Tiré à part LE FESTIN - Lascaux-exposition internationale

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Lascaux

Photo : Denis Nidos / Conseil Général de la Dordogne

Exposition internationale

Du 13 octobre 2012 au 6 janvier 2013

Cap Sciences Bordeaux

Extrait de la revue le festin n°83, septembre 2012.

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Tous les clichés : Denis Nidos / Conseil Général de la Dordogne

Alain Rousset

Président du Conseil Régional d’Aquitaine Député de Gironde Peu de régions ont la chance comme l’Aquitaine de concentrer sur leur territoire un aussi grand nombre de sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ainsi la vallée de la Vézère constitue, avec la zone Cantabrique, le foyer européen le plus riche et le plus dense de l’activité humaine pendant la Préhistoire. La moitié des sites d’art préhistorique mondiaux se situent ici en France, et près de la moitié d’entre eux sont en Dordogne, où ils constituent les premiers sites d’expression artistique en Europe, à l’image des abris Blanchard et Reverdit à Sergeac.

a souhaité mettre en œuvre, en partenariat avec la Région Aquitaine, une grande exposition internationale itinérante, Lascaux III.

Connue internationalement pour les richesses de son patrimoine préhistorique lui valant le surnom de « vallée de l’homme », la Vézère abrite Lascaux II, le fac-similé de la grotte vedette avec ses 250 000 visiteurs par an, la « chapelle Sixtine de la préhistoire » et de l’art rupestre, selon la célèbre formule de l’abbé Breuil.

J’ai particulièrement souhaité que Lascaux Exposition internationale commence son périple mondial par l’Aquitaine, à Cap Sciences, avant de poursuivre son itinérance à Chicago, Montréal, Los Angeles, San Francisco, en Asie…

Découverte en 1940, c’est sans nul doute l’une des réalisations les plus spectaculaires, emblématiques et les plus émouvantes « d’une expression symbolique monumentale », dont la naissance sur les rives de la Vézère, quelques milliers d’années auparavant, fait de ce territoire l’un des berceaux de l’humanité. Mais ces lieux nous obligent. Ils s’imposent aux collectivités et institutions publiques et exigent de notre part une responsabilité, une mobilisation et une implication exemplaires. Car, conscients de la fragilité de Lascaux, illustrée par des crises climatiques et bactériologiques à répétition, la Région Aquitaine avec l’État et le Département de la Dordogne ont convenu de la nécessité de sanctuariser le site abritant la grotte originelle et de déplacer les parkings et les flux touristiques générés par Lascaux II en construisant un nouveau centre au pied de la colline. En parallèle du projet Lascaux IV, centre d’art pariétal de Montignac, le Département de la Dordogne

Associant les nouvelles technologies de l’image à un fac-similé partiel de la grotte et à des espaces d’interprétation, cette exposition a pour vocation de montrer et d’expliquer au monde entier les enjeux liés à ce monument si emblématique de l’histoire de l’humanité, tant du point de vue de la culture de l’homme préhistorique que de la conservation du site.

La politique patrimoniale, que j’ai voulu mettre en œuvre, s’est donnée comme principal objectif de construire une chaîne cohérente entre la connaissance, la valorisation des sites et la médiation auprès des citoyens. Avec cette exposition, notre politique est donc déclinée à travers le focus de la préhistoire. Ces actions de « médiation en préhistoire » constituent un pari d’avenir parce qu’un pari sur la jeunesse. J’attache d’autant plus d’importance à cette exposition qu’elle est tout particulièrement destinée à guider les jeunes du monde entier et à leur donner le sentiment de la durée historique, connaissance des générations passées qui depuis la préhistoire ont construit l’édifice des savoirs et des savoir-faire, héritage intellectuel et artistique dont nous sommes dépositaires. Lascaux III, c’est un peu notre machine à remonter le temps, qui saura intéresser le plus grand nombre, en résolvant la difficile équation : ne pas s’enfermer dans un projet purement scientifique, sans tomber dans une vulgarisation peu respectueuse d’une complexité inhérente aux sites et à leur histoire.

