Du théâtre pour l'Afrique

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GOUDESEUNE Romuald rgoudeseune@yahoo.fr

DU THEATRE POUR L’AFRIQUE UN ASPECT DE L’ACTION ARTISTIQUE DE LA FRANCE JUSQU’EN 1984

Mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de Mme Sylvie CHALAYE et de M. Vincent JOLY. Rennes 2 - CRHISCO - Septembre 2004 (Retraitement informatique, août 2008)


A Alexandre Céline Marie-Pierre Philippe sans qui…

« En Afrique, l’histoire du théâtre est possible, mais elle est condamnée à l’approximation. » SCHERER, Jacques, Le théâtre en Afrique noire francophone, Paris, PUF, 1992, p. 20


Table des abréviations et des sigles utilisés

ADEAC AFAA Arsenal BGB BNF CAC CADN CAOM DGRCST ICA ICAMM INA MAE OCAM OCAMM OCORA Orsay ORTF ORTF DAEC RFI SAC TDN

Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels Association Française d’Action Artistique Bibliothèque Nationale de France – Section arts du spectacle – Bibliothèque de l’Arsenal Bibliothèque Gaston Baty Bibliothèque Nationale de France – Site Tolbiac Centre des Archives Contemporaines (Fontainebleau) Centre des Archives Diplomatiques de Nantes Centre des Archives d’Outre-mer (Aix-en-Provence) Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques (MAE) Institut Culturel Africain Institut Culturel Africain, Mauricien et Malgache Institut National des Arts Ministère des Affaires Etrangères (archives diplomatiques, Quai d’Orsay) Organisation Commune Africaine et Malgache Organisation Commune Africaine, Mauricienne et Malgache Office de Coopération Radiophonique Archives de l’ADEAC (fonds AFAA) consultables dans la salle de lecture des archives diplomatiques, Quai d’Orsay, Paris Office de radiodiffusion télévision française Office de radiodiffusion télévision française, Direction des Affaires Extérieures et Coopération Radio France Internationale Société Africaine de Culture Théâtre des Nations (festival)

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Introduction A la fin des années cinquante, alors que se préparent les Indépendances en Afrique francophone, les expériences de théâtre sont déjà nombreuses. Avec la mise en place des nouveaux Etats africains, les contrats de coopération se multiplient y compris en matière culturelle et artistique. Ce que nous proposons d’étudier ici, c’est la place singulière prise par le théâtre dans le cadre de ces relations. Il s’agit finalement de nous demander si cette forme de représentation a été privilégiée d’une manière ou d’une autre par les “ partenaires ” liés par ces contrats de coopération. Consciente de l’inégalité totale de ces « échanges artistiques », l’étude se concentrera sur la politique menée par la France dans ses anciennes possessions. Cette interrogation a notamment été suscitée par nombre d’observations préliminaires que nous nous proposons d’exposer ici. En France, aux débuts des années soixante, le théâtre est définitivement entré dans une ère nouvelle, et ce depuis la fin de la seconde guerre mondiale. On ne parle plus que de “ décentralisation théâtrale ” et de “ maisons de la culture ” dans lesquelles le théâtre tient une place importante. Dans cet esprit de conquêtes (de nouveaux publics, de nouveaux modes d’expression scéniques, …) et d’initiatives, de nouveaux champs s’ouvrent pour de jeunes troupes motivées par cette atmosphère enthousiasmante. Comme les autres arts, le petit milieu du théâtre trouve un allié de poids avec la création du grand ministère de Malraux : les Affaires Culturelles. On ne peut rêver contexte plus favorable à l’éclosion de nouvelles politiques théâtrales en France et dans le monde. En parallèle à ce cadre général, on voit se multiplier les facteurs propices à un élargissement des préoccupations des gens de théâtre français. Il existe une forte volonté de la part de jeunes compagnies d’aller se frotter avec des réalités éloignées de leurs préoccupations routinières sur les routes de l’Hexagone. Il s’agit en particulier des pionniers de la décentralisation théâtrale, ces troupes qui ont déjà écumé des régions entières et qui savent, mieux que personne, l’intérêt que le théâtre a à se frotter à d’autres univers que le petit monde étriqué de la bourgeoisie citadine. C’est sans doute cet engouement pour l’ailleurs que les responsables de la coopération culturelle ont souhaité mettre à profit dans les nouveaux Etats africains. Il conviendra de définir à quel point l’intérêt pour le théâtre était développé parmi les responsables de ce nouveau champ de l’ “ Action Artistique ” française. Pour ces responsables, le théâtre est avant tout une langue et un moyen de l’imposer, en dehors des écoles. Il s’agit d’une arme véritable pour une francophonie en pleine construction politique. Quels furent donc les réussites de ce théâtre utilisé comme le bras armé de la francophonie ? 4


Ajoutons encore d’autres facteurs que l’on croirait secondaires au premier abord. L’intérêt d’un certain nombre d’universitaires français pour ce qu’il tente de définir comme un “ théâtre africain ”. Les études sont menées dans deux directions différentes. Celles qui visent à améliorer ce théâtre et le rendre plus probant aux yeux des spectateurs du monde. L’autre voie s’attachant plus à l’étude de ce que l’on qualifie aujourd’hui d’ “ arts traditionnels de la scène ”. Avec à la clé une perspective plus ethnologique que littéraire. La plupart de ces études portant d’ailleurs sur l’Afrique anglophone. Face à ce deuxième type d’études que l’on croit plus respectueux des expressions artistiques locales, une question vient à l’esprit : dans quelle mesure les universitaires français ont-ils vus en l’Afrique la terre promise d’un nouveau théâtre classique à la française, avec ses comédies, ses drames et ses spectacles épiques ? Les répertoires d’alors tendaient en effet à se moderniser ou à réinterpréter les classiques. Face à cette situation, pourquoi ne pas rêver l’Afrique comme un sanctuaire du théâtre académique ? Jacques Scherer ne dit-il pas, en conclusion à l’un de ces articles sur le théâtre en Afrique : “ [le théâtre d’Afrique] recèle des forces nouvelles, susceptibles de se développer et d’exercer une action salutaire en Europe même1. ” Aujourd’hui encore, nous sommes tributaires de cette expression absconse et confuse de “ théâtre africain ”. Que recouvre t-elle en effet ? S’agit-il d’une expression détournée de sa valeur initiale ? On verra en quoi son utilisation porte à confusion, notamment en lien avec l’étrange concept d’authenticité appliqué aux expressions scéniques. Dernier facteur, la quasi rivalité qui oppose les services culturels des ministères des Affaires Etrangères et de la Coopération. Ce dernier cherchant toujours à se distinguer du premier en marquant ses spécificités, assurant ainsi une pérennité difficile à établir. En matière d’ “ Action Artistique ”, l’expérience du Ministère des Affaires Etrangères n’était déjà plus à prouver. Pour les administrateurs du nouveau ministère de la Coopération, un seul objectif : égaler au moins ce modèle sinon le surpasser. Les actions de prestige ayant déjà fait leurs preuves,

c’est

d’abord

cette

méthode qui va s’imposer pour l’Afrique.

Ajoutons enfin l’intérêt de certains metteurs en scène français pour des textes d’auteurs africains ou antillais qui connaissent un grand succès sur la scène littéraire. La mise en avant d’auteurs tels Aimé Césaire ou Bernard Dadié a pu susciter des intérêts pour la création de spectacles en Afrique ou avec des Africains. On tentera également de déterminer dans quelle mesure les mises en scène d’un homme comme Jean-Marie Serreau ont pu influencer l’action 1 SCHERER, Jacques, “ Le théâtre en Afrique noire francophone ”, Le théâtre moderne depuis la deuxième guerre mondiale, Jean JACQUOT (dir.), Paris, CNRS, 1967, p. 116 5


artistique de la France en Afrique. La combinaison de l’ensemble des facteurs énoncés ci-dessus nous amène à penser que le climat était favorable aux débuts des années soixante, à la mise en place d’une vaste politique de diffusion théâtrale en Afrique. Reste donc à déterminer qu’elles sont les idées et les initiatives qui ont prévalu et quels furent les résultats. Pour répondre à ces questionnements, nous nous intéresserons dans un premier temps aux différents partenaires de cette diffusion théâtrale. La France d’une part, son expérience en matière de théâtre, son réseau préexistant, la mise en place de structures administratives nouvelles par les nouveaux acteurs de cette coopération théâtrale. En Afrique d’autre part, nous verrons le climat préexistant et les attentes de certains dirigeants qui misaient alors sur le théâtre. Ces structures posées, nous nous attacherons à l’étude pratique de l’action théâtrale. Quels sont les acteurs qui ont répondu à l’appel des administrateurs de la Coopération culturelle ? Dans quels cadres furent organisés leurs déplacements dans des pays souvent dénoués d’infrastructures ? Après l’étude de ces vingt années d’action artistique en Afrique, un bilan sera dressé par la mise en parallèle des opinions positives et négatives à son égard.

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Présentation et critique des sources Pour mener à bien cette étude sur la diffusion théâtrale française dans l’Afrique francophone, un nombre important de sources a été utilisé. Cette diversité s’explique par la multiplicité des acteurs de cette diffusion et par l’absence d’une source unique et fondamentale. Les différentes provenances et formes de ces sources permettent de bâtir un point de vue plus objectif et général. La contrepartie évidente étant une masse d’informations difformes et variées, bien difficile à concilier et analyser. Nous verrons donc de quelle manière cette étude se propose d’étudier ses sources. Elles sont de trois types principaux. I.

LES SOURCES D’ARCHIVES

Contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, les archives sont riches et nombreuses sur l’action artistique de la France en Afrique. Néanmoins, leur localisation et leur étude posent plusieurs problèmes. La localisation n’est pas facilitée par la production relativement restreinte d’archives par rapport à d’autres thèmes qui lui sont accolés mais en plus, elles ont bien souvent été fusionnées avec les dites archives (exemple des archives de l’ADEAC dans celles de l’AFAA). Enfin, les versements remontant parfois à dix ou vingt ans au plus, les répertoires ne sont pas toujours réalisés. Le seront-ils un jour ? Souvent les inventaires sont faits mais les fiches attendent dans des cartons de pouvoir rejoindre un cadre de classement approprié. (exemple de ces mêmes archives de l’ADEAC aux Archives diplomatiques.) En conséquence, la consultation des archives s’est malheureusement effectuée dans un ordre anarchique. Non seulement, les versements ne suivent pas nécessairement la chronologie mais pire encore, les cartons comprennent des documents relatifs à différentes périodes d’activité. Nous n’avons donc sur ce point qu’une vue générale que nous avons le plus possible affinée par une relecture chronologique des notes prises durant ces recherches. D’autre part, on pourrait déplorer l’absence de sources africaines. A ce sujet, Pierre Blondet, qui fut Conseiller Technique du Théâtre au Cameroun dès décembre 1971 nous apporte son témoignage: “ c) pour la future Troupe Nationale Avant d’aborder ce paragraphe, nous nous devons d’exposer certains sujets de mécontentement : 7


- manque d’informations : jamais un document sur ce qui a été réalisé au point de vue théâtral, jamais un résumé des activités artistiques depuis que la Direction des Affaires Culturelles existe.2 ” S’il s’agit ici de la situation spécifique du Cameroun, nul doute que la situation s’en approche dans d’autres pays tels le Congo. Seuls le Sénégal et surtout la Côte d’Ivoire laissent des raisons d’espérer tant ils ont mis rapidement en place des structures à fonction théâtrale, très tôt après les Indépendances. Nos sources d’archives proviennent principalement de deux fonds principaux : - les archives du Bureau des Echanges artistiques du Ministère de la Coopération, archives d’Etat conservées au Centre des Archives Contemporaines (CAC) de Fontainebleau. - les archives de l’Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels (ADEAC), conservées par un dépôt d’Etat (Archives diplomatiques, Quai d’Orsay) mais émanant en réalité d’une association de droit privé. Ce fonds est confondu avec celui de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA), opérateur du Ministère des Affaires Etrangères pour les questions artistiques. L’ADEAC avait les mêmes fonctions au sein du Ministère de la Coopération. A ces deux sources principales et longuement étudiées, il convient d’ajouter quelques autres sources, de production exclusivement française : - les archives anciennes de l’AFAA (fin des années 40, début des années 50) consultées dans les dépôts de Nantes et Paris - les archives du service des échanges artistiques du Ministère des Affaires Etrangères, avant la création de celui de la Coopération (dépôt de Nantes) - des archives conservées par le Centre des Archives d’Outre Mer à Aix-en-Provence : le dossier administratif personnel de Charles Béart et un mince dossier de censure concernant les activités artistiques de Keita Fodeba. Dans les études actuellement disponibles sur le théâtre en Afrique, rares sont celles qui se fixent un objectif historique. En effet, ils sont en grande majorité rédigés par des spécialistes en littératures francophones, de critiques de théâtre, de créateurs (acteurs, metteurs en scènes, dramaturges) ou de journalistes mais jamais d’historiens. La seule exception à cette règle est constituée par l’ouvrage de Robert Cornevin qui fit date mais qui a aujourd’hui énormément 2 CAC, Versement 19810010, carton 63, Blondet, Pierre, De l’action culturelle, et plus particulièrement théâtrale au Cameroun, tapuscrit. 8


vieilli. Sans même parler des innombrables coquilles qui gênent la lecture. Néanmoins, ce qui frappe dès la première lecture de cet ouvrage, c’est le caractère presque journalistique, Robert Cornevin ne mentionne en effet aucunes sources d’archives, et pour cause, il travaille sur des événements qui lui sont immédiatement contemporains. Malgré nos nombreuses recherches, les archives de l’ADEAC ne semblent pas avoir été étudiées depuis leur intégration dans les archives de l’AFAA en 1984. Les archives de nos deux fonds d’étude principaux peuvent, dans un premier temps, paraître très semblables et se révèlent, dans quelques cas, toutes à fait identiques. Cette situation s’explique par la séparation parfois difficile opérée entre ces deux entités administratives. La volonté du Ministère de la Coopération est très claire dès la création de l’association en août 1963. Les personnes en charge de la rédaction des statuts de l’association, s’interroge juste sur les liens plus ou moins directs entre l’administration en charge de ces questions et l’association qui aura vocation d’opérateur technique. Toujours est-il que cette création apparaît comme urgente dans la mesure où la préparation et le suivi des tournées semble occuper la majeure partie du temps des quelques employés du Bureau des échanges artistiques. Deux solutions sont donc envisagées : la “ confusion totale sur le modèle de l’AFAA de M. Erlanger ” ou “l’indépendance ”.3 Dans un premier temps, on accorde l’indépendance à cette association (1963-1972) puis on opte pour une confusion totale avec le Bureau des Echanges Artistiques (1972-1983). Une succession qui ne facilite pas la tâche d’authentification des documents ainsi consultés. De la même manière, les documents présents dans ces cartons sont éparpillés sans aucune suite logique. Notre travail a donc d’abord consisté en un échantillonnage de l’ensemble des données disponibles suivi, après leur étude, d’une mise en ordre chronologique, dans la mesure du possible. A ces conditions de conservation pour le moins déroutantes, il convient d’ajouter la dispersion de ces archives dans divers lieux de conservation, ce qui ne facilite en rien leur communication et leur consultation. Ce cas est particulièrement vrai pour les archives de l’ADEAC. Enfin, la majeure partie de ces archives a pu être consultée par le biais de dérogations.

3 MAE, carton 431, document précisant les attributions du Bureau des Echanges Artistiques, avant la création de l’ADEAC, sans date (1962-63 ?) 9


Documents relatifs aux activités artistiques et culturelles : -

Carton 63

-

-

-

-

Versement

Carton

-

64

-

198100104

-

Journées d’études ADEAC mai 1966 Rapport tournée J.P. RONFARD 1966 Tournée Cordreaux 1966 Rapport Jacquemont 1967 Institut National des Arts (INA) Abidjan – Mission GAUTIER DELAYE, juillet 1967 (comprend le “ Premier rapport BOTBOL ” sur la création de l’INA, daté du 28 octobre 1965) Tournée Théâtre d’essai des Amandiers à Madagascar 1967 Stage d’initiation à l’art dramatique (Paul Savatier – Elisabeth Janvier) Bamako du 6 au 25 mars 1967 Grenier de Toulouse 1968 Mission Maurice Guillaud – 1969 – Rwanda … Rapport (confidentiel) sur l’animation et l’encadrement des jeunes au Cameroun (avril 1969) rapport de M. PIETTON Dossier Hermantier, 1969/1970 Stage interafricain de théâtre, Abidjan, du 4 novembre au 4 décembre 1971 Compte rendu de la mission du théâtre populaire des Yvelines au Zaïre (saison 1971-1972) Pierre BLONDET au Cameroun, 1972 Rapport Richard MONOD Dakar, 1972 Stage malgache IMADEFOLK 1972 TDN (2e direction Barrault) – Journées internationales du théâtre – 1972 CIRT dont Tournée Peter Brook dès 1972 Stage Livre Vivant Bénin 1973 Compte rendu du stage d’art dramatique à Brazzaville en février 1973, avec les comédiens du CEFRAD (Catherine de Seynes) Année Molière, 1973 (tricentenaire de la mort) dans différentes capitales africaines (3 photos couleurs) Documentation Théâtres – Stages de danse – Affiches 1973-1974, nombreux programmes, photos (dont tournée Brook en Afrique ?) … Rapport AMNSOM Dakar 1974 EMF 1974 Mission Alain Enjary Madagascar 1974 Théâtre Stage – Danses Affiches 1974 Théâtre Capricorne 1975 Mission B. de la Salle au Gabon 1975 Festival de Nancy BOUDON 1975 Michel BOUDON Zaïre Accueils étudiants Festival de Nancy 1975 Rapport de stage TERREY 1975 Colloque interafricain de scénographie 1975

Documents administratifs :

Carton 65

-

Archives ADEAC 1964-1965 Conseil d’administration ADEAC 1967 Compte rendu de l’Assemblée Générale de l’ADEAC – Lundi 4 mai 1970 Réforme du TDN – 1970 (correspondance avec les postes diplomatiques) Prévision budget ADEAC 1971-72 Eléments de programmation 1971-72 ADEAC Convention 1971 Engagements de dépenses 1972 Conseil d’Administration et Assemblée Générale de l’ADEAC – Jeudi 24 avril 1974 Activités ADEAC 1975

Autres : -

-

Le Mandat de Sembene OUSMANE, s.d. Mais qui est donc Molière ? par le Théâtre du Capricorne, spectacle de Jean MENAUD

4 Ces trois cartons représentent une documentation considérable. Elle a donc était regroupée en trois catégories et présentée dans l’ordre chronologique. Pour être complet, il faudrait adjoindre 12 documents à la section « Autres », relatifs au financement des stages, à la musique et aux arts plastiques. 10


Versement 19810443

Carton Liasse « Action culturelle. Divers ». Contient des comptes rendus de réunion. Des documents théoriques sur l’action culturelle. 29 Carton Liasse « Organismes sous tutelle ». Dossier ADEAC. Un suivi de cette association par le Bureau des échanges artistiques. 80 Carton

Expositions organisées par l’ADEAC. 1 Carton Liasse 7, l’action théâtrale au Mali. 2 Versement 19840227

Carton 3

Liasse 8, au Zaïre. Liasse 9, Concours interafricain de théâtre (RFI) Liasse 11, Assistance technique à l’INA d’Abidjan Liasse 13, finances

Carton Liasse 12, dossier des personnels coopérants 4

Liasse 15, finances

Tableau 1– Les archives du Bureau des Echanges Artistiques du Ministère de la Coopération consultées au Centre des Archives Contemporaines (CAC - Fontainebleau) [par ordre de versement]

On notera les dates de versement de ces différentes archives : 1981 et 1984. La majeure partie des archives du Bureau des Echanges Artistiques a donc été envoyée au dépôt trois ans avant la fin officielle de ses activités. Il s’agissait pourtant d’archives courantes pour une bonne part. D’une manière générale, le contenu de ces archives peut être classé en plusieurs catégories. Nous avons été confronté à quantité de dossiers relatifs à la pratique administrative : dossiers de personnels, contrats, … autant de document qui n’ont qu’une importance minime et dont l’exploitation ne nous a pas paru essentielle. La partie la plus importante pour notre étude a été le dépouillement d’un grand nombre de comptes rendus de missions et autres rapports. A leur sujet, il faut également noter l’absence totale d’uniformité, que ce soit sur le plan du fond ou de la forme. La qualité et la quantité de données contenues dans chacun de ces rapports sont uniquement fonction de l’ambition et de l’implication de son ou ses auteurs. Nous disposons néanmoins d’une lettre d’un “ maître de stage ” se plaignant de la quantité de justificatifs que l’administration lui demandée de fournir quant au bon déroulement de ces stages ou bien lors de la préparation de ces séjours : “ Demande-moi un plan plus précis… Je veux dire que je ne sais trop que dire. J’ai toujours la sensation de raconter des “ histoires ”. [Lorsqu’il présente ses futurs projets africains] Comment savoir au départ ce que je ferai avec des contes. Ca n’est pas par rapport à toi bien sûr que je dis cela. Je pense que je prêche un convaincu mais ce qui 11


est ennuyeux c’est tous ces gens qui veulent des projets et des rapports circonstanciés. Après on est bouffé par cette mauvaise habitude de vouloir à tout prix faire quelque chose…travailler… Si je disais à ces messieurs que j’ai simplement envie d’aller me promener (contrairement à mon voyage au Zaïre5 où je me prenais bien plus au sérieux que ça). Me promener, raconter des histoires et m’en laisser conter. J’imagine que Monsieur Léomi (sic) se couvrirait de ridicule en présentant ainsi la mission. 6 ” Par cette description, on a une idée précise des charges administratives gigantesques qui incombaient à des artistes pourtant employés par une association, dans un souci de simplicité ! La grande majorité de ces comptes-rendus a donc été rédigée par des maîtres de stage français lors de leur retour au pays. Dans l’ensemble de notre corpus, nous ne disposons que d’un rapport de ce type rédigé par un des stagiaires7. Enfin, au fil de ces archives, il faut noter la présence de quelques rares documents photographiques dont la reproduction n’a pas pu être réalisée. Il aurait pourtant été intéressant de les inclure dans l’analyse. Premièrement parce que le théâtre est avant tout un lieu de représentation visuelle et l’image apporte un élément de compréhension non négligeable. L’autre raison, c’est le thème de ces photographies. Nombre d’entre elles nous parlent d’éléments parfois absents ou allusifs dans nos sources écrites : les conditions matérielles de représentation ou de déplacement, la composition du public et son attention, … Carton 411 Carton 422 Carton 423 Carton 431 Carton 438 Carton 496 Carton 498 Carton 499 Carton 502 Carton 1946

Manifestations africaines en France, par villes d’accueil (1977-1982) Les tous débuts de l’ADEAC (1963-1965) « Experts » : Fougère, Guillaud-Herbert, Daïandre, Botbol Classeur regroupant les documents officiels de l’association Table ronde organisée par l’ADEAC le 14 avril 1975 Documents photographiques. 1966-1967. La fin de l’association (1983) Stage Confortés et Rosetti au Togo (1973-1974) Photos de tournées théâtrales et d’animation culturelle (1964-1970) Liquidation de l’ADEAC par l’AFAA. (archives AFAA)

Tableau 2 - Archives de l'ADEAC. Dépouillement de dix cartons parmi la centaine que compte ce fonds.

Carton 367 Carton 368 Carton 514

Tournées du Théâtre d’Union Française (TUF) (1951-1959) Tournées du TUF (1960-1965) - Pierre Debauche à Madagascar et à l’Ile Maurice

5 Une première tournée réalisée avec le “ Théâtre populaire des Yvelines ” de Mantes-la-Jolie, évoqué dans l’entretien avec Pierre Orma in Recherche, Pédagogie et Culture, n°61, p. 78. 6 CAC, Versement 19810010, carton 63, lettre manuscrite de Pierre Orma à Armand Dreyfus. 7 Cf. archives privées de Catherine de Seynes-Bazaine. 12


Carton 555

- L’Avare de Jean Vilar en Afrique (1966) Théâtre des Nations (1948-1967)

Tableau 3 – Les archives du service des échanges artistiques conservées au Centre des Archives Diplomatiques de Nantes (CADN)

Carton 70 Carton 175 Carton 254

La reprise des échanges culturels après guerre. Libéria, Ethiopie, Congo belge (1945-1947) Les échanges culturels avec le Maghreb Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris Tableau 4 - Trois cartons de la DGRCST relatifs à l'Afrique. Sondage.

II. LES « SOURCES VIVANTES » Sous cette expression, nous regroupons trois types de sources émanant toutes de personnes vivantes : - les sources orales recueillies lors d’entretiens spécifiques mais le plus souvent par correspondance ou par téléphone. - un nombre restreint d’archives publiées, le plus souvent sous forme de mémoires. Celles de Gérard Sayaret, Benjamin Jules-Rosette ou encore Philippe Dauchez. Ce dernier cas étant très particulier, il s’agit en effet d’une biographie en préparation dont nous avons pu lire les toutes premières pages. - enfin, des archives privées dont la communication a été rendu possible grâce à l’amabilité de trois personnes : Philippe Dauchez, Colette Scherer, Catherine de Seynes-Bazaine. Il faut signaler le caractère tout particulier de ces archives. Elles sont le fruit d’intérêts personnels ou sentimentaux de la part de leurs “ détenteurs ”. Elles renferment des documents uniques et souvent plus “ sensibles ”. Le style utilisé dans les carnets de note est particulièrement symptomatique. Il y est évidemment plus libre, avec très peu de retenue, les idées sont à l’état brut. Ces notes n’étaient destinées à être lues que par leur auteur. La comparaison avec les rapports officiels est véritablement éclairante. Certaines idées disparaissent purement et simplement dans ces derniers pour laisser place à un document consensuel qui ne gênera pas l’administration. Par ce biais, on a également consulté différentes versions d’un même rapport. II.1

Les sources orales

Nous nous sommes appuyés sur les témoignages des personnes ayant activement participé à

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cette action artistique. Pour la plupart, cette génération est encore vivante à l’heure actuelle et il est très important d’avoir pu collecter ces trop rares témoignages. Pour quelques unes de ces personnes, un entretien plus poussé a été réalisé (7 personnes sur 24)8. La tentative de réaliser des transcriptions de ces rencontres est restée vaine. La difficulté pour recueillir ces témoignages fut grande. A chacune des questions posées, les réponses restaient souvent évasives et porteuses de sous-entendus dont le rendu est difficile dans une transcription. En essayant d’amener l’entretien vers ces points litigieux, nous nous retrouvions face à un mur. Curieusement, l’expérience ADEAC a laissé un goût amer, fait de tensions administratives et de souvenirs d’un passé radieux à courir l’Afrique pour mener à bien ces actions. Dans ces entretiens et dans chacun des contacts pris, les témoignages les plus libres se rapportaient aux expériences de scène ou en lien direct avec elles. Dès que l’on aborde les questions politiques, le mutisme gagne, des réponses négatives vous sont poliment adressées9. Que dire dans ces cas où le témoignage tourne au procès d’intention envers le prédécesseur ou le successeur. Il n’appartient pas à l’historien de revenir sur ces détails anecdotiques. En revanche, il semble qu’ils soient le symptôme d’un clivage plus profond. Un clivage que l’on croit politique. Qui se fonde sur l’idée que chacune de ces personnes pouvaient se faire de la grandeur de la France, de l’intérêt de son théâtre pour les populations africaines. Mais ces opinions restent toujours à mots couverts. Pourtant, le témoignage humain apporte des informations inestimables que ne peuvent transmettre les archives. Inversement, les dites archives recadrent admirablement des propos que la mémoire à altérer ou dont le jugement acerbe complique l’analyse. Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de nourrir ce travail de quelques exemples fournis par ces entretiens sans pour autant publier l’appareil critique qui les a nourris. Les listes des personnes interrogées s’accompagnent d’un élément biographique essentiel qui permet de situer leur action pour le théâtre en Afrique. Ils ont principalement été réalisés à l’aide des documents suivants : -

les entretiens téléphoniques ou de visu

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CORVIN, Michel (dir.), Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Larousse-Bordas, 2001 [1991], 1013 p. qui fournit des notices intéressantes mais rarement axées sur l’action des comédiens en Afrique

-

les curriculum vitae parfois communiqués

8 Leurs noms apparaissent en gras dans le tableau qui suit. 9 Voir en particulier la lettre de Maurice Guillaud. 14


-

dans une moindre mesure, les archives citées précédemment

Ces listes veulent montrer la diversité des acteurs de cette coopération théâtrale mais mettent également en avant les points communs qui réunissent certains d’entre eux. L’extraction depuis le milieu de la décentralisation théâtrale et du monde de l’éducation populaire nous apparaît être le point commun majeur. BLIN, Monique BRAJOT, Guy CHEVRIER, Jacques CONFORTES, Claude CORDREAUX, Yvette et Henri (†) DAUCHEZ, Philippe DE SEYNES-BAZAINE, Catherine DEBAUCHE, Pierre DREYFUS, Armand EWANDE, Lydia FORNESI, Micheline GUILLAUD, Maurice

Fondatrice et première directrice du Festival des Francophonies de Limoges. Ancien administrateur de la France d’Outre Mer. Responsable du théâtre dans le nouveau Ministère des Affaires Culturelles. Spécialiste des littératures francophones. Homme de théâtre français. A dirigé un stage au Togo. Couple de pionniers du théâtre décentralisé en Algérie. Ils réalisèrent de nombreuses tournées en Afrique Noire. Ancien assistant technique français. (Cameroun, Mali) A beaucoup œuvré pour l’utilisation du kotéba. Actrice française, de la famille artistique de Dasté. A réalisé deux stages et une tournée en Afrique. Une expérience décrite comme « formatrice et décisive » Homme de théâtre français. Tournée en Afrique avec le théâtre d’essai des Amandiers de Nanterre. Ancien assistant technique pour le théâtre. Secrétaire général de l’ADEAC de 1972 à 1978. Départ pour l’INA de Bamako jusqu’en 1979. Actrice d’origine camerounaise. L’une des rares africaines à avoir tourné pour l’ADEAC. Secrétaire de l’ADEAC durant la quasi-totalité de l’existence de cette association (1963-1983) Dramaturge. Premier secrétaire général de l’ADEAC.

HERMANTIER, Raymond († le

Acteur, metteur en scène et animateur français.

11/02/2005)

Formé par Jacquemont, il participe tout jeune à ses tournées en Normandie où il rencontrera Vilar. Après la guerre et la Résistance, il rejoint André Clavé et sa Roulotte en Alsace. Sa conception d’un théâtre populaire en plein air, exigeant et généreux, se forge là. Il aura l’occasion de l’affermir en participant dès sa fondation au festival d’Avignon (1947). Pendant trois ans (1959-1961), chargé de mission culturelle, il sillonne les douars de l’Algérie profonde en montant en arabe et en kabyle, avec des acteurs du cru, des œuvres de la tradition populaire ou le Testament du père Leleu. Puis il part en Afrique comme animateur, de brousse d’abord (Madagascar), puis à Dakar, où il monte les auteurs de la Négritude, Molière et

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Shakespeare avec la Troupe du Théâtre National (1970) auquel il resta associé jusqu'en 1984.

JULES-ROSETTE, Benjamin KOLY, Souleymane LIGIER, Françoise MAGNIER, Bernard MERIC, Béatrice N’ZONZI, Pascal SANGARE, Bakary SAYARET, Gérard SCHERER, Colette et Jacques (†) TIEMELE, Jean-Baptiste VISINET DES PRESLES, Claude

Acteur martiniquais. Initiateur d’un « Théâtre noir » à Paris. Comédien ivoirien. Théoricien du « théâtre africain ». Ses contacts avec l’ADEAC n’aboutirent jamais. Directrice d’un petit théâtre parisien. Créatrice et principal soutien du Concours théâtral interafricain. Journaliste, éditeur de textes africains. Réalise l’exposition sur les théâtres d’Afrique noire en 1984 Secrétaire générale adjointe de l’ADEAC au temps de Maurice Guillaud. (1963-1972) Acteur congolais. A participé en tant qu’élève à des stages organisés par l’ADEAC. Acteur malien. Formé à l’INA de Bamako par Philippe Dauchez qui le lança en France. Tourneur indépendant français. A l’origine des tournées mondiales de Keita Fodéba. Spécialistes du théâtre classique français. Grands soutiens du « théâtre africain ». Acteur d’origine ivoirienne. L’un des premiers à enregistrer des dramatiques africaines pour l’ORTF. Administrateur civil. Premier dirigeant de l’ADEAC.

Tableau 5 - Présentation des personnes contactées

CLAVE, André (†)

Homme de théâtre français. Puis homme de radio. Il soutint le lancement du Concours théâtral interafricain.

FOUGERE, Louis (†)

Bâtonnier au Conseil d’Etat. Premier président de l’ADEAC. Assistant technique français au Congo. Comédien français. Apprentissage chez Dullin. Un épisode anglais chez Laurence Olivier, une brève incursion à Hollywood, puis c’est la plongée au cœur de la décentralisation dramatique, à la Comédie de Saint-Étienne chez Dasté dont il sera le compagnon fidèle pendant huit ans. Conteur, diseur en France et en Afrique.

FRANCO, Denis GUILLAUMAT, Gérard

GUILLAUMOT, Bernard

Architecte et scénographe français. Longue collaboration avec Serreau. Construction du TNP de Villeurbanne. Animateur de stages en Afrique.

JACQUEMONT, Maurice (†)

Homme de théâtre français (décédé le 31 mai 2004). Fait tourner les Comédiens des Champs-Elysées en Afrique. Pionnier des tournées théâtrales en Algérie puis en Afrique noire, avec Henri Cordreaux (décédé le 26 septembre 2003).

RONFARD, Jean-Pierre (†)

16


SERREAU, Jean-Marie (†)

Homme de théâtre français. Responsable de nombreuses sessions de formation en Afrique.

Tableau 6 - Présentation des personnes décédées ou injoignables

II.2

Inventaire des archives de Catherine de Seynes-Bazaine

INVENTAIRES PAR THÈMES •

Stage d’art dramatique à Brazzaville, janvier-février 1973 : - [ne retrouve plus son rapport, dispose de photos grand format]

Stage d’art dramatique à Bujumbura, novembre-décembre 1974 : - Initiation à l’art dramatique. Rapport de stage organisé au CCF de Bujumbura-Burundi par le Ministère de la Coopération française, dirigé par Catherine de Seynes et Jacques Longavesne, par Paul Mbaraga, IPN Butaré. - Plusieurs numéros du Bulletin Flash-Infor, quotidien d’information, Bujumbura : 13,14 et 27 novembre 1974, un autre non daté - Paul Savatier, Compte rendu d’une mission d’animation théâtrale à Bujumbura (du 28 février au 5 mars 1975), 28 p. (à la suite de Catherine de Seynes) - Rapport de la mission théâtrale au Burundi par Catherine de Seynes. 15 novembre 1974 – 20 décembre 1974 (2 versions) - Des réactions de stagiaires burundais et des demandes d’ouvrages sur le théâtre - “ Le rapport de réunion du 9 octobre 1974 ” Réunion du Conseil permanent du CCIPN et “ Besoins matériels à prévoir et son utilisation pour CCIPN ” - Carnet de bord de Catherine de Seynes pendant son stage au Burundi - Deux journaux burundais (?) : Jua, hebdomadaire du Kivu du 16 au 22 novembre 1974 et Ubumwe du 28 novembre 1974. - “ Lettres d’amis du Burundi ” – lot de correspondances - dispose de planches contact de ce stage

Tournée du spectacle “ Femmes ” : - Extrait du bulletin de synthèse de l’Ambassade de France à Niamey, de la part de M. Dreyfus, pour information - Compte rendu de la tournée de “ Femmes ” en Afrique (Nouakchott – Dakar – Niamey) 8 mars – 19 mars 1975. Participants : Catherine de Seynes et Gilles Petit. (2 versions sensiblement identiques)

Autre : - Stage d’initiation à l’art dramatique. Bangui du 3 au 28 juillet 1972. Daniel Charlot. Tableau 7 - Inventaire des archives privées communiquées par Catherine de Seynes-Bazaine

III. LES SOURCES IMPRIMEES

17


III.1

La presse

La première source qui nous a permis d’appréhender le milieu de la diffusion théâtrale en Afrique était composée de nombreuses coupures de presse regroupées ou non au sein de dossiers thématiques ou géographiques. On trouve un grand nombre de collections de périodiques et de dossiers de presse dans les dépôts d’archives et bibliothèques suivants :

Centre des Archives Diplomatiques de Nantes (CADN) BNF – Arts du spectacle (Bibliothèque de l’Arsenal) BNF – Tolbiac

Dossiers de presse issus du centre de documentation du Ministère de la Coopération10. Dossiers de presse thématiques (théâtre de l’Odéon, …) / Coupures de presse de la collection Rondel. Collection du périodique Traits d’Union

Tableau 8 - Localisation des dossiers de presse utilisés

III.2

Les études littéraires

Si la production historique est balbutiante sur la question des politiques artistiques de la France à l’égard de ses anciennes colonies africaines, il faut signaler la profusion d’études à caractère littéraire réalisées notamment dans le cadre de recherches en littérature comparée. Dans la majorité des cas, la consultation de ces travaux n’a pas été d’un grand secours pour l’élaboration de notre mémoire. Au plus, ces contributions permettent d’appréhender le contexte de production et les différentes tendances en présence. Dans un souci d’objectivité, nous nous sommes tout d’abord reporté sur la production journalistique parfois évoquée par ces mêmes études. Dans ce domaine, il faut signaler l’abondance des revues de presses réalisées dès la fin des années soixante sur la diffusion du théâtre noir en France et du théâtre français en Afrique. Le Centre des Archives Diplomatique de Nantes et la section « Arts du spectacle » de la Bibliothèque Nationale de France (dans les locaux de la Bibliothèque de l’Arsenal) disposent des fonds les plus intéressants à cet égard. Le premier est dépositaire des revues de presse réalisées au centre de documentation du Ministère de la Coopération avant sa fusion au sein du Ministère des Affaires Etrangères en 1998. On trouve dans ce fonds des revues de presse très pointues allant des tous débuts de la Coopération culturelle à la fin des années 90. La diversité des périodiques dépouillés, la rigueur du classement font de ces revues de presse un moyen précieux pour se plonger dans les productions théâtrales des pays ici 10 Les dépouillements ont porté sur les cartons 63, 64, 191, 210, 382, 392 et 431. 18


étudiés. Elles ont constitué une première approche dans notre parcours de recherche. Pour compléter cette riche collection sur des périodes antérieures ou sur des sujets plus précis encore, les revues de presse de la collection Rondel, à la bibliothèque de l’Arsenal, ont été globalement dépouillées. Leur caractère plus général et la période couverte11 n’ont justifié que de rares prélèvements. Les revues de presse réalisées par le théâtre de l’Odéon, lors de la venue de troupes africaines dans ses murs, ont été dépouillées. Elles montrent le lien très étroit qui a uni ce théâtre national à son homologue sénégalais : le Théâtre National Daniel Sorano de Dakar. Enfin, le dépôt d’archives effectué par Pierre Debauche ne contient pas de documents significatifs sur les liens qui unirent cet homme de théâtre à l’Afrique.

