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L’instauration d’un compromis à propos de l’index au cours des années 1960
De 1954 à 1963, le taux d’inflation moyen est plutôt faible (1,42 %) et l’index des prix de détail reste stable. Globalement, la Belgique réussit la performance de n’augmenter les prix que de 10% pendant cette même période. A l’exception des Etats-Unis, aucun partenaire commercial de la Belgique n’atteint un tel résultat après la guerre (l’inflation est de 30 % en France à cette époque)44. Dans ce contexte, le problème de l’indexation des salaires se pose avec moins d’acuité. La hausse des salaires est même supérieure à celle de l’index tandis que le pouvoir d’achat de la population augmente condidérablement45. Encore une fois, le patronat comprend l’intérêt des adaptations automatiques et régulières des salaires afin de ne pas d’être confronté à des conflits sociaux. Les années 1960, constituent une période économiquement stable et prospère (les « Golden Sixties »), permettant de fixer de manière objective un index inspirant confiance. Une Commission de l’indice, telle qu’on la connait aujourd’hui, est par ailleurs instituée en 196746. L’index de 1968 est dans ce cadre considéré comme le premier indice étudié au vu d’une enquête sérieuse sur le budget des ménages47. Il est également le fruit d’un véritable compromis, se basant sur un calcul à mi chemin des propositions patronales (augmentation de l’index de 8,44 %48) et syndicales (11,97 %). Un contrôle plus étroit des prix est encore permis par l’instauration de la Commission de régulation de prix49, composée par des délégués des syndicats, ces derniers témoignant un grand intérêt pour la fixation des prix de détail. Les conventions collectives stipulant en effet, de plus en plus, une adaptation atomatique des salaires à l’évolution des prix50
La crise des années 1970
La crise économique des années 1970 marque un tournant dans les négociations salariales. Les restructurations et les fermetures d’usines se succèdent. A ces pertes d’emplois se rajoute une forte inflation (sans compter l’introduction de la TVA en 1972). Si l’on excepte les périodes de guerre, la Belgique ne connut rarement un tel un climat inflationiste : les prix doublent entre 1971 et 198051. Les salaires suivant l’inflation par le biais de l’index, la réactualisation de l’index prend de nouveau tout son sens, et les syndicats montent au créneau pour défendre ce dernier. Rien qu’en 1974, l’index des prix à la consommation augmente de plus de 15%52. La crise pétrolière en 1973 nécessite par ailleurs une « réforme intermédiaire » de l’index, et ce dernier prend désormais en compte une meilleure représentatitivité des combustibles à usages domestiques, ou de l’augmentaton des prix des « services ». A partir de 1973, les syndicats réussissent à contraindre le gouvernement à lier les revenus de remplacement à l’index. En juillet 1974, les indemnités d’invalidité, les allocations familiales, les indemnités de maladie profesionnelle et les rentes d’accidents du travail suivront53
Au milieu des années 1970, le patronat cherche à démanteler les anciens accords et refuse de négocier des hausses salariales pour ceux qui ont encore un emploi. Les patrons et les gouvernements successifs font de la modération salariale un facteur essentiel de la compétitivité des entreprises, vis-à-vis de l’étranger notamment. Le gouvernement réfléchit à une politique de relance. Même si l’index connaît une importance réforme en 1976
44 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 5
45 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 121.
46 « La Commission de l’Indice a été instituée par l’Arrêté royal du 22 décembre 1967. Elle est paritaire et composée de 21 membres, représentants des employeurs et des travailleurs ainsi que des représentants du monde académique et de l’Administration. Cette Commission se réunit à la fin de chaque mois pour examiner l’indice des prix à la consommation du mois en question. Si elle n’a pas d’objection, l’indice est approuvé. La Commission de l’Indice encadre et conseille chaque réforme de l’indice du début à la fin. Ainsi, elle formule des propositions concernant l’introduction de nouveaux témoins, la suppression d’anciens témoins, l’attribution des pondérations aux témoins, la modification des méthodes de calcul existantes ou les nouvelles méthodologies à appliquer. Elle communique son avis au Ministre de l’Economie qui prend les décisions définitives. La Commission de l’Indice n’a qu’une compétence consultative. Si elle approuve l’indice du mois à l’unanimité ou si elle rend des avis unanimes, le Ministre de l’Économie n’y déroge en principe pas. La Commission de l’Indice est chargée aussi du contrôle du calcul de l’indice des prix à la consommation et de l’indice-santé ». Voir : Les 100 ans de l’index en 10 points clés, FGTBCSC-CGSLB, Bruxelles, 2020, 14 p.
47 Le nombre de produits temoins passe de 79 produits en 1953, à 147 en 1968. Le nombre de « produits témoins » passe de 56 en 1939 à 79 en 1955. Voir : Tout savoir sur l’index-FGTB, Ensemble, on est plus forts, FGTB, Bruxelles, 2014, p. 11.
48 Pour un calcul fait sur les années 1961-1964.
49 La commission est créée par l’arrêté royal du 03/06/1969.
50 Rober Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, pp. 55 et 141.
51 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, pp. 148 et 212.
52 Robert Vandeputte, L’histoire économique de la Belgique (1944-1990), Labor, Bruxelles, 1993, p. 174
53 Luc Peiren, La FGTB ou le renouvellement du syndicalisme 1945-1970. In : Un siècle de solidarité-Histoire du syndicat socialiste, FGTB, Bruxelles, 1997, p. 90.
(augmentation du nombre de produits témoins de 147 à 358 produits54), la loi de relance économique du gouvernement Tindemans-Declercq55 supprime en mars 1976 l’indexation des salaires pour la partie au-delà de 40.250 francs. Mais l’action des syndicats fera en sorte de ne permettre cette mesure que pendant quelques mois (janvier 1977)56
Le gouvernement fait baisser les prix de certains produits, et cherche de cette manière à « jouer » sur l’index. Durant l’été 1976, année de sécheresse, le gouvernement gèle les prix des fruits, des légumes et de l’eau. Ces pratiques font l’objet de discussions au sein de la Commission de l’index où les syndicats contrôlent toutes les opérations de relevés des prix et les calculs. A la suite d’une forte contestation syndicale, le gouvernement finit par accepter le retour à l’index réel.
Les gouvernements Martens-Gol
Les années 1980 sont marquées par la politique d’austérité des gouvernements Martens-Gol. L’Etat intervient de matière autoritaire et gèle de facto la concertation, ce qui vaudra à la Belgique d’être condamnée par l’Organisation internationale du Travail suite à une plainte déposée par la FGTB. Le gouvernement arrrête lui-même la politique salariale faite de modérations et de sacrifices57. Il faudra toute la force de conviction du mouvement ouvrier pour maintenir tant bien que mal le principe de la liaison des salaires à l’index. La hausse salariale est faible par rapport à la montée des prix, et le pouvoir d’achat des travailleurs chute. Le gouvernement opte pour la dévaluation du franc et suspend en 198258 l’indexation des salaires au-dessus de certaines tranches de rémunération. Il décide encore de sauts d’index de 2% par an en 198459, 1985 et 1986. Applicable à tous, cette décision précarise surtout les bas revenus et les allocataires sociaux. La mobilisation syndicale est forte, mais il faut attendre 1987 pour que patrons et syndicats puissent négocier librement. Et les pertes salariales occasionnées par ces sauts d’index ne seront jamais récupérées…