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Bernard Cazeau

Sénateur de la Dordogne Président du Conseil général le festin : Monsieur le Président, quand et comment vous est venue cette idée d’exposition internationale sur Lascaux ? Bernard Cazeau : Dès les années 2000, le Conseil général a passé commande à un atelier de fac-similés de Montignac des reproductions des panneaux de la Nef, afin de les exposer au Thot. Devant l’intérêt du public pour ces œuvres, l’idée d’une itinérance de ces reproductions a pris corps et a cheminé dans mon esprit, d’autant qu’à travers le monde un grand nombre de personnes n’avaient pas la possibilité d’accéder à cette grotte exceptionnelle. Ainsi est née Lascaux-Exposition internationale, fruit des rencontres, des alliances de savoir-faire et de notre passion commune pour la préhistoire en Dordogne. Ce projet aura mis finalement une douzaine d’années à mûrir et à prendre forme. Je peux dire que le résultat est une brillante réussite. le festin : Qu’attendez-vous comme retombées touristiques de cette exposition itinérante ? BC : La Dordogne est déjà un haut lieu de tourisme puisque nous recevons chaque année plus de 3 millions de visiteurs, dont 1 million dans la vallée de la Vézère, près de 300 000 à Lascaux II et 90 000 au musée de la Préhistoire. Notre but est bien entendu de conforter notre notoriété en matière de tourisme culturel et de faire que la Dordogne reste la référence mondiale en matière de préhistoire. Nous devons garder à l’esprit que Lascaux est considérée comme la plus belle grotte ornée du monde, et qu’à ce titre elle figure dans tous les livres d’histoire de l’art. L’exposition est particulièrement réclamée par-delà nos frontières, ce qui témoigne d’un engouement profond pour notre patrimoine préhistorique et pour Lascaux en particulier.

le festin : Quelle vision avez-vous de « l’avenir de la préhistoire » en Dordogne ? BC : Nous avons la volonté, concernant la préhistoire en Dordogne, d’établir une politique départementale qui s’inscrive dans la durée. Notre objectif vise à constituer le premier ensemble mondial pour la préhistoire et l’art pariétal (Pôle International de la Préhistoire, Centre d’accueil des Eyzies, château de Campagne, Centre international de l’Art Pariétal…). Pour mettre en place cette pérennisation, le Département s’emploie à rechercher en permanence l’innovation, facteur de développement économique. En innovant et en portant une attention sans relâche à la qualité des sites proposés, nous serons en mesure de garantir des retombées économiques significatives pour le Département, qu’il s’agisse de l’activité commerçante et saisonnière, ou de la création d’emplois qui accompagnera le développement des structures que nous mettons en place. L’avenir de la préhistoire en Dordogne est, à mon sens, notre meilleur atout dans le développement du territoire, aussi bien économique que culturel. Audelà de l’avenir du département, et peut-être dans une perspective plus philosophique, il est aussi de notre devoir de permettre à tous de mieux connaître les origines de notre Humanité. Propos recueillis par Hervé Brunaux.

Bernard Cazeau avec Yves Coppens, président du Comité consultatif de l’exposition. • le festin • 3

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Lascaux,

une épopée d’Humanité par

Hervé Brunaux

Cap Sciences accueille en avant-première mondiale Lascaux III, fac-similé nouvelle génération de la célèbre grotte de la vallée de la Vézère, découverte en 1940. Cette exposition-événement destinée au grand public permet de partager 70 années d’efforts scientifiques et de prouesses technologiques pour déchiffrer et préserver les extraordinaires peintures. Un voyage dans le temps et une plongée au cœur de l’Humanité. À la mémoire de Norbert Aujoulat

© Semitour Périgord

L’artiste Monique Peytral lors de la création du fac-similé Lascaux II. 1. Porté par le Conseil général de la Dordogne, « Lascaux Exposition internationale » est accompagné par la Région Aquitaine et l’État.

« Il va falloir en profiter, on ne va probablement pas la revoir en Europe avant 2020… » Olivier Retout, le porteur de « Lascaux - Exposition internationale », ne peut lancer plus convaincant appât pour inciter les visiteurs à se précipiter à Cap Sciences, à Bordeaux, où un nouvel avatar de la grotte de Lascaux est présenté dès le 13 octobre1. Première étape d’une véritable tournée de star dans les plus grands musées du monde pour le fac-similé de nouvelle génération. L’Amérique du Nord, avec ses immenses musées d’histoire naturelle, aura la primeur de l’accueil jusqu’en 2015, puis les neuf containers maritimes qui recèlent l’exposition en pièces détachées partiront à l’assaut de l’Asie. « Avec le temps d’installation et le transport, il est impossible de la proposer dans plus de deux musées par an. » L’émotion suscitée par les œuvres ancestrales ne sera plus directement liée à la proximité de leur terre d’élection, comme avec le premier fac-similé de Lascaux II. C’est une révolution conceptuelle, médiatique et touristique. Des technologies de pointe s’allient pour donner des ailes à la plus célèbre des cavités ornées. Un tel destin serait apparu comme une

