Mecanique 2

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Presses polytechniques et universitaires romandes Editeur scientifique et technique

Les essentiels de la physique

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Sur la trace des anciens

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confusions. Les experts d’alors concentraient toute leur ´energie `a essayer de d´eterminer ce qui ´etait vraiment dit dans les textes originaux. L’Eglise d’abord consid´era avec suspicion les textes anciens ainsi red´ecouverts. Puis, grˆace en particulier ` a saint Thomas d’Aquin, la conception aristot´elicienne du monde entra dans les visions chr´etiennes instaur´ees par l’Eglise. D`es lors, toute attaque contre Aristote ´etait une attaque contre l’Eglise elle-mˆeme. A cause de ce long et tortueux processus de transmission des pens´ees et des travaux d’Aristote, Galil´ee pouvait citer Aristote sous le pire ´eclairage, lui faisant dire que le mouvement vers le bas d’une masse d’or ou de plomb, ou de n’importe quel objet pesant, est d’une rapidit´e en proportion de sa taille. La « tabula rasa » de Descartes doit aussi ˆetre envisag´ee dans ce contexte d’explosion d’un carcan vieux de 500 ans o` u toute pens´ee, toute observation et toute connaissance ´etaient confin´ees `a ce qui ´etait ´ecrit « dans Aristote ». Descartes tenta de construire une vision du monde. Il vit l’univers tout entier, sauf peut-ˆetre Dieu et l’ˆ ame humaine, comme une vaste machine. Dieu cr´ea la mati`ere et lui impartit le mouvement ; depuis, le monde ´evolue selon les lois de la m´ecanique. La science de Galil´ee

Galil´ee ´ecrivit un trait´e sur le mouvement. Il s’agit d’un dialogue entre le maˆıtre, un observateur neutre et ouvert, et un repr´esentant des vues tradition(1) nelles (fig. 3.2) .

Fig. 3.2 Gravure en en-tˆete du « dialogue » de Galil´ee. (1)

Galileo Galilei : Dialogo di Galileo Galilei. . . : dove ne i congressi di quattro giornate si discorre sopra i due massimi sistemi del mondo, Tolemaico, e Copernicano : proponendo indeterminatamente le ragioni filosofiche, e naturali tanto per l’una, quanto per l’altra parte, Florence 1632, Biblioth` eque centrale de l’EPFL, Collection des livres rares et pr´ ecieux.


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Mise en contexte historique et technique

Il d´efinit le mouvement rectiligne uniforme comme ´etant le mouvement « naturel ». Toute d´eviation de cette uniformit´e sera attribu´ee `a une force. Il d´efinit le mouvement rectiligne uniform´ement acc´el´er´e. Pour lui, cette d´efinition est utile, parce qu’elle repr´esente un mouvement qui s’observe dans la nature : la chute des corps. Et il le prouve exp´erimentalement. Deux billes sont lˆ ach´ees simultan´ement, l’une sans vitesse initiale, l’autre avec une vitesse initiale horizontale. Elles rebondissent sur le sol en mˆeme temps, produisant un seul son (fig. 3.3).

3.3

Fig. 3.3 Deux billes sont lˆ ach´ees simultan´ement, l’une sans vitesse initiale, l’autre avec une vitesse initiale horizontale. Elles rebondissent sur le sol en mˆeme temps.

Galil´ee explique le mouvement d’un projectile en consid´erant les projections du mouvement selon deux directions perpendiculaires. Quand une balle est lanc´ee horizontalement, elle ne subit aucune force horizontale, sa vitesse horizontale reste constante. En revanche, dans la verticale, elle n’a pas de vitesse initiale, elle suit un mouvement identique `a une chute libre. Galil´ee pose le probl`eme du choix du r´ef´erentiel, c’est-`a-dire du corps solide par rapport auquel le mouvement se mesure : « [. . . ] un boulet est lˆ ach´e du sommet d’un mˆat d’un navire avan¸cant par rapport ` a la cˆ ote ` a vitesse constante. Vu du navire : le boulet fait une chute verticale, le long du mˆ at. Vu de la cˆote : le boulet d´ecrit une parabole. » En faisant toutes sortes d’exp´eriences avec des pendules, Galil´ee fit la d´ecouverte qui donna lieu aux cons´equences les plus importantes. Une balle de plomb et une balle de li`ege de la mˆeme taille, pendues `a des fils de mˆeme longueur, se balan¸caient ` a la mˆeme vitesse. Cela ´etait ´etonnant, car apr`es tout, les oscillations d’un pendule sont un peu comme une chute, et les corps lourds devraient tomber plus vite que les corps l´egers. Galil´ee commen¸ca `a suspecter que ce fait « ´evident » pourrait ne pas ˆetre vrai. Ses doutes le conduisirent aux fameuses exp´eriences de la tour pench´ee, d’o` u il fit tomber des balles de toutes sortes. Elles frappaient le sol presque simultan´ement. Un caillou arrivait au mˆeme moment qu’un boulet de canon, ou presque au mˆeme moment. Galil´ee per¸cut tr`es vite la raison de cette in´egalit´e des temps de chute : la r´esistance


185

La tradition des d´ emonstrations d’auditoire

de l’air. Une fois de plus, il le prouva par l’exp´erience : il fit tomber des poids diff´erents dans l’eau. La vitesse de chute variait grandement dans ce cas, car l’eau offrait une r´esistance plus ´elev´ee que l’air. De ces exp´eriences il conclut que dans le vide, une plume tomberait aussi vite que du plomb (fig. 3.4). A son ´epoque, cette affirmation devait rester sans preuve, car il ´etait bien connu que la Nature avait horreur du vide. Il restait `a son ´el`eve Torricelli de se d´ebarrasser de ce pr´ejudice aristot´elicien.

4.3

Fig. 3.4 Une plume et une pi`ece de monnaie tombent en mˆeme temps dans un tube ´evacu´e.

3.5

La tradition des d´emonstrations d’auditoire (2)

Professeur de math´ematiques `a l’Universit´e de Padoue , Galil´ee suscitait l’envie de ses coll`egues par ses le¸cons `a l’auditorium « Maximum ». En plus du groupe de ses ´etudiants r´eguliers, il avait de jeunes nobles de toute l’Europe assis a ses pieds. De ce maˆıtre, ils apprenaient la construction des ponts, la plani` fication des ports, la fortification et la construction d’artillerie. Il con¸cut pour eux un fort futuriste dont la forme polygonale permettait de couvrir l’entier du terrain, un fort sans aucun des angles morts connus pour ˆetre dangereux. Deux g´en´erations plus tard, un Fran¸cais nomm´e Vauban connut la gloire en employant le mˆeme syst`eme. Les coll`egues de Galil´ee lui en voulaient. Ils disaient de lui qu’il se comportait comme un charlatan ou un jongleur, qu’il ne poss´edait pas la moindre trace de dignit´e acad´emique. Et en effet, ses classes ´etaient un peu comme le stand d’un magicien de foire. Il sifflait en direction d’un tube d’orgue, qui lui r´epondait avec la mˆeme note : « une r´esonance » expliquait Galil´ee. Il faisait tirer au pistolet dans la montagne, et comptait les secondes entre le flash de l’explosion et le son. Ainsi les ´etudiants apprenaient que le son se d´eplace `a des vitesses finies. Il construisit des dispositifs `a calculer qui permettaient aux ´etudiants de s’´epargner des calculs arithm´etiques. Plus tard, en tant qu’architectes ou ing´enieurs, ils ´economis`erent les mat´eriaux de construction avec des tubes creux, car Galil´ee leur avait d´emontr´e leur robustesse `a l’aide d’os de chien. Pour les ´etudiants, l’aspect le plus extraordinaire de son enseignement ´etait la possibilit´e de voir les choses de leurs propres yeux, au lieu de simplement en entendre parler, philosophant pour ou contre Aristote. Galil´ee se moquait de telles p´edanteries et de la croyance que la v´erit´e pouvait ˆetre trouv´ee en se (2)

L’Universit´ e de Rice, Texas, a pr´ epar´ e un site WEB ` a propos de Galil´ ee et son temps. Ce site m´ erite le d´ etour ! (http://es.rice.edu/ES/humsoc/Galileo/).


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Mise en contexte historique et technique

penchant sur de vieux manuscrits. Sa m´ethode ´etait de chercher la v´erit´e dans la Nature. En se confrontant ` a l’exp´erience, on est forc´e de conclure que les apparences sont trompeuses en astronomie et en physique. Les ˆetres humains ne sont pas naturellement ´equip´es pour deviner les secrets de la Nature. Cette prise de conscience op´er´ee par Galil´ee fit autant pour renforcer notre humilit´e que la r´evolution copernicienne (fig. 3.5). La vieille mani`ere de philosopher fut discr´edit´ee. L’homme occidental commen¸ca son investigation et sa conquˆete de la Nature [47].

Fig. 3.5 Galileo Galilei (1564-1642) ; photo de J.-Ph. Ansermet. « Moi, Galileo, fils de Vinzezio Galilei de Florence, a ˆg´e de 70 ans, je me tiens personnellement devant la Cour et je m’agenouille devant vous, Eminences, qui vous tenez dans toute la chr´etient´e contre la d´epravation h´er´etique. J’ai devant moi les saints ´evangiles, je les touche de ma main et je jure que j’ai toujours cru, que je crois encore et avec l’aide de Dieu, que dans le futur aussi je croirai tout ce que l’Eglise catholique et apostolique tient pour vrai, prˆeche et enseigne. » [1]

3.6

Mise en question de la loi de la gravitation

La r´evolution copernicienne marque un renouveau intellectuel important. Copernic (1474-1543) annon¸cait dans son œuvre maˆıtresse De Revolutionibus Orbium Cœlestium : « La th´eorie du mouvement de la Terre est, je l’admets,


Mise en question de la loi de la gravitation

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difficile ` a comprendre, car elle va `a l’encontre des apparences et des traditions. Mais si Dieu le veut, je vais dans ce livre la rendre plus claire que le Soleil, au moins pour les math´ematiciens. » [47] Le proc`es de Galil´ee, qui concerne aussi la question de l’orbite des plan`etes, stigmatise pour nous un d´eplacement des syst`emes de valeurs (voir par exemple [48] et [49]). Il s’av`ere que la loi de la gravitation universelle de Newton a r´esist´e `a toutes les investigations exp´erimentales cherchant `a observer une d´eviation de la loi en 1/r2 . Un article relativement r´ecent dans la revue Nature [50] fait ´etat des tentatives visant ` a trouver une d´eviation de la loi de Newton, de la forme n r −r/λ o m1 m2 rˆ F (r) = −G∞ 1 + α 1 + e λ r2 La d´eviation, si elle existe, est minime (fig. 3.6). De telles ´etudes continuent ! En 1999, un comit´e international d´ecida d’augmenter la pr´ecision officielle sur la valeur de la constante G. Cette d´ecision a motiv´e des chercheurs `a am´eliorer les m´ethodes de mesure [51]. D’autres ont essay´e de trouver des d´eviations `a tr`es courtes ´echelles, avec un pendule de torsion (fig. 3.7 ; [52]). 10-1 10-2 10-3

1981

10-4

Océan 10-5 Laboratoire Tour 10-6 1991 Terre10-7 LAGEOS 10-8 LAGEOS-Lunaire 10-9

Planétaire 10-10 10-3 10-1 101 103 105 107 109 1011 1013 1015 l (m)

Fig. 3.6 Valeurs exclues (zone hachur´ee) de la d´eviation par rapport a ` la loi de Newton de la gravitation.

Fig. 3.7 Montage propos´e r´ecemment pour explorer de possibles d´eviations de la loi de la gravitation de Newton a ` de petites ´echelles de grandeurs.


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Mise en contexte historique et technique

La relation entre pesanteur et gravitation (sect. 3.13) est empreinte d’une signification historique. Selon Mach, Newton aurait proc´ed´e, par une extension conceptuelle, du projectile sur la Terre `a la trajectoire de la Lune autour d’elle. Il ne nie pas la grandeur du travail hypoth´etico-d´eductif des Principia, mais il admire sans r´eserve son travail d’induction : « A cˆ ot´e de cette contribution d´eductive [. . . ] la science est redevable `a Newton d’un travail d’invention [. . . ] : de quelle nature est l’acc´el´eration qu’est la condition du mouvement curviligne des plan`etes autour du Soleil et des satellites autour de la Terre. Avec une grande hardiesse de pens´ee, Newton admet (et pr´ecis´ement par l’exemple de la Lune) que cette acc´el´eration n’est pas essentiellement diff´erente de cette acc´el´eration de la pesanteur qui nous est famili`ere. [. . . ] Voyant que l’attraction terrestre ne se fait pas sentir seulement `a la surface de la Terre, mais aussi sur les hautes montagnes et dans les mines profondes, le physicien habitu´e ` a la continuit´e de la pens´ee se repr´esente cette attraction comme agissant encore ` a des hauteurs et `a des profondeurs plus grandes que celles qui nous sont accessibles. Il se demande o` u est la limite de son influence, et si celle-ci ne s’´etendrait pas jusqu’`a la Lune ? Cette question provoque un puissant ´elan d’imagination et, lorsqu’elle se pose `a un g´enie intellectuel tel que Newton, elle a pour cons´equence n´ecessaire les progr`es les plus grands. » [53]. Certains aspects de la gravitation constituent des probl`emes fondamentaux de la physique moderne. Notamment, de plus en plus d’´evidences exp´erimentales indiquent que les 90 % de la mati`ere de notre univers n’est pas lumineuse, en ce sens que cette mati`ere n’´emet pas et ne r´efl´echit pas d’ondes ´electromagn´etiques. Cette forme abondante mais inconnue de mati`ere ne se r´ev`ele que par ses interactions gravitationnelles. Elle fut d´ecouverte par des astronomes qui mesuraient la vitesse de rotation d’´etoiles autour du centre de galaxies en spirales et le mouvement de clusters de galaxies. Comprendre la nature de cette mati`ere obscure est devenu un des plus grands d´efis de l’astrophysique et de la physique des particules ´el´ementaires [54]. Il faut noter aussi que la gravitation s’inscrit de nos jours dans un cadre th´eorique solide appel´e th´eorie de la relativit´e g´en´erale. Dans le courant du xxe si`ecle, toutes les autres forces de la nature ont pu ˆetre d´ecrites par des formes avanc´ees de la m´ecanique quantique. Mais il reste encore ` a joindre ces deux corps th´eoriques.

3.7

Naissance de la m´ecanique du solide

Selon Mach [55], les principes de Newton sont suffisants pour rendre compte de la m´ecanique d’un solide. Autrement dit, aucun principe suppl´ementaire ne doit ˆetre introduit, si une difficult´e survient, elle est purement de nature math´ematique et non pas de principe. L’historien Istvan Szabo [56] conteste ce point de vue bien que les physiciens aient facilement ´epous´e cette vision simplifi´ee. Szabo pr´ef`ere ` a l’analyse de Mach celle de Eugen D¨ uring [57]. Selon ce dernier, Newton lui-mˆeme ne pensait pas que ces principes pouvaient ˆetre suffisants pour traiter tout probl`eme de m´ecanique, en particulier ceux de v´eritables ob-


Naissance de la m´ ecanique du solide

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jets, c’est-` a-dire de dimensions finies, dans un mouvement quelconque. De fait, on ne connaˆıt aucune solution `a de tels probl`emes dans les ´ecrits de Newton. Le souci d’´etablir des principes g´en´eraux de la m´ecanique pour traiter la dynamique d’un syst`eme li´e ou d’un continuum est apparu tr`es vite apr`es les travaux de Galil´ee et avant ceux de Newton. Dans le cas de la m´ecanique des solides ind´eformables, le besoin d’un nouveau principe apparut pour la premi`ere fois en 1646, quand le moine Marin Mersenne (1588-1648) posa la question de savoir quelle est la position du point sur lequel on doit concentrer toute la masse d’un solide de dimensions finies, en oscillation autour d’un point fixe, pour former un pendule math´ematique ayant la mˆeme p´eriode que celle du solide. Christiaan Huygens (1629-1695) s’attacha `a clarifier cette question. Son analyse fit intervenir le moment d’inertie du solide par rapport `a l’axe de rotation (notion introduite dans ce chapitre), sans pourtant donner ce nom a cette grandeur. Jakob Bernoulli (1655-1705) publia plusieurs essais sur ce ` probl`eme. Il utilisa le principe de d’Alembert, introduit au chapitre suivant. A la demande d’Euler, Jean Bernoulli (1667-1748) lui envoie en 1739 son trait´e sur les fluides. Pour Szabo la th´eorie des tourbillons de Bernoulli a servi de ligne directrice ` a Euler pour ses travaux qui ont ´etabli la m´ecanique du corps solide et la th´eorie de l’´elasticit´e. Tout ´etudiant des sciences de l’ing´enieur de nos jours adopte d`es la premi`ere ann´ee la vision selon laquelle on peut penser ` a un syst`eme continu comme un ensemble de morceaux. Pour Szabo, cette approche est due ` a Euler. Toutefois, il faut reconnaˆıtre qu’`a pareille ´epoque, J. L. Lagrange (1736-1813) s’´etait attaqu´e de mani`ere semblable au probl`eme de la dynamique du solide ind´eformable. Truesdell cite Euler se d´eclarant incapable, malgr´e toute sa bonne volont´e, de suivre les complications n´ebuleuses des calculs de Lagrange. C’est dans le cadre de son ´elaboration d’une th´eorie du milieu continu qu’Euler ´ecrit une loi de la forme F = ma. Il publie en 1750 son trait´e D´ecouverte d’un nouveau principe de m´ecanique o` u on y trouve la fameuse formule qu’on aurait tort d’attribuer `a Newton. Huit ans plus tard, Euler fait paraˆıtre Du mouvement de rotation des corps solides autour d’un axe variable o` u les deux ´equations vectorielles r´egissant la dynamique du solide ind´eformables sont pos´ees (telles que nous les verrons ici). Euler les d´eclare clairement comme ´etant ind´ependantes, et non pas la deuxi`eme comme ´etant la cons´equence de la premi`ere. C’est 25 ans apr`es son premier trait´e de m´ecanique qu’Euler, en 1775, dans sa pi`ece maˆıtresse Nova methodus motum corporum rigidorum determinandi , pose la r`egle sur les moments de force (§ 1.17.2) et obtient l’´equivalent de ce que nous appelons ici le th´eor`eme du moment cin´etique (avec la somme des moments restreinte ` a ceux des moments des forces ext´erieures). Truesdell conclut de l’analyse des contributions des m´ecaniciens contemporains d’Euler que c’est ` a ce dernier qu’il faut attribuer les lois exprim´ees dans ce que nous appellerons ici le th´eor`eme du centre de masse et du moment cin´etique. Johann Samuel Koenig (1712-1757) est connu pour avoir ´etabli les expressions du moment cin´etique et de l’´energie cin´etique en fonction de la masse ponctuelle suppos´ee concentr´ee au centre de masse. N´e en Allemagne d’un p`ere bernois, math´ematicien et th´eologien, Koenig commence ses ´etudes d’abord `a


190

Mise en contexte historique et technique

Lausanne, puis ` a Bˆ ale, avec Jean Bernoulli. Apr`es un s´ejour `a Marburg, o` u il ´etudie la philosophie de Leibniz, Koenig s’installe `a Berne, o` u il devient avocat. Il continue sa vie scientifique, rencontre notamment Voltaire, puis R´eaumur. Celui-ci l’encourage ` a publier un travail sur les nids d’abeilles qui lui vaut son ´election ` a l’Acad´emie des sciences de Paris. Elu aussi `a l’Acad´emie des sciences de Berlin, Koenig provoque un grave diff´erend parmi les membres en promulguant une accusation contre Maupertuis, qui est vu comme l’inventeur du principe de moindre action, alors que Koenig estime que cette id´ee ´etait d´ej` a pr´esente dans la pens´ee de Leibniz. Louis Poinsot (1777-1859) apporte une vision g´eom´etrique du mouvement d’un corps solide de forme quelconque, libre de moment ext´erieur. Il consid`ere son mouvement par rapport au r´ef´erentiel centre de masse du solide. Il d´efinit l’ellipso¨ıde associ´e ` a l’´energie cin´etique de rotation, comme on le verra dans ce chapitre. L’´energie et le moment cin´etique sont deux constantes du mouvement. Le vecteur de vitesse angulaire, dont on aurait plac´e l’origine au centre de masse, a son extr´emit´e sur cet ellipso¨ıde. Poinsot nomme polhodie la trace de ce point sur l’ellipso¨ıde. Il d´emontre que l’ellipso¨ıde roule sans glisser sur un plan fixe normal au moment cin´etique. Il appelle herpolhodie le lieu g´eom´etrique des points de contact de l’ellipso¨ıde sur ce plan (fig. 3.8). L

herpolhodie

w

G polhodie

Fig. 3.8 Polhodie et herpolhodie d’un ellipso¨ıde de r´evolution.

Le mouvement de la toupie a de tout temps fascin´e les enfants. Pour Klein et Sommerfeld, c’est aussi le dispositif le mieux appropri´e pour ´eveiller le sens v´eritable de la m´ecanique [58]. Au tournant du xxe si`ecle, alors que la physique voit apparaˆıtre la relativit´e et la physique quantique, ils prennent le temps d’exploiter tous les concepts de la m´ecanique et tous les outils math´ematiques (comme la th´eorie des fonctions elliptiques [59]) pour d´ecrire les diff´erents aspects de la dynamique des toupies et des gyroscopes. Leurs d´eveloppements remplissent quatre volumes. Sous le titre « Th´eorie et R´ealit´e » (chap. VII du 3e cahier), ils traitent l’effet du frottement du point de contact de la toupie avec son support et s’´emerveillent de la trace de la pointe tra¸cante d’une toupie roulant et glissant sur du papier (fig. 3.9). Malgr´e son volume imposant, l’analyse de Klein et Sommerfeld n’a pas tari l’int´erˆet des physiciens pour le probl`eme de la toupie, probablement parce qu’il est ` a la fois bien d´efini et suffisamment complexe pour que de nouveaux outils math´ematiques permettent de mieux saisir certains aspects de sa dynamique.


Le concept de masse

191

Fig. 3.9 Trace de la pointe d’une toupie qui frotte sur la table.

H. B. G. Casimir, devenu c´el`ebre pour l’effet qui porte son nom, raconte [60] que sa th`ese, termin´ee en 1931, d´eveloppe des th´eor`emes g´en´eraux sur les groupes et leurs repr´esentations, mais que c’est son traitement de la dynamique des toupies qui avait le plus impressionn´e l’expert, Niels Bohr. En 1992, D. Lewis, T. Ratiu, J. C. Simo et J. E. Marsden montrent comment les propri´et´es topologiques des vari´et´es diff´erentielles permettent de d´ecrire efficacement certains aspects de la dynamique des toupies, en particulier, la stabilit´e d’une toupie asym´etrique en position verticale (dite « dormante »). De nos jours, la dynamique du solide ind´eformable garde toute son importance au vu notamment de ses applications ` a la robotique. Le solide ind´eformable peut aussi constituer une premi`ere approche de la mod´elisation de syst`emes d’int´erˆet nouveau, comme les grandes mol´ecules diffusant dans le gel d’une ´electrophor`ese [61].

