À vot’ bon cœur
Illustration Alexandra Compain-Tissier
Dans leurs gilets fluo, des dizaines d’enfants blacks-blancs-beurs sont assis par terre, sauf un en chaise roulante bien visible sur la photo. Ils écoutent, fascinés, un comédien grimé en Louis XIV. C’est l’été. Venus des quatre coins d’Île-deFrance, trop pauvres pour partir en vacances, ils sont accueillis gratuitement un jour de fermeture à Versailles. L’initiative concerne cinq mille enfants répartis sur deux dates. Mais derrière eux, un mur de costumes sombres barre la vue. Ces messieurs-dames observent la scène d’un œil attendri. Il faut dire qu’en face, le groupe d’enfants étant pris en sandwich, sont braqués appareils photos et caméras.
bernard hasquenoph Fondateur de louvrepourtous.fr
116 REGARDS AUTOMNE ÉTÉ 2016 2017
En ce 24 juillet 2017, pas moins de deux ministres macroniens ont fait le déplacement pour inaugurer l’opération “Une journée de vacances à Versailles”. Sur Twitter, photos et déclarations s’enchaînent. « La culture, c’est aussi pour les enfants qui ne partent pas en vacances ! », s’exclame la ministre de la Culture Françoise Nyssen, quand son collègue de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, commente : « Nous encourageons une telle opération où se conjuguent culture, loisirs et vacances ». Catherine Pégard, présidente de l’établissement, se félicite de ce moment qui peut « marquer le souvenir de toute une vie ». LE MÉCÈNE, BIENFAITEUR UNIQUE
Mais celui qui est cité par tous comme une publicité et qui twitte le plus, c’est le mécène et initiateur du projet, le groupe de promotion immobilière Emerige fondé par Laurent Dumas. Cet entrepreneur inconnu s’est imposé, en moins de dix ans, comme un acteur incontournable du monde culturel parisien. Collectionneur d’art moderne et contemporain, soutien de la scène française, sa passion pour l’art irrigue jusqu’à ses affaires. Se définissant
comme un « mécène militant », il a créé en 2014 un fonds de dotation pour soutenir la création contemporaine et l’éducation artistique et culturelle. C’est dans ce cadre qu’il a lancé en 2016 une première édition de cette journée de vacances à Versailles – déjà en présence d’une ministre de la Culture –, opération qu’il a souhaité pérenniser en signant une convention avec le château pour au moins trois ans. Qui pourrait lui reprocher sa générosité ? Pas les enfants dont la joie, semble-t-il, a été grande. Néanmoins, même en reconnaissant au mécène une intention louable, on peut s’étonner qu’un gouvernement salue ainsi une initiative privée dans un domaine qui fait partie intrinsèquement de ses missions et de celles d’un établissement public. D’ailleurs, dans son communiqué commun avec Emerige, le château de Versailles rappelait les actions que ses équipes mènent toute l’année pour « accueillir, de manière privilégiée, les publics les moins familiers de la culture », sans que l’information ne soit reprise par un seul média, ni évoquée par nos deux ministres, et sans qu’elles n’aient jamais fait, non plus, l’objet d’une telle mise en lumière. Le mécène apparaît ainsi