élucubration digne d’un roman de science-fiction le jour où quatre adolescents décidèrent de s’introduire dans un terrier de renard sur les hauteurs de Montignac…

Une déflagration de formes et de couleurs

8 septembre 1940. L’été va bientôt tirer sa révérence, mais on discute davantage des bombardements allemands sur Londres que de la prochaine saison des champignons. Les Périgordins connaissent le privilège de vivre encore en zone libre, sans être dupes des temps d’humiliation qui s’annoncent. Pourtant, difficile pour Marcel Ravidat de ne pas s’abandonner à la douceur de ce soleil qui s’infiltre délicieusement entre les maigres chênes de la colline. En bas, Montignac sommeille dans la torpeur dominicale. Marcel a grimpé cent fois ce sentier qui serpente mollement jusqu’au sommet. Il s’amuse soudain de voir son chien Robot détaler à la poursuite d’un lapereau qui ne doit son salut qu’à un refuge inopiné, entre les racines d’un arbre abattu par un orage récent. Robot s’entête et finit par disparaître lui aussi dans l’étroite ouverture. Marcel pressent que quelque promesse se tapit dans l’orifice

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Aurochs femelles et chevaux du Diverticule axial. cl. CNP / Ministère de la Culture

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© Semitour Périgord cl. CNP / Ministère de la Culture

© Semitour Périgord

L’abbé Breuil, peu de jours après la révélation des peintures, s’empressa de rencontrer les jeunes découvreurs. Il fut rapidement suivi d’autres collègues scientifiques, et de beaucoup de curieux.

Plus de doute à avoir, les contours des taureaux sont si nets qu’il est impossible de ne pas les distinguer

rocheux. Pourquoi pas un boyau conduisant aux ruines du proche manoir de Lascaux ? Pour les gamins de Montignac, la recherche de cavités inconnues est devenue un loisir, tant le canton regorge d’anfractuosités alléchantes. Marcel se jure de revenir dès que son emploi de garagiste le lui permettra. En attendant, il se forge une lampe à huile. Le jeudi 12 septembre, il trouve enfin l’occasion de retourner sur la colline aux fantasmes, équipé de sa lampe. En chemin, il croise des garçons qu’il connaît, Jacques Marsal, Georges Agniel et Simon Coencas. Marcel s’auréole de mystère et, fort de l’autorité que lui confèrent ses 18 ans, leur fait signe de le suivre. L’entrée est trop exiguë, des efforts sont nécessaires pour en agrandir les dimensions à l’aide rudimentaire d’un couteau. Malgré son appréhension, nul autre que Marcel ne peut pénétrer le premier dans cet antre intimidant. Les premiers mètres sont difficiles, il est obligé de ramper tout en tenant sa lampe en équilibre, ses coudes et ses genoux souffrent sur la ribambelle de cailloux qui tapissent l’improbable descente. Petit à petit, le plafond s’élève et la progression devient plus confortable. Marcel est arrivé au pied d’un imposant éboulis qui avait dû jusque-là obturer

l’entrée de la caverne. Il appelle ses compères et tente de les guider à la faible lueur de sa lampe. Ils parviennent dans une grande salle, craintifs mais émerveillés de progresser si aisément dans les ténèbres. Les premiers jurons retentissent devant ces parois et ce plafond qu’ils devinent d’emblée, eux qui connaissent l’aspect habituel des parois souterraines, couverts d’un revêtement anormal. Plus de doute à avoir, les contours des taureaux sont si nets qu’il est impossible de ne pas les distinguer. Un incroyable carrousel de « bestiaux peinturlurés » ! Les quatre amis n’ignorent pas l’importance de leur découverte. Les révélations des peintures d’Altamira, en 1879, ou plus près de là, de Font-de-Gaume, en 1901, ont ancré dans l’esprit du public tout l’art des hommes préhistoriques. Mais ici c’est une véritable déflagration de formes et de couleurs. Les figures, parfois monumentales, s’enchevêtrent en une ronde vertigineuse. La lampe faiblit, les quatre amis décident de remettre la suite de leur exploration au lendemain. Ils font serment, malgré leur exquise nervosité, de demeurer muets comme des tombes quant à leur secret tout neuf. Le lendemain, étourdis par les œuvres qu’ils perçoivent toujours plus nombreuses, ils parviennent jusqu’à un puits profond d’environ six mètres, qu’ils n’hésitent pas

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Le deuxième Cheval chinois.

