Tiré à part LE FESTIN - FRAC Aquitaine - 30 ans de collection

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Extrait de la revue le festin n° 86, juin 2013. Vincent Ganivet, Ronds de fumée (détail), 2008. © Vincent Ganivet, cl. Jean-Christophe Garcia

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Quelques dates ...

Pour être jeune, le Frac Aquitaine a déjà une longue histoire ! Pascal Convert

1982

Création du Frac Aquitaine Roland Dumas, président

1983

Première œuvre inventoriée de Pierre Molinier Luce Bort, administratrice

1986

Jacques Chaban-Delmas, président

1987

Acquisition de l’œuvre de Jeff Koons

1988

« Collections pour une région », Capc musée d’art contemporain

1994

Hervé Legros, directeur

1997

Résidence de Thomas Hirschhorn (en partenariat avec l’école des beaux-arts de Bordeaux)

2000

Jacques Rigaud, président

Avec le Frac, nous sommes tous des collectionneurs aquitains. Pierre Labat

Un refuge pour nos pièces en transit. Stéphanie Cherpin

Une équipe formidable au service d’une collection d’exception ! Mathieu Mercier

En m’achetant mes premières œuvres directement, le Frac prouvait une vraie indépendance dans ses choix. Laurent Montaron

De la fac au lycée pro, le Frac est tout-terrain. Bertrand Dezoteux

2002

Paroles d’artistes

Parution du Livre du Frac Aquitaine, Panorama de l’art d’aujourd’hui, éditions Le Festin

Collection / Fidélité / Soutien / Exposition / Protection / Diffusion / Teapot / Abidjan / La Porte

« Trésors Publics. 20 ans de création dans les Fonds régionaux d’art contemporain »

2003

Karina Bisch

« Richard Fauguet. 10 ans depuis », au Hangar G2 Le couteau suisse de l’art contemporain en Aquitaine !

2005

Françoise Cartron, présidente

2006

Claire Jacquet, directrice et Bernard de Montferrand, président

2007

« Heidi au pays de Martin Kippenberger », Hangar G2 et Carré Bonnat, Bayonne, dans le cadre de la coopération Aquitaine – Land de Hesse

2009

« Green, white, red », Collezione Maramotti, Reggio Emilia, Italie, dans le cadre de la coopération Aquitaine – Émilie - Romagne

2011

« Entre ciel et terre », musée des beaux-arts de Libourne 12 000 visiteurs

2012

Dernière œuvre inventoriée : Le Nez de Benoît Maire. Don des Amis du Frac Aquitaine

2013

Ouverture de la Méca

2017

Sébastien Vonier

Un lieu d’exposition qui concrétise de grandes aventures humaines. Muriel Rodolosse

Dire en langage mathématique l’expérience conjointe du savoir et du doute. Laurent Derobert

Le Frac Aquitaine m’a fait découvrir le Frac et l’Aquitaine. Florence Doléac

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Éditos Michel Delpuech Préfet de la Région Aquitaine

Alain Rousset Président de la Région Aquitaine

Bernard de Montferrand Président du Frac Aquitaine

La mise en place des Fonds régionaux d’art contemporain, sous l’impulsion du Ministère de la culture en 1982, dans un partenariat dynamique entre l’État et les régions, a créé un outil original de soutien à la création, d’aménagement culturel du territoire, et de sensibilisation à l’art de notre temps. Par leurs collections publiques d’art contemporain, les Frac ont constitué un patrimoine riche et varié, qu’ils diffusent auprès des publics les plus larges.

Les Frac ont 30 ans et les régions également. Cet anniversaire est celui d’une dynamique portée par les lois de décentralisation de 1982, à l’initiative de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre.

En trente ans, le Frac Aquitaine s’est inscrit dans le paysage régional et a accompli un travail considérable, au point que sa collection est devenue un patrimoine d’une valeur considérable. Beaucoup de pays nous demandent de leur prêter des œuvres, contribuant ainsi au rayonnement de l’Aquitaine aux ÉtatsUnis, en Allemagne, en Espagne...