11 Cette période couverte s’étend officiellement jusqu’en 1912. En réalité, on peut trouver des articles de la fin des années 1950. 19


I.Le maintien des relations artistiques avec l’Afrique francophone indépendante. Au moment de leur accession à l’Indépendance, essentiellement au cours de l’année 1960, les nouveaux Etats africains souscrivent grand nombre de contrats de coopération avec la France, ancienne métropole. Autant de bases sont jetées pour la mise en place d’un très large Ministère de la Coopération aux compétences multiples. Parmi ces accords bilatéraux, certains sont spécifiquement consacrés aux échanges artistiques et culturels. Si leur importance peut apparaître bien maigre face à des contrats de coopération économique ou militaire, l’installation d’une coopération culturelle va connaître un développement singulier. La France, au-delà de ses relations diplomatiques avec les Etats, souhaite maintenir une relation privilégiée et directe avec les populations locales, pour des raisons évidentes, qu’elles soient historiques ou simplement stratégiques. Dans le cadre de ses relations avec les masses, le gouvernement français garde un contact extrêmement ancré dans le milieu de l’enseignement. En plus de ces relations pédagogiques anciennes, la France souhaite garder une emprise sur le milieu de la création et de la diffusion artistique. Une influence et une politique de diplomatie culturelle pour laquelle la France a déjà une longue histoire12. Mais, dans les nouveaux Etats africains, la situation est évidemment différente de celle rencontrée dans un Etat purement étranger. Il faut, là encore, innover et garder une place à part. La France ne se dévêt que lentement de sa “ vocation civilisatrice ”. En matière de politique culturelle dans les Etats africains, il existe un précédent au moment de l’accession aux Indépendances. Il s’agit de la politique mise en œuvre par le haut-commissaire Bernard Cornut-Gentille lors de la création des Centres Culturels Français (CCF) en 1954. Pour étudier le contenu et la teneur des échanges artistiques après les Indépendances, il est extrêmement tentant de se contenter de l’étude de la programmation de ces CCF. Si ces centres occupent en effet une place bien singulière dans la politique menée par les Conseillers culturels dans les différents Etats, il ne faut pas s’y cantonner. En effet, face au déploiement d’autres moyens culturels étrangers, qui eux aussi passent par la mise en place de centres culturels (Goethe Institut, British Council, …), le Ministère de la Coopération met rapidement en place des moyens supplémentaires pour maintenir la suprématie culturelle de la France dans cet espace. Dans ce cadre, on note un engagement de politiques volontaristes en matière 12 L’Association Française d’Action Artistique (AFAA) fut créée en 1922. Ses rapports avec le Ministère des Affaires Etrangères n’ont cessé de se renforcer depuis lors au point qu’elle est aujourd’hui assimilée à une sousdirection de ce ministère. Cf. Histoires de l’AFAA. 70e anniversaire, Paris, AFAA, 1992, 74 p. 20


de cinéma et de radiodiffusion notamment13. Parmi ces grands domaines de prédilection, notre intérêt se porte ici sur la place du théâtre dans ces relations. En effet, l’art de la scène a été utilisé depuis une époque reculée de la colonisation et il en a été fait un usage pédagogique extrêmement répandu dans les colonies africaines. En étudiant les antécédents de cette politique sur lesquels nous reviendrons pour marquer le contexte historique, nous tenterons de déterminer la place assignée au théâtre dans l’ensemble de cette politique culturelle africaine. Quels ont été les moyens déployés pour faire de cet art, un outil spécifique de collaboration ? Quelle a été la place de la France dans la formation d’un certain milieu de gens de théâtre africains ? Autant de questions qu’il nous faudra replacer dans le contexte africain qui, contrairement à l’idée communément admise à l’époque, n’était pas dépourvu d’expériences dans les arts de représentation. A.Le dispositif français de diffusion théâtrale Dans la masse documentaire concernant les origines de la création théâtrale en Afrique francophone, il est très rare de rencontrer des origines différentes. Il existe d’ores et déjà un consensus. Invariablement, les auteurs, se copiant les uns les autres font remonter la genèse de ce théâtre à des expériences menées dans l’Ecole William Ponty où exerça le professeur Charles Béart dès 193514. On peut pourtant voir une certaine restriction dans le ressassement de cette expérience cantonnée à un cadre spatio-temporel bien déterminé. Il ne s’agit pas ici d’approfondir l’étude de cette expérience mais uniquement la questionner. Aux dires de la littérature officielle, toute initiative théâtrale en Afrique serait née de cette expérience. Les “ premiers dramaturges africains ” et leurs successeurs seraient nés à Sébikotane un beau jour de 1935. Dès avant les Indépendances, on constate en effet une quasi obsession pour l’expérience « pontienne ». Pour les auteurs, les comédiens et les metteurs en scène, il s’agit de se positionner pour ou contre celle-ci, toujours dans un esprit extrêmement réducteur. 1.L’assise du théâtre dans le milieu scolaire Quand Charles Béart apparaît comme le pionnier de la politique théâtrale de la France en Afrique, il convient de déceler dans cette histoire, un jugement a posteriori. Par une brève étude sur la biographie de ce personnage, on ne rencontre qu’un professeur colonial tout à fait 13 Par exemple, le CAC dispose à ce sujet d’un important fonds d’archives du Bureau du cinéma, dirigé par René Debrix. 14 Le huitième volume (traduction française) de l'Histoire générale de l’Afrique (UNESCO) présente William Ponty comme « enseignant à Dakar de 1933 à 1960 ». Cela contredit les faits établis par Wole Soyinka dans un paragraphe similaire du volume précédent de cette même œuvre. 21


honnête et ordinaire15, bien que très impliqué dans des recherches africanistes extrêmement pointues. Un fait qui n’est pas l’apanage de l’ensemble de ses collègues aux colonies 16. Loin de l’hagiographie, revenons ici sur ses réalisations en matière de théâtre. Il marqua très tôt son intérêt pour cet art, notamment en laissant un numéro spécial de la revue Education africaine17 entièrement consacré à cet aspect de son travail. Il convient de préciser que les activités théâtrales n’y sont pas présentées comme ayant des visées artistiques. Dans la majorité des cas, la défense du théâtre a des visées uniquement pédagogiques, voir historiques. Charles Béart milite par exemple pour une connaissance de l’histoire de l’Afrique par le théâtre. Ce militantisme s’exprime également dans un rare document. Une lettre adressée à “ Monsieur l’inspecteur en chef de l’enseignement primaire à Dakar ”, le 27 août 1946 : “ Un autre jour nous parlons de l’emploi du temps dans les EPS18. A côté des enseignements je place les activités dirigées de tout ordre dont la valeur éducative est immense, partout, mais plus que partout ailleurs en Afrique et M. le Directeur Général me dit : “ Ferez-vous faire ça à des professeurs licenciés ? ” Evidemment non, je suis tout à fait d’accord avec lui, un jour viendra même assez proche où, par contagion, nous ne pourrons plus même le demander à des instituteurs. Nous sommes au théâtre de Ponty, les élèves guinéens jouent admirablement une petite comédie qu’ils ont composés : M. le Directeur Général se penche vers moi et me dit : “ Et vous leur refusez une culture… ” J’ai le souffle coupé. Il est bien regrettable de remuer des truismes mais plus regrettables encore qu’ils fassent ici figures de paradoxes. L’enseignement classique fait partie de la culture française il n’est pas la culture française : le savant de l’an 3000 qui disposera de la collection complète des livres en usage au Lycée Van Vollenhoven et seulement de cela n’aura aucune idée de notre civilisation, de notre culture, de la façon de sentir et de penser de vous, de moi, de M. Aubineau, de Mgr Grimault, du professeur Monod ou de M. Senghor, agrégé et 15 La consultation des dossiers de la carrière de Charles Béart déposés au CAOM [sous les côtes EE II 6194 et EE II 4962/1] ne permet de dresser un portrait plus flatteur que celui du fonctionnaire « dévoué », ni même d’amplifier son rôle dans une éventuelle action théâtrale aux Colonies. 16 Voir en particulier ses travaux sur le jeu en Afrique : BEART, Charles, Jeux et jouets de l’Ouest africain, Dakar, IFAN, 1955, 888 p. Deux forts volumes. 17 Le théâtre indigène et la culture franco-africaine, numéro spécial de l’Education Africaine (Bulletin de l’enseignement de l’AOF), Dakar, 1937, 115 p. 18 Ecoles Primaires Supérieures 22


député. La culture est donnée par la famille et par le milieu, l’école jouant sa partie dans l’action du milieu19. ” Charles Béart fait ici part de ses intentions pédagogiques en matière de théâtre. De part cette conception, il fait preuve d’une certaine avant-garde. Il s’agit presque d’un engagement politique frontal tant il s’oppose aux opinions du Directeur Général. Rappelons qu’il a fallu attendre le Front Populaire pour voir entrer la pratique théâtrale dans les écoles françaises. En Afrique, les expériences théâtrales, si brillantes soient-elles, relèvent d’initiatives personnelles et ne sont pas coordonnées ni même soutenues par une quelconque autorité. 2.Des instruments privilégiés : les Centres Culturels Français Créés par Bernard Cornut-Gentille, haut-commissaire de l’AOF, à la fin de l’année 1953 en AOF, les Centres Culturels Français (CCF) se donnent immédiatement des objectifs et des moyens très précis. Parmi eux, le théâtre semble occuper une part non négligeable de l’action artistique. Il serait hors de propos de s’intéresser ici à l’activité propre des Centres Culturels20 mais nous allons voir en quoi cette nouvelle institution va permettre de jeter les bases de toute la coopération artistique en matière de théâtre. Dès le premier numéro de Traits d’Union, trimestriel édité par les soins des services culturels français pour assurer la cohésion d’un réseau en pleine formation, on note une attention toute particulière pour la forme théâtre. Il s’agit d’un périodique très officiel dont l’éditorial est régulièrement tenu par le Gouverneur Cornut-Gentille en personne. Parmi la quinzaine d’éditoriaux, doublés par ceux du rédacteur en chef Lompolo Koné, on note un réel intérêt pour les manifestations théâtrales. Ainsi, dès la sixième page du premier numéro, on décèle une véritable déclaration d’intention dans les propos d’un certain “ J. Poinsot ” dont la qualité n’est pas mentionnée : “ ‘Les Activités artistiques’ occuperont la quatrième partie [des différents numéros de Traits d’Union]. Vous y trouverez des conseils pour la mise en scène et l’organisation des représentations théâtrales. Bien entendu il appartient à ceux d’entre vous qui sont experts en la matière de m’adresser ces conseils pour que je les publie21. ” 19 CAOM, carton EE II 6194, dossier « BEART, Charles ». 20 On se reportera à cet effet au mémoire de maîtrise de Sabine PRIN, La politique culturelle de la France par le biais des CCF au-delà des Indépendances, sous la direction de M. Tirefort, septembre 2003, Université de Nantes. 21 Traits d’Union. Organe de Liaison des Centres culturels d’AOF, n°1, décembre 1953-janvier 1954, p. 6 23


Un programme qui sera en effet tenu dans l’ensemble des quinze numéros que nous avons pu consulter22, avec, il est vrai, plus ou moins d’importance selon les livraisons. Le point commun de ces différentes contributions est à trouver dans la vivacité et la modernité des débats qui y sont engagés. En effet, malgré le caractère extrêmement officiel de cette publication23, aucune censure ne semble troubler les positions des auteurs qui, néanmoins, ne dérogent pas aux discours ambiants. Au-delà de cet intérêt proclamé par différentes rubriques de cette publication, il faut mentionner l’implication de nombreux directeurs de CCF dans des projets théâtraux. L’étude des comptes rendus des réunions des Conseillers Culturels et de ces directeurs durant les années 60 permet de mesurer l’intérêt pour le théâtre. De même que les divers rapports s’intéressant à l’impact de ces CCF sur l’action théâtrale, cet ensemble24 de documents questionne sur le rôle exact des CCF. Sont-ils des instruments de propagande ou bien des lieux de refuge pour la création théâtrale ? Pour poser le problème à la manière de Jacques Chevrier : « S’agissait-il de détourner les auteurs de la politique ou bien de contrôler leurs créations artistiques en les canalisant par le biais de subventions judicieusement octroyées ? 25». Cette suspicion d’interventionnisme dans la création théâtrale africaine est forte puisque les responsables sont obligés de s’en défendre dès 1963 : (extrait du chapitre “ Stimulation à l’effort et entreprises culturelles de participation ”, paragraphe “ Concours français aux efforts de réalisation d’une production culturelle africaine. ”) “ C’est là sans soute une des manifestations les plus tangibles de la coopération culturelle, susceptible de faire apprécier l’utilité de nos entreprises et leur caractère désintéressé. Notre concours à la promotion d’une néà-culture (sic) africaine devance ainsi les éventuels arguments d’impérialisme culturel. » Et plus loin, dans le même paragraphe : « Ils (« les conseillers et directeurs de centres culturels ») ont suscité ou favorisé certaines initiatives artistiques et théâtrales comme celles du Centre fédéral culturel et 22 En France, seule la BNF dispose d’une collection, néanmoins lacunaire, de cette publication sous la côte 8JO-11681. 23 D’après les indications lacunaires sur les dernières pages de ces numéros, il semble que Traits d’Union était imprimé à Paris dans la majorité des cas. Seuls quelques numéros ont été imprimés par la “ Grande Imprimerie Africaine ” de Dakar.

24 On trouvera en annexe le document intitulé : Contribution des centres culturels français au développement du théâtre en Afrique, 1975, 6 p. 25 CHEVRIER, Jacques, La littérature nègre, Paris, Armand Colin, 2003 [1984], p. 161 24


linguistique camerounais qui devraient pouvoir, faute de moyens, s’exprimer comme à Yaoundé, dans le cadre même de nos centres. 26 » Pour parer à toutes remarques désobligeantes concernant sa politique culturelle extérieure, la France met donc en avant le rôle asilaire des CCF qui se traduit par l’accueil d’associations mais également de troupes qui ne pourraient, de toute façon, pas se produire ailleurs. Et ce, pour des raisons techniques et politiques. Dans un autre document plus tardif27 (1975) et que l’on sent programmatique, l’aspect propagandiste du théâtre est estompé derrière une volonté éducative et culturelle. En tous cas, les CCF se veulent les moteurs de toute création théâtrale en Afrique. « Dans la plupart des cas, les CCF constituent un pôle d’attraction qui favorise l’apparition et le développement d’une vie théâtrale africaine. De nombreuses troupes sont nées de cette action. » Quels que soient leurs modes d’action, les CCF apparaissent donc dès leur création en 1953 comme des instruments précieux pour la mise en place de la diffusion théâtrale en Afrique. 3.La politique théâtrale du Ministère de la Coopération Le discours sur la coopération culturelle en général et plus particulièrement en matière de théâtre devient facilement observable dès la création du secrétariat d’Etat aux Affaires Etrangères chargé de la Coopération, futur Ministère de la Coopération. Avant cette date, le Ministère de la France d’Outre-mer n’a pas eu à cœur le développement d’une telle politique d’action artistique.28 A l’exception de la politique des Centres Culturels que nous venons d’évoquer largement, l’accent était mis sur la politique éducative et sur les affaires politiques et commerciales. Il faut néanmoins noter que les fonctionnaires du Ministère des Affaires Culturelles, créé par Malraux en 1959, sont en grande majorité issus des rangs des fonctionnaires expatriés du Ministère de la France d’outre-mer. Ce qui est peut-être la preuve d’un intérêt latent pour les politiques culturelles29. 26 CAC, Versement 19810443, Carton 29, Liasse « Action culturelle. Divers », Ministère de la Coopération, Réunion des conseillers culturels et directeurs de centres culturels. Rapport de synthèse, 25 septembre 1963, p. 22 27 Cf. Contribution des centres culturels français au développement du théâtre en Afrique, ibid. 28 Le sondage effectué au Centre des Archives d’Outre-mer, nous a uniquement permis de découvrir des documents sur le suivi méticuleux des activités du metteur en scène et artiste guinéen Keita Fodéba. Ce suivi amena la censure de deux de ses disques, comme évoqué plus loin. Cf. CAOM, carton FM 2127, dossier 10.

29 Cf. RAUCH, Marie-Ange, Le bonheur d’entreprendre. Les administrateurs de la France d’outre-mer et la 25


Voici donc comment le Ministère de la Coopération présentait, en 1963, la mise en place de sa politique de diffusion théâtrale : “ En Afrique et à Madagascar, le théâtre est appelé à jouer un rôle efficace dans l ‘économie générale de la politique culturelle instaurée par le Ministère de la Coopération : véhicule de la langue française, mais aussi instrument de diffusion des grandes œuvres classiques – et, en particulier de celles qui figurent au programme d’études des établissements d’enseignement - sa forme, proche des traditions africaines, en rend l’assimilation facile. Mis à la portée de tous les milieux, il constitue un ferment de création artistique. Mais la diffusion de l’art dramatique est handicapée, en Afrique, par le manque de salles et d’équipements scéniques. L’effort du Ministère de la Coopération porte donc autant sur l’amélioration de l’infrastructure nécessaire que sur la création de formes dramatiques intelligibles à tous les Africains et la constitution de répertoires variés pouvant s’adresser à des publics souvent très différents. Des élites citadines européennes ou africaines – à qui peuvent être présentées œuvres classiques, anciennes ou modernes et spectacles de prestige – aux publics populaires – qui apprécient particulièrement les manifestations à caractère folklorique ou spectaculaire – l’audience des troupes théâtrales se produisant en Afrique doit être aussi vaste que possible, pour atteindre : -

la population urbaine constituée par la petite bourgeoisie africaine et malgache, difficile à conquérir parce que s’intéressant surtout au cinéma et aux sports, et peu accoutumée aux subtilités de la langue française.

-

la jeunesse, public considérable et enthousiaste,

avide de connaissance et de

culture. -

les milieux ruraux enfin, qui doivent être touchés par des formules théâtrales originales, telles les troupes de tréteaux présentant, dans la tradition de Tabarin et de la Comedia dell’arte, parodies, jeux et divertissements de plein air où l’improvisation est reine.

Mais l’Afrique doit aussi apprendre à développer les formes dramatiques qui lui sont propres ; des bourses d’étude, des stages, la création de conservatoires locaux, le soutien accordé aux troupes existantes l’aident dans cet effort. Cette création ne pouvant s’épanouir en vase clos, sans confrontation avec d’autres formes d’expression création du ministère des Affaires culturelles, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture [Travaux et Documents, n°7], 1998, 196 p. 26


dramatique, les ensembles et les ballets africains sont invités, tous les ans, à participer au Théâtre des Nations.30 ” Cet art doit donc servir efficacement les intérêts de la France, notamment dans la défense de sa langue et dans quelques-unes des conceptions artistiques occidentales. A plus d’un titre, ce bilan présente le véritable programme des actions mises en œuvre au cours des années 60-70. La mise en œuvre de cette politique On voit donc s’installer, au début des années 60, diverses instances administratives en charge des questions culturelles. En lien direct avec l’histoire des services de la période coloniale, les priorités vont être maintenues en faveur de l’enseignement, de la mise en place d’un réseau vaste et compétent de Centres culturels français à travers tout l ‘espace africain. Une grande administration est ainsi créée sous le nom de “ Direction de la coopération scientifique, culturelle et technique ” dès la création du Ministère. Il s’agit de la consœur directe de la puissante DGRCST31, au sein du Ministère des Affaires Etrangères. C’est dans cet ensemble qu’est restée toujours cantonnée l’activité théâtrale qui dépendit de la sous-direction des actions culturelles jusque à sa disparition. On observe simplement une fluctuation au niveau de l’appellation du département dont dépendra le Bureau des échanges artistiques durant toute son existence. L’observation de ces changements dans la dénomination des services nous semble importante. En effet, le responsable de ce Bureau fut toujours l’acteur principal des tournées et autres animations théâtrales envoyées en Afrique durant toute notre période d’étude. En plus des charges administratives, ces responsables se sont vus octroyer des responsabilités artistiques sur lesquelles nous reviendrons longuement. Ainsi, le service en charge de la “ coopération culturelle et de l’éducation populaire ”32 (à savoir : centres culturels, relations culturelles et échanges artistiques de manière plus générale) à connu quatre appellations en l’espace de vingt ans. De sa création en 1963 à sa disparition pure et simple en 1983, lors de la première tentative de fusion du Ministère de la Coopération dans le Ministère des Affaires Etrangères, on l’a tour à tour qualifié de “ Division ” puis de “ Département ” 30 Ministère de la Coopération. Direction de la coopération culturelle et technique, Rapport d’activité 1961/1963. 120 p. Document côté 3470 au CADN, p. 81 31 Un sondage a été effectué dans les archives de cette direction. Parmi les cartons qui présentaient un rapport plus ou moins lointain avec l’Afrique, les n°70, 175 et 254 ont été dépouillés. Ils témoignent de l’inexistence complète de politique africaine de la part de cette direction avant les Indépendances. 32 Selon une expression employée dans, Ministère de la Coopération. Direction de la coopération culturelle et technique, Rapport d’activité 1961/1963. 120 p. Document côté 3470. 27


sans savoir quelle dénomination convenait le mieux. Si l’appellation des administrations a quelque chose de symbolique, elle n’en recouvre pas moins une réalité pratique. Quand un service change chaque année de nom, comme ce fut le cas pour celui qui nous intéresse, il faut y voir un symptôme de désorganisation ou de réorientation des prérogatives. Voici la version du conservateur en charge du versement des archives de ce département, près de vingt ans après sa fermeture, dans une note introductive à son “ Répertoire numérique ” : “ Les attributions de ce département, assez fluctuantes et disparates, le placent au confluent de plusieurs politiques publiques (diffusion et enseignement du français, participation au financement de projets culturels dans les pays du champ, échanges culturels) sans qu’il ne soit jamais au cœur de ces dernières, particulièrement éclatées entre les différents ministères. ”33 Il met donc en avant le lien réel entre la diffusion du français et celle des arts, en particulier ceux de la scène. Une objection est en revanche essentielle dans le cas de notre objet d’études. En effet, si les politiques publiques ont mis beaucoup de temps à se définir dans le domaine de la coopération culturelle, certaines apparaissent avec constance depuis la mise en place de ce concept jusqu’à sa disparition. A ce titre, le travail mené en matière de théâtre pour l’Afrique, l’a été de manière centralisée et omnipotente par le Ministère de la Coopération. Le rôle du Ministère de la Culture apparaît quasi anecdotique durant notre période d’étude 34. De la même manière, nous évaluons comme infime le rôle du Ministère de l’Education Nationale dans la mise en place d’un enseignement artistique en Afrique, alors que ce dernier a encore toute latitude sur la majeure partie de l’enseignement. Il y a donc des priorités et des moyens pour les mettre en œuvre. Le théâtre n’est pas la dernière de ces préoccupations. Selon les recoupements effectués et de manière anachronique, l’organigramme est donc le suivant pour la chaîne hiérarchique qui nous intéresse :

33 CAC, Ministère de la Coopération – Mission des Archives Nationales, Répertoire numérique détaillé du versement 20000138, 2000 34 Il conviendrait néanmoins de mener une étude sur les conséquences de la nomination de nombreux administrations de la France d’Outre Mer aux postes clés du Ministère des Affaires culturelles naissant. Cf. RAUCH, Marie-Ange, op. cit. 28


Ministère de la Coopération Direction de la coopération scientifique, culturelle et technique Service de la coopération culturelle (longtemps dirigé par Michel Gentot) puis Sous-direction des actions culturelles Nom initial : Division des Echanges culturels (créée par Georges Godon) Département des centres culturels en 1976 puis Département de la diffusion culturelle en 1977 puis Département des échanges culturels en 1978 (dirigé par Madame RELIER) puis Département des relations culturelles en 1981 (dirigé par François VUARCHEX) Bureau des échanges artistiques (dirigé successivement par Claude VISINET DES PRESLES, Maurice GUILLAUD, Armand DREYFUS, (Jean-Pierre PREVOST ? 35), Gilles PRUNEAU) Le Bureau des échanges artistiques Dès le début des années 60, il est donc décidé d’intensifier les « échanges artistiques » et de créer un service spécifiquement dédié à ces activités. Il fallait donc mener à bien une tâche de création ex nihilo, d’un service qui n’avait pour modèle que la très active “ Action Artistique ” de Philippe Erlanger au Ministère des Affaires Etrangères. A la Coopération, les enjeux sont évidemment différents. Il s’agit de développer une action singulière dont la résultante doit être la préservation des relations privilégiées voire exclusives avec les anciennes colonies. Dans le cas précis des échanges artistiques, il s’agit, comme partout ailleurs, de montrer la France sur scène mais aussi, de faire partager un répertoire, des techniques, des valeurs que l’on ne saurait imposer à un pays totalement tiers. Dans cet esprit, on charge un haut fonctionnaire détaché du “ Corps des administrateurs civils ” auprès du Premier Ministre de créer ce service36. Claude Visinet des Presles jusqu’alors travaillait en tant qu’administrateur public dans la toute nouvelle Organisation des Nations Unies puis, de 35 En 1979, il semble que le Ministère dissocie à nouveau les fonctions administratives et associatives. Il nous a été impossible de déterminer avec certitude si Jean-Pierre Prévost a été ou non en charge de ce Bureau. 36 Informations recueillies lors d’un entretien téléphonique réalisé le 19/05/04 avec Claude VISINET DES PRESLES. Il s’agit d’un homme âgé (né en 1918) qui ne pensait pas pouvoir répondre à des questions plus précises sur cette création. Il s’agit pour lui d’un épisode fort lointain et qui n’a représenté qu’un aspect minime d’une carrière toute entière dévouée au service de l’Administration publique. 29


retour en France, détaché auprès du Ministère de la France d’Outre-mer pour s’occuper de la question de la Sécurité Sociale dans la Côte-d’Ivoire à naître. Face au prestigieux curriculum vitæ de M. Visinet, on peut imaginer l’importance que l’on souhaitait accorder à ce Bureau des Echanges Artistiques. Selon ses propres dires, il ne doit son embauche dans cette création qu’ à sa carrière parallèle de dramaturge. Il est notamment l’auteur de quelques pièces de boulevard et d’adaptation de l’œuvre de Goldoni pour la Troupe des Comédiens-Français, à la demande de son administrateur. Certaines des pièces de « Claude des Presles » ont d’ailleurs été radiodiffusées en Afrique. Pour ce haut fonctionnaire, la création d’un tel bureau s’apparentait plus à une tâche administrative qu’artistique. Il déclare très clairement s’être attaché à la meilleure diffusion possible des pièces françaises. Son expérience ne fut d’ailleurs que de courte durée puisqu’il fut remplacé par Maurice Guillaud, un homme de théâtre cette fois, dès l’année 1963. Claude Visinet des Presles poursuivant sa carrière administrative dans un autre ministère (il ne souvient plus duquel) dans lequel il fut chargé de la création du service de relations internationales. A partir de cette nouvelle nomination, nous assistons à un tournant véritable de l’action du Ministère, dorénavant, les préoccupations se voudront également, et surtout, artistiques. C’est cet aspect artistique et pratique qui sera abordé dans la deuxième partie de notre étude. Un réseau permanent de coopérants artistiques Après les Indépendances, les centres culturels restent plus que jamais actifs dans le paysage artistique et culturel des nouveaux Etats. A cette donnée, le ministère de la Coopération adjoint la présence de Conseillers Culturels dans chaque ambassade. Si ce réseau ambitieux peut laisser espérer les promoteurs d’une diffusion artistique d’envergure, les déconvenues ne manqueront pas. En fait, ce réseau est un véritable atout pour l’administration et pour l’organisation logistique et pratique des tournées. Dans une approche purement artistique, il semblerait qu’il ait été un piège, sinon un handicap. Face à cette situation générale, il convient également de noter les très fortes disparités par Etats de résidence. Certains conseillers et directeurs se montrent en effet plus sensibles au renouvellement, à la mise en place de nouvelles formes d’intervention. D’autres en revanche, par souci personnel, par zèle administratif, refusent ou tentent d’empêcher toute forme d’évolution vers plus d’échanges artistiques réciproques. Cette dernière situation est particulièrement perceptible dans le domaine de la langue utilisée pour les spectacles ou les stages. De nombreux fonctionnaires n’hésitent pas à montrer du doigt et référer à leur ministère de tutelle les expériences menées

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dans des langues africaines. Des pratiques qui nuisent au rayonnement et à l’influence de la France selon leurs expressions. Au delà des conflits de personnes, une donnée partagée par tous les milieux mais particulièrement exacerbée dans celui des arts, une typologie des acteurs de la coopération artistique en poste dans les Etats semble possible et intimement liée à leurs fonctions. Pour ne retenir que les deux fonctions précédemment citées, les conseillers culturels apparaissent tendanciellement plus conservateurs. A l’opposé des directeurs de centres culturels, sont pris dans l’action et beaucoup plus enclins aux nouvelles expériences. Ce phénomène posé, il faut rappeler l’étroitesse des rapports entre ces deux professions dans leur action au quotidien. Ainsi, la mise en place de la politique artistique peut s’avérer difficile dans certains Etats et totalement sans problème dans d’autres. En cette matière, le théâtre est toujours le premier touché. Les nombreux rapports des réunions des conseillers culturels et directeurs de centres culturels montrent pourtant un consensus. L’incitation à la mise en place d’une politique d’action culturelle dans les Etats est par exemple l’objet d’actions communes qui eurent des retombées sur le théâtre. Voici un extrait d’un rapport de synthèse d’une réunion commune du 25 septembre 1963. Le chapitre s’intitule “ Intéressement des autorités publiques africaines à l’action culturelle ” : “ En ce domaine, le rôle personnel du conseiller culturel est essentiel, tant est grande la méconnaissance que les autorités des Etats peuvent avoir de l’importance de l’action culturelle comme facteur du développement, celle-ci ne figurant pas ou trop symboliquement dans les budgets d’investissement, plans quadriennaux ou décennaux des Etats. “Il faut à la fois rassurer et convaincre c’est-à-dire faire prévaloir nos conceptions ”, c’est pourquoi est proposé dans un Etat la mise à la disposition du gouvernement d’un conseiller à l’éducation populaire, cette terminologie étant admise largo sensu car elle recouvre en fait dans le cas précité l’action culturelle, l’enseignement aux adultes, l’éducation de base et l’éducation permanente. Cet agent, appartenant à l’assistance technique aurait pour tâche d’élaborer et de mettre en œuvre un programme coordonné d’action culturelle. La réalisation d’un tel projet, sa généralisation éventuelle, à d’autres Etats intéressant au premier chef les conseillers culturels qui auraient ainsi un correspondant direct en place dans l’administration des Etats, ils conditionnent même le succès des entreprises nouvelles, objet de la troisième partie de ce rapport.37 ” 37 CAC, versement 19810443, carton 29 : Ministère de la Coopération, Réunion des conseillers culturels et directeurs de centres culturels. Rapport de synthèse, 25 septembre 1963, p. 23 31


Cette politique d’éducation populaire est en effet partout présente dans les initiatives développées après 1963 par le Ministère de la Coopération. Elles s’appuient dans une large mesure sur le théâtre, instrument privilégié comme on l’a vu. En lien direct avec ces responsables, il faut également rappeler l’existence des assistants techniques présents au sein des conservatoires, dans les grandes capitales. Ces derniers ayant parfois la direction de ces établissements (nommés Instituts Nationaux des Arts [INA]). Les conflits entre conseillers culturels et assistants techniques (artistiques) sont encore plus nombreux. Ils seront abordés dans la deuxième partie de cette étude. B.Le théâtre en Afrique Après nous être intéressés à la politique de la France, à sa volonté d’imposer certaines de ses conceptions artistiques au continent noir, il convient maintenant d’accorder une place à l’Afrique elle-même. Dans le cadre de notre recherche, celle-ci apparaîtra souvent comme un acteur passif dans le cadre de ces « échanges artistiques ». Mais, au-delà de cet état de fait qui pourrait rapidement répondre du stéréotype, nous nous pencherons sur la situation du théâtre dans un certain nombre de pays africains. En effet, bien que l’autorité coloniale ait parfois étouffé certaines pratiques artistiques, elles n’en demeurent pas moins vivaces dans de nombreux endroits. On verra donc comment les nouveaux gouvernants africains ont souhaité orienter ce patrimoine et quelle fut également son utilisation par la France après les Indépendances. Dans un second temps, il nous faut nous pencher sur le cas particulier de Madagascar. Par son statut insulaire, ce pays n’est pas toujours englobé dans l’Afrique géographique mais reste un objet d’étude africaniste. Ce paradoxe est également valable lorsqu’il s’agit de théâtre. Enfin, la situation dans les autres pays africains sera pour nous un bon outil de comparaison suivant les politiques théâtrales qu’ils ont pu mener. 1.Les traditions de spectacles et leur utilisation Les “ arts de représentation traditionnels ” Les scientifiques et les administrateurs français en Afrique se sont très tôt intéressés aux formes d’expression artistique des populations autochtones. Dès les années 20, des gouverneurs de l’AOF tel M. Prouteaux38 se sont intéressés à ces questions. Le traitement est 38 PROUTEAUX, M., “ Premiers essais de théâtre chez les indigènes de Côte d’Ivoire ”, Bulletin du Comité d’Etudes Historiques et Scientifiques de l’AOF, Paris, Larose, 1929 [Tome XII, p. 448-475] 32


extrêmement marqué par le dédain du colonisateur sur le colonisé mais il nous permet de prendre connaissance d’une réalité invisible autrement. Dans ce contexte, il est intéressant de s’interroger sur les conséquences de ces regards sur la politique menée après les Indépendances par les successeurs de ces gouverneurs. Observe-t-on une certaine continuité ou du moins une influence sur la politique de diffusion artistique ? Les colonisateurs français ont à l’évidence fait preuve d’un esprit mimétique dans leur interprétation. Ils ont cherché des formes de théâtre et ont fini par les trouver tant leur volonté était grande. Néanmoins il convient de s’interroger sur la validité de leurs conclusions. Cette présentation des expressions artistiques africaines comme du théâtre doit être interrogée. Même si Prouteaux parle de “ premiers essais ”, il valorise du même coup ce patrimoine immatériel jusqu’alors inconnu. Dans quelle mesure ces formes ont-elles influencé les pratiques de théâtre à Ponty et, plus tard, les différentes formations proposées par la France ? En effet, on assiste dans la majorité des cas à un apport européen et non africain dans le déroulement de ces stages et autres tournées, même si, bon nombre d’animateurs déclarent accorder de l’importance à l’apport autochtone, nous verrons qu’il s’agit bien souvent d’un faire valoir. Les listes d’ouvrages théoriques demandés par les étudiants africains, les conférences menées par des spécialistes du théâtre montrent à quel point le théâtre européen est valorisé, aux dépens de ces expressions africaines39. Les apprentis comédiens africains sont évidemment sensibles à la mode européenne et ne souhaite pas se plonger dans des traditions qui n’intéressent souvent que les européens. Ils veulent légitimement se donner un profil universel et non une tradition “ ethnique ” qui ne rimerait à rien. Leurs demandes concernent l’avant-garde et non les traditions du passé, ils veulent nourrir leurs expériences des pensées de Stanislavski, Brecht ou encore Grotowski. Au final, les traditions semblent uniquement le souci des intervenants européens et des dirigeants africains qui souhaitent affirmer leurs spécificités dans le cadre de théâtres nationaux40. Pour toutes ces raisons, on peut attribuer la “ redécouverte ” et l’utilisation détournée de 39 De telles listes apparaissent souvent à la fin des rapports de stages fournis par les comédiens français à leur retour. Ils se font les échos des demandes de leurs stagiaires africains. Il nous est difficilement possible de savoir si ces appels sont suivis d’effet. En tous cas, les bibliothèques des Centres Culturels Français sont toujours décrites comme très bien pourvues en matière de théâtre. Que les auteurs de ces livres soient des théoriciens européens ou des dramaturges africains. On trouve également le répertoire français en grande proportion mais pas de théoriciens africains, et pour cause. 40 Il est cependant indéniable que certains groupes d’artistes souhaitent conserver leurs traditions. C’est par exemple vrai pour le groupe de danseurs rwandais confié à Catherine de Seynes lors de son stage au Burundi en 1974. Dans ce cas, leur statut de réfugiés les incite à la défense de leur patrimoine artistique. 33


formes ancestrales de représentation africaine à des intervenants européens. Cette observation est particulièrement vraie dans le cas des techniques traditionnelles que sont le n’deup41 au Sénégal et le kotéba42 au Mali. L’exemple de Philippe Dauchez est le plus significatif. Homme de théâtre français, coopérant artistique en poste au Cameroun dès 1975 puis à Bamako à partir de 1979, aujourd’hui à la retraite, il continue à promouvoir et à défendre le kotéba et ses vertus thérapeutiques43. Dans le cadre de l’hôpital psychiatrique de Bamako, il mène une large troupe de théâtre participatif dont l’effet sur les patients apparaît à beaucoup comme positif. On peut voir en cet homme un avatar contemporain de Charles Béart qui, comme lui, ne souhaite pas imposer une « culture française » mais vivifier les traditions africaines avec des méthodes occidentales. L’instrumentalisation par les gouvernants africains L’exemple le plus célèbre de l’instrumentalisation politique de troupes de théâtre en Afrique est celui des « ballets guinéens » de Keita Fodéba. Face à ces grandes orchestrations gouvernementales en faveur de la révolution nationale, on observe un intérêt croissant des nouveaux gouvernants africains pour les « arts traditionnels ». Dans certains cas, l’action culturelle de la France à contribuer à la diffusion de ces spectacles de plus en plus orchestrés par les partis au pouvoir. Au Zaïre, la France dépêche Jill et Denis Franco, ce dernier étant “ Mis à la disposition du Département zaïrois de la culture et des arts en qualité de Conseiller ” dès 1976. Il est l’acteur majeur de la “ régionalisation ” du ballet national, en opposition avec les pratiques centralisatrices qui avaient encore cours à l’époque. Le fait que les activités théâtrales soient supervisées par un français n’empêche pas le détournement politique de la création. Pourtant, Denis Franco avait déjà une solide expérience en Afrique. Jacques Scherer l’évoque dans ses carnets, lorsqu’il était professeur à l’Institut National des Arts d’Abidjan. A cette action sur place, il faut ajouter la diffusion internationale qui est réservée à ces troupes. Des festivals ont ainsi servi de vitrine à des troupes extrêmement politisées. Etait-ce de la part des organisateurs et des sélectionneurs un manque de connaissance des situations politiques et culturelles locales, un aveuglement dû aux liens qui unissaient les animateurs français et ces troupes nationales ? Alors que le Mwondo Théâtre avait déjà commencé à devenir une troupe intéressante pour le gouvernement de Mobutu Sese Seko. La participation 41 A l’origine, le n’deup est un exercice thérapeutique. 42 Mode d’expression du monde paysan, le kotéba ne semblait pas avoir d’utilité pour les masses urbaines. 43 Une biographie de Philippe Dauchez est en cours de rédaction par Pierre Chambert, inspecteur du théâtre au Ministère de la Culture. 34


au festival mondial de théâtre de Nancy apparaît comme une consécration : « En 1974, le journal African Arts de Los Angeles lui décerne le premier Prix du théâtre africain. De retour d’une longue tournée à travers les villages du Shaba, le Mwondo Théâtre va s’envoler dans les jours qui viennent pour la France, où il représentera le Zaïre au Festival mondial de théâtre de Nancy, avec “ Tafisula ”, une création collective basée sur une légende traditionnelle. “ Tafisula ”, “ Ca ne suffit pas”, disent les responsables du Mwondo qui pensent maintenant créer à Lubumbashi un véritable Centre de recherche théâtrale ”44 » Nul doute que l’ampleur internationale donnée à cette troupe par cette publication étasunienne et par le festival de Nancy fut alors une grande réussite pour les responsables culturels au Zaïre. En conséquence de quoi, à la fin des années 1970, le Mwondo Théâtre devint la « Compagnie du Théâtre National Mobutu Sese Seko/Section du Shaba ». La France soutint bien volontiers ces initiatives dans lesquelles on tentait de percevoir un semblant d’autonomie des troupes de théâtre. Pour les animateurs en charge de ces troupes, qu’ils soient Africains ou Français, la seule solution était de se laisser faire pour pouvoir bâtir au moins quelques spectacles sans arrière pensée politique. Il y avait en effet pour la France des raisons de craindre à la menace qui pesait sur son action artistique au Zaïre : “ La tentation était forte, dans ce contexte [bas niveau des élèves de l’INA de Kinshasa], de tenter de satisfaire à la demande des Autorités zaïroises, en affectant à l’Institut des coopérants enseignants comme cela a été pratiqué dans d’autres Instituts des Arts en Afrique. En 1978 le contexte d’une affaire récente relevant du domaine voisin du Théâtre National, affaire qui s’était soldée par l’expulsion d’un coopérant français45, nous a incité à la prudence : en matière artistique, les susceptibilités, inévitables dans ce domaine comme dans d’autres, sont souvent particulièrement aiguës et il est spécialement fâcheux qu’un coopérant censé apporter sa compétence puisse apparaître comme un rival. C’est donc en premier lieu dans le but d’éviter des conflits que, sur ce terrain, proche de l’idéologique et du politique, la décision a été prise d’une intervention limitée à ces “ coopérants occasionnels ” que sont les professeurs visiteurs. L’effet de ces missions, au nombre de douze à ce jour, (il faut ici souligner l’appui total apporté par le Bureau des Echanges artistiques), a été d’introduire au sein d’un organisme jusque là replié 44 Dossier spécial théâtre réalisé par le journal Elima du 7 mai 1975. (Conservé au CAC, versement 19840227, carton 2, liasse 8). 45 L’identité de ce coopérant n’est malheureusement pas connue. 35


sur des bases culturelles et techniques étroites, une matière théorique et pratique plus riche, des influences variées, renouvelées et bien acceptées dans la mesure où la brièveté des interventions ne les rendaient pas “ pesantes ” pour nos partenaires.46 ”

