’est d’abord de prendre du plaisir, sans cela on ne peut imaginer devenir un champion. Et allier trois ingrédients : le premier, c’est se fixer un objectif, donc se fixer un rêve ; le deuxième, c’est travailler pour aller chercher ce rêve ; le troisième, c’est croire en soi. ■ Victor Young Perez, film de Jacques Ouaniche, avec Brahim Asloum, Steve Suissa, Isabella Orsini… En salles le 20 novembre.



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CInÉMA

w À voir aussi : Wajma, une fiancée afghane, de Barmak Akram, prix du scénario

au Sundance 2013, en salles le 27 novembre, représentera l’Afghanistan aux Oscars 2014.

Par Huê Trinh Nguyên

IMMIGRATION. Kayeh Bakhtiari, jeune cinéaste né à Téhéran et ayant grandi en Suisse, vient présenter en Grèce son court métrage La Valise, primé dans de nombreux festivals. Kayeh apprend que Mohsen, un cousin qu’il n’a pas vu depuis des années, est dans la même ville, logé à la « pension d’Amir » ; c’est ainsi qu’est nommé l’appartement d’Amir, un Iranien venu il y a 3 ans, qui met son logement à la disposition des nouveaux migrants. Ceux-là viennent d’Ispahan, de Téhéran… et se sont rencontrés en Turquie, candidats pour une traversée en mer sur un rafiot.

© Epicentre Films

L’Escale

Arrêtés par la police grecque puis libérés, ils ne verront jamais le passeur qui leur avait promis de leur faire traverser l’Europe. La Grèce devient alors l’« escale » forcée pour les sept clandestins que Kayeh Bakhtiari suivra avec sa caméra, un an durant : filmer

des pans de vie à se terrer dans un appartement, à marcher dans la rue « sans jamais courir quand on voit les policiers », capter l’émotion quand ils racontent les moments où ils ont bravé la mort en mer, ou quand Jaher, 16 ans, explique qu’il veut sim-

commettent les mêmes erreurs que les Français d’Algérie qui refusaient l’indépendance de l’Algérie. Celui qui se présente comme un négociant français de matières premières est persuadé que, à terme, l’apartheid signe la mort de l’Afrique du Sud, il transformera alors ses relations d’affaires en relations diplomatiques. Émaillé de nombreux documents d’archives et d’interviews inédites, Plot for Peace (« Complot pour la paix ») décrit les tractations secrètes qui ont eu lieu entre les partisans purs et durs de l’apartheid et les dirigeants

des pays voisins de l’Afrique du Sud, menées par l’entremise de « Monsieur Jacques ». Prix du meilleur documentaire international au festival de Galway 2013, Plot for Peace est un bon contre-poids au blockbuster Mandela, un long chemin vers la liberté, de Justin Chadwick (en salles le 27 nov.). Les deux films sont à voir, l’essentiel étant de mieux comprendre l’histoire de l’Afrique du Sud et les luttes qui ont permis de mettre fin à l’apartheid, mis en place en 1948 et aboli en 1991. ■

plement rejoindre sa mère, qui a réussi à gagner la Norvège. Absolument poignant, L’Escale n’est pas une ode à l’immigration clandestine. Prix du jeune cinéma au festival DOK Leipzig 2013, prix de l’AQCC du festival du Nouveau Cinéma de Montréal 2013 et prix spécial du jury du festival de Namur 2013, L’Escale montre, au plus près de l’humanité de ces candidats à un avenir meilleur, l’absurdité d’un monde qui accepte la libre circulation des capitaux, des matières premières et de l’information en même temps qu’il ferme ses frontières aux êtres humains. ■ L’Escale, de Kayeh Bakhtiari. En salles le 27 novembre

SORTIEs dvd

APARTHEID. « Je gère les négociations comme un jeu de dominos. Il n’y a pas de négociations bilatérales, mais c’est un jeu global », explique Jean-Yves Ollivier, alias « Monsieur Jacques », qui fut décoré tout autant par P. W. Botha, président d’Afrique du Sud de 1984 à 1989, que par Nelson Mandela, premier président sud-africain élu au suffrage universel, pour le rôle déterminant qu’il a pu jouer dans la chute de l’apartheid. Né à Alger, ayant connu l’exil précipité pour la France, JeanYves Ollivier redoute que les Blancs d’Afrique du Sud ne

Grigris

Une fable sociale sur les écorchés de la vie au Tchad, de Mahamat Saleh Haroun, le réalisateur de Un homme qui crie, prix du jury au Festival de Cannes 2010.

© Rezo Films

Plot for Peace

Plot for Peace, de Mandy Jacobson et Carlos Agulló. En salles le 20 novembre.