Ce 30ème anniversaire est l’occasion de rendre hommage à l’une des entreprises les plus réussies de la décentralisation culturelle. La perspective de la construction d’un Frac de 2ème génération sur le territoire Saint-Jean Belcier à Bordeaux est aujourd’hui portée par le Conseil régional en partenariat avec l’État. Situé au sein de la Méca (Maison de l’économie créative et de la culture en Aquitaine), il portera les nouvelles ambitions d’une institution ouverte à toutes les formes de la création, engagée au bénéfice de tous les publics y compris les plus éloignés de l’art contemporain et présente sur tous les territoires aquitains. Ce nouvel élan et ce nouvel écrin sont pleins de promesses. On ne pourrait formuler de meilleurs souhaits pour le Frac Aquitaine à l’occasion de ses 30 ans.

Le Frac Aquitaine témoigne de cette réussite singulière et emblématique de la décentralisation culturelle. Institution novatrice, unique au monde, et pierre angulaire du renouveau des politiques publiques de la Culture, il constitue un facteur d’attractivité de nos territoires. En combinant acquisition et soutien à l’émergence artistique, les Frac nourrissent ce besoin impérieux que chaque citoyen puisse se confronter à des références culturelles plurielles. La Région aborde cet anniversaire avec enthousiasme en projetant le Frac Aquitaine vers l’avenir avec la création d’un lieu à l’horizon 2017. En engageant dès 2007 une réflexion sur la nécessité d’investir un espace plus important et adapté à sa collection exceptionnelle, la Région Aquitaine a également souhaité regrouper ses agences culturelles ÉCLA – Écrit Cinéma Livre et Audiovisuel – et OARA – Office Artistique de la Région Aquitaine – au sein d’un pôle dédié à la création artistique et aux économies créatives. Outil d’accompagnement des nouvelles économies culturelles et des mutations numériques, liées à l’écrit, à l’image, au spectacle vivant et à la création contemporaine, il va ainsi renforcer notre action auprès des artistes et des opérateurs professionnels, tout en générant une synergie de projets transdisciplinaires. La Méca, c’est la métaphore d’une maison de l’innovation, de la recherche et de l’expérimentation, où le Frac Aquitaine 3.0 saura développer toutes ses ambitions. Avec une implantation au cœur du futur quartier de la création de Bordeaux Euratlantique, la Méca sera le premier acte de transformation de ce quartier, nouvelle porte d’entrée de l’Aquitaine et carrefour du TGV européen, ouvert sur le territoire régional et ses acteurs. L’équipe lauréate BIG – Bjarke Ingels Group (Copenhague) – associée à FREAKS (Paris) propose une architecture dynamique avec des formes monumentales (37 m de haut, 120 m de long et 15000 m²) qui positionnera la Méca comme un pôle essentiel dans le paysage culturel de la Région Aquitaine et au-delà de ses frontières.

Aujourd’hui, la Région Aquitaine avec le soutien de l’État a décidé de doter le Frac d’un équipement exceptionnel avec une très belle architecture de Bjarke Ingels située sur les bords de la Garonne à côté de la gare Saint-Jean. C’est un formidable défi à relever pour le Frac Aquitaine dont l’action est au cœur des enjeux de la politique culturelle : - soutenir la création. Il l’a fait en constituant l’une des collections les plus intéressantes de France, de plus de 1100 œuvres provenant de 336 artistes. Beaucoup de ces artistes ont reçu cet appui en début de carrière. - démocratiser l’art contemporain. Sur le territoire aquitain, une trentaine d’expositions sont organisées par an, dans des lieux les plus divers – musées, écoles, bibliothèques – et s’accompagnent d’actions de médiation. Le Frac a ainsi touché en 2012 près de 45 500 personnes dont 13 000 scolaires. - participer à la décentralisation culturelle. Le Frac travaille avec un réseau d’une soixantaine de partenaires, toujours plus nombreux et créatifs. Il faudra coopérer encore plus avec eux, en particulier dans un contexte budgétaire difficile. Pour réussir demain, nous devrons maintenir vivant « l’esprit Frac », celui d’une structure légère et réactive, curieuse de suivre la création de son temps et soucieuse d’en faire pour le plus grand nombre un instrument de compréhension du monde. Merci à l’État, à la Région Aquitaine et à son Président Alain Rousset, sans lesquels le Frac Aquitaine n’aurait jamais pu mener à bien ses missions de service public.

