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Non-stop
La carrière musicale de Lucy Monkman, alias MONKI, fait face à une pause imposée. La DJ et animatrice radio anglaise a dû trouver une alternative afin de canaliser son énergie débordante et sa vie n’a jamais été aussi agréable.
Grâce à son inébranlable éthique du travail, Monki, 29 ans, est passée de stagiaire dans une station de radio pirate à DJ, podcasteuse et footballeuse accomplie.

DJ, productrice, fondatrice d’un label et animatrice radio, Lucy Monkman - plus connue sous le nom de Monki - a apporté certaines des sonorités électroniques les plus fraîches et les plus innovantes qui soient aux oreilles britanniques. À 29 ans, Monki est peut-être une version actualisée de qui elle était durant sa jeunesse mais elle n’a rien perdu de l’énergie et de l’ambition d’adolescente passionnée de football et de musique. Elle s’est fait un nom grâce à une émission sur les ondes de Radio 1 de la BBC, au label qu’elle a fondé et à d’innombrables tournées internationales en tant que DJ. Elle s’est aussi fait connaître sur le terrain de foot – elle joue en cinquième division de football féminin, pour le Dulwich Hamlet FC
Ladies – et en tant que podcasteuse; sa série sur la Coupe du monde féminine de 2019, Football Inside Out, a remporté la catégorie «sport» aux British Podcast Awards.
Monki a grandi à Kingston upon Thames, dans la banlieue sud-ouest de Londres. À la maison, elle baignait dans la musique électro, avec les Chemical Brothers, The Prodigy et 808 State sur la chaîne stéréo de sa mère, les tubes garage que son oncle jouait, ainsi que dans le dubstep et la grime qu’elle écoutait sur les radios pirate. «Je me suis vraiment mise à la musique grâce à la radio», dit Monki, en soulignant l’importance des pirates comme Rinse FM et Déjà Vu, qui transmettaient les rythmes et les voix de l’underground vers les jeunes oreilles assoiffées. «Je me souviens de les avoir écoutés tard dans la nuit et d’avoir entendu des musiques de danse que je n’avais jamais entendues auparavant.» Ces stations ont été un espace dans lequel les sonorités produites localement ont pu se développer et se diversifier, à l’écart des redevances, des annonceurs et des organismes de réglementation.
Non contente d’être une fan, Monki a décidé de faire partie de ce monde. Après avoir entendu la DJ Annie Mac jouer à la radio un soir le dubstep glacial de Skream, Let’s Get Ravey et le remix de In For The Kill de La Roux, elle a quitté l’école le lendemain. La jeune fille de 16 ans a réussi à décrocher un stage chez Rinse à une époque charnière où les artistes avec lesquels la station travaillait explosaient. Elle était notamment chargée de l’approvisionnement en champagne quand, en 2010, la station a obtenu un permis d’émettre et est devenue légale. «C’était vraiment passionnant: j’étais entourée de DJs que j’admirais et je me sentais vraiment inspirée d’être là, sur cette station de radio de l’East End.»
Tout comme le fondateur de Rinse, Geeneus, qui a créé sa station à l’âge de 16 ans en connectant ses platines à un émetteur fait maison dans un appartement au 18e étage dans le borough de Tower Hamlets, Monki a réussi à se faire une place dans le monde de la musique grâce à son oreille exceptionnelle, mais aussi à son talent de bricoleuse et à son inébranlable éthique du travail. Elle a utilisé son temps à la station pour affiner ses compétences en ingénierie et en mixage, et pour forger des liens essentiels avec l’industrie. Un soir, après son quart de travail, elle a enregistré un set de vingt minutes qu’elle a envoyé à Annie Mac, une héroïne de son enfance, avec qui elle s’était connectée des années plus tôt via MySpace.
C’est ainsi que Mac a offert à Monki sa toute première date, au KOKO de Camden Town, dans le nord de Londres. En plus de ses passages dans les clubs emblématiques comme le Ministry of Sound ou Fabric, la jeune DJ a obtenu une émission sur Radio 1Xtra à la BBC puis, à 21 ans seulement, une place convoitée à la chaîne Radio 1, toujours à la BBC. «Quand j’ai quitté l’école, j’ai eu le sentiment que je n’avais pas le droit à l’erreur, dit-elle. Je n’avais pas d’autre choix. C’était donc mon mantra à cet âge,
c’était une sorte de mentalité du tout ou rien. Et ça a marché.» Cette attitude a permis à Monki d’atteindre le sommet de son art en matière de musique.