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à descendre à l’aide d’une mince corde. À la base du puits, une scène à la sobriété dramatique les fascine. Un homme à la tête d’oiseau et au sexe dressé semble chargé par un bison. Plus ardu de remonter que de descendre. Heureusement, aucun d’entre eux ne dévisse et ils peuvent retrouver la lumière. Mais ces deux jours dans les entrailles de l’humanité les ont changés à jamais. Ils ne peuvent imaginer à quel point ils vont aussi bouleverser les appréciations encore caricaturales portées par le grand public sur l’histoire de cette humanité.

Un phare pour la science préhistorique

Cette fois, ils ont bien conscience que la rétention exclusive de leur découverte ne peut survivre à la splendeur du spectacle qui s’est gravé sur leurs rétines. Surtout quand les parents de Marsal s’insurgent de le voir regagner le bercail dans des vêtements maculés d’argile et de poussière ! Leur ancien instituteur Léon Laval paraît digne de leur confiance, il est le premier adulte à recevoir la révélation. Après un nouvel élargissement de l’entrée, son incrédulité initiale vole en éclats le 19 septembre.

L’incroyable nouvelle se répand dans le pays à une vitesse en violent contraste avec les siècles de tranquillité qui ont préservé la caverne. Dorénavant, Ravidat et Marsal vont devoir se muer en gardiens du temple pour en éviter les dégradations que les curieux de tout poil n’auraient pas manqué de commettre. La conservation des œuvres et du mobilier archéologique leur doit une fière chandelle dans ces premières semaines de mise au jour. Agniel, les vacances terminées, a regagné son lycée parisien, tandis que Coencas, d’origine juive, a suivi sa famille loin de Montignac, que de sinistres rumeurs commencent à rendre peu sûr. La sombre histoire de France croise la lumineuse histoire de Lascaux, qui s’ouvre au monde. Les plus grands scientifiques de l’époque ne tardent pas à pointer le bout de leurs bérets dans le sanctuaire dévoilé. Parmi eux, l’éminent abbé Henri Breuil, déjà présent lors de l’exploration de Font-de-Gaume. Il a fui le Paris occupé, il peut accourir armé de sa chambre claire et de ses crayons, pour répertorier les figures pariétales. Celle qui va devenir la grotte de Lascaux ne se contente pas d’arborer des chefs-d’œuvre sur ses parois et ses plafonds, elle • le festin • 7

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Le panneau du Cheval renversé.

La Scène du Puits : homme, oiseau, bison. L’affrontement de l’homme et du bison constitue une des séquences les plus remarquables de la préhistoire.

« Ce qui différencia l’homme de la bête a pris la forme spectaculaire d’un miracle, le miracle de Lascaux » 2. Aujourd’hui, la tendance est au « vieillissement » de la grotte vers – 20 000 ans, ce qui ferait « glisser » Lascaux entre le solutréen et le magdalénien. Mais le débat reste ouvert.

présente aussi de remarquables vestiges osseux et lithiques. Le partage de leur aventure est figé dans les souvenirs des jeunes découvreurs, l’intimité de la grotte ne leur appartient plus. Elle est entrée dans l’histoire de l’art avec le fulgurant rayonnement d’une comète. Dès décembre 1940, Lascaux est classée parmi les Monuments historiques. Les relevés de son fabuleux bestiaire se poursuivent inlassablement. Des travaux d’aménagement de l’entrée permettent son ouverture au public le 13 juillet 1948.

La rançon de la gloire

La page romanesque est tournée, la galerie d’art souterraine entre dans une ère touristique qui va lui apporter une renommée internationale, tout en instillant le poison qui menacera de la détruire. Fernand Windels publie la première description majeure du site sous le sous-titre de Chapelle Sixtine de la Préhistoire, selon une expression attribuée à Henri Breuil qui sera appelée à faire florès. L’imagination des artistes contemporains s’enflamme devant les fresques qui surgissent d’un sommeil antédiluvien. Georges Bataille, dans Lascaux ou la naissance de l’art, écrit : « Autrefois, la véritable naissance de l’art, l’époque à laquelle il avait pris le sens d’une éclosion miraculeuse de l’être humain, semblait beaucoup plus proche de nous. L’on parlait de miracle grec et c’était à partir de la Grèce que l’homme nous paraissait pleinement notre semblable.