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Génération Frac

La création des Fonds régionaux d’art contemporain, en 1982, témoigne de la volonté de démocratiser l’art d’aujourd’hui et de le rendre accessible dans chaque région. À l’occasion de l’exposition anniversaire « Coulisses », présentée à partir du 23 mai, retour sur les collections et les missions du Frac Aquitaine. © Geörgette Power

Générique des 30 ans du Frac Aquitaine réalisé par l’artiste Geörgette Power (extrait).

par

Aude Launay

Les Frac sont une spécificité française. Contrairement aux musées, aux centres d’art et autres espaces d’art indépendants qui ont connu une évolution relativement naturelle, ces Fonds régionaux d’art contemporain sont le fruit d’une véritable création. Issue de la décentralisation territoriale mise en place par le gouvernement de François Mitterrand dès 1981, cette initiative est née d’un constat commun du ministère de la Culture, alors dirigé par Jack Lang, et des tout jeunes Conseils régionaux : il manquait un relais de terrain pour rapprocher le public de l’art contemporain, hors de la capitale. Bien sûr, dans les grandes villes, les musées permettaient, pour la plupart, cette rencontre et

certaines villes moyennes étaient déjà dotées de centres d’art mais l’idée était de mener l’art vers le public autant que le public vers l’art. Pour ce faire, vingt-trois institutions ont donc été créées dans autant de régions françaises – vingt-deux en métropole et une à la Réunion.

Les Frac « Nouvelle génération »

Venir compléter le travail des structures existantes sans aucunement le redoubler avec, en plus, une mission de sensibilisation du public sur des territoires parfois éloignés de l’offre culturelle tenait un peu de la quadrature du cercle mâtinée d’une certaine dimension utopique.

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© BIG - Bjarke Ingels Group associé à FREAKS

Méca - Maison de l’économie créative et de la culture en Aquitaine.

Pourtant, trente ans plus tard, les Frac semblent plus dynamiques que jamais tandis que les projets architecturaux dédiés à leur activité propre voient le jour sous la forme d’impressionnantes constructions depuis l’inauguration de celle d’Odile Decq pour le Frac Bretagne à l’été 2012. Certes, le Frac des Pays-de-la-Loire avait déjà été équipé en 2000 d’un bâtiment conçu spécifiquement pour en abriter la collection et les salles d’exposition, mais ce sont maintenant des Frac dits « de nouvelle génération » qui sortent de terre. Ils seront quatre au total à rejoindre, en 2013, celui de la région Bretagne : en Provence-Alpes-Côte d’Azur, FrancheComté, Centre et Nord-Pas-de-Calais, avant l’Aquitaine dont la Méca, dessinée par les architectes danois BIG associés à Freaks, est prévue pour 2017. Cette nouvelle visibilité pour des institutions parfois caméléon destinées avant tout à la diffusion est évidemment un moyen de donner une assise à des structures pas encore toujours bien identifiées par le grand public et d’amplifier leur rayonnement. Se déployant dans des espaces de type white cube ou des lieux aussi diversifiés que des musées, médiathèques et même établissements scolaires (une quarantaine d’actions par an), la mission de diffusion des Frac s’assortit d’une dimension de « soutien au travail des artistes, notamment émergents, par le biais des acquisitions », comme le rappelle Claire Jacquet, directrice du Frac Aquitaine. En effet, c’est en faisant circuler les œuvres dans des contextes variés en région, mais aussi sur l’ensemble du territoire français ainsi qu’à l’étranger, que leurs collections prennent vie et s’emploient à en formuler de nouvelles lectures. Assez proches du fonctionnement d’un centre d’art lorsqu’ils produisent des expositions (en moyenne deux à trois par an dans leurs murs), les Frac s’en éloignent cependant par ce principe de collection. Des « collections publiques créées à plusieurs mains avec les comités techniques d’achat regroupant artistes,

directeurs d’institutions et critiques d’art », souligne Sylvie Froux, directrice du Frac Basse-Normandie ; des collections dont les quelque 26 000 œuvres de plus de 4 200 artistes en font le troisième patrimoine public français en art contemporain construit au fil de l’histoire récente et présente.