3.8

Le concept de masse

La notion de masse apparaˆıt en deux contextes diff´erents de la m´ecanique : le coefficient dans F = ma et celui qui apparaˆıtra dans l’expression (2.50) de la force de la gravitation ou dans l’expression du poids en balistique. Une connaissance cursive de la loi de la gravitation suffit pour l’argument pr´esent´e ici. On veut montrer que les ´evidences de la pratique devenue courante de nos jours, ` a demander de gros efforts, parfois pendant des si`ecles. Notamment, sans aucune mise en garde, on consid`ere comme ´evident que la masse qui intervient dans la deuxi`eme loi de Newton et la masse qui d´efinit le poids utilis´e en balistique ou en gravitation, sont une et mˆeme chose. On examine maintenant cette question en d´etail. On peut penser `a deux mani`eres de comparer une masse `a un ´etalon. En se r´ef´erant `a la deuxi`eme loi de Newton, nous pourrions comparer deux corps (1) et (2) soumis `a la mˆeme force Mi (1) a(1) = F = Mi (2) a(2)


192

Mise en contexte historique et technique

Si Mi (1) est notre ´etalon, Mi (2) est d´etermin´e comme ´etant la masse telle que Mi (2) = Mi (1)

a(1) a(2)

Mi est appel´e masse d’inertie. Nous pouvons aussi d´efinir la masse `a partir de la loi de la gravitation. Prenons la Terre comme ´etalon de masse MT , mesurons la force exerc´ee par la Terre sur l’objet : 2 GMg MT F RE = F =⇒ M = g 2 RE GMT

Mg est appel´e la masse gravitationnelle. Principe d’´equivalence de Newton Toutes les exp´eriences montrent que la masse gravitationnelle et la masse d’inertie sont proportionnelles. Il est donc possible, par convention, de les prendre ´egales. Quelques exp´eriences de m´ecanique permettent d’expliciter le principe. On consid`ere par exemple la chute libre de deux corps pr`es de la Terre. 0n a  GME Mg (1)   Mi (1) a(1) =  2 RE Mi (1) a(1) Mg (1) −→ = M (2) a(2) Mg (2) GME Mg (2)  i   Mi (2) a(2) = 2 RE donc

Mi (1) Mi (2) a(2) = · Mg (1) Mg (2) a(1)

Les mesures les plus pr´ecises fournissent toujours a(2) = a(1). Par cons´equent, il est possible de faire le choix Mi /Mg = 1. Pour le pendule math´ematique, en d´erivant les ´equations du mouvement avec Mi pour le coefficient de l’acc´el´eration distinct de Mg pour la force de la pesanteur, la fr´equence des petites oscillations est donn´ee par r 1 g Mg ν= · 2π ` Mi Les mesures fournissent Mi /Mg = 1 ± ε. Par exemple, Bessel avait obtenu ε < 10−4 . E¨ otv¨ os d´eveloppa des mesures extrˆemement pr´ecises entre 1890 et 1915 `a l’aide de pendules de torsion (fig. 3.10). Deux boules de substances distinctes mais ´egales en masse au sens Mg (1) = Mg (2) sont accroch´ees aux extr´emit´es du pendule. Toute d´eviation du pendule est d´etect´ee par la d´eviation d’un faisceau lumineux r´efl´echi. Si Mi (1) 6= Mi (2) alors le faisceau lumineux est d´evi´e. Les mesures d’E¨ otv¨ os permettent de conclure : Mg =1±ε Mi

avec ε <

1 3 × 1010


R´ evolution conceptuelle : le chaos

193

lumière miroir

substance 1

substance 2

Fig. 3.10 Principe de l’exp´erience d’E¨ otv¨ os.

Principe d’´equivalence d’Einstein Einstein (1911) est amen´e `a ´enoncer le principe d’´equivalence, qui est `a la base de la th´eorie de la relativit´e g´en´erale. Il remarque qu’un observateur dans un ascenseur en chute libre observe les mˆemes lois physiques que s’il ´etait dans un r´ef´erentiel d’inertie. Les effets de l’acc´el´eration et des forces de gravitation s’annulent les uns avec les autres. Il conclut de ce genre de consid´erations qu’il faut admettre le principe d’´ equivalence qui impose l’´egalit´e des deux notions de masse : Mi = Mg De nombreuses v´erifications exp´erimentales du principe d’´equivalence furent entreprises au xxe si`ecle [62].

3.9

R´evolution conceptuelle : le chaos

Les exercices ´el´ementaires de la balistique ou ceux concernant l’oscillateur harmonique donnent ` a penser que pour une loi de force bien d´etermin´ee, si on connaˆıt les conditions initiales, on peut pr´edire exactement, en principe, l’´evolution du syst`eme en tout temps. Or, ce n’est pas le cas. Cette probl´ematique est connue comme sous le nom de th´eorie du chaos. On en donne ici une introduction qui a pour but d’´eveiller une certaine m´efiance quant `a une interpr´etation trop d´eterministe de la m´ecanique.

3.9.1

Evolution d’une population animale

Suivant un exemple d’importance historique dans le d´eveloppement de la notion de chaos, on va examiner la question de l’´evolution d’une population animale. Un livre de biologie r´ecent [63] fait ´etat de trois comportements (toutes conditions restant constantes). Certaines esp`eces ´evoluent vers une population stable. Il peut y avoir une approche monotone de la population d’´equilibre, ou quelques oscillations. Dans d’autres cas, la population n’a de cesse de fluctuer et il n’est pas possible de trouver un motif r´ep´etitif dans cette ´evolution (fig. 3.11).


194

Mise en contexte historique et technique

5

10 jours

15

180 150 120 90 60 30 0 0

80 moineaux

daphnies

paramécies

1000 800 600 400 200 0 0

40

80 120 jours

160

60 40 20 0 1975

1985 1995 années

Fig. 3.11 Evolution de populations de param´ecies, de puces d’eau (daphnies) et de moineaux. Les lignes bleues sont des pr´edictions du mod`ele proie-pr´edateur en r´egime non chaotique.

On commence la mod´elisation en examinant une loi d’´evolution des populations de la forme dN = rN (3.1) dt En discr´etisant le temps en intervalles de longueur dt, on a entre deux temps ti et ti+1 les populations Ni et Ni+1 donn´ees par Ni+1 − Ni = r dtNi On ´ecrira dans ce qui suit : Ni+1 = 4λNi en posant 4λ = 1 + r dt. Il est possible d’´evaluer la pr´ediction de ce mod`ele avec un tableur. On trouvera bien vite un comportement exponentiel comme il se doit, puisque l’´equation diff´erentielle (3.1) a pour solution une fonction exponentielle. Dans le cadre d’une mod´elisation des populations, il faut bien admettre que le mod`ele ne rend pas compte du tout des observations. On doit donc l’affiner. On exprime la notion selon laquelle la population ne croˆıt plus aussi bien quand elle atteint une certaine taille K. Ainsi, on r´eduit le taux de croissance en multipliant le coefficient de croissance r par le rapport (K − N )/K. L’´equation diff´erentielle devient (K − N ) dN = rN dt K

(3.2)

La discr´etisation en intervalles de temps dt fournit, apr`es un peu d’alg`ebre : Ni+1 Ni r dtNi = (1 + r dt) 1 − K K (1 + r dt)K Pour simplifier les ´ecritures, on passe `a une variable ni = Ni /K, qui repr´esente la population normalis´ee ` a la population critique K : 4λ − 1 ni+1 = 4λni 1 − ni (3.3) 4λ On peut consid´erer que le coefficient λ repr´esente un taux de succ`es de la reproduction.


195

R´ evolution conceptuelle : le chaos

3.9.2

L’´emergence du chaos

Le terrain est prˆet pour s’engager dans une petite exp´erience math´ematique qui permet de d´ecouvrir comment un syst`eme peut devenir chaotique dans son ´evolution. Il s’agit d’un « jeu » math´ematique invent´e par un biologiste Robert May pour mod´eliser un syst`eme de proie et de pr´edateur. On d´ecide de calculer le nombre d’individus qui survivent d’une ann´ee n `a une ann´ee n + 1 `a l’aide de la r`egle suivante : xn+1 = 4λxn (1 − xn ) (3.4) On a donc simplifi´e la loi d’´evolution par rapport au mod`ele (3.3). Notre but est de montrer la complexit´e des comportements des solutions et il se trouve que ce mod`ele-ci suffit.

population

Il est possible d’explorer le comportement de ce syst`eme dynamique simplement avec une machine ` a calculer ou un tableur. Ci-dessous, quelques exemples de calculs sont donn´es. Quand λ est petit, on arrive `a une valeur asymptotique de la population (fig. 3.12). On observe que cette valeur d´epend de fa¸con monotone de la valeur du coefficient λ. 0.5 0.40 0.4 0.35 0.3 0.25 0.2 0.15 0.1 0.05 0

l = 0.4 0

2

4

6

8 10 12 14 nombre d’étapes

16

18

20

Fig. 3.12 Mod`ele proie-pr´edateur en r´egime exponentiel.

Quand λ est un peu plus grand, l’asymptote est atteinte apr`es quelques oscillations (fig. 3.13). 0.5

population

0.7 0.65 0.6 0.55 0.5 l = 0.7

0.45 0.4

0

2

4

6

8 10 12 14 nombre d’étapes

16

18

20

Fig. 3.13 Mod`ele proie-pr´edateur en r´egime oscillant vers une valeur limite stable.


196

Mise en contexte historique et technique

population

Quand λ est encore un peu plus grand, on observe des cycles limites avec des p´eriodes de deux, quatre ou huit ans (fig. 3.14). 0.85 0.8 0.75 0.7 0.65 0.6 0.55 0.5 0.45 0

l = 0.8 0

2

4

6

8 10 12 nombre d’étapes

14

16

18

Fig. 3.14 Mod`ele proie-pr´edateur en r´egime limite cyclique.

population

Au-del` a d’un certain seuil de la valeur de λ, toutes sortes de valeurs apparaissent. C’est l’´emergence du chaos (fig. 3.15) ! Dans ce r´egime, le moindre changement des conditions initiales donne lieu `a des s´eries compl`etement diff´erentes (fig. 3.16). 1 0.9 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 0.3 0

l = 0.92 0

2

4

6

8 10 12 14 nombre d’étapes

16

18

20

population

Fig. 3.15 Mod`ele proie-pr´edateur en r´egime chaotique. 1 0.9 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 0.3 0.2 0.1 0

l = 0.92 p(0) = 0.50 p(0) = 0.51 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 nombre d’étapes

Fig. 3.16 Mod`ele proie-pr´edateur en r´egime chaotique, deux conditions initiales presque identiques donnent des r´esultats tout a ` fait distincts apr`es quelques cycles.


197

R´ evolution conceptuelle : le chaos

On doit ainsi s’interroger quant `a la validit´e de toute pr´ediction sur l’avenir d’un syst`eme qu’on aimerait ´etudier de fa¸con m´ecaniste, telle la psychologie d’un enfant, quand des syst`emes d´eterministes aussi purs et bien d´efinis que celui-ci donne d´ej` a lieu ` a des comportements impr´edictibles ! L’´evolution sur des temps tr`es longs peut ˆetre calcul´ee avec un tableur pour une valeur de d´epart de 0,5 par exemple, avec toute une s´erie de valeurs de λ. Les valeurs ` a long terme sont pr´esent´ees (fig. 3.17) sur un graphique de xn pour quelques valeurs de n apr`es un grand nombre d’it´erations, en fonction de λ. Il y a une ´evolution asymptotique simple pour un λ petit. Au-del`a d’un seuil, il y a bifurcation sur toutes sortes de valeurs possibles. Comme dans le cas de la sensibilit´e aux conditions initiales, ce r´esultat aussi appelle `a la modestie dans l’usage de mod`eles m´ecanistes : un syst`eme dont un param`etre est chang´e progressivement peut ´evoluer r´eguli`erement sous l’effet de ce changement, jusqu’` a un certain seuil, et au-del`a prendre de nouvelles valeurs asymptotiques tr`es diff´erentes ! C’est un grand probl`eme avec toute pr´ediction d’´evolution d’un syst`eme complexe. Par exemple, si le taux de gaz carbonique dans l’atmosph`ere augmente un peu plus, la temp´erature va-t-elle changer radicalement si on d´epasse un certain seuil, et o` u se situe ce seuil ? Par ailleurs, l’augmentation de la temp´erature que nous observons est-elle simplement une fraction d’une ´evolution chaotique ? Le graphique (fig. 3.17) pr´esente des trous. Quand ce graphique est calcul´e de fa¸con plus fine, une structure dite « fractale » est obtenue. Il y a ainsi des r´egularit´es dans le chaos. 1

population

0.8 0.6 0.4 0.2 0 0.6

0.7

0.8 l

0.9

1

Fig. 3.17 Mod`ele proie-pr´edateur, populations a ` des temps tr`es long en fonction du param`etre de taux de reproduction. On notera la pr´esence de bifurcations et de trous.

3.9.3

Illustrations exp´erimentales

Il est possible de constituer des montages m´ecaniques simples qui sugg`erent de quoi peut avoir l’air pratiquement un comportement chaotique. Par exemple, quand une balle de ping-pong rebondit sur un piston oscillant (fig. 3.18), le son ´emis permet d’appr´ecier le mouvement de la balle. Il n’y a rien de r´egulier dans ce mouvement, en g´en´eral. Toutefois, il existe des fr´equences


198

Mise en contexte historique et technique

1.3

Fig. 3.18 Une boule de ping-pong rebondit sur une plate-forme ` a laquelle on impose un mouvement de va-et-vient r´egulier.

d’oscillations du piston qui donnent lieu `a un mouvement p´eriodique. Ce mouvement peut ˆetre mod´elis´e assez facilement. Une simulation num´erique peut fournir la trajectoire et permettre de constater une tr`es grande sensibilit´e aux conditions initiales. La sensibilit´e aux conditions initiales peut ˆetre visualis´ee `a l’aide d’un pendule form´e de deux fl´eaux (fig. 3.19).

1.3

Fig. 3.19 Deux pendules doubles sont mont´es sur une potence. Chaque pendule est compos´e de deux barres ´egales, la partie inf´erieure est form´ee d’une barre articul´ee aux deux autres par un roulement a ` bille.

Quand les pendules sont lanc´es avec de petites amplitudes, les oscillations sont r´eguli`eres et les deux pendules se suivent. En revanche, si les pendules sont lˆ ach´es avec une grande amplitude, ils ne font qu’un ou deux balancements ensemble avant de pr´esenter des motifs compl`etement diff´erents. On observe des comportements complexes similaires avec des dispositifs tels que le pendule de la figure 3.20.


R´ evolution conceptuelle : le chaos

199

Fig. 3.20 Un pendule est mont´e de mani`ere excentrique sur une plaque tournante dans un plan vertical. Le mouvement chaotique est appr´eci´e grˆ ace ` a un ´eclairage stroboscopique.

Avec un peu d’´electronique, il est possible de suivre la position d’un barreau magn´etique et le couple de force exerc´e par un champ appliqu´e (fig. 3.21). Sur un ´ecran d’oscilloscope, on rapporte en abscisse le courant produisant le champ magn´etique, en ordonn´ee la position de l’aimant permanent (d´etect´ee par un gauss-m`etre). On observe qu’il existe des domaines de fr´equence et d’amplitude du courant, pour lesquels le syst`eme est chaotique : toutes sortes de combinaisons (courant, position) sont possibles, et ainsi l’´ecran se couvre de points. Avec d’autres valeurs de courant et de fr´equence, le syst`eme suit une orbite cyclique caract´eris´ee par une ligne, quand bien mˆeme de forme complexe, dans le plan des valeurs (courant, position).

y capteur Hall

x générateur

oscilloscope

Fig. 3.21 Un aimant est libre de tourner autour d’un axe vertical et un ´electroaimant produit un champ magn´etique horizontal. Sur l’´ecran de l’oscilloscope, on rapporte l’orientation de l’aimant en fonction du courant. Trois exemples de trac´es sont montr´es qui ont ´et´e obtenus pour trois choix de fr´equence et d’amplitude du courant.


200

Mise en contexte historique et technique

3.10

Quand les ´equations du mouvement se compliquent : la corde vibrante

L’essentiel de cet ouvrage est consacr´e `a la m´ecanique soit du point mat´eriel, soit du solide ind´eformable. Ici, on montre que si on cherche `a aller plus loin et traiter la dynamique d’un solide d´eformable, alors l’´equation du mouvement devient bien plus complexe, car elle fait intervenir des d´eriv´ees partielles, comme on va le voir. On pose un syst`eme de coordonn´ees cart´esiennes Oxy li´e aux points de fixation de la corde (fig. 3.22). A tout point de la corde, de position (x, 0) de la corde au repos, la vibration de la corde produit une d´eformation. On suppose que cette d´eformation est petite. Elle est alors, au premier ordre d’approximation, dans la direction Oy (fig. 3.23). On la note U (x, t). y x

0

Fig. 3.22 Une corde a ` piano est excit´ee par un vibrateur accroch´e pr`es d’une extr´emit´e de la corde. négligé

dx

U (x + dx, t) – U (x, t)

q dx

Fig. 3.23 D´eformation sur un ´el´ement de longueur dx, la position de la corde en x est donn´ee par U (x, t), l’angle de d´eformation a ` la limite des petits angles vaut (U (x + dx, t) − U (x, t))/dx = ∂U/∂x, la partie n´eglig´ee est de l’ordre de dx(1 − cos θ) ≈ dx(θ2 /2), donc d’un ordre sup´erieur.

On cherche ` a ´etablir l’´equation du mouvement pour un ´el´ement infinit´esimal de la corde, de densit´e lin´eique de masse ρ. Par l’approximation des petites amplitudes, on peut prendre x comme coordonn´ee pour d´efinir cet ´el´ement de corde. La force de tension de la corde sera d´esign´ee par T (x). C’est la force exerc´ee par la partie de la corde `a droite de x sur la partie `a gauche de x. Ainsi, l’´el´ement de corde entre x et x + dx subit deux forces (fig. 3.24). L’´equation du mouvement pour cet ´el´ement de corde est T (x + dx) − T (x) = ρ dx

∂2U y ˆ ∂t2


201

Technique : l’´ energie cin´ etique de rotation

soit

∂2U ∂T =ρ 2 y ˆ (3.5) ∂x ∂t On projette cette ´equation du mouvement sur les directions x et y. Dans la ∂ direction x, il vient : ∂x (T cos θ) = 0. T est donc ind´ependant de x car cos θ ' 1 dans l’approximation au premier ordre en θ. Dans la direction y, on a : ∂Ty ∂2U =ρ 2 ∂x ∂t ∂U Or Ty = T sin θ = T ∂U equation du ∂x car sin θ ' θ ' tg θ = ∂x . Ainsi on a l’´ mouvement : ∂2U ρ ∂2U = (3.6) ∂x2 T ∂t2 On obtient ainsi une ´equation diff´erentielle aux d´eriv´ees partielles pour la fonction ` a deux variables U (x, t). Les ´equations diff´erentielles de cette forme d´ecrivent les ondes, un vaste sujet en physique.

T (x + dx)

q

–T(x) dx

x

Fig. 3.24 Corde vibrante : bilan des forces pour un ´el´ement de longueur dx.

3.11

Technique : l’´energie cin´etique de rotation

Relanceur du CRPP

Une ´energie consid´erable peut ˆetre emmagasin´ee dans un corps solide en rotation. On en prend pour exemple le « relanceur » du Centre de recherche en physique des plasmas (CRPP) `a Lausanne, qui accumule de l’´energie cin´etique de rotation pour la restituer `a tr`es grande puissance pendant une exp´erience. Cette exp´erience est r´eput´ee consommer en 1 seconde approximativement autant d’´energie ´electrique que toute la ville (env. 100 000 habitants). On sait que le rotor du relanceur a sa vitesse de rotation qui diminue de 5 000 t/min `a 3000 t/min quand le CRPP g´en`ere de l’´electricit´e en tirant son ´energie du relanceur. On ne s’int´eresse ici qu’aux ordres de grandeur. Ainsi, on dira que l’habitant moyen consomme 1 kW en continu. L’exp´erience dissipe donc : 100 000 × 1 kW = 100 MW. La puissance dissip´ee dans le ralentissement du rotor est approximativement le changement d’´energie cin´etique divis´e par le


202

Mise en contexte historique et technique

temps qu’a dur´e l’exp´erience. Dans la mesure o` u il ne s’agit ici que d’une estimation d’un ordre de grandeur, on peut ne pas utiliser les outils de la m´ecanique du solide ind´eformable qui seront donn´es ult´erieurement. On peut supposer que tout se passe comme si la masse M du rotor tournait `a une distance R de l’axe et on note I = M R2 , si bien que l’´energie cin´etique vaut 12 Iω 2 quand le solide tourne ` a la vitesse angulaire ω. On a alors pour notre estimation de la puissance : 1 2 2 2 I ω1 − ω2 P = (1 sec) Avec les donn´ees num´eriques ci-dessus on tire I = 1000 kg m2 . Pour se faire une id´ee de la dimension du volant, on admettra que le rotor est un cylindre de rayon R, de longueur L valant 2 m`etres, de densit´e ρ de 104 kg/m3 , I = 12 (ρπR2 L)R2 . La raison du facteur 1/2 vient du fait que le cylindre de rayon R est plein , donc toute la masse n’est pas ` a la distance R. On apprendra plus tard `a faire le calcul exact (§ 2.94). On en tire un diam`etre de 0,85 m`etre. Ce sont effectivement `a peu pr`es les dimensions du relanceur. Volant comme source de puissance ´electrique (3)

Puissance (kW)

Une entreprise commercialise des volants pour stocker de l’´energie et la restituer sous forme ´electrique. Une puissance jusqu’`a 400 kW est ainsi disponible pendant un certain laps de temps (fig. 3.25). 300 250 200 150 100 50 0 10

20

30

40 50 60 Temps (secondes)

70

90

100

Fig. 3.25 Puissance dispens´ee par un volant ´electrom´ecanique. Bus ´electro-m´ecanique

On peut imaginer un dispositif ´electrique lan¸cant un volant `a chaque station d’un bus. L’id´ee fut exploit´ee dans les ann´ees 1950 `a Yverdon (fig. 3.26). Le volant faisait 1,6 m de diam`etre et pesait 1 600 kg. Il fallait attendre 4 minutes pour relancer le volant ` a chaque station. L’id´ee a ´et´e reprise dans les ann´ees 1990 par une compagnie britannique pour un trajet de 3 `a 4 km avec un temps de recharge de 1 minute et demie. Plus r´ecemment encore, une exploitation similaire de l’´energie cin´etique de rotation d’un volant a vu le jour aux USA. Pour ´eviter la pollution des moteurs de bus qui ne tournent pas ` a leur r´egime id´eal `a basse vitesse, il a ´et´e propos´e d’utiliser un volant lanc´e par le moteur qui tourne `a r´egime id´eal constant, alors (3)

Flywheel generators, de PowerPulse.