L’obsession d’un “ théâtre authentiquement africain ” A de très nombreuses reprises au cours de nos recherches, nous avons été confrontés à la thématique de l’authenticité et de toutes ses déclinaisons, en lien direct avec l’aspect traditionnel des spectacles. Toutes les sources, quelles que soient leurs origines énoncent ce principe, soit pour le stigmatiser, soit pour le défendre : il s’agit d’un véritable leitmotiv lorsqu’on aborde le théâtre en Afrique. Ce qui nous intéresse ici, c’est évidemment la genèse de ce concept que l’on voit s’intensifiant au cours de notre période d’étude. A qui profite til ? Il est employé dans des situations beaucoup plus nombreuses que le simple domaine théâtral mais en revanche toujours tourné vers la sphère culturelle. On peut facilement déceler une obsession française en la matière. Dès les représentations de 1937, les journalistes et les organisateurs de ces tournées mettent en avant le caractère authentique de ces spectacles de la même manière qu’étaient déclarés authentiques les indigènes exposés durant les expositions universelles et coloniales. Ainsi, dans les articles qui ont précédés ou suivis les représentations organisées par les élèves de l’école William-Ponty, voici ce que l’on pouvait y lire : “ Il ne s’agit nullement d’une redite de ces “ spirituals ”, revus par les Américains, ou de ces danses de claquettes que nous connaissons trop bien, mais de fabliaux naïfs où revit, en ses aspects multiples, l’âme de notre Afrique noire.47 ” De la même manière, “ Il convient de louer hautement les professeurs français de William-Ponty d’avoir recueilli cet héritage des vieux peuples africains – et loin d’en mépriser les manifestations peut-être naïves, de l’avoir en quelque sorte épuré et recréé dans l’âme de leurs élèves indigènes. Plutôt que d’infuser à ces jeunes hommes une culture étrangère à leurs races, ils ont pris et haussé jusqu’à nous ce qu’il y avait de beau et de grand dans les traditions populaires africaines : leur art théâtral.48 ” 46 CAC, Carton 2, liasse 8, lettre de Michel Phalippou, Conseiller Culturel de l’ambassade de France au Ministère de la Coopération, 23 avril 1982. 47 “ Un théâtre africain à Paris ”, Echo de Paris, 29/07/1937, article microfilmé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la côte R 135591. 48 “ Le théâtre africain à Paris ”, Paris-Soir, 18/08/1937, article microfilmé à la Bibliothèque de l’Arsenal sous 36


Ce concept fit par la suite le jeu des autorités françaises et africaines réunies. Pour deux raisons convergentes. La première consiste à construire des cultures nationales de manière rapide sans susciter la création, les anciennes autorités coloniales peuvent ainsi se dédouaner et prouver leur bonne foi en matière de liberté artistique. Dans un second temps, ce concept permet aux responsables africains de contrôler toute création qui pourrait faire ombrage aux régimes en place. Le manque d’authenticité est sans doute l’arme majeure des services de censure. Ce qui nous rappelle l’enjeu éminemment politique du théâtre en Afrique. Un rôle que l’on a du mal à percevoir au prisme des considérations occidentales. Dès les premières expériences de diffusion du « théâtre africain » en Europe, on mit également en avant ce caractère pour persuader les spectateurs de l’intérêt quasi ethnographique de ces productions. Voici deux exemples parmi les très nombreux dont nous disposons. Le premier donne une idée de l’appropriation de ce concept par l’ensemble du personnel diplomatique et administratif français. L’ambassadeur de France en Côte-d’Ivoire défend ainsi la troupe nationale de ce pays : “ Je précise que la CI qui dispose d’une Ecole de Théâtre et d’une troupe nationale est particulièrement intéressée par les vocations nouvelles du Théâtre des Nations dont elle reconnaît l’importance du rôle déjà joué pour la connaissance du folklore et du théâtre authentiques de l’Afrique./. 49” Ici, l’authenticité apparaît comme la plus anodine possible, elle est le descriptif absolu pour prouver la qualité d’une troupe. De tels discours se retrouvent à foison dans les critiques dédiées aux spectacles africains présentés au public français. Ainsi, dans l’article consacré à la première diffusion de théâtre africain à Paris après les Indépendances, voici ce que l’on pouvait lire sous la plus du très respecté Pierre Ichac50 : “ Certaines tribus furent transplantées de la brousse à Abidjan, à Bamako, à Dakar et de là conduites directement à Paris. C’est dire que leur authenticité ne pouvait être mise en cause.51 ” la côte R 135591. 49 CAC – Versement 19810010 – Carton n°63, lettre du 04/11/1970, de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Jacques RAPHAEL-LEYGUES, aux services de la Diffusion et des Echanges Culturels du Ministère des Affaires Etrangères. 50 Qui signe par ailleurs l’article de l’Encyclopaedia Universalis intitulé : 51 “ Le théâtre noir au Théâtre des Nations ” in Le théâtre dans le monde, vol. IX, n°4, hiver 1960, p. 345. Il s’agissait de la “ Revue trimestrielle publiée par l’Institut International du Théâtre avec le concours de l’UNESCO ”. L’IIT est encore aujourd’hui l’ONG qui s’occupe du théâtre dans le monde pour le compte de l’UNESCO. 37


La sémantique est ici très proche de celle employée dans le catalogue de l’exposition coloniale de 1931 au cours de laquelle on exposait également des “ tribus transplantées ” d’une grande authenticité. Dans les deux cas, ces présentations amenèrent un public immense et loin de se douter des préoccupations artistiques réelles des comédiens africains. 2.A l’avant-garde des politiques théâtrales : le Sénégal et la Côte-d’Ivoire Parmi les nouveaux états africains nés des Indépendances, un certain nombre apparaissent dès le départ privilégié par un passé colonial plus favorable. Dans le domaine du théâtre, ces pays sortent également leur épingle du jeu. Dans ces pays, la politique sera avant tout l’affaire de chefs d’Etat motivés et persuadés de l’intérêt prestigieux que peu apporter le théâtre. Dans leurs relations avec la France, le Sénégal et la Côte-d’Ivoire apparaissent comme de véritables moteurs de la politique artistique. Pour le théâtre, les motivations vont se traduire de manière autonome. Une politique ambitieuse Au Sénégal, le président Léopold Sédar Senghor fut très tôt reconnu pour ses activités poétiques et sa politique de grandeur se traduisit essentiellement par la construction d’un grand théâtre à l’occidentale en plein cœur de Dakar, le théâtre national Daniel-Sorano, premier du genre en Afrique de l’Ouest. En Côte-d’Ivoire en revanche, cette politique fut la préoccupation d’hommes de théâtre tout droit issus de l’Ecole William-Ponty. Bernard Dadié, auteur de pièces à succès devint ainsi ministre de la Culture de son pays, ce qui prouve un intérêt certain pour la chose théâtrale de la part des autorités. Au-delà de ces observations, il faut également remarquer que les hommes de théâtre africain ont toujours constitué une élite. Dans les premières années de la coopération artistique française, il faut se souvenir que le théâtre fut réservé aux “ évolués ”. Une situation qui s’est longtemps maintenue par la force des choses et que les nombreuses expériences que nous étudierons ont tenté d’estomper. Nous verrons dans quelle mesure elles y sont parvenues. Cet attrait des élites pour le théâtre reste une conséquence bien connue de la politique coloniale. Devant le peu de distractions occidentales proposées par les capitales africaines, la présence d’une tournée de théâtre était souvent vécue comme « un bol d’air ». Une situation qui est parfaitement résumée dans cet article rendant compte d’une tournée africaine : “ L’action du Théâtre d’Union Française est double. Tout d’abord, représenter devant les écoliers, particulièrement devant les autochtones, les admirables pièces du

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répertoire classique ; ensuite, apporter une certaine détente morale et un peu d’air de Paris aux Européens se trouvant loin de la Métropole, en leur présentant des pièces d’auteurs modernes. Ces deux répertoires, classique et moderne, sont joués dans la même proportion l’un et l’autre.52 ” Pour les “ évolués ” africains, le théâtre était l’une des rares manières de se frotter à cet “ air de Paris ” et de pratiquer les rites bourgeois qui accompagnaient toute sortie au théâtre. Cette situation ne pouvait être vraie que dans des capitales dotées d’une grande salle à l’italienne ou, à la rigueur, dans une salle de Centre Culturel bien équipée. On notera au passage la distinction opérée naturellement par l’auteur de ces lignes à la destination des répertoires classiques et modernes. L’auditoire adulte et payant était en effet plus réticent lorsqu’il s’agissait de spectacles classiques. L’alignement sur l’ “ ingérence artistique ” française Dans ces pays, l’intervention de troupes françaises est donc sollicitée pour assurer le prestige et former de nouveaux comédiens et de nouveaux spectateurs à l’influence européenne. Dans le domaine du théâtre comme dans beaucoup d’autres, la mise en place d’une coopération de substitution est de mise. Le théâtre ne suscite pas d’intérêt plus grand que celui proclamé par les autorités. La mise en place de théâtres nationaux et de conservatoires sous le nom d’Instituts Nationaux des Arts est une initiative entièrement française. Nous en verrons les modalités pratiques de mise en place dans la seconde partie. Les professeurs de ces institutions sont, dans la grande majorité des cas, des expatriés français. Le théâtre reste donc clairement un domaine réservé des services culturels dans les ambassades. Comme pour les autres domaines de la coopération de substitution, on ne rencontre que de rares réticences de la part des nouveaux dirigeants africains. De nombreux documents témoignent du processus administratif mis en place pour légitimer la coopération artistique. Ainsi, les conseillers culturels sont-ils chargés de susciter les demandes des plus hautes autorités pour que ces dernières effectuent les démarches d’une manière présentée comme autonome. Parmi d’autres exemples, Nicolas Grunitzky, président togolais fait cette démarche auprès de l’Ambassadeur de France : “ (…) il me serait extrêmement agréable que le Ministère de la Coopération puisse détacher à Lomé pendant les quatre ou cinq mois qui précédent la fin de l’année scolaire un des acteurs de la troupe pour servir de répétiteur, metteur en scène et éducateur en général des quatre ou cinq troupes scolaires de Lomé qui préparent pour 52 in FROMENT-GUIEYSSE, Ph., “ L’action culturelle du Théâtre de l’Union Française ”, Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, n°80, avril 1957, p. 165-166 39


la fin de leur année, la représentation de pièces empruntées généralement au théâtre classique français. (…) Je puis vous assurer que j’attache un intérêt tout spécial à l’envoi en mission par le Ministère de la Coopération de l’intéressé, et qu’il aura une tâche très importante sur le plan culturel pour contribuer au développement d’un art qui est un moyen d’expression particulièrement apprécié au Togo. (Salutations) Signé de la main du président Grunitzky.53 ” Pour les autorités françaises, il s’agissait de masquer la réalité en tentant d’expliquer ces interventions théâtrales par la demande des autorités africaines. Si le processus décisionnel se termine toujours par une telle formulation, il faut rappeler les pressions exercées par les Conseillers culturels pour obtenir de telles demandes écrites et officielles. La “ résistance à l’influence étrangère54 ” Face aux expériences des pays anglophones, peut-on parler de résistances nationales dans les pays de la coopération ? Si aucune expérience ne peut être comparée à celle du théâtre yoruba au Nigéria, on note un certain nombre d’initiatives qui marque une volonté d’en finir avec les formes artistiques importées. Au delà des discours, il convient de voir qu’elle fut la réelle portée de celles-ci. La plupart du temps, ces formes de résistance s’organisent pour mettre en avant des idées politiques et ainsi former des idéologies nationales. Le théâtre apparaît comme un vecteur possible et même sollicité par les dirigeants de pays comme le Gabon ou la Guinée. Ce dernier, de part son indépendance réclamée précocement, a toujours été suspecté par les autorités françaises. Nous verrons plus loin comment le gouvernement récupéra les ballets africains de Keita Fodéba pour en faire un instrument de propagande internationale du régime de Sékou Touré sous le nom de Ballets guinéens. La situation guinéenne est par exemple prise en compte dans un rapport qui vise la mise en place de conservatoires en Afrique de l’Ouest. Ainsi, “ On peut prévoir que cet Institut [Institut National des Arts (INA) d’Abidjan] pourra étendre son action sur une partie de la zone francophone de l’ex-AOF : Dahomey, Niger, Guinée, Haute-Volta, Mali, représentant 17 millions d’habitants. Pour le Sénégal qui a gardé la nostalgie de son ancienne situation de territoire pilote de l’exAOF c’est une autre affaire. Des facteurs politiques interviendront aussi (Guinée) dans 53 CADN, carton 368, Correspondance, 30/12/1963, Présidence de la République togolaise à Henri Mazoyer, ambassadeur de France au Togo. 54 Nous empruntons ce titre à Mme Ebun Clark, professeure spécialiste du théâtre du nigérian Hubert Ogunde. Cf. CLARK, Ebun, “ De la résistance à l’influence étrangère : théâtre au Nigéria ”, Recherche, Pédagogie, Culture, n°61, p. 60-64. 40


l’appréciation de cette zone d’action “ potentielle ”.55 ” L’auteur de cette note étant un « connaisseur de l’Afrique occidentale » , il n’est pas étonnant de trouver cette stigmatisation d’un pays réfractaire à toute initiative française. Ces craintes font en fait suite à toute une série de relations diplomatiques tendues sur tous les sujets. Pour une fois, le domaine artistique ne fait pas exception et oblige parfois l’ambassadeur de France à intervenir dans la programmation des tournées. Ainsi, le 1er octobre 1960, Pierre Siraud, ministre plénipotentiaire chargé d’affaires de France en Guinée répond à son ministère : “ 2°) Les réactions à ces deux projets [tournée du Théâtre d’Union Culturelle 56 + projet de l’Action Culturelle et Artistique pour les Echanges Internationaux] sont absolument imprévisibles. Les Autorités guinéennes peuvent laisser sans réponse la demande qui leur serait présentée voyant dans ces tournées une manifestation de propagande française ou au contraire leur réserver un accueil favorable pour marquer la différence entre le Culturel et le Politique. Le seul moyen de s’assurer de leurs intentions serait de les pressentir. 3°) Le choix des pièces devrait être particulièrement étudié. Je ne pense pas que “ Patate ” et “ Piège pour un homme seul ” soient le genre de représentations qui aient des chances de succès en Guinée. 4°) En tout état de cause, le prix des places à ces spectacles devrait être “ populaire ”, mais dans ces conditions couvrirait-il suffisamment les dépenses de ces tournées ? . /.57” Dans ces remarques que l’on croirait anecdotiques, se joue pourtant la stabilité des relations artistiques entre la France et la Guinée. La formulation utilisée par l’ambassadeur montre bien les susceptibilités à ne pas froisser. Ainsi, présenter des pièces de boulevard dans un pays brandissant la doctrine communiste comme moyen de cohésion nationale serait un faux pas majeur de la part des programmateurs. Comme en France, les pièces de ce type sont, par excellence, réservées à la classe bourgeoise. Quelques années plus tard, les coopérants français cherchèrent encore les meilleurs moyens de “ s’infiltrer ” dans le circuit artistique guinéen, très fermé comme on l’imagine. Dans un document rédigé à la suite d’une réunion 55 CAC, versement 19810010, carton 64. “ Note sur le projet de l’Institut National des Arts de la République de Côte d’Ivoire ”, note émanant du Ministère des Affaires Culturelles, 12 p. Rédigée par le responsable du bureau de l’enseignement musical et dramatique, ancien administrateur de la France d’Outre-mer. Signature illisible. Mars 1966. 56 On trouvera dans la deuxième partie un long développement sur les activités innovantes de cette troupe, p. ? ? ? 57 CADN, Service des échanges artistiques, carton 368. 41


des conseillers culturels, le 25 septembre 1963, le rapporteur remarque : “ Cette action du conseiller culturel [“ Concours français aux efforts de réalisation d’une production culturelle africaine ”] pourrait s’étendre à la “ revitalisation ” des centres ou foyers culturels africains existants, notamment les anciens “ cercles culturels ” pris en charge, en Guinée et en Côte d’Ivoire par exemple, par les jeunesses du Parti, mais dont l’état léthargique est presque total sur le plan culturel, faute d’animateurs et de moyens.” Par cet aveu, les conseillers culturels se rassurent également en constatant que les activités artistiques sont faibles dès lors que la France ne peut apporter le concours qu’elle souhaitait. La mise sur un pied d’égalité de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire montre également le trouble de cette période durant laquelle on ne sait comment orienter durablement une politique dont les nouveaux Etats tentent de minimiser les effets ? Signalons enfin les réactions gabonaises à ces pratiques de diffusion artistique. Les autorités de ce pays décident, à la fin de l’année 1978, de donner un caractère officielle à leur contestation, il l’intitule : « éthique artistique nationale ». Voici le programme de « résistance artistique » mis en œuvre : “ Le ministre gabonais de la Culture et des Arts, M. Marc Nba-Ndong a réuni le 23 novembre à Libreville les principaux responsables de la culture, ainsi que les attachés culturels des ambassades étrangères pour examiner avec eux “ l’éthique artistique nationale ”. M. François Rosira, directeur des Arts, a attiré l’attention sur le “ matraquage abusif des valeurs culturelles étrangères ”. Un “Comité de vigilance ” a été créé, ainsi qu’une Agence nationale pour la promotion artistique et culturelle (ANPAC). Pour se produire au Gabon, les artistes étrangers devront se soumette à une taxe allant de 2 à 15% des recettes, et accepter la participation d’artistes gabonais dans leurs spectacles. Ces derniers, qui se verront garantir un pourcentage sur les recettes de l’ANPAC devront obligatoirement demander à celle-ci une autorisation pour se produire en spectacle. Les organisateurs de spectacles d’artistes gabonais, sur le territoire national, devront verser un droit de 10% par (sic) les recettes à l’ANPAC. Le “ Comité de vigilance ” sera chargé de reconnaître les jeunes talents. Les artistes gabonais devront également verser un droit à l’ANPAC pour se produire à l’étranger. Un programme de spectacles sera mis en point (sic) par cet organisme.58 ”

58 CADN, DOSSIERS DE PRESSE – Carton 382 - AF/Gabon/C – 1960-2000, Chemise C5, article découpé dans « M.T.M. » du 05/01/1979 42


La volonté de grandeur La volonté de grandeur des dirigeants africains s’est matérialisée par le déroulement de festivals d’arts en général ou de théâtre en particulier. Les deux plus marquants sont ceux qui se sont déroulés à Dakar et à Alger dans les années 60. Ils se distinguaient tous par leur caractère panafricain. Lors du premier festival des arts nègres, en 1966 à Dakar, le théâtre occupa une place importante qui est restée gravé dans la mémoire de bien des spectateurs invités à y participer59. La “ grande mise en scène ” de la Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire par Jean-Marie Serreau, fut considérée comme une défense par la France de l’idée de négritude. L’engagement de la France ne se cantonna pourtant pas à cette seule initiative dont on peut légitimement se demander si elle aurait eu lieu sans son aide. Ainsi, les initiatives des dirigeants africains sont vraiment peu de choses sans la France. Dans le cas du festival de Dakar, la France mit sur pied un budget spécial de 388 300 francs pour un budget normal de 627 850 francs sur l’exercice 1965-196660. En revanche, ces festivals ont souvent été des tremplins pour les troupes nationales lancées dans les différents Etats. Un ambassadeur français s’en fait par exemple l’écho au détour d’une lettre : « Le Ministre de l’Education Nationale, avec qui notre Conseiller Culturel s’est entretenu, a marqué un vif intérêt pour les réformes envisagées. Il a émis le vœu que l’ensemble folklorique du Mali, qui fut primé au Festival d’Alger, puisse un jour grâce à elles se produire à Paris.61 » Le fait d’être sacré en Afrique avant de l’être à Paris n’était pas un petit événement pour des troupes au positionnement difficile vis-à-vis de l’ancienne métropole. Au niveau de l’implication des chefs d’Etat africains dans la création théâtrale, on peut enfin noter la proportion importante de ceux passés par Ponty et les autres qui souhaitent marquer leur intérêt pour le théâtre par la rédaction de pièces. L’exemple d’Omar Bongo, président gabonais, apparaît significatif tant les considérations politiques sont présentes dans son unique pièce. Voici comment la présentaient deux dépêches de la Nouvelle Agence de Presse, des 05 et 08/09/1975 : 59 Colette Scherer, Maurice Guillaud et Béatrice Méric nous ont tous trois fait part des souvenirs qu’ils gardaient de cet événement. Il est à l’origine d’un revirement dans la conception de la diffusion théâtrale pour ces deux derniers témoins qui ont participé au projet de Jean-Marie Serreau.

60 CAC, Versement 19810443 – Carton 12 MC 29 – Liasse “ Action culturelle. Divers ”, dossier de préparation de l’assemblé générale de l’ADEAC du 4 mai 1970. 61 Ambassadeur de France à Bamako, Maurice Courage in “ Réforme du Théâtre des Nations ” (CAC, versement 18810010, carton n°63) 43


« Le président Bongo, du Gabon : un auteur dramatique. Sa pièce “ Le Réconciliateur ” peut être “ l’exemple du théâtre traditionnel africain appliqué à la politique62 ”. Il s’agit en fait d’une pièce autobiographique en quatre actes à la fin de laquelle, « la résistance des opposants s’évanouit au premier contact. » ! Il ne s’agit pas du seul exemple de ce genre. En Afrique, plus qu’ailleurs, la mégalomanie des dirigeants est souvent passée par le théâtre. 3.Le cas malgache. Face à cette situation africaine générale, nous allons maintenant nous pencher sur le cas malgache qui nous apparaît très singulier. Les expériences réalisées sur l’île semblent avoir connu une longueur d’avance dans la majorité des cas. Cette situation tient sans doute au caractère particulier de la colonisation française à Madagascar et de la présence d’une langue et d’un peuple qui fédère l’ensemble de cet espace. Les traditions malgaches de représentation sont ainsi fortifiées et moins vulnérables à la volonté d’acculturation des autorités coloniales. Nous allons voir en quoi l’île fut un terrain d’expérimentation de la politique théâtrale ensuite mise en œuvre sur l’ensemble du continent africain. Une coopération moins déséquilibrée ? Dans sa partie consacrée à Madagascar, à la fin de son étude, Robert Cornevin63 nous rappelle la réforme du système scolaire de l’île par le gouverneur Gallieni dès 1895. Une réforme qui avait permis de faire entrer le théâtre classique français comme objet d’étude pour les élèves. Cette intrusion dans les programmes scolaires montre une volonté de former les élèves à l’art dramatique de la même manière qu’ils l’étaient dans les écoles de la métropole. Elle fait suite à une sensibilité des malgaches pour le théâtre développé par les missionnaires protestants anglais64 dès la fin du XIXe siècle. Une conception qui tranche avec la vision de Jean Rougerie, qui, dans son rapport sur sa première expérience à Madagascar, s’exclame : “ Ah ! S’il y avait eu des missionnaires pour le théâtre…65 ” Robert Cornevin, note également, à la suite d’autres auteurs, l’importance d’un homme 62 CADN, DOSSIERS DE PRESSE – Carton 382 - AF/Gabon/C – 1960-2000, Chemise C44 63 Le théâtre en Afrique noire et à Madagascar, p. 269. 64 Idem, p. 266. 65 Orsay, carton 422, Rapport moral concernant la tournée théâtrale faite en république malgache par les troupes de Jean ROUGERIE et Odeam RAKOTO du 1er mai au 15 juin 1963, 113 p. 44


politique et auteur de la classe de Jacques Rabemananjara, qui, ayant travaillé au Ministère de l’Outre-mer, a pu sensibiliser l’administration française à l’importance du théâtre, dès 1938. Plus que cet historique, c’est la langue malgache qui a déterminé la teneur des échanges théâtraux franco-malgaches. Voici par exemple le point de vue d’un observateur français sur la question : “ Cette dualité d’objectifs [“ 1. Assurer la présence française par la diffusion de la culture française et ainsi que l’expansion de la langue française / 2.Favoriser le développement culturel des peuples africains dans la ligne de leur tradition et de leur personnalité en utilisant et même en encourageant, le cas échéant, le mode d’expansion qui leur est propre : les langues vernaculaires. ”] peut être à l’origine d’un conflit de langue dans certains Etats, en particulier à Madagascar où il existe vraiment une culture autonome dans une langue nationale : le malgache.66 ” Une prédominance qui n’existe dans aucun autre des Etats de la Coopération dans lesquels plusieurs langues coexistent. Quelques pionniers de l’action théâtrale française à Madagascar C’est donc dans un cadre très particulier que se sont déroulées quelques expériences innovantes sur l’initiative d’hommes de théâtre engagés. Si ces expériences se sont déroulées en parallèle à celles que nous présenterons ensuite dans le fil chronologique, il nous a paru difficile de ne pas dissocier l’expérience malgache. Comme on vient de le voir, l’omniprésence de la langue nationale a beaucoup joué sur les techniques utilisées par les intervenants français pour approcher les publics de l’île. C’est dans cet esprit que la collaboration avec des troupes locales a pu s’engager pour la création de spectacles. Deux intervenants français travaillèrent ainsi activement avec celui qui est souvent présenté comme le Bourvil ou le Fernandel malgache : Odeam Rakoto. Raymond Hermantier et Jean Rougerie ont ainsi successivement expérimenté des spectacles classiques en français et malgache. Des expériences qui ont amené la création de l’IMADEFOLK (Institut Malgache de Folklore), dont les statuts ont été rédigés conjointement par Hermantier et Rakoto. Plus tard, le comédien français Pierre Debauche, à la tête du groupe d’essai du théâtre des Amandiers tenta également une expérience à Madagascar. Il se démarque des actions précédentes en apportant aux Malgaches des textes contemporains dont l’accueil positif étonne les responsables français : « M. Dieudonné Mandelkern : N’avons-nous pas l’air d’opposer un théâtre destiné à 66 Orsay, carton 431, compte rendu de la “ Journée d’Etudes ”, “ Le théâtre et l’éducation populaire en Afrique noire francophone ”, 17 mai 1966. 45


l’ensemble des Africains qui nous intéressent, à un autre théâtre qui devrait être présenté pour la satisfaction de l’Ambassadeur et du milieu diplomatique et gouvernemental ? Cette catégorie de public semble préférer le théâtre à l’italienne. Si l’on se tournait vers le théâtre moderne, celui-ci n’offrirait-il pas la possibilité d’échapper au cérémonial dont parlait Monsieur Ronfard, et de satisfaire un peu tous les publics. M. Jean-Luc Toulouse : Je pense, en effet, qu’un spectacle moderne ou antique pourrait répondre à ces exigences. M. Maurice Guillaud : Sur ce plan, l’expérience de Madagascar, où le “ groupe d’essai ” de Pierre Debauche présente “ En attendant Godot ” de Samuel Beckett, est un succès. Le public malgache “ marche ” à fond.67 » Il faut également noter les réactions de certains spectateurs malgaches : « Ce sont les jeunes, particulièrement les étudiants qui ont le mieux “ reçu ” nos spectacles. Cela tient évidemment beaucoup au choix du répertoire. Nous ne prétendons pas qu’il faille montrer à Madagascar uniquement du théâtre moderne ou d’avant-garde, mais il est certain que ce théâtre, plus que le théâtre classique, peut inciter des vocations d’artistes et de techniciens. Dans certains débats ; le conflit de générations était manifeste. A certains spectateurs qui nous demandaient : “ Pourquoi Godot à Madagascar ? ”, d’autres jeunes spectateurs répondaient : “ Pourquoi Marivaux à Madagascar ? ” Et nous ajoutions “ Pourquoi le théâtre africain à Paris ? ” Pour le théâtre des Nations ? Pourquoi la culture doit-elle être universelle ? ” Notons que certains Malgaches, loin d’être désorientés par Godot, reconnaissaient dans Vladimir et Estragon deux personnages traditionnels de leur folklore, Ikotofetsy et Mhaka.68 » La troupe de Nanterre abandonne donc la collaboration avec les troupes « folkloriques » pour présenter des spectacles plus exigeant mais dont le succès va donner quelques idées pour les 67 CAC, Versement 19810010, carton 63, réunion d’études sur le thème de l’apport du “ Théâtre et de l’Animation Culturelle ”

68 CAC, Versement 19810010, carton 63, compte rendu de la « Tournée du groupe d’essai du théâtre des Amandiers en République Malgache du 20 janvier au 15 avril 1967 », 27 p. Il s’agissait de la deuxième phase du projet initié par Pierre Debauche avec le Centre Culturel Albert Camus (CCAC) de Tananarive sous la direction de Bernard Mounier dès 1966. Une troisième et dernière phase était prévue pour 1968. Elle n’a laissé aucune trace dans les archives.

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tournées suivantes sur le continent. 4.Le regard français sur le théâtre dans les pays “ hors champ ” Comme on l’a vu, les échanges artistiques avec l’Afrique dépendent depuis les origines de deux entités administratives françaises. Ainsi, le Ministère des affaires étrangères s’occupe de la partie non colonisée par la France et délègue la diffusion artistique à une association qui lui est liée depuis l’origine, l’Association Française d’Action Artistique (AFAA). Du côté des pays colonisés par la France, le Ministère de la Coopération assure un rôle quasi similaire. Une situation complexe qui ne simplifie pas la tâche de l’action artistique en Afrique. En fait, le Ministère des Affaires Etrangères apparaît aujourd’hui gagnant dans un combat latent pour assurer la domination dans le choix des œuvres et des politiques artistiques mises en œuvre. Le fait d’avoir distingué deux types d’Etats africains et de les avoir confié à des organismes indépendants marque bien l’ancrage de la politique théâtrale dans le cadre de la coopération culturelle et non dans celui de la “ diffusion artistique ” appliquée partout ailleurs par le Ministère des Affaires Etrangères et l’AFAA.. Imposer la francophonie dans ces pays Malgré la défiance que nous venons d’évoquer, il existe des preuves d’une collaboration sereine entre les deux administrations. Ainsi, en février 1969, Maurice Guillaud, alors en charge de la politique théâtrale pour le compte du Ministère de la Coopération, fut chargé d’une mission par l’AFAA, à propos de pays relevant de cette dernière. A savoir : le Rwanda, le Burundi, le Kenya, l’Ile Maurice et l’Ethiopie. Jusqu’à cette date, des sondages effectués dans les archives de l’AFAA montrent un intérêt quasiment nul pour la diffusion du théâtre sur le continent noir. Cette idée est d’ailleurs explicitement confirmée par Maurice Guillaud qui débute ainsi le rapport relatif à cette mission : “ la mission dont j’ai été chargé par l’AFAA, au Rwanda, au Burundi, au Kenya, à l’île Maurice et en Ethiopie, pays qui, pour la plupart ne bénéficient d’aucune activité d’Action Artistique Française, fait apparaître qu’une intervention dans ce domaine est tout à fait souhaitable dans ces Etats. 69 ” Au-delà des considérations qui amènent l’auteur du rapport à revenir sur le développement des infrastructures pouvant accueillir des spectacles de qualité, on est aussi en présence d’un discours sur les intérêts français dans ces pays. Ainsi, le concept de francophonie apparaît 69 CAC, carton 12MC29, liasse “ Action culturelle. Divers. ” 47


clairement. En examinant la politique d’aide à la formation théâtrale dans les pays anglophones, on peut indirectement déduire les principes qui nourrissent cette même politique pour l’espace francophone. Le discours étant souvent moins clair pour les anciennes colonies. Ainsi, voyant les trois raisons qui, selon Maurice Guillaud, impose à la France de développer sa politique à destination de ces espaces : « 1) “ La francophonie : réalité au Rwanda, au Burundi et à l’Ile Maurice. 2) L’influence culturelle française dans le passé en Ethiopie, pays officiellement anglophone. 3) L’influence culturelle à exercer au Kenya, où ce besoin naissant est déjà nettement marqué. » La politique d’action artistique a donc ici un but très clairement marqué : la francophonie. Ces moyens d’action ne sont pas moins clairs, ils doivent, entre autres, passer par le théâtre : « La nécessité de donner la primauté à l’action théâtrale : moyen direct d’échange avec le public. La nécessité de lier cette action culturelle traditionnelle qui est la représentation théâtrale, à cette autre action culturelle particulière qu’est l’animation en milieu scolaire. Ceci afin de donner des impulsions nouvelles et plus profondes là où notre langue est enseignée, afin de multiplier l’effort entrepris pour la diffusion de notre langue. Toute action théâtrale étant particulièrement coûteuse par l’aspect collectif de la création théâtrale et l’importance des moyens matériels nécessités, sa réalisation implique une opération globale, une mise en commun des moyens financiers des divers secteurs intéressés. (…) » L’intérêt de ces trois propositions se trouvent être l’extrême proximité avec la programmation réservée à l’Afrique sous domination française. On peut évidemment y voir une intention de l’auteur de vouloir rapprocher l’action des deux administrations dont il est proche et qui profiteraient de cette communauté d’action. Cette idée est d’ailleurs renforcée par la dernière proposition qui suggère la « mise en commun des moyens financiers ». Au delà de cette question purement administrative, il faut relever la place exclusive faite au théâtre. A aucun moment, il n’est fait référence au cinéma ou à toutes autres formes de diffusion d’œuvres artistiques. Ceci tient à la qualité de l’auteur, homme de théâtre, et non à une quelconque politique officielle de la France. La coopération théâtrale avec les pays “ hors champ ” Dans l’évolution des rapports théâtraux avec les pays placés hors du champ de la coopération, les archives consultées ne permettent pas de conclure à la mise en place d’une politique

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ambitieuse. De manière générale, les espaces non francophones semblent avoir été délaissés, de la même manière que par l’AFAA durant les années de colonisation. Dès les premières tournées, les échanges artistiques sont réservés aux anciennes possessions. L’exemple de la grande tournée de l’Avare, mis en scène par Jean Vilar en 1966, est assez éclairant. Voici la liste des pays traversés du 3 février au 4 avril 1966 : Mauritanie, Sénégal, Mali, HauteVolta70, Niger, Côte-d’Ivoire, Togo, Dahomey71, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Gabon, Congo Brazzaville. Cette liste nous montre combien les rapports sont faibles avec les pays dont les communautés francophones sont restreintes. Elle prouve à nouveau les objectifs de la politique du théâtre pour l’Afrique. Il ne s’agissait pas de diffuser massivement un modèle mais de l’imposer coûte que coûte dans les anciennes colonies. La tournée de l’Avare est à cet égard un exemple toujours cité par les responsables des tournées qui l’ont suivie, jusqu’à la réduction des crédits que nous étudierons plus loin. Seul le Théâtre de l’Union Française (TUF) semble avoir innové quelque peu, et à destination d’un seul pays, délaissé par la suite par les services de la coopération : l’Afrique du Sud. Dès ces premières tournées africaines, cette troupe accorde un intérêt tout particulier à ce pays. L’Afrique du Sud représentait une destination assez stratégique. Pour les concepteurs de ces tournées, le grand pays anglophone était sans doute une vitrine importante pour le reste de l’Afrique. Montrer des pièces à Johannesburg équivalait à la participation à un festival africain francophone. L’Afrique du Sud représentait certainement un enjeu de diffusion. On peut par exemple trouver des coupures de presse de journaux sud-africains relatant la tournée du Théâtre d’Union Française dans ce pays en 196172. De part son nom, il est inutile de préciser que cette troupe n’avait pas vocation première à tourner en dehors des possessions françaises, ce qu’elle fit d’ailleurs à de très rares reprises. Max Palenc, directeur de cette troupe évoque d’ailleurs le rôle de plaque tournante de l’Afrique du Sud, parmi les grandes capitales de l’Afrique francophone : “ C’est ainsi que je dois en principe gagner Madagascar en Novembre pour la sélection de la Troupe Nationale Malgache qui viendra en Avril au Festival des Nations de Paris, je rejoindrai donc la troupe, qui doit débuter par Dakar, par Johannesburg Salisbury, Brazzaville, Abidjan.73 » 70 Nom qui était encore donné officiellement au Burkina-Faso. 71 Bénin 72 CADN, carton 368

73 CADN, SERVICE DES ECHANGES ARTISTIQUES, Carton 368, Lettre de Max Palenc à Mme Fradet, secrétaire générale de l’AFAA, 21/10/1960. 49


A notre connaissance, l’initiative du Théâtre d’Union Française est restée l’une des seules soutenues par les services français en ce tout début des années 60.