La culture du nomadisme

Plus souples et réactifs que les musées en ce qui concerne la diffusion, les Frac n’en ont pas encore « “l’aura” qui favorise sans doute la relation, l’attention à apporter à l’art contemporain » analyse Olivier Michelon, directeur des Abattoirs, Frac Midi-Pyrénées qui a la particularité d’être couplé à un musée, comme l’Institut d’Art Contemporain, issu de la combinaison du Frac Rhône-Alpes et du Nouveau Musée de Villeurbanne. Et, alors que certains Frac et notamment ceux de nouvelle génération se dotent de dispositifs de monstration que l’on pourrait qualifier de muséaux, les grands musées parisiens semblent se soucier davantage des territoires régionaux que ce soit avec le Centre Pompidou Metz, le Louvre Lens ou encore le Centre Pompidou mobile… Peut-être inspirés par les Frac ? « Moins on s’apparentera à une structure muséale et mieux ce sera », tempère cependant la directrice du Frac des Paysde-la-Loire, Laurence Gateau, pour qui il est important de pouvoir conserver une certaine spontanéité et la flexibilité qui sont au cœur des missions des Frac. Propos que renforce Bernard de Montferrand, président du Frac Aquitaine et de Platform, l’association des Frac, en évoquant « la culture Frac du nomadisme » qu’il associe à des chiffres plus que parlants : « En Aquitaine, un tiers des expositions ont lieu dans l’agglomération de la capitale régionale et les deux tiers dans le reste de la région, proportion qui est généralisable aux autres Frac. » Ce qui rend ces institutions tout à fait uniques et particulièrement indispensables. Aude Launay est critique d’art et commissaire d’expositions. • le festin • 5

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© Olivier Blanckart

Olivier Blanckart, Remix pour le temps présent, 1998, Collection Frac Aquitaine.

Une collection à rebondissements par

Anna Maisonneuve

Le Frac Aquitaine collectionne l’art de notre temps depuis 30 ans. Panorama d’une création contemporaine, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Horizon d’une collection en perpétuel mouvement. 1. Jean-Yves Jouannais, L’idiotie. Art, vie, politique – méthode, Paris, éd. Beaux‑Arts Magazine livres, 2003.

Aujourd’hui, la collection du Frac Aquitaine c’est un peu plus de 1 100 œuvres. Échelonné sur trente ans, l’ensemble de ces acquisitions a accompagné l’évolution de la structure comme il offre rétrospectivement un panorama des orientations insufflées par ses dirigeants respectifs, qui ont, chacun à son tour, posé l’estampille de leur identité. La sélection est le reflet d’une direction œuvrant avec un comité technique d’achat, mais aussi d’un contexte et d’un certain air du temps : les années 1980 orientent les achats du côté du médium de l’image fixe. « Au début, la collection était axée vers des œuvres bidimensionnelles et plutôt photographiques. Cela répondait tacitement au fait que le Capc s’attachait surtout aux œuvres monumentales et en volume et que nous procédions de façon complémentaire », rappelle la directrice actuelle de l’institution Claire Jacquet. Et cette décennie, porteuse d’un engouement pour le tirage argentique, se

réfléchit incontestablement dans un fonds où il est représenté aujourd’hui à hauteur de 50 %, avec les non moins célèbres Robert Frank, Henri Cartier Bresson, Diane Arbus, Cindy Sherman ou Larry Clark. Hervé Legros, qui prend ses fonctions à la tête du Fonds régional d’art contemporain en 1994, a pour sa part nimbé celle-ci de son attention particulière portée à un art tourné vers l’action et plus particulièrement sur l’art de l’idiotie et de l’ironie, théorisée par le critique Jean-Yves Jouannais dans son opuscule dédié à cette veine, à mi-chemin entre infamie et fiasco1. En témoignent des artistes tels que Robert Filliou, Olivier Blanckart, Arnaud Labelle-Rojoux, Xavier Boussiron, comme dans une certaine mesure Thomas Hirschhorn, passé maître dans l’engagement par le biais de formes pauvres et précaires, avec son Lascaux III acquis en 1997.