Les lois de Kepler

203

qu’un m´ecanisme ad hoc prend l’´energie du volant pour les d´emarrages [64]. Les tests indiquent une ´economie de 30 % de carburant sur un parcours typique de bus en ville.

Fig. 3.26 Le gyrobus d’Yverdon en Suisse (tir´e de http://www.travys.ch/Gyro bus.htm).

3.12

Les lois de Kepler

Tycho Brah´e (1546-1601) mesure tr`es pr´ecis´ement les orbites de quelques plan`etes. Le roi du Danemark lui donne une ˆıle et un financement g´en´ereux. Il obtient dans l’observatoire qu’il construira sur cette ˆıle des mesures extraordinaires de pr´ecision, compte tenu du fait qu’il n’avait pas de t´el´escope ! Kepler (1571-1630) fit confiance ` a l’exactitude des mesures de son maˆıtre Tycho Brah´e. En 1609, l’analyse d´etaill´ee de ces mesures fournit `a Kepler deux lois : 1) Les trajectoires des plan`etes sont des ellipses, dont le Soleil est un des foyers. 2) Le rayon-vecteur du Soleil `a la plan`ete balaie des aires ´egales pendant des intervalles de temps ´egaux. La pr´ecision des observations n´ecessaires pour arriver `a de telles conclusions est remarquable. En effet, l’orbite de Mars est une ellipse dont le grand axe et le petit axe ne diff`erent que de 0,4 %. La pr´ecision des mesures de Tycho Brah´e est admirable ! Dix ans plus tard, Kepler obtient la troisi`eme loi qui lie la p´eriode de l’orbite de plusieurs plan`etes et leurs grands axes : 3) (p´eriode)2 /(grand axe)3 est une constante, la mˆeme pour toutes les plan`etes.


204

Mise en contexte historique et technique

Remarque. De nos jours, il est possible d’observer avec des t´elescopes ultrasophistiqu´es l’orbite d’´etoiles au centre de notre galaxie gravitant autour d’un trou noir [65] ! Signification et cons´equence de la loi des aires La vitesse ar´eolaire est l’aire balay´ee par unit´e de temps par le rayon vecteur du foyer O au point P de la trajectoire (fig. 3.27). On peut exprimer cette aire sous la forme : 1 dA = aire OP P 0 = rv dt sin(r, v) 2

P'

v dt r

0 foyer

P

trajectoire

Fig. 3.27 Interpr´etation de la loi des aires en termes de moment cin´etique.

Il est possible de donner une forme vectorielle `a cette d´efinition, en posant : dA 1 1 = r∧v = LO dt 2 2m LO est le moment cin´etique par rapport au foyer O de la plan`ete de vitesse v et de masse m. Ainsi la loi des aires et la plan´eit´e des orbites (implicite dans la premi`ere loi) permet de dire que LO est constant. Le passage `a la d´efinition vectorielle de la vitesse ar´eolaire inclut le fait que le mouvement est plan. En effet pour deux positions num´erot´ees 1 et 2, on a 0 = x1 · (x1 ∧ v 1 ) = x1 · (x2 ∧ v 2 ) La premi`ere ´egalit´e est vraie pour tout vecteur. La deuxi`eme applique la loi des aires. Comme x1 et x2 sont deux positions quelconques, on doit avoir pour tout x1 que x1 est dans le plan normal `a LO . La conservation du moment cin´etique implique d dv (r ∧ v) = 0 = v ∧ v + r ∧ =r∧a dt dt On voit ainsi que a et r sont parall`eles. La force est donc parall`ele au rayon vecteur. Une force qui pointe toujours vers un mˆeme point du r´ef´erentiel est appel´ee force centrale.


La notion de champ en physique : gravitation

Remarque.

205

Le moment cin´etique et la formation du syst`eme solaire [66].

98 % du moment cin´etique du syst`eme solaire provient du mouvement orbital des plan`etes. La rotation propre des plan`etes est n´egligeable. La rotation propre du Soleil ne constitue que 2 %. Or le Soleil comprend la plus grande partie de la masse du syst`eme solaire. Il est difficile de comprendre comment le syst`eme solaire s’est constitu´e de mani`ere telle que le Soleil tourne si lentement. Il est ´egalement difficile de rendre compte, par un mod`ele de formation du syst`eme solaire, de la rotation de V´enus, oppos´ee `a la rotation de toutes les autres plan`etes, et de l’axe de rotation d’Uranus, qui se trouve dans le plan des orbites des plan`etes !

3.13

La notion de champ en physique : gravitation

Il est possible de manipuler l’expression math´ematique de la loi de la gravitation de mani`ere ` a cr´eer une analogie avec l’effet de la pesanteur. En effet, la loi de la gravitation entre deux corps peut ˆetre exprim´ee en termes du champ gravitationnel ` a la position r produit par une masse M `a l’origine : g(r) = −(GM /r2 )er La force subie par une masse test m dans ce champ est alors donn´ee par F = mg A la surface de la Terre, une masse test m subit l’effet superpos´e de tous les points de la Terre. Pour calculer la r´esultante, on d´ecoupe la Terre en masses infinit´esimales (fig. 3.28). m

g1 M1

r1

R g2

M2

gi

r2

référentiel ri

0

Mi

Fig. 3.28 « Pesanteur » g α exerc´ee par les masses Mα sur la masse « test » m.

A la position de la masse test m, on sent le champ g α produit par chaque masse Mα . La somme sur toutes les masses infinit´esimales devient, par un passage ` a la limite, une int´egrale de volume. Ainsi : ZZZ −G(R − r) g(R) = dx dy dzρ(r) (3.7) |R − r|3 volume


206

Mise en contexte historique et technique

et la somme des forces d’interaction gravitationnelle de cette masse m avec toutes les autres vaut F = mg(R) (3.8) Il est possible d’effectuer cette int´egrale triple sans trop de complications pour une distribution sph´erique de masse, de densit´e ρ(r) uniforme, de masse totale M . Il vient GM g(R) = − 2 er (3.9) R comme si la Terre ´etait une masse ponctuelle. La d´eviation de la Terre par rapport ` a une sph`ere, la pr´esence de cavit´es souterraines ou de montagnes modifient la valeur de g (fig. 3.29).

Fig. 3.29 D´eviation de g mesur´ee sur toute la Terre, d´etermin´ee par 2 satellites dont la s´eparation est contrˆ ol´ee par un faisceau micro-ondes, et dont la position est d´etermin´ee par GPS (tir´e de New Scientist, 21.8.03, p. 17).

Le r´esultat (3.9) r´esulte de l’hypoth`ese de sph´ericit´e et d’homog´en´eit´e de la Terre. L’int´egrale (3.7) peut ˆetre appr´ehend´ee en faisant usage d’un th´eor`eme dit « de Gauss », introduit ici de fa¸con intuitive pour le cas particulier du champ gravitationnel. On d´efinit le flux de g `a travers une surface (fig. 3.30).

aire A

q g

g^

g||

Fig. 3.30 El´ement d’aire A, champ gravitationnel g et composante normale a ` l’´el´ement de surface.


La notion de champ en physique : gravitation

207

Le vecteur g est d´ecompos´e en ses composantes normale et tangentielle `a la surface : g = g ⊥ + g k . Le flux φ de g `a travers A est d´efini par φ = A|g ⊥ | = A|g| cos θ. Consid´erons alors le flux au travers d’une surface ferm´ee entourant une masse ponctuelle M (fig. 3.31). dA θ g dA cos θ

vue de profil de l’élément dA

r

M

Fig. 3.31 Profil d’une surface englobant la distribution de masse pour laquelle on cherche le champ gravitationnel. g est la contribution de M a ` ce champ a ` l’endroit de l’´el´ement de surface.

On a, pour dφ, le flux de g `a travers dA : dφ = dA|g| cos θ = |g| dA cos θ = GM

dA cos θ r2

(3.10)

Or dA cos θ est l’´el´ement de surface sur la sph`ere centr´ee en M , de rayon r. Appelons cet ´el´ement de sph`ere dS. dS est proportionnel `a r2 . Rep´erons la position de dA sur la surface par des angles ϕ et α. Il vient (fig. 3.32) : dA cos θ = dS = r2 dϕ cos α dα Par cons´equent, l’´el´ement de flux dφ du flux de g `a travers dA vaut dφ = |g| dA cos θ = |g| dS =

GM dA cos θ = GM dϕ cos α dα r2

dA cos q = (r d a) (r cos a dj) rda

r cos a dj

a

M j

Fig. 3.32 Coordonn´ees sph´eriques rep´erant l’´el´ement de surface normal a ` g dans la figure pr´ec´edente.


208

Mise en contexte historique et technique

Le flux total ` a travers la surface quelconque est simplement Zπ/2 φ = GM

Z2π dα cos α

dϕ = 4πGM 0

−π/2

S’il y a plusieurs masses ponctuelles mα dans la surface, chaque masse contribue un champ g α . Si les masses sont `a l’int´erieur de la surface, alors il faut sommer les contributions de chaque masse au champ gravitationnel et le flux total vaut φ = φ1 + φ2 + φ3 = 4πG(m1 + m2 + m3 + · · · ) Pour calculer g ` a la surface de la Terre, suppos´ee parfaitement sph´erique et homog`ene, consid´erons une surface sph´erique qui englobe la Terre, concentrique a la Terre (fig. 3.33). Vu la sym´etrie de la Terre, on pose que g est radial, d’´egal ` module partout ` a la surface de la Terre. Dans ce cas simple, le flux est calcul´e imm´ediatement. D’une part, les consid´erations ci-dessus ont donn´e φ = 4π GM o` u M est la masse de la Terre. D’autre part, la sym´etrie du mod`ele permet de 2 calculer le flux de g imm´ediatement : φ = g4πRE , o` u RE est le rayon de la Terre. On retrouve bien le r´esultat (3.9). g

g

Terre

g

g

Fig. 3.33 Flux de g a ` travers une sph`ere concentrique a ` la Terre.

Pour calculer le champ de la gravitation `a l’int´erieur de la Terre, on traite celle-ci comme un ensemble compact de sph`eres concentriques. Utilisons un argument g´eom´etrique pour montrer que le champ `a l’int´erieur d’une coquille sph´erique est nul. Il reste alors que seules les coquilles sph´eriques pour lesquelles le point consid´er´e est ext´erieur contribuent au champ en ce point. On calcule alors le champ dans la Terre en fonction de la distance au centre. Soit un ´el´ement de volume d’une sph`ere, exprim´e en coordonn´ees sph´eriques : dV = r2 dr sin θ dθ dϕ Cet ´el´ement de volume, de masse volumique ρ, cr´ee au point O le vecteur gravitation : ρ dV ρr2 dr sin θ dθ dϕ =G = Gρ sin θ dr dθ dϕ 2 r r2 On constate que dg est ind´ependant de la distance au point O (fig. 3.34). dg = G


La notion de champ en physique : gravitation

209

z dr r dθ r

θ

dθ 0

y dϕ

x d sin θ dϕ

Fig. 3.34 Champ de gravitation dans la Terre, ´el´ement de volume d´efini en coordonn´ees sph´eriques.

Tout ´el´ement de volume dV exerce donc en O une gravitation exactement compens´ee par l’´el´ement de volume diam´etralement oppos´e, et ce quel que soit la position du point O dans la sph`ere. L’argument g´eom´etrique est montr´e sur la figure 3.35 : le champ de gravitation dg exerc´e par dV , petit volume proche de O, est annul´e par le champ de gravitation dg 0 de dV 0 , plus ´eloign´e mais plus grand.

dV dg 0

g' + g = 0 dg' dV'

Fig. 3.35 Champ de gravitation dans la Terre, contribution d’´el´ements oppos´es.

Soit R le rayon de la Terre. Pour r < R, on d´eduit du raisonnement cidessus que seule la sph`ere de rayon r induit un champ de gravitation, d’o` u g=G

msph`ere ρ(4/3)πr3 4π =G = ρGr 2 r r2 3


210

Mise en contexte historique et technique

Ainsi g est lin´eaire en r. Pour r > R, la Terre est assimilable `a un point mat´eriel, comme on l’a vu, ce qui donne l’expression du champ de gravitation (fig. 3.36) : msph`ere ρ(4/3)πR3 =G g=G 2 r r2 g(r)

0

R

r

Fig. 3.36 Champ de gravitation dans et hors de la Terre.

3.14 3.14.1

Cyclotrons et science du frottement

Les premiers acc´el´erateurs de particules

On peut observer la trajectoire circulaire d’´electrons ´emis d’une cathode avec une vitesse donn´ee, dans un dispositif sous champ d’induction B uniforme (fig. 2.36). Des trajectoires du mˆeme type ´etaient aussi observ´ees dans les chambres ` a bulles qui ´etaient utilis´ees dans les exp´eriences de physique des particules ´el´ementaires (fig. 3.37).

Fig. 3.37 Trace de particules ´el´ementaires. Le champ est normal a ` l’image.

Le comportement des charges sous champ d’induction uniforme peut avoir son importance pratique quand on consid`ere des exp´eriences de physique du solide dans des mat´eriaux tr`es purs `a basses temp´eratures, ou dans des ´echantillons dont au moins une dimension est de l’ordre du nanom`etre, appel´es nanostructures. Pour avoir un ordre de grandeur du rayon r, on prendra des


Cyclotrons et science du frottement

211

´electrons avec v1 = 106 m/s, B = 1 Tesla. Alors r = 5,6 × 10−6 m. Comme les protons ont une masse environ mille fois plus grande, le rayon pour des protons de la mˆeme vitesse dans le mˆeme champ serait mille fois plus grand. Enfin, on note que le temps pour parcourir un demi-cercle vaut πr πm = v1 qB Il est ind´ependant de v1 . Cette propri´et´e est `a la base du principe de fonctionnement des acc´el´erateurs d’ions ou de particules appel´es cyclotrons. Deux cavit´es sont polaris´ees ´electriquement pour acc´el´erer les particules `a chaque demi-tour (fig. 3.38). Malgr´e le changement de vitesse, l’intervalle de temps entre deux passages entre les deux cavit´es est constant. Il est donc possible d’acc´el´erer les particules avec une source `a fr´equence constante. Il est possible d’atteindre des ´energies cin´etiques de l’ordre de 106 eV, et cela, sans appliquer 106 volts !

Fig. 3.38 Trajectoire sch´ematique d’une charge dans un cyclotron, la tension alterne au bon rythme pour que la charge soit acc´el´er´ee a ` chaque passage entre les deux parties.

3.14.2

Science du frottement

Les frottements sont le sujet de recherches r´ecentes, tant du point de vue des principes fondamentaux que celui du d´eveloppement de nouveaux mat´eriaux. • • •

De nos jours, les frottements sont ´etudi´es `a l’´echelle quasi atomique, c’est ce qu’on appelle nanotribologie [67]. Une ´equipe de chercheurs est parvenue `a cr´eer des surfaces avec un coefficient cin´etique de frottement extrˆemement bas (µc = 0,001) [68]. Des recherches r´ecentes tentent de mettre en ´evidence la possibilit´e d’´etats d’interactions entre deux surfaces telles que les surfaces se d´eplacent l’une par rapport ` a l’autre sans frottement. Le terme « supralubrification » est construit pour sugg´erer une analogie avec la supraconductivit´e (le transport de charges sans dissipation) [69], [70]. Par une m´ethode appel´ee analyse dimensionnelle, on peut estimer les frottements dans un flux turbulent. Des physiciens ont pu r´ecemment apporter une am´elioration ` a cette estimation de principe par des consid´erations sur les propri´et´es analytiques du champ de vitesse [71], [72].


212

Mise en contexte historique et technique

3.15

La d´ecouverte de la structure de l’atome

Jusqu’en 1910, on s’imaginait que l’atome ´etait form´e d’un nuage de charges positives comportant la majorit´e de la masse, et d’´electrons immobiles dans cette masse. Ainsi, la taille de la charge positive ´etait pr´esum´ee de l’ordre de 10−8 cm, la taille d’un atome. C’´etait le mod`ele de J. J. Thomson pour lequel il n’existait aucune preuve exp´erimentale. Rutherford demande ` a Geiger (fig. 3.39) de faire l’exp´erience suivante : envoyer des particules α issues de la d´ecomposition du polonium sur une cible constitu´ee d’une feuille d’or de 100 `a 400 nm d’´epaisseur et d´etecter les particules tout autour de la cible, pas seulement en avant.

Fig. 3.39 Rutherford et son assistant Geiger.

Geiger observe ainsi que certaines des particules reviennent en arri`ere. « A peine croyable ! » pense Rutherford, « comme si on tirait un boulet de 15 pouces sur un mouchoir et le boulet revenait vers nous ! » Rutherford avait tout de suite compris la signification de ce r´esultat. Ci-dessous, nous faisons le calcul d’ordre de grandeur qui montre que la particule α pour rebondir ainsi devait entrer en collision avec des charges positives tr`es localis´ees (fig. 3.40). C’est la d´emonstration de l’existence du noyau. Pour une sph`ere de rayon R uniform´ement charg´ee, la force d’interaction entre la particule α et le noyau a la mˆeme forme que la force gravitationnelle d’une masse ponctuelle en fonction de sa position radiale par rapport `a une distribution sph´erique uniforme de masse (fig. 3.36). Le potentiel ´electrostatique en fonction du rayon a ainsi l’allure pr´esent´ee sur la figure 2.13. ++

79 +

++

Fig. 3.40 Collision de particule α avec des noyaux d’or.


213

Angles d’Euler

Le calcul ´electrostatique permet de dire que le potentiel ´electrostatique de l’interaction entre une charge Ze et une particule α de charge 2e vaut `a son maximal [73, § 2.1.2] : 1 3 (Ze)(2e) V0 = 4πε0 2 R On peut le trouver en calculant la force de Coulomb en suivant la mˆeme d´emarche que celle pr´esent´ee pour le champ de la pesanteur (sect. 3.13). La force dans la sph`ere est proportionnelle `a r. Elle est proportionnelle `a 1/r2 `a l’ext´erieur. On peut d´eduire le potentiel qui donne cette force en imposant un potentiel nul ` a l’infini et la continuit´e du potentiel `a la surface de la sph`ere. Il en d´ecoule le maximum annonc´e. Comme les particules α rebondissent, il faut que l’´energie cin´etique soit plus petite que ce maximum, 12 mv 2 ≤ V0 . La vitesse des particules ´etant connue (1,6 × 107 m/s), leur masse aussi (6,6 × 10−27 kg), la r´etrodiffusion implique : R≤

1 3Ze2 4πε0 mv 2 /2

Ce calcul donne R ≤ 10−14 m. Cette valeur est 10 000 fois plus petite que le rayon atomique. V (r) V0

R

r

Fig. 3.41 Allure du potentiel ´electrostatique du noyau d’or suppos´e de rayon R, en fonction de la distance radiale r a ` son centre.

3.16

Angles d’Euler

Quand on parle du mouvement de la Terre autour du Soleil, on fait parfois r´ef´erence ` a la « pr´ecession »des ´equinoxes. Il s’agit du mouvement de l’axe de rotation de la Terre. Motiv´e par cette exemple proche de notre exp´erience commune, on anticipe sur la cin´ematique du solide ind´eformable et on d´efinit ici les trois angles souvent utilis´es pour d´ecrire l’orientation d’un solide par rapport ` a un r´ef´erentiel : ce sont les angles d’Euler . On peut les d´efinir par une s´erie de rotations.


214

Mise en contexte historique et technique

Pour rep´erer les angles d’Euler d’un solide, on utilise un r´ef´erentiel Ox1 x2 x3 en translation (pas de rotation) avec le solide et un r´ef´erentiel Oy1 y2 y3 li´e au solide. On d´efinit les angles d’Euler en termes des rotations qui am`enent un syst`eme d’axe sur l’autre. On repr´esentera le solide par trois axes li´es au solide (fig. 3.42). Par une rotation de Ψ autour de Ox3 , l’axe Ox1 devient Ou. x3

O x1

x2

y u

Fig. 3.42 Rotation autour de Ox3 , axe nodal Ou.

Ensuite une rotation de θ autour de Ou transforme le plan Ox1 x2 en un plan inclin´e (fig. 3.43). Finalement, dans ce plan inclin´e, on op`ere une rotation d’un angle ϕ autour de Oy3 (fig. 3.44). x3

x3 q

q

y3

y3

x2 y ψ u

Fig. 3.43 Rotation autour de Ou.

y1 j

x2

u

Fig. 3.44 La rotation autour de Oy3 d´efinit l’axe Oy1 .

Il est commode d’introduire l’axe Ou, dit axe nodal et l’axe Ov perpendiculaire ` a Ou, dans le plan Oy1 y2 (fig. 3.43). Parfois, on fera intervenir l’axe Ov1 perpendiculaire ` a Ou, dans le plan Ox1 x2 (fig. 3.45). Les angles d’Euler (Ψ, θ, ϕ) sont particuli`erement bien adapt´es pour la description des mouvements des toupies, des gyroscopes, des satellites ou des plan`etes. De la description des angles d’Euler en termes de rotations, il d´ecoule


215

Angles d’Euler

x3

v y

y2

y3

v1

q 0

y

x2

j y1 u

j q

x1

Fig. 3.45 Axes Ouvy3 commode pour des objets de sym´etrie cylindrique.

Fig. 3.46 Vecteur des vitesses angulaires associ´ees aux trois angles d’Euler.

que la vitesse angulaire peut ˆetre d´ecompos´ee en trois contributions qui portent les noms suivants (fig. 3.46) : ϕ˙ ˙ Ψ θ˙

rotation propre pr´ ecession nutation

On a vu que les vecteurs de vitesses angulaires correspondaient `a des rotations infinit´esimales (sect. 1.8) et que celles-ci s’additionnent. Il en d´ecoule qu’on peut d´eterminer le vecteur ω du solide en additionnant les vecteurs de vitesses angulaires associ´ees a` chaque angle d’Euler. Un gyroscope form´e d’une sph`ere sur coussin d’air (fig. 3.47) permet de bien visualiser ces mouvements, en consid´erant notamment la trajectoire du bout de l’axe du gyroscope (fig. 3.48).

18.3

Fig. 3.47 Un gyroscope a ` bille sur coussin d’air permet de bien mettre en ´evidence le mouvement de nutation et de pr´ecession.

Fig. 3.48 Une diode photo´electrique est mont´ee au bout de l’axe du gyroscope. Une photo avec un temps d’exposition long permet d’enregistrer la position du bout de la tige de ce gyroscope.