Elle est aujourd’hui une force majeure dans le domaine de la deep house et de la techno, et une sélectionneuse habile lorsqu’il s’agit de créer des ambiances qui plaisent au public. En plus de jouer de tout, du disco à la soul en passant par l’electronica et le piano house, sur les ondes et dans les clubs, Monki a produit et publié sa propre musique, produisant des EPs avec un riche mélange de producteurs, de MCs et de chanteurs. Elle a sorti un EP live avec Fabric alors qu’elle était encore adolescente, mêlant house, garage britannique et grime. Monki a également son propre label, ZOO Music, et elle a mis son énergie à profit sur la route chaque année, jouant partout dans le monde ou, en Angleterre, aux soirées Monki & Friends dont elle est l’organisatrice.
Mais la pandémie a frappé. J’ai fait le plein pendant dix ans et tout d’un coup, tout s’est arrêté net», explique Monki. Les clubs ont été fermés, les tournées ont été suspendues et elle s’est retrouvée chez elle sans grand-chose à faire. Pour quelqu’un qui avait toujours eu une vision très claire de l’avenir, même à l’adolescence – «Quand j’ai quitté l’école, je me suis dit: “Voici mon plan sur dix ans, je veux être sur Radio 1 à 26 ans.”» – cela a été un choc sérieux. «Je n’ai jamais été autant à la maison depuis dix ans, dit Monki. Ce que nous avons tous perdu, c’est une connexion avec les gens. Ça a été une perte énorme. Je pensais que je pourrais mieux gérer cela, mais en fait j’étais assez déprimée.»
Mais l’éthique de travail de Monki ne lui a pas permis de ralentir longtemps. Le foot lui a donné un autre objectif, un endroit pour canaliser son énergie. Le «beau jeu» faisait en fait partie de son plan de carrière initial avant de tomber amoureuse de la musique. Mais à 14 ans,
Dans le mix: Monki est aussi bien à l’aise en studio que sur un terrain de foot (page ci-contre), en jouant pour les Dulwich Hamlet FC Ladies.

elle a découvert que, à l’époque, les femmes n’étaient pas payées pour jouer. «Vous pouviez jouer pour Arsenal ou Chelsea, mais ce n’était pas votre gagnepain, dit-elle. À l’époque, les joueuses anglaises devaient payer leur propre équipement! Cela m’a brisé le cœur. Alors je m’en suis détachée. Si je ne peux pas le faire comme je veux, alors je n’ai pas envie de le faire.»
C’est au milieu de la vingtaine, alors que sa carrière musicale battait son plein, que le football est revenu dans la vie de Monki. «Ça a pris du temps, ditelle, mais j’ai réalisé que le sport me manquait vraiment.» Après être revenue au jeu par le biais de matches à cinq, Monki a rejoint le Dulwich Hamlet FC Ladies et a commencé à vivre une «double vie», pour reprendre ses mots. «J’ai gardé le football et le sport distincts de la musique. Je ne traînais pas avec mon équipe, je venais juste m’entraîner et jouer. Je n’ai pas dit à tout le monde ce que je faisais. Je voulais juste jouer au football. Je voulais être traitée comme tout le monde. Mais quand elles l’ont découvert, elles m’ont traitée de la même façon. Tout le monde est égal. C’est pour ça que j’aime le sport, tout le monde se fout de ce que vous faites.»