Dénicher de nouveaux talents

Claire Jacquet, qui lui succède en 2007, s’emploie pour sa part à amplifier les lignes de force de cette collection en palliant l’absence de la vidéo et du dessin, « des médiums assez peu représentés et la constitution d’une collection, c’est aussi combler les manques », estime celle qui a fait entrer en 2007 les dessins au graphite noir de forêts calcinées réalisés par l’artiste Dove Allouche, dont le travail est exposé à Beaubourg cet été. Mais à se focaliser uniquement sur les protagonistes les plus visibles, on en viendrait presque à occulter ceux qui œuvrent dans l’ombre.

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© Cindy Sherman & Metro Pictures , cl. Frédéric Delpech

Réunie sous le vocable de « comité technique d’achat », cette petite cellule se compose de membres extérieurs bénévoles : « un groupe de travail qui se met en marche de manière prospective et constitué de personnalités différentes et complémentaires, pour éviter de s’enfermer dans une seule veine », souligne encore Claire Jacquet. Et parmi ces principaux intéressés, on trouve le directeur et fondateur du Capc musée d’art contemporain de Bordeaux, Jean-Louis Froment, dont le passage au sein de la commission a ainsi permis d’augmenter la collection d’importantes œuvres conceptuelles : de Joseph Kosuth à On Kawara, en passant par Richard Long et Jeff Koons, avec sa pièce composée d’aspirateurs et de cireuses à parquet exposée au Château de Versailles en 2008, lors de la première rétrospective en Europe dédiée à cette figure controversée. « Une œuvre de jeunesse, une œuvre devenue hors de prix, acquise dans les années 1980, au moment où une collection publique pouvait se l’offrir », précise encore la directrice, attirant ainsi l’attention sur l’importance de l’expertise comme des défis et des partis pris qu’accompagnent ces regards sur l’art en train de se faire. Déceler les trésors, faire le pari de ces grands noms à venir, voici en quelque sorte le credo. « Et le temps a prouvé que ces choix étaient les bons », garantit la principale intéressée. Pour les plus sceptiques, il y a une donne irréfutable : celle de la valeur. Ainsi, en valeur d’achat, la collection s’élève à 3 millions d’euros ; en valeur actuelle, c’est-à-dire en regard de la cote de ces mêmes œuvres sur le marché de l’art, la collection s’élève à 22 millions d’euros. Dès lors, si la collection répond à un ensemble de paramètres, de convergences et de variables, elle se crée et s’alimente aussi et surtout dans une topographie en

cl. Jean-Christophe Garcia

Cindy Sherman, Untitled n°67, 1980, Collection Frac Aquitaine.

Exposition « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blanc », Frac Aquitaine, 2011. Vue des œuvres de Jeff Koons, Katharina Fritsch, Absalon et Pierre Labat.

perpétuel mouvement, dont il faut à chaque instant s’ingénier à en dénicher de nouveaux sentiers, à défricher et arpenter. À la croisée de l’art émergeant, d’une histoire de l’art en temps réel, des territoires à l’échelle régionale, nationale et internationale, la collection du Frac Aquitaine offre un panel de créations uniques. En somme, « avoir un MoMA à sa porte », conclut celle qui entend aujourd’hui porter son acuité vers les régions en Europe avec lesquelles l’Aquitaine est jumelée (Euskadi, Land de Hesse, Émilie Romagne), ou les pays qui ont historiquement un lien avec elle, comme en Afrique. • le festin • 7

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« Être autrement / images de soi », projet d’éducation artistique, Frac Aquitaine-Isabelle Kraiser, quartier Belcier-Carle Vernet, Bordeaux, 2011-2012.