216

Mise en contexte historique et technique

3.17

Technique : les syst`emes ouverts

Il existe une vari´et´e de syst`emes m´ecaniques qui ´echangent de la masse avec l’ext´erieur. On les appelle syst` emes ouverts. Pour d´ecrire la dynamique d’un syst`eme ouvert, on applique la deuxi`eme loi de Newton dans sa forme g´en´erale, dP eq. 1.2), et on explicite le fait que la quantit´e de mouvement P varie dt = F (´ non seulement parce que la force F s’exerce sur le syst`eme, mais aussi parce que sa masse varie. On a donc F =

dp dv 6= m dt dt

Le monde de la technique abonde en syst`emes ouverts : •

Une fus´ee ou un turbor´eacteur (§ 2.17.1).

Un r´eacteur ` a ions comme moyen de propulsion dans l’espace (voir par exemple [74], [75]).

Un turbor´eacteur qui fonctionne `a base d’ondes de choc pour ´ejecter de l’eau [76].

Plus simplement, on a un syst`eme ouvert quand on consid`ere un escalier roulant, un ruban monte-charge, une goutte de pluie accumulant de l’eau en traversant le brouillard, une chaˆınette glissant d’une table horizontale. Exemple 3.1 La figure 3.49 propose un syst`eme permettant de mesurer la force d’un syst`eme ouvert en fonction du temps.

Fig. 3.49 Une chaˆınette tombe dans un r´eceptacle. Un capteur d´etecte le poids apparent pendant la chute.


Statique : syst` emes lin´ eiques

3.18

217

Statique : syst`emes lin´eiques

L’objectif des quelques sections `a venir consiste en l’introduction de l’analyse des contraintes internes ` a un syst`eme. Pour le physicien, la troisi`eme loi de Newton permet d’´eliminer les forces int´erieures, ce qui constitue pour lui une grande simplification. Notamment, avec l’hypoth`ese du solide ind´eformable, on a pu ´eviter de rendre compte des forces int´erieures qui assurent la rigidit´e du syst`eme. Toutefois, l’ing´enieur est appel´e pr´ecis´ement `a ´evaluer de telles forces.

Fig. 3.50 Le livre de Varignon.

Le livre de Pierre Varignon (fig. 3.50 ; [77]), Projet d’une nouvelle m´ecanique, qui parut pour la premi`ere fois en 1687 presque en mˆeme temps que les Principia, constitua pendant longtemps le trait´e de r´ef´erence pour cette partie de la m´ecanique appel´ee la « statique ». Pierre Varignon (Caen 1654-Paris 1722) r´esolut le probl`eme de l’´equilibre des corps solides ind´eformables en invoquant a la fois l’´egalisation des forces et la loi des moments de forces [1]. ` L’analyse des forces int´erieures est introduite ici pour les syst`emes lin´eiques, le plus simple, parce que dans ce cas, la contrainte int´erieure peut ˆetre con¸cue comme la force qui remplace le mat´eriau « coup´e ». Plus loin, quelques exemples de mod´elisation de structures statiques renforcent cette notion. Ce passage sur les contraintes se termine avec l’introduction du tenseur des contraintes, permettant ainsi de consid´erer une nouvelle propri´et´e physique dont l’expression math´ematique a la mˆeme structure que le tenseur d’inertie. Statique des chaˆınes On va dans un premier temps s’attacher `a comprendre la forme adopt´ee par des chaˆınes ou des fils en r´egime statique (fig. 3.51). On pourrait de la mˆeme mani`ere traiter un r´egime stationnaire, comme une chaˆıne en rotation uniforme. La contrainte interne est une force tangente `a la chaˆıne ou au fil si on suppose le fil infiniment souple et les articulations de la chaˆıne id´eales. La force de contrainte est la force qu’on devrait exercer si on voulait couper le syst`eme a cet endroit et maintenir la forme de la chaˆıne restante. ` On veut obtenir la forme d’une chaˆıne suspendue suspendue entre deux points. La chaˆıne est dans le plan vertical du r´ef´erentiel qui contient les deux


218

Mise en contexte historique et technique

26.3

Fig. 3.51 Une chaˆıne de v´elo est suspendue entre deux points. La poulie a ` gauche sugg`ere une mesure de la force qu’il faut exercer sur le fil ` a l’endroit de la poulie pour maintenir la chaˆıne suspendue d’une longueur constante.

points d’attache. Comme on veut pouvoir tirer profit des m´ethodes du calcul diff´erentiel et int´egral, on suppose qu’on peut traiter cette chaˆıne comme un syst`eme continu, un fil homog`ene tout `a fait souple. On applique alors les principes de la m´ecanique ` a un ´el´ement infinit´esimal de la chaˆıne. On d´efinit un syst`eme d’axes cart´esiens avec Oy vertical (fig. 3.52). On fera usage de l’abscisse curviligne s (fig. 1.8). L’´el´ement infinit´esimal de chaˆıne sera donc entre s et s + ds. On ´etablit d’abord le bilan des forces appliqu´ees sur cet ´el´ement. Il y a bien sˆ ur la pesanteur. On d´enote par ρ la densit´e lin´eique de masse. L’´el´ement de chaˆıne a donc une masse ρ ds. Deux forces s’exercent aux extr´emit´es de cet ´el´ement. On d´esignera par F (s) la force exerc´ee par la partie y D

F (s + ds) ds s

q (s) r ds g x

O

Fig. 3.52 Bilan des forces agissant sur un ´el´ement de masse de longueur ds, on conviendra que F (s + ds) d´esigne la force que le fil a ` s0 > s exerce sur le fil ` a s0 < s. Alors la force de contrainte du fil en s sur l’´el´ement de masse vaut −F (s), elle n’est pas repr´esent´ee, par souci de clart´e.


Statique : syst` emes lin´ eiques

219

de la chaˆıne ` a droite du point d’abscisse s, en d’autres termes par la partie d’abscisse s0 > s. Ainsi une force F (s + ds) s’exerce `a l’extr´emit´e s + ds de l’´el´ement de chaˆıne. La force F (s) est celle que l’´el´ement de chaˆıne exerce sur le reste ` a gauche de l’´el´ement. Par la troisi`eme loi de Newton, on obtient donc que la force que ce reste de chaˆıne exerce sur l’´el´ement consid´er´e vaut −F (s) (fig. 3.52). La condition d’´equilibre implique donc : F (s + ds) − F (s) + ρ dsg = 0

(3.11)

En passant de s ` a s + ds, F (s) change de direction (ce qui d´etermine la forme de la chaˆıne) et F (s) change, car, on le sait bien, plus la chaˆıne est longue, plus elle sera lourde ` a tenir. Comme on suppose que la chaˆıne peut ˆetre trait´ee comme un syst`eme continu, on peut ´ecrire le r´esultat sous forme diff´erentielle : dF equations : ds + ρg = 0, ce qui donne deux ´ dFx =0 ds dFy = +ρg ds

(3.12) (3.13)

On introduit la pente de la chaˆıne θ(s). Les projections sont des fonctions qu’on peut ´ecrire : Fx = F (s) cos θ(s) Fy = F (s) sin θ(s) L’´equilibre (3.12) implique F (s) cos θ(s) = c o` u c est une constante et donc dy Fy = c tg θ = c dx . Alors la condition d’´equilibre (3.13) devient d dy c = ρg (3.14) ds dx On peut ´ecrire la longueur de l’´el´ement de chaˆıne : s 2 p dy ds = dx2 + dy 2 = dx 1 + dx et ´ecrire d d = ds dx

1+

dy dx

2 !−1/2

dans (3.14). Il vient ainsi d2 y ρg p = 1 + (dy/dx)2 2 dx c √ dy ρg Pour conclure, on pose u = dx , ce qui implique du 1 + u2 . Suivant la dx = c technique standard d’int´egration d’une telle ´equation, on ´ecrit √

du ρg = dx c 1 + u2


220

Mise en contexte historique et technique

Les tables d’int´egrales fournissent sinh−1 u =

ρg c x

+ c1 . Alors pour y(x), on a

dy ρg = u = sinh x + c1 dx c Par int´egration, on obtient y=

ρg c cosh x + c1 + c2 ρg c

Les trois constantes sont d´etermin´ees par les trois donn´ees du probl`eme : la diff´erence des hauteurs des points d’attache, la distance horizontale D entre ces points et la longueur du fil.

3.19 3.19.1

Statique : treillis et poutres

Treillis

Suivant Hibbeler [78], on va examiner ici une structure faite de barres rigides immobiles. Dans un premier temps, on pose les hypoth`eses de travail suivantes : • • •

Les forces s’exercent aux extr´emit´es. Les forces sont parall`eles aux barres. Il n’y a pas de moments de forces exerc´es aux joints.

On ne consid`ere donc pas la r´esistance, la torsion ou la flexion d’un segment pour assurer la stabilit´e d’une structure. On ne d´ecrit ainsi pas, par exemple, une charge suspendue ` a une poutre unique horizontale ancr´ee dans un mur. On va restreindre les exemples ` a des structures dans un plan vertical, pour garder les ´ecritures simples. M´ethode des joints Une fa¸con de proc´eder s’appelle m´ ethode des joints. A chaque point de liaison, on pose que la somme des forces est nulle. On illustre la m´ethode par un exemple. Une structure triangulaire subit une force ext´erieure F ext B (fig. 3.53). La force au point d’ancrage C est suppos´ee normale au support (le joint C comporte une roue libre de friction). On isole mentalement le point B et on dresse le bilan des forces exerc´ees (4) en ce point (fig. 3.54) . On note F IJ la force du segment (I, J) appliqu´ee en I. La troisi`eme loi de Newton implique F IJ = −F JI . Le point B est immobile, donc la r´esultante des forces est nulle. En projetant dans les directions x et y, on obtient (avec α = π4 ) : FBext cos α = FBext

FBC cos α = FBext =⇒ FBC = FBA = FBC cos α =⇒ FBA (4)

Un tel diagramme est appel´ e dans les trait´ es anglais free body diagram.


221

Statique : treillis et poutres B

ext

FB

a

ext

FA,x

A

C

ext

ext

FA,y

FC

Fig. 3.53 Forces ext´erieures impos´ees a ` un triangle form´e de trois barres rigides : il y a en A un axe de rotation libre de frottement, un m´ecanisme de roulement en C impose que la force ext´erieure exerc´ee par le support en C est normale au support, la force en A est d´ecompos´ee selon deux directions orthogonales. α = π4 . –FBC B

FBext FCA

α FBA

FBC

C

ext

FC

Fig. 3.54 Bilan des forces au point B.

Fig. 3.55 Bilan des forces au point C. –FBA

ext FAx

–FCA

A

ext FAy

Fig. 3.56 Bilan des forces au point A.

Il faut maintenant op´erer la mˆeme analyse au point C (fig. 3.55). On ´ecrira −F BC pour F CB : FCext = FBC cos α = FBext FCA = FBC cos α = FBext Et finalement, on fait de mˆeme au point A (fig. 3.56) : ext FAx = FBext

ext FAy = FBext

On a ainsi d´etermin´e toutes les contraintes internes du syst`eme.


222

Mise en contexte historique et technique

M´ethode des sections Il est possible d’arriver au mˆeme r´esultat en adoptant la d´emarche appel´ee m´ ethode des sections. Elle a l’avantage de mettre en jeu une vision des contraintes internes tr`es voisine de celle adopt´ee dans le cas d’un solide quelconque. Pour expliquer la m´ethode, on va analyser les contraintes de la structure en treillis de la figure 3.57. La force ext´erieure en A est suppos´ee le long de l’axe y, la force en E est pr´esum´ee normale au support (par exemple, par l’effet d’une roue en E). ext

FDy

a B

C

G

F

D

ext

FDx

ext

A

E

EE

a ext

FA (donné)

Fig. 3.57 Une structure de plusieurs barres subit une force verticale impos´ee en A, la force en E est suppos´ee n’ˆetre que dans la direction horizontale (un m´ecanisme de roulement doit ˆetre pr´esum´e), la force en D est d´ecompos´ee en deux forces horizontale et verticale.

En appliquant le th´eor`eme du centre de masse `a la structure enti`ere, on d´eduit ext ext ext ext FAy = FDy FDx = FEx Le th´eor`eme du moment cin´etique, en utilisant le point D comme point de r´ef´erence, donne ext ext ext ext FAy 3` = FEx ` =⇒ FEx = 3FAy ext ext On trouve donc aussi FDx = 3FAy . Comme il se doit, le th´eor`eme du centre de masse et du moment cin´etique ont suffi pour d´eterminer les forces externes (il y a trois ´equations pour trois inconnues).

Pour trouver les forces internes, on proc`ede `a une coupure virtuelle de la structure. La partie enlev´ee est remplac´ee par les forces exerc´ees par cette partie coup´ee. C’est exactement comme pour la contrainte interne de la chaˆınette. Comme on analyse ` a nouveau un solide, on a trois ´equations `a partir des th´eor`emes du moment cin´etique et du centre de masse. On va donc choisir une coupure qui fasse intervenir trois forces int´erieures. On proc`ede `a l’analyse pour la coupure a, a0 (fig. 3.58). Le th´eor`eme du moment cin´etique, avec le point C pour r´ef´erence, fournit pour les moments (qui sont tous normaux au plan de la structure) : ext ext −FAy · 2` = FGF · ` =⇒ FGF = −2FAy


223

Statique : treillis et poutres

Si on prend G comme point de r´ef´erence, on a ext ext FAy · ` = FBC · ` =⇒ FBC = FAy

Le th´eor`eme du centre masse implique deux ´equations qui permettent de conclure : ext FAy = FGC cos α FBC + FGC + FGF = 0 B

FBC

C

FGC A

G

FGF

ext

FAy

Fig. 3.58 Bilan des forces sur l’´el´ement de structure d´efini par la d´ecoupe (a, a0 ).

Remarque. Dans tous les exemples ci-dessus, on a fait attention de choisir des contraintes telles que les principes fondamentaux de la m´ecanique suffisent a d´eterminer toutes les forces de liaison du syst`eme. Quand un telle situa` tion est r´ealis´ee, on parle d’isostatisme. On parle d’hyperstatisme lorsque les contraintes sont en nombre plus grand que le strict n´ecessaire pour les maintenir. Prenons le cas d’un tabouret consid´er´e comme un corps solide ind´eformable et pos´e sur un plan horizontal. Comme il suffit de trois points pour d´efinir un plan, on peut d´eterminer les forces de r´eaction sur les pieds d’un tabouret `a trois pieds. En revanche, si le tabouret a quatre pieds, on a quatre contraintes l`a o` u trois auraient suffi et on ne peut pas d´eterminer les quatre forces de r´eaction individuellement. Galil´ee d´ej` a s’int´eressait ` a la question de savoir comment calculer les contraintes d’une structure pour l’optimiser (fig. 3.59 ; [79]). 3.19.2

Poutres

Clairement, des structures faites de poutres rigides peuvent faire plus que les treillis consid´er´es jusqu’ici (fig. 3.60). Grˆace `a la rigidit´e intrins`eque d’une poutre, une port´ee est possible sans avoir une triangulation pour supporter la poutre. Il faut introduire le fait que des forces internes peuvent s’exercer dans toute section de chaque poutre. En chaque point, la rigidit´e de la poutre implique qu’elle produise un moment de force pour qu’elle ne se courbe pas. On va toutefois se restreindre ici `a l’hypoth`ese des contraintes uniformes dans chaque section. On veut dire uniforme `a tout point de vue, c’est-`a-dire tant du


224

Mise en contexte historique et technique

Fig. 3.59 Livre de Galil´ee.

point de vue de l’´etat des contraintes que de celui des d´eformations. On fait une coupure d’une poutre et on distingue quatre types de contraintes int´erieures : • • •

Force axiale : pos´ee comme agissant au centre g´eom´etrique de la section, parall`ele au segment de poutre consid´er´e. Force de cisaillement : force tangente `a la section. Moment de flexion : moment de force qu’on peut comprendre comme l’action d’un couple de forces exerc´ees de part et d’autre d’un axe passant par le milieu de la section (fig. 3.60). Moment de torsion : le moment de forces associ´e au redressement d’un cylindre uniforme (fig. 3.61).

T

Fig. 3.60 Moment de flexion.

Fig. 3.61 Torsion d’un cylindre uniforme.

Le calcul de ces contraintes est illustr´e par l’analyse de l’exemple de la figure 3.62. On veut savoir ce que valent, dans une section de la poutre AC au point milieu B, les contraintes internes suivantes : la force axiale, la force de cisaille-


225

Statique : treillis et poutres

AC = 8 Ax

B

C FDC

Ay AD = 6

DC

=

10

D

Fig. 3.62 Une poutre horizontale est charg´ee uniform´ement sur toute sa longueur, AC, AD et DC sont les longueurs des poutres, le syst`eme poss`ede des articulations libres de moments de forces en A, C et D [81, § 20.2.2].

ment et le moment de flexion. La poutre AC est suppos´ee charg´ee uniform´ement, subissant un poids W par unit´e de longueur. Le th´eor`eme du moment cin´etique appliqu´e ` a la poutre AC avec le point A comme r´ef´erence donne : 3 (W · AC) AC − F AC = 0, ce qui permet d’obtenir FDC . Le th´eor`eme du DC 2 5 centre de masse appliqu´e ` a la poutre AC fournit : −Ax + FDC · 45 = 0. Ainsi Ax est d´etermin´e. La projection sur la direction y du th´eor`eme du centre de masse fournit : Ay + FDC 35 − W · AC = 0, d’o` u on d´eduit Ay . Pour trouver les forces et les moments en B, il faut op´erer une coupure virtuelle en B, et consid´erer les deux morceaux s´epar´ement (fig. 3.63).

( )

y z

( )

AC w ––– 2

x

AC w ––– 2 –MB

MB

Ax

A Ay

B

AB VB

–AB

C

B –VB

FDC 5

3

4

Fig. 3.63 Bilan des forces et des moments exerc´es sur chaque moiti´e de la poutre horizontale.

Ainsi, VB est la force qui remplace l’action du segment BC sur le segment AB. On pourrait se tromper sur le signe de M B sur le dessin. On trouverait alors un MB n´egatif, ce qui voudrait dire que M B est de sens oppos´e `a celui


226

Mise en contexte historique et technique

dessin´e. On applique au segment AB le th´eor`eme du centre de masse et du moment cin´etique, avec B comme point de r´ef´erence : − Ax + AB = 0 AC Ay − V B − W =0 2 AC AC AC − M B − Ay +W =0 2 2 4 On trouve ainsi toutes les contraintes internes au point B.

3.20

Sym´etrie d’un solide et de son tenseur d’inertie

Souvent, on arrive ` a reconnaˆıtre les axes principaux d’inertie en se fiant ` son intuition, bas´ee sur les sym´etries du solide. Si on n’est pas sˆ a ur, ou si le syst`eme n’a aucune sym´etrie particuli`ere, on doit d´eterminer par le calcul suivant les axes principaux d’inertie et les moments associ´es. Un axe principal d’inertie est un axe tel que si ω est selon cet axe, L l’est aussi. Quand ω est dans la direction d’un axe principal d’inertie, on a donc L = Iω o` u I est un nombre. Prenons le cas o` u le point de r´ef´erence est le centre de masse G. On cherche donc les solutions de I G ω = Iω : Ixx ωx + Ixy ωy + Ixz ωz = Iωx Iyx ωx + Iyy ωy + Iyz ωz = Iωy

(3.15)

Izx ωx + Izy ωy + Izz ωz = Iωz Ce syst`eme d’´equations admet une solution non triviale quand

(Ixx − I) Ixy Ixz

Iyx (Iyy − I) Iyz

= 0

Izx Izy (Izz − I)

Il s’agit donc de r´esoudre un probl`eme de vecteurs propres et valeurs propres. De mˆeme qu’il est important de voir le rˆole du choix du point de r´ef´erence dans la d´efinition du moment cin´etique, il peut ˆetre utile de connaˆıtre comment le tenseur d’inertie est fonction du point de r´ef´erence, en particulier quand on utilise des tables de valeurs de moments d’inertie. Proposition 3.1 Th´eor`eme de Steiner pour le tenseur d’inertie. Soient C un point quelconque d’un solide de masse M , G son centre de masse. ICij = IGij + M |CG|2 δij − CGi CGj

(3.16)


Sym´ etrie d’un solide et de son tenseur d’inertie

227

´monstration. Introduisons dans la d´efinition de ICij un point O quelDe conque et traitons le solide comme un syst`eme de points mat´eriels : X ICij = mα |CP α |2 δij − CPαi CPαj α

=

X

h mα |CO|2 + |OPα |2 + 2CO · OPα δij

α

− (COi + OPα,i )(COj + OPα,j )

i

En regroupant les termes, il vient ICij = IOij + M · |CO|2 · δij + M CO · OG · δij − M COi COj − COi M OGj − COj M OGi On obtient le r´esultat annonc´e en prenant O = G. On remarque que le deuxi`eme terme de (3.16) est le tenseur d’inertie en C si toute la masse du solide ´etait concentr´ee en G. Exemple 3.2 Soit ∆ un axe de rotation de direction u ˆ. On a pour tout C sur l’axe : LC · u ˆ = (I C ω) · u ˆ=u ˆ · ICu ˆ ω. En appliquant cette r`egle `a l’expression du th´eor`eme de Steiner, on obtient `a nouveau la formule de Steiner pour un moment d’inertie, IO∆ = M d2G + IG∆ . On voit par cette formule que l’axe contenant G minimise le moment d’inertie parmi tous les axes de direction u ˆ donn´ee.

Exemple 3.3 Soit ∆ un axe principal d’inertie passant par G. Soit ∆0 k ∆ passant par C (fig. 3.64) . Une condition suffisante pour que ∆0 soit aussi un axe principal au point C est que GC soit normal `a ∆ [80]. G û D C û D'

Fig. 3.64 Centre de masse G, point C sur axe parall`ele a ` ∆.