J’ai voulu souligner le fait que le moment de l’histoire le plus exactement miraculeux, le moment décisif, devait être reculé bien plus haut. Ce qui différencia l’homme de la bête a pris en effet pour nous la forme spectaculaire d’un miracle, mais ce n’est pas tellement du miracle grec que nous devrions désormais parler que du miracle de Lascaux. » L’unique couche archéologique de la caverne, qui contenait des objets, comme une lampe en grès rose ayant appartenu aux artistes, permet de dater les œuvres du début du magdalénien, soit 17 000 ans avant notre époque2. La cavité est courte, seulement 235 m de développement total. Son entrée est aménagée pour offrir un accès plus confortable. Très vite, les premiers préhistoriens qui l’investissent puisent dans leurs références personnelles, parfois religieuses, pour immortaliser les différentes zones de création. Les peintures les plus connues se retrouvent surtout sur la calcite blanche de la salle des Taureaux et du Diverticule axial. On sait souvent moins que la grotte est aussi couverte de gravures, ou de gravures-peintures qui ornent le Passage, l’Abside, le Puits, la Nef, le Diverticule des Félins. Près de 2 000 figures sont enregistrées aujourd’hui, un total toujours sans équivalent. En corollaire de l’admiration suscitée par l’art de nos ancêtres magdaléniens, les chercheurs tentent de livrer des clés d’interprétation des œuvres. De l’approche structuraliste d’André Leroi-Gourhan, qui pense que les grottes ornées présentent des organisations de figures récurrentes, à l’hypothèse du chamanisme émise par Jean Clottes et David Lewis-Williams, les thèses s’affrontent sans que

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La Vache noire recouvre plusieurs représentations de chevaux. Cl. CNP / Ministère de la Culture

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Le diptyque des Bisons adossés.

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© Semitour Périgord

L’inauguration de Lascaux et l’ouverture au public en 1948.

Le fac-similé Lascaux II permit à 250 000 visiteurs par an de profiter des splendeurs de la grotte occultée

La première commission de travaux scientifiques.

le bestiaire de Lascaux ne soit estampillé d’une vérité définitive. Chacun demeure libre de s’en imprégner selon sa sensibilité.

La foule qui se presse à la porte de la grotte dès son ouverture ne sait pas que la visite qui l’attend s’inscrira bientôt dans l’histoire comme une parenthèse privilégiée. Le gaz carbonique produit par la respiration des visiteurs commence à provoquer les premières marques d’altération dès 1955. Des gouttelettes, générées par la condensation de la vapeur d’eau expirée, corrodent les supports et dégradent les pigments préhistoriques. Un volumineux système de régénération de l’air est alors installé sous l’escalier d’entrée. Plus de mille personnes par jour peuvent ainsi continuer à admirer les chefs-d’œuvre rupestres. La cavité, condamnée depuis des millénaires, étouffe sous ce brutal afflux. Elle en témoigne par l’apparition progressive sur ses murs de taches vertes, petites algues qui prolifèrent. L’éclat des peintures faiblit de jour en jour. En avril 1963, André Malraux et son ministère des affaires culturelles imposent la fermeture de Lascaux, pourtant propriété privée. La caverne aux merveilles est à jamais close aux yeux du monde. Les œuvres qu’elle abrite en son ventre exposé retournent à une paix relative. Désormais, seules de parcimonieuses délégations de scien-

tifiques veillent à leur chevet. Un traitement bactériologique parvient à éradiquer la « lèpre verte ». Lascaux est cobaye en son malheur, et ce douloureux épisode incite les pouvoirs publics à soumettre tous les autres sites préhistoriques à une réglementation beaucoup plus stricte, en particulier un contingentement des visites. Paradoxe de la vénérable caverne que l’on admire pour ses témoignages de temps reculés, elle sera dès lors toujours à la pointe de l’innovation. Un nouveau chapitre s’amorce pour elle, qui va chambouler les paradigmes touristiques.

L’ère de la copie

La société civile alors propriétaire de Lascaux décide de vendre la grotte à l’État, pour financer un projet de fac-similé, qui sera situé 200 m en contrebas de la cavité initiale. Le département de la Dordogne reprend finalement le flambeau en 1980 et édifie une coque de ferrociment, recouverte ensuite de terre. Les parois sont modelées en fonction des données recueillies dans la grotte. Pour reproduire les figures de la salle des Taureaux et du Diverticule axial, l’artiste-peintre Monique Peytral emploie techniques et matériaux utilisés par les artistes de Lascaux. Le fac-similé Lascaux II est né. Il va permettre à 250 000 visiteurs par an de profiter à nouveau des splendeurs de la grotte occultée, et devient le site le plus fréquenté de Dordogne.

