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Les changements inspirés par l’Union économique européenne

L’idée de bloquer les salaires fait son chemin dans la seconde moitié des années 1980, d’autant que la Belgique doit intégrer la politique des revenus imposée par l’Union économique européenne de l’Europe. La loi de sauvegarde de la compétitivité est votée le 6 janvier 1989. Toute augmentation des salaires s’inscrit jusqu’alors dans une norme de compétitivité qui tient compte de la croissance des salaires dans trois pays voisins (et principaux partenaires commerciaux) : la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. En contrepartie, le mécanisme de liaison automatique des salaires et des allocations sociales à l’index est sauvegardé. Les interlocuteurs sociaux devront désormais tenir compte du contexte international. C’est la fin du principe du partage des gains de la prospérité économique voulu par le Pacte social de 1944.

Le mécanisme de liaison automatique des salaires et des allocations sociales à l’index, même s’il est sauvergardé, subit un réajustement en décembre 199360, lorsque le gouvernement Dehaene décide, sans aucune concertation avec les syndicats, d’introduire un nouveau cadre pour l’adaptation des salaires et autres revenus : l’indice santé. Il retire du « panier de la ménagère » des produits nocifs pour la santé et coûteux pour la sécurité sociale : le tabac, certains alcools, et les carburants (à l’exception du LPG)61

En 1993, la Commission européenne édite un « Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi » en faveur d’un pacte social européen. Elle veut encourager la croissance économique pour créer plus d’emplois, et plaide pour un accroissement salarial inférieur aux gains de la productivité.

54 Le nouvel index prend aussi en compte les loyers ainsi qu’un « panier » de 99 produits pharmaceutiques. Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 11.

55 Gouvernement composé par lez partis CVP, PSC, PVV, PLP et RW.

56 Et ce jusqu’en décembre 1976.

57 Dirk Luyten, Le mouvement syndical socialiste et la concertation. In : Un siècle de solidarité-Histoire du syndicat socialiste, FGTB, Bruxelles, 1997, p. 175.

58 L’arrêté royal du 26/02/1982 suspend l’indexation des salaires et traitements supérieurs à la rémunération mensuelle garantie jusqu’au 31/05/1982. Voir : J. Moden, L’indexation des salaires. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°997, Bruxelles, 1983, p. 9.

59 Une réforme de l’index a également lieu en 1984. Elle est caractérisée par l’amélioration des méthodes de calcul spécifiques à certains produits. In : 100 ans d’indice, une rétrospective, STATBEL, 27/02/2020. Voir le site internet de STATBEL : https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/100-ans-dindice-une-retrospective

60 L’indice santé est instauré par l’Arrêté royal du 24/12/1993.

61 Notons également que l’index connait une sixième réforme en 1991 et qu’outre une augmentation du nombre de produits témoins à 429 produits, le nombre de localités étudiées est en augmentation pour la première fois depuis 1939, passant de 62 à 65.

En Belgique, cela se traduit par la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité. Cette loi définit la norme salariale : la marge d’augmentation des salaires du secteur privé est établie sur base d’une prévision de l’évolution salariale aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. Cette norme est introduite pour la première fois lors des négociations interprofessionnelles de 199862. L’indexation automatique est toutefois maintenue. La Belgique, lors de son entrée dans l’Union monétaire européenne le 1er janvier 2002 subit encore de vives critiques de la Commission européenne à l’égard de son système d’indexation salariale. Pourtant, outre le monde patronal, la Banque centrale et la Commission européenne ne sont pas les seules institutions à mettre nos gouvernements sous pression pour supprimer l’index progressivement. Il faut encore compter sur l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), le Fonds Monétaire International, la Fédération des Entreprises de Belgique, les agences de notations…

Bien que les avantages de l’index pour les citoyens aient été démontrés, mais aussi pour l’économie, le Gouvernement Michel (NVA, MR, CD&V, Open VLD) décide encore d’un nouveau saut d’index de 2 % à partir de mars 2015. Une étude de la FGTB souligne, dans ce cadre, que « le fait que les travailleurs et les assurés sociaux aient perdu 2% de pouvoir d’achat a aussi eu un impact négatif important sur l’économie belge. Alors que sur la période 2008–2014, la Belgique présentait des chiffres de croissance toujours meilleurs (par rapport à la moyenne de la zone euro) et ce, en partie grâce au système d’indexation, à la suite de ce saut d’index, la croissance économique belge s’est retrouvée parmi les plus faibles de l’ensemble de la zone euro »63

Conclusions

L’indexation automatique des salaires n’est pas qu’une histoire belge. Chypre, Malte et le Grand-Duché de Luxembourg suivent également cette ligne «automatique», même si les modalités varient entre ces différents pays. Ancrée dans l’histoire de notre pays, l’indexation automatique parvient à se maintenir, malgré tout. D’autres pays, à l’exemple des Pays-Bas, l’Allemagne ou la France, ont abandonné l’indexation automatique des salaires au cours des années 1980 et 1990 (même si les indexations existent encore par secteurs et via des conventions collectives).