Aya de Yopougon Film d’animation enjoué sur la jeunesse d’Abdijan, tiré de la BD éponyme, de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie.

Le Majordome

Avec Forest Whitaker dans le rôle du majordome qui servit durant les sept présidences américaines, film de Lee Daniels.


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PROGRAMME TV Maghreb des films InÉDITS Association créée en 2009, comptant à son actif quelque 400 films projetés en 600 séances, le Maghreb des films a pour « cœur de métier » la présentation – et du coup la promotion – de la production cinématographique originaire des pays du Maghreb. Du 20 novembre au 2 décembre, il organise la 5e édition du Maghreb des films à l’Institut du monde arabe et au cinéma La Clef, à Paris (5e). Axes 2013 : la Marche, la production cinématographique du Maroc, l’exil, la cohabitation, le corps tabou… Intéressant tous ceux et celles qui sont en lien avec les pays du Maghreb autant que les cinéphiles à la recherche de films inédits et appréciant d’assister aux avant-premières, le Maghreb des films allie documentaires et films de fiction, sans omettre d’organiser des débats en présence du réalisateur ou de l’équipe de tournage. Après les deux semaines parisiennes, le Maghreb des films jouera les prolongations en régions, jusqu’en 2014. ■ Plus d’infos sur www.maghrebdesfilms.fr

Iqraa International Le Bouquet Musulman disponible chaîne 664 chez Free et chaîne 536 chez SFR

Plus d’infos sur www.quepeutlecinema.com

MBC, dans le Bouquet Arabia de Free, SFR, Bouygues Telecom, Virgin.

12 h et 22 h (tous les jours) Fatawa

19 h samedi Arab’s got talent

Découvrez l’émission incontournable qui répond à toutes vos questions fondamentales sur la religion. Envoyez vos questions à : fatawa@iqraa.com

La célèbre émission désormais culte est de retour sur MBC. Venez découvrir les performances de vos chanteurs préférés.

20 h 30 lundi et 15 h 30 mardi Le message de l’islam Le Pr Tariq Ramadan nous invite à plonger avec lui au cœur du message de l’islam. Revenons ensemble à l’essentiel, réapprenons la spiritualité du message divin. 20 h 30 jeudi et 15 h 30 vendredi Les Sahabah

15 h 45 (du lundi au vendredi) Tawali Al Lail

La nouvelle série arrive sur MBC à partir du 11 novembre. La série aborde la question des conflits familiaux entre générations. 16 h 30 (du lundi au vendred) Yasmeen A’atiq

Moyen-Orient : que peut le cinéma POLITIQUE. Égypte, Irak Iran, Israël, Liban, Lybie, Palestine et Syrie sont les pays d’origine des réalisateurs programmés à la 6e édition de Moyen-Orient : que peut le cinéma, un festival qui a lieu tous les deux ans aux 3 Luxembourg, à Paris, du 29 novembre au 8 décembre. Les thèmes abordés : le droit au retour, la diaspora et les camps de réfugiés, le pillage du patrimoine, l’occupation, l’après-Tahrir, la révolution libyenne… De plus, chaque soir est organisé un débat. Celui du 5 décembre par exemple, « Les accords d’Oslo, 20 ans après », a pour invité Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO. ■

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Cette émission nous éclaire sur la vie des premiers hommes à avoir embrassé l’islam. Plongez-vous dans l’histoire des compagnons du Prophète (SAWS). Aux heures de prière (tous les jours) Prière en direct de La Mecque

Cette série nous emmène à Damas, en Syrie, au temps de la domination ottomane. 12 h mardi et 21 h 30 dimanche Joelle

Suivez les cinq prières quotidiennes en direct de La Mecque comme si vous y étiez.

Joelle revient dans cette saison avec de nouvelles astuces et conseils beauté pour entretenir son look.

Découvrez la programmation complète sur :

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Culture

w À voir aussi : Les Damnés de la terre, une pièce de théâtre de Jacques Allaire, qui met en scène les textes fondateurs du psychiatre et militant anticolonialiste Frantz Fanon, né antillais et mort algérien. Au Tarmac, Paris 19e, jusqu’au 6 décembre.

