Open issue 08 (en)

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Le magazine de Prodir / O P E N F R A N Ç A I S

Nettoyage de printemps pour les moutons pages 17–21

mots et photos: Kyle Dugan

C’est juste avant l’aube que les hommes sortent de leur abri et commencent à tâtonner dans la pénombre de la plage à la recherche de leurs bâtons. Pour ces bergers de San Giovanni a Piro, une ville située à l’extrémité de la Campanie, en Italie, c’est le jour de la tonte des moutons, et cela commence par une baignade en mer. Pour les moutons.

Comme chaque année, la veille au soir, ils ont conduit les moutons durant quatre heures, pour descendre de leur village de montagne jusqu’à la mer, à la Cala degli Infreschi, une petite baie vierge, inaccessible en voiture, où ils ont passé la nuit. Le mois d’août conduit sa part de vacanciers en bateau sur la plage de galets, mais en ce début de matinée de mai, à l’ombre des falaises, la baie est silencieuse sauf le clapotis de la mer sur les pierres, l’aboiement occasionnel d’un berger de Maremme blanc, les bêlements des moutons et des chèvres. La tonte aura lieu au village, mais la première partie de ce rituel annuel est le nettoyage des animaux dans la mer. Bien sûr, la mer n’est pas l’habitat naturel des moutons, alors il faut les cajoler un peu pour les faire entrer. C’est là que le Loup entre en jeu. Un loup parmi les moutons Le Loup – il Lupo – est le surnom de Saverio, le leader incontesté du groupe. Il a élevé et soigné des animaux toute sa vie, comme son père et le père de son père avant lui. Et maintenant, son fils adulte, son gendre et le frère de son gendre sont tous avec lui sur la plage. Mais il y a du vrai dans ce surnom : avec une moustache épaisse et un visage patiné, il peut être rude, solitaire, intelligent et est connu pour ses hurlements. Dans ce qui semble un renversement de l’ordre naturel des choses, c’est entre les mains du oup que les moutons ont confiance. Avec des ordres aigus et brefs, relayés par les chiens soudainement excités, il guide les moutons le long d’un chemin étroit jusqu’à la base d’un promontoire rocheux qui se jette dans la mer. Tandis que les jeunes bergers observent du haut de la piste, le Loup plonge ses mains rugueuses dans la laine du mouton de tête, le saisit et le jette à la mer. L’animal tombe lourdement dans l’eau, refait surface et, en agitant la tête, les oreilles rasant la surface de l’eau. Il nage 50 mètres jusqu’à la plage. Les autres moutons qui trottent derrière sont à la hauteur de leur réputation : à la suite de leur chef, ils se précipitent par-dessus les rochers et sautent dans la mer, l’un après l’autre.