En Belgique, les hausses de salaires, dans le secteur privé comme public, se font de manière automatique et généralisée, afin de défendre de manière solidaire les secteurs plus faibles en raison de leur taille ou de leur santé économique64 :

• Pour le secteur privé, la liaison des salaires à l’indice des prix à la consommation est négociée au sein des commissions paritaires, via le mécanisme des conventions collectives65. Tout comme les augmentations barémiques, l’indexation automatique des salaires est toujours garantie par la loi du 26 juillet 1996. Ceci implique que les travailleurs ont droit à une indexation quoi qu’il arrive, même s’il n’y a pas de marge disponible pour l’évolution des coûts salariaux66

• Pour le secteur public et les prestations de la sécurité sociale, c’est la loi du 1er mars 1977 qui prévoit l’indexation automatique des salaires67

L’index n’a pas une valeur objective, scientifique, mais demeure une approximation. Elle est le fruit d’un compromis calculé et défini par les interlocuteurs sociaux et par la Commission de l’index, qui a le pouvoir d’examiner et de proposer la révision de celui-ci. C’est ainsi que régulièrement la Commission de l’index a repoussé l’idée d’un index basée sur le calcul du coût de la vie ou d’intégrer les variations saisonnières (trop compliquées) qui risquaient d’échapper à la compréhension de tout un chacun. Depuis sa naissance en 1920, l’indice a subi neuf réformes. Depuis sa version de 1919-1920, l’objectif premier de l’index n’a pas changé, mais l’indice lui-même a beaucoup évolué.

62 La norme intervient peu de temps après l’introduction en 1997 de l’Indice des prix harmonisés, ou Indice européen, mis en place pour pouvoir comparer l’inflation dans les états membres de la zone euro.

63 Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTB-CSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, p. 9.

64 Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 32.

65 Notons que sur les 200 commissions paritaires présentes en Belgique, une vingtaine ne dispose pas de l’indexation automatique des salaires car le système n’est pas prévu dans leurs CCT sectorielles (travailleurs employés par des professions libérales). Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 27.

66 Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTB-CSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, p. 8.

67 Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 10.

L’ensemble des biens et services s’est considérablement élargi, passant de 56 produits en 1919 à 507 en 2004 (ce « panier » est réévalué tous les deux ans, tandis que l’indice est recalculé tous les ans depuis 2015)68. De plus, la famille de l’indice s’est également élargie puisqu’en plus de l’indice des prix à la consommation national, a été instauré un indice des prix à la consommation harmonisé (ou indice européen)69. Fruit d’un compromis « le plus objectif possible », l’index a depuis toujours eu le grand avantage de simplifier les négociations et d’empêcher les conflits sociaux.

Le patronat continue pourtant de considérer les salaires comme l’une des principales variables d’adaptation de la politique économique. Le mécanisme de liaison automatique des salaires à l’index est dès lors considéré par le monde patronal comme un handicap au développement économique des entreprises. Les salaires étant automatiquement revus à la hausse en Belgique, notre pays accuserait encore une perte immédiate en termes de compétitivité… Une étude de l’Institut de Recherches économiques de l’UCL (IRES) a pourtant démontré le contraire en novembre 2013 en rappelant que, quels que soient les pays, les salaires sont toujours in fine adaptés, et que le prétendu handicap d’un index automatisé n’est pas un élément à prendre en compte à long terme. Contrairement aux salariés allemands, grecs ou espagnols, le maintien de l’index permet en revanche aux Belges de ne pas devenir des « travailleurs pauvres » en cas de difficultés économiques70.

