54 ÉTATS, LE MAGAZINE DE L'AFRIQUE N°25 SPÉCIAL TUNISIE

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Sami MAHBOULI AVOCAT ET ÉDITORIALISTE

Un certain 14 janvier 2011, la Tunisie a délivré au monde arabe une immense promesse : la dictature n’est pas une fatalité et la liberté n’est pas le monopole de l’Occident. En quelques mois, l’espoir né en Tunisie se répand dans d’autres pays arabes faisant dire à certains romantiques qu’il s’agit d’un nouveau « Printemps arabe ». Inventée par le sulfureux Benoist-Méchin dans les années 50, cette formule n’a jamais emporté ma conviction et encore moins mon enthousiasme. Je fais, en effet, partie de ceux qui ont assez rapidement compris que la révolution n’était pas un soulèvement spontané et qu’elle n’avait pas toute la pureté qu’on lui prêtait. Le rôle joué par certains États dans le scénario tunisien est aujourd’hui assez bien connu ; surtout lorsqu’on décèle leurs mêmes empreintes dans des pays comme l’Égypte, la Syrie ou la Libye. Fort heureusement, en Tunisie, la chute du régime de Ben Ali n’a pas donné lieu aux orgies de violence et de destruction que d’autres pays frères ont connues. Le mérite en revient aux Tunisiens et, en particulier, à l’un d’entre eux : Béji Caïd Essebsi. Ce jugement ne doit rien à l’admiration et à l’affection que je lui porte depuis si longtemps. Il est, en effet, incontestable qu’en réussissant la première étape de la transition politique, de mars à novembre 2011, Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre, a préservé la Tunisie des déchirements observés ailleurs et y a jeté les bases d’une véritable démocratie : organisation d’élections libres et transparentes, mise en place d’une Assemblée constituante, légalisation des partis politiques bannis sous Ben Ali, consécration de la liberté de la presse et d’association à travers un travail législatif considérable. Le cadeau de Sarkozy à la stabilité et à la prospérité du Maghreb a valu à la Tunisie un afflux massif de réfugiés provenant de Libye et une explosion de la contrebande et du trafic d’armes. En dépit de ce contexte régional explosif, la Tunisie, forte d’un peuple homogène et d’une administration disciplinée, n’a pas cédé au chant des sirènes de la discorde et a poursuivi, bon an mal an, l’édification de sa jeune démocratie. Il aura fallu passer – entretemps – par une expérience politique inédite : la troïka, une alliance contre-nature formée de deux partis laïcs et du parti islamiste Ennahdha. Durant trois années, de 2011 à 2014, la Tunisie a connu les pires gouvernements de sa longue histoire : des ministres incompétents et imprégnés d’une culture théocratique, un président de la République fantasque, champion absolu de l’incident diplomatique. Nous payons encore aujourd’hui les conséquences de cette gouvernance désastreuse qui a conduit le pays à deux doigts de la banqueroute et de la guerre civile. Les élections présidentielles et législatives de fin 2014 ont mis un terme à la « Katastroïka » et clos le chapitre de la transition politique en Tunisie sans dommages irréparables. Est-ce à dire que la Tunisie est tirée d’affaire et a pris définitivement le chemin de la stabilité et de la croissance ? Loin s’en faut : l’année 2015 aura été de bout en bout un véritable cauchemar. Des attentats d’une ampleur jusqu’ici inconnue ont vidé nos hôtels et ont fait fuir les investisseurs. La peste jihadiste a pris racine dans le pays à la faveur du laxisme de la troïka. Croissance et terrorisme n’ont jamais fait bon ménage et la Tunisie est condamnée à remporter cette guerre contre le fanatisme si elle veut retrouver la voie du progrès et du salut. Pour vaincre, la Tunisie aura besoin de la mobilisation de tous ses enfants mais également du soutien de ses nombreux amis à travers le monde : l’honorer par le Nobel de la paix est éminemment apprécié, l’épauler économiquement le serait encore plus.

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