La tonte des moutons Plus tard, de retour au village, les moutons sont directement rassemblés dans leur enclos à l’ombre d’un énorme chêne. Blottis à une extrémité, les moutons regardent les hommes avec méfiance lorsqu’ils les voient étendre une bâche usée sur l’herbe et commencer à disposer leurs outils : ciseaux manuels, qui ressemblent moins à des ciseaux qu’à deux couteaux de cuisinier reliés par une boucle en acier, boîtes d’antibiotique désinfectant et longueurs de corde pour attacher les sabots des animaux. Les chiens de berger s’installent autour du troupeau, puis s’allongent, s’étirent et ne gardent qu’un œil oisif sur une situation sous contrôle. Puis la tonte commence. est une t che di ficile. eaucoup de moutons sont dociles, mais certains tirent sur les cordes et les hommes ont deux opérations pénibles à réaliser, tenir l’animal agité en place tout en utilisant les ciseaux pour la tonte, en veillant à ne pas couper dans la peau. Lorsqu’un mouton est coupé, en particulier par un jeune berger moins sûr de lui, une petite plaie rose sans sang s’ouvre dans la peau lâche, semblable à une paupière. Le traitement est un jet de désinfectant d’un bleu électrique, ou vert feu de circulation ou encore cramoisi, qui protège les bêtes tondues, mais leur donne l’air comique et punk de vétérans du toilettage saisonnier. Pour les bergers plus expérimentés, la tonte semble être un acte de coopération entre l’homme et la bête. Le beau-frère du Loup – bâti comme un camion, la tête carrée, le cou épais, les mains larges comme un étau de bois – a à n’a guère besoin de maintenir le mouton une fois qu’il est attaché et sur le flan. a main droite enveloppe les ciseaux et cisaille habilement la laine, l’autre roule doucement la toison épaisse, qui reste d’une seule pièce durant la tonte. Une fois la tonte terminée, les moutons, nus et g nés, se cachent le ne à l ombre des flancs les uns des autres. laisantant entre eux, heureux et fiers d un travail bien fait, les hommes s’assoient à la fête préparée par les femmes – les épouses, les mères et les filles qui avaient ait une pause occasionnelle dans leur préparation pour regarder les hommes au travail. Porc rôti, fougasses, fromage frais et vin sont savourés en abondance. Pendant ce temps, le tas de laine – de la taille d’une Fiat Panda – attend son destin. Malheureusement, il n’y a pas de marché pour lui. La quantité est trop petite, les méthodes trop primitives, le marché trop coûteux, le village trop éloigné de tout centre de production de laine. De mémoire d homme, les bergers de an iovanni a iro n ont jamais vendu leur laine. Mais ils gardent le rituel, et continuent à pratiquer la tradition du ménage de printemps, lavant les moutons dans la mer, une année après l’autre.

Ne t’occupe donc pas de toi pages 23–24

mots: Stefano Bernasconi illustration: Laura Stepanova

Le monde est plein de conseillers auxquels il est impossible d'échapper. Et même lorsque vous écrivez contre ce phénomène, vous devenez vous-même un conseiller. A propos de l'ouvrage de Svend Brinkmann Stand Firm: Resisting the Self-Improvement Craze (Tenez bon, restez ferme : résister à l'engouement pour l'amélioration de soi)

Les livres d'auto-assistance sont des best-sellers, les besoins semblent énormes. Ils nous promettent d'aborder les problèmes dans tous les domaines possibles de notre vie privée et professionnelle de manière indépendante et de les résoudre e ficacement. Ce qui ne doit pas être faux, car chacun de nous a ses problèmes. Mais alors que dans les années 60 et 70, il fallait faire le chemin long et souvent ardu pour se chercher soi-même, avec le risque de ne pas trouver ou du moins de se perdre, aujourd'hui, on dirait que le soi a toujours été là et qu'il attend que quelqu'un s'en occupe enfin. e cherche pas longtemps, mais travaille enfin sur toi Chacun forge sa chance, il faut donc battre le fer tant qu'il est chaud. L'auto-optimisation est le nouveau mantra, une surveillance constante et une structuration des routines quotidiennes pour rendre la vie plus e ficace et meilleure par le corps et l'esprit. Il s'agit notamment de contrôler le déroulement du jour et de la nuit, d'a finer les t ches ménagères usque dans les moindres détails, de façonner l'alimentation pour apporter le meilleur au corps et à l'esprit, d'utiliser de manière optimale et judicieuse le temps libre, ce qui signifie non seulement ne rien faire, mais utiliser son temps libre pour augmenter sa puissance, musculaire son endurance, sa prévoyance et sa perspicacité. Manger ne sert pas le plaisir, mais on mange ce qui contribue à aiguiser ses propres capacités, avec pour hypothèse fondamentale qu'elles sont illimitées, parce que ceux qui acceptent les limites s'abandonnent déjà et par conséquent commencent à se négliger. Ce sont les perdants. Bien sûr, l'équilibre émotionnel doit aussi être bon, c'est pourquoi les partenaires et les amis servent avant tout l'objectif d'auto-optimisation, tout comme on est soi-même redevable de l'amélioration des autres qu'on invite dans sa vie. Et, à la fin, tout s'accorde à merveille un s stème solaire complexe dont chaque optimiseur est l'étoile brillant au centre. Le psychologue danois Svend Brinkmann craint que nous soyons en train d'élever ce qu'on appelait autrefois le nombrilisme en dogme de notre vision du monde ous voulons tous devenir


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