En effet, on veut que I C u ˆ = I∆0 u ˆ o` u I∆0 est le moment d’inertie par rapport a l’axe ∆0 . Disons que l’axe 3 est celui qui porte u ` ˆ et les axes orthogonaux 1 et 2 sont aussi des axes principaux d’inertie au point G. D’apr`es (3.16),


228

Mise en contexte historique et technique

ICi3 = −M CGi CG3 (i = 1, 2). Il faut que IC13 et IC23 soient nuls. Une possibilit´e consiste ` a choisir CG1 et CG2 nuls. Cela revient `a dire que C est le long de l’axe ∆ qui est un axe principal d’inertie. L’autre possibilit´e est de choisir CG3 nul, ce qui est le cas quand GC est sur un axe principal d’inertie. Il est possible de repr´esenter les sym´etries de la dynamique d’un solide par une surface, comme l’indique la proposition suivante. Proposition 3.2 Ellipso¨ıde d’inertie. Pour un solide dont le tenseur d’inertie est I C , le lieu g´eom´etrique des points P tels que |CP | = √

1 ICP

(3.17)

o` u ICP est le moment d’inertie par rapport ` a l’axe de direction CP , est un ellipso¨ıde dont les axes sont les axes principaux d’inertie du solide. ´monstration. On d´etermine l’´equation cart´esienne de la surface ainsi De d´efinie de la mani`ere suivante. On pose que les coordonn´ees du point g´en´erique P , donc les composantes du vecteur CP , sont, dans√un rep`ere√li´e au solide, √ les coordonn´ees cart´esiennes (y1 , y2 , y3 ). Alors u ˆ = y1 ICP , y2 ICP , y3 ICP est de norme 1. Le moment d’inertie par rapport `a l’axe de direction u ˆ est donn´e en appliquant la formule I∆ = u ˆ · I˜C u ˆ X X p p ICP = ui uj ICij = yi ICP yj ICP ICij ij

ij

Par cons´equent, l’´equation en coordonn´ees cart´esiennes de cette surface est ainsi X 1= ICij yi yj i,j

Si on prend les axes de coordonn´ees sur les axes principaux d’inertie du solide, on a simplement : 1 = I1 y12 + I2 y22 + I3 y32 o` u I1 , I2 et I3 sont les ´el´ements diagonaux du tenseur d’inertie. C’est bien l’´equation d’un ellipso¨ıde d’axes y1 , y2 , y3 . Si I2 = I3 par exemple, alors l’ellipso¨ıde a une sym´etrie de rotation d’axe 1. Ainsi, l’ellipso¨ıde d’inertie d’un solide dont le tenseur d’inertie est I C est le lieu g´eom´etrique des points P d´efinis par (3.17). Il s’agit d’une repr´esentation g´eom´etrique du tenseur d’inertie qui rend compte de ses sym´etries. Cette repr´esentation peut parfois rendre service pour d´evelopper une intuition de la dynamique d’un corps solide. Beaucoup d’objets d’allures tr`es diff´erentes peuvent avoir les mˆemes moments principaux d’inertie et par cons´equent se comporter dans des rotations de la mˆeme mani`ere. Il faut noter que plus le moment d’inertie par rapport `a un axe ∆ est grand, plus le rayon-vecteur de l’ellipso¨ıde est petit dans cette direction.


Sym´ etrie d’un solide et de son tenseur d’inertie

229

Proposition 3.3 Sym´etries. Soit un solide de tenseur d’inertie I C . Des consid´erations de sym´etrie permettent de trouver les axes principaux d’inertie [81] : • • •

L’axe perpendiculaire a ` un plan de sym´etrie contenant C est un axe principal de I C . Tout axe de sym´etrie contenant C est un axe principal de I C . Si le solide poss`ede un axe de sym´etrie d’ordre n ≥ 3 contenant C, l’ellipso¨ıde est de r´evolution autour de cet axe.

Remarque. Ce dernier point illustre le principe de Curie (1894) : le groupe de sym´etrie d’un ph´enom`ene contient comme sous-groupe le groupe de sym´etrie de la cause de ce ph´enom`ene. ´monstration. A titre d’exemple, on d´emontre ici la troisi`eme proposiDe tion. Consid´erons un objet plan dont la distribution de masse est donn´ee par une densit´e (masse par unit´e de surface) ρ(x, y). Choisissons les coordonn´ees polaires (r, θ) pour rep´erer un point du plan. On peut donc ´ecrire ρ(r, θ). Supposons que la distribution de masse ait une sym´etrie d’ordre 3, c’est-`a-dire ee : qu’une rotation de 2π 3 la laisse inchang´ 2π ρ(r, θ) = ρ r, θ + 3 On veut montrer que le moment d’inertie par rapport `a un axe dans le plan, de direction donn´ee par l’angle α, est ind´ependant de la valeur de cet angle. On proc`ede par les ´etapes suivantes : P 1) A partir de la d´efinition du moment d’inertie I = α d2α mα , on ´ecrit l’int´egrale dans le plan du solide du moment d’inertie selon un axe ∆ du plan, rep´er´e par un angle α. Un ´el´ement de surface s’´ecrit dv = r dθ dr, et la distance d du point P ` a l’axe ∆ est d = r sin(θ − α) (fig. 3.65). Donc Z∞ I=

Z2π dr

0

dθρ(r, θ)r3 sin2 (θ − α)

0

y

P

D

r q 0

a

x

Fig. 3.65 Sym´etrie du tenseur d’inertie.

(3.18)


230

Mise en contexte historique et technique

On int`egre la coordonn´ee r de 0 `a l’infini, car les limites de l’objet sont d´efinies par ρ(r, θ). 2) A l’aide de l’expression trigonom´etrique sin2 α = 12 − 12 cos 2α, l’´equation (3.18) s’´ecrit ZZ 1 1 3 I= dr dθρ(r, θ)r − cos 2(θ − α) 2 2 ZZ ZZ 1 1 3 = dr dθρ(r, θ)r − dr dθρ(r, θ)r3 cos 2(θ − α) (3.19) 2 2 | {z } | {z } =Iα

ind´ ependant de α

On porte notre attention sur le terme Iα , d´ependant de α, pour la suite du probl`eme. 3) Dans le terme Iα , on d´eveloppe le terme en cosinus selon la relation trigonom´etrique : cos 2(θ − α) = cos 2θ cos 2α + sin 2θ sin 2α. Cela donne ZZ Iα = cos 2α dr dθρ(r, θ)r3 cos 2θ ZZ (3.20) 3 + sin 2α dr dθρ(r, θ)r sin 2θ 4) La relation (3.20) indique que Iα est ind´ependante de α si les int´egrales doubles sont nulles. Il faut pour cela utiliser la condition de sym´etrie ρ(r, θ) = ρ(r, θ + 2π 3 ) et il convient de passer par les nombres complexes (rappel : eiα = cos α + i sin α). En reprenant l’´equation (3.19), Iα est la partie r´eelle du nombre complexe : ZZ ZZ 3 i2(θ−α) −i2α Jα = dr dθρ(r, θ)r e =e dr dθρ(r, θ)r3 ei2θ (3.21) La condition de sym´etrie donne ZZ Jα = ei2α dr dθρ(r, θ)r3 ei2θ

(3.22)

avec θ0 = θ + 2π ere alors ce changement de variable (θ = θ0 − 2π 3 . On op` 3 ; 0 dθ = dθ), et la relation (3.22) devient ZZ 0 Jα = ei2α dr dθ0 ρ r, θ0 r3 ei2(θ −2π/3) ZZ 0 (3.23) = e−i(4π/3) ei2α dr dθ0 ρ r, θ0 r3 ei2θ | {z } J 0α

Comme e−i(4π/3) 6= 0 et 6= 1, et que Jα ≡ Jα0 , alors la seule solution de l’´equation (3.23) est Jα = 0. Sa partie r´eelle est donc ´egalement nulle : Iα = 0. On a ainsi d´emontr´e que le moment d’inertie du solide ne d´epend pas de la direction de ∆ dans le plan du solide.


Autre tenseur : le tenseur des contraintes

3.21

231

Autre tenseur : le tenseur des contraintes

La notion de contraintes internes est apparue de fa¸con naturelle dans la description de syst`emes mat´eriels lin´eiques ou rigides par morceaux. Fort de cette base intuitive, on peut ´evoquer l’extension de la notion de contrainte interne ` a un syst`eme continu. On va voir apparaˆıtre un nouveau tenseur. Une petite exp´erience permet de mettre en ´evidence les contraintes internes dans une structure rigide simple soumise `a une contrainte ext´erieure (fig. 3.66 et 3.67).

lampe

polariseur échantillon analyseur

Fig. 3.66 La bir´efringence induite par les contraintes internes a ` une pi`ece en PMMA permet de visualiser l’´etat de contrainte : la lumi`ere traverse les deux polariseurs crois´es d’autant plus que les contraintes internes de l’´echantillon sont grandes.

Fig. 3.67 Quelques exemples d’images de contraintes obtenues par l’observation de la bir´efringence d’une pi`ece en polym´ethylm´ethacrylate (PMMA) sous contrainte de plus en plus grande.

On peut d´efinir une contrainte interne en g´en´eralisant l’approche prise pour un syst`eme lin´eique. On consid`ere un plan imaginaire qui s´epare deux r´egions du solide. Les contraintes internes sont les forces que la partie du mat´eriau d’un cˆ ot´e de la coupure exerce sur l’autre (fig. 3.68). En g´en´eral, on doit donner les contraintes dans trois directions pour chaque valeur de la normale ` a la face consid´er´ee. On op`ere ainsi une coupure virtuelle de l’objet, quelconque, d’aire ∆A au voisinage d’un point P . La force en P


232

Mise en contexte historique et technique

Fr ®

F

®r

Fig. 3.68 Morceau de mati`ere, coupure virtuelle et forces de contraintes sur cette coupure.

exerc´ee par la partie coup´ee est not´ee ∆F . On peut d´ecomposer cette force en une composante normale ∆Fn `a la coupure et une composante tangente ∆Ft (fig. 3.69). On appellera contrainte au point P la limite ∆F ∆A→0 ∆A

S = lim

La composante normale d´efinit une contrainte de tension ou de compression : ∆Fn ∆A→0 ∆A

σ = lim

La composante tangente donne lieu `a ce qu’on appelle une contrainte de cisaillement : ∆Ft τ = lim ∆A→0 ∆A On notera l’unit´e de contrainte ainsi d´efinie. Il s’agit d’une force par unit´e de surface. Les contraintes ont donc la mˆeme unit´e qu’une pression. On utilise notamment le M P a, le « m´egapascal ». Un pascal vaut 1 Newton/m2 . Soit un vecteur unit´e n ˆ normal `a une face de taille infinit´esimale sur laquelle on veut d´efinir la contrainte tnˆ . Le vecteur tnˆ n’est pas n´ecessairement parall`ele DF DFt

P

DFn aire DA

Fig. 3.69 El´ement de surface d´efini par une coupure virtuelle : la force exerc´ee par le solide a ` l’endroit de cet ´el´ement de surface, ∆F , a une composante normale ∆F n et une composante tangentielle ∆Ft .


233

Autre tenseur : le tenseur des contraintes

`n a ˆ , car il peut s’exercer en cet endroit des forces tangentielles. L’association d’une force de contrainte ` a une face est d´efinie math´ematiquement comme une transformation T qui, ` an ˆ , associe tnˆ . On ´ecrira simplement (cette simplicit´e d’´ecriture se justifiera sous peu) : tnˆ = T n ˆ x2

(3.24) t-e 3 tn

O

x1

x3 t-e 1

t-e 2

Fig. 3.70 El´ement de volume pour lequel on ´etablit un bilan des forces de contraintes : il y a trois faces dont les normales sont parall`eles aux axes de coordonn´ees, la quatri`eme face a pour normale le vecteur unitaire n ˆ.

On montre maintenant que la deuxi`eme loi de Newton impose que cette transformation T soit lin´eaire. On appelle T le tenseur des contraintes. On consid`ere un petit volume d´elimit´e par des surfaces not´ees ∆Ai , i = 1, 2, 3, et ∆Anˆ (fig. 3.70). En l’absence de forces ext´erieures comme la pesanteur, on a ma = t−e1 ∆A1 + t−e2 ∆A2 + t−e3 ∆A3 + tnˆ ∆Anˆ Si n ˆ = n1 e1 + n2 e2 + n3 e3 , alors ∆Ai = ni ∆Anˆ . La troisi`eme loi de Newton implique t−ˆn = −tnˆ . Par substitution, il vient m −T e1 n1 − T e2 n2 − T e3 n3 + T n ˆ=a ∆An Quand on prend la limite des dimensions infiniment petites, le terme d’acc´el´eration tend vers z´ero car le volume qui d´etermine la masse m tend vers z´ero plus vite que la surface ∆An . Il reste `a la limite : T (n1 e1 + n2 e2 + n3 e3 ) = n1 T e1 + n2 T e2 + n3 T e3 La transformation T est donc lin´eaire. Les consid´erations suivantes feront le lien avec la notion de tenseur d’inertie, dont on avait donn´e les composantes sous forme matricielle. On peut associer `a l’application T une matrice. En effet, par exemple, te1 = T e1 est un vecteur dont les composantes sur les axes orthonorm´es (x1 , x2 , x3 ) sont e1 · T e1 = T11 e2 · T e1 = T21 e3 · T e1 = T31


234

Mise en contexte historique et technique

Par exemple, e1 · T e1 est la composante 1 de la contrainte normale `a la face normale ` a e1 . On la d´efinit comme T11 . De mˆeme, T21 et T31 sont les composantes tangentielles de la contrainte sur la face normale `a e1 . Pour une face quelconque normale ` an ˆ = n1 e1 + n2 e2 + n3 e3 on peut calculer la contrainte sur cette face par    T11 T12 T13 n1 tnˆ = T n ˆ = T21 T22 T23  n2  T31 T32 T33 n3 Pour le tenseur d’inertie, on avait une application lin´eaire semblable entre le vecteur de vitesse angulaire et le moment cin´etique, d’o` u le terme « tenseur » d’inertie. En particulier, pour tout ω, on avait d´etermin´e le moment cin´etique LG avec LG = Iω. De la cin´ematique du solide ind´eformable, on avait tir´e X LG = mα GPα ∧ (ω ∧ GPα ) α

Il est imm´ediat de voir que la transformation d´efinie par cette relation est lin´eaire, comme T . Et donc, sans autre calcul, on sait qu’on peut d´efinir une matrice qui relie les composantes de ω dans un rep`ere orthonorm´e avec les composantes de LG dans le mˆeme rep`ere [82]. Les tenseurs et leurs repr´esentations sur diff´erents syst`emes de coordonn´ees sont un sujet important, mais au-del` a des objectifs d’une introduction `a la m´ecanique ([32], [83]).

3.22 3.22.1

R´evolution conceptuelle : la relativit´e

Conflit entre ´electromagn´etisme et m´ecanique

Henri Poincar´e exprime en 1902 d´ej`a le besoin de revoir les fondements de la m´ecanique : 1) « Il n’y a pas d’espace absolu et nous ne concevons que des mouvements relatifs ; cependant on ´enonce le plus souvent les faits m´ecaniques comme s’il y avait un espace absolu auquel on pourrait les rapporter. » 2) « Il n’y a pas de temps absolu ; dire que deux dur´ees sont ´egales, c’est une assertion qui n’a par elle-mˆeme aucun sens et qui n’en peut acqu´erir un que par convention. » 3) « Non seulement nous n’avons pas l’intuition directe de l’´egalit´e de deux dur´ees, mais nous n’avons mˆeme pas celle de la simultan´eit´e de deux ´ev´enements qui se produisent sur des th´eˆatres diff´erents [. . . ] » 4) « Enfin notre g´eom´etrie euclidienne n’est elle-mˆeme qu’une sorte de convention de langage [. . . ] » [84] L’´evolution des id´ees scientifiques et notamment le cheminement de la pens´ee qui pr´eside ` a la naissance de nouveaux concepts suivent des parcours souvent


R´ evolution conceptuelle : la relativit´ e

235

Fig. 3.71 Henri Poincar´e (1854-1912).

si tortueux qu’il peut devenir tr`es difficile de d´eterminer avec certitude l’auteur de telle ou telle id´ee et ` a tel ou tel moment [85]. C’est en particulier le cas pour les principes qui constituent les fondements de la th´eorie de la relativit´e restreinte. Plusieurs acteurs, math´ematiciens et physiciens du plus haut niveau, jou`erent un rˆole important dans l’´edification de cette th´eorie, notamment H. A. Lorentz, H. Poincar´e puis A. Einstein. Une ´etude historique r´ecente des textes originaux permet de se faire une id´ee pr´ecise de la naissance de la th´eorie de la relativit´e restreinte [86]. Les lois qui gouvernent les ph´enom`enes ´electromagn´etiques sont les ´equations de Maxwell et les relations ph´enom´enologiques entre les champs de nature ´electrique et de nature magn´etique. Ces relations, avec les ´equations de Maxwell, r´egissent donc la structure et l’´evolution des champs ´electromagn´e(5) tiques . Lorentz et Poincar´e cherchent la transformation de coordonn´ee qui laisse invariante la forme des ´equations de l’´electrodynamique. Ils doivent faire intervenir un temps qui est local au r´ef´erentiel ! Quel sens physique fallait-il alors attribuer ` a cette notion de temps local ? Le probl`eme le plus embarrassant auquel on ´etait confront´e lorsqu’on tentait de r´epondre ` a cette question r´esidait dans le fait que les transformations des coordonn´ees qui pr´eservaient les lois de la m´ecanique, c’est-`a-dire les transformations de Galil´ee, ´etaient d’une structure autre que celles de Lorentz. Comment concilier ces deux approches ? Fallait-il pr´esumer que les lois de la m´ecanique sont applicables uniquement dans un r´ef´erentiel privil´egi´e et, de ce fait, renoncer aux transformations de Galil´ee ou, alternativement, limiter l’application des lois de l’´electromagn´etisme `a un r´ef´erentiel privil´egi´e ? La contribution du c´el`ebre article de 1905 sign´e par A. Einstein « Sur l’´electromagn´etisme des (5)

En g´ en´ eral ces derni` eres ´ equations ne sont ´ etudi´ ees, ` a juste titre, qu’apr` es une bonne initiation ` a la m´ ecanique car elles font intervenir un outil math´ ematique plus ´ elabor´ e que celui que n´ ecessite les objectifs d’une premi` ere ann´ ee d’´ etude.


236

Mise en contexte historique et technique

corps en mouvement » [87], et de son ´ecrit adress´e au grand public ([13], [88]), consiste ` a donner une interpr´etation physique des transformations de Lorentz qui permet la r´econciliation des principes de la m´ecanique avec ceux de l’´electromagn´etisme en attribuant `a la m´ecanique un nouveau sens physique. En 1904, H. A. Poincar´e avait d´ej`a ´enonc´e le principe de la relativit´e que voici ([86], [89]) : Aucun test des lois de la physique ne peut fournir une m´ethode quelconque permettant de distinguer (ou pr´ef´erer) un r´ef´erentiel d’inertie plutˆ ot qu’un autre. Plus tard, dans le cadre de la th´eorie de la relativit´e g´en´erale, on sera amen´e ` a consid´erer, plus largement, des r´ef´erentiels d’inertie libres des effets de la gravitation, autrement dit des r´ef´erentiels en « chute libre » [12]. Le principe de relativit´e peut aujourd’hui nous sembler comme « allant de soi », notamment si l’on se r´ef`ere `a l’exemple des mouches dans un bol de Galil´ee. Mais dans le contexte historique du d´ebut du xxe si`ecle il en va autrement. En effet, ` a la fin du xixe si`ecle, certains physiciens pr´esumaient que les ondes ´electromagn´etiques consistaient en des vibrations d’un milieu encore `a d´efinir et qu’ils convinrent d’appeler l’´ether. Cet ´ether pouvait alors caract´eriser le r´ef´erentiel privil´egi´e ´evoqu´e pr´ec´edemment. Il y avait aussi des exp´eriences qui semblaient devoir faire appel `a des explications diff´erentes lorsqu’on changeait de r´ef´erentiel. Par exemple, l’effet du mouvement relatif entre une bobine aux bornes de laquelle est branch´ee une ampoule ´electrique et un aimant permet d’entrevoir la difficult´e qu’il y a `a ´enoncer un principe de relativit´e. On peut analyser cet effet de deux mani`eres diff´erentes. Si l’on consid`ere que la bobine est fixe par rapport `a l’´ether et que l’aimant bouge, le courant induit dans la bobine est une cons´equence de la loi d’induction de Faraday. En effet, quand l’aimant est approch´e de la bobine, le flux du champ d’induction varie et une force ´electromotrice se d´eveloppe dans le fil de la bobine. Par contre, lorsque c’est l’aimant qui est fixe par rapport `a l’´ether et que la bobine est d´eplac´ee par rapport `a l’aimant, le courant s’explique par la force de Lorentz que les ´electrons dans le fil de la bobine subissent. On dispose donc de deux explications distinctes pour un seul ph´enom`ene, ce qui est inacceptable. En fait l’interpr´etation que donne A. Einstein de la transformation de Lorentz r´etablit l’unicit´e de l’argument. Quand on passe du r´ef´erentiel attach´e ` a la bobine ` a celui de l’aimant, on a soit un champ magn´etique, soit un champ ´electrique, dont la valeur est dict´ee par la transformation de Lorentz [90]. Le principe de relativit´e affirme en toute g´en´eralit´e que la formulation des lois de la physique est ind´ependante du r´ef´erentiel d’inertie auquel on se r´ef`ere. Le terme « relativit´e » a prˆet´e `a confusion durant des d´ecennies. Il serait faux de citer en exemple la th´eorie de la relativit´e pour illustrer un relativisme moral. Dans un langage imag´e, le principe de relativit´e revient `a affirmer qu’un trait´e de physique ´ecrit sur la base de faits exp´erimentaux observ´es dans un r´ef´erentiel d’inertie particulier peut ˆetre utilis´e pour pr´edire les r´esultats d’exp´eriences effectu´ees dans tout laboratoire attach´e `a n’importe quel autre r´ef´erentiel d’inertie. Le principe de relativit´e ressemble donc bien plus `a l’universalit´e de la d´eclaration des droits de l’homme qu’au relativisme moral.


R´ evolution conceptuelle : la relativit´ e

3.22.2

237

Vitesse de la lumi`ere

La notion selon laquelle la vitesse de la lumi`ere est la mˆeme dans tous les r´ef´erentiels d’inertie en translation les uns par rapport aux autres fut difficile a accepter dans le contexte de l’´epoque, bien que cette affirmation du principe ` de relativit´e ´etait d´ej` a confirm´ee par la tr`es c´el`ebre exp´erience de Michelson et Morley (fig. 3.72). interférences miroir

source

22.3

semi-miroir

Fig. 3.72 Sch´ema de principe de l’exp´erience de Michelson-Morley.

La Terre se d´eplace par rapport aux ´etoiles `a une vitesse de l’ordre de 10−4 fois la vitesse de la lumi`ere. Un rayon lumineux, s’il doit ˆetre pens´e comme une oscillation d’un ´ether luminif`ere qui occupe tout l’espace dans l’univers, a une vitesse de propagation diff´erente dans la direction du mouvement de la Terre par rapport ` a l’´ether que dans la direction perpendiculaire `a ce mouvement. L’exp´erience de Michelson et Morley avait pour but de d´etecter cette diff´erence. L’exp´erience montra que cette diff´erence ´etait inexistante.

Fig. 3.73 Bac a ` onde, si on se d´eplace par rapport au bac, la vitesse des vagues change.