La conquête de l’art Collectionner l’art qui se fait au présent, l’exposer et imaginer des processus de médiation inédits. Au cœur des missions du Frac Aquitaine, la diffusion et la sensibilisation. La légende raconte qu’à une dame qui lui disait « vos peintures, pour moi, c’est du chinois », Picasso répliqua : « Mais madame, le chinois, ça s’apprend. » En somme, si l’art actuel s’apparente pour certains à une nébuleuse teintée d’obscurité plus que de clarté, il en a toujours été plus ou moins de la sorte pour tout art dit contemporain, à comprendre pour tout art qui émerge dans le temps présent de sa réalisation. La majorité des actions coordonnées par les Frac en général, et par le Frac Aquitaine en particulier, œuvrent à tisser des passerelles entre les publics et la création, en leur offrant des voies d’accès susceptibles d’en comprendre et d’en apprécier les mécanismes et le sens. Ce travail de familiarisation s’engage au travers d’une kyrielle de missions dont l’exhaustivité ne pourrait être ici résumée, car la multitude des axes déployés se fait à la faveur de la diversité des publics auxquels ils se destinent : enfants, adolescents, adultes, novices ou habitués, néophytes et sceptiques, mais aussi publics dits « empêchés ». De manière canonique toutefois, la conception de ces rencontres parfois inédites entre l’art et les publics repose toujours sur une triade qui prend en compte les publics, les œuvres et leur lieu d’accueil.

Scénarios atypiques

Les actions éducatives pour les plus jeunes peuvent favoriser une approche sensible, avec des visites interactives pour construire collectivement du sens, et en amont des dossiers d’artistes, rencontres avec les enseignants et supports pédagogiques. Elles peuvent également se faire à partir de la collection et échafauder des scénarios atypiques. Comme dans un lycée de Marmande, où les élèves étaient ainsi conviés à apprécier la diversité des médiums par le biais d’une exposition qui empruntait le chemin de la philosophie. « Quel temps fait-il ? » déclinait à partir d’un choix d’œuvres issues du Fonds régional d’art contemporain les occurrences du temps : de la durée au climat en passant par la mémoire. À Nérac, les jeunes arpentaient les coulisses de l’art en s’improvisant commissaires d’exposition et endossaient de fait, les tâches qui incombent à la profession : du contenu artistique aux données préventives. D’autres dispositifs favorisent pour leur part la rencontre avec un artiste, à l’instar de la « Grande Tournée », dont la souplesse de l’échange créé au sein de l’établissement scolaire permet de sortir d’une simple confrontation aux œuvres et de rejoindre certaines réalités plus concrètes (« Qu’est-ce qu’être artiste ? »). Ailleurs, l’artiste Isabelle Kraiser et le Frac s’emploient à organiser ateliers et rencontres à destination des habitants de la future zone d’implantation géographique de la Méca, dans le quartier Belcier-Carle Vernet, avec le projet « Être autrement », quand d’autres actions se consacrent à une tranche d’âge

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« La Grande Tournée 2013 », avec Laurent Kropf, dispositif de médiation itinérant, lycée Georges-Leygues, Villeneuve-sur-Lot.

À une dame qui lui disait « vos peintures, pour moi, c’est du chinois », Picasso répliqua : « Mais madame, le chinois, ça s’apprend. »

un peu délaissée : les 13-16 ans, avec des propositions expérimentales comme celle répondant au nom pétillant d’« Arty party ». Si les modes d’actions culturelles et éducatives combinent classicisme et originalité, il en est de même pour les modalités de diffusion. La collection « Fiction à l’œuvre » (éditions confluences), lancée voilà quelques années invite des écrivains à s’emparer d’une œuvre d’art issue de la collection afin d’en concocter une production littéraire et fictionnelle. Une initiative qui vient augmenter les formules originales : celles des expositions pensées dans et hors les murs de l’institution. À ce titre, ce sont d’ailleurs un peu plus de 400 œuvres qui se déploient chaque année en région (soit près de 40 % de sa collection), mais également dans toute la France et à l’étranger. Et rien que sur l’Aquitaine, on dénombre en 2012 près de 45 000 personnes, dont 12 000 scolaires, en contact avec un projet lié au Frac, sur les 5 départements.