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Peu de temps après son ouverture, la Régie départementale du Tourisme inaugure sur la commune de Thonac le site du Thot, dont la visite est groupée avec celle de Lascaux II. On y admire entre autres des reproductions de panneaux rupestres qui ne sont pas visibles à Lascaux II, comme ceux de la paroi gauche de la Nef. Lors de la restauration récente de Lascaux II par l’Atelier des Fac-Similés du Périgord, le réalisateur Maurice Bunio a conçu un film qui sera présenté dans l’Exposition internationale. On y ressent toute la passion de Monique Peytral devant la renaissance de ses copies fameuses. « Pendant une dizaine de jours par mois, Lascaux II était fermée au public, et je supervisais l’équipe de l’AFSP, raconte-t-elle. Toute la précision qu’ils apportaient n’avait de sens que s’ils retrouvaient l’émotion du geste créateur, s’ils renouaient mentalement avec la vie qui animait les peintures originelles. » Malgré sa fermeture au public et la vigilance qui l’entoure, Lascaux est à nouveau victime, dès 2001, d’assauts sournois de micro-organismes. Le premier, « maladie blanche » due à un champignon, est à peine endigué que des taches noires prennent le relais pour menacer les peintures. Un conseil scientifique est mis sur pied pour veiller à la préservation de la belle endormie. La contamination recule. « La situation actuelle présente une grande stabilité au niveau des parties les plus spectaculaires, diagnostique Muriel Mauriac, conservatrice de la grotte. Nous travaillons dans la constance des paramètres que nous pouvons maîtriser, c’est-à-dire principalement le climat. Mais c’est un milieu complexe, les équilibres sont fragiles, nous devons rester humbles et prudents. » Le risque de rechute est toujours latent, la cavité restera à jamais un

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illustre patient à la santé précaire. Ses copies demeureront donc la seule alternative pour restituer ses trésors aux futures générations.

La technologie au service de l’émotion universelle

Lascaux continue de voir ses dessous scrutés par des millions de visiteurs, que déjà une nouvelle réflexion s’engage sur l’avenir des fac-similés. Le troisième millénaire s’ouvre avec le concept d’un fac-similé nomade, qui accroîtra encore la notoriété de la légendaire cavité. « Lascaux fait partie du patrimoine de l’humanité, nous avons le devoir de la montrer aux gens qui ne peuvent pas se déplacer jusqu’à nous », déclare en 2008 Bernard Cazeau, président du Conseil général de la Dordogne3. Olivier Retout est choisi pour animer le projet. Ce journaliste scientifique, docteur en science des matériaux, a développé la problématique de l’exposition scientifique itinérante. « Une exposition itinérante de qualité est faite à partir de modules qu’on peut déplacer de salle en salle. Tout est emballable et déballable facilement. Il faut réfléchir à la modularité de l’exposition en fonction des musées qui vont l’accueillir. Ainsi nous avons redéfini sa maquette pour qu’elle s’adapte au Field Museum de Chicago, le premier musée étranger qu’elle investira, à partir de mars 2013. » Olivier Retout a fait le pari de ne présenter, sur près de 800 m2, que les figures de la Nef et la Scène du Puits, absentes de Lascaux II. « J’avais un peu peur au départ que nos interlocuteurs regrettent de ne pas avoir la salle des Taureaux, mais finalement le côté inédit, exceptionnel, de notre proposition, a balayé toute réticence potentielle. »

La Frise des Petits Cerfs est insérée entre deux grands taureaux qui s’affrontent, en une longue composition qui s’étend sur les deux parois de la Rotonde. Cl. CNP / Ministère de la Culture

3. Voir Hervé Brunaux, «Lascaux d’un œil nouveau », le festin, n°66, été 2008, pp. 8-9.

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© Semitour Périgord

© PIP- Weiner

Avant que les parois soient reconstituées en atelier, des milliers de relevés sont effectués dans la grotte.

Information, animation, coordination, le Pôle international de la Préhistoire est devenu le pivot de la préhistoire en vallée de la Vézère. Implanté près du Musée national de Préhistoire, aux Eyzies, son centre d’accueil, à l’architecture claire et avenante, offre des espaces d’expositions et d’ateliers. Les visiteurs sont informés sur l’ensemble des ressources de ce territoire fréquenté par l’homme depuis 400 000 ans. « La gestion des flux touristiques s’est améliorée, constate Gilles Muhlach, administrateur du centre d’accueil. Les visiteurs savent mieux à l’avance ce qu’ils vont trouver dans les sites, l’intérêt général pour la préhistoire en est accru, et finalement la fréquentation aussi. » Du côté des professionnels, le Pôle a permis d’harmoniser les relations entre scientifiques et propriétaires de sites. « Tout ce qui est proposé au public est validé par un conseil scientifique, pour une meilleure qualité de l’offre, précise Jacques Buisson-Catil, le directeur du PIP. » Le PIP s’attache à décloisonner les secteurs et les disciplines de la préhistoire. « L’important, c’est de • • • • • • • • • • • • • • • fédérer les dynamismes », ajoute son Pôle international de la Préhistoire 30, rue du Moulin directeur. En 2013, les structures administratives 24 620 Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil du PIP déménageront dans des locaux à www.pole-prehistoire.com la hauteur de leurs ambitions, puisqu’ils T. 05 53 06 06 97 seront hébergés au superbe château de Campagne, entièrement rénové, dont les bâtiments annexes abritent déjà un pôle mixte de recherches sur la préhistoire.