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II.L’évolution des pratiques de coopération théâtrale Après nous être intéressés aux motivations de la politique théâtrale de la France à l’égard de l’Afrique, nous connaissons les principaux objectifs que s’étaient fixés les premiers responsables des services de la coopération artistique. Il convient maintenant d’étudier finement les pratiques mises en œuvre pour atteindre ces buts. Dans un premier temps, nous reviendrons sur les initiatives individuelles initiées avant les Indépendances et qui ont, dans une large mesure déterminé les politiques publiques. Il fallait faire vite lorsque le Ministère de la Coopération fut créé, l’Afrique était la proie de nombreux pays occidentaux qui souhaitaient y importer leurs cultures. La France pouvait tirer son épingle du jeu dans un certain nombre de domaines et c’est ce qu’elle fit en observant les quelques initiatives déjà en place. A t-il était décidé de s’intéresser particulièrement au théâtre parce qu’on y avait décelé une arme politique dans le jeu des partis et mouvements qui souhaitaient se délester plus efficacement de la France ? A t-on pensé la politique artistique comme l’un des moyens supplémentaires d’assurer l’hégémonie de la langue et de la culture françaises ? En d’autres termes, le théâtre a t-il était mis au service de la francophonie ? Des questions dont les réponses pourraient paraître évidentes mais qui nous confrontent à une réalité bien plus complexe. Une réalité faite d’artistes et de créateurs qui ont, chacun à leur manière, trouvé un intérêt à donner ou recevoir durant les formations dispensées dans le cadre de cette coopération théâtrale. Après les institutions, observée dans la première partie, l’échelle humaine nous permet de comprendre d’autres enjeux de ces “ échanges artistiques ”. A.Les premières expériences avant les Indépendances Dans une étude sur la diffusion théâtrale en Afrique, il peut paraître étrange d’évoquer des expériences s’étant déroulées… en France. Pourtant, toutes sont des conséquences de l’action artistique mise en œuvre après les Indépendances, en observant les quelques réalisations antérieures. C’est pourquoi il faut mentionner ici ces premiers « échanges ». 1.Un premier exemple de troupe africaine en France : les Ballets de Keita Fodéba Pour trouver la première expérience de troupes africaines présentant une pièce de théâtre selon les canons occidentaux en France, il faut remonter en 1937. A l’époque, au moment d’une nouvelle exposition internationale, les dirigeants de l’école William-Ponty décident de montrer leurs créations au public parisien, c’est un épisode maintes fois relaté mais finalement 51


assez mal connu. Les archives sont en effet rares à ce sujet et nous n’avons pu consulter que quelques articles épars74 qui indiquent la répercussion médiatique moyenne de l’événement, littéralement noyé parmi un flot de spectacles provenant du monde entier et présenté au Théâtre des Champs-Élysées. Un théâtre des Nations avant l’heure. Pour que les spectacles africains obtiennent un succès public et médiatique, il faut attendre l’apparition de la troupe de Keita Fodéba sur les scènes parisiennes et françaises au sortir de la seconde guerre mondiale. Pour montrer toute la spécificité et la nouveauté de ce genre de créations, il faut tout d’abord revenir sur la figure riche et ambiguë du meneur de troupe qu’était Keita Fodéba. Historique / biographie succincte Comme bien d’autres étudiants africains de ces années d’après-guerre, Keita Fodéba 75, né en Guinée en 1921, décide de poursuivre ses études à Paris. Il les avait débutées dans les traditionnelles écoles tenues par les missionnaires et poursuivi sa scolarité au sein de la prestigieuse école William-Ponty, alors à Dakar. Malheureusement, nous n’avons trouvé de documents ni même la moindre allusion sur son éventuelle expérience théâtrale au sein de cette école. Il nous est permis de penser qu’il y a pourtant été sensibilisé à l’importance des spectacles et des arts dans la diffusion de la pensée politique. Comme sa formation l’y amenait presque automatiquement, il devint enseignant jusqu’à son départ pour la Sorbonne en 1948, où il étudia le Droit. C’est à partir de ce moment qu’il développa ses talents artistiques, commençant par écrire des poèmes et des nouvelles qui exaltent la liberté des Africains. Il est ainsi l’une des voix de l’anticolonialisme à une époque charnière du processus de décolonisation. On notera également que Fodéba fut un pur produit de l’éducation coloniale. Cette formation est semblable à celle de nombreux autres dramaturges en puissance, d’abord destinés à l’enseignement. Seulement, chez lui, cette formation s’est doublée d’une profonde conscience politique et historique. Il décide donc d’exprimer ses idées par un biais que lui ont enseigné ceux qu’il dénonce : les arts de la scène. Dans le même ordre d’idée, il déclare en 1949, lors d’un récital donné à Paris sous les auspices de l’hebdomadaire communiste “ Les lettres françaises ” : “ Le speaker note que la guitare a été ajoutée aux instruments traditionnels et que KEITA FODE BA a fait remarquer : “ Nous prenons à l’Occident ce qu’il a de bon et

74 La teneur de ces articles a déjà été mentionnée dans le passage consacré à la quête de l’authenticité. 75 Nous empruntons la majorité des informations biographiques concernant Keita Fodéba à la notice publiée dans : JAHN, Janheinz, SHILD, Ulla, NORDMANN, Almut, Who’s who in african literature, Tübingen, Erdmann, 1972 52


nous rejetons le reste. 76” Il s’agissait donc d’un jeune africain qui s’engagea dans l’art dans un but directement politique. Ce que les autorités coloniales ont sans doute le plus redouté. C’est pour empêcher ce type de “ dérives ” que l’on souhaita instamment valoriser les “ cultures traditionnelles ” d’une Afrique authentique, c’est à dire qui se tait. La censure française à son égard Keita Fodéba, un premier exemple d’artiste africain engagé, fait peur. C’est pourquoi ses œuvres sont rapidement interdites sur le territoire africain alors sous contrôle français. Le résultat est connu, il n’est pas meilleure publicité pour une œuvre que d’être censurée. Ainsi, les disques sur lesquels sont enregistrés les textes de ses spectacles se vendent très bien en France, surtout dans le milieu communiste. La presse de gauche donne une résonance que ces œuvres n’auraient peut-être pas eue si l’interdiction n’avait été prononcée par le gouverneur du Sénégal le 28 octobre 1949. Ainsi, le quotidien Ce soir ou l’hebdomadaire Les lettres françaises. Les activités de Keita Fodéba sont en tous cas suivis de près par les services du Ministère de la France d’Outre-Mer dont certains fonctionnaires ne manquent pas de zèle à son sujet. On dispose ainsi d’un compte rendu détaillé et d’échanges épistolaires très informatifs sur les motivations de cette censure. L’appartenance de Fodéba au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) et ses sympathies pour le mouvement communiste motivent la plupart des mesures prises à l’encontre du groupe d’artistes. Concernant le récital précédemment mentionné, le fonctionnaire décrit le public de la manière suivante : “ Effectivement la salle était pleine. On peut évaluer le nombre des assistants à 200 environ, parmi lesquels “ l’Intelligentsia ” communiste et apparentée, de nombreuses personnes de type préchrétien, des étrangers appartenant sans doute au glacis soviétique, quelques ethnologues et amateurs de folklore africain. Par contre, on ne comptait que cinq noirs. ” L’absence de public africain dans la salle rassure. C’est ce qui explique cette mise en exergue. Il faut absolument enrayé la diffusion de ces idées par le biais très populaire du spectacle. Surtout à Paris, ville dans laquelle étudie l’élite africaine, principal vecteur de pensées politiques sur le continent. Cette censure est à rapprocher de la naissance des premiers Centres Culturels français, quelques années plus tard. Nous avons vu que ces centres ont représenté un asile pour bon nombre de spectacles interdits par les nouveaux régimes issus des Indépendances. Mais, avant les Indépendances, il nous faut constater que la politique à l’égard 76 CAOM, Fonds ministériels, Affaires politique de l’AOF, Questions culturelles, carton 2127, dossier 10. “ Compte rendu du récital donné par KEITA FODE BA à Paris, le 26/11/1949. ” 53


du théâtre était tout autre. Les thèmes des spectacles ne correspondant pas aux attentes des autorités, on suscita d’autres créations beaucoup plus conformes à ces mêmes attentes. L’ouverture aux scènes mondiales grâce à Sayaret La suite de l’histoire des “ Ballets guinéens ” puis “ Ballets africains ” est beaucoup plus un enjeu financier qu’artistique. On ne sait pour quelles raisons, Keita Fodéba choisit la modération et le polissage de ses idées politiques en échange d’un rayonnement international pour son groupe. C’est dans le développement international de ses activités qu’intervient l’impresario français Gérard Sayaret. Spécialiste des tournées de danse classique, Gérard Sayaret assiste un jour à un spectacle des danseurs guinéens et les trouve fort mauvais. Néanmoins, il pense pouvoir relever la qualité artistique de ces spectacles et en faire un produit apprécié du public. La disparition de toutes initiatives d’inspiration politique était-elle la condition sine qua non du rayonnement de ces spectacles ? A t-elle été motivée par la reprise en main de M. Sayaret. On ne serait être affirmatif sur ce point. D’autant que la disparition progressive des textes engagés au profit de la danse semble à l’initiative de Keita Fodéba qui, dès le début des années 50, présente des spectacles de la sorte. Dans ses mémoires77, Gérard Sayaret se présente tout de même comme le principal responsable du succès de ces spectacles. Lors d’un entretien téléphonique, il déclarait même que ces représentations étaient les premières à présenter des Africains au public français. Seuls les Londoniens avaient pu profiter des spectacles du ballet Bassouka auparavant. Nous avons vu en quoi cette affirmation est fausse mais également les raisons qui peuvent la fonder. Jusqu’à son entrée en politique en mai 1957 au poste de Ministre de l’Intérieur dans le premier gouvernement installé par Sékou Touré, Keita Fodéba resta la star africaine incontestée. 2.Une tournée d’un type nouveau : la Compagnie des Quatre Les lecteurs du Figaro du 2 février 1950, ont découvert l’aventure d’un groupe de jeunes acteurs français dans les termes suivants : “ La Compagnie des Quatre qui était partie pour l’AOF vient de quitter Dakar, après avoir joué dans cette ville qui depuis dix ans avait été privée de théâtre. Ils y ont joué dix fois chacun de leurs spectacles : Les Amants terribles, Trois-Six-Neuf et Gala 1900, mais ils ont dû bâtir leur théâtre et il leur fut interdit de présenter La petite hutte. Quant au public, Pierre Ringel qui nous écrit, nous indique que les spectateurs noirs adorent les films de gangsters, les westerns, et les grandes mises en scène genre 77 SAYARET, Gérard, Mémoires d’un joueur, s.l., s.d., opuscule publié à compte d’auteur. 54


“ Mille et une nuits ”. Quant un spectacle leur plaît, ils reviennent tous les jours, rient aux mêmes endroits. Dernièrement ils ont mis le feu à un cinéma parce qu’une scène avait été coupée. Il en est de même (pas tout à fait) au théâtre, et les pièces que présentait la Compagnie des Quatre avaient des spectateurs fidèles qui riaient un quart d’heure avant les effets qu’ils attendaient. Les jeunes comédiens viennent de quitter Dakar pour Saint-Louis, Bamako, Konakry, Abidjan et Brazzaville. Ils prévoient à leur retour, en avril ou mai, de créer Sincèrement, de Michel Duran, à Dakar. (…) 78” Les villes traversées à l’époque par la « Compagnie des Quatre » sont une avant-garde du circuit emprunté communément par les troupes envoyées intensivement par la suite. Les raisons sont bien évidemment circonscrites aux quelques commodités disponibles dans ces capitales et surtout à la masse de population susceptible d’assister à ces représentations, en premier lieu, les résidents français. Les installations théâtrales ne sont évidemment pas des réalités dans ces villes. La preuve est ici donnée par l’absence d’une quelconque scène à l’occidentale dans une ville aussi développée que Dakar. C’est donner une idée de la difficulté des représentations dans une ville comme Brazzaville. Dans son récit de voyage79, Pierre Ringel ne se positionne pourtant pas comme un missionnaire du théâtre de brousse mais uniquement comme un artiste motivé par l’exotisme de cette expédition. Il était accompagné par deux comédiennes et un comédien qui, seuls, devaient s’occuper de tous les aspects techniques, artistiques et commerciaux (collage des affiches, vente des billets,…). Les quelques pièces mentionnées par l’article du Figaro montre assez le répertoire choisi par cette petite troupe. Le boulevard y prédomine et indique le public visé par ces pièces : les Français expatriés et les Africains « évolués » presque uniquement. Par cette tournée, ces jeunes acteurs inaugurent quand même un genre assez neuf, parfois décrié en France même. En cette année 50, les premières directives officielles apparaissent pour le développement de la décentralisation théâtrale. Les premières « Maisons de la Culture », véritable œuvre des décentralisateurs n’apparaîtront que dans les années 60. En Afrique, les premières structures de type similaire, les Centres Culturels Français, n’apparaissent que quatre ans après cette tournée qui se déroule sans aucun support technique de cette qualité. Tous ces éléments donnent une idée de la motivation de cette compagnie d’aller défendre le théâtre en Afrique.

78 “ Le théâtre à Dakar ”, Figaro, 02/02/1950

79 RINGEL, Pierre, Molière en Afrique noire ou le Journal de quatre comédiens, Paris, Presses du livre français, 1950, 126 p. 55


3.Une expérience décisive : le Théâtre de l’Union Française (TUF) C’est toujours en l’absence de structure propre de diffusion que vont se multiplier les projets de tournées destinés à l’Outre-Mer. L’action du Théâtre d’Union Française (TUF) apparaît décisive en ce domaine. Directement créer pour des tournées hors métropole, cette troupe fut invitée par le général de Lattre de Tassigny dès 1952 en Indochine80. Son action nous paraît être à l’origine même des voies finalement suivies par le Ministère de la Coopération dès sa création. Il convient donc de décrire avec précisions les activités de cette troupe et les motivations qu’elle trouve à tourner dans le monde. La genèse du Théâtre d’Union Française (TUF) C’est au sortir de la seconde guerre mondiale, en mars 1945, lors du Congrès national du spectacle qu’est envisagée la création d’une troupe de théâtre qui exercerait ses activités dans l’ensemble des territoires sous domination française. Si le premier pays visité est l’Indochine, les pays africains apparaissent vite les plus traversés. Ce qui correspond évidemment à la forte proportion africaine des dépendances d’outre-mer. Si elle répond à une quasi mission de service public de la culture, la troupe du Théâtre de l’Union Française ne se dote pas moins d’un statut de Société Anonyme à la fin de l’année 1952. Disposant ainsi de la forme juridique permettant d’effectuer de nombreuses tournées. Voici la répartition des pays visités : “ A la date de janvier dernier [1957], soit en un peu plus de cinq ans, l’AEF, le Cameroun, le Congo Belge ont été visités six fois, l’AOF et le Togo cinq fois, quatre fois Madagascar, la Réunion, le Cambodge, la Côte française des Somalis et l’Ethiopie, une fois le Maroc, le Laos et le Pakistan. En 1500 jours de voyage, devant 750 000 personnes ; l’ensemble des déplacements donne le chiffre de 450 000 kilomètres.81 ” Ce circuit représente une véritable innovation, nettement plus ambitieuse que celle de la Compagnie des Quatre, précédemment citée. Il ne connaît de comparaison qu’avec les compagnies envoyées en tournée à travers le monde sous les auspices de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) qui utilisera quelques fois ses services. Mais au départ, l’organisation est autonome est ne dépend pas de l’autorité publique. Le Conseil d’Administration est d’ailleurs dirigé par des acteurs, “ ce qui est rare dans les annales théâtrales contemporaines ” selon Ph. Froment-Guieysse. Ils inaugurent la répartition entre 80 FROMENT-GUIEYSSE, Ph., “ L’action culturelle du Théâtre de l’Union Française ”, Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, n°80, avril 1957, p. 165-166. Consultable au CAOM. 81 Ibidem 56


publics scolaire et coloniaux. Le théâtre classique est réservé aux premiers tandis que les seconds préfèrent des textes contemporains, d’inspiration boulevardière. Le répertoire est riche et se compose de pièces que nous retrouvons de façon presque automatique pour toutes les troupes : Corneille (Le Cid, Polyeucte), Racine (Britannicus), Molière (Les femmes savantes, Les fourberies de Scapin, Le médecin malgré lui, L’école des femmes, Le misanthrope, Le Malade imaginaire, Le bourgeois gentilhomme), Regnard (Les Folies amoureuses), Marivaux (Le jeu de l’amour et du hasard), Beaumarchais (Le barbier de Séville), Musset (la Nuit d’octobre) pour les classiques. Anouilh, Guitry, Giraudoux, Roussin, Achard, Cocteau, Daudet, Claudel, Feydeau, Salacrou, Audiberti, Verneuil, pour les modernes82. Alors que ce premier répertoire répond précisément aux programmes scolaires, le second fait la part belle aux divertissements en vogue à Paris à la même époque. La reconnaissance officielle Devant le succès rencontré par cette troupe et les difficultés financières inhérentes à l’éloignement de ces différentes étapes de tournée, il lui fallait absolument obtenir de l’aide public et éventuellement un statut autre que celui de Société Anonyme. “ Ce n’est que grâce à l’aide des budgets locaux et du ministère de la France d’Outremer que le Théâtre d’Union Française a pu subsister. Le 1er mars 1955, l’Assemblée de l’Union française avait pourtant demandé que lui soit donné un statut. Elle invitait le Gouvernement à considérer cet organisme comme un des centres dramatiques français et à le subventionner de la même manière, proposition qui a été votée à l’unanimité, mais qui, à ce jour, n’est restée qu’à l’état de proposition. Or il semble anormal qu’une telle troupe qui sert ainsi notre cause outre-mer – alors que de gros efforts sont faits dans certains de nos ex-territoires pour laisser subsister la culture française (qui risque cependant, hélas ! d’y disparaître) – ne soit pas traités de la même manière que le sont les centres dramatiques dotés de statuts, ainsi que le TNP83, et à ce titre subventionnés. Le Théâtre d’Union Française a pourtant au moins la même action culturelle. A ce sujet, un des meilleurs témoignages recueillis est exprimé par “ Viet Nam Presse ” : “ Si dans dix ou vingt ans il reste ici quelque chose de la France, nous le devrons à Corneille, nous le devrons à Molière que les comédiens du Théâtre d’Union Française ont inscrit à leur répertoire à côté de Giraudoux. Nous le devrons à ces bons serviteurs de l’art français qui poursuivent contre vents et marées, avec une obstination 82 Ph. FROMENT-GUIEYSSE et programmes contenus dans les cartons 367 et 368 au CADN. 83 Théâtre National Populaire, alors au théâtre de Chaillot, à Paris. 57


et un désintéressement d’apôtres, une œuvre vraiment utile, une œuvre vraiment française.84 ” Suite à des problèmes d’attribution et de compétences ministérielles entre le ministère de la France d’Outre-mer et de l’Education Nationale, il semble que les statuts administratifs et financiers du TUF n’aient pas été clarifiés rapidement. Le Théâtre de l’Union Française cristallise à lui seul le changement d’orientation de la politique théâtrale de la France. A sa création, la vocation première de cette troupe était de s’adresser aux Européens exilés à travers les colonies. A l’approche imminente des Indépendances, les ministères se penchent sur ses activités et souhaite réorienter les représentations à destinations des publics africains. C’est à partir de cette réorientation que des subventions vont être attribuées peu à peu. Nous disposons de quelques documents qui nous informent de cette situation quelque peu paradoxale. L’Etat commence à financer au moment où les productions profitent de moins en moins à ses citoyens. Nous avons là une illustration supplémentaire de la politique volontariste à l’égard des populations africaines. En revanche, dans une lettre du 10 mars 1952 à la direction générale des Relations Culturelles, l’ambassadeur de France en Ethiopie fait part de sa déception. Il n’a pas été mis au courant de la visite du TUF dans son pays de résidence. Selon lui, son passage a néanmoins “ été marqué par un incontestable succès. Il est seulement regrettable que je n’ai pas été avisé plus tôt et que je n’ai pas connu à l’avance la qualité de cette troupe car il eut été certainement possible de la faire jouer au Palais de l’Empereur devant un public éthiopien et de la faire servir ainsi plus utilement notre propagande culturelle. ” Cette représentation de Polyeucte de Corneille n’a donc été vue que par des Européens et peut-être quelques “ évolués ” africains. Ces premières tournées n’avaient que peu d’effet sur les populations locales. Cette remarque diplomatique en est la preuve. L’inadéquation du répertoire proposé était totale. Le Théâtre d’Union Française n’entretient pas moins des relations de plus en plus étroites avec l’administration qui lui attribue des subventions annuelles. Le TUF sollicite également le ministère des Affaires Etrangères, par le biais de l’AFAA. Il n’obtint pas satisfaction sur le plan financier. En 1954, le Conseil d’Administration de l’Association accorde son “ patronage moral à une entreprise qui gère trois troupes de manière difficile" et demandait à ce titre une subvention d’un montant total de 3 000 000 d’anciens francs. Il faut attendre 1957 pour ressentir un net tournant dans la politique artistique à l’égard de l’Afrique. Le 17 avril de cette année, une réunion interministérielle a lieu à la Présidence du Conseil sous l’autorité du 84 FROMENT-GUIEYSSE, Ph., op. cit., p. 166. 58


Directeur de Cabinet du “ Ministre délégué à la Présidence du Conseil ”. Sont notamment présent, MM. Philippe Erlanger, directeur de l’AFAA et Jean-Jacques Daubin, de la ComédieFrançaise, représentant le Théâtre d’Union Française. Voici les conclusions de cette réunion : “ 1 - Il a été reconnu à l’unanimité que la qualité artistique du Théâtre d’Union Française rendait très souhaitable que l’Etat lui donna les moyens de poursuivre régulièrement ses tournées dans les régions qu’il parcourt ordinairement et qui relèvent soit, du Ministère de la France d’Outre-mer, soit du Secrétariat d’Etat aux Arts et Lettres (La Réunion), soit du Ministère des Affaires Etrangères (Congo belge, Etats Associés, Ile Maurice) 2 – Il apparaît que la meilleure formule soit d’assimiler le Théâtre d’Union Française à un centre dramatique et que le budget destiné à l’alimenter soit inscrit au budget des Arts et Lettres, afin de lui ôter tout caractère de propagande. 3 – Il a été, en définitif, préconisé que deux subventions fixes soient inscrites au bénéfice du Théâtre d’Union Française, l’une au budget des Arts et Lettres (sous réserve que M. le Secrétaire d’Etat modifie sa position), l’autre au Ministère de la France d’Outre-mer. Le Théâtre d’Union Française bénéficierait en outre de subventions variables selon les circonstances provenant les unes du MAE, ou de l’AFAA, les autres des Gouvernements Généraux intéressés. 4 – Un organisme interministériel serait constitué à la diligence du secrétariat d’Etat aux Arts et Lettres afin de contrôler l’activité du Théâtre d’Union Française et de se prononcer, tant sur son répertoire et la composition de sa troupe que sur ses itinéraires. Il est entendu que ses dispositions ne pourraient prendre effet qu’à partir de 1958.85 ” Dans ce cadre, un contrat est établi entre l’AFAA et le Théâtre d’Union Française le 7 janvier 1959 pour une subvention de trois millions de francs, montant plusieurs fois réclamé mais jamais obtenu86. Ces conclusions amènent plusieurs remarques. Vouloir faire du Théâtre d’Union Française un centre dramatique n’est pas nouveau, des propositions avaient déjà été faites en ce sens. Ce qui étonne ici, c’est la motivation avancée pour prendre ce statut. En cette année 1957, le gouvernement français est plus que jamais soucieux de son image en Afrique. Il veut absolument éviter tout amalgame entre théâtre et propagande. Il s’agit bien 85 CADN, Service des échanges artistiques, carton 367. 86 Dès 1956, le Théâtre d’Union Française avait obtenu une subvention de 500 000 francs de l’AFAA dans le cadre d’une tournée au Congo belge et à l’Ile Maurice. Ce qui prouve une nouvelle fois la volonté délibérée de ne pas subvenir aux besoins de tournées organisées dans l’espace de la “ France d’Outre-mer ” mais uniquement dans les pays du ressort du Ministère des Affaires Etrangères. 59


évidemment d’une position de façade qui ne doit pas faire oublier le contexte. Les Indépendances sont imminentes, chacun des processus mis en œuvre par les ministères à l’égard de l’Afrique s’en ressent. Au final, ces conclusions resteront pour la plupart des vœux pieux. Seule l’aide financière sera effective, les autres mesures envisagées ne seront repensées qu’avec les Indépendances effectives. La mise en faillite du Théâtre d’Union Culturelle 87 est prononcée en juin 196588. B.La prise en main des tournées par le Ministère de la Coopération 1.Les premières tournées organisées par le Bureau des échanges artistiques Officialiser les expériences antérieures Face au succès d’une compagnie comme le Théâtre d’Union Culturelle, le Ministère de la Coopération, nouvellement créé réagit. Nous avons vu plus haut qu’elle était son organisation en matière d’échanges artistiques. Maintenant, il convient d’observer la mise en pratique de cette politique dans le cadre précis de cette administration. Les attributions assignées au Bureau des Echanges artistiques mettent clairement en avant son programme : “ L’envoi d’hommes de théâtre expérimentés doit permettre la création ou le développement de troupes permanentes. L’expérience tentée récemment à Madagascar avec Raymond Hermantier et la Compagnie Marcel [sic]89 Rougerie en liaison avec la troupe malgache d’Odeam Rakoto doit être renouvelée au cours de la prochaine saison dans un Etat africain. L’accueil des manifestations artistiques africaines se matérialise par l’aide aux troupes africaines qui participent au Théâtre des Nations, à l’organisation de stages pour les artistes africains. (…) Le Bureau des échanges artistiques donne un avis au service des Bourses dans le choix des artistes candidats à un stage. Le recensement est en cours afin de connaître les artistes africains venus en France pour se perfectionner dans leur art.90 ” Dans cette profession de foi, la filiation avec les

premières expériences malgaches est

clairement exprimée. Curieusement, aucune mention n’est faite des expériences du Théâtre 87 Avec les Indépendances, le Théâtre d’Union Française devient Théâtre d’Union Culturelle, à la demande du gouvernement qui ne souhaite pas d’amalgame. Les auteurs qui différencient ces deux compagnies font erreur. 88 CADN, Service des Echanges Artistiques, carton 368. 89 Il s’agit bel et bien de JEAN Rougerie, homme de théâtre français. 90 Orsay, carton 431. 60


d’Union Culturelle qui, comme nous l’avons vu, sont plus développées. (Il y a t-il une volonté de se démarquer de cette expérience initialement privée pour ne valoriser que la politique publique ?). Selon le témoignage de Claude Visinet des Presles, le Bureau était principalement dédié à la signature de contrat de tournées organisées directement pour le compte du ministère. Malheureusement, aucun exemplaire de ces contrats ne figure parmi les archives que nous avons pu consulter. Néanmoins, nous connaissons quelques unes des missions qui entrèrent alors dans ses attributions91. Il semble qu’elles aient été préparées directement par le ministère sous l’appellation mystérieuse d’“ Organisation théâtrale française”. Une dénomination mentionnée par un seul document : le “ Rapport moral concernant la tournée théâtrale faite en république malgache par les troupes de Jean Rougerie et Odeam Rakoto du 1er mai au 15 juin 1963 ”. Celui-ci présente une liste des collaborateurs : “ Organisation en France : Ministère de la Coopération : MM. DEBRIX, GODON, VISINET DES PRESLES, Mlle RAOUL-DUVAL ” Nous connaissons les fonctions officielles de ces trois messieurs, Jean-René DEBRIX était directeur du service cinéma, il devint un grand spécialiste de cette question92. Claude Visinet des Presles était, comme vu précédemment, directeur du bureau des échanges artistiques. Georges Godon était, en tant que directeur de la division des échanges culturels, le supérieur hiérarchique des deux précédents. La responsabilité directe de ces tournées incombées donc à de hauts fonctionnaires qui n’avaient pas de talents spécifiques d’impresario.

91 Cf. Tableau 3 92 Parmi ces œuvres, on peut noter : Les fondements de l’art cinématographique, Paris, Le Cerf, 1960. Et quelques articles parmi lesquels : “ Le cinéma africain ”, Afrique contemporaine, n°38-39, juillet-octobre 1968, n °40, novembre-décembre 1968 ; “ Naissance d’un cinéma négro-africain ”, Coopération et développement, n°29, février-mars 1970 ; “ Dix ans de coopération franco-africaine ont permis la naissance du jeune cinéma d’Afrique noire, Sentiers, janvier-février 1973 ; “ Entretien avec Guy Hennebelle ”, Afrique littéraire et artistique, premier trimestre 1977. Un développement et une démarche qui suivent de près ceux du théâtre. 61


THEATRE

Récitals

poétiques

et

littéraires

TARRES-MURVIL Récitals Yves TARLET Récitals poétiques Pierre VIALA Marionnettistes Jacques CHESNAIS Compagnie du Mime Marcel MARCEAU Théâtre d’Union Culturelle Troupe des Tréteaux ROUGERIE “ Vive les vacances ” Lydia EWANDE

Jean

Nombre

Elites

de

citadine

séances

s

230

Publics touchés Populations Public urbaines

scolaire

*

* * * *

37 38 66

* *

* *

15

*

*

*

54

*

*

*

45 12 2

*

Public de brousse

* *

*

*

*

*

*

Tableau 9 – Les premières tournées organisées par le Bureau des Echanges artistiques93

A la lecture de ce tableau officiel, plusieurs faits apparaissent d’emblée. Le public scolaire semble le plus courtisé puisque huit spectacles sur neuf lui sont destinés. L’ancrage du théâtre dans le milieu scolaire est ainsi largement renforcé par les actions du Ministère de la Coopération. Les petits groupes d’acteurs sont privilégiés, pour des raisons que l’on imagine avant tout financières. Quelques grandes compagnies telles celle du Mime Marceau ou encore le traditionnel et novateur Théâtre d’Union Culturelle. Un total de 499 représentations dans l’ensemble des pays de la Coopération en l’espace de trois ans (1961/63). Auxquelles il faut ajouter 113 concerts, 114 conférences diverses et 17 expositions, tous étant soutenus par le même budget. L’importance du théâtre est donc très tôt affirmée mais sous des formes que l’on qualifiera d’expérimentales. Le « récital » est très en vogue. Il ne réclame que quelques comédiens voire seulement deux pour le couple composé d’Armand Tarres et Mme Murvil. C’est cet effectif réduit qui leur permet de réaliser une si longue tournée. Le programme de conférences Parmi les conférences organisées au début des années 60, on note une nette volonté de dispenser les us et coutumes des arts de la scène européens. A ce titre, des universitaires, des dramaturges et comédiens sont mis à contributions. Comme le souligne l’un des premiers rapports d’activité de la Direction de la Coopération culturelle et technique, les conférences 93 Ministère de la Coopération, Direction de la Coopération culturelle et technique, Rapport d’activité 1961/1963, p. 82 62


sont un atout mais ne doivent pas représenter un poids financier : “ Le Ministère de la Coopération n’a pas cru devoir, jusqu’à présent, mettre en place des circuits de conférenciers. Par contre, il met systématiquement à profit le passage dans les différents Etats des personnalités appelées à participer à des missions, colloques, congrès ou séminaires pour organiser une tournée et leur demander d’exposer, à un public généralement choisi, les problèmes de leur spécialité.94 ” Parmi 114 conférences données durant ces années, 40 ont été réalisées par le seul metteur en scène Raymond Hermantier. Les quatre autres intervenants sont des membres du Ministère qui interviennent de manière plus limité. Jean Debrix réalise par exemple 26 conférences sur le cinéma et touche tous les publics, des élites citadines au public de brousse. Ce qui n’est pas le cas du théâtre qui n’arrive pas encore à atteindre la brousse faute de projets qui lui soient spécifiquement dédiés95. 2.La création d’une structure autonome : les débuts de l’Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels (ADEAC) (1963-1972) Face à cette situation anormale qui plaçait une administration en position d’imprésario, la hiérarchie souhaite réorganiser ce fonctionnement et déléguer ces activités à un organisme officiellement indépendant. En observant le précédent de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA), la meilleure solution semble de créer une association indépendante. L’Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels (ADEAC) est ainsi déclarée en préfecture de police le 31 juillet 196396. A l’exemple de l’AFAA, elle est organisée en instrument de prestige pour la diffusion de spectacles français sur les scènes des pays de la coopération. Elle est prise en main par un haut magistrat, bâtonnier du Conseil d’Etat, Louis Fougère. Ainsi dirigée, l’association devait suivre les objectifs qui lui furent fixés par le Ministère avec ses statuts. Parmi les dix-sept articles qui les composent, voici celui qui définit ses objectifs : “ Elle a pour mission : •

d’organiser, seule ou en participation, avec tous tiers ou sociétés, en France ou dans les Etats africains de langue française et à Madagascar, des

94 Ministère de la Coopération, Direction de la Coopération culturelle et technique, Rapport d’activité 1961/1963, p. 85 95 idem, p. 82 96 CAC, Versement 19810443, carton 29, dossier « Préparation AG ADEAC 1970, note à l’attention de M. Herly. 63


manifestations artistiques et culturelles conformes à son but. •

de faciliter par tous les moyens la réalisation de manifestations artistiques et culturelles, organisées par la Direction de la Coopération Culturelle et Technique au Ministère de la Coopération.97 ”

D’après ces deux alinéas, le lien qui unit l’ADEAC à l’Etat est clairement fixé, de même que sa tutelle avec le Ministère de la Coopération. Durant ces vingt années d’activités, cet opérateur resta toujours dans l’ombre des manifestations qu’il organisait, les ambassades et autres centres culturels étaient toujours présentés comme les organisateurs de telle ou telle tournée. L’ADEAC n’est citée qu’à de très rares reprises. Est-ce un choix délibéré de laisser cette association dans l’ombre pour ne mettre en avant que la volonté de la puissance publique ? Un départ difficile Durant la première année de fonctionnement de l’ADEAC, on observe une certaine continuité dans la production de tournées et dans le programme que s’assignent les deux partenaires : l’association et son ministère de tutelle. Il faut attendre 1964 pour observer les premiers changements. Le recrutement d’un secrétaire général pour l’association est effectué. On choisit un homme de théâtre, plus à même de décider des orientations artistiques. Maurice Guillaud est recruté pour ses expériences multiples dans le domaine du théâtre. Un événement survient pourtant dès le mois de février de cette première année de fonctionnement. Une modification des objectifs entraîne un nouveau dépôt de statuts. Il semble que l’ADEAC soit en quête d’indépendance et c’est ce qu’elle obtient. S’appuyant sur un président puissant et sur un Conseil d’Administration de plus en plus prestigieux, l’ADEAC souhaite se démarquer du Ministère et devenir autonome, du moins sur le plan artistique. Sur le plan financier en effet, l’ADEAC resta à la merci des responsables du Ministère de la Coopération. La subvention de ce dernier représentant l’essentiel des subsides de l’Association98.