Pour comprendre l’enjeu de cette exp´erience il est utile de commencer par rappeler ce qu’il se passe lorsque, par exemple, les ondes que forment les vagues se propagent ` a la surface de l’eau (fig. 3.73). Consid´erons deux r´ef´erentiels d’inertie R et R0 . Le r´ef´erentiel R est immobile par rapport `a l’eau. Dans le r´ef´erentiel R l’onde que forme les vagues se propage `a la vitesse V onde . Le r´ef´erentiel R0 ´etant en translation `a la vitesse V par rapport au r´ef´erentiel R, 0 quelle est la vitesse de propagation V onde de cette onde dans le r´ef´erentiel R0 ? Il est facile de se convaincre que ces vitesses sont li´ees par la relation : 0 V onde = V onde − V


238

Mise en contexte historique et technique

En revanche, pour la lumi`ere les choses ne se passent pas ainsi. Imaginons par exemple une source de lumi`ere qui se d´eplace par rapport au r´ef´erentiel R` a une vitesse ´egale ` a 0,9 fois la vitesse de la lumi`ere not´ee c. Dans un r´ef´erentiel R0 attach´e ` a cette source de lumi`ere, on mesurerait la mˆeme vitesse de propagation c ([91], [92]). Exemple 3.4 La figure 3.74 donne la description d’une exp´erience d’auditoire qui permet une mesure approximative de la vitesse de la lumi`ere. vitesse de la lumière 5m réglette q

Laser

22.3

w

7.5 m

lentille f 5 m

réglette

miroir tournant

trajet retour trajet aller miroir plan

Fig. 3.74 Mesure de la vitesse de la lumi`ere. Dans cette exp´erience, la lumi`ere est en quelque sorte d´ecoup´ee par la rotation d’un miroir. Dans le temps qu’il faut pour que la lumi`ere r´efl´echie par le miroir rotatif passe a ` travers la lentille, se r´efl´echisse dans les deux autres miroirs et revienne (au total 4 fois 7,5 m`etres), le miroir a fait une rotation. De la d´eviation du faisceau r´efl´echi sur le miroir rotatif, on d´eduit le temps de parcours de la lumi`ere, donc sa vitesse.

Dans ses ´ecrits autobiographiques [93], A. Einstein a mis l’accent sur l’´emergence de la notion de champ. On peut constater dans le d´ebat historique sur la vitesse de propagation de la lumi`ere `a quel point la propagation d’une onde lumineuse en l’absence de support mat´eriel en vibration a constitu´e une difficult´e conceptuelle.

3.23 3.23.1

Cin´ematique relativiste : v´erification exp´erimentale

Effet Doppler

A l’aide d’un bac ` a vagues, par exemple, on peut observer que la fr´equence d’une onde mat´erielle d´epend de la vitesse de sa source par rapport au milieu,


Cin´ ematique relativiste : v´ erification exp´ erimentale

239

ainsi que de la vitesse du d´etecteur par rapport `a ce mˆeme milieu. Qu’en est-il s’il s’agit de la lumi`ere ? Pour ´eviter de faire appel `a la description math´ematique d’une onde, on consid`ere une source d’impulsions lumineuses, dont la fr´equence vaut ν0 quand elle est mesur´ee dans le r´ef´erentiel dans lequel cette source est au repos. C’est la fr´equence dite « propre » de la source. Notons τ0 la p´eriode correspondante de cette source. Quel que soit le r´ef´erentiel, l’impulsion lumineuse se propage ` a la vitesse de la lumi`ere. La source d’impulsions produit des ´ev´enements ` a intervalles r´eguliers, en un mˆeme endroit relativement `a ce r´ef´erentiel. Elle est donc assimilable `a une horloge. Si maintenant nous nous pla¸cons du point de vue d’un r´ef´erentiel dans lequel cette source se d´eplace `a la vitesse v, alors son rythme d’´emission sera donn´e par la p´eriode τ0 τ=p 1 − v 2 /c2 Pendant le temps τ qui s´epare deux impulsions, la source s’est d´eplac´ee d’une distance vτ . Disons que la source s’´eloigne de l’observateur `a la vitesse v sur un axe passant par l’observateur et la source. Alors, le temps entre deux impulsions re¸cues par l’observateur n’a pas simplement pour valeur τ , mais τ augment´e du temps qu’il faut `a la deuxi`eme impulsion pour parcourir la distance suppl´ementaire parcourue par la source apr`es l’´emission de la premi`ere de ces deux impulsions. Par cons´equent la p´eriode per¸cue par l’observateur est donn´ee par τv v T =τ+ =τ 1+ c c Dans cette d´erivation on voit que le second facteur r´esulte de simples consid´erations cin´ematiques. Le mˆeme facteur apparaˆıt dans la d´erivation de l’effet Doppler pour une onde mat´erielle. La partie « relativiste » de l’effet se manifeste dans la diff´erence entre le temps τ et le temps propre τ0 . On notera que, dans le cas classique, si la source se d´eplace avec une vitesse qui est orthogonale au vecteur de position de la source relativement `a l’observateur, il n’y a pas d’effet Doppler. En revanche, il y a un effet Doppler transverse dans le cas relativiste ! De la formule qui fournit la p´eriode, on d´eduit facilement celle qui fournit la fr´equence observ´ee ν par rapport au mˆeme r´ef´erentiel. Elle s’´ecrit s p 1 − v 2 /c2 1 − v/c ν = ν0 = ν0 (3.25) (1 + v/c) 1 + v/c Si la source se rapproche au lieu de s’´eloigner, il suffit alors de changer le signe de la vitesse v dans la formule pr´ec´edente. 3.23.2

L’effet M¨ ossbauer

En 1959, M¨ ossbauer a publi´e un article dans lequel il montre comment constituer une « horloge » susceptible de d´etecter une d´eviation de fr´equence correspondant ` a un battement tous les mille milliards de battements [94]. Pour la d´ecouverte de l’effet qui porte son nom, M¨ossbauer re¸cut le prix Nobel. L’effet


240

Mise en contexte historique et technique

M¨ ossbauer permet de v´erifier plusieurs pr´edictions de la th´eorie de la relativit´e restreinte et g´en´erale [95]. Il fournit aussi une technique spectroscopique de caract´erisation ` a l’´echelle atomique des mat´eriaux magn´etiques [96]. Imaginons d’abord que nous voulons comparer deux horloges qui battent `a une fr´equence typique d’un pendule, disons de 15 de seconde. Nous voulons mesurer une diff´erence de l’ordre de 1 battement sur mille milliards de battements. Supposons que notre instrumentation est telle que nous pouvons d´etecter une diff´erence de marche entre les deux horloges de l’ordre d’un dixi`eme de battement. Nos deux horloges devraient alors battre 1011 battements pour qu’on d´etecte leur diff´erence de marche. Cela reviendrait `a une attente beaucoup trop longue. Il faut donc utiliser des horloges plus rapides. Les noyaux des atomes fournissent de telles horloges. En effet, ceux-ci peuvent ˆetre vus comme des gouttes liquides vibrant `a des fr´equences propres (des modes propres de vibration) tr`es bien d´efinies. Quand ces gouttes charg´ees ´electriquement vibrent, elles ´emettent des rayons gamma. La fr´equence typique des rayons gamma est de 1018 Hz. La « dur´ee d’´emission » (la dur´ee de vie) de certains noyaux peut ˆetre grande. En d’autres termes, ces derniers poss`edent des modes vibratoires propres pr´esentant un facteur de qualit´e Q tr`es ´elev´e. Cela revient ` a dire que la r´esonance intrins`eque (la largeur de raie) est extrˆemement ´etroite. Un grand avantage technique d´ecoule de la parfaite identit´e de ces modes propres entre les noyaux de mˆeme type. De plus, les noyaux sont tr`es prot´eg´es des influences ext´erieures, en particulier par le nuage ´electronique qui les entoure. Mais comment compter les oscillations d’un signal ayant de telles fr´equences ? Aucun appareil de mesure existant ne pourrait le faire ! Le stratag`eme le permettant n´eanmoins est le suivant (fig. 3.75).

v (t)

57Co

57Fe

Fig. 3.75 Une source contient des atomes de Co qui ´emettent un rayonnement ´electromagn´etique γ avec une fr´equence extrˆemement bien d´efinie. Le blindage trou´e assure la formation d’un faisceau. Une cible absorbe cette fr´equence du spectre ´electromagn´etique.

La source de rayonnement est mise en pr´esence d’un d´etecteur comportant des noyaux qui absorbent le rayonnement, tr`es exactement `a la fr´equence du rayonnement produit par la source. Quand il y a r´esonance entre les noyaux ´emetteurs et les noyaux r´ecepteurs, les noyaux r´ecepteurs absorbent le rayonnement ´emis. Les rayons gamma qui sont `a la fr´equence de r´esonance de la cible (l’absorbeur) sont absorb´es, puis r´e´emis dans toutes les directions. Il suffit


Dynamique relativiste : v´ erification exp´ erimentale

241

intensité transmise par l’absorbeur

alors d’observer ou bien l’absorption, ou bien la r´e´emission de ces rayons. L’effet Doppler est la manifestation du fait que la fr´equence apparente de la source change sous l’effet de son mouvement (fig. 3.76 ; [97]). Ceci permet d’observer l’ensemble du spectre d’absorption de la cible. Cette m´ethode de d´etection est si sensible que l’effet Doppler obtenu par des d´eplacements de la source `a des vitesses de quelques mm/s suffit `a couvrir la raie d’absorption du fer. 150 145

23.3

140 135 -10 -8

-6

-4

-2 0 2 -4 vitesse (mm/s)

6

8

10

Fig. 3.76 La spectroscopie M¨ ossbauer est suffisamment sensible pour d´etecter la structure du spectre d’absorption du noyau de Fe provenant des perturbations dues aux propri´et´es magn´etiques du nuage ´electronique a ` l’endroit des noyaux.

Quelles sont les limites de sensibilit´e qu’on peut ainsi esp´erer obtenir ? Il faut d’abord un temps de vie assez long. Si on veut une pr´ecision de 1 sur 1012 battements ` a la fr´equence de 1018 Hz, il faut une demi-vie de l’ordre de 10−6 s. C’est le cas de plusieurs noyaux, en particulier le 57 Fe, dont la demi-vie est de 10−7 s. Il faut encore noter que le processus d’´emission de photons par le noyau implique en principe un recul de ce noyau. Ce recul est responsable d’un changement (on dit d’un d´eplacement) consid´erable de la fr´equence d´etect´ee, parce que le noyau est en mouvement par rapport au d´etecteur. Ce d´eplacement de fr´equence dˆ u au mouvement du noyau est consid´erable en ce sens qu’il provoque un d´eplacement de la fr´equence grand compar´e `a la largeur de la r´esonance. Le d´eplacement de la fr´equence dˆ u `a la vitesse de recul du noyau est de l’ordre de 100 000 fois la largeur de la raie d’´emission ´evoqu´ee pr´ec´edemment. M¨ ossbauer fut le premier `a montrer qu’en pla¸cant des atomes dont les noyaux sont radioactifs (en l’occurrence il s’agissait d’iridium 191) dans un r´eseau cristallin refroidi ` a une tr`es basse temp´erature, il y avait une probabilit´e non n´egligeable que les noyaux produisent des ´emissions de rayonnement sans vitesse de recul.

3.24 3.24.1

Dynamique relativiste : v´erification exp´erimentale

Energie cin´etique

La relation (1.90) entre l’´energie cin´etique et la vitesse a ´et´e v´erifi´ee exp´erimentalement pour des ´electrons (fig. 3.77 ; [98]).


242

Mise en contexte historique et technique

champ électrique A

cathode chaude

B

thermocouple

oscilloscope

Fig. 3.77 Des ´electrons sont acc´el´er´es, leur vitesse est mesur´ee en d´etectant leur passage en A et B, leur ´energie est d´etect´ee en tant que chaleur d´epos´ee en B.

Un d´etecteur est calibr´e pour convertir sa r´eponse (typiquement, un ´echauffement) en ´energie cin´etique T . Deux d´etecteurs d´eterminent le temps de passage entre eux, ce qui fournit la vitesse v. On voit que pour des ´energies suffisantes, de l’ordre du MeV, il y a une tr`es nette d´eviation de la pr´ediction classique T = 12 mv 2 (fig. 3.78). 16

v2 (1020 cm2/s 2)

14 12

2––– T m

10 8 6 4 2 0

0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 4.0 4.5 T (MeV )

Fig. 3.78 Un graphe des donn´ees d’´energie en fonction du carr´e de la vitesse montre que la pr´ediction classique n’est clairement pas observ´ee. Unit´e : l’´electron-volt

Il est fr´equent de mesurer des ´energies en eV (on dit simplement « eV »), en MeV (m´ega´electronvolts) ou GeV (giga´electronvolts). Un eV est l’´energie d’un ´electron soumis ` a une tension ´electrique de 1 volt. Comme la charge de l’´electron vaut environ 1,6 × 10−19 Coulomb, la conversion entre eV et joule est donn´ee par la r`egle 1 eV = 1,6 × 10−19 J. 3.24.2

Masse d’un syst`eme

Le concept d’´energie n’est pas de la mˆeme nature que le concept de masse, contrairement ` a ce que certains pr´etendent, faisant r´ef´erence `a la relation E = mc2 . L’´energie joue le rˆ ole de quatri`eme composante (de composante « temps »


243

Dynamique relativiste : v´ erification exp´ erimentale

comme on dit parfois) de la quadri-quantit´e de mouvement. La valeur de cette quatri`eme composante d´epend du r´ef´erentiel adopt´e. La masse, quant `a elle, ne d´epend pas du choix du r´ef´erentiel, c’est une constante dynamique [99]. Exemple 3.5 La figure 3.79 repr´esente le quadri-vecteur ´energie-quantit´e de mouvement pour une particule de masse 20 (en unit´e de mc2 ) par rapport au r´ef´erentiel o` u la particule est au repos ainsi que par rapport `a deux autres r´ef´erentiels. La quantit´e de mouvement de la particule relativement `a ces r´ef´erentiels est exprim´ee par le produit de cette quantit´e de mouvement avec la vitesse de la lumi`ere, donc elle est donn´ee par pc. E

E 101

E

m = 20 52 20

m = 20

m = 20 pc

-99

pc

pc

48

Fig. 3.79 Une quantit´e de mouvement vue dans trois r´ef´erentiels : la masse est un invariant relativiste. Tous les axes sont en unit´e d’´energie.

Lors d’une collision entre particules ou lors d’une d´esint´egration, la quantit´e de mouvement (quadri-vecteur) est conserv´ee et par cons´equent sa « norme » l’est aussi. Il est important de noter que dans cette nouvelle dynamique les ´energies de mˆeme que les quantit´es de mouvement (tri-vecteur) s’additionnent alors que les masses ne s’additionnent pas ! En fait la masse effective d’un syst`eme form´e d’un ensemble de particules n’est autre que la « norme » du quadri-vecteur quantit´e de mouvement totale de ce syst`eme. Pour pr´eciser cela consid´erons un syst`eme form´e d’un ensemble de points mat´eriels de masses mα de quantit´es de mouvement (tri-vectorielles) pα . Le quadri-vecteur d’´energie-quantit´e de mouvement totale P est donn´e par P =

X α

et P 4 =

X α

p0α =

1X Eα c α

Si l’on assimile ce syst`eme form´e de particules `a un syst`eme d’´energiequantit´e de mouvement P alors, par analogie avec la condition de masse (1.85), on est amen´e ` a lui attribuer une masse M donn´ee par l’expression : v !2 !2 u X X 1 u t M= 2 Eα − c2 pα (3.26) c α α


244

Mise en contexte historique et technique

La masse de ce syst`eme form´e de plusieurs particules est alors une fonction d’´etat du syst`eme, donc une fonction des ´energies-quantit´e de mouvement pα de ces particules. Ainsi un changement de masse M est associ´e `a un changement d’´energie interne du syst`eme. Dans la limite o` u les vitesses (relatives) des particules sont bien plus petites que celle de la lumi`ere on peut donc conclure que, dans le r´ef´erentiel centre de masse v !2 u !2 2 X X 1 u p t α M≈ 2 mα c2 + − c pα c 2mα α α ≈

X α

mα +

1 X p2α c2 α 2mα

Quand toutes les masses sont au repos (c.-`a-d. ont des vitesses relatives nulles) dans un r´ef´erentiel, la masse M n’est autre que la masse totale : X M0 = mα α

Exemple 3.6 On consid`ere 1 gramme d’eau. Selon les d´eveloppements qui pr´ec´edent l’´energie de cette eau au repos vaut mc2 = 9 × 1013 J. Si cette eau est chauff´ee de 0 ` a 100 degr´es centigrades, l’´energie thermique ajout´ee a pour valeur 418 joules. L’accroissement de masse pr´evu ne vaut donc que 4,6 × 10−12 g. Une variation de masse si petite est impossible `a d´etecter.

Exemple 3.7 Consid´erons alors l’´energie d’une r´eaction chimique. Si 1 g de charbon est brˆ ul´e avec 2,7 g d’oxyg`ene, 3,7 g de CO2 sont form´es. L’´energie thermique fournie par la r´eaction est de 34 000 J. Puisque l’´energie produite est ´evacu´ee par rayonnement, la masse du CO2 produit doit ˆetre inf´erieure `a la somme des masses des atomes de carbone et d’oxyg`ene d’une quantit´e 34 000 J/c2 , soit 3,8 × 10−10 g. Il s’agit de nouveau d’une variation de masse qui ´echappe a toute possibilit´e de d´etection. `

Exemple 3.8 Les ´energies mises en jeu dans les r´eactions nucl´eaires sont de plusieurs ordres de grandeurs sup´erieures `a celles qui interviennent dans les processus chimiques. Si un gramme d’uranium subit une fission de tous ses noyaux, l’´energie d´egag´ee est de 7,6 × 1010 J. Dans ce cas, la masse aura vari´e de presque 1 ppm (1 part par million, soit 1/106 ).


Dynamique relativiste : v´ erification exp´ erimentale

245

Exemple 3.9 Les masses du proton et du neutron ont respectivement pour valeur 1,6726× 10−24 g et 1,6750×10−24 g. Cependant, la masse du deut´eron est de 0,0040× 10−24 g plus petite que la somme de ces deux masses ! Cette diff´erence de masse correspond ` a une ´energie de liaison de 2,23 MeV. C’est pr´ecis´ement l’´energie n´ecessaire pour dissocier le deut´eron en un neutron et un proton. Il s’agit l` a d’un changement de masse de 0,24 %. Un tel changement de masse peut ˆetre d´etect´e par la spectrom´etrie de masse de haute r´esolution.

Exemple 3.10 Voici un autre exemple. Il s’agit du cas notoire des r´eactions nucl´eaires qui ont lieu au sein du Soleil o` u se produit la fusion de l’hydrog`ene en h´elium. Dans cette r´eaction quatre protons g´en`erent un noyau d’h´elium de la mani`ere suivante. L’interaction entre un ´electron e− et un proton p peut produire un neutron n et un neutrino ν : e− + p −→ n + ν Ainsi il peut se produire la r´eaction thermonucl´eaire suivante : 2e− + 4p −→ noyau He + 2ν + rayonnement γ Dans ce cas, la diff´erence entre la masse de quatre protons s´epar´es et celle du noyau d’h´elium vaut 26,7 MeV. Le proton a une masse de 1,67262 × 10−27 kg, celle du noyau d’h´elium est de 6,64648 × 10−27 kg. Or la masse des quatre protons vaut 6,69048 × 10−27 kg. De la masse a ´et´e convertie en ´energie, dont une partie est r´ecolt´ee sur Terre.

Exemple 3.11 La production d’´energie nucl´eaire par fission peut ˆetre comprise comme suit : imaginons qu’un noyau de masse M se d´ecompose en deux parties ´egales, de masse m0 . La conservation de la quantit´e de mouvement totale implique que ces deux parties ont la mˆeme ´energie cin´etique. Les collisions avec la mati`ere environnante ralentit ces parties jusqu’`a l’arrˆet. A ce point, le bilan ´energ´etique des particules ne comporte que leurs ´energies au repos. Finalement, l’´energie ∆E produite par cette fission est donn´ee par ∆E = (M − 2m0 ) c2 .



Joseph Louis Lagrange, 1736-1832

« N´e et ´elev´e ` a Turin, il devient professeur de math´ematique `a l’Ecole d’Artillerie de Turin ` a 19 ans. En tant que successeur d’Euler `a Berlin (ce dernier ´etant appel´e ` a Saint Petersburg), il y travaille pendant 20 ans. En 1787, il s’installe a Paris et, d`es 1795, il enseigne `a l’Ecole Normale et `a Polytechnique. Il fut un ` excellent p´edagogue et, par ses propres œuvres aussi bien que par ses livres, il devint un mod`ele pour les g´en´erations de scientifiques `a venir. » [1]



Chapitre 4

Le formalisme de Lagrange 4.1

Introduction historique

En observant une toupie en rotation rapide, on est tent´e de se demander pourquoi elle ne tombe pas. On pourrait r´epondre en expliquant que le moment de la force de la pesanteur est horizontal, donc que la pesanteur impose un mouvement de pr´ecession, etc. En fait, ici comme toujours, la science ne r´epond pas ` a la question pourquoi, mais elle propose une repr´esentation de ce qui est observ´e. Si on a le sentiment que cette repr´esentation est une explication, c’est parce qu’elle d´ecoule logiquement de principes fondamentaux. L’explication est d’autant plus satisfaisante que les lois invoqu´ees sont f´ed´eratrices d’un ensemble toujours plus grand de ph´enom`enes. D`es la fin du xviie si`ecle commence la recherche de causes premi`eres, de principes minimaux qui suffisent `a d´eduire toutes les lois de la m´ecanique. Les physiciens du xviiie si`ecle se livrent `a une r´eflexion philosophique et d´eveloppent de nouveaux concepts math´ematiques. La m´ecanique rencontrant un tel succ`es, ils se demandent s’il faut y voir une circonstance particuli`ere ou s’il y a une cause profonde ` a trouver. D’Alembert, co-´editeur avec Diderot de l’Encyclop´edie, cherche ` a ´eliminer le recours `a la notion de forces dans la m´ecanique. De nos jours, ce projet a abouti : en physique quantique, les interactions sont d´ecrites par des potentiels, en physique statistique, les effets de frottement ou de viscosit´e sont d´ecrits par des fonctions de corr´elations. D’Alembert veut d´eduire les principes de la m´ecanique de notions plus ´el´ementaires, avec l’espoir que cette d´emarche r´eductrice permette d’´etendre le domaine d’application de la m´ecanique. Il met fin au d´ebat sur les « forces vives », ` a savoir si la « force » des corps en mouvement est proportionnelle au produit de la masse fois la vitesse ou la vitesse au carr´e. Il d´eclare cette notion inutile et il n’y conc`ede une place que dans son Discours pr´eliminaire : « Je ne crois pas n´eanmoins devoir passer enti`erement sous silence une opinion, dont Leibniz a cru pouvoir se faire honneur comme d’une d´ecouverte ; que le grand Bernouilli (fig. 4.1) a depuis si savamment et si heureusement


250

Le formalisme de Lagrange

approfondie ; que Mac-Laurin a fait tous ses efforts pour renverser ; et `a laquelle enfin les ´ecrits d’un grand nombre de math´ematiciens illustres ont contribu´e `a int´eresser le public. » [100]

Fig. 4.1 La dynastie Bernoulli. La famille Bernoulli a constitu´e, d`es le xviie si`ecle, une v´eritable dynastie de math´ematiciens originaires d’Anvers qui ´emigra a ` Bˆ ale, en Suisse. Jean, ou Jean 1er , ´etait m´edecin, physicien et professeur de Leonhard Euler. Il d´eveloppa le calcul diff´erentiel et int´egral. C’est a ` lui qu’on doit la notation g pour d´esigner l’acc´el´eration de la pesanteur.