L’index contribue en réalité au soutien de la croissance et des recettes de l’Etat et est surtout un instrument de solidarité indispensable pour protéger le pouvoir d’achat de l’ensemble des travailleurs71. Il permet de soutenir le niveau de consommation intérieure et l’activité des entreprises et des commerçants. « En tant que petite économie ouverte, la Belgique peut se montrer fortement dépendante des exportations. Mais plus de la moitié du PIB belge est encore dépensée par les ménages privés, ce qui implique qu’il est essentiel de préserver le pouvoir d’achat pour pouvoir réaliser une croissance économique suffisante. Dans des pays comme les Pays-Bas, où les salaires réels ont diminué durant plusieurs années, l’impact négatif de la crise économique a été plus lourd qu’en Belgique parce que la consommation privée y a reculé pendant plusieurs années »72

Rappelons que l’indexation automatique n’est pas un outil de redistribution73, mais un rattrapage postérieur à l’augmentation volontaire par les entreprises des prix des produits vendus aux consommateurs, en raison de l’augmentation des prix (pétroliers par exemple). L’indexation n’est ni juste, ni injuste. Elle est neutre dans la mesure où elle garantit le maintien du pouvoir d’achat de tous, allocataires sociaux, petits et gros salaires…74

Autre avantage fondamental de l’index, il garantit une augmentation constante des recettes de l’impôt direct sur le revenu (l’impôt des personnes physiques) et de la sécurité sociale, puisque ce sont toujours les salaires bruts qui sont indexés. L’intérêt est de garantir un revenu décent aux personnes dépendant des allocations sociales (pensionnés, demandeurs d’emploi, malades) ou de répondre aux besoins en matière de services publics, compte tenu du vieillissement de la population75

L’indexation demeure un élément clé de la paix sociale, et c’est même sa raison d’être. Rappelons qu’elle a été instaurée par le ministre socialiste J. Wauters en 1920, au cours de la période d’après-guerre lorsque les prix subissaient une hausse vertigineuse et que les salaires ne suivaient pas cette évolution. Pour le mouvement ouvrier, l’objectif était de préserver le pouvoir d’achat du salaire et des allocations sociales.

La liaison des salaires à l’index, reste aujourd’hui, comme hier, une protection imparfaite du revenu des travailleurs qu’il importe de sauvegarder face au patronat, mais aussi face à un Etat libéral et à une Europe plus préoccupée par la croissance économique que par le progrès social. Aujourd’hui comme hier, les syndicats doivent lutter pour la préservation d’une juste rétribution du travail ainsi que la sauvegarde de la sécurité sociale, financée en grande partie par les travailleurs.

68 « L’indice des prix à la consommation est calculé chaque mois par la Direction Thématique Economie de Statbel, l’office belge de statistique qui fait partie du Service Public Fédéral Économie. Le Centre de collecte de Statbel dispose d’un service extérieur dont les agents sont chargés de relever les prix des témoins dans les différentes localités. Le chiffre de l’indice le plus récent est immédiatement disponible après approbation par la Commission de l’Indice, l’organe consultatif paritaire, via le site internet de Statbel. Depuis 2015, l’indice est actualisé chaque année. En effet, certains biens ou services deviennent obsolètes au fil du temps et ne sont plus représentatifs de la consommation moyenne des ménages. Les actualisations annuelles doivent maintenir la représentativité de l’indice au fil du temps et faire en sorte que l’inflation mesurée ne soit pas biaisée à mesure que l’indice vieillit. Ces actualisations peuvent se faire par le biais d’une actualisation du panier de produits, un ajustement des méthodes de calcul, l’intégration de nouvelles sources de prix et le maintien de la représentativité de l’échantillon de magasins ». Voir : Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTB-CSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, p. 3.

69 Le traité européen de Maastricht a instauré en 1992 qu’un état membre dispose d’un haut degré de stabilité des prix, mesuré par l’inflation. Afin de permettre une comparaison sur le plan européen, Eurostat (le service des statistiques de l’Union européenne), a formulé, à l’intention des états membres, des recommandations concernant le calcul de l’indice servant à mesurer l’inflation. Cet indice n’a pas d’impact sur l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales en Belgique. L’indice « européen », sert en réalité au contrôle de la stabilité des prix prévu par le Traité européen et permet la comparaison des taux d’inflation au sein de l’Union européenne. Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 9.

70 Luc Voets, L’index, meilleure protection du pouvoir d’achat, Parti socialiste, Bruxelles, 2013, p. 10.

71 Luc Voets, L’index, meilleure protection du pouvoir d’achat, Parti socialiste, Bruxelles, 2013, pp. 2 et 8. Note produite à l’occasion de l’action du Parti socialiste Citoyens engagés.

72 Voir : Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTB-CSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, p. 8.

73 Une redistribution des revenus s’opère en Belgique grâce à la hauteur des cotisations sociales (plus importantes pour les « gros salaires ») ainsi que par la fiscalité (l’impôt progressif).

74 Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 33.

75 Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTB-CSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, p. 8.

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