RifRaf juillet 2015 FR

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C’est la fête de la musique alors elle a calfeutré portes et fenêtres. Francesca hésite à rappeler cet avocat très drôle avec qui elle a passé deux nuits. Elle voulait qu’on l’aborde, sur un malentendu on avait conclu. Dans le Condroz comme ailleurs, il faut trouver des occupations du temps, il s’était montré très avenant. Elle voudrait lui dire qu’elle n’en peut plus, de son employeur qui lui verse un salaire de temps en temps, quand ça vient, au prétexte que c’est la crise, que tout le monde tire à la corde, de celles avec lesquelles on se pend. Elle lui demanderait volontiers conseil, mais elle a peur de devoir craquer l’élastique du slip : Allo? Salut, c’est Francesca. Tu me remets? Et là, bon, en ce moment, question désir, c’est pas trop ça. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, aux dires de ses copines que la vie avait égaré - on s’était perdues de vue, avait-on bien cherché, avait-on regardé sous le lit? - le nombre de ses amants était peut-être, elle en conviendrait, un peu en deçà de la moyenne. On lui vante une petite caverne magique en plein centre où se retirer du monde extérieur. Au Booze n’ Blues, elle éclabousse d’un rire franc le clapotis des Pierre-Jean, des JeanGuy, jeunesse dorée qui s’encanaille, à qui elle se refuse. Les serveuses et serveurs de l’Horeca en quête du dernier verre, ce Saint Graal, restent plutôt entre eux pour introduire une pièce dans la fente. Francesca n’est pas sur Tinder. Tinder is how people meet. C’est socialement handicapant. Difficile dans ces conditions de viser un highscore. Quand tout le monde a mis Je suis Charlie en photo de profil, elle a pensé Je lis Char, tu vois le genre. Elle ne s’est pas non plus fait un profil de modasse sur Adopteunmec pour essayer tous les hipsters barbus de Saint-Gilles comme on enfile une robe. Quant à se fader un parvenu branchouille tenant boutique de fringues pour fanzouz près de la rue Dansaert - des déguisements, du cosplay, pense Francesca; non merci! Elles les entend déjà pérorer leurs fadaises sous cocaïne au Lord Byron : - Tu sais, les p’tites, j’peux les avoir quand j’veux, j’ai qu’à claquer des doigts, parce que c’est ça qu’elles veulent aujourd’hui les gonzesses, elles veulent du Kanye West! Alors faire cap à l’est, plier les gaules, lever l’ancre.

Un Action-RPG chronophage à l’écriture ciselée, un monde ouvert si grand qu’on peut s’y fondre plus d’une centaine d’heures, disparaître...N’en jetez plus! Passé le chapitre d’initiation sur les terres campagnardes de Blanche-Fleur - où elle “rushe” un peu trop, limite elle “speedrunne”, dès son arrivée à Velen Francesca lève le pied et lâche la bride - Oh! Tout doux, moins vite Ablette. Progressivement, elle épouse le pouls du jeu, repousse encore et davantage les ressorts de l’intrigue principale pour se perdre dans la fourmilière de quêtes annexes, chasses au trésor et autres contrats de sorceleur. Elle est Geralt de Riv, le Loup Blanc, le Boucher de Blaviken. Mutant et alchimiste, son avatar réconcilie la brute et la jeune fille. Ici, chaque geste gagne de l’ampleur, chaque microfiction peut se transformer en haut-fait. Dans un monde médiéval déchiré par les guerres, désenchanté par la magie, la question de la différence, de la misère sociale comme de l’étranger, est abordée plus frontalement et plus finement que dans un quotidien moulé par la publicité. D’ailleurs ce monde lui demande constamment de choisir, de prendre fait et cause ou de passer son chemin, d’avancer dans sa quête ou d’errer à sa guise. Par sa permissivité et son refus du manichéisme, le jeu offre de retrouver comment fonctionne la vie collective, se manifester auprès de l’autre. Par son gigantisme de poche, la découverte des abîmes de curiosité qu’il recèle, ‘The Witcher III’ a peut-être déployé un lieu de soin virtuel, une petite structure d’accueil tenant sur un Blu-ray. Sur ce monde pétri de secrets d’alcôves souffle le vent de l’aventure. Au détour d’un périple, tandis qu’il pense voguer vers les récifs escarpés de Skellige, peut-être Geralt verra-t-il poindre le château de La Borde. Ailleurs, traversant au trot une forêt dense balayée par le vent, Francesca se laisse surprendre par un orage, sursaute en entendant un craquement. Bien vite elle se ressaisit, s’écoute, descend de sa monture et dégaine son épée d’argent. - Allo? Alain? C’est Francesca. Tu te souviens de moi? Est-ce qu’on pourrait se voir? J’aimerai te parler d’un truc. Beam me up, Geralt! Texte: Fabrice Delmeire

Avec le savon du cinéma elle se frotte les yeux, s’essuie avec des livres. Elle voudrait qu’on la borde. Le studio polonais CD Projekt RED sort ‘The Witcher III, Traque Sauvage’.

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The Witcher III, Traque Sauvage, CD Projekt Red (CD Projekt) A quelle heure passe le train...Conversations sur la folie, Jean Oury & Marie Depussé (Calmann-Lévy)

année 21 • juillet / août ’15

Colofon www.rifraf.be Année 21 nr. 212 rifraf est une édition de B.Z.&T. bvba Adegemstraat 19 2800 mechelen e.r. mieke deisz pas en janvier et août rifraf sept sort le 20 août

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