97 Orsay, carton 431. 98 Cf. tableau 4. 64


1976 1977 1978 1979

Crédits coopération 1 170 000 1 082 000 2 392 421 1 989 297

Total des produits 1 570 616 1 921 595 3 277 615 4 098 464

Crédits coopération (en %) 74.50 % 56.30 % 72.90 % 48.50 %

Tableau 10 - Parts des subventions de la Coopération dans les budgets de l'ADEAC99

Pour officialiser cette légère prise d’autonomie, on décide la convocation d’une Assemblé Générale extraordinaire, un peu plus de six mois après l’Assemblée Générale constitutive. C’est dire la difficulté avec laquelle on met sur pied un programme d’action théâtrale pour les Etats africains. La lecture des objectifs modifiés montre clairement de nouvelles orientations : “ Elle [l’ADEAC] a pour mission : •

d’entreprendre toutes les études nécessaires pour assurer le développement de manifestations artistiques et culturelles en Afrique et à Madagascar.

de préparer un programme de tournées théâtrales et de manifestations Culturelles et Artistiques dans les Etats Africains et Malgache d’expression française.

d’organiser toutes activités prévues au programme de tournées théâtrales et de manifestations culturelles et artistiques en France et dans les Etats Africains et Malgache et assurer l’exécution de toutes les opérations afférentes à ce programme.

de mettre au point un programme de stages et d’études pour la formation d’artistes et de techniciens du spectacle en Afrique.100 ”

On y décèle deux nouvelles orientations au moins. La première consiste à prospecter dans les pays d’Afrique pour réaliser des programmes que M. Maurice Guillaud qualifie d’ “ intégrés ”101, c’est à dire qu’ils ne sont pas entièrement pensés à Paris puis imposés aux responsables de la culture en Afrique, qu’il s’agisse des conseillers culturels français ou des ministres chargés des questions culturelles. Sur ce point il sera intéressant de prendre la mesure de cette « intégration » dans la suite de notre étude. Dans un deuxième temps, l’alinéa quatre affiche une claire ambition de formation qui n’était absolument pas à l’ordre du jour 99 Orsay, carton 1946, « Compte rendu du Conseil d’Administration du 23 septembre 1980 ». Les autres produits proviennent ici de « Participation aux activités » et « Produits accessoires et financiers » 100 Orsay, carton 431. Statuts modifiés lors de l’Assemblée Générale extraordinaire du 11 février 1964, 17 articles. 101 Expression employée sur le CV de Maurice Guillaud et évoquée lors de notre entretien téléphonique réalisé le 09 juin 2004. 65


avant l’arrivée d’hommes de théâtre pour la réalisation des programmes. Cette initiative part d’un constat simple et lucide. On ne peut pas envisager la création théâtrale sans un minimum de règles et de techniques. Cet aspect n’était pas oublié dans le cadre de la coopération scientifique et technique mais il semble que la culture pouvait prospérer et se structurer sans aucune formation, par le simple “ contact des cultures ”. Si la mise sur pied d’un programme de stages n’a évidemment pas pu être envisagé sans l’accord du ministère de la Coopération, il faut reconnaître l’apport d’une structure comme l’ADEAC. Moins préoccupés par les affres de la diplomatie culturelle, les hommes de théâtre qui composaient son conseil d’administration ont souhaité privilégier une approche artistique. Nous verrons dans quelle mesure ils y sont parvenus. La programmation des premières années Durant les huit premières années de l’ADEAC, on assiste à la mise en place d’une série d’actions théâtrales qui seront peu modifiées durant les vingt années d’existence de l’association. Seules les proportions de chacune d’entre elles vont changer significativement ainsi que les lignes budgétaires qui leurs étaient attribuées. Les tournées de prestige Suivant ses objectifs, l’ADEAC met donc en place un ambitieux programme de tournées dans l’ensemble de l’Afrique francophone. Ces tournées reçoivent des moyens importants pour visiter un grand nombre de capitales. Si le rayonnement de la France est sans aucun doute passé par ces tournées de prestige, il ne faudrait pas gonfler le bilan de celles-ci. En s’adressant à des publics urbains dans la quasi totalité des cas, les programmeurs partaient de quelques règles simples : nous avons à faire à un public francophone, éduqué et sensible aux formes contemporaines et classiques du théâtre parisien. En ciblant ce milieu, il est évident que les spectacles s’adressaient à une tranche minoritaire de la population africaine. Le public expatrié en revanche venait nombreux à ces spectacles et les élites africaines pouvaient aisément se frotter à la notabilité. Pour ce type de spectacles, l’ADEAC n’eut qu’à s’inspirer de la programmation jusqu’ici opérée directement par le Ministère. On retrouve donc une part importante des spectacles proposés aux pays africains de 1960 à 1963. 1ère convention : 1er août 1963 – 31 décembre

Pierre Viala et Théâtre d’Union Culturelle

1963

Compagnie du Chesnais, Ballets du Cameroun, Lydia Ewandé, Raymond Hermantier

2ème convention : 17 janvier 1964 – 31 mai 1964

66


3ème convention : 16 juillet 1964 – 31 décembre 1964 4ème convention : 1er janvier 1965 – 31 mai 1965

5ème convention : 1er juin 1965 – 1er juin 1966

6ème convention : octobre 1966 – mars 1967

7ème convention : 1er juin 1967 – 31 mai 1968

8ème convention : 1er juin 1968 – 31 mai 1969

9ème convention : 1er juin 1969 – 31 mai 1970

Pierre Wozlinski, Festival de Berlin, Pierre Viala, Petits Chanteurs à la Croix de Bois, Albert Botbol, Bachir Touré, Daïandre, Raymond Hermantier Théâtre d’Union Culturelle, Renée Faure (Les heures théâtrales de France), Brigitte de Beaufond, Tarrés-Murvil, Albert Botbol Henri Cordeaux, Pierre Debauche, Raymond Hermantier, Pierre Viala, Jean Vilar – Tournée de l’Avare, Brigitte de Beaufond, Trio Cormier, Jacques Sherer, Petits Chanteurs, Stage Hermantier et Botbol, Tarrés-Murvil Jean-Pierre Ronfard, Henri Cordreaux, Maurice Jacquemont, Jean Davy, Marionnettes, Pierre Debauche, TarrésMurvil Pierre Debauche, Maurice Jacquemont, Jean Davy, Gérard Sayaret, Tarrés-Murvil, Henri Cordreaux, Raymond Hermantier, Paul Savatier Alain Motard, Grenier de Toulouse, compagnie des Champs-Elysées, comédie des Alpes, Grenier de Toulouse, Compagnie des Champs-Elysées. Tarrés-Murvil, Grenier de Toulouse, Comédie des Alpes, Madagascar, Missions Dasté, Sayaret-Lazzini

Tableau 11 - Les collaborateurs de l'ADEAC durant les premières années102

Les missions d’étude Face à la prise d’autonomie de l’ADEAC sur le plan artistique, le Ministère de la Coopération confie également à l’ADEAC des études d’ordre logistique. Par le biais de missions spécifiques confiées à l’association, la Direction de la Coopération Culturelle et Technique souhaite vérifier l’utilité et l’efficacité de son action sur le terrain. Il s’agit pourtant de conditions d’études bien particulières. En effet, l’ADEAC se trouve être à la fois juge et partie ! Voici par exemple une fiche de mission pour l’année 1965 : “ Exposé des motifs Les échanges artistiques sont l’un des moyens les plus évidents du rayonnement de la culture française en Afrique. Leur développement est actuellement entravé par l’absence de structures d’accueil et de moyens d’expression locaux dans le domaine du 102 CAC, Versement 19810443, Carton 29 67


théâtre. En outre, cette absence prive les Etats Africains de la possibilité de valoriser un patrimoine artistique et de mettre les qualités éducatives du théâtre au service de la promotion de leur public. Il est clair que tout effort entrepris en faveur du théâtre africain ne portera de fruit que lorsqu’aura pu être dégagée une vue d’ensemble de la situation actuelle du théâtre dans les Etats considérés (salles de spectacles, troupes, folklore, écoles d’art dramatique) ; celle-ci devrait permettre de définir les différentes modalités que pourrait revêtir notre aide en faveur du théâtre africain à l’avenir. Analyse de l’objet -

recensement des salles et lieux scéniques et de leur équipement

-

problèmes suscités par l’organisation des tournées : circuits, choix des pièces, interprétation

-

possibilités de création d’associations de spectateurs

-

théâtre d’amateurs

-

formation de comédiens et de techniciens (en Afrique et en France) : stages (d’initiation et de confirmation), établissements d’enseignement existant sur place (valeur de l’enseignement, débouchés possibles), études et stages en France. Organisme chargé de l’étude : ADEAC Personnel : 2 personnes Date : 1965 Durée : 2 mois Estimation globale : 60 000 F103 ”

Cette subjectivité prise en compte, il convient de se pencher avec une attention accrue sur les rapports de missions résultants de ces directives ministérielles. On y trouve consigné un nombre important de données techniques, artistiques et matérielles sur la question du théâtre en Afrique. Il n’est pourtant pas étonnant de trouver des recommandations sur les politiques culturelles et plus spécifiquement théâtrales à conduire dans les divers pays. Les chargés de mission ou même les troupes rendant un rapport après leurs tournées ont souvent utilisé ces comptes rendus comme de véritables tribunes. Il nous est malheureusement impossible de 103 Orsay, carton 431. “ Les conditions de développement d’un théâtre africain ” “ Etude socio-culturelle ”, 1965 (Document émanant du Service de la Coopération Culturelle à la Direction de la Coopération Culturelle et Technique) 68


déterminer dans quelle mesure ces comptes rendus étaient pris en compte dans l’établissement des tournées suivantes. Le programme d’éducation théâtrale En parallèle à ces spectacles destinés au grand public, quelques initiatives à visée pédagogique sont organisées. Il ne s’agit pas de la priorité du moment. On fait tourner des conférenciers plus ou moins prestigieux qui ont la charge de diffuser quelques rudiments d’histoire du théâtre, des expositions, parfois sans lien avec le monde des arts. L’observation des budgets suffit pour connaître l’intérêt porté à ce type d’initiative. 15 000 francs dans le cadre de la première convention quand le théâtre en reçoit 165 000 et la musique 40 000. Sept ans plus tard, dans le cadre de la 9e convention (1er juin 1969-31 mai 1970), les proportions restent inchangées. 665 000 francs sont alloués aux tournées quand le secteur de l’animation ne perçoit toujours “ que ” 124 052 francs. Durant cette première période, seules les modalités d’intervention évoluent peu à peu. On cesse les conférences et l’on demande aux troupes de réserver une partie de leurs tournées à des exercices d’animation comme ils se pratiquent en France dans les centres dramatiques. Devant la difficulté de concilier les deux exercices, on s’achemine vers des voyages séparés, les uns étant consacrés à la représentation, les autres à l’explication ou à l’enseignement. A la lecture des statuts modifiés, les stages apparaissent pourtant comme un objectif important. Il y a lieu de penser que les fonctionnaires et diplomates du Ministère de la Coopération ont freiné cette volonté émanant de l’ADEAC. Avec son droit de regard sur l’ensemble des comptes et activités, le principal bailleur de fonds restait aussi le décisionnaire malgré l’indépendance légale de l’association. Selon Maurice Guillaud104, les diplomates en poste en Afrique ont toujours confondu prestige de la France, diffusion de la langue française, Francophonie et diffusion théâtrale. Ce qui explique en partie leurs réticences à des stages qui laissaient peu ou prou le champ libre aux intervenants. Nombreux sont les maîtres de stages a s’être rendu compte de la meilleure improvisation des stagiaires dans leurs langues maternelles plutôt qu’en français. De nombreux ambassadeurs et conseillers culturels n’étaient pas prêts à voir l’action artistique de la France se transformer en passeur de la pensée brechtienne ou autre. La tournée restait donc un moyen plus sûr, aux contrôles plus aisés que les stages et autres tournées d’animation. Le public scolaire Au final, le théâtre a été diffusé en Afrique principalement par la voie de l’école et du milieu enseignant. Les responsables de l’ADEAC se souviennent de cette histoire lorsqu’ils 104 Entretien téléphonique du 09/06/04. 69


préparent les tournées : « Enfin, M. Fougère a constaté que l’enseignement, solidement organisé, constitue actuellement en Afrique un des rares moyens d’influence possible. Or, cet enseignement ne fait qu’une place très faible à l’enseignement artistique, alors que la musique, la danse, le théâtre pourraient être des moyens excellents de formation des enfants. Puisque les professeurs manquent, n’est-ce pas à l’échelon de l’Ecole Normale que l’on pourrait appliquer les premiers efforts en ce sens ?105 » Le public scolaire est toujours considéré comme un panel de référence pour les nouveaux spectacles. Les troupes françaises qui se rendent en Afrique, le font donc avec un souci d’adéquation avec le théâtre enseigné à l’école. Un public est ainsi automatiquement assuré. Sur la réception de ces spectacles, on dispose de précieux témoignages d’élèves des établissements scolaires de Fort-Lamy qui, mieux que personne, porte un jugement corrosif sur les spectacles qui leurs sont présentés106. 3.Le tournant du début des années 70 En 1969, après six années d’exercice de l’ADEAC en tant que structure autonome, les services de la Coopération culturelle se penchent sur le fonctionnement et le coût de l’association qui fonctionne toujours de manière autonome. Cet intérêt accru intervient au moment où des restrictions budgétaires sont demandées à certains responsables de services. Le service de la Coopération culturelle, sous la direction de M. Jean Herly, est le premier affecté par cette compression. Dans une note en date du 15 octobre 1969, rédigée par le Chef du service des affaires culturelles et de l’information, M. Moreau, il est suggéré une suppression pure et simple de l’ADEAC. Elle ponctionne alors plus de 50% du budget de ce service. Et M. Moreau de citer les montants des conventions passées entre l’ADEAC et le Ministère. 1967 1968 1969 1970 (prévision)

1 345 000 1 100 000 790 000 330 000 300 000

[ajout manuscrit]

105 CAC, versement 19810010, carton 63. “ Procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de l’ADEAC, vendredi 23 juin 1967 ”, p.13

106 On trouvera en annexe quelques extraits de ces « Réflexions et sentiments exprimés par plus de deux cents cinquante élèves révélant l’impact du choc culturel provoqué par les représentations données à Fort-Lamy (Tchad) par le Grenier de Toulouse les 9, 10 et 11 novembre 1968. » 70


Tableau 12 - L'effondrement des subventions allouées à l'ADEAC107

Dans le même temps, les frais de fonctionnement de l’association sont passés de 125 000 F en 1967 à 160 000 F en 1969. Ce qui montre une gestion quelque peu aléatoire d’un organisme sous tutelle de l’Etat. Dans cette même note, la suppression de l’association est appuyée par M. Jean Herly qui avance l’argument suivant : « Il me semble qu’il faut supprimer tout cet organisme : la formation des troupes théâtrales (peu de chose, en raison de nos crédits !) sera assumée par le service de M. Moreau.108 » Cette suppression dût susciter de nombreuses réactions et désaccords puisqu’il faut attendre l’année 1972 pour que cette « absorption » par les services du Ministère devienne effective. Dans l’intervalle, la politique théâtrale a été repensée et, les responsables de la Coopération culturelle se sont sans doute persuadés, sur les conseils de MM. Guillaud et Fougère, de l’importance d’une action forte en cette matière. Ainsi, les responsables du ministère ont-ils cherché un homme de théâtre qui puisse satisfaire de nouvelles exigences en matière de pédagogie du théâtre et de réorganisation des actions en Afrique. Ils choisirent un homme issu du milieu de l’animation socioculturelle, plus à même de réorienter les activités et de développer des stages plutôt que des tournées : Armand Dreyfus. Dès lors, il n’est plus question de faire disparaître l’ADEAC. Seulement, ce nom reste une simple vitrine dont le contenu est tout entier récupéré par le Ministère. Les objectifs, en 1972, sont quelque peu redéfinis : « En premier lieu, le souci de défendre la langue française préside aux choix de la plupart des manifestations retenues. Une priorité absolue est accordée aux spectacles en français – d’auteurs africains ou français – pièces de théâtre, montages poétiques ou tournées de conteurs français. (…) Les objectifs poursuivis par l’ADEAC se confondent ainsi avec ceux des Services Culturels du Département pour lesquels elle constitue, en même temps qu’un instrument nécessaire d’exécution,la possibilité d’une ouverture permanente sur la vie culturelle en France et en Afrique.109 » A partir de cette date, la politique de défense de la francophonie est de plus en plus clairement mise en avant dans les documents de l’ADEAC. Ce programme clair et rigoureux ne sera 107 CAC, Versement 19810443, carton 29, « Note à l’attention de M. Herly », 15/10/1969 108 idem 109 CAC, carton 65, liasse « Archives diverses », « ADEAC – Historique et fonctionnement », p. 2 71


pourtant suivi que de manière lointaine et souple par Armand Dreyfus et les différents intervenants qu’il a engagés durant cette seconde période de fonctionnement. 4.La disparition de l’ADEAC dans l’AFAA Au cours de l’année 1983, le gouvernement lança les prémices d’une refonte du Ministère de la Coopération. Dans ce mouvement ministériel, la fusion des services d’échanges culturels a sans doute paru l’une des plus aisées à mettre en place. Le premier janvier 1984, l’ADEAC entra ainsi officiellement dans le giron de l’Association Française d’Action Artistique. Celle qui fut son modèle et dont elle tenta pourtant de se démarquer tout au long de ses vingt années d’existence. L’année 1984 marque la fin d’un certain type d’action artistique en faveur du théâtre. Plusieurs symptômes permettent d’observer la fin de cette politique de diffusion théâtrale telle qu’elle s’était mise en place avec les Indépendances. La fin du contrat de Raymond Hermantier au Théâtre National Daniel Sorano montre combien on souhaite remettre en cause cette politique. On peut penser que la longévité de cet homme de théâtre est aussi pour beaucoup dans cette éviction mais l’on trouve encore des appuis vibrants pour le maintenir dans un poste qu’il occupait depuis 1965. Voici une lettre qui montre les opérations menées par le Ministère de la Coopération pour modifier les rapports artistiques : “ Enfin, pour terminer, je suis étonné de l’intérêt que l’on porte, rue Monsieur 110, à l ‘économie dérisoire représentée par la suppression du poste de M. Hermantier, quand certains emplois d’assistants techniques français ne semblent pas mis en cause, bien que leurs “ titulaires ”, au Sénégal depuis plus de dix ans parfois, n’aient pas à leur actif le centième de ce qu’a réalisé ici cet homme de théâtre, dans le domaine de la formation, de la création et des échanges artistiques. Pour toutes ces raisons et notamment parce que j’estime que grâce à M. Hermantier le Théâtre National Daniel Sorano est un relais efficace de la pensée et de l’expression française en Afrique, je souhaite le renouvellement, pour deux ans, du contrat de l’intéressé. Cependant, comme je conçois la nécessité de faire porter sur le secteur culturel une partie de la réduction des effectifs qui sera entreprise en 1983, je me propose de faire parvenir incessamment au Département la liste de 3 postes qui pourraient être

110 La localisation du Ministère de la Coopération, à Paris. 72


supprimés à l’été 1983./.111 ” A la suite de cette missive, Raymond Hermantier est maintenu à son poste deux années. Il prépare alors une ultime réalisation africaine : l’adaptation du roman les Bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène en 1984. Un texte qualifié de “ Condition humaine africaine ” par Malraux lui-même112. Un contre-exemple qui indique de manière allusive que les femmes et les hommes de la coopération théâtrale n’ont résisté que peu de temps à la disparition des structures qui les encadraient. Avec la fusion de l’ADEAC dans l’AFAA, c’est un nouveau volet de l’action artistique française qui s’ouvrit alors. 5.Les questions/problèmes récurrents De manière similaire, les compagnies et les intervenants (conférenciers, maîtres de stages, assistants techniques…) ont rencontré des problèmes récurrents et, pour la plupart, communs à chacun des pays d’Afrique. Dans la majeure partie des cas, ces problèmes sont relatifs aux spécificités africaines. Dans le continuum de l’association, deux d’entre eux apparaissent comme les plus importants. La question des publics Dans la préparation et la réception des tournées et des stages, une question apparaît légitimement importante : celle du public. Si d’une manière générale, on peut considérer que les pièces présentées sont imposées par la France aux spectateurs africains, les artistes sont tout de même soucieux de leurs rencontres avec les publics. On observe d’ailleurs ce souci parmi les responsables administratifs d’extraction artistique. Une intervention d’Armand Dreyfus au cours d’une table ronde témoigne de cette préoccupation : “ Le problème du public est un problème difficile. Il y a le public européen, ce n’est pas lui que nous visons. Il se trouve qu’il existe et qu’il fausse quelque fois l’impact des spectacles. Nous en sommes financièrement un peu tributaires dans la mesure où une opération ne peut pas se faire à partir des seuls moyens parisiens. Il existe aussi un public africain officiel, presque traditionnel, pour tous nos apports culturels ; il y a enfin un public scolaire et universitaire de jeunes citadins ; les générations plus âgées ne vont pas au spectacle à cause de l’obstacle de la langue ou parce qu’elles ne sont pas concernées par des modes d’expression trop éloignés des traditions familiales et 111CAC, versement 19840227, carton n°4, liasse 12, 20 avril 1982, lettre de Michel de Bonnecorse, Chef de la Mission de Coopération auprès de la République du Sénégal. 112 Selon documents transmis par Raymond Hermantier. 73


sociales que contestent les générations plus jeunes. C’est cela le public dans les grandes villes. Nos tournées en sortent difficilement. On a pu décentraliser des représentations ; il y a effectivement d’autres publics mais nous ne les atteignons pas.113 ” Ce constat peut sonner comme un aveu d’échec sous la plume du responsable chargé d’atteindre le maximum de publics. Ce panorama nous montre pourtant la nouvelle orientation artistique de manière très précise. Pour la première fois, un responsable de l’ADEAC stipule très officiellement que le public européen n’intéresse pas son action et même que celui-ci gêne la mise en place de spectacles spécifiquement dédiés aux publics africains. Aux premiers temps de l’association, nul doute qu’une telle déclaration aurait froissé la majorité des soutiens de ce type d’action artistique. Rien ne nous permet de croire que le public européen était oublié dans la programmation de Maurice Guillaud. Cette présentation des publics tourne également à l’aveu de faiblesse. Un aveu face à la difficile affectation de budgets parcimonieusement affectés par une administration qui en attend des retombées à court terme, en matière de prestige ou au moins d’assise culturelle. Face à cette situation, Armand Dreyfus va tenter d’imposer des considérations moins immédiates, plus fondées sur le travail de longue haleine entre des artistes et des publics variés et nombreux. D’autre part, Armand Dreyfus évoque les limites financières de l’ADEAC mais ne mentionne pas clairement le problème relatif au prix des places. Cette charge financière que l’on fait rejaillir sur les spectateurs à parfois des répercussions importantes sur la fréquentation des salles de théâtres. Le problème financier La réduction des crédits fut un prétexte pour la réorientation des activités sur des formes plus simples à mettre en œuvre et jugées plus efficaces, touchant plus de personnes durant des périodes plus longues mais mobilisant le mois d’acteurs et de maîtres de stage possible. On garde néanmoins les deux types d’action initiaux mais les dirigeants de l’association ne cesse de réclamer des fonds supplémentaires. Une présentation des difficultés de l’ADEAC au début des années 70 évoque les problèmes financiers et artistiques de manière liée : « La diminution massive des crédits affectés aux échanges culturels a obligé l’ADEAC à utiliser les fonds de réserve constitués au cours des années précédentes, fonds qui lui permettait de répondre aux demandes d’avances des troupes en partance 113 Orsay, carton 438, sténo de la “ Table ronde organisée par l’ADEAC le lundi 14 avril 1975 ” 74


et de faire face aux aléas inévitables des tournées et stages en Afrique. De plus ces fonds facilitaient la soudure entre deux exercices budgétaires en attendant le déblocage des nouveaux crédits par l’Administration. Il apparaît indispensable de reconstituer ce fonds par une dotation exceptionnelle de 150 000 Frs (cent cinquante mille francs).114 » Ces « fonds de soudure » ne sont que rarement évoqués dans les autres sources et n’apparaissent pas de manière claire sur les bilans financiers. Leur existence peut même apparaître étrange à l’époque où l’on conteste la mauvaise gestion des précédents dirigeants de l’association. On peut envisager que ce bilan, rédigé par l’ADEAC, est volontairement tourné la description à son avantage pour l’obtention de nouvelles ressources. 6.La diffusion en dehors du dispositif de coopération Face à la logistique mise en œuvre par le Ministère de la Coopération à travers l’ADEAC, il reste finalement peu de place pour les initiatives privées qui, à la fin de la guerre, avaient suscité les premières représentations dans les pays africains. Les subsides alloués à la diffusion théâtrale représentaient un effort financier relatif mais maximal de la part du Ministère. De ce fait, il ne pu soutenir des initiatives extérieures qu’en de rares occasions. Le plus souvent, les lignes budgétaires étaient d’ailleurs prélevées sur le budget de l’ADEAC, qui n’était parfois pas allongé en conséquence. Un imprésario comme M. Gérard Sayaret se félicite d’ailleurs de n’avoir jamais été aidé par ces circuits dont il répugne les pratiques dans une large mesure. Dans ses mémoires, il nous parle de sa longue expérience avec les Ballets africains de Keita Fodeba115 mais également des tournées qu’il a organisé avec de grandes stars de la chanson française (Johnny HALLIDAY, Claude FRANCOIS, …). Cela signifie t-il qu’en dehors de ces grandes variétés, les tournées en Afrique auraient été impossibles sans la volonté et le soutien financier de la France ? La réponse à cette question tient évidemment de la prophétie mais il n’est pas exagéré de dire que les moyens financiers et matériels mis en place par la France dans ces circuits artistiques sont une pratique bien singulière de la part d’un état. On notera par ailleurs que l’ADEAC a parfois fait tourner des artistes produits par Gérard Sayaret, comme par exemple le « Théâtre Français de la danse » de Joseph LAZZINI. Il est en revanche impossible de certifier que ce soutien n’équivalait pas à une subvention. Dans la majorité des tournées, l’ADEAC prenait en effet sur elle les éventuelles pertes réalisées, de sorte que les artistes soient payés, quoi qu’il arrive. Cette situation ne s’est peut-être jamais 114 CAC, carton 65, liasse « Archives diverses », « ADEAC – Historique et fonctionnement », p. 3 115 Cf. supra, p. ? ? ? 75


présentée pour cet imprésario qui n’aurait reçu que des cachets traditionnels. L’idée selon laquelle les spectacles présentés par des personnes privées sont de moindre qualité est d’ailleurs présente dans un procès-verbal de conseil d’administration de l’ADEAC. Il n’est pas étonnant de voir ces représentations mis sur un pied d’égalité avec le cinéma de série B, déjà très en vogue en Afrique. Voici ce qu’en dit le président de l’ADEAC : “ Monsieur Fougère a été ensuite frappé au cours de son voyage par le fait que le cinéma est le grand moyen de distraction et de culture qui touche à l’heure actuelle les masses africaines. Les cinémas sont très nombreux (à Douala en particulier). Ils sont bon marché. Les programmes sont d’un niveau bas (westerns, policiers). Les responsables (enseignants, prêtres, etc.) de certains Etats sont très préoccupés de ce problème. Il a constaté, enfin, que l’Afrique francophone reçoit un certain nombre de spectacles montés par des privés (M. SAYARET), ceci pose un problème de coordination avec les tournées de l’ADEAC : au lieu de tenter de monter des tournées ADEAC micommerciales mi-gratuites, ne serait-il pas préférable de faire arrêter les tournées privées valables dans une ou deux capitales déshéritées moyennant un cachet ?116 ” Ce constat était déjà révélé par une correspondance diplomatique du début de cette année 1967 adressée par René MOREAU, chargé d’affaires de France à Dakar : “ Je crois devoir faire part au Département du retentissement et du succès remportés la semaine dernière à Dakar par la tournée ‘Festival du Théâtre Français’117 ” Il s’agissait en fait d’un festival organisé par M. Gérard Sayaret qui y présenta des spectacles “ d’un caractère culturel plus élevé ” que les précédents concerts de stars (Fernand Reynaud, Frères Jacques, Johnny Halliday, Enrico Massias,…) mais des pièces de boulevard : Quadrille de Guitry, La Paix chez soi de Courteline, La visite de Noces de Dumas fils et Un Voyageur de Maurice Druon. Un exposé des plus péjoratifs sous la plume du chargé d’affaires. Il s’agit d’un théâtre destiné aux riches dakarois. Il note aussi dans cette lettre la concurrence acharnée qui se jouent entre les ambassades (Etats-Unis, RFA, URSS, GrandeBretagne, Liban) pour programmer des spectacles à Dakar. Les tournées de l’ADEAC y apparaissent de qualité mais insuffisantes quantitativement pour “ maintenir une influence privilégiée ”. Il s’agit de l’une des rares allusions à cette concurrence entre Etats dont on mesure mal la portée réelle. 116 CAC, versement 19810010, carton 63. “ Procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de l’ADEAC, vendredi 23 juin 1967 ”, p.13 117 CADN, Archives du poste diplomatique de Dakar, carton 844, 23 février 1967 “ Manifestations artistiques à Dakar ” par René MOREAU, “ Chargé d’Affaires de France a.i. ” 76


Pour faire face à cette situation et selon le vœu de Louis Fougère, l’ADEAC faisait appel à des privés. Une initiative qui restera extrêmement minoritaire. Nous n’avons relevé que deux lignes budgétaires destinées à des cachets pour le “ Bureau de concerts Gérard SAYARET ”. La première durant la 7e convention, la deuxième durant la 9e pour la tournée de LAZZINI cité plus haut. Le reste du temps, M. SAYARET vend directement ses spectacles aux “Africains ” qui peuvent lui acheter, à savoir, le Théâtre National Daniel Sorano118 de Dakar et l’Association de spectateur ACTE119 à Bangui. Cette dernière expérience doit être mentionnée pour son caractère singulier. La programmation d’un festival par des spectateurs apparaît comme un événement exceptionnel. Seulement, il s’agit en fait d’une habile façade masquant l’action du service culturel de l’ambassade ! « Le service culturel de cette ambassade a provoqué la création à Bangui d’une “ Association Centrafricaine de théâtre et d’Echanges Artistiques ”, appelée l’ACTE, qui se propose : a) de favoriser les activités des troupes théâtrales centrafricaines en leur organisant des spectacles à Bangui, en province ou à l’étranger b) de présenter en Centrafrique des troupes théâtrales étrangères, professionnelles ou d’amateurs, ainsi que des récitals d’artistes lyriques ou dramatiques. Association étrangère, régie par la loi centrafricaine n°61223 du 27 mai 1961, l’ACTE se compose de 50 membres actifs de nationalité française ayant acquitté chacun une souscription annuelle de 20 000 FCFA pouvant être remboursée, ainsi qu’une cotisation non remboursable.120 ” Cette implication des spectateurs et donc à double tranchant et nous pouvons en déduire que les initiatives sans aucune implication des services de la Coopération culturelle sont extrêmement rares et compliquées à mettre en œuvre en Afrique. C.La mobilisation du milieu théâtral français 1.Ces troupes qui ont tenté l’expérience africaine On a déjà vu les expériences de la « Compagnie des quatre » et du « Théâtre d’Union 118 Dans ses mémoires, Gérard Sayaret déclare avoir travailler 32 ans pour le Théatre National de Dakar. Cette affirmation est invérifiable sans la consultation des archives de ce théâtre. 119 Association Centrafricaine de Théâtre et d’Echanges Artistiques

120 CAC, Versement 19810010, carton 65, « Bureau des Centres Culturels, Bulletin Inter-Centres, Avril 1969 », article de quatre pages intitulé “ Création d’une association centrafricaine de théâtre ” 77


Française », quelles sont donc les motivations de leurs successeurs après ces deux troupes qui font figure de pionniers ? Il faut tout d’abord constater un fait important. Sauf exception, ces nouvelles troupes ne sont plus de grosses structures de prestige qui parcourt l’ensemble de l’Afrique. Elles sont plus petites et suivent des itinéraires plus courts. Il s’agit, la plupart du temps, de troupes issues de la décentralisation dramatique comme le « grenier de Toulouse », fondé en 1945 par Maurice Sarrazin, la « Comédie de Saint-Étienne » ou encore, le « Centre Théâtral du Limousin ». Pour de nombreuses raisons, l’Afrique semble tendre les bras à ces centres dramatiques ou autres structures issus de la décentralisation. De part leur origine d’abord, ces formations ont du longtemps se battre pour être reconnues et soutenues par l’Etat. Il faut attendre l’année 1946 pour qu’une ligne budgétaire soit enfin ouverte pour soutenir ce type d’initiatives121. Ces centres ont dans leurs origines même, la volonté de réaliser des spectacles pour des publics spécifiques. Il s’agit d’un travail de recherche permanent. Ils sont véritablement les moteurs de l’élan du théâtre dans ces années d’après-guerre. D’autres facteurs les prédestinaient à l’Afrique. Leurs publics habituels tout d’abord. Leurs modes de fonctionnement propre et de tournée. Un cahier des charges impose ainsi à chacun de ces centres de rayonner sur 80 à 100 km à la ronde. “ Une dizaine de comédiens s’entasse dans un seul car avec décors, costumes, projecteurs et jeu d’orgue ”. Autant de conditions qui forment efficacement les comédiens à une “ tournée de brousse ”. Le public était composé de 70% de scolaires, 20% de fonctionnaires, 10% de professions libérales. Des proportions qui se sont retrouvées dans une très large mesure en Afrique. Enfin, le répertoire. Les centres dramatiques des années 50 présentaient le répertoire du Cartel : Molière, Shakespeare, Musset, Marivaux, Anouilh, Pirandello, Beaumarchais, principalement puis vinrent Becket et O’Casey. “ Ce qui n’est pas du goût des notables qui ne jurent que par le Boulevard. Un rêve : susciter un auteur qui ferait partie de la troupe.122 ” En Afrique, on assiste à la même distinction de répertoire, point par point. A ces hypothèses s’ajoutent quelques faits. Ainsi, comme nous l’avons vu plus haut, il était question de donner un statut de centre dramatique au Théâtre d’Union Française. Avec les Indépendances, ce projet est abandonné mais l’on assiste à des tournées de centres nationaux dans les nouveaux pays africains. Par ce biais, les promoteurs du théâtre populaire ont tout de même réussi à se produire en Afrique de manière officielle. 121 Le rôle de Jeanne Laurent dans cette mise en place est déterminant. La thèse de référence est DENIZOT, Marion, Jeanne Laurent, sous-directeur des spectacles et de la musique (1946-1952) : contribution à une histoire politique et culturelle de l'intervention de l'Etat en matière théâtrale, Paris X-Nanterre, 2002 122 DEGAINE, André, Histoire du théâtre dessinée, Paris, Nizet, 1992, p. 372 78


En parallèle à ces actions de proximité avec les Africains, on notera la coexistence d’action de plus grande ampleur comme le lien qui unit longtemps le théâtre de l’Odéon et le Théâtre National Daniel Sorano à Dakar. Dans un autre domaine, citons enfin l’expérience du Centre International de Recherche Théâtrale (CIRT) de Peter Brook qui organisa de grandes tournées de prospection en Afrique au début des années 70123. Dans ces deux cas, on peut s’interroger sur les retombées réelles sur le milieu théâtral africain. Plus que ces expériences limitées, le “ théâtre populaire ” a sans doute été une chance pour la diffusion du théâtre en Afrique. C’est également de ce mouvement que sont issus la majeure partie des femmes et hommes de théâtre chargés de réaliser des stages. 2.Le milieu de l’animation socioculturelle Avec l’arrivée d’Armand Dreyfus au secrétariat général de l’ADEAC, on vit se multiplier les stages de pratique théâtrale mais également les stages techniques (lumières, scénographies, décors, costumes,…). Armand Dreyfus eut d’autant moins de problèmes pour mettre en place cette action qu’il était issu de ce milieu de l’animation socioculturelle. A côté des structures très officielles que sont les INA, ces stages pouvaient accueillir tous types de personnes ou groupes : troupes amateurs, personnel des radios nationales pour des cours de diction, danseurs, auteurs,… Ils furent le véritable creuset de la création et, bien souvent, la base de projets plus ambitieux associant troupes africaines et françaises. Les “ coopérants techniques ” placés à la tête de ces stages étaient le plus souvent des comédiens professionnels mais aussi des appelés du contingent dans le cadre du Volontariat du Service National (VSN). La durée des séjours de ce dernier type de coopérants était souvent bien plus longue que pour les comédiens qui ne restaient jamais plus de deux mois. Ainsi, c’est ce type de coopérants qui a pu travailler dans la durée, constater les effets de son action et éventuellement la remettre en cause. On pense par exemple à Michel Massé qui a passé près de deux ans au Gabon. Une longévité qui lui a permis de rencontrer un comédien gabonais qui fut par la suite engagé par l’ADEAC : Daniel Odimbossoukou124. L’un des seuls africains dans ce cas. 123 CAC, Versement 19810010, carton 64, “ Work session of ICTR in Africa. Report on preliminary journey made by Peter Brook in April 1972 ” au Niger et au Nigéria et “ ICTR in Africa. December 1st 1972 – March 10th 1973. A chronicle by John HEILPERN. ” 124 Recherche, Pédagogie et Culture, n°62, p.18 79


Enfin, ces maîtres de stages nous permettent, par le biais de leurs rapports, de comprendre les motivations des apprentis comédiens. Un exemple réunissant des comédiens de la Troupe Nationale Congolaise (CFRAD) et d’une troupe amateur de ce même pays (FETRASEC) est particulièrement éclairant : “ Peu à peu, les choses se décantent et nos avons l’impression d’être plus efficaces. Les discussions au cours des rencontres nous aident à clarifier la situation. Sans aucun doute possible, les éléments de la FETRASEC sont plus attachants, car : -

de par leur formation, ils ont une culture générale plus étendue et le dialogue avec eux au cours des débats se situe à un niveau plus élevé que celui de savoir s’il est difficile d’obtenir une bourse pour venir en France.

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si leur structure administrative est elle aussi anarchique, leur attitude est plus sympathique car ils en ont parfaitement conscience et ils cherchent. Leur attitude est constructive. (Le jour où ils obtiendront un statut de troupe professionnelle ne deviendront-ils pas comme les comédiens du CFRAD ?).

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ils ont conscience du rôle que doit jouer une troupe professionnelle, mais leur vocation étant essentiellement militante, ils n’entrevoient pas l’écueil qui consiste à ne faire que du théâtre didactique quelque peu ennuyeux pour un public peu concerné par la chose politique. La rencontre sur Piscator les a intéressés et cette forme d’expression semble leur convenir.

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Leur attitude durant les ateliers et les rencontres est constructive. En effet, leur souci essentiel est de trouver un style à leur troupe. Ce souci les différencie d’une manière radicale des autres éléments. Ils sont d’ailleurs les seuls à consulter la documentation que nous avons apportée, et nous demandent d’animer parallèlement au stage des rencontres avec leurs camarades. Nous ferons à leur intention, une série de projections dans leur salle de répétitions, (bien qu’ayant en tant qu’enseignants, des salaires sensiblement égaux à ceux des comédiens du CFRAD, nous n’avons ici rencontré aucun problème quant au transport, c’est dire la volonté de s’informer de la FETRASEC et la passivité du CFRAD).125 ”

Cet exemple offre un portrait en creux particulièrement intéressant. En effet, les élèves fonctionnaires du CFRAD y sont dépeints d’une manière extrêmement négative. C’est ce qui ressort, de manière parfois moindre, de toutes les (rares) expériences avec les troupes nationales. On a incité ces élèves instituteurs à faire du théâtre par le biais de bourses. Dans 125 CAC, Versement 19810010, carton n°63, Alain Chevalier, Georges Terrey, Rapport de fin de stage à Brazzaville. 16 p. + 2. Stage Régie/Décor, février 1975. 80


ces conditions, inutile de préciser le peu de vivacité de cette compagnie nationale126. Par le biais de ces stages, l’action artistique touche donc mieux les comédiens les plus intéressés, ceux sur qui repose le dynamisme de la création. D.L’aide et la défense de la création africaine Le dernier aspect de cette politique d’ « échanges artistiques » entre la France et l’Afrique consiste, à partir des années 70, à susciter la création théâtrale sur le continent. Avec le retour de l’ADEAC dans le giron du Ministère, on assiste à la mise en place de programme plus structuré, mieux agencés les uns aux autres. L’enjeu est ici de savoir dans quelle mesure cette cohésion d’ensemble relève d’une vision a posteriori. A de nombreuses reprises, le « théâtre africain » suscite en effet l’engouement de différentes catégories d’intervenants français. Ces intérêts multiples ont ainsi influencé des perspectives nouvelles pour le théâtre en Afrique. 1.Un exemple de prospective universitaire : la « tournée Scherer » La place du théâtre dans l’université française à longtemps était confinée aux études littéraires. Le théâtre restait une forme d’expression, certes originale mais écrite et soumise au génie de l’auteur. En 1959127 une chaire est créée, l’Institut d’Etudes Théâtrales devient une composante de la Sorbonne. Elle prend ensuite son autonomie lors de la création de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. L’homme qui est à la tête de cette initiative se trouve être également l’un des meilleurs connaisseurs du “ théâtre africain ”. Il s’agit en effet de Jacques Scherer. L’intérêt des universitaires pour les expressions dramatiques de l’Afrique n’est en rien étranger à la place que celles-ci ont prise. Nous avons pu nous former une idée extrêmement précise de cette prospective universitaire à la lecture des deux carnets de notes que Jacques Scherer a rempli lors de sa première « tournée d’inspection » dans les Etats africains. Il fut mandaté par l’ADEAC de la fin de l’année 1965 au début de l’année 1966 pour établir l’inventaire des possibilités en matière de 126La troupe du CFRAD n’a que deux pièces à son répertoire en 1975 : la pièce de Brecht, l’Exception et la Règle (mise en scène de 1970) et La marmite de Koka Mbala (mise en scène de 1965). Pour la pièce de Brecht, Terrey précise qu’elle est présentée à l’occasion de fêtes politiques. 127 Selon l’article « Enseignement et théâtre », du Dictionnaire encyclopédique du théâtre sous la direction d’André Corvin, les premières initiatives en ce domaine remonte à 1950. 81


théâtre en Afrique128. Dans ces notes, on peut relever quelques indices intéressant de l’action théâtrale et de sa perception. Il décrit par exemple les diplomates comme peu intéressés par le théâtre, un fait que nous avons pu constaté par ailleurs : « Vendredi 19 [novembre 1965] (…) 12h30 – Visite à l’ambassadeur [au Dahomey]. Résultat entièrement négatif. Il confond le théâtre et le folklore (méprise que j’aurais attendue d’un instituteur), est ulcéré que je reste si peu de temps (il faudrait au moins 3 semaines…puisque vous partez demain-ce qui est faux), me parle des indigènes et de “ l’âme africaine ”, la danse, la mimique, etc., a la terreur des intellectuels africains, qu’il traite, bien injustement, de marxistes, et qu’il accuse de vouloir faire la “ décalcomanie ” des mœurs françaises, mentionne incidemment l’inté-[la page suivante à probablement été arrachée] ” Au niveau des considérations plus artistiques et littéraires, Jacques Scherer revient sur des pièces récentes et les critique, voici par exemple une étude-type (résumé + progrès à faire), à propos du Trône d’or 129 : « Le roi d’Abron, Adinngra, est vassal du roi de l’Achanti, Koimnan-Bonsou. Ce dernier exige qu’Adinngra lui donne son trône, orné de lames d’or. En l’absence de sa belliqueuse sœur, Yangouman, le roi cède, et fait faire un autre trône, tout en or. Koimnan le demande à nouveau. Yangouman refuse, et c’est la guerre. Les Abrons sont vaincus. Couleur, en particulier dans les palabres. Mais lenteur, et grandes maladresses : 1. Spectacle pur 2. Motivations mal définies 3. Ne sait pas que les événements historiques ont des causes. ” La lecture de près de trois cents pièces durant ce séjour lui permet de tirer quelques conclusions et de faire des propositions : 128Ses conclusions se trouvent dans quatre documents officiels : -

Notes de M. Scherer sur une mission éventuelle relative à la création théâtrale en Afrique noire

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« Tournée Jacques Scherer » du 17 novembre 1965 au 3 février 1966 (Dahomey, Côte-d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie, Haute-Volta, Niger, Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville, République centrafricaine, 53 p. + Annexes

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Note sur les conférences et les colloques africains d’initiation à la création théâtrale de M. Jacques Scherer, professeur à la Sorbonne