4. Yves Coppens est président du conseil scientifique chargé de la conservation de Lascaux, et président du comité consultatif de l’exposition.

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Le PIP, une vision ouverte de la préhistoire

Le paléontologue Yves Coppens4 voit l’exposition comme « une fenêtre ouverte sur la compréhension des plus anciennes manifestations artistiques de l’homme ».

L’innovation comme moteur

Ce nouvel appétit de voyages de la préhistoire n’a pu se matérialiser qu’avec les avancées technologiques développées dans les Ateliers des Fac-Similés du Périgord, installés à Montignac. Ici règne un compromis entre l’obscurité d’une caverne et l’éclairage minimal nécessaire à

la reproduction de pans entiers de la grotte originale. Dans ces vastes pièces où les modules grandeur nature se préparent à un long périple, l’atmosphère est apaisée et studieuse. Comme si les figures qui surgissent sous les mains expertes des artistes inspiraient déjà une forme de recueillement, à l’instar de leurs glorieux modèles. Francis Ringenbach, responsable de la production artistique, est lui-même artiste-sculpteur de formation. Il coordonne les travaux, tout en apportant son tribut talentueux aux gestes experts de son équipe. Quatre panneaux de la Nef, pour une surface totale de 200 m2 sont visibles à Cap Sciences : la Vache noire, la Frise des Cerfs, le Bison de l’Empreinte avec la frise des Bouquetins, les Bisons adossés, auxquels s’ajoute la Scène du Sorcier du Puits. Sont aussi présentés des objets, des outils originaux découverts à Lascaux, des sculptures d’hommes de Cro-Magnon, des modules multimédias historiques et géologiques. Le préambule a consisté, pour capter les volumes, en un relevé laser de milliers de points sur les parois de la grotte, transformé ensuite en fichiers numériques. Le premier travail en atelier s’attache à réaliser une matrice à partir de plaques de polystyrène ou de mousse de polyuréthanne. Sont ensuite projetées sur cette coque brute des photos prises dans la grotte, en variant les éclairages, pour pouvoir saisir les moindres détails du relief, alors patiemment modelés. Exigence fondamentale quand on sait comme les artistes du paléolithique s’appuyaient sur

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Une fois terminé dans les locaux de l’AFSP pour l’exposition itinérante, le panneau de la Frise des Cerfs présentera une copie bouleversante de vérité de son illustre modèle.

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© Semitour Périgord © Semitour Périgord Trois décennies après la pionnière Monique Peytral pour Lascaux II (en bas à gauche), Francis Ringenbach (en haut à gauche), et Valérie Mathias (à droite), de l’AFSP, renouent avec la magie des reproductions de Lascaux, en s’appuyant sur des techniques qui ont gagné en précision.

les déformations géologiques pour suggérer les formes des animaux. La fidélité à la vraie cavité est sans faille. « Là où Lascaux II a été réalisée à main levée, nous sommes guidés par le souci d’une reproduction à l’identique, permise par les techniques actuelles. Nous ne fabriquons pas une œuvre d’art mais simplement sa copie, l’œuvre d’art c’est la grotte de Lascaux. » Pas un nævus de la roche, pas une éphélide de calcite n’échappent à l’œil aiguisé des brillants faussaires de l’art rupestre. Dans sa phase ultime, la paroi artificielle acquiert un véritable épiderme. Époustouflant de vraisemblance. Composé à base d’une préparation minérale, il est appliqué sur un moulage de la coque initiale, puis consolidé par des couches de résine. Il reste à habiter d’une âme le dénommé « voile de pierre » ainsi constitué. C’est l’affaire maintenant des peintres, qui vont redonner une visibilité neuve au bestiaire interdit. Une pièce rassemble des boîtes de pigments naturels, de l’ocre rouge à la sienne calcinée, qui permettent de retrouver la plus subtile nuance des peintures primitives. Là encore, le travail se fait sur la base de projections de photos sur la paroi. Valérie Mathias, après un parcours universitaire en arts plastiques, est heureuse de pouvoir exprimer son savoir-faire au cœur de son Périgord natal. Si la maîtrise du pinceau est souveraine pour apporter la touche sensible aux différents modules, Valérie insiste sur la polyvalence des plasticiens de l’AFSP, qui travaillent en parfaite synergie

avec deux techniciens en construction métallique et en moulage. « Il est important d’avoir une analyse complète du projet, pour englober toutes les étapes, du modelage à la peinture. »