Par Huê Trinh Nguyên

ICI, là et au-delà

Lumières de la sagesse – Écoles d’Orient et d’Occident

TRAJECTOIRES. Dans son bâtiment flambant neuf inauguré le 28 novembre, l’Institut des cultures d’islam (ICI) propose un hiver artistique plutôt riche, en invitant en même temps quatre artistes : Abbas, Yazid Oulab, Patrizia Guerresi Maïmouna et Bruno Lesmele. Sous l’intitulé « Ici, là et au-delà », leurs œuvres investissent non seulement les salles d’exposition, mais aussi le hall, le patio, les escaliers… Une façon pour le visiteur de découvrir tout à la fois le nouveau bâtiment de l’ICI dans sa dimension architecturale, les représentations du spirituel et du sacré à travers l’art contemporain et la vie des musulmans à la Goutte-d’Or et dans le monde à travers les expositions photographiques. Le photographe iranien Abbas (agence Magnum), qui, de 1987 à 1994, a parcouru 29 pays et 4 continents, expose une série photographique de l’islam à travers le monde. Le plasticien franco-algérien Yazid Oulab a installé L’Astrolabe, une création originale faite d’acier de plus de 3 m, dans le puits de lumière du bâtiment. L’artiste Patrizia Guerresi Maïmouna, convertie à l’islam, manipule les symboles tirés de la spiritualité musulmane et en crée des photographies Les Géants et des sculptures Infinity Sound. Bruno Lesmele nous fait vivre l’ambiance du quartier de la Goutte-d’Or à travers ses photographies « Salut Barbès ! » prises depuis 1982. ■

© Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Arabe 5847, f. 148v – détail.

SAVOIRS. Le Moyen Âge obscurantiste ? À l’encontre des idées reçues selon lesquelles les progrès scientifiques et l’esprit critique n’auraient émergé qu’à partir des Lumières, l’exposition « Lumières de la sagesse », à l’IMA, nous emmène dans l’histoire de l’enseignement médiéval et nous montre combien la circulation des savoirs entre Orient et Occident était importante. Un parcours de 62 œuvres issues de la Bibliothèque nationale de France, des musées de Cluny, Jacquemart-André, du musée du Louvre ou de la David Collection de Copenhague, est proposé aux visiteurs. Prégnance des idéaux scolaires issus de l’Antiquité, dans le cadre d’une culture classique revisitée par les religions révélées. Foisonnement des madrasas en terres d’islam, où les savoirs étaient partagés aussi bien par les musulmans que par les juifs et les chrétiens orientaux. Émergence, à partir du XIIIe siècle, des premières universités qui font figure de nouveaux modèles institutionnels de l’enseignement dans l’Occident latin, et qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Naissance également des premières bibliothèques universitaires. Droit, théologie, médecine, astronomie, géographie, philosophie… le savoir est multiple. « Le

« Scène d’enseignement », dans Les Séances d’Abû al-Qâsim al-Harîrî (al-Maqâmât). Iraq, 634H/1237.

savoir est lumière. Comme un flambeau, il se transmet d’âge en âge, au-delà des barrières de la culture et de la langue », disait-on au Moyen Âge ; un dicton qui vaut aussi en plein XXIe siècle… ■ w Jusqu’au 5 janvier 2014 – Musée de l’Institut de monde arabe : 1, rue des Fossés-Saint-Bernard – Place Mohammed-V Paris 5e – www.imarabe.org

HISTOIRES. Art populaire par excellence, la bande dessinée affiche une croissance éditoriale plutôt florissante alors que le secteur du livre connaît la crise. Mais qui sait que les papas d’Astérix, la BD française la plus populaire du monde, sont l’un originaire de Pologne (René Goscinny) et l’autre d’Italie (Albert Uderzo) ? Qui sait que le prolifique Enki Bilal est de père bosniaque, lequel était le maître tailleur personnel de Tito, et de mère slovaque, et a fui les Balkans avec sa famille durant son enfance ? Pour la première fois, une exposition fait le lien entre bande dessinée et immigration : comment les souvenirs d’enfance de la terre natale perdue, l’histoire des aïeux issus d’un pays lointain, l’exil politique, la double culture viennent nourrir l’imaginaire des dessinateurs et scénar-

istes. Qu’ils soient d’origine algérienne, sénégalaise, vietnamienne, iranienne ou portugaise…, ce sont 117 artistes qui nous racontent leurs histoires, devenues récits biographiques, pamphlets politiques, science-fiction ou comics… 500 documents sont exposés : planches originales, films d’animation, entretiens filmés, documents d’archives… Pour tous les passionnés de BD, mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la thématique « immigration » et veulent savoir comment les artistes s’emparent du sujet dans la bande dessinée, considérée maintenant comme étant le « 9e art ». ■ w Jusqu’au 27 avril 2014 Musée de l’histoire de l’immigration Palais de la porte dorée – 293, avenue Daumesnil – Paris 12e www.histoire-immigration.fr

© Patrizia Maïmouna Guerresi / Courtesy MIA Gallery

Albums : bande dessinée et immigration, 1913-2013

Ibrahim, de la série photographique « Les Géants », de Patrizia Guerresi Maïmouna. w Jusqu’au 30 mars 2014 Institut des cultures d’islam 56, rue Stephenson Paris 18e www.ici.paris.fr



SALAMNEWS HORS-SÉRIE / décembre 2013

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LIVRES

w Lire aussi deux ouvrages qui se complètent à merveille : Dictionnaire de l’islamophobie, de Kamel

Meziti (Bayard, 366 p., 18 €) et Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », d’Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (La Découverte, 298 p., 21 €).