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Compte-rendu sténographique sur le théâtre animé par le professeur Scherer

ainsi que dans les articles et ouvrages publiés, signalés dans la bibliographie. 129 Une pièce qui est pourtant primée lors du Concours théâtral interafricain de 1968. 82


« Vendredi 3 [décembre 1965] 2e et dernier colloque : je relève deux suggestions [dans un exposé de Maurice Sonar Senghor] : 1. Celle de sauver et peut-être de reprendre ce qu’il y a de valable dans le répertoire de Ponty ; je demande où il est ; Botbol dit qu’on en prépare une édition partielle ; je dis que j’irai voir à Paris Mme Béart et lui demander les manuscrits qu’elle doit avoir 2. Celle de créer des ateliers d’auteurs, groupés pour une création collective et conseillés par un technicien français. Ce qui déclenche la bagarre. L’opposition, menée par Sembene Ousmane, dit qu’on veut lui imposer des principes européens, craint de perdre son originalité africaine, montre méfiance et susceptibilité, mais aussi méconnaissance de ses propres intérêts qui, peu à peu, cède à l’évidence. Botbol dit avec énergie des choses que je préfère ne pas avoir à dire moi-même, comme : c’est comme si, pour faire du cinéma africain, on refusait de se servir d’une caméra, parce que celle-ci n’est pas africaine – et aussi : instruisez-vous, renseignez-vous. ” Et plus loin : « Mardi 11 [janvier 1966] 2. Créer quelque part en Afrique, comme cela se fait aux Etats-Unis et peut-être en Angleterre, une chaire de “ creative literature ”, où l’on enseignerait à écrire des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des poèmes. Une telle chaire n’existe pas à Ibadan. Le Cameroun souhaiterait peut-être qu’elle soit bilingue. Mais son gouvernement ne semble pas disposé à dépenser beaucoup pour les affaires culturelles. Sans doute faudrait-il créer cet enseignement à Abidjan, et seulement pour les étudiants francophones (y compris les Français !). Autant de remarques et de suggestions qui, même si elles n’ont pas toutes été suivies d’effet, ont œuvré pour une reconnaissance du “ théâtre africain ” de par le monde. 2.Le concours théâtral interafricain En 1967, en prise directe avec les conclusions du rapport de Jacques Scherer sur la nécessaire incitation des dramaturges africains à l’écriture, est créé le “ concours théâtral interafricain ”. Celui-ci est connu comme un découvreur essentiel des pièces de dramaturges africains durant une trentaine d’années (1966-1995 pour les extensions les plus larges). La naissance de ce concours doit beaucoup aux initiatives de Jacques Scherer et à l’intérêt du monde de la radio pour ses conclusions. Ainsi, Françoise Ligier fut l’initiatrice de cette forme déjà largement exploitée en Afrique, aussi bien dans le cadre de la Coopération que dans celui de la

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colonisation130. Françoise Ligier avait une expérience personnelle du théâtre qui l’incita à travailler à l’édification d’un répertoire de pièces d’auteurs africains 131. Elle travailla pour les différents organismes chargés de la diffusion de la radio en Afrique. Appelé SORAFOM à la création du concours, il s’agit de l’ancêtre de Radio France Internationale (RFI). Nous n’avons pas jusqu’ici mentionné le rôle majeur de la radio dans la diffusion du théâtre en Afrique. Elle tient pourtant une place de premier ordre qui est allée s’accentuant au fil des éditions annuelles de ce concours théâtral interafricain. Pour sa mise en œuvre, Françoise Ligier fut soutenue par d’autres hommes de théâtre, parmi lesquels André Clavé. Ce dernier, grande figure de la décentralisation théâtrale en France avait officiellement cessé ses activités dramatiques pour se consacrer à la diffusion de la radio dans les pays africains par le biais d’un Studio-Ecole géré par la SORAFOM à MaisonsLaffitte132. Son expérience antérieure fut mise à profit au sein du jury de ce concours auquel il participa jusqu’à son décès en 1981. Ce détail suggère à nouveau l’importance qu’a pu avoir le climat théâtral français sur la diffusion et les moyens de susciter la création en Afrique. Nombreux sont en effet ces hommes et ces femmes issus du milieu de la décentralisation théâtrale. Malheureusement, il est très difficile de lier les activités de l’ADEAC et celles menées pour la réussite de ce concours. Françoise Ligier déclare d’ailleurs n’avoir pas eu de liens particulièrement étroits avec les services culturels du Ministère de la Coopération. Nos sources ne comportent qu’une attestation de l’intérêt tardif de la Coopération pour ce concours : “ d) promotion du théâtre africain francophone. Depuis 1977, le Département en accord avec Radio France Internationale a décidé de donner un nouveau développement, réclamé depuis plusieurs années, au concours interafricain de théâtre organisé par RFI. Il a été convenu que le Département 130 Une expérience similaire était déjà menée par la BBC au Royaume-Uni. Cf. CORDEAUX, Shirley, “ The BBC African Service’s Involvement in African Theatre ”, Research in African Literatures, 1, 2, 1970, p. 147-155 131 Elle tint avec son mari, différents théâtres privés dont le “ Théâtre du tertre ” et le “ Tabou ” dans lesquels ils diffusaient, à la fin des années 50, des spectacles avec ou sans comédiens d’origine africaine. Une grande rareté pour l’époque. 132 Sur le parcours d’André CLAVE, le seul ouvrage existant à ce jour a été dirigé par sa veuve qui a regroupé un grand nombre de témoignages sur l’homme théâtre, le résistant et l’homme de radio. GALLIARD-RISLER, Francine (dir.), André Clavé. Théâtre et résistances. Utopies et réalités. 1916-1981, Paris, Association des Amis d’André Clavé, 1998, 554 p. 84


apporterait son soutien financier, par l’intermédiaire de l’ICA, à la réalisation et à la diffusion en Afrique de la pièce lauréate de ce concours. L’œuvre couronnée en 1977 Les canaris sont vides de l’Ivoirien Amadou Koné sera réalisée en avril prochain à Abidjan et sera ensuite présentée dans différentes villes de Côte d’Ivoire, de HauteVolta et du Mali. Cette action est de nature à renforcer la position prééminente du théâtre africain francophone constatée à l’occasion du Festival de Lagos. Pour un montant de 100 000 F.133 ” Le Bureau des échanges artistiques prend donc en charge un aspect qui lui est coutumier : la diffusion d’une pièce. En aucun cas, il ne s’immisce dans la politique indépendante des services de la radio. Cette « politique de la stimulation134 », si chère à Françoise Ligier et aux autres défenseurs de ce concours est donc une démarche parallèle de celle engagée pour la diffusion du théâtre en Afrique par les instances politiques. 3.Les pièces et leur édition En revanche, le problème de l’écriture et de l’édition des pièces de théâtre ne peut être dissocié d’un concours qui en fut le principal incitateur. Il s’agit ici encore de l’un des soucis majeurs de Jacques Scherer dans sa rencontre avec l’Afrique. “ Il se confirme que les deux formes essentielles sont le théâtre comique et satirique, cultivé surtout dans la savane, et le théâtre religieux et historique, cultivé surtout dans la forêt. Les dangers de la non-conservation sont évidents. J’ai l’idée de créer une collection de pièces qui pourrait être éditée à Paris et grouper des pièces de tous les pays francophones.135 ” Cette idée d’édition des textes est donc antérieure à la création du Concours interafricain en lui-même mais s’est concrétisée avec lui. L’ORTF-DAEC publiant en association avec des éditeurs ou parfois seule les textes primés. Si Hatier136 collabora à l’édition des premiers numéros, cette éditeur du se retirer rapidement. Les pièces de théâtre ont généralement du mal à trouver un public de lecteurs fidèles. Quand il s’agit de « théâtre africain », on imagine facilement les réticences encore plus grandes de ces acheteurs potentiels. Le soutien d’un 133 CAC, versement 19840227, carton 3, liasse 13, Note adressée au directeur de la Coopération culturelle et technique par M. Pruneau (avril 78). “ Objet : Aide aux cultures africaines ”. 134 cf. LIGIER, Françoise, “ La politique de la stimulation théâtre et radio ; une collaboration positive ”, Recherche, pédagogie et culture, n° 61, janvier-mars 1983, p. 30-45 135 Archives privées, cahier Scherer 1, 1er décembre 1965. 136 Plus récemment suivi, dans les années 1990 par l’Harmattan avec son “ Répertoire théâtral africain ”. 85


organisme public comme la radio fut donc une condition sine qua non de l’édition et de la préservation des textes. Ils purent de cette façon être appropriés par les Africains qui, pour une somme modique137, ou par le biais d’un prêt dans un Centre Culturel Français pouvait trouver ces dramaturgies récentes. Au fil des années, un répertoire assez important s’est constitué et des répertoires138 sont aujourd’hui la preuve de cette vivacité de création, largement induite par les initiatives françaises. Suite à ces publications « publiques », on a vu émerger des initiatives privées dont les traces sont excessivement difficiles a retrouver tant elles furent épisodiques et sans grande audience. En excluant de ce champ les prestigieuses éditions « Présence africaine », on peut citer les éditions « Silex » et « Oswald ». Ce dernier éditeur faisant figure de mécène du théâtre africain sous bien des aspects. 4.La création des Instituts Nationaux des Arts (INA) S’il ne s’occupe spécifiquement du concours théâtral et de l’édition des textes, le Bureau des échanges artistiques a en revanche la charge d’un aspect souvent occulté de la politique théâtrale en Afrique : la formation, essentiellement regroupée au sein des Instituts Nationaux des Arts (INA). S’ils ont une vocation pluridisciplinaire selon les villes où ils sont implantés, certains de ces INA développent une intense activité théâtrale. L’objectif principal étant de former des comédiens capables de jouer le répertoire classique français comme les pièces contemporaines d’auteurs africains ou non. Cette volonté est affirmée dès la création de ce Bureau, dans le cadre de la coopération de substitution. Les motivations sont essentiellement d’éviter le déplacement des élèves africains vers les écoles de théâtre en France, déjà engorgées et ne souhaitant pas toutes accueillir des comédiens africains. « Le Bureau des Echanges Artistiques donne un avis au service des Bourses dans le choix des artistes candidats à un stage. Le recensement est en cours afin de connaître les artistes africains venus en France pour se perfectionner dans leur art. Une étude pour l’organisation ou le développement en Afrique et à Madagascar d’écoles et

137 Le prix de ces pièces fut toujours la préoccupation majeure des responsables chargés de leur édition. 138 Cf. ZIMMER, Wolfgang, Répertoire du théâtre camerounais, Harmattan, 1986, Répertoire du théâtre burkinabé, Harmattan, 1992 et le répertoire de Colette Scherer. 86


de centres artistiques est au programme de ce Bureau.139 » Avec la création de l’ADEAC, le Bureau délègue également une partie de cette tâche comme précisé dans le quatrième alinéa des statuts modifiés en février 1964 : « 4) |l’ADEAC est chargée] de mettre au point un programme de stages et d’études pour la formation d’artistes et de techniciens du spectacle en Afrique. ” Pour l’association, cette mission consistera essentiellement à l’envoi de professeurs. Ces moyens limités ne lui permettant pas de gérer à proprement parler les structures. Un moyen de donner aux Etats africains l’illusion que ces Instituts fonctionnaient selon leurs desiderata. Les origines de l’un des plus importants de ces INA montre combien cette idée est illusoire. INA Abidjan Pour la création de l’Institut National des Arts d’Abidjan, premier du genre, le rôle d’Albert Botbol apparaît essentiel. Cet homme, animateur théâtral d’origine marocaine, fut le secrétaire général de l’Université du Théâtre des Nations. Un organisme dépendant du fameux festival des Nations et qui avait justement pour vocation de former les comédiens de manière pluriculturelle. Cette expérience est sans doute à la base de tout ce qui suivit en Afrique. La mise en place de cette structure est tout entière résumée dans une note émanant du Ministère des Affaires Culturelles déjà cité plus haut pour ces positions sur le cas de la Guinée. Venons en maintenant aux prises de positions artistiques de son auteur : « L’auteur se contente dans l’énumération des nombreuses troupes et ensembles dont il envisage l’existence de dire sans plus “ une troupe de théâtre ” je répète que si c’est pour jouer Musset ou Giraudoux à la sauce africaine ce serait à mon avis aller à un échec. » “ Note 3 : Il me paraît impensable de faire jouer du répertoire classique à des africains en dehors de personnages de farces (par exemple Sganarelle ou Pancrace du mariage forcé). “ Note 4 : Il me paraît difficile qu’un bon comédien puisse accepter une mission de coopération technique d’une durée dépassant quelques mois à moins de lui faire un pont d’or. Il est facile de descendre des planches mais difficile d’y remonter. L’auteur du projet s’est-il livré à des prospections sur le marché du travail des comédiens 139 Orsay, carton 431, document précisant les attributions du Bureau des Echanges Artistiques, avant la création de l’ADEAC, s. d. (1962-63 ?) 87


professionnels ? ” “ Note 5 : Je remarque (…) que l’auteur déclare que l’expérience a vérifié les inconvénients qu’il y avait à envoyer de jeunes africains suivre des stages en Europe. Il y aurait des pages de considérations à écrire sur un pareil sujet plus difficile à cerner que ne paraît le croire M. Botbol. La difficulté réside en ce que le stagiaire ne retrouve pas en Afrique le même champ d’application que celui où s’est déroulée sa formation. Un stage de mécanicien aux usines Renault sera toujours bénéfique (sous réserve d’une bonne utilisation du stagiaire) un stage de moniteur d’éducation surveillée pourra l’être aussi (sous réserve d’un choix judicieux du stagiaire). En ce qui concerne un stage dans une école d’art dramatique, je crois à une très grosse possibilité d’échec, une technique scientifique peut se transférer d’une civilisation à l’autre (voyez les Japonais, les Chinois) mais le théâtre est avant tout l’expression d’un état d’âme, d’une philosophie, c’est un reflet de civilisation et toute sa technique n’est au fond qu’une traduction, qu’une extériorisation. Je ne crois pas ce transfert possible pour la technique du théâtre occidental qui est aussi un art longuement mûri par des siècles de culture occidentale. Il ne faut pas oublier qu’il y a une pensée, un art, des traditions, des comportements, en un mot une civilisation, disons une conscience africaine. Or, le projet qui nous est esquissé est conçu comme si tout cela n’était pas à poser en préalable, comme s’il ne s’agissait que d’un “ dressage ”.140 ” Si certains points soulevés par ce responsable au Ministère des Affaires Culturelles ont déjà été éludés dans d’autres circonstances, elles retrouvèrent en effet de la vigueur au moment de la création de ces INA dans les grandes capitales africaines. Autant d’initiatives qui seront de nouveau mises au débit ou au crédit de l’action artistique de la France dans ces pays.

140 CAC, versement 19810010, carton 64. “ Note sur le projet de l’Institut National des Arts de la République de Côte d’Ivoire ”, note émanant du Ministère des Affaires Culturelles, 12 p. Rédigée par le responsable du bureau de l’enseignement musical et dramatique, ancien administrateur de la France d’Outre-mer. Signature illisible. Mars 1966. 88


III. Un bilan de la politique française sur la création théâtrale africaine En étudiant la pratique de cette diffusion théâtrale en Afrique, on a vu s’opérer un glissement progressif de la diffusion d’œuvres françaises en Afrique vers la diffusion d’œuvres africaines en France. Il convient maintenant d’établir un bilan de cette action, tant en Afrique quand France. Si le flux était pensé au départ comme unidirectionnel, les précédents développements ont montré la présence de plus en plus marquer d’acteurs africains sur le sol français. Nous y voyons, là aussi une conséquence de cette politique d’action artistique. S’il ne faut pas tomber dans la dualité parfaite, on peut néanmoins distinguer d’une part : un aspect positif, l’incroyable variété et la vigueur insufflée au théâtre en Afrique. De l’autre, les critiques diverses que l’on a pu fournir contre les méthodes et les moyens de cette coopération. A la fin de l’action de l’ADEAC, le panorama des arts de la scène africains en sort néanmoins métamorphosé. A. Les moyens de la diffusion Pour les comédiens africains, le premier bienfait de cette action fut sans doute l’ouverture à des scènes qu’ils n’auraient sans doute jamais connues sans l’appui technique des services culturels français. 1.Une visibilité croissante des Africains sur les scènes françaises Les manifestations africaines en France et à l’extérieur de l’Afrique Durant les vingt années d’existence de l’ADEAC, les secrétaires généraux successifs ont tenté de développer une “ voie retour ” avec plus ou moins de succès. Cette expression, employée de manière usuelle, est assez transparente. Elle consiste à faire venir en France des troupes africaines formées ou non par les animateurs français en mission. Dans un premier temps, cette “ voie retour ” n’était développée que dans le cadre d’une prospection d’artistes ou de fonctionnaires français chargés d’encourager les troupes à venir se produire en France. Dans le cadre du Théâtre des Nations, cette prospection a par exemple été menée par Max Palenc et Claude Planson. Cette sélection aléatoire de troupes à la pratique contestée provoqua souvent la polémique et donna lieu à de vives critiques. Pour ces sélectionneurs, la problématique principale était celle de l’authenticité africaine que l’on voulait transposer sur les scènes françaises. Lors de la création de l’ADEAC, le “ cycle de la communauté ” du Théâtre des Nations avait déjà perdu son public et la dernière troupe africaine à se produire dans ce cadre,

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sur la scène du théâtre Sarah-Bernhardt, fut une troupe malgache en 1965. Aux dires des responsables de l’ADEAC à ses débuts141, il existait une claire volonté de faire venir en France d’autres troupes africaines. Dynamiser en quelques sortes les “ échanges ” mentionnés dans l’intitulé même de l’association. En dépit de cette motivation, il ne fut pas possible de multiplier ces échanges. Les raisons de l’absence de cette “ voie retour ” n’apparaissent pourtant pas clairement. On peut néanmoins avancer certaines hypothèses : une lassitude de la part du public invité à des spectacles très semblables composés de ballets à dominante folklorique ; la centralisation de ces représentations sur Paris, au moment où le dynamisme de la décentralisation théâtrale française fait naître les événements en province et non plus seulement dans la capitale ; le manque de troupes de qualité en cours de formation en Afrique mais surtout, le refus des fonctionnaires de la Coopération culturelle d’accueillir des troupes non contrôlées, que l’on a pas formées. On ne maîtrise pas les conséquences politiques que pourraient avoir des représentations aux messages parfois diffus, sur les spectateurs français et sur les Africains de France. Que se serait-il passé en Afrique au retour d’une troupe auréolée du succès parisien d’un spectacle violemment anticolonialiste ? L’antécédent Keita Fodeba est sans doute dans la tête des responsables au Ministère. Si la vocation première de l’ADEAC était bien la diffusion en Afrique, on ne peut remettre en cause la détermination d’un secrétaire général comme Maurice Guillaud. Les opportunités n’étaient sans doute pas rares de réaliser une tournée mais les conditions matérielles et politiques ne furent pas réunies avant la fin des années 60. Si la rupture de l’année 1972 marque un tournant administratif, on observe aussi des changements d’ordre artistique qui vont peu à peu modifier les termes de l’échange théâtral. Les artistes africains vont enfin devenir des partenaires et non plus seulement des publics ou des élèves. Il faut voir dans cette situation, les résultats des expériences mises en œuvre depuis les Indépendances. Il ne s’agit en aucun cas de la volonté d’un seul homme même si la détermination d’Armand Dreyfus à accueillir des artistes africains commence à porter ses fruits dès le début de son mandat. Il se trouve sans doute aidé par une équipe qu’il renforce d’ailleurs dans cet objectif. Le 12 novembre 1974, Armand Dreyfus adresse une lettre au nouveau Président de l’ADEAC, M. Hubert DUBOIS, ambassadeur de France à Yaoundé. Il lui fait part du recrutement d’une nouvelle collaboratrice exclusivement chargée de la “ l’accueil et de la diffusion des productions artistiques africaines en France ”. Voici la liste de ses missions : 141 Maurice GUILLAUD et Béatrice MERIC ont tous deux fait part de cet état de chose lors de nos entretiens téléphoniques. 90


“ 1 – L’inventaire des possibilités d’accueil en France de manifestations africaines : Maisons de la culture, centres culturels, Maisons des jeunes, Municipalités, Associations Culturelles, Musées, Festivals, etc.… 2 – De faire une étude de marché pour la mise sur pied d’une première “ saison ” africaine en France en 1975/76 : publics potentiels, circuits et hébergement des troupes, possibilités locales de financement, servitudes techniques etc.… Grâce à l’ensemble de ces informations mises en fiches à l’ADEAC, il sera possible de proposer en Afrique une “ règle du jeu ” pour les tournées à venir. Cette règle précisera en particulier l’appui financier que le Département, par le biais de l’ADEAC, est prêt à apporter à ce secteur. Cet appui pourrait vraisemblablement consister (le prochain CA en débattra) : 1 – Dans la prise en charge des frais de séjour des troupes et artistes à Paris 2 – Dans la prise en charge de la publicité des représentations données à Paris 3 – En une garantie de déficit – à l’intérieur de limites à préciser – assurée aux organismes qui accepteront de programmer des spectacles africains en France. (Les voyages d’Afrique en France me paraissent devoir être à la charge des Etats, comme c’est déjà le cas pour les Festivals Internationaux tels que Montréal, Nancy, Avignon).142 ” Dans ces quelques lignes sont clairement énoncés les objectifs qui ont fondé la nouvelle politique de l’ADEAC en lien direct avec le Ministère de la Coopération. Il s’agit même d’un idéal qui ne sera jamais atteint en l’espèce. Les scènes françaises n’ont néanmoins pas connus de “ saison africaine ” inspirée d’une volonté gouvernementale. Les seuls événements que l’on peut associer à ce type de programme sont toujours des initiatives privées. C’est par exemple le cas lors de la multiplication des pièces africaines montées à Paris en une seule saison143. Ce qu’on note en revanche, c’est la volonté de décentralisation de ce type de tournées, ce qui apparaît tout à fait novateur. Bien plus en tous cas que de faire venir une troupe dans la capitale. On reconnaît ainsi la fibre “ socioculturelle ” des dirigeants de l’ADEAC qui souhaitent s’appuyer sur l’incroyable réseau du théâtre populaire de province. Un pari qui va vite s’avérer gagnant. Le public provincial se révéla en effet friand de ces « nouveautés venues d’ailleurs ». 142 CAC, versement 19810443, carton 80. Lettre signée Armand DREYFUS adressée à Hubert DUBOIS le 12 novembre 1974. 143 Sony Labou Tansi fut l’un des premiers à connaître ce type de succès au début des années 80. 91


L’intensification de cette “ voie retour ” est ainsi devenue, à la fin des années soixante-dix, la partie la plus développée et la plus innovante. Celle qui connut une véritable consécration au début des années quatre-vingt avec la multiplication des structures (festivals, théâtres, …) susceptibles de les accueillir dans des conditions optimales. Elle a sans conteste reçu le soutien des responsables du Ministère puisque les budgets suivent la volonté du secrétaire général de l’ADEAC. Alors que tous les crédits sont en baisse tendancielle, la ligne budgétaire augmente pour la « Promotion des cultures africaines ». 2.Le « théâtre africain » : nouveau centre d’intérêt Alors que la politique d’échanges artistiques évolue peu à peu, un intérêt nouveau commence à se porter sur les spectacles et textes issus des stages et autres initiatives. Le milieu universitaire n’est plus le seul à étudier les dramaturgies qui naissent dans le cadre de ces échanges. De nombreuses initiatives (exposition, livres, études,…) sont les symptômes d’un engouement qui connaît son paroxysme au début des années 80. Au moment où, paradoxalement, la réorganisation du Ministère de la Coopération obligeait à un abandon progressif de cette politique culturelle spécifiquement dédiée au théâtre. Dans le même temps, une nouvelle génération d’Africains semble prendre en main le destin théâtral de leurs pays. Tout aussi paradoxalement, le lien à la France reste primordial alors que ces Africains aspirent à l’autonomie. Les nouveaux “ spécialistes ” Après des personnalités comme Driss Chraïbi qui eut l’audace de programmer une émission intitulée « Théâtre noir » sur les ondes de France Culture dès la fin des années soixante, on voit se multiplier les initiatives pour amener le théâtre d’Afrique au grand public au début des années 80. Avant cette initiative, la diffusion des dramaturgies africaines était réservée aux Africains, les auditeurs français ne pouvaient que très rarement entendre des « dramatiques » consacrées, de près ou de loin, à l’Afrique. Avec les années 80, on voit apparaître un nombre significatif d’intellectuels qui se penchent de manières variées sur le théâtre en Afrique. Leurs profils sociaux et professionnels sont divers. On pense par exemple à Bernard Magnier, un journaliste devenu éditeur et qui, en 1984 réalisa pour la Bibliothèque Publique d’Information une grande exposition qui fut l’un

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des avatars les plus marquant de cet engouement : Théatres d’Afrique Noire. Cette exposition fut accompagnée d’un riche journal qui faisait alors le point sur toutes les initiatives que nous avons évoquées144. Comme le laisse entendre son titre, elle reconnaît les productions artistiques de l’Afrique et les met sur le devant de la scène. Itinérante, cette exposition d’une cinquantaine de panneaux fut réalisée à deux exemplaires. L’un a longuement tourné en Afrique et s’y est perdu, l’autre reste introuvable en France. En parallèle à ce type d’initiatives, de nombreux mémoires et thèses viennent renforcer la présence du théâtre d’Afrique dans la réflexion universitaire consacrée à ces questions. D’un travail très pointu et réservé à quelques uns, les études sur le théâtre africain se généralise et banalise sa présence. Elles sont en grande majorité suscitées par les questionnements de Jacques Scherer ou Alain Ricard. Ce qui attire une grande part d’étudiants africains qui viennent étudier ce sujet en France faute de pouvoir le faire dans leurs pays. La proposition de faire venir des étudiants africains à l’Institut d’Etudes Théâtrales de la Sorbonne est d’ailleurs clairement énoncée dans les carnets de notes de Jacques Scherer qui s’y employa avec détermination145. La naissance d’une critique théâtrale en Afrique ? Dans les premiers numéros de Traits d’Union, mentionnés plus haut, Robert Cornevin détecte les prémisses d’une critique théâtrale africaine. Et de citer les articles rédigés par Lompolo Koné et d’autres animateurs africains de ces CCF dans lesquels la motivation pour le théâtre semble grande. Plus tard, les nombreux étudiants ayant poursuivis des études en France réalisèrent souvent un travail sur les pièces. Ce que l’on peut considérer comme une première approche de la critique théâtrale. La plupart du temps, cette critique est en effet sous-jacente ou commence à apparaître au premier plan146. Au-delà de ces travaux universitaires, les premières véritables critiques émanent des dramaturges eux-mêmes. Ainsi, Souleymane Koly qui apporta des contributions innovantes, publiées principalement par Africasia au cours de l’année 1971147. Il y défend une nouvelle 144Théatres d’Afrique Noire, février 1984, journal réalisé à l’occasion de l’exposition itinérante “ Théâtres d’Afrique Noire ” présentée au Centre Georges Pompidou du 8 février au 21 mai 1984 organisée par la BPI sous la direction d’Anne-Marie Blanc, Arsenal sous la côte Fol. W 761. 145 En particulier dans le premier, rédigé lors de son séjour à Dakar, il passe une “ convention ” avec Maurice Sonar Senghor pour la venue de deux étudiants par an en moyenne. 146 Sur ces questions, on consultera avec bénéfice, le travail de Jean-Marie Touré, Théâtre et liberté en Afrique noire francophone de 1930 à 1985, doctorat de littérature comparée, Bernard Mouralis (dir.), Cergy-Pontoise, 1997 147 Les références de ces quatre articles apparaissent dans la bibliographie. 93


approche de ce que l’on appelle depuis les années trente le « théâtre africain » avec une éternelle dose d’ironie ou de condescendance. Même si son optique est plus à la critique de la politique française, elle aura aussi des conséquences d’ordre artistique. Voici par exemple son point de vue sur les expériences de Keita Fodeba qui, jusqu’à son intervention, étaient regardées comme un modèle : “ Par l’utilisation qu’il faisait du folklore africain, le théâtre de Fodéba Keita restait très proche de la tradition de William-Ponty. Mais, par la dénonciation explicite qu’elle faisait du système colonial, cette troupe se trouvait incontestablement sur la voie qui aurait pu permettre la naissance d’un théâtre véritablement africain. On ne sait pourquoi, le groupe abandonna rapidement ses orientations politiques pour se consacrer au music-hall de grand standing.148 ” Des observations artistiques qu’il agrémente immanquablement de considérations politiques : “ Face au conformisme et au “ griotisme ” du “ théâtre africain ” d’aujourd’hui, cette troupe [Kaloum-Tam-Tam] se veut théâtre de dénonciation 149. Dénonciation aussi bien dans les thèmes abordés que dans la forme d’expression. Un théâtre qui se veut africain n’a le droit de mettre entre parenthèses aucune des préoccupations de l’Africain d’aujourd’hui. Au “ théâtre ” d’enthousiasme que nous connaissons doit succéder un théâtre d’interrogation, de contestation, de dénonciation. ” Confirmées par cette prise de position dans l’article suivant : “La conclusion logique, c’est qu’une troupe africaine conséquente doit considérer son existence à l’étranger comme une situation provisoire à laquelle il faut rapidement mettre fin si l’on ne veut pas être victime soit de la récupération, soit de l’intellectualisme “ rive gauche 150”. Une situation vécue par sa troupe, Kaloum-Tam-Tam, justement créée à Paris où elle rencontre le succès. Ces idées comportent un paradoxe qui affirme que l’on peut créer à Paris, un théâtre plus africain que celui créé à Dakar ou Kinshasa par des coopérants français. Le poids de l’action artistique est tel que la critique a du mal à se libérer complètement des considérations politiques. Il faut attendre les années 80 pour véritablement observer la naissance d’une critique purement artistique. 3.La multiplication des festivals et des lieux dédiés aux dramaturgies africaines 148 KOLY, Souleymane, « A la recherche d’un véritable théâtre africain » 149 A la date de publication de cet article, en janvier 1971, cette troupe présentait NON ! au théâtre de la Cité Internationale. Un spectacle au titre quelque peu évocateur… 150 KOLY, Souleymane, “ Un théâtre politique africain est-il viable en Europe ? ” 94


Après avoir vu l’intérêt particulier pour le théâtre africain à la fin des années 70, début des années 80, nous allons revenir à présent sur les initiatives qui en ont découlé. Le Théâtre des Nations : un précurseur ? On a constaté dans la deuxième partie le rôle moteur joué par le Théâtre des Nations pour la diffusion de spectacles africains. Les initiatives pouvaient globalement être classées en deux catégories, la première regroupant l’ensemble des spectacles dans la même veine “ folklorique ” et ceux, plus rare qui critiquaient ces pratiques, cette recherche de l’authenticité à outrance. Au final, le Théâtre des Nations apparaît comme un indéniable précurseur. Depuis sa création en 1957151, le Théâtre des Nations a connu de nombreuses difficultés de fonctionnement inhérentes à ses origines. S’il est d’abord une volonté des instances internationales de la culture et notamment de l’UNESCO et l’Institut International du Théâtre (IIT), l’organisation en fut très tôt déléguée au gouvernement français et à la Ville de Paris. Le premier tournant intervint en 1966 avec le transfert de ce festival dans le Théâtre de France, à l’Odéon, sous la direction du prestigieux Jean-Louis Barrault. Avec cette étape, le Théâtre des Nations franchit un point de non-retour. Il devient complètement dépendant d’un théâtre national de renom et en subira tous les conséquences, plus souvent mauvaises que bonnes152. En 1970, il fut décidé une réorganisation complète de ce festival, tant au niveau artistique qu’administratif. Si toutes les conditions semblent réunies en ce début des années 1970 pour l’accueil de spectacles africains, il semble que l’idée en ait été complètement abandonnée par les nouvelles instances dirigeantes. Cette situation ne trouve pas d’explication claire et officielle et ne peut être appréciée qu’à la lecture de documents qui reviennent sur cette refonte153. Dans la nouvelle équipe chargée de la “ réforme du Théâtre des Nations ”, on ne remarque pourtant pas de réticences particulières à l’égard des dramaturgies africaines. Il est vrai néanmoins que Jean-Louis Barrault ne semble pas avoir été associé, de près ou de loin à des initiatives touchant l’Afrique, à l’exception de tardives invitations à des colloques dont

151 Son prédécesseur, le Festival de Paris a été crée dès 1954. Il était organisé de la même manière, sous la forme d’une saison estivale. 152 L’exemple le plus caractéristique fut l’occupation du Théâtre de France lors des événements de 1968. Elle eut lieu durant la première représentation de la saison 1968 du Théâtre des Nations. 153 Les idées suivantes s’appuient essentiellement sur deux documents, le premier est un dossier conservé dans les archives du Bureau des Echanges Artistiques et intitulé “ Réforme du Théâtre des Nations ” (CAC, versement 18810010, carton n°63) et un document de 6 pages conservé par la Bibliothèque Gaston Baty sous le titre lapidaire : “ Le Théâtre des Nations ”, et signé “ M. BRAJOT, que l’on a identifié comme étant Guy BRAJOT. Un document émanant probablement du Ministère de la Culture, non daté. Datable de 1970/1971. 95


ne sait même pas si elles ont été honorées154. Voyons néanmoins qu’elle furent les conséquences de cette réforme sur les échanges théâtraux franco-africains. La réforme et le Ministère de la Coopération En 1970, lorsque Jean-Louis Barrault est officiellement chargé de la “ réforme ” du Théâtre des Nations, le problème principal est celui des bailleurs de fonds. Les crédits manquent et le festival ne peut plus être assuré avec les mêmes partenaires. Les services diplomatiques du Ministère des Affaires Etrangères se voient donc chargés d’une prospection dans l’ensemble des pays partenaires de cet événement théâtral. Pour l’Afrique francophone, cette démarche est opérée par le Ministère de la Coopération qui charge le Bureau des Echanges Artistiques du suivi de cette opération. Les réponses envoyées par les ambassades sont symptomatiques de l’état des rapports artistiques au début des années 1970. Ainsi, la grande majorité des gouvernements africains ne sont tout bonnement pas informés de cette demande. Les différentes procédures engagées par les services culturels dans les ambassades montrent parfois l’aveuglement ou la méconnaissance de l’action menée par les propres services du Ministère. A Madagascar, l’ambassade ne transmet pas les informations aux ministères concernés et présente cette réponse à son département de rattache : “ Madagascar en effet n’a jamais participé au Théâtre des Nations faute de moyens et surtout parce qu’il n’existe dans ce pays aucune troupe ayant la dimension internationale. Actuellement la Direction des Arts, des Lettres et des Sciences du Ministère Malgache des Affaires Culturelles se préoccupe avec la collaboration du Service Culturel de cette Ambassade et de son expert théâtre de rénover et de réanimer les structures du théâtre local.155 ” Non seulement la première affirmation est fausse et ne prend pas en compte la participation des « Ballets Malgaches » en 1961156 mais l’ensemble de cette lettre remet en cause l’action théâtrale de la France dans l’île. Une action véritablement pionnière, comme décrite dans la première partie de cette étude. La présentation de ce spectacle de “ ballets ” n’est peut-être pas considérée comme du théâtre. Sa sélection n’en a pas moins était orchestrée par le metteur en 154 Il apparaît ainsi sur la liste des personnes invitées au colloque interafricain de scénographie organisé à Abidjan en juin 1976 (CAC, versement 19810010, carton 63). A cette date, il avait déjà cessé définitivement ses activités pour le Théâtre des Nations. 155 Carton 63, lettre signée André Mahoudeau-Campoyer. 156 Selon l’affirmation du Rapport d’activité 1961/1963 du même Ministère de la Coopération, CADN, côte 3470, p. 83. 96


scène français, Jean Rougerie, chargé de prospecter et de présenter une troupe de standing international. Ce qu’il fit. Le nom de l’ “ expert théâtre ” affecté en 1970 au service culturel de l’Ambassade de France ne nous est malheureusement pas connu. Pour les autres Etats du champ de la Coopération157, face à cette même demande, voici la procédure suivie par les autres services culturels158 :

157Aucune donnée disponible concernant quatre pays de la Coopération : Sénégal, Guinée, République Centrafricaine et Burundi 158 Lettres contenues dans le dossier “ Réforme du Théâtre des Nations ” cité plus haut. 97


Aucune suite donnée à la demande de la Congo, Madagascar, Rwanda, Dahomey, Cameroun, Tchad, Haute-Volta. France. Raisons avancées : aucun crédit ne serait de toute façon accordé à ce type d’initiatives. Demande adressée au gouvernement. Demande adressée au gouvernement

Niger, Mali. et Côte-d’Ivoire.

réponse positive. Tableau 13 – La procédure diplomatique quant à la participation des gouvernements africains à la réforme du Théâtre des Nations159

Une majorité écrasante d’Etats ne sont donc pas prévenus de cette réorganisation et de cette demande de financement qui prouve une fois de plus l’étendue de la coopération de substitution au sein des instances artistiques au début des années 1970. Néanmoins, peut-on considérer cette prospection financière comme le début d’un changement dans la conception des rapports avec les Etats africains ? Peut-être de par la volonté du Ministère de diffuser cette information de pure forme. Si ce changement n’opère pas sur le plan politique, on peut penser que des considérations artistiques sont privilégiées. La réponse malgache est un bon exemple de cette situation. Pour le reste des pays, il va sans dire que les réponses des ambassades ne vont pas dans ce sens sauf pour quelques novateurs, tels Maurice Courage à Bamako ou Jacques Raphael-Leygues à Abidjan. Le festival de Nancy En parallèle à ce grand festival aux allures de grand’messe du théâtre mondial, d’autres initiatives voient le jour et promeuvent des dramaturgies africaines moins orthodoxes. Parmi elles, le Festival de Nancy fut l’un des premiers à accueillir des troupes africaines, quelques dix années après sa création en 1963. La venue en France de spectacles africains est toujours une entreprise difficile et parfois hasardeuse. Pour ces raisons logistiques, mais également pour des raisons financières, on retrouve des traces de l’activité de ces festivals dans les archives de l’administration chargée de ces questions. Elle est souvent utilisée comme un centre de ressources, un moyen de financer une opération ou bien encore un outil de prospection. Pour le festival de Nancy, l’ADEAC à jouer ces trois rôles dès la transformation de ce festival universitaire en « festival mondial » selon sa dernière dénomination. Pour les projets théâtraux, les organisateurs ne se réfèrent plus à l’administration de tutelle mais directement à l’association, opérateur officiel. En 1975, année décrite comme faste par un 159 Correspondances diplomatiques in « Réforme du théâtre des Nations » 98


grand nombre d’observateurs, le festival reçoit onze troupes africaines originaires de neuf pays (sur un total de 29) : Cameroun Côte d’Ivoire Dahomey Ghana Madagascar Mali Niger Sénégal Zaïre

- groupe de mvet - groupe d’acrobates de la région de Man - conteur traditionnel : M. OKRO - groupe des acrobates aux bambous de Ouidah - groupe de Mme Sutherland - groupe de Hira Gasy - ensemble national du Mali - groupe Amadou Dan Bassan - groupe d’acrobates peuhl - Mwondo Théâtre - groupe des Ekondas