La m´ecanique du xviiie si`ecle fournira une description du mouvement sous la forme d’un principe d’extremum. Fermat, au xviie si`ecle, avait ´enonc´e un tel principe pour la propagation de rayons lumineux. Il avait montr´e que la loi de r´efraction de la lumi`ere pouvait ˆetre obtenue en minimisant le temps de parcours de la lumi`ere entre deux points donn´es. Ce genre de description d’un ph´enom`ene naturel est tr`es diff´erent de l’approche de Newton. Avec Newton, on stipule qu’un changement `a tout instant des propri´et´es cin´ematiques est caus´e par l’effet d’une force appliqu´ee. Avec un principe d’extremum qui caract´erise l’ensemble du mouvement, la question survient de l’interpr´etation du principe : comment la lumi`ere choisit-elle son chemin ? Faut-il invoquer une cause finale ? Vu l’´emergence de tels principes dans les formulations avanc´ees de la physique quantique, Feynman reprendra ce d´ebat dans ses cours de physique g´en´erale [101]. Maupertuis (1698-1759) cherche `a ´etendre le principe de Fermat aux corps en mouvement. L’inspiration de sa d´emarche est de nature m´etaphysique. Les id´ees de Fermat sur le mouvement de la lumi`ere avaient re¸cu de Leibniz une couleur th´eologique. Ernest Mach, dans son trait´e de m´ecanique [102], signale qu’on trouve dans la correspondance de Leibniz avec Jean Bernoulli des questions th´eologiques au milieu de dissertations math´ematiques. Leur langage est souvent imag´e d’expressions tir´ees de la Bible. Leibniz ´ecrit, par exemple, que le probl`eme de la brachistochrone le tente comme la pomme a tent´e Eve. On verra ce probl`eme au paragraphe 4.4.1. Les id´ees de Maupertuis sont ´elabor´ees par Euler qui, s’´etant beaucoup int´eress´e aux propri´et´es extr´emales de courbes math´ematiques, parvient ` a formuler un principe d’extremum de la grandeur : R P2 mv ds. P1


La m´ ethode de Lagrange

251

J. L. Lagrange [103] s’inspire de la version du principe de moindre action dans la forme exprim´ee par Euler dans son Trait´e des Isop´erim`etres, imprim´e a Lausanne en 1744 [103, 2e partie, no 17]. Euler ne consid`ere que des corps ` isol´es. Lagrange parvient ` a g´en´eraliser ce principe `a des syst`emes soumis `a des forces ext´erieures. « On peut voir, dans le tome II des M´emoires de Turin, dit Lagrange, l’usage que j’en fait pour r´esoudre plusieurs probl`emes difficiles de dynamique. » L’historien Dugas rappelle que l’histoire des sciences, mˆeme restreinte au d´eveloppement de la m´ecanique, foisonne de d´etours, d’interf´erences entre courants d’intuition a priori divergents ou mˆeme oppos´es [104]. Ces m´eandres r´ev`elent les difficult´es profondes de la recherche et la cr´eation d’un ´edifice rationnellement organis´e. « Apr`es Lagrange, c’est-`a-dire apr`es tous les efforts d’organisation des m´ecaniciens du xviiie si`ecle, ce stade d’´elaboration est atteint pour la m´ecanique », conclut Dugas. « Il durera jusqu’`a ce que les n´ecessit´es de la physique relativiste et quantique viennent ´ebranler l’´edifice classique. »

4.2 4.2.1

La m´ethode de Lagrange 25.1

Principe de d’Alembert

On cherche ` a d´eterminer les ´equations du mouvement d’un syst`eme m´ecanique soumis ` a des contraintes. Le syst`eme est compos´e de N points mat´eriels dont les positions sont donn´ees par r α , α = 1, . . . , N , soumises `a des contraintes qui peuvent s’exprimer sous la forme d’un ensemble de k ´equations du type : f1 (r 1 , r 2 , . . . , r N , t) = 0 f2 (r 1 , r 2 , . . . , r N , t) = 0 .. .

(4.1)

fk (r 1 , r 2 , . . . , r N , t) = 0 Avec k contraintes, on a k ´equations de ce type. On peut en principe r´esoudre pour k des variables en fonction des 3N − k autres. Ainsi, le syst`eme a n = 3N − k variables ind´ependantes. Il peut s’agir d’une combinaison de coordonn´ees cart´esiennes, d’angles et mˆeme d’abscisses curvilignes. On les d´esignera comme des coordonn´ ees g´ en´ eralis´ ees (q1 , . . . , qn ). Les qi peuvent varier de fa¸con ind´ependante. On dit que le syst`eme a n degr´ es de libert´ e et on appelle n le nombre de degr´ es de libert´ e du syst`eme. Il est important en m´ecanique analytique de bien saisir cette notion du nombre de degr´es de libert´e. En voici quelques exemples : • • •

un point mat´eriel sur un cˆone : 2 degr´es de libert´e ; un point mat´eriel sur un cˆone et reli´e au sommet par une barre rigide : 1 degr´e de libert´e ; un cylindre roulant sans glisser le long d’un plan inclin´e : 1 degr´e de libert´e ;


252 • • •

Le formalisme de Lagrange

le mˆeme cylindre, mais glissant : 2 degr´es de libert´e ; deux points mat´eriels astreints `a se d´eplacer sur un cercle en maintenant une distance constante entre eux : 1 degr´e de libert´e ; une barre oscillant autour de son centre avec un pendule `a chaque bout, tous les mouvements restant dans un plan vertical : 3 degr´es de libert´e.

Soit (q1 , . . . , qn ) les n coordonn´ees g´en´eralis´ees. La position de chaque point mat´eriel du syst`eme peut ˆetre exprim´ee en fonction de ces n coordonn´ees : r 1 = r 1 (q1 , q2 , . . . , qn , t) r 2 = r 2 (q1 , q2 , . . . , qn , t) .. .

(4.2)

r N = r N (q1 , q2 , . . . , qn , t) Il y a N ´equations vectorielles de ce type. S’il n’y a pas de d´ependance explicite du temps, on ´ecrit : r α = r α (q1 , q2 , . . . , qn )

α = 1, . . . , N

On introduit maintenant les d´eplacements virtuels compatibles avec les contraintes au temps t. Ce sont les d´eplacements (δr 1 , . . . , δr N ) que l’on peut imposer au syst`eme en tenant compte des liaisons telles qu’elles existent au temps t. Ils sont distincts des d´eplacements infinit´esimaux r´eels. En effet, le d´eplacement virtuel compatible avec la contrainte est par d´efinition le long de la surface ou la ligne d´efinissant la contrainte au temps t. En revanche, la vitesse est tangente ` a la trajectoire. Si la contrainte a une d´ependance explicite en temps, la trajectoire n’est pas forc´ement tangente `a la surface ou `a la ligne d´efinissant la contrainte. Exemple 4.1 La trappe Une trappe s’ouvre de fa¸con contrˆol´ee (fig. 4.2), donn´ee par l’´evolution de l’angle θ(t) = at. y x q (t) s

dr

dr

Fig. 4.2 Le d´eplacement virtuel compatible avec les contraintes δr(t) se distingue du d´eplacement infinit´esimal dr quand les contraintes d´ependent explicitement du temps. Ici, un bloc glisse sur une trappe qui s’ouvre.


253

La m´ ethode de Lagrange

Le nombre de degr´e de libert´e est n = 1. On choisit comme coordonn´ee g´en´eralis´ee le d´eplacement s sur la trappe, avec s = 0 `a la charni`ere. Les coordonn´ees cart´esiennes du point et leurs d´eriv´ees sont ∂x = cos(at) ∂s ∂y = − sin(at) ∂s

x = s cos(at) y = −s sin(at)

∂r Comme ∂r eplacement compa∂s est tangent au support, δr = ds ∂s est un d´ tible avec la contrainte ` a l’instant t. A cause du mouvement de la trappe, la vitesse et le d´eplacement infinit´esimal r´eel dr = v dt ne sont pas parall`eles a la trappe ! `

On va maintenant utiliser la notion de d´eplacement virtuel compatible avec les contraintes pour d´egager une ´equation d’´evolution du syst`eme qui ne contienne plus les forces de contraintes. D’une mani`ere g´en´erale, pour un point mat´eriel sujet ` a un ensemble de forces dont la somme vaut F tot , on a F tot =

dp dv =m dt dt

F tot − m

ou

dv =0 dt

On d´ecompose les forces en des forces de contraintes F cont et la somme des autres forces F : F tot = F cont + F . Soit δr un d´eplacement virtuel compatible avec les contraintes. On a dv F + F cont · δr − m · δr = 0 dt On suppose que les contraintes sont parfaites, c’est-`a-dire que les forces de contraintes ne travaillent pas : F cont · δr = 0 Il reste ainsi

F −m

dv dt

(4.3)

δr = 0

(4.4)

L’´equation (4.4) est connue sous le nom de principe de d’Alembert (fig. 4.3). Si le syst`eme est constitu´e de plusieurs points mat´eriels, ´enum´er´es par l’indice α, on ´ecrit X dv α F α − mα · δr α = 0 (4.5) dt α 4.2.2

Equations de Lagrange

L’´equation du mouvement mise sous la forme (4.5) permet d’´eliminer les forces de contraintes, mais elle introduit les d´eplacements virtuels compatibles


254

Le formalisme de Lagrange

Fig. 4.3 Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) [1]. D`es 1754, il est membre de l’Acad´emie Fran¸caise et, d`es 1772, il en est le secr´etaire g´en´eral. Il est l’un des auteurs de L’Encyclop´edie. Son « Discours pr´eliminaire » (1750) fut particuli`erement not´e.

avec les contraintes. On va maintenant exprimer ceux-ci en termes de coordonn´ees g´en´eralis´ees. On consid`ere des changements infinit´esimaux δqj , j = 1, . . . , n, des coordonn´ees g´en´eralis´ees. Les d´eplacements virtuels compatibles δr α s’obtiennent de (4.2) : δr α = r α (q1 + δq1 , . . . , qn + δqn , t) − r α (q1 , . . . , qn , t)

(4.6)

Ainsi, on obtient pour les d´eplacements virtuels compatibles avec les contraintes a l’instant t : ` X ∂r α δr α = δqj (4.7) ∂qj j Exemple 4.2 On consid`ere un point astreint a` se d´eplacer sur une sph`ere de rayon R. En coordonn´ees sph´eriques :   R cos θ sin φ r =  R sin θ cos φ  R cos θ Les d´eplacements compatibles sont les vecteurs tangents `a la sph`ere. Ce ∂r sont des combinaisons lin´eaires de ∂r ∂θ et ∂ϕ .


255

La m´ ethode de Lagrange

Explicitons les d´eplacements virtuels dans le principe de d’Alembert (4.5). Des termes de forces, il vient N X Îą=1

F ι ¡ δr ι =

n X N X

n

Fι ¡

j=1 Îą=1

X ∂r Îą δqj = Qj δqj ∂qj j=1

avec des grandeurs Qj que nous appellerons forces g´ en´ eralis´ ees : Qj =

N X

Fι ¡

Îą=1

∂r Îą ∂qj

(4.8)

L’indice j d´enombre les degr´es de libert´e, l’indice Îą les particules. Les termes Qj δqj ont la dimension d’un travail, donc si δqj est un d´eplacement, Qj a la dimension d’une force ; et si δqj est un angle, Qj a la dimension d’un moment de force. Dans tout ce qui suit, il convient de traiter l’ensemble des coordonn´ees qi et leurs d´eriv´ees qË™i comme des variables ind´ependantes. L’espace qu’elles engendrent est appel´e espace de phase. Proposition 4.1

Pour un point mat´eriel : X d ∂ 1 dv ∂ 1 m ¡ δr = mv 2 − mv 2 δqj dt dt ∂ qË™j 2 ∂qj 2 j

´monstration. On veut exprimer pË™ ¡ δr en termes des coordonn´ees g´en´eDe ralis´ees. Ainsi on ´ecrit X ∂r pË™ ¡ δr = m¨ r ¡ δr = m¨ r¡ δqj ∂qj j X d ∂r d ∂r = mrË™ ¡ − mrË™ ¡ δqj dt ∂qj dt ∂qj j On peut simplifier en consid´erant l’expression de la vitesse tir´ee de (4.2) : v=

X ∂r ∂r q˙j + ∂qj ∂t j

(4.9)

Cette expression implique pour un point mat´eriel : ∂v ∂r = ∂ qË™j ∂qj On a de plus d dt

∂r(qi , . . . , qn ) ∂qj

X ∂2r ∂2r = q˙i + ∂qi ∂qj ∂qj ∂t i ( ) X ∂r ∂ ∂r ∂v = = q˙i + ∂qj ∂q ∂t ∂q i j i

(4.10)


256

Le formalisme de Lagrange

En r´esum´e :

d dt

∂r ∂qj

=

∂v ∂qj

(4.11)

Avec (4.10) et (4.11), on arrive `a la proposition annonc´ee : X d ∂v ∂v p˙ · δr = mv − mv δqj dt ∂ q˙j ∂qj j X d ∂ 1 ∂ 1 2 2 = mv − mv δqj dt ∂ q˙j 2 ∂qj 2 j

Exemple 4.3 Le sens des expressions utilis´ees dans cette d´emonstration peut ˆetre mieux per¸cu en consid´erant ` a nouveau l’exemple de la trappe. On a ∂r s cos(at) cos(at) s˙ cos(at) − sa sin(at) r= = v= −s sin(at) − sin(at) −s˙ sin(at) − sa cos(at) ∂s On note que d ∂r −a sin(at) = −a cos(at) dt ∂s

∂v = ∂s

∂v d ∂r −a sin(at) =⇒ = −a cos(at) ∂s dt ∂s

De plus, on a bien ∂v = ∂ s˙

∂r cos(at) = − sin(at) ∂s

Proposition 4.2 Equations de Lagrange. Pour un syst`eme de N points mat´eriels soumis ` a des contraintes, l’´evolution est d´ecrite par les ´ equations de Lagrange : d ∂T ∂T − = Qj (4.12) dt ∂ q˙j ∂qj o` u T est l’´energie cin´etique du syst`eme de points mat´eriels. ´monstration. L’extension de la proposition 4.1 `a un syst`eme de points De mat´eriels est imm´ediate. A la place de l’´energie cin´etique 12 mv 2 , on a l’´energie PN cin´etique totale T = α=1 12 mα v 2α . Le principe de d’Alembert (4.5) avec les d´eplacements virtuels exprim´es en termes des coordonn´ees g´en´eralis´ees (4.7) devient, compte tenu de la d´efinition (4.8) des forces g´en´eralis´ees : n X d ∂T ∂T − − Qj δqj = 0 (4.13) dt ∂ q˙j ∂qj j=1 pour tout δqj . On a ainsi l’expression du principe de d’Alembert en termes de coordonn´ees g´en´eralis´ees. Enfin, comme les δqj sont ind´ependants, il faut que chaque coefficient des δqj soit nul.


257

Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

Plusieurs types de forces peuvent ˆetre trait´es. On consid`ere d’abord le cas des forces conservatives. Ainsi, on suppose que les forces F α d´erivent d’un potentiel Vα : F α = −∇α Vα (r α ) Proposition 4.3 Equations de Lagrange, forces conservatives. Si toutes les forces sont conservatives, les ´equations de Lagrange peuvent s’´ecrire d ∂L ∂L − =0 (4.14) dt ∂ q˙j ∂qj o` u L = T − V est appel´e le lagrangien et V = ´monstration. De nition (4.8) : Qpot j

PN

α=1

Vα (r α ).

Les forces g´en´eralis´es s’obtiennent en partant de la d´efi N X 3 X ∂V (q1 , . . . , qn ) ∂Vα ∂xαi =− =− ∂xαi ∂qj ∂qj α=1 i=1

En r´esum´e : Qpot =− j

∂V ∂qj

(4.15)

Ainsi, les ´equations de Lagrange deviennent : d ∂T ∂ − (T − V ) = 0 dt ∂ q˙j ∂qj V ´etant fonction des positions, non des vitesses, on peut ´ecrire d ∂(T − V ) ∂ − (T − V ) = 0 dt ∂ q˙j ∂qj

4.3 4.3.1

Principes d’applications des ´equations de Lagrange

Exemples pour des forces conservatives

Quelques exemples du formalisme de Lagrange appliqu´e `a des syst`emes n’ayant que des forces conservatives illustrent les points suivants : •

L’exemple 4.4 montre que, pour un point mat´eriel astreint `a se d´eplacer sur une droite sous l’effet d’une force qui d´erive d’un potentiel, l’approche de Lagrange aboutit tout naturellement `a l’´equation du mouvement bien connue. L’exemple 4.5 illustre comment la m´ethode de Lagrange ´evacue la question des forces de contrainte.

25.2


258

Le formalisme de Lagrange

L’exemple 4.6 sugg`ere qu’un probl`eme avec des liaisons complexes se traite de la mˆeme mani`ere et avec la mˆeme facilit´e qu’un probl`eme plus simple.

L’exemple 4.7 montre comment aborder un probl`eme avec 2 degr´es de libert´e.

L’exemple 4.8 d´emontre que tout mouvement de faible amplitude autour d’un ´equilibre stable doit ˆetre celui l’oscillateur harmonique.

L’exemple 4.9 introduit la notion selon laquelle prendre la limite quand un param`etre physique tend vers z´ero peut ne pas donner le mˆeme r´esultat que si ce param`etre vaut exactement z´ero.

L’exemple 4.10 pr´esente une situation o` u le lagrangien est donn´e a priori, et on en d´eduit la forme de la trajectoire.

Le probl`eme 5.28 traite la dynamique des oscillateurs coupl´es par la m´ethode de Lagrange. Exemple 4.4 Un mouvement rectiligne Soit x la coordonn´ee rectiligne. Un point mat´eriel de masse m est sujet `a un potentiel V (x). Par d´efinition, le lagrangien est simplement : L=

1 mx˙ 2 − V (x) 2

L’´equation de Lagrange (4.14) invoque : ∂L ∂L = = mx˙ ∂ q˙ ∂ x˙ On voit qu’il s’agit de la quantit´e de mouvement. Il faut aussi calculer : ∂L ∂L ∂V = =− =F ∂q ∂x ∂x On voit donc apparaˆıtre la force ext´erieure agissant sur le point mat´eriel. Finalement l’´equation de Lagrange dans ce cas s’´ecrit simplement : d ∂L = m¨ x=F dt ∂ q˙

Exemple 4.5 Le pendule math´ematique Prenons l’angle d’oscillation comme coordonn´ee g´en´eralis´ee (fig. 4.4). L’´energie cin´etique s’obtient facilement et le lagrangien vaut L=T −V =

1 mr2 θ˙2 + mgr cos θ 2


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

259

Les ´equations de Lagrange invoquent les d´eriv´ees : ∂L = mr2 θ˙ ∂ θ˙

∂L = −mgr sin θ ∂θ

Il s’agit dans ce cas du moment cin´etique et du moment de la force de pesanteur, par rapport au point d’attache. Ici, l’´equation de Lagrange est celle qu’on d´eduirait du th´eor`eme du moment cin´etique.

q

r

mg

Fig. 4.4 Pendule math´ematique dans un plan vertical, un degr´e de libert´e.

Exemple 4.6 Point sur parabole Pour mettre en ´evidence l’efficacit´e de la m´ethode de Lagrange, on prendra en consid´eration un probl`eme de m´ecanique particulier [105] Un point mat´eriel de masse m est astreint `a se mouvoir le long d’un arc de parabole d’´equation y = bx2 . Le point mat´eriel subit la pesanteur, mais pas de friction. En m´ecanique newtonienne, voici comment on proc´edait. On supposait l’existence d’une force de liaison F exerc´ee par la parabole et qui en tout temps s’ajustait de fa¸con `a maintenir le point mat´eriel sur la parabole. y εˆ2 F

α α

εˆ1

mg 0

x

Fig. 4.5 Point mat´eriel pesant astreint a ` se d´eplacer sur une parabole.

F est perpendiculaire ` a la tangente `a la parabole. Par inspection de la figure 4.5, on a tan α = y 0 = 2bx. Projetons sur l’axe de vecteur unit´e εˆ2 tangent


260

Le formalisme de Lagrange

` la parabole, afin de trouver une ´equation du mouvement o` a u F n’apparaˆıt pas : cos α x ¨ x ¨ εˆ2 = a= = sin α y¨ 2bx˙ 2 + 2bx¨ x a · εˆ2 = x ¨ cos α + y¨ sin α = x ¨ cos α + 2bxx˙ + 2bx˙ 2 sin α La deuxi`eme loi de Newton implique : mg · εˆ2 = −mg sin α Alors il d´ecoule de cette projection de l’´equation de Newton : −g sin α = x ¨ cos α + y¨ sin α = x ¨ cos α + 2bxx˙ + 2bx˙ 2 sin α En regroupant les termes, il vient x ¨ 1 + 4b2 x2 + 4b2 xx˙ 2 = −2bgx On applique maintenant la m´ethode de Lagrange, en choisissant x comme coordonn´ee g´en´eralis´ee. On a V = +mgy

T =

1 m x˙ 2 + y˙ 2 2

Avec y = bx2 , il vient 2 i 1 h 2 m x˙ + 2bxx˙ 2 1 2 2 2 2 L = m x˙ + 4b x x˙ − mgbx2 2 ∂L = mx˙ 1 + 4b2 x2 ∂ x˙ ∂L = m4b2 xx˙ 2 − 2mgbx ∂x V = mgbx2

T =

Les ´equations de Lagrange impliquent x ¨ 1 + 4b2 x2 + x4b ˙ 2 2xx˙ − 4b2 xx˙ 2 + 2gbx = 0 ce qui est exactement le r´esultat pr´ec´edent.