Par Huê Trinh Nguyên

LA France arabo-orientale : TREIZE SIÈCLES DE PRÉSENCE Pascal Blanchard, Naïma Yahi, Yvan Gastaud et Nicolas Bancel (dir.) oilà ce qu’on appelle un bel ouvrage. Doté d’un corpus iconographique exceptionnel (750 illustrations), La France arabo-orientale n’a rien d’une encyclopédie austère. Découpé en 10 chapitres, il narre treize siècles de présences des populations d’origine arabo-orientale en France, depuis le VIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui : 719 et la prise de Narbonne par les Omeyyades ; 1095 et 1453 et les croisades ; 1798 et l’expédition en Égypte ; 1830 et la conquête de l’Algérie ; 1873 et le premier congrès des orientalistes ; 1913 et le premier Congrès général arabe ; 1953 avec les prémices de la guerre d’Algérie ; 1973 et la vague de crimes dans le sud-est de la France ; 1983 avec la Marche pour l’égalité et contre le racisme… Un ouvrage, auquel ont contribué une quarantaine de spécialistes, qui croise l’histoire politique, sociale, culturelle et sociale de ceux que l’on stigmatise aujourd’hui sous l’étiquette religieuse de « musulmans » ou extranationale d’« immigrés » et qui permet ainsi de mieux connaître le passé pour déconstruire les images collectives du présent. ■

V

w La Découverte, 360 p., 55 €.

Jeunesses arabes. Du Maroc au Yémen : LOISIRS, CULTURE ET POLITIQUES Laurent Bonnefoy et Myriam Catusse (dir.) a bouillonne du côté de la jeunesse arabe. Rédigé par une trentaine de chercheurs, cet ouvrage se lit presque comme un roman. Loin de l’apprenti-terroriste anti-Occident ou du candidat à l’immigration rêvant de l’Occident, il donne la parole aux jeunes générations du monde arabe, lesquelles initient de nouveaux mouvements culturels et construisent, par là, ce qui fera leurs sociétés de demain : du Maroc au Yémen, de l’Algérie à la Syrie, de la Tunisie au Liban, en passant par l’Irak, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, la Palestine, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. ■

Ç

w La Découverte, 340 p., 24 €.

L’islam au secours de la République Abd al Malik ctuellement en tournée « L’Art et la révolte » en hommage à Albert Camus (1913-1960) à l’occasion du centenaire et préparant l’adaptation cinématographique de son premier roman Qu’Allah bénisse la France, Abd al Malik, rappeur, slameur et compositeur, vient de publier L’Islam au secours de la République. Revendiquant un titre un peu provocateur, « le romancier est là pour apporter de la complexité », Abd al Malik entend montrer que « c’est en réalité la spiritualité qui vient au secours de la République ». Le pitch ? À la veille de l’élection présidentielle, le candidat favori des sondages est surpris, alors qu’il se croit seul dans le bureau de son QG de campagne, en train de prier en direction de La Mecque. Branle-bas de combat : le futur président de la République, pourtant « français de souche », serait musulman ! Une fable qui décrit le parcours singulier d’un individu empreint de spiritualité et qui entend nous défaire des images stéréotypées qui se surimposent dans l’esprit dès que l’on parle d’islam. ■

A

w Flammarion, 140 p., 15 €.

Le succès d’une amitié Sexion d’assaut n a forcément entendu « Casquette à l’envers », « Ma direction », « Avant qu’elle parte »… et même si l’on n’est pas un fan inconditionnel de rap, il faut bien avouer que ces chansons ne nous ont pas laissé indifférent. Les paroles délivrent un vrai message et le son est plus qu’efficace. Alors pour mieux connaître ceux qui sont devenus LE phénomène du rap français de ces trois dernières années, autant lire ce que les membres du désormais célèbre Sexion d’Assaut ont à nous dire. Adama, Maska, L.I.O., Maître Gims, Lefa, JR O’Chrome, Doomams et Black M écrivent à la première personne leur histoire familiale, leur parcours personnel dans les (non-)études et les premiers boulots, les débuts et l’évolution de leur groupe, leurs (petites) combines d’ados et leurs (grands) succès de jeunes hommes. ■

O

w Don Quichotte, 256 p., 19,90 €.




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