Tableau 14 - Les troupes africaines au Festival de Nancy (1975)160

On constate la forte proportion de groupes que l’on qualifierait volontiers de folkloriques et qui s’inscrivent dans une continuité avec le Théâtre des Nations. Pourtant, il s’agit là aussi, d’un festival international de théâtre et non d’arts et traditions populaires. On amalgame donc des spectacles forts hétérogènes pour présenter ce que l’on considère comme la vraie face du “ théâtre africain ” (près de la moitié des troupes se composent d’acrobates). On note néanmoins la programmation novatrice de spectacles issus des courants du théâtre traditionnel. Le groupe de Hira Gasy en provenance de Madagascar marque une très nette filiation avec les travaux menés par les troupes franco-malgaches d’Odeam Rakoto et de plusieurs hommes de théâtre français. Cette mise en avant des formes traditionnelles de théâtre va permettre une meilleure approche de la dramaturgie africaine et une meilleure diffusion dans d’autres villes de France, de manière exceptionnelle, dans le cadre de festivals ou de façon beaucoup plus anodine. Les spectacles africains entrent peu à peu dans les programmes de bon nombre de petits théâtres ou centres culturels municipaux dans la deuxième moitié des années 1970. Les archives consultées n’ont livré que de rares informations sur les rapports entretenus entre l’administration et l’association gestionnaire du festival de Nancy. On relèvera néanmoins quelques indices de préoccupations communes en matière de création théâtrale africaine. Pour la préparation de la dixième édition du « Festival mondial du théâtre » (du 8 au 19 mai 1975), Michel Boudon, un collaborateur de l’ADEAC est envoyé en « mission de préparation »161. Celle-ci se traduit finalement par une prospection pure et simple des troupes qui pourront 160 CAC, Versement 19810010, carton 63, « Programme de la saison 1975 » 161 CAC, versement 19810010, carton 63, deux dossiers relatifs au Festival mondial du théâtre de Nancy, 10e édition. 99


intéresser les publics du festival. Dans ce même cadre, de nombreuses demandes de subventions sont demandées par le co-directeur du festival, Lew Bogdan, mais ne sont jamais honorées par le Bureau des Echanges artistiques. En 1975, la volonté était forte de faire tourner des troupes africaines et les moyens financiers commencèrent à être débloqués. Cette volonté est bien présente dans une lettre du secrétaire général Armand Dreyfus qui annonce au directeur du festival l’intention du « Département » de financer les voyages de « stagiaires africains » pour le festival 1975. Les frais sur place restant à la charge du festival 162. Il s’agit là d’une pratique courante de la part de l’ADEAC qui transpose en France ses méthodes de financement, les voyages sont pris en charge mais la résidence dans les localités de représentations semble à la charge des CCF et autres structures de réception. Une méthode qui prouve la faiblesse du budget de l’ADEAC mais qui montre aussi une claire intention d’exporter les pièces dans de nombreux endroits. Rappelons que c’est également en 1975 que le festival de Nancy accueillit le Mwondo Théâtre dont nous avons montré dans la première partie l’utilisation politique par le gouvernement de Mobutu Sese Seko. On ne peut imaginer qu’un responsable comme Lew Bogdan n’avait eu vent de cet aspect de la question. Il avait lui-même réalisé un spectacle très innovant en janvier 1967 au Niger. La mise en scène de la Paix d’Aristophane en collaboration avec le Centre Culturel Franco-Nigérien.163 Voici le propos introductif de l’album réalisé à cette occasion : « La Paix est en quelque sorte le prototype de ce que pourrait être le théâtre africain. On appelle théâtre africain un théâtre de la participation totale : un théâtre de la danse, du chant, du rythme, des rires, des contacts directs entre le public et les acteurs. L’intérêt de cette pièce réside, dans le fait que l’action avec toutes ses résonances antiques se déroule sur une toile de fond où s’enchevêtrent de multiples éléments de la culture “ néo-africaine ”. L’aspect peut être hybride : rocks, montages, films, chants des griots en haoussa sur le texte d’Aristophane, danses sur des rythmes africains ou modernes, présence latente de la mythologie cinématographique qui occupe une très

162 Idem, dossier « accueil stagiaires africains au festival de Nancy » 163 Le carton 496 du fonds ADEAC aux Archives du Quai d’Orsay comporte un grand nombre de photos inédites et particulièrement intéressantes pour « visualiser » l’œuvre théâtral français en Afrique. Parmi elle, un impressionnant album entièrement consacré à la création de la Paix d’Aristophane par Lew Bogdan. Les difficultés inhérentes à la reproduction de documents photographiques dans cette prestigieuse enceinte nous ont dissuadé de les publier ici. 100


grande place en Afrique.164 ” On voit donc dans ce court texte les préoccupations premières de ce metteur en scène plus intéressé par le métissage de ses réalisations scéniques que par l’utilisation de certaines troupes à des fins politiques Festival de Rennes165 La mise en avant de ces formes traditionnelles doit beaucoup aux festivals précédemment mentionnés mais surtout à la création d’une nouvelle formule qui leur est entièrement consacré : le “ Festival des Arts Traditionnels ” dont la première édition eut lieue à Rennes, au sein de la Maison de la Culture, en 1972. Le statut de cette institution n’est en rien un hasard. On a vu à plusieurs reprises le lien qui unissait les processus de décentralisation théâtrale en France et de diffusion du théâtre en Afrique, il est donc logique qu’une institution relevant du premier mette en valeur le second. Cette maison de la culture était confiée à l’époque au couple de metteurs en scène : Chérif Khaznadar et Françoise Gründ. Pour la première fois dans ce genre d’initiatives il semble que l’attrait pour le folklore cède la place à un véritable intérêt pour des formes artistiques extra-occidentales, sans quête désespérée de l’authenticité de ces spectacles. Ce festival fut ainsi l’occasion d’une ouverture au théâtre anglophone d’Afrique. En 1975, il reçu ainsi un opéra yorouba de Duro Ladipo166. Les théâtres noirs de Paris Au milieu des années 70, certains tenants de la négritude souhaitent ouvrir leurs théâtres au cœur de Paris pour y réaliser une programmation entièrement tournée vers le monde noir. L’une de ces initiatives a particulièrement intéressé l’ADEAC qui lui a rapidement offert son soutien : le théâtre noir de Benjamin Jules-Rosette. D’origine martiniquaise, ce comédien fut envoyé deux fois en mission africaine par l’ADEAC. La première expérience consistait, avec l’aide de Claude Confortès, à mettre en place le Théâtre National du Togo. L’autre, solitaire, n’était qu’un stage de moindre importance167. Il y a donc eu, de la part de l’association, une volonté de rapprocher les grands courants de la négritude, nés de part et d’autre de l’Atlantique. Depuis l’après-guerre déjà, les pièces d’auteurs antillais étaient déjà beaucoup 164 Orsay, Carton 496, album photo « La Paix ». 165 Une initiative qui donna naissance à la Maison des Cultures du Monde de Paris qui fait aujourd’hui plus pour la musique que pour le théâtre. (Développement notamment de l’ethno-scénologie sous l’impulsion de Françoise Gründ). 166 Maison de la culture de Rennes, 9e Festival des Arts Traditionnels, 13-20 mars 1982, Rennes, Maison de la Culture, 1982 167 Selon l’entretien téléphonique du 11/06/04. 101


appréciées en Afrique. Des écrivains comme Aimé Césaire ou, plus tard, Edouard Glissant, furent considérés comme des Africains par les comédiens africains eux-mêmes. Lydia Ewandé et d’autres témoins confirment cette appropriation des textes de la négritude. Elle a par exemple réalisé un montage de textes des auteurs précités et les a naturellement qualifiés d’ « Africains » durant notre entretien. Constatant tardivement la vigueur de ces échanges, l’ADEAC tenta de les appuyer : “ Parallèlement à cette enquête, j’ai demandé à Melle Herbet d’aider les premiers pas à Paris d’un “ Théâtre Noir ” qui vient de se créer avec notre appui, et dont l’objectif est de faire connaître aux publics français des réalisations théâtrales d’auteurs francophones, des spectacles musicaux et des œuvres plastiques, d’artistes africains et antillais vivant en France. Un premier spectacle doit être créé dans cet esprit en février prochain à Paris sur un texte antillais de Jacques Roumain : Gouverneur de la Rosée.168 ” Ce soutien ne fut que de courte durée et les initiatives postérieures ne parvinrent pas à faire décoller ce théâtre à la gestion difficile. Théâtre, Afrique et francophonie. A la suite de toutes ces initiatives œuvrant pour la reconnaissance d’un théâtre traditionnel africain, constituait sans l’aide de l’ancienne puissance coloniale, de nombreuses initiatives ont souhaité inscrire les nouvelles formes issues de cette collaboration artistique francoafricaine dans le cadre de la Francophonie. Le Festival de Limoges La naissance en 1984 de ce festival aujourd’hui extrêmement réputé nous apparaît symptomatique. Elle correspond à un nouvel engouement pour toutes les formes artistiques venues d’Afrique et de la Francophonie en général et de la redéfinition des rapports artistiques avec les pays africains. Dans le même temps, l’ADEAC était dissoute dans l’AFAA. Comme une conséquence de cette situation, ce festival ne trouva qu’un faible soutien auprès du Ministère de la Coopération et se tourna donc vers les Ministères des Affaires Etrangères et, surtout, de la Culture. Ce dernier ayant mis en œuvre, dès 1981, une vaste politique internationale. Ce contournement de la Coopération est un désaveu cinglant pour sa politique de diffusion théâtrale. Même s’il s’agissait principalement d’organiser des tournées en Afrique, nous avons vu les nombreuses expériences de troupes africaines en France. Des 168 CAC, versement 19810443, carton 80. Lettre signée Armand DREYFUS adressée à Hubert DUBOIS le 12 novembre 1974. 102


tournées réussies dans la majorité des cas lors des déplacements en province. Pourtant, ce festival devint la vitrine quasi officielle du théâtre en provenance d’Afrique. On peut d’ailleurs se demander si, devant cette réussite et cette vivacité, les repreneurs des activités de l’ADEAC n’ont pas préféré revoir complètement leur action, abandonnant ainsi la diffusion artistique en Afrique même. Dans cette optique, on peut percevoir la création de l’association « Afrique en Créations » en 1990, comme l’aboutissement de cette démarche, d’ailleurs largement inspirée par le Festival de Limoges169. Le Théâtre International de Langue Française (TILF) On a vu que la programmation de troupes traditionnelles africaines n’avait pas pu se passer des services de la coopération artistique. Paradoxalement, la finalisation des initiatives ayant trait au théâtre francophone africain n’intervint que tardivement et bénéficia moins de ces mêmes services. La création du Théâtre International de Langue Française (TILF) intervient en 1985 sur l’initiative du metteur en scène français, Gabriel Garran. Il s’agissait au départ d’un lieu d’abord nomade170, l’implantation définitive dans le parc de la Villette ne s’effectua qu’en 1993. Cette idée de promouvoir le “ théâtre africain ” sur des scènes largement réservés à des spectacles de l’ensemble du monde francophone n’est pourtant pas neuve, dans la conclusion de son étude sur le théâtre en Afrique, Robert Cornevin invitait déjà la génération suivante à œuvrer pour la mise en place de ce type de structure : “ Arrivé au terme de ce livre, j’espère avoir convaincu le lecteur de l’extraordinaire richesse du patrimoine théâtral de l’Afrique francophone et de Madagascar, de la valeur des auteurs, des pièces, des animateurs, des acteurs et aussi des critiques dramatiques de la presse africaine. Dans l’ensemble francophone qui s’édifie, le théâtre d’Afrique noire et de Madagascar doit jouer un rôle à sa mesure. Certes la France, le Québec, la Belgique doivent aider de toutes leurs forces cet essor du théâtre africain, mais c’est en définitive des Africains eux-mêmes que dépend la solution des divers problèmes. C’est croyons nous, au sein de l’Agence de coopération francophone, issue de la conférence de Niamey, que devraient s’édifier des structures nouvelles d’action et de renouveau. Si la lecture de ce livre permet aux Africains et à 169 Cf. Afrique en créations, Paris 15-16 janvier 1990 : création artistique, dialogue des cultures, développement : les enjeux de la coopération culturelle : actes des rencontres, Paris, Ministère de la Coopération et du développement, 1990, 223 p. 170 Il se produisait alors dans divers lieux : Centre Georges Pompidou, Théâtre National de Chaillot, Maison de la Culture « MC 93 », Théâtre de la Tempête, Bouffes du Nord. 103


tous ceux qu’intéresse le théâtre de prendre une plus juste mesure de ces problèmes, l’auteur aura atteint son but.171 ” Cette déclaration d’intention paraît a posteriori symptomatique de la situation du théâtre et de l’Afrique dans la Francophonie en 1970. Cette conclusion offre une synthèse unique et honnête pour plusieurs raisons. La première tient aux intuitions de l’auteur qui veut croire en l’efficacité de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT)172 dans une politique du théâtre plus innovante et offensive. Il se place ainsi dans une perspective à long terme. L’arrivée du théâtre dans les démarches pour la francophonie n’a pas toujours était positive. C’est en effet l’un des critères qui furent souvent avancés pour critiquer la politique artistique de la France en Afrique, parmi d’autres problèmes étudiés ci-après. B. Les critiques à l’égard de la politique française Si des pièces de théâtre173 ont pris comme thème la critique de la Coopération française en général, d’autres voix se sont élevées pour critiquer la politique du théâtre en particulier. 4.La langue française La langue dans laquelle s’expriment les dramaturges est depuis toujours une question existentielle pour le théâtre, art de la parole par excellence. Dans le cadre de la Francophonie exposé plus haut, cette question a énormément pesé sur la création d’œuvres originales en Afrique. Voici ce qu’en pense le délégué du Sénégal au Stage interafricain de théâtre d’Abidjan (1971), Moussa Diouf174 : “ Le grand problème suivant concerne la langue que devra adopter le théâtre africain contemporain : est-ce une langue d’emprunt ou l’emploi des langues nationales. Ce problème souvent soulevé suscite des positions divergentes. Le Sénégal, quant à lui, a opté pour les deux procédés. Nous considérons en effet que le théâtre africain d’expression française est, et reste un acquis et que le français, notre langue officielle, nous est précieuse, non seulement comme langue de communication internationale, 171 CORNEVIN, op. cité, p. 296 172 L’ACCT, agence fondée en 1970, est l’ancêtre de l’actuelle Agence Intergouvernementale de la Francophonie (AIF). 173 OUEDRAOGO, Yamba Elie, Coopération ou Conspiration ?, Paris, Radio France internationale, 1977, 66 p. ronéotypées (A la BGB sous la côte et LABONTE, Louis-Roger, Une efficace coopération (resté introuvable). 174 Professeur d’art dramatique à l’école nationale des arts du Sénégal. 104


mais encore à l’intérieur du pays. Mais à cela, il faut opposer, en faveur de l’option pour un théâtre qui s’exprimerait dans les langues nationales, le fait que la grande masse de nos populations ne parle pas le français, ou en tout cas n’est pas à même de saisir toutes les nuances et subtilités de la langue française, et que dans un pays, tous les citoyens doivent avoir une égale chance d’accéder à la culture.175 ” L’étouffement du théâtre en langues vernaculaires par les français est un thème récurrent des critiques qui ont été formulées à cette époque. Plusieurs documents présentés dans cette étude prouvent pourtant une volonté contraire. En fait, les responsables de la coopération culturelle se sont souvent retrouvés dans une situation schizophrénique. D’un côté la volonté de défendre impérativement la langue française, de l’autre l’idéal du respect de la culture d’autrui. Des objectifs assez éloignés l’un de l’autre. 5.L’allégeance à la France En plus du problème de la langue, de nombreux auteurs ou comédiens ont soulevé le problème de l’allégeance à la France de toutes les initiatives théâtrales en Afrique. On peut par exemple penser au dramaturge nigérian Wole Soyinka pour qui l’organisation du concours théâtral interafricain stigmatise tous les problèmes de ce lien problématique. Il déclare par exemple que ce concours est à l’origine d’une standardisation des formes de représentation en Afrique176. Dans le même ordre d’idée, l’action théâtrale française a du faire face à de multiples détracteurs parmi lesquels la Société Africaine de Culture (SAC) d’Alioune Diop, Bakary Traoré et Lamine Diakhaté. Cette société, dans la mouvance de la prestigieuse revue Présence Africaine, veillait alors à la reconnaissance des artistes africains. On la retrouve par exemple lors des réunions de constitution de l’Institut Culturel Africain (ICA)177 à Dakar. Une initiative à laquelle la France attache beaucoup d’importance. Trop selon la Société Africaine de Culture : « En résumé, nous pouvons d’une part, nous féliciter de n’avoir pas subi,

175 CAC, versement 19810010, carton 63, « Stage interafricain de théâtre du 4 novembre au 4 décembre 1971 à Abidjan, INA », programme accompagné de cette communication de M. Moussa Diouf, 3 p. 176 Des idées développées au début de l’ouvrage de Rogo Koffi FIANGOR, Le théâtre africain francophone : analyse de l’écriture, de l’évolution et des apports interculturels, Paris, L’Harmattan , 2002. Lui-même reprend : Notre librairie, HS, sept. 1993, p. 31, entretien de Wole Soyinka avec Jane Riez. 177 Auparavant appelé Institut Culturel Africain, Malgache et Mauricien (ICAMM) pour une implantation dans les pays de l’OCAMM, Organisation Commune Africaine, Malgache et Mauricienne. 105


comme à Fort-Lamy178, des critiques systématiques de notre action culturelle dans les pays membres de l’OCAMM et, d’autre part, constater que l’unanimité ne s’est pas faite sur ce que devraient être les relations entre l’ICAMM et la SAC, que la naissance de l’Institut à la prochaine conférence des chefs d’Etats à Fort-Lamy est relativement probable sinon certaine, que le démarrage de celui-ci sera en tout état de cause lent et difficile.179 » On imagine donc le lien très fort qui existait alors entre cette instance et la coopération culturelle pour que tant de moyens soient déployés pour sa création. Ce qui explique les réticences d’un organisme qui prône l’indépendance de la création africaine, comme la Société Africaine de Culture. Ce projet réussit pourtant et amena la multiplication des expériences panafricaines au cours des années 70. A ce titre, cet organisme reçu d’ailleurs le soutien de l’UNESCO. 6.Un regard extérieur sur l’expérience française Dans le monde anglo-saxon, l’acceptation des “ minorités visibles ” par la société a toujours semblé plus facile qu’en France. Pour ce qui est de la présence des acteurs noirs sur les scènes françaises nous disposons d’un regard extérieur, en l’occurrence, celui du dramaturge africain américain, Melvin Van Peebles. Voici la présentation dressée par le Figaro, en exergue à son article intitulé “ Où va le théâtre noir ? ” : “ Romancier, musicien, journaliste, auteur dramatique, il fait partie de ce groupe d’écrivains noirs américains qui ont choisi de vivre à Paris.180 ” Lorsqu’il s’exprime au milieu des années 60 dans le grand quotidien français, c’est pour pointer du doigt des pratiques qui ont cours depuis l’origine dans l’emploi des acteurs noirs sur la scène française et qui se poursuivent après ces interventions selon de nombreux témoignages181. Il est intéressant de lire cet article publié, six ans après la création des Nègres de Genet, à Paris, en 1959. A une époque où l’on aurait pu croire à une certaine libération des mentalités au sujet des comédiens noirs en France. Les tous premiers mots de cet article laissent pourtant penser le contraire : 178 Précédente réunion de préparation qui eut lieu dans cette ville du 15 au 20 décembre 1969. 179 CAC, Versement 19810010, carton 65, conclusion du «Rapport de J. Janvier, Conseiller culturel au Cameroun. Réunion sur l’Institut Culturel africain de Dakar, Dakar (25-28 novembre 1970) » 180 VAN PEEBLES, Melvin, “ Où va le théâtre noir ? ”, Le Figaro littéraire, semaine du 25 au 3 mars 1965 181 On peut citer en exemple la table ronde au ministère de l’Outre-mer qui a tirer sur la polémique et les travaux de Sylvie CHALAYE, dont le n° 172 de théâtre/public. 106


“ L’état général du théâtre en France est mauvais, dit-on ; la situation du théâtre noir y est encore pire. ” Qui peut-être meilleur observateur de cette situation qu’un dramaturge étranger, lui-même confronté au milieu théâtral hexagonal ? Cette position privilégiée ne l’empêche pourtant pas de dresser un réquisitoire sur les seuls rôles proposés à ces acteurs, un constat que l’on peut mettre en parallèle avec les refus qu’essuient les candidats africains à l’entrée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD). Ainsi, nombreux sont les étudiants qui se sont vus proposés l’entrée à l’Ecole de la rue Blanche, imposée aux candidats étrangers182. Immanquablement, il était répondu que, le CNSAD étant l’antichambre de la Comédie-Française, son accès été du même coup interdit aux artistes noirs. Les grands rôles étant, par tradition, dévolus aux acteurs blancs, voici les rôles dans lesquels les Noirs restaient cantonnés selon Melvin Van Peebles : “ Bouffon, amuseur : espèce remise à la mode dernièrement sur l’écran de télévision, mais heureusement en voie de disparition, parce que les Noirs ont décidé de ne plus s’y prêter et que les Blancs ont trop appris à compter désormais avec eux pour avoir envie d’en rire. Accessoiriste extraordinaire : de l’espèce qui ouvre et ferme les portes, qui apporte sur scène un verre d’eau, une lettre sur un plateau, tous emplois réservés au Noir par convention ; Oiseau de paradis : personnage exotique qu’on colle dans les pièces pour faire plus coloré ; tout comme on colle du jazz sur les documentaires. Caractère intégral : contrairement aux trois catégories précédentes, qui sont de la pure exploitation commerciale, cette dernière catégorie est née de diverses tentatives d’auteurs pour donner au Noir un rôle intégral dans la pièce. Mais, à l’exception des « Nègres » de Jean Genet, plausibles parce qu’inscrits dans une fantaisie au deuxième degré, moins on en dira sur ces rôles, mieux, probablement, cela vaudra. Car, malheureusement, ils sont ordinairement aussi absurdes que ceux conçus pour la grossière exploitation commerciale dont je viens de parler, aussi absurdes que les rôles d’accessoiriste extraordinaire et d’oiseau de paradis ; ou même que les rôles de 182 Ainsi, Lydia EWANDE, dans notre entretien nous a fait part de cette situation dès les années 50 et, plus récemment, ce même constat a été fait par Félicité Wouassi, finalement admise dans la classe de Pierre Vial en tant qu’étudiante étrangère (T/P 172, p. 40). Bakary Sangaré a également fait l’Ecole de la Rue Blanche (cf. table-ronde au ministère de l’Outre-mer et portrait de Bakary Sangaré dans Théâtre/Public n°172, p. 65). Selon Robert CORNEVIN, op. cit., p. 189, Bitty Moro, ivoirien, fut le premier Africain à entrer au CNSAD en 1965 après un passage par le Centre d’art dramatique de la rue Blanche dès 1963. 107


bouffon et d’amuseur d’autrefois ” Cette peinture pourrait paraître caricaturale si elle n’était confortée par des témoignages d’acteurs de cette époque. Ainsi, après avoir joué dans les Nègres de Genet dès la création de cette pièce, l’actrice camerounaise Lydia Ewandé ne se voit proposer qu’un rôle de boulevard dans une “ mauvaise pièce183 ” de François Campot intitulée Les enfants de chœur184. Jouant la fiancée noire, personnage d’importance moyenne, la scène la plus drôle de tout le spectacle se déroulait au téléphone lorsque l’actrice parlait en douala, sa langue maternelle, pendant de longues minutes. Déclenchant ainsi, chaque soir, sept fois par semaine, les rires enthousiastes des spectateurs du théâtre des Capucines. Si elle déclare n’avoir pas été particulièrement blessée par ce rôle, elle regrette pourtant d’avoir été obligée de jouer dans une pièce sans envergure après la “ grande aventure ” des Nègres. On peut penser que cette situation n’a pas perduré suite à l’action de l’ADEAC en Afrique et à ses multiples retombées en France. C’est ce que laisse penser un intervenant lors d’une table ronde organisée par cette même association le 14 avril 1975 : « M. ROSNER – D’autre part, il y a le problème des stages. Au Conservatoire de Paris, il y a beaucoup d’Africains, une vingtaine ; qu’attendent-ils en venant au Conservatoire de Paris ? Ils attendent que nous leur parlions, non pas de l’Afrique mais de nous, mais je pense que les étudiants français, des comédiens, des futurs comédiens ou des créateurs ou des artistes auraient autant d’intérêt peut-être à aller faire des stages de type équivalents, même si les Conservatoires n’existent pas. Quand je vois que Peter Brook est allé passer x mois en Afrique et qu’il en ramène un spectacle, il n’a rien apporté aux Africains ; il a tout pris. Les échanges, me semble til, ne devraient se faire qu’au plus haut niveau.185 » La question est là encore exposée sous forme de problème mais il semble que le principe d’une égalité de traitement entre acteurs blancs et noirs soit définitivement adopté. Pourtant, l’arrivée en nombre des acteurs noirs sur les scènes françaises n’est toujours pas une réalité aujourd’hui. Les causes qui la fondent sont finalement assez éloignées de notre sujet. Il semble néanmoins que les conséquences de l’action artistique sur cet état de fait ait été plutôt bénéfiques pour les comédiens noirs.

183 Selon ces dires durant notre entretien. 184 Notre recherche sur cette pièce est restée vaine. 185 Orsay, carton 438, sténographie de la « Table ronde organisée par l’ADEAC le lundi 14 avril 1975 » 108


7.L’impossible autonomie ? Les autorités africaines n’ont pas attendu la disparition de l’ADEAC pour initier des politiques théâtrales plus ou moins innovantes et éloignées du modèle inspiré par la France. Par exemple, l’Institut Culturel Africain (ICA) s’intéressa particulièrement au théâtre dès la fin des années 1970. En juin et juillet 1978, l’organisation d’un « stage-séminaire interafricain sur le théâtre » à Abidjan ouvrit la voie à des actions pilotées depuis le continent. Dans sa forme, ce « stage-séminaire » rappelle néanmoins les grand-messes « interafricaines » organisées par le Ministère de la Coopération par l’entremise de l’ADEAC. Très nombreux durant le début des années 70, avec par exemple, le stage interafricain de théâtre dirigé par Jean-Marie Serreau à Abidjan, le colloque interafricain de scénographie en 1975 ou encore, stage-séminaire interafricain de théâtre en avril 1978, tous trois réalisés à l’INA d’Abidjan. Avec ces exemples, on mesure combien les « initiatives » africaines sont la copie des réalisations de l’ADEAC. Dans un document programmatique réalisé à l’issue de stage séminaire de l’ICA186, il est fait mention d’ambitions paradoxales : la volonté de promouvoir le théâtre africain de manière autonome mais la présentation de projets qui ne sont que le calque des expériences passées… La rupture n’est pas nette et brutale, elle souhaite s’installer dans la continuité de l’action artistique française. Après l’observation des initiatives panafricaines, il est difficile de renoncer au schéma selon lequel la France a toujours une place prépondérante dans les choix artistiques. S’il s’agit la plupart du temps d’une initiation ou de soutiens technique et financier, les conséquences s’observent toujours au niveau de la pratique. Dès la réorganisation de l’ADEAC engagée en 1971, apparaissait déjà cette volonté de susciter chez les Africains un désir d’autonomie artistique : « Une place particulière doit être faite aux stages d’initiation, aux techniques d’animation et de gestion. Ils répondent au besoin de plus en plus fréquemment formulé par nos partenaires africains de prendre eux-mêmes en main l’organisation de leur vie culturelle.187 » A partir de cette date, les responsables français ne suscitent plus seulement les demandes mais souhaitent qu’elles répondent enfin aux attentes des artistes africains. On peut clairement y voir le début d’un désengagement en douceur qui se traduit par l’abandon pur et simple de cette coûteuse politique à la fin de l’année 1983. Le tout reste de savoir si, dans l’intervalle, 186ICA Information, n°10, 4e trim. 1978 (Le rôle du théâtre dans le développement culturel africain) 187 CAC, Carton 65, « ADEAC – Historique et fonctionnement » 109


on a laissé aux comédiens africains les moyens de se former, de vivre de leur art de manière autonome. La présence des conservatoires (INA), après toutes les critiques qui ont pu être formulées, apparaît tout de même comme un outil prévu pour le long terme. A la tête de ces instances, essentielles pour la formation d’un milieu théâtral homogène, on a placé petit à petit des décideurs africains qui ont composé leurs propres équipes d’enseignants, en remplacement des coopérants. Cette démarche ne trouve sa finalité qu’après la fin de notre période d’étude. Rappelons en effet qu’au début des années 80, nombreux sont les assistants techniques encore en place dans les INA.

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Conclusion Même si elle assure toujours la défense du théâtre par le biais des Centres Culturels français et de programmes spécifiques coordonnés par l’Association Française d’Action Artistique (AFAA), la France a abandonné la politique volontariste et forte des années soixante-dix. Il s’agit d’une conséquence attendue à la vue de l’ensemble des points mis au jour dans cette étude. Si le théâtre en Afrique francophone a sans doute bénéficié des éléments positifs transmis par cette politique de diffusion théâtrale, il est vraisemblable que des éléments négatifs se sont développés dans le même temps. Ainsi, l’abandon brutale de l’ambitieuse politique menée par l’Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels (ADEAC) au début des années quatrevingt n’a pas permis une transition sereine. En matière de répartitions des spectacles entre France et Afrique, on ne peut que constater un renversement complet de la situation. D’une large diffusion et de nombreuses actions pédagogiques en Afrique, les responsables ont finalement opté pour un accueil plus large des troupes africaines en France. C’est sans doute ce revirement qui explique le repli obligé de l’ensemble des acteurs du théâtre en Afrique sur un petit nombre de manifestations organisés par la France pour les recevoir. Limoges fut longtemps la capitale du théâtre en provenance d’Afrique. Nous y voyons l’un des symptômes majeurs de ce revirement des autorités de la coopération culturelle. Dans ce genre d’initiatives, la France se sort toujours grandi puisqu’elle permet tout de même à des comédiens de produire et de présenter leurs spectacles à des publics divers. L’ensemble de la politique française exposée dans cette étude confronte les femmes et les hommes de théâtre africains à une situation paradoxale : l’existence d’une pléthore de manifestations qu’ils peuvent critiquer mais auxquels ils sont contraints de participer s’ils ne veulent pas être marginalisés. Avec cette technique, la France s’est allié la création théâtrale de tout un continent et s’en trouve aujourd’hui honorée. Face à ce constat, comment mesurer les résultats de la politique de l’ADEAC ? Selon son intitulé même, cette association visait au “ développement des échanges artistiques et culturels ”. On a vu combien la balance de ces échanges était déséquilibrée au profit de la France. Malgré cela, le milieu théâtral africain a indéniablement su tirer partie des actions qui lui étaient proposées. Dans le même temps, la France gagnait son pari de faire régner le français sur les scènes de théâtre africaines. Vingt ans plus tard, on sait combien il est difficile pour les dramaturges africains de créer des pièces en langues locales sans se sentir 111


responsable d’un manque, d’une absence d’universalisme. Cette étude montre à quel point les moyens mis en œuvre par la France ont contribué à un tel état de choses. Restent aujourd’hui des dramaturgies de grande qualité, reconnues de part le monde pour la justesse et l’universalité de leurs propos. La politique de diffusion théâtrale de la France a donc porté ses fruits. Elle a une responsabilité indéniable dans la diversité actuelle de dramaturges et d’interprètes de talent. On peut penser que la France continuera de soutenir cette création tant que celle-ci servira les intérêts de sa culture et de sa langue auprès des populations africaines. Dans une large mesure, l’action théâtrale de la France en Afrique est aujourd’hui entre les mains des Africains.

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ANNEXES

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L’action culturelle du Théâtre de l’Union Française (TUF) (1957)188 Il y douze années, en mars 1945, un projet de tournées théâtrales dans nos territoires d’outre mer, dont l’utilité se faisait sentir, était déposé lors du Congrès national du spectacle, réuni en vue de réorganiser la profession ; mais ce n’est qu’en fin 1952 que la première troupe de ce qui allait devenir le TUF se rendait en Indochine, invitée par le Général de Lattre de Tassigny. Ayant ainsi fait ses premiers pas, et s’étant rendu compte de ce qu’il pouvait apporter à la connaissance et au développement de la langue française dans les territoires d’outre mer, le TUF se constitua en société anonyme à la fin de 1952. Dès le début de ses tournées, le TUF s’assura de son succès : non seulement la troupe était composée d’excellents acteurs, mais surtout ceux qui avaient accepté d’en faire partie comprenaient le rôle social de leur action et étaient dévoués à la cause qu’ils voulaient servir. Cet esprit ne s’est jamais démenti, et, depuis, la troupe, forte de douze acteurs – différents chaque fois et dont chacun doit pouvoir interpréter plusieurs rôles distincts – a effectué dix tournées, transportant avec elle plus d’une tonne de matériel : décors, costumes, meubles, accessoires, matériel électrique. A la date de janvier dernier, soit en un peu plis de cinq ans, l’AEF, le Cameroun, le Congo Belge ont été visités six fois, l’AOF et le Togo cinq fois, quatre fois Madagascar, la Réunion, le Cambodge, la Côte française des Somalis et l’Ethiopie, une fois le Maroc, le Laos et le Pakistan. En 1500 jours de voyage, devant 750 000 personnes ; l’ensemble des déplacements donne le chiffre de 450 000 kilomètres. On saisit là l’effort qu’il faut fournir pour soutenir un tel rythme, surtout si l’on réalise que les acteurs doivent assumer, en sus des fatigues afférentes aux déplacements, aux représentations et à la rigueur du climat, une tâche supplémentaire d’administration, de secrétariat, d’entretien des costumes, et surtout celle du montage et démontage des décors, de l’installation et du réglage des éclairages, dans des salles souvent inconnues et quelquefois improvisées. Seul un esprit d’équipe total et désintéressé pouvait permettre d’obtenir ce résultat. Soulignons que la société, composée d’acteurs, est dirigée par un conseil d’administration d’acteurs, ce qui est rare dans les annales théâtrales contemporaines. L’action du TUF est double. Tout d’abord, représenter devant les écoliers, particulièrement devant les autochtones, les admirables pièces du répertoire classique ; ensuite, apporter une certaine détente morale et un peu d’air de Paris aux Européens se trouvant loin de la Métropole, en leur présentant des pièces d’auteurs modernes. Ces deux répertoires, classique et moderne, sont joués dans la même proportion l’un et l’autre. Les pièces destinées aux étudiants et écoliers, comprennent les auteurs et titres suivants : Corneille (Le Cid, Polyeucte), Racine (Britannicus), Molière (Les femmes savantes, Les fourberies de Scapin, Le médecin malgré lui, L’école des femmes, Le misanthrope, Le Malade imaginaire, Le bourgeois gentilhomme), Regnard (les folies amoureuses), Marivaux (Le jeu de l’amour et du hasard), Beaumarchais (Le barbier de Séville), Musset (la Nuit d’octobre). On peut estimer que ces représentations ont touché 350 000 scolaires – dont 90% sont Africains, Malgaches et Vietnamiens – qui ont vu devant eux des textes prendre vie. Il s’agit bien là de “ TP ”de l’enseignement qui leur a été donné à l’école, et la troupe se trouve donc associée aux professeurs dont elle vient soutenir les effort. L’année passée, en huit mois furent données 260 représentations de pièces classiques – 188 FROMENT-GUIEYSSE, Philippe, “ L’action culturelle du Théâtre de l’Union Française ”, Encyclopédie mensuelle d’outre-mer, n°80, avril 1957, p. 165-166. 114


dont 38 du Malade imaginaire – en 240 jours de voyage : mais quelle encouragement, pour ceux qui se donnent tout à leur art et à leur œuvre, de constater que c’est à bon escient que réagit le public, de sentir cette jeunesse apprécier et goûter les chefs-d’œuvre du théâtre français. En 1954, fut tentée une expérience de représentation mixte, en Côte d’Ivoire : la deuxième partie du spectacle fut tenue par le groupe folklorique culturel du Territoire, qui joua une comédie africaine de M. Goffi-Gadeau (sic), “ Kode Yao ”. Devant le résultat encourageant, le TUF a monté plusieurs spectacles mixtes en confiant à certaines troupes locales la réalisation des ballets du Malade imaginaire et du Bourgeois gentilhomme. Ces représentations, très “ Union Française ”, incitent le public à venir en nombre (5000 spectateurs à Tananarive) lui permettant de découvrir Molière et l’esprit français. En ce qui concerne les spectacles modernes, dont le répertoire doit plaire aux goûts des publics les plus divers, le choix va de la pièce boulevardière à l’œuvre purement littéraire. Les représentations sont montées avec le maximum de soins sur le plan technique et artistique et ce sont des acteurs et des metteurs en scène renommés qui dirigent les répétitions de la troupe avant son départ. Le répertoire comprend 31 œuvres dramatiques, parmi lesquelles citons, entre autres, les auteurs suivant : Anouilh, Guitry, Giraudoux, Roussin, Achard, Cocteau, Daudet, Claudel, Feydeau, Salacrou, Audiberti, Verneuil… Le TUF a donc rempli et continue de remplir une belle mission. Pour atteindre les résultats que nous venons d’énumérer il a dû surmonter bien des difficultés, car à côté du caractère artistique d’une troupe il existe un problème commercial que l’on ne peu naturellement écarter. On imagine déjà difficilement les charges devant lesquelles se trouve placé tout directeur de théâtre. Mais que penser de celles des comédiens ambulants qui ont choisis les pays les plus lointains pour y monter leurs spectacles, tournées qu’il faut préparer minutieusement et sur place, et dont les déplacements – personnes et matériel – ont lieu par avion à des tarifs malgré tout très élevés, ensemble de dépenses auquel il faut ajouter les frais de séjour ? C’est à une situation financière très délicate q’ont à faire face, à l’heure actuelle, les dirigeants. Par ses services rendus aux pays, le TUF devrait possédait un statut légal lui permettant d’obtenir les subventions nécessaires à son fonctionnement. Sa position, complexe sur le plan administratif (doit-il dépendre du ministère de la France d’Outre Mer ou du Ministère de l’Education Nationale ?) retarde une solution qui s’impose mais qui tarde. Ce n’est que grâce à l’aide des budgets locaux et du ministère de la France d’Outre Mer que le TUF a pu subsister. Le 1er mars 1955, l’Assemblée de l’Union française avait pourtant demandé que lui soit donné un statut. Elle invitait le Gouvernement à considérer cet organisme comme un des centres dramatiques français et à le subventionner de la même manière, proposition qui a été votée à l’unanimité, mais qui, à ce jour, n’est restée qu’à l’état de proposition. Or il semble anormal qu’un telle troupe qui sert ainsi notre cause outre-mer – alors que de gros efforts sont faits dans certains de nos ex-territoires pour laisser subsister la culture française (qui risque cependant, hélas ! d’y disparaître) – ne soit pas traités de la même manière que le sont les centres dramatiques dotés de statuts, ainsi que le TNP, et à ce titre subventionnés. Le TUF a pourtant au moins la même action culturelle. A ce sujet, un des meilleurs témoignages recueillis est exprimé par “ Viet Nam Presse ” : “ Si dans dix ou vingt ans il reste ici quelque chose de la France, nous le devrons à Corneille, nous le devrons à Molière que les comédiens du TUF ont inscrits à leur répertoire à côté de Giraudoux. Nous le devrons à ces bons serviteurs de l’art français qui poursuivent contre vents et marées, avec une obstination et un désintéressement d’apôtres, une œuvre vraiment utile, une œuvre vraiment française. ” Parti dans cette aventure avec des moyens réduits le TUF devrait être maintenant en 115


mesure de poursuivre son action pour le plus grand bien de l’ensemble des populations d’OM, et il est urgent, son utilité étant reconnue par tous, qu’intervienne un accord entre les divers ministères intéressés pour que soit enfin défini le statut administratif et financier de cette troupe. P.F.-G.