Atelier remue-méninges et mains à la pâte, « Un, deux, trois, nous irons au bois ! », exposition « Dans la forêt », Bordeaux, 2011. • le festin • 9

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© Jim Shaw, cl. Frédéric Delpech

D.R., cl. Bernard Dupuy

Présence Panchounette, Dans chien il y a niche, dans homme il y a H.L.M., 1989, Collection Frac Aquitaine.

Jim Shaw, A stripped stain painting that zig zagged from the ceiling of Praz-Delavallade widening into a 60 car grille on the floor (…), 1998, Collection Frac Aquitaine.

Coulisses Lever de rideau au Frac Aquitaine. Mise en scène par le designer Olivier Vadrot, l’exposition anniversaire du Frac Aquitaine, intitulée « Coulisses », réinvente le rapport œuvre-spectateur. Dans le cadre de la manifestation nationale qui célèbre les 30 ans des Frac, chacune des 23 institutions invite un ou plusieurs créateurs à concevoir un dispositif inédit venant présenter une sélection des œuvres issues de sa collection. Si le Frac Île-de-France a choisi l’artiste Xavier Veilhan et le Frac Centre a retenu l’architecte Bernard Tschumi, le Frac Aquitaine a pour sa part fait appel à Olivier Vadrot, designer et scénographe pensionnaire de la prestigieuse Villa Médicis jusqu’en avril dernier. L’une de ses œuvres est entrée dans la collection du Frac en 2010. Son Laptop fire se présente comme une plateforme d’écoute qui adopte l’esthétique et l’échelle d’un feu de camp virtuel. Cette pièce met en relief une des récurrences du travail de ce natif de Bourgogne, dont la réflexion porte sur les espaces de diffusion des œuvres, notamment sonores. Ses créations sont d’ailleurs souvent le fruit de collaborations étroites menées avec des musiciens (Sébastien Roux), des plasticiens tels que Jeppe Hein ou Didier Marcel, des écrivains (à l’instar de Célia Houdart et Marie Darrieussecq). Son nouveau projet in situ pensé pour le Fonds aquitain ne déroge pas à cette attention particulière portée sur les modalités de réception par le public. Ainsi, le dispositif qu’il imagine part de l’observation de l’espace : « L’architecture actuelle du Frac Aquitaine, comme celle d’un très grand nombre de bâtiments dédiés

à l’art, est le fruit d’une reconversion d’un espace industriel en programme culturel. Cet espace participe à l’ambiance de l’exposition, une ambiance plutôt dure où le confort acoustique est souvent accessoire. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette spécificité ne s’inscrit pas du tout dans un héritage culturel. L’ambiance des musées du xixe siècle était d’une toute autre nature, les murs étaient tapissés ou recouverts de boiseries, on y trouvait aussi de larges banquettes confortables… » Repenser l’atmosphère et la rendre plus feutrée, suggérer un rapport plus intime aux œuvres, voilà ce à quoi s’est attelé Olivier Vadrot, qui privilégie une approche sensible et personnelle des œuvres présentées. « Je ne suis pas commissaire d’exposition. Mon intention n’est pas d’illustrer une thématique ou un discours théorique sur l’art, mais plutôt d’imaginer un rapport privilégié aux œuvres au travers d’un parcours qui serait à la fois linéaire et aléatoire. »

Un labyrinthe intimiste

Son procédé arbore le motif du dédale labyrinthique, avec ses tracés et ses embranchements sinueux, dont les descendances sont à chercher du côté de Frederick Kiesler (1890-1965), figure austro-américaine atypique, à la fois artiste, sculpteur, designer, théoricien et architecte, qui fut l’un des premiers à penser la scénographie muséale. On lui doit par exemple le projet « Endless House », une « maison sans fin » réfléchie comme un habitat organique fait de courbes sphéroïdales et de spirales. Une architecture mobile qui favorise l’interaction. « Je me suis replongé dans Kiesler et notamment dans l’une de ses créations composée d’un rideau en éponge qui isole le bruit et matifie la lumière. J’ai pensé que cette idée de confort