Aujourd’hui, Monki est un pilier du club. «Je suis tellement impliquée avec Dulwich Hamlet. Ma petite amie en est la capitaine, et nous sommes comme des ambassadrices pour le club, dit-elle à propos de son revirement. Je travaille avec elles en participant à des activités communautaires et je gère leurs réseaux sociaux en tant que bénévole. Je suis à fond dedans.» Rebaptisées en 2019 après neuf ans sous le nom d’AFC Phoenix – une équipe qui, pendant une grande partie de cette période, n’avait même pas de tenues coordonnées – les Dulwich Hamlet Ladies se sont retrouvées sur une trajectoire ascendante, attirant des foules plus nombreuses que de nombreux clubs plus haut placés dans la hiérarchie du football. L’année dernière, lors de leur première saison en première division de London & South East, elles étaient en tête du classement lorsque, malheureusement, le championnat a été annulé en raison de la pandémie. Le club est aussi une sorte de famille: les joueuses et les supporteurs se sont mis ensemble pour réunir plus de 10000 livres lorsque leur manager adoré, Farouk Menia, est décédé en 2019; et il apporte un soutien vital à la communauté LGBTQ.
C’est grâce à son amour du sport que Monki a réussi à se libérer de son isolement. Elle a profité de cette période pour renouer avec l’entraînement et aussi pour mettre à profit son nouvel enthousiasme pour la diffusion des sports. Cette envie s’est encore renforcée lorsque Football Inside Out a remporté le British Podcast Award. «Cela m’a ouvert les yeux, dit-elle en parlant de la prise de conscience qu’elle pouvait combiner ses deux mondes. J’adore la radio – le podcasting était quelque chose que je voulais faire de toute façon – mais ça, c’était autre chose, pas de la musique. C’était vraiment intense, mais ça a été une grande expérience.» N’ayant jamais fait les choses à moitié, Monki a depuis présenté The Kick Off – une soirée de la Ligue des champions de l’UEFA en direct présentée par Heineken et Defected – et a travaillé avec la légende du sport Peter Crouch sur BT Sport.
L’inconfortable changement de rythme provoqué par l’apparition de la pandémie est devenu pour Monki, l’occasion de repenser à l’avenir. «J’en suis lentement arrivée à la conclusion que j’aime participer à des shows, mais que je ne veux pas que cela constitue toute ma vie, dit-elle. Cette année a été consacrée à ce que je veux faire au-delà des tournées et des soirées. Pendant le deuxième confinement, j’ai fait équipe avec un groupe d’autres personnes pour travailler sur des idées en vue d’une plateforme sportive féminine qui, je l’espère, sera lancée cette année.»
La plateforme n’a pas encore de nom, mais elle a une éthique forte: «Il y a quelques grands créateurs de contenus footballistiques et sportifs, mais ce que nous voulons faire, c’est nous concentrer moins sur le sport lui-même et davantage sur l’encouragement aux femmes afin qu’elles puissent évoluer dans n’importe quelle fonction.» Monki cite une étude récente de l’organisme public Sport England, qui a révélé que 39 % des femmes ne sont pas assez actives, les raisons les plus courantes étant la peur du jugement et le manque de confiance en soi. «Tout le monde n’aime pas le sport comme j’aime le football, mais il est tellement important de faire de l’exercice, même si c’est seulement se promener avec ses potes.»
Il allait de soi que Monki allait mettre son énergie débordante au service d’un projet comme celui-ci, étant donné qu’elle a contribué à la représentation féminine dans plusieurs domaines dominés par les hommes. Elle a notamment réussi dans le monde largement masculin de la musique électronique, devenant la toute première femme d’origine sudest asiatique à animer une émission à Radio 1 – «Je n’en ai pris conscience qu’en 2020. Je ne me voyais pas comme cette personne à l’époque. J’aurais aimé le célébrer davantage».
Mais malgré ses projets d’améliorer la santé de nombreuses femmes et le fait que des jeunes filles asiatiques ont contacté Monki pour lui dire combien elle les inspirait, elle ne se considère pas comme une personne dédiée à la cause de l’égalité. Ses efforts pour dépasser les limites sont plus personnels et se concentrent uniquement sur sa ténacité à faire ce qu’elle aime, malgré les risques et les obstacles. Maintenant, en trouvant l’espace dans le diagramme de Venn où ses passions se chevauchent, elle a trouvé les outils nécessaires pour traverser des moments étranges - et même en ressortir plus forte. «J’ai l’impression d’être plus ’moi’ en vivant de cette façon, avec plus d’intégrité, dit-elle. Et c’est ça le but, non? C’est littéralement ça.»