« Lascaux - Exposition internationale » Calendrier prévisionnel 2012 • Bordeaux, Cap Sciences 2013 • Chicago Field Museum 2014 • Montréal, Centre des Sciences • Denver, Museum of Nature and Science 2015 • San Francisco, Californian Academy of Science (à confirmer) 2016-2020 • Japon, Singapour, Chine, Russie…

La stupéfiante méticulosité des réalisations de ce « Lascaux III » ravive l’émotion. On s’y croirait. Si bien que l’atelier a relégué la concurrence à plusieurs portées de sagaie et exporte régulièrement ses prestations. Il a été retenu pour réaliser les prochains fac-similés des grottes Cosquer et Chauvet. Difficile, à la suite de Lascaux, de trouver meilleure vitrine pour exprimer sa virtuosité. À l’heure où il se précise qu’aucun nouveau site orné ne pourra désormais être ouvert au public, pour un souci de préservation né des mésaventures du sanctuaire de Montignac, cette expertise en matière de fac-similés va s’avérer un outil économique essentiel pour la Dordogne.

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Sur le site du Thot, on peut admirer des panneaux comme la Scène du Puits (à gauche), qui ne sont pas visibles à Lascaux II. © Semitour Périgord

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Vers un Lascaux IV

Les panneaux de l’Exposition internationale ont à peine débuté leur tournée d’ambassadeurs de la préhistoire périgordine, que l’histoire foisonnante de Lascaux s’emballe à nouveau en faveur d’un ambitieux projet de Centre international de l’Art pariétal. Son étude a été confiée au Québécois Nicolas St-Cyr. Il présentera à Montignac un fac-similé intégral de la grotte. Le centre sera érigé au pied de la colline, pour que l’environnement karstique de la grotte, et donc la grotte elle-même, soient préservés des perturbations. Quelques-uns des plus grands cabinets d’architecture

se sont penchés sur son berceau. Des procédés visuels inventifs seront sollicités pour d’attrayantes séquences pédagogiques consacrées aux sites d’art pariétal les plus connus. « La préhistoire sera ainsi accessible à tous grâce aux technologies numériques », confirme Bernard Cazeau. Et pour montrer que les vénérables ••••••••••••••• œuvres de la préhistoire sont aussi un trem- À lire plin vers l’avenir, des passerelles intempo- • Lascaux, le geste, l’espace relles seront érigées vers les gestes d’artistes et le temps, de Norbert contemporains, vivants ou déjà embaumés Aujoulat, éd. du Seuil. • Connaître Lascaux et Dictionnaire dans la postérité, comme Picasso ou Pollock. de Lascaux, de Brigitte et Des élus aux techniciens du tourisme, tous Gilles Delluc, éd. Sud Ouest. les protagonistes de ces nouvelles métamorphoses de Lascaux sont conscients du cadeau miraculeux offert par les artistes magdaléniens. Lascaux, et par ricochet médiatique les autres sites exceptionnels de la vallée de la Vézère, captent les regards du monde entier. Il faut tout mettre en œuvre pour qu’ils ne s’en détournent pas. Hervé Brunaux est écrivain.

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Informations pratiques Cap Sciences Hangar 20 Quai de Bacalan 33 300 Bordeaux T. 05 56 01 07 07 www.cap-sciences.net Durée moyenne de la visite : 1h30 Tout public à partir de 7 ans

Horaires

• Hors vacances scolaires : Du mardi au vendredi de 14h à 19h Nocturne le vendredi soir jusqu’à 22h Week-end : ouverture dès 11h, jusqu’à 19h • Vacances scolaires : Du lundi au vendredi du 13h à 19h Nocturne le vendredi soir jusqu’à 22h Week-end : ouverture dès 11h, jusqu’à 19h

Tarifs

Plein tarif : 8 e Tarif réduit : 4,50 e Gratuit pour les moins de 5 ans accompagnés

www.lefestin.net

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