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La vie théâtrale au Mali en 1967189 Il n’existe pas au Mali de théâtre dramatique professionnel. Seuls un Ensemble National de Ballets et un Ensemble Instrumental (traditionnel) ont une activité que l’on peut qualifier de professionnelle. En revanche, le théâtre amateur est extrêmement répandu et systématiquement encouragé par les pouvoirs publics. Chaque quartier de Bamako, chaque cercle de brousse a sa troupe, et ces troupes s’affrontent chaque année dans des compétitions d’abord à l’échelon régional, puis à l’échelon national. Les spectacles présentés par ces troupes comportent toujours une partie dramatique consistant généralement en une pièce assez courte en plusieurs tableaux, et une partie de ballets qui viennent parfois s’insérer entre les tableaux de la pièce, sans avoir de rapport avec l’action. D’autres fois, ces ballets sont présentés avant ou après la pièce. Il arrive aussi que le spectacle comporte une partie de chœurs. Les pièces sont généralement écrites par un ou plusieurs membres de la troupe et célèbrent le plus souvent, soit un événement marquant de l’histoire du Mali, soit les vertus du régime ou de telle ou telle de ses institutions. Ainsi, une des pièces auxquelles nous avons assisté et pour laquelle on nous a demandé des conseils de mise en scène, “ Le Dernier Mot ”, visait à démontrer l’utilité des Brigades de Vigilance. Il arrive, quand la troupe comporte un auteur plus talentueux que ces pièces sortent de la médiocrité. Ainsi, il nous a été donné de lire un drame épique, “ Le Mali ”, qui relate l’histoire légendaire de Soundiata qui, au XIIIe siècle, fonda l’Empire du Mali en réunissant le Royaume Mandingue et celui du Sosso. En 1966, une pièce traitant de l’histoire africaine contemporaine, “ Tempête à l’aube ”, remporta un franc succès à Bamako et dans tout le pays. Il s’agissait pourtant d’un sujet brûlant et ne touchant pas directement le pays : les coups d’Etat militaires en Afrique. (…) Tout cela donne, on s’en doute des résultats assez fous. Mais une chose est certaine, c’est qu’une grande partie du pays, et de la jeunesse en particulier, est mobilisée pour le théâtre. Le théâtre devient ainsi un moyen d’action politique important. En effet, les pièces étant émaillées de slogans, les troupes étant nombreuses, et les répétitions étant pratiquement publiques, puisque chaque acteur y amène ses frères ou ses amis, tous ces slogans sont retenus par un grand nombre de jeunes gens et d’enfants. Cette mobilisation pour le théâtre peut présenter pour la vie du pays d’autres inconvénients. Ainsi dans un village de brousse extrêmement isolé où nous sommes passés après notre stage, nous avons appris que deux instituteurs avaient été désignés pour faire partie de la troupe qui représenterait le Cercle aux compétitions régionales. Les deux instituteurs ont donc délaissé leur poste pour se rendre au chef-lieu du cercle (60 km de très mauvaise piste) pour y répéter la pièce qu’ils ont ensuite été jouer au chef-lieu de province distant de plusieurs centaines de kilomètres. Les élèves de l’école du village étaient certainement très fiers et probablement heureux de ces vacances supplémentaires. Ce cas dont nous avons eu connaissance n’est certainement pas une exception. Un important développement sur l’Institut National des Arts : Il s’agit d’une école d’enseignement des Arts, comportant plusieurs sections (peinture, sculpture, dessin, musique, art dramatique…). 189 CAC, Versement 19810010, Carton 63, Stage d’initiation à l’art dramatique (Paul SAVATIER – Elisabeth JANVIER) Bamako du 6 au 25 mars 1967, 48 p. 117


L’enseignement y est donné par des professeurs qui, pour la plupart et pour plusieurs sections, dans leur totalité, sont des Européens. C’est dire que cet enseignement est coupé de ce qui reste de la tradition et de l’expression artistique traditionnelle. Par ailleurs, et ceci est grave, le recrutement des élèves se fait d’une manière aberrante. Pour la plupart, ceux-ci sont orientés vers l’école sans en avoir témoigner le désir, souvent même contre leur gré, et presque toujours sans qu’il soit tenu compte de leurs aptitudes réelles. Comment peut-on espérer former à une discipline artistique des gens qui, sans parler de “ vocation ”, n’ont même pas de goût pour cette discipline ? Le but du Commissariat aux Arts et à la Culture, en orientant systématiquement chaque année un certain nombre de jeunes gens vers l’Institut, est de former une génération de professeurs maliens dans ces différentes disciplines. On peut se demander quelle sorte d’enseignement pourront donner ces professeurs. La section d’Art Dramatique comporte huit élèves en seconde année, et cinq élèves en première année. Il n’y a que des garçons ce qui nous semble déjà une anomalie. Plus de la moitié de ces élèves nous ont avoué au cours du stage ne pas désirer devenir des acteurs professionnels. Certains désirent devenir animateurs de maisons de jeunes, d’autres auraient voulu être instituteurs, un aurait voulu enseigner les mathématiques, d’autres ne savent pas ce qu’ils veulent, mais ne songent pas au théâtre. Dans ces conditions, pourquoi restent-ils à l’Institut ? Parce qu’ils n’ont guère le choix. Désignés pour être élève de l’Institut, ils ne peuvent espérer entrer ni à l’école normale, ni à l’école d’administration, ni dans une autre école d’Etat. De plus, les pouvoirs publics leur garantissent en principe un emploi à la fin de leurs études, ce qui, dans un pays où les emplois sont rares, est une assurance de vie décente. Enfin, dès leur admission à l’école, ils touchent un pré-salaire de 5 000 F maliens par mois, ce qui, par rapport au revenu moyen d’une famille malienne n’est pas négligeable. L’enseignement que reçoivent les élèves de la section d’art dramatique est parfaitement inadapté. Il n’y a pas de professeur d’art dramatique en titre. C’est donc surtout des cours de littérature et d’histoire du théâtre qui leur sont donnés (plus de vingt heures par semaine). Cela n’est pas un mal en soi, mais nous doutons que ce soit là la bonne manière de les intéresser au théâtre. Au début du stage, les élèves de seconde année venaient de subir pendant plusieurs semaines un cours très complet sur Pirandello dont ils avaient lu plusieurs pièces. La psychologie pirandellienne et son contexte social leur étant absolument étrangers, ils n’avaient pas compris grand chose et tous, à l’exception d’un seul, nous ont soutenu qu’ils trouvaient ce théâtre absurde et inutile. Deux professeurs plus ou moins bénévoles assurent l’enseignement de l’art dramatique à proprement parler et des techniques du théâtre. Ni l’un ni l’autre ne sont des professeurs de la scène, mais tous deux sont réellement passionnés de théâtre. Malheureusement, leurs obligations professionnelles ne leur permettent de consacrer à l’Institut qu’un temps limité. L’un, Monsieur Daniel Charlot, est un militaire coopérant professeur de physique dans un collège où il a déjà des horaires chargés. Très artiste de tempérament et ayant acquis en France une certaine pratique du théâtre amateur, il s’est de lui-même mis à la disposition du Conseiller Culturel de l’Ambassade de France qui a su l’orienter vers l’Institut. Il donne à chacun des groupes de 1ère et de 2ème année, de 4 à 8 heures de cours par semaine. L’autre, Monsieur Claude Rollin, établi depuis une douzaine d’année à Bamako, est fonctionnaire au ministère de la Santé. Il se consacre depuis longtemps au théâtre amateur dans cette ville et a su acquérir par lui-même des connaissances techniques sérieuses dans les domaines de la scénographie, de l’éclairage et de la décoration. On peut dire que c’est le seul technicien de théâtre au Mali. Il collabore également à l’écriture des pièces jouées par une des troupes d’amateurs de Bamako, qui lui doit une bonne part de ses succès. Lui aussi ne peut consacrer à l’Institut qu’un temps trop limité. Les élèves d’art dramatique ne reçoivent aucun enseignement de musique ou de danse, pas 118


plus que d’acrobatie ou seulement d’éducation physique. En revanche, on leur enseigne le russe. La discipline de l’école qui est en principe rigoureuse (présence de 8h à 12h et de 15h à 18h tous les jours) est en fait extrêmement relâchée. Les retards d’une demi-heure sont presque une règle. Aucune sanction n’est prise en cas d’absence immotivée. ” “ PERSPECTIVES D’AVENIR ” Si la France devait continuer à s’intéresser au développement du théâtre au Mali, il nous semble évident qu’il faudra encourager ce qui est naturellement vivant, c’est-à-dire le secteur si important du théâtre amateur, plutôt que ce qui est artificiel et, dans l’état actuel des choses, voué à l’échec, nous voulons dire l’Institut National des Arts. Le théâtre amateur est au Mali particulièrement développé quant au nombre des troupes et à la quantité des spectacles montés. Il présente, nous l’avons dit, un intérêt particulier par le fait que la plupart des pièces jouées sont écrites par certains membres des troupes. Malheureusement, la qualité de ces pièces est le plus souvent médiocre. Les préoccupations politiques des auteurs s’expriment avec quelque naïveté et prennent le pas sur les préoccupations artistiques. Les pièces sont donc le plus souvent dépoétisées. Cet état de chose nous semble résulter de deux facteurs. D’une part nous y voyons l’héritage de ce qu’il est convenu d’appeler le “ théâtre de patronage ”, genre qui a dû être cultivé, en Afrique comme ailleurs, par les religieux et les enseignants français. Les pièces que nous avons vues s’apparentent à ce genre, à cette différence près que la morale religieuse ou individuelle a été remplacée par la morale politique ou collective. L’autre facteur est l’isolement total qu’elles ont de ce qu’est le théâtre contemporain et particulièrement le théâtre politique en Europe. Aucun de nos stagiaires, par exemple, n’avait lu Brecht ou O’Casey. (…) C’est pourquoi nous pensons que l’essentiel de l’effort que fait la France pour diffuser du théâtre en Afrique devrait porter sur une forme d’assistance propre à favoriser la naissance et le développement d’un théâtre africain. Ce sera particulièrement difficile au Mali, sur le plan du théâtre professionnel. Mais cela peut-être tenté pour une amélioration sensible du théâtre amateur. Et pourquoi alors certaines troupes ne joueraient-elles pas les œuvres classiques françaises, d’une façon qui nous surprendrait sans doute, mais qui les rendrait plus vivantes en les rapprochant du public ? (…) La seule conversation sérieuse que nous ayons pu avoir avec M. Travelé190 s’est donc située à la fin du stage. Nous lui avons fait oralement un compte-rendu de notre travail et avons vivement critiqué la conception et le fonctionnement de l’Institut qu’il dirige (le Directeur, Monsieur Diallo, n’a en effet aucune prétention artistique et se pose davantage comme un directeur administratif que comme un directeur artistique). Il nous a semblé au cours de cet entretien qu e M. Travelé était finalement plus soucieux de prestige que d’efficacité. Son objectif semble être la mise sur pied de spectacles exportables dont il pourrait tirer des satisfactions personnelles comme cela a été le cas lors de la tournée en Europe de l’Ensemble National de Ballets. Nous nous excusons de porter sur Monsieur Travelé, un homme charmant et de très bonne compagnie, une appréciation aussi peu diplomatique, mais nous pensons que le présent rapport ne serait pas complet si nous le livrions pas l’essentiel de nos impressions. 190 Il s’agit de Jules Travelé, Commissaire aux Arts et à la Culture. Ne pas confondre avec Moussa Travelé, collaborateur d’Henri Labouret. 119


Réflexions et sentiments exprimés par plus de deux cent cinquante élèves révélant l’impact du choc culturel provoqué par les représentations données à Fort-Lamy (Tchad) par le Grenier de Toulouse les 9, 10 et 11 novembre 1968191. Pièces représentées : Volpone, de Jules Romains et Stefan Zweig d’après Ben Jonson ; La Cantatrice chauve de Ionesco ; L’Histoire du soldat de Ramuz et Stravinsky. Etablissements scolaires concernés : Lycée Félix Eboué, Lycée Technique et Commercial, CEG N°1, Collège su Sacré-Cœur de Chagoua, Ecole Nationale d’Administration, Ecole nationale des TP, Ecole de Perfectionnement Pédagogique. Un élève de 1ère B du Lycée technique de Fort-Lamy, “ Oulatar ” à propos de L’Histoire du Soldat : “ Dans notre Afrique, qui est si jeune… la présentation sur un théâtre de tels sujets, peuvent mettre en garde. Il est question que nous tirions avantage de l’expérience occidentale. Notre société à peine sortie du cahot tribal se trouve déjà en but à des problèmes de ce genre. Aussi l’atmosphère d’approbation et d’admiration chaude qui régnait ce soir là n’était pas simulée… ” 1èreC : “ Mais moi c’est pour la première fois dans ma vie de voir ce spectacle (le théâtre). Les peaux blanches sont mêlées de peaux noires. Il y avait toutes sortes de sexes et différents âges. ” CEG 1 : “ J’aimerais voir des pièces africaines parce que j’aimerais voir ce qui traduisent nos goûts africains. ” Jean, “ un moniteur d’enseignement ”, élève du Centre de perfectionnement pédagogique : “ les amis européens ont le goût de faire comprendre (aux Africains) comment à partir d’un conte ou récit on peut faire des dramatisations dans lesquelles les chants, les rythmes et les mimes jouent un rôle important, un rôle vivant…nous, qui avons l’esprit ouvert, nous comprenons, nous sentons avec quel intérêt nous pouvons jouer de ces scènes, si les frères européens nous aidaient un peu ”. Un autre : “ L’Histoire du soldat fait revivre les choses d’une façon magique… des choses qui ressemblent aux gestes africains (tam-tam, mimes, musique) choses que, nous africains, aimons avec plaisir ”. THEATRE CLASSIQUE / THEATRE MODERNE : Préférences En faveur du théâtre classique, d’un seul bloc, sans nuances, 60 % des élèves de la classe de 1ère D du Lycée Félix Eboué “ orientés ” dans leur réponse par la question posée par le professeur, sous forme de devoir de français : “ Quelle pièce de théâtre aimeriez-vous voir jouer ? ” Gloum, de cette classe : “ Les pièces classiques étudiées en classe valent la peine d’être vues car, ayant compris l’idée générale, il est un peu facile de bien suivre. Ces pièces classiques été choisies par des experts et cela est à notre niveau. Elles contribuent au développement mental, 191 CAC, Versement 19810010, Carton 63, extraits d’un document comportant 24 pages. 120


elles nous cultivent, nous aident à bien passer les épreuves de français. ” La majorité des élèves se déclarent en faveur d’une pièce de théâtre classique car cela correspond à leur programme de bac ! Pas de pièces modernes à ces épreuves. En revanche, un autre élève de terminale A au lycée Félix Eboué : “ Je suis fatigué de voir des pièces classiques… et je suis content de voir des pièces modernes que je ne connais pas à cause de la surcharge du programme ” Toutes les remarques des élèves marquent l’appartenance à la classe des “ évolués ” qui raisonne comme de petits européens. Ainsi, “ Les blagues du capitaine [des pompiers dans la Cantatrice chauve] sont aussi reprochables car on ne peut concevoir que, même étant un grand conteur, on ne peut se permettre de s’asseoir sur les dossiers des chaises et encore qu’on n’est pas chez soi. ” “ Les bienfaits d’une animation de classe par un comédien-metteur en scène ” “ Ainsi un élève de Terminale A a demandé à Favarel si pour remplir, par exemple un rôle de cuisinier, il choisissait un cuisinier de profession (une Pauline Carton qui aurait été une vraie concierge…)” “ Ceux qui ont dialogué avec Jean Favarel sont à cent coudées supérieurs à leurs camarades du même niveau scolaire ; ils ont pu apprécier les trois pièces. ” “ la conversation avec le metteur en scène met en lumière nos idées sur les tendances actuelles en France et dans le monde ”, un élève de Terminale A. “ Très enrichissant, non parce qu’il a voulu nous faire un cours magistral et ennuyeux, mais parce qu’à l’aide de paroles simples et directes, il a su nous communiquer un peu de son amour pour le théâtre. ” “ Jean Favarel a permis d’élargir le débat sur les difficultés et problèmes que pose la nécessité de la culture. Le théâtre doit venir pour répondre à un besoin de culture. Il est bien de susciter ce besoin. ”, un élève.

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Contribution des centres culturels français au développement du théâtre en Afrique (1975)192 I - L’action théâtrale de nos centres culturels en Afrique Noire a deux objectifs principaux : 1) faire connaître le théâtre français 2) apporter notre concours à une expression théâtrale francophone africaine Sous-jacente à ces deux objectifs, il y a la préoccupation de préserver l’audience du français auprès d’un large public africain. A cet égard, les efforts de décentralisation des spectacles présentés, que ce soit dans les écoles, les centres culturels africains ou les localités secondaires, étendent d’une manière importante l’action de nos centres. II – La réalisation de ces objectifs passe essentiellement par trois modes d’actions : 1) l’accueil dans nos centres de troupes théâtrales, de conteurs-diseurs et d’expositions théâtrales venues de France. Chaque centre reçoit en moyennes 2 à 3 spectacles de théâtre par an, spectacles qui sont présentés 1 à 2 fois dans les centres mêmes et de 1 à 10 fois hors des centres, selon les possibilités locales. Le public africain est, pour des raisons de langue, essentiellement scolaire et universitaire. Il est important (de 60 à 80%) pour les tournées “ légères ” de petites compagnies, grâce à un prix d’entrée modique ; faible (10-15%) pour les tournées dites de “ prestige ”, de coût plus élevé et pratiquement réservées aux Européens. La présentation de spectacles français est souvent précédée ou suivie d’un travail d’animation et d’information du public noir, mené par les comédiens de la troupe et par les animateurs des centres. Cette information porte sur les pièces présentées mais aussi sur le travail des comédiens et sur la vie théâtrale en France. Les contacts entre artiste français et africains prennent fréquemment, à la faveur de séjours d’une certaine durée dans un même Etat, la forme de cours stages de sensibilisation à des techniques particulières d’expression. Ils conduisent aussi à des collaborations de durée variable autour de réalisations africaines en cours de répétition. Ainsi la présentation de spectacles français s’efforce de ne plus apparaître comme la simple affirmation d’une culture et d’une technique étrangères, mais comme le préambule d’un dialogue entre cultures différentes. 2) l’accueil dans les CCF de groupes africains de théâtre : ils bénéficient de locaux de travail et de conseils techniques donnés par les animateurs dans les centres. Cette action est d’importance variable suivant les pays et les moments. Il est des cas où l’initiative de réalisations théâtrales locales est africaine et le centre offre simplement sont installation pour les répétitions, en même temps que sa bibliothèque (seul lieu souvent où les Africains peuvent trouver les textes des auteurs dramatiques noirs), d’autres où les animateurs français, VSN, animateurs permanents, professeurs coopérants, rassemblent eux-mêmes les Africains pour un travail théâtral de plusieurs mois ; d’autres enfin où l’intervention d’un centre français est politiquement inopportune. Il se contente alors de mettre sa salle à la disposition des Africains pour la présentation de leur spectacle. Dans la plupart des cas, les CCF constituent un pôle d’attraction qui favorise l’apparition et le développement d’une vie théâtrale africaine. De nombreuses troupes sont nées de cette action. Toutes n’ont pas survécu, mais de 192 CAC, Versement 19810010, carton n°65 122


personnalités ont pu s’affirmer, auxquelles des rôles dirigeants ont été confiés dans la vie culturelle de leur pays. 3) L’organisation de stage de formation : leur mise sur pied peut être liée, comme nous l’avons déjà indiqué, au passage de troupes ou d’artistes venus de France. Les stages plus longs – de 1 à 3 mois – sont cependant le plus souvent dirigés par des techniciens envoyés spécialement de France, metteurs en scène, décorateurs, régisseurs, marionnettistes qui, en étroite collaboration avec les équipes des centres, mettent leurs compétences au service des Africains. Ces stages, demandés par les autorités africaines, financées par le Département, sont le plus souvent organisés et supervisés localement par les CCF. Les retombées de ces stages sont quelquefois immédiates par la constitution de groupes permanents ou de troupes nationales, quelquefois plus lointaines : les meilleurs éléments se voient confiés par leur gouvernement l’animation dans les villages, l’encadrement d’activités de jeunesse, des responsabilités dirigeantes dans l’administration culturelle. D’autres poursuivent leur formation technique en France ou dans des Instituts de Théâtre africains. Les débouchés de cette formation dépendent bien entendu de la politique culturelle que l’Etat se donne et des moyens qu’il y consacre. Simple sensibilisation, dans les premières années des indépendances, à des langages étrangers, l’information apportée par nos techniciens s’intègre progressivement dans des affirmations culturelles originales. [Des annexes qui suivent ces données théoriques fournissent, par pays, des exemples de stages avec, pour chacun d’entre eux, le responsable, les stagiaires concernés, l’objet, le résultat et des observations.] “ BURUNDI : citons enfin une intervention récente (décembre 74), qui a constitué une “ première ” dans un pays où rien n’avait été fait encore dans ce domaine : un stage de théâtre au CCF de Bujumbura (avec Catherine de Seynes et Jacques Longavesne), stage à participation très hétéroclite (fonctionnaires, élèves, enseignants, danseurs traditionnels, réfugiés politiques, techniciens de la radio, etc., près de 60 participants en tout), qui n’a pu être beaucoup plus qu’une information pratique et une sensibilisation à quelques exigences de base du travail de dramatique, mais dont les retombées humaines, donc politiques, s’avèrent non négligeables, si on en juge par la demande pressante de nouveaux appuis qui nous viennent aujourd’hui de ce pays. ” “ COTE D’IVOIRE : action discontinue mais intéressante à citer par les retombées à long terme qu’ont eu nos interventions. 1971 : stage interafricain dirigé par Jean-Marie SERREAU à Abidjan, avec l’appui logistique du CCF. Les responsables africains de théâtre, venus de 7 Etats, ont puisé là l’inspiration pour lancer dans leur pays des activités dramatiques à l’échelon national (Théâtre National Gabonais, Théâtre National Zaïrois). 1972 : Jean-Claude SERGENT et Alain LE RAZER “ inaugurent ” par un stage de théâtre, le nouveau Centre Culturel Ivoirien (à direction française) de Bouaké. Il en naîtra une troupe permanente d’enseignants et une émulation générale dans le domaine du spectacle. Aujourd’hui, Bouaké et le Centre Culturel sont en cours de la préparation ivoirienne pour le Festival de Lagos. ”

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194 Projet architectural consultable au CADN. 195 Cette ouvrage, cité à de très nombreuses reprises dans nos sources, est resté introuvable. Les catalogues collectifs des bibliothèques ne recensent pas d’exemplaire pouvant correspondre à l’une ou l’autre des références. 125


261 p. -

BARBER, Karin, COLLINS, John, RICARD, Alain, West African Popular Theatre, Bloomington and Indianapolis / Oxford, Indiana University Press / James Currey, 1997. XIX-285 p.

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APEDO-AMAH AYAYI, Georges, L’histoire comme source d’inspiration du théâtre populaire négro-africain, Paris III, 1977. Mémoire de maîtrise.

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BIELEMEIER, Günter, Frankophones Theater im Senegal, Bayreuth, Bayreuth African Studies, 1990. Thèse (Dissertation der Fakultät Sprach- und Literaturwissenschaft an der Universität Bayreuth ; D 703).

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CHALAYE, Sylvie, Du noir au nègre, l'image du noir au théâtre : de Marguerite de Navarre à Jean Genet (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998, 453 p.

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KWAHULE, Koffi, Pour une histoire critique du théâtre ivoirien contemporain, Paris, L’Harmattan, 1996, 286 p.

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126


Numéros thématiques de périodiques -

Culture française, vol. 3/4, 1982/83

-

Revue d’histoire du théâtre, 1975-1, sous la direction d’Alain RICARD

-

Theatre Research International (Grande-Bretagne), 1984, 9 (3)

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Théâtre/Public, n°158, mars/avril 2001 et n°172, janvier/mars 2004

-

Théâtres et contacts de cultures, numéro spécial de Recherche, Pédagogie et culture, n °61, 1er trimestre 1983 Articles de périodiques / contributions à un ouvrage collectif

-

“ Black Arts Troupe Launched in Paris ; Seeks Government Subsidy. ” Variety, 17 octobre 1979, p.369 196

-

“ Y a-t-il un théâtre africain ? ”, Jeune Afrique, n° 950, 18/25 août 1969

-

ANTA KA, Abdou, “ Réflexion sur le théâtre négro-africain ”, Africa, n° 27, août 1963

-

BEART, Charles, “ Les origines du théâtre dans le monde : position actuelle du théâtre africain ”, Académie des sciences d’Outre-Mer, Comptes rendus mensuels des séances, Paris, vol. XXII (avril 1962) p. 143-163

-

BONNEAU, Richard, “ Panorama du théâtre ivoirien ” in L’Afrique littéraire et artistique, n° 23, juin 1972

-

CHRAIBI, Driss, “ Théâtre noir ”, ORTF Cahiers littéraires, Paris, 3e année, vol. IV, 1965

-

CORDEAUX, Shirley, “ The BBC African Service’s Involvement in African Theatre ”, Research in African Literatures, 1, 2, 1970, p. 147-155

-

CORNEVIN, Robert, “ Le théâtre au Zaïre ” in Revue des parlementaires de langue française, n°25, septembre 1976

-

DREYFUS, Armand, “ Pouvons-nous aider le théâtre africain ? ”, Coopération et développement, n°46, septembre-octobre 1973, p. 2-13

-

DREYFUS, Armand, “ Théâtre et authenticité au Mali ”, Recherche, pédagogie et culture, n°53-54, mai-août 1981, p.

-

EDEBIRI, Unionmwan, “ Le théâtre zaïrois à la recherche de son authenticité ” in L’Afrique littéraire et artistique, n°40, 2e trim 1976

-

EDEBIRI, Unionmwan, “ French Contribution to African Drama ”, Research in African Literatures, vol. 6, n°1, printemps 1975, p. 40-43

196 A propos du lancement du “ Théâtre noir ” de Benjamin Jules-Rosette. 127


-

EDEBIRI, Unionmwan, “ The development of the theatre in french-speaking west africa ”, Theatre Research International (Grande-Bretagne), 1984, 9 (3), p. 168-180

-

FAVAREL, Jean, LECOULTRE197, Roger, “ La tournée en Afrique du Grenier de Toulouse ”, Coopération et développement, n°26, juillet-août 1969, p. 10-14

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HOURANTIER, Marie-José, “ Jacques Scherer et l’Afrique : l’ouverture aux autres cultures ”, Registres. Revue d’Etudes Théâtrales, septembre 1998, n°3, p. 12-14

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KOLY, Souleymane, “ A la recherche d’un véritable théâtre africain ”, Africasia, n°31, 4 janvier 1971, p. 41-43

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KOLY, Souleymane, “ Un théâtre politique africain est-il viable en Europe ? ”, Africasia, n°38, 12 avril 1971, p. 46-47

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KOLY, Souleymane, “ Les anges meurtriers ou l’art de faire dire à une pièce ce qu’elle ne dit pas ”, Africasia, n°42, 7 juin 197, p. 48-49

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KOLY, Souleymane, “ La longue marche des comédiens nègres en France ”, Africasia, n °45, 19 juillet 1971, p. 49-51

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KOM, Ambroise, “ Théâtre et censure au Cameroun ”, New Theatre in Francophone and Anglophone Africa, Anne FUCHS (dir.), Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999 (Matatu, n° 20), p. 169-177

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LELOUP, Jacqueline, “La naissance du théâtre en Afrique. Théâtre traditionnel ou préthéâtre ” in Recherche, Pédagogie et Culture, n°61, 1er trim. 1983

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LIGIER, Françoise, “ La politique de la stimulation théâtre et radio ; une collaboration positive ”, Recherche, pédagogie et culture, n° 61, janvier-mars 1983, p. 30-45

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LIGIER, Françoise, “ Le concours théâtral inter-africain ”, Recherche, pédagogie et culture, n°33, 1978, p. 58-59

-

MAHOOD, Molly Maureen, “ Le théâtre dans les jeunes Etats africains ” in Présence africaine, n°60, décembre 1966

197 Dans le dossier “ Réforme du TDN ”, une lettre de l’ambassadeur de France à l’Ile Maurice le félicite de son intégration dans les services culturels de cette ambassade en tant qu’animateur pour le théâtre. Ce qui tend à prouver des relations dans la durée après son passage sur l’île avec le Grenier de Toulouse. 128


-

MIKANZA, Mobyem, “ Les nouvelles perspectives des arts scéniques africains : le cas du Zaïre ” in Zaïre-Afrique, n° 168, octobre 1982

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MU-DABA YOKA, Lye, “ La critique coloniale et la naissance du théâtre au Zaïre ” in L’Afrique littéraire et artistique, n°37, 3e trim. 1975

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N’DIAYE, Papa Guèye, “ Le théâtre africain. Ses difficultés d’être ” in Education et gestion, n°1 (40), 1974

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TRAORE, Bakary, “ Tendances actuelles dans le théâtre africain ” in Présence africaine, n°75, 3e trim. 1970

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130


Remerciements

Mes plus vifs remerciements vont d’abord aux personnes qui ont gentiment acceptés de répondre à mes questions. Elles sont toutes citées dans le tableau les présentant. Un remerciement spécial à l’accueil chaleureux que m’ont réservés, Catherine de SeynesBazaine et Colette Scherer qui toutes deux m’ont confié ou m’ont permis de consulter des archives qui leur sont chères. Enfin, Philippe Dauchez et sa famille, chez qui j’ai passé une journée de « recherche » des plus agréables. D’autre part le personnel de la Bibliothèque Gaston Baty, des dépôts d’archives de Nantes et de Fontainebleau trois endroits où, contrairement à d’autres…, on se sent soutenu dans son travail. Ma famille, mes professeurs : Mme Chalaye, qui a bien voulu suivre ce travail dont le sujet mis du temps à se préciser… A M. Joly, d’avoir accepté d’y collaborer.

131


Liste des tableaux Tableau 1– Les archives du Bureau des Echanges Artistiques du Ministère de la Coopération consultées au Centre des Archives Contemporaines (CAC - Fontainebleau) [par ordre de versement].................................................................................................................................11 Tableau 2 - Archives de l'ADEAC. Dépouillement de dix cartons parmi la centaine que compte ce fonds........................................................................................................................12 Tableau 3 – Les archives du service des échanges artistiques conservées au Centre des Archives Diplomatiques de Nantes (CADN)............................................................................13 Tableau 4 - Trois cartons de la DGRCST relatifs à l'Afrique. Sondage...................................13 Tableau 5 - Présentation des personnes contactées...................................................................16 Tableau 6 - Présentation des personnes décédées ou injoignables...........................................17 Tableau 7 - Inventaire des archives privées communiquées par Catherine de Seynes-Bazaine ...................................................................................................................................................17 Tableau 8 - Localisation des dossiers de presse utilisés...........................................................18 Tableau 9 – Les premières tournées organisées par le Bureau des Echanges artistiques.........62 Tableau 10 - Parts des subventions de la Coopération dans les budgets de l'ADEAC.............65 Tableau 11 - Les collaborateurs de l'ADEAC durant les premières années.............................67 Tableau 12 - L'effondrement des subventions allouées à l'ADEAC.........................................71 Tableau 13 – La procédure diplomatique quant à la participation des gouvernements africains à la réforme du Théâtre des Nations.........................................................................................98 Tableau 14 - Les troupes africaines au Festival de Nancy (1975)............................................99

NB : dans les tableaux faisant appel à une unité monétaire, lorsque celle-ci n’est pas mentionnée, il s’agit de francs (« nouveaux francs »).

132


Index des noms propres BARRAULT, Jean-Louis, 95, 96

EWANDE, Lydia, 15, 101, 106

BEART, Charles, 8, 22, 23, 24, 35

FAVAREL, Jean, 119

BLIN, Monique, 15

FODEBA, Keita, 8, 16, 26, 35, 41, 51, 52,

BLONDET, Pierre, 7, 10

53, 54, 75, 90, 93, 123, 133

BOTBOL, Albert, 10, 88

FORNESI, Micheline, 16

BOUDON, Michel, 99

FOUGERE, Louis, 17

BRAJOT, Guy, 15, 95

FRANCO, Denis, 17

CESAIRE, Aimé, 5

FROMENT-GUIEYSSE, Philippe, 39

CESAIRE, Aimé, 43

GARRAN, Gabriel, 102

CESAIRE, Aimé, 101

GENET, Jean, 105, 106, 124

CHARLOT, Daniel, 18, 116

GLISSANT, Edouard, 101

CHEVRIER, Jacques, 15, 25

GRUND, Françoise, 100

CHRAIBI, Driss, 92

GUILLAUD, Maurice, 10, 14, 16, 30, 31,

CLAVE, André, 17

43, 46, 47, 48, 64, 65, 69, 74, 90

COFFI-GADEAU, Germain, 114

GUILLAUMAT, Gérard, 17

CONFORTES, Claude, 15, 100

GUILLAUMOT, Bernard, 17

CORDREAUX, Henri, 10, 15, 17

HERMANTIER, Raymond, 16

CORNEVIN, Robert, 8, 9, 45, 93, 102

JACQUEMONT, Maurice, 10, 16, 17

CORNUT-GENTILLE, Bernard, 21, 24

JEDRZEJOWSKI, Bogdan dit Lew

COURAGE, Maurice, 44, 97

BOGDAN, 99

DADIE, Bernard, 5, 39

JULES-ROSETTE, Benjamin, 13, 16, 100,

DAUCHEZ, Philippe, 13, 15, 16, 34, 35,

123, 125

129

KHAZNADAR, Chérif, 100

DE SEYNES-BAZAINE, Catherine, 12,

KOLY, Souleymane, 16, 93, 94, 126

13, 15, 17, 18, 129

KONE, Lompolo, 24, 93

DEBAUCHE, Pierre, 13, 15, 20, 46, 47, 67

LABOU TANSI, Sony, 91

DIAKHATE, Lamine, 104

LABOURET, Henri, 117

DIOP, Alioune, 104

LADIPO, Duro, 100

DREYFUS, Armand, 12, 15, 71, 72, 73,

LE RAZER, Alain, 121

74, 79, 90, 99, 125

LIGIER, Françoise, 16, 85, 126

DUBOIS, Hubert, 90, 91, 101

LONGAVESNE, Jacques, 18, 121

ERLANGER, Philippe, 9, 30, 59

MAGNIER, Bernard, 16, 92 133


MBARAGA, Paul, 18

SCHERER, Colette, 13, 43, 86, 129

MERIC, Béatrice, 16, 90

SCHERER, Jacques, 2, 16, 124, 127

N’ZONZI, Pascal, 16

SENGHOR, Léopold Sédar, 39

ORMA, Pierre, 12

SERGENT, Jean-Claude, 121

PALENC, Max, 50, 89

SERREAU, Jean-Marie, 6, 17, 43, 108,

PLANSON, Claude, 89

121

RABEMANANJARA, 45

SIRAUD, Pierre, 41

RAKOTO, Odeam, 46, 60, 61, 98

SOYINKA, Wole, 22, 104, 128

RAPHAEL-LEYGUES, Jacques, 97

TIEMELE, Jean-Baptiste, 17

RINGEL, Pierre, 55

TOURE, Sékou, 41, 54

ROLLIN, Claude, 116

TRAORE, Bakary, 104

RONFARD, Jean-Pierre, 10, 17

TRAVELE, Jules, 117

ROUGERIE, Jean, 45, 46, 61, 96

TRAVELE, Moussa, 117

SANGARE, Bakary, 16

VAN PEEBLES, Melvin, 106

SAVATIER, Paul, 10, 18, 67

VILAR, Jean, 13, 49, 67

SAYARET, Gérard, 13, 16, 54, 67, 75, 76,

VISINET DES PRESLES, Claude, 17

77, 123

134


Table des matières Table des abréviations et des sigles utilisés................................................................................3 Introduction.................................................................................................................................4 Présentation et critique des sources.............................................................................................7 I.Le maintien des relations artistiques avec l’Afrique francophone indépendante. .................20 A.Le dispositif français de diffusion théâtrale ....................................................................21 1.L’assise du théâtre dans le milieu scolaire...................................................................21 2.Des instruments privilégiés : les Centres Culturels Français........................................23 3.La politique théâtrale du Ministère de la Coopération.................................................25 B.Le théâtre en Afrique........................................................................................................32 1.Les traditions de spectacles et leur utilisation..............................................................32 2.A l’avant-garde des politiques théâtrales : le Sénégal et la Côte-d’Ivoire...................38 3.Le cas malgache............................................................................................................44 4.Le regard français sur le théâtre dans les pays “ hors champ ”....................................47 II.L’évolution des pratiques de coopération théâtrale...............................................................51 A.Les premières expériences avant les Indépendances........................................................51 1.Un premier exemple de troupe africaine en France : les Ballets de Keita Fodéba.......51 2.Une tournée d’un type nouveau : la Compagnie des Quatre........................................54 3.Une expérience décisive : le Théâtre de l’Union Française (TUF)..............................56 B.La prise en main des tournées par le Ministère de la Coopération...................................60 1.Les premières tournées organisées par le Bureau des échanges artistiques.................60 2.La création d’une structure autonome : les débuts de l’Association pour le Développement des Echanges Artistiques et Culturels (ADEAC) (1963-1972).............63 3.Le tournant du début des années 70 .............................................................................70 4.La disparition de l’ADEAC dans l’AFAA...................................................................72 5.Les questions/problèmes récurrents..............................................................................73 6.La diffusion en dehors du dispositif de coopération.....................................................75 C.La mobilisation du milieu théâtral français......................................................................77 1.Ces troupes qui ont tenté l’expérience africaine...........................................................77 2.Le milieu de l’animation socioculturelle......................................................................79 D.L’aide et la défense de la création africaine.....................................................................81 1.Un exemple de prospective universitaire : la « tournée Scherer »...............................81 2.Le concours théâtral interafricain.................................................................................83 135


3.Les pièces et leur édition..............................................................................................85 4.La création des Instituts Nationaux des Arts (INA).....................................................86 III. Un bilan de la politique française sur la création théâtrale africaine .................................89 A. Les moyens de la diffusion..............................................................................................89 1.Une visibilité croissante des Africains sur les scènes françaises..................................89 2.Le « théâtre africain » : nouveau centre d’intérêt.........................................................92 3.La multiplication des festivals et des lieux dédiés aux dramaturgies africaines..........94 B. Les critiques à l’égard de la politique française............................................................104 4.La langue française ....................................................................................................104 5.L’allégeance à la France ............................................................................................105 6.Un regard extérieur sur l’expérience française...........................................................106 7.L’impossible autonomie ?...........................................................................................109 Conclusion..............................................................................................................................111 L’action culturelle du Théâtre de l’Union Française (TUF) (1957).......................................114 La vie théâtrale au Mali en 1967.............................................................................................117 Réflexions et sentiments.........................................................................................................120 Contribution des centres culturels français au développement du théâtre en Afrique (1975) 122 BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................124 Remerciements........................................................................................................................131 Index des noms propres...........................................................................................................133

136


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