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© Estate of Diane Arbus, cl. Frédéric Delpech

Diane Arbus, Untitled 4, 1970 - 1971, Collection Frac Aquitaine.

pouvait s’appliquer aux œuvres du Frac », dévoile-t-il. Le parcours réalisé se constitue de vastes rideaux acoustiques disposés en cercles concentriques au sein desquels le public est invité à cheminer, découvrant une à une les pièces de la collection. L’enchaînement et les vis-à-vis des œuvres dans l’espace se font sous forme de clins d’œil formels ou historiques. Ainsi, la niche du mythique collectif bordelais Présence Panchounette agrémentée d’une moquette et de toiles truffées de motifs, qui ne sont pas sans faire des œillades formelles avec un Sol LeWitt ou un Jackson Pollock (Dans chien il y a niche, dans homme il y a H.L.M. daté de 1989), fait le jeu des citations et du détournement, à l’image de l’œuvre de Claude Lévêque composée pour sa part d’un assemblage de néons rouges venant suggérer la coupe d’un cerveau. Ailleurs, minimalisme et fantasque se confrontent : la constellation de monochromes blancs de l’Allemand Imi Knoebel versus l’acrylique colorée de

l’Américain Jim Shaw, qui ondule du plafond à la calandre d’une Ford Mercury 66 à laquelle elle est reliée. Le dispositif, destiné à de futures réactivations, sera présenté en septembre prochain au musée des Abattoirs de Toulouse dans une variante plus radicale, pour une exposition collective réunissant les 23 projets orchestrés par 23 artistes commissaires, et initiés par les 23 Fonds régionaux d’art contemporain. Anna Maisonneuve est journaliste.

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Exposition « Coulisses » La collection du Frac Aquitaine mise en scène par Olivier Vadrot Du 24 mai au 31 août Frac Aquitaine Hangar G2, bassin à flot n°1 Quai Armand-Lalande, Bordeaux Entrée libre

« Coulisses » est réalisée avec le soutien du CNAP, de la FNAGP et de Texaa®.

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© Adagp, cl. Bernard Dupuy

Claude Lévêque, Sans titre, 1993, Collection Frac Aquitaine.

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Vous êtes étudiant(e) ? Devenez « Correspondant » !

Depuis bientôt deux ans, l’association des Amis accompagne les actions du Frac Aquitaine tout en permettant à ses adhérents de participer, en toute convivialité, à une programmation riche d’activités culturelles. Rejoignez l’association des Amis du Frac Aquitaine et contribuez au rayonnement de nos activités ! Pour plus d’informations : a.bosredon@lesamisdufrac-aquitaine.net

Savez-vous qu’en tant qu’étudiant, vous pouvez participer à la vie du Frac Aquitaine tout en vous professionnalisant ? À travers notre réseau de « Correspondants », nous vous donnons en effet la parole ! Être « Correspondant », c’est nouer des contacts avec des professionnels du milieu de l’art et bénéficier d’un accès privilégié à nos actions. Pour plus d’informations : fg@frac-aquitaine.net

Tenez-vous informé(e) de notre programmation et vivez au rythme de notre actualité : Site Internet : www.frac-aquitaine.net Newsletter : cv@frac-aquitaine.net Facebook : facebook.com/pages/Frac-Aquitaine Coordonnées : Frac Aquitaine, Hangar G2, Bassin à flot n°1, Quai Armand-Lalande 33 300 BORDEAUX 05 56 24 71 36

Le Fonds régional d’art contemporain-Collection Aquitaine est financé par le Conseil régional d’Aquitaine et l’État (Ministère de la Culture et de la Communication - Direction régionale des Affaires culturelles d’Aquitaine), avec le soutien de la Ville de Bordeaux.

www.lefestin.net

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