Exemple 4.7 Pendule et deux ressorts Pour la situation d´ecrite par le sch´ema 4.6, on a V =

1 1 k(x − x0 )2 + k(x − x0 )2 − mgr cos θ 2 2


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

261

2x 0

k

x

k

q

r m

mg

Fig. 4.6 Pendule math´ematique de longueur r accroch´e a ` deux ressorts de longueur au repos x0 et de constante ´elastique k, maintenus horizontaux.

x0 est la position d’´equilibre. On a pris le cas particulier o` u la distance entre les deux points d’attache est ´egale `a deux fois la longueur au repos des ressorts, pour simplifier les expressions. La position de la masse est donn´ee par x + r sin θ −r cos θ La vitesse se d´eduit imm´ediatement comme x˙ + r cos θθ˙ +r sin θθ˙ Le lagrangien est ainsi : L=

2 2 i 1 h m x˙ + r cos θθ˙ + r sin θθ˙ + mgr cos θ − k(x − x0 )2 2

Il n’y a plus qu’` a calculer les d´eriv´ees : ∂L = m x˙ + r cos θθ˙ ∂ x˙

∂L = −2k(x − x0 ) ∂x

Les ´equations de Lagrange impliquent ainsi : m¨ x + mr cos θθ¨ − mr sin θθ˙2 + 2k(x − x0 ) = 0 Pour la variable θ : ∂L = −mxr ˙ θ˙ sin θ − mgr sin θ ∂θ ∂L = mr2 cos2 θ + mr2 sin2 θ θ˙ + mrx˙ cos θ ˙ ∂θ


262

Le formalisme de Lagrange

d’o` u mr2 θ¨ + mr¨ x cos θ + mgr sin θ = 0

Exemple 4.8 Petites oscillations En g´en´eral pour un syst`eme avec 1 degr´e de libert´e, on peut d´evelopper le potentiel autour d’une position d’´equilibre stable donn´ee par la coordonn´ee g´en´eralis´ee q0 : 1 V (q) = V (q0 ) + V 00 (q0 )(q − q0 )2 2 La stabilit´e implique : V 00 (q0 ) > 0. On peut ´ecrire en laissant tomber la constante V (q0 ) qui ne joue aucun rˆole dans la suite : V (q) =

1 k(q − q0 )2 2

o` u k = V 00 (q0 ). L’´energie cin´etique aura toujours la forme T (q) = 12 mq˙2 et par cons´equent le lagrangien est L=

1 1 mq˙2 − k(q − q0 )2 2 2

On op`ere un changement de variable : q − q0 = x

L=

1 1 mx˙ 2 − kx2 2 2

Il vient m¨ x + kx = 0

(4.16)

On obtient ainsi en toute g´en´eralit´e que les petites oscillations autour d’un point d’´equilibre constituent un oscillateur harmonique. S’il y a plusieurs degr´es de libert´e, alors on a un ensemble d’oscillateurs harmoniques . Selon la forme exacte de l’´energie cin´etique et du potentiel, il se peut que les oscillateurs soient coupl´es. Ce sujet est trait´e dans la section 5.6.

Exemple 4.9 Point mat´eriel attach´e `a un fil s’enroulant sur un cylindre immobile de rayon R On imagine que le mouvement a lieu sur une table `a air donc sans frottement ni effet de pesanteur (fig. 4.7). ˙ On demande θ(s) o` u s est la longueur du fil, s = |AP |. Soit T la force de r´eaction du fil. Si le cylindre est de rayon strictement nul, alors le moment de T par rapport au centre du cylindre est nul. La composante selon Oz du moment cin´etique LO du point mat´eriel est donc conserv´ee, c’est-`a-dire s2 θ˙ = constante


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

y m

263

P s q A q

0

x

R

Fig. 4.7 Masse attach´ee a ` un fil s’enroulant sur un cylindre.

On peut imaginer que l’on change la longueur du fil si celui-ci passe par un trou et s’il est possible de tirer sur le fil. Il y a alors une force ext´erieure qui travaille et l’´energie cin´etique du point mat´eriel n’est pas conserv´ee. En revanche, si R est non nul, T est normale `a la trajectoire du point mat´eriel, donc T ne travaille pas et l’´energie cin´etique est constante : ˙ 2 = constante (sθ) On peut analyser cette situation avec la m´ethode de Lagrange. Pour calculer l’´energie cin´etique, on part des coordonn´ees cart´esiennes. x = R cos θ − s sin θ y = R sin θ + s cos θ ˙ On cherche une L’enroulement du fil implique : s = `0 − Rθ → s˙ = −Rθ. expression des vitesses : x˙ = −R sin θθ˙ − s˙ cos θ − sθ˙ cos θ y˙ = R cos θθ˙ + s˙ cos θ − sθ˙ sin θ L’´energie cin´etique en d´ecoule : m m 2 T = x˙ + y˙ 2 = R2 θ˙2 + s˙ 2 + s2 θ˙2 + 2Rθ˙s˙ 2 2 m 2 m ˙ = Rθ + s˙ + s2 θ˙2 = s2 θ˙2 2 2 On applique la condition d’enroulement : m 2 s˙ 2 m s 2 T = s 2 = s˙ 2 R 2 R On op`ere un changement de variable : q = T =

mR2 2 2 mR2 0 q q˙ = T 2 2

s R,

alors q˙ =

s˙ R

:

avec T 0 = q 2 q˙2


264

Le formalisme de Lagrange

On peut ´ecrire l’´equation de Lagrange : d ∂T 0 ∂T 0 − =0 dt ∂ q˙ ∂q On obtient q¨ =

−q˙2 q

La forme de l’expression de l’´energie cin´etique montre que tout se passe comme si ` a chaque instant, la corde tournait autour du point de contact. Dans ce cas T ne travaille pas et l’´energie cin´etique doit ˆetre conserv´ee. En effet, on trouve 2 dT 0 −q˙ = 2q q˙3 + 2q 2 q˙q¨ = 2q q˙3 + 2q 2 q˙ =0 dt q

Exemple 4.10 Le pendule cyclo¨ıdal On cherche la forme d’une courbe telle que la fr´equence d’oscillation d’un point mat´eriel pesant glissant sans frottement sur la courbe, sous l’effet de la pesanteur, soit ind´ependante de l’amplitude. Il s’agit ici d’un nouveau type de probl`eme. On ne cherche pas l’´equation du mouvement pour des forces et des contraintes donn´ees. Au contraire, on impose le type de mouvement et on d´eduit les contraintes (4.1). Soit s la coordonn´ee curviligne sur la courbe. L’´energie cin´etique vaut en termes de l’abscisse curviligne : T =

1 ms˙ 2 2

Il faut que V = 12 ks2 pour avoir une ´equation du mouvement de la forme p m¨ s = −ks avec ω = k/m. Or V = mgy, o` u y est la coordonn´ee verticale de la courbe. On en tire 1 2 ks = mgy 2 r 2g √ s= y ω2 De plus ds2 = dx2 + dy 2 , donc s 2 ds dx = dy −1 dy

1 2 2 ω s 2g r ds 1 2g 1 = √ dy 2 ω2 y

y=

r

Z x=

dy

g −1 2ω 2 y


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

265

En faisant le changement de variable y = g(1 − cos ξ)/4ω 2 , on trouve x = g(ξ + sin ξ)/4ω 2 . C’est une cyclo¨ıde.

4.3.2

Grandeurs conserv´ees

De mˆeme qu’on a introduit une force g´en´eralis´ee, il convient de d´efinir une quantit´ e de mouvement g´ en´ eralis´ ee pj associ´ee `a chaque coordonn´ee g´en´eralis´ee qj , en posant ∂L pj = (4.17) ∂ q˙j Dans les exemples 4.4 et 4.5 du paragraphe 4.3.1, on obtient une ´equation qui stipule que la d´eriv´ee temporelle d’une quantit´e de mouvement g´en´eralis´ee est ´egale ` a une force g´en´eralis´ee. On dit d’une coordonn´ee qj qu’elle est cyclique si L ne d´epend pas de qj . Proposition 4.4 La quantit´e de mouvement g´en´eralis´ee pj associ´ee ` a la variable cyclique qj est une constante du mouvement. ´monstration. De d´epend pas de qj ,

Des ´equations de Lagrange (4.14), il vient, quand L ne d dt

∂L ∂ q˙j

=

d ∂L pj = =0 dt ∂qj

pj est donc constante.

Exemple 4.11 On consid`ere un point mat´eriel dans le champ de la pesanteur, un syst`eme d’axes cart´esiens Oxyz avec Oz vertical dirig´e vers le haut. Alors L = 1 2 2 mv + mgz, et on a ∂L ∂L = =0 ∂x ∂y Donc px = mvx et py = mvy sont constants.

Proposition 4.5 Conservation de la quantit´e de mouvement. On consid`ere un syst`eme de N points mat´eriels soumis uniquement ` a des forces qui d´erivent d’un potentiel V (x1 , . . . , xN ). On suppose que ce potentiel est invariant par rapport ˆ c’est-` aux translations dans la direction donn´ee par le vecteur unit´e n, a-dire que pour tout s : ˆ . . . , xN + s n ˆ V (x1 , . . . , xN ) = V x1 + s n, ˆ de la quantit´e de mouvement totale P est une grandeur Alors la projection P · n conserv´ee.


266

Le formalisme de Lagrange

Comme pour tout s : L x1 , . . . , xN , x˙ 1 , . . . , x˙ N , t = L x1 + s n ˆ , . . . , xN + s n ˆ , x˙ 1 , . . . , x˙ N , t

´monstration. De

on a

dL x1 + s n ˆ , . . . , xN + s n ˆ , x˙ 1 , . . . , x˙ N , t =0 ds On d´eveloppe alors la d´eriv´ee, compte tenu du fait que s n’intervient que dans les variables de position, en appliquant les ´equations de Lagrange (4.14) : N X 3 X dL x1 + s n ˆ , . . . , xN + s n ˆ , x˙ 1 , . . . , x˙ N , t ∂L 0= = ni ds ∂x αi α=1 i=1 ! N X 3 N X 3 N X X d ∂L d ∂T d X = ni = ni = mα x˙ α · n ˆ dt ∂ x˙ αi dt ∂ x˙ αi dt α=1 α=1 i=1 α=1 i=1 Il apparaˆıt dans le dernier terme la quantit´e de mouvement totale P =

N X

mα x˙ α

α=1

Proposition 4.6 Conservation du moment cin´etique. On consid`ere un syst`eme de N points mat´eriels soumis uniquement ` a des forces qui d´erivent d’un potentiel V (x1 , . . . , xN ). On suppose que ce potentiel est invariant par rapport aux rotations Rθ autour d’un axe passant par l’origine, d’orientation donn´ee par ˆ c’est-` un vecteur unit´e n, a-dire que pour tout θ : V (x1 , . . . , xN ) = V (Rθ x1 , . . . , Rθ xN ) ˆ du moment cin´etique total LO est une grandeur Alors la projection LO · n conserv´ee. ´monstration. On ´ecrit l’image de xα par la rotation Rθ en int´egrant De (1.7) par rapport au temps : R θ xα = xα + θ n ˆ ∧ xα De l’invariance par rotation Rθ pour tout θ, il vient dL x1 + θ n ˆ ∧ x1 , . . . , xN + θ n ˆ ∧ xN , x˙ 1 , . . . , x˙ N , t =0 dθ En d´eveloppant la d´erivation, il vient N X 3 X ∂L n ˆ ∧ xα i = 0 ∂xαi α=1 i=1

On applique ` a nouveau les ´equations de Lagrange (4.14), ce qui donne ! N X dL d = n ˆ· xα ∧ mα x˙ α =0 dθ dt α=1 apr`es avoir op´er´e des permutations cycliques dans le produit mixte.


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

267

Remarque. Si un syst`eme de point mat´eriel soumis uniquement `a des forces conservatives est invariant par rapport `a toute translation, on dit alors que l’espace est homog` ene et la propri´et´e 4.5 implique que la quantit´e de mouvement totale est une constante du mouvement. De mˆeme, si le syst`eme de points mat´eriels est invariant par rapport `a toute rotation autour de l’origine, on dit que l’espace est isotrope et la propri´et´e 4.6 implique que le moment cin´etique total LO est une constante du mouvement. La g´en´eralisation des deux propri´et´es ci-dessus `a d’autres sym´etries d´efinies par un param`etre continu est connue sous le nom de th´ eor` eme de Noether . Proposition 4.7 Conservation de l’´energie. ment du temps, la grandeur H=

n X

Quand L ne d´epend pas explicite-

pj q˙j − L

(4.18)

j=1

est une constante du mouvement. De plus, si les contraintes sont ind´ependantes du temps, alors H est ´egale ` a l’´energie T + V du syst`eme. ´monstration. De

On d´eveloppe   n dH d X ∂L  dL = q˙j − dt dt j=1 ∂ q˙j dt

Si L ne d´epend pas explicitement du temps, on a n

n

X ∂L dL X ∂L = q¨j + q˙j dt ∂ q˙j ∂qj j=1 j=1

(4.19)

De plus, compte tenu de la d´efinition (4.17) de pj et du fait que V ne soit pas fonction des q˙j , on obtient     n n n n X X X d X d ∂T ∂T d ∂L    pj q˙j = q˙j = q¨j + q˙j dt j=1 dt j=1 ∂ q˙j ∂ q˙j dt ∂ q˙j j=1 j=1 Vu les ´equations de Lagrange (4.14), les termes de dH a deux dt s’annulent deux ` dans (4.19) et (4.7). Si les contraintes sont ind´ependantes du temps, l’expression (4.9) des vitesses v α en termes des coordonn´ees g´en´eralis´ees donne pour l’´energie cin´etique T :  2 N n X 1X ∂r α T = mα  q˙j  2 α=1 ∂q j j=i


268

Le formalisme de Lagrange

Alors, en tenant compte de la d´efinition (4.17) de pj et du fait que V ne d´epende pas des qË™j , la grandeur H vaut   n N n n X X X X ∂T ∂r ∂r Îą Îą  H= qË™l − L = mÎą qË™j  qË™l − L ∂ qË™l ∂q ∂ql j Îą=1 j=1 l=1

l=1

= 2T − L = T + V 4.3.3

Autres forces g´en´eralis´ees

Force ´electromagn´etique

On veut pouvoir d´ecrire des syst`emes de points mat´eriels soumis `a une force ´electromagn´etique de la forme : 1 F = q E + (v ∧ B) (4.20) c On note par inspection de la d´erivation des ´equations de Lagrange (4.12) que chaque fois qu’une force g´en´eralis´ee peut s’exprimer sous la forme ∂U d ∂U Qj = − + (4.21) ∂qj dt ∂ qË™j on peut ´ecrire des ´equations de Lagrange sous la forme (4.14) avec le lagrangien L = T − U . Tel est le cas de la force (4.20) [106] si on pose U = qφ − qA ¡ v o` u A est le potentiel vecteur magn´etique (B = ∇ ∧ A) et E = âˆ’âˆ‡Ď†. En effet, en appliquant (4.21), la premi`ere composante cart´esienne de la force vaut âˆ‚Ď† ∂A dA1 +q ¡v−q ∂x1 ∂x1 dt ∂A ∂A1 ∂A1 ∂A1 = qE1 + q ¡v−q xË™ 1 + xË™ 2 + xË™ 3 ∂x1 ∂x1 ∂x2 ∂x3 ∂A2 ∂A3 ∂A1 ∂A1 = qE1 + q xË™ 2 + q xË™ 3 − q xË™ 2 − q xË™ 3 ∂x1 ∂x1 ∂x2 ∂x3

Q1 = −q

On reconnaˆĹt au premier terme la composante de la force associ´ee au champ E. Le deuxi`eme terme correspond `a la force de Lorentz qv ∧ B projet´ee sur l’axe Ox1 . En effet, ∂A2 ∂A1 ∂A1 ∂A3 [v ∧ B] ¡ e1 = v ∧ (∇ ∧ A) ¡ e1 = xË™ 2 − xË™ 2 − xË™ 3 + xË™ 3 ∂x1 ∂x2 ∂x3 ∂x1 Forces non conservatives

On ´ecrit les ´equations de Lagrange en y distinguant les forces Qpot qui j d´erivent du potentiel V et les autres : d ∂T ∂T − = Qpot + Qj j dt ∂ qË™j ∂qj


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

269

On a, vu la d´efinition (4.15) de Qpot avec L = T − V : j d dt

∂L ∂ q˙j

∂L = Qj ∂qj

(4.22)

Les Qj contiennent les contributions des forces non conservatives F α . Comment calculer Qj ? Une m´ethode consiste `a appliquer la d´efinition Qj =

X

F nc α

α

∂r α ∂qj

Dans cette expression, la somme s’effectue sur les points mat´eriels, et sur les forces appliqu´ees non conservatives. Une deuxi`eme m´ethode consiste `a calculer le travail des forces pour un d´eplacement infinit´esimal, qu’on exprime ensuite en termes des δqj : δW = [. . .] δq1 + [. . .] δq2 + · · ·

Exemple 4.12 On consid`ere ici ` a titre d’illustration une force de friction (mod`ele du frottement sec) d’un point mat´eriel pesant astreint `a se d´eplacer sur un plan inclin´e (fig. 4.8 ; [105]). y v

α 0

x

Fig. 4.8 Point mat´eriel astreint a ` se d´eplacer sur un plan inclin´e, avec frottement.

Le syst`eme a deux degr´es de libert´e. On prendra les coordonn´ees cart´esiennes d´efinies sur le plan inclin´e. Deux forces s’exercent sur ce point mat´eriel qui ne sont pas des forces de contraintes. Il y a le poids, mg, qui contribue ` a L. Le lagrangien vaut donc L=T −V =

1 1 mx˙ 2 + my˙ 2 − mgy sin α 2 2

Il y aussi un frottement pour lequel on veut une expression des forces g´en´eralis´ees. La force de frottement F est dirig´ee dans le sens oppos´e `a la vitesse et son module vaut |F | = µmg cos α


270

Le formalisme de Lagrange

Les forces g´en´eralis´ees non conservatives sont donc simplement : Fx = −µmg cos α p Fy = −µmg cos α p

x˙ x˙ 2 + y˙ 2 y˙

x˙ 2 + y˙ 2

Les ´equations de Lagrange dans leur forme (4.22) impliquent m¨ x = −µmg cos α p

x˙ x˙ 2

+ y˙ 2

m¨ y + mg sin α = −µmg cos α p

y˙ x˙ 2

+ y˙ 2

Forces de contraintes g´en´eralis´ees

Il est possible d’obtenir des ´equations de Lagrange qui incluent les forces g´en´eralis´ees correspondant aux forces de contraintes. On proc`ede de la mani`ere suivante. On s’imagine qu’on n’a pas cherch´e `a tirer profit des contraintes (4.1) pour exprimer les d´eplacements virtuels compatibles en termes du strict minimum de coordonn´ees g´en´eralis´ees ind´ependantes, c’est-`a-dire n. Au contraire, on suppose qu’on a gard´e n + k coordonn´ees g´en´eralis´ees, les n premi`eres ´etant ind´ependantes, les suivantes ´etant d´ependantes des premi`eres. En ins´erant (4.2) dans (4.1), on a les contraintes sous la forme : f1 (q1 , . . . , qn+k , t) = 0 .. .

(4.23)

fk (q1 , . . . , qn+k , t) = 0 Dans un d´eplacement infinit´esimal virtuel compatible avec les contraintes `a un instant t, les coordonn´ees g´en´eralis´ees qj changent en qj +δqj tout en satisfaisant les conditions fν (q1 + δq1 , . . . , qn+k + δqn+k , t) = 0

ν = 1, . . . , k

(4.24)

Par un d´eveloppement limit´e au premier ordre et compte tenu de (4.23), il vient n+k X j=1

∂fν δqj = 0 ∂qj

ν = 1, . . . , k

(4.25)

Le principe de d’Alembert (4.13) devient n+k X j=1

d dt

∂T ∂ q˙j

∂T − Qj δqj = 0 ∂qj

(4.26)


271

Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

´etant entendu que les δqj sont astreints aux conditions (4.25). On peut r´eduire a nouveau le probl`eme ` ` a n ´equations de Lagrange de la fa¸con suivante. On d´efinit k coefficients Rν par d dt

∂T ∂ q˙j

k

X ∂T ∂fν − Qj = Rν ∂qj ∂qj ν=1

j = n + 1, . . . , n + k

(4.27)

On peut alors traiter la sommation de j = n + 1 `a j = n + k dans (4.26) de la mani`ere suivante : n+k X j=n+1

d dt

∂T ∂ q˙j

k n+k X X ∂fν ∂T − Qj δqj = Rν δqj ∂qj ∂qj ν=1 j=n+1 =−

k X ν=1

n X ∂fν j=1

∂qj

δqj

o` u on a utilis´e (4.25) pour exprimer la somme de j = n + 1 `a n + k en termes de la somme de 1 ` a n. Ainsi le principe de d’Alembert (4.26) devient " # n k X X d ∂T ∂T ∂fν − − Qj − Rν δqj = 0 dt ∂ q˙j ∂qj ∂qj ν=1 j=1 Comme les n premiers δqj sont ind´ependants et arbitraires, on a n ´equations de Lagrange : k X d ∂T ∂T ∂fν − − Qj − Rν =0 (4.28) dt ∂ q˙j ∂qj ∂qj ν=1 Par la place que les termes en Rν occupent `a cˆot´e des Qj , il est clair qu’ils repr´esentent les forces de contraintes g´en´eralis´ees. En introduisant ces forces, on a introduit k inconnues de plus, mais les d´efinitions (4.27), qui ont la mˆeme forme que les ´equations de Lagrange (4.28), sont k ´equations du mouvement suppl´ementaires. On a donc au total n + k ´equations de Lagrange (4.28). Il y aussi les k relations (4.23) de contraintes qui lient les k coordonn´ees g´en´eralis´ees suppl´ementaires aux n coordonn´ees g´en´eralis´ees ind´ependantes. Pour ´eviter de surcharger la notation, on a pr´esum´e qu’on voulait chercher toutes les forces de contraintes. Il est possible de relˆacher seulement quelques contraintes, c’est-` a-dire de n’ajouter que quelques variables d´ependantes et trouver les forces de contraintes associ´ees. Exemple 4.13 Cylindre sur plan inclin´e Un cylindre creux, pesant, roule sans glisser sur un plan inclin´e d’un angle φ par rapport ` a l’horizontale (fig. 4.9). L’axe du cylindre est horizontal. Le syst`eme a 1 degr´e de libert´e, mais ici on va le traiter avec 2 coordonn´ees g´en´eralis´ees, la coordonn´ee cart´esienne x et l’angle θ. Il y a une ´equation de contrainte, qui d´ecoule de la condition de roulement sans glissement :


272

Le formalisme de Lagrange

rθ˙ − x˙ = 0. On peut facilement l’int´egrer et ´ecrire : f (x, θ) = rθ − x = 0. ∂f On a donc k = 1 avec ∂f e par ∂θ = r et ∂x = −1. Le lagrangien est donn´ L=

1 1 mr2 θ˙2 + mx˙ 2 + mgx sin φ 2 2

x

19.3

Fig. 4.9 Cylindre roulant sans glisser sur un plan inclin´e.

Alors les ´equations du mouvement sont ∂L d ∂L ∂f ∂L d ∂L ∂f − + =R − + =R ∂θ dt ∂ θ˙ ∂θ ∂x dt ∂ x˙ ∂x Il vient ainsi

mr2 θ¨ = Rr

m¨ x − mg sin φ = −R

On reconnaˆıt dans la premi`ere ´equation celle du th´eor`eme du moment cin´etique et dans la deuxi`eme, celle du centre de masse. Le coefficient R apparaˆıt ainsi comme la force de frottement qui assure le roulement sans glissement. Il y a trois inconnues, deux ´equations du mouvement et une ´equation de contrainte. Le probl`eme peut donc ˆetre r´esolu compl`etement. Forces assurant des contraintes sur les vitesses

Jusqu’ici, on a consid´er´e des contraintes qui peuvent ˆetre exprim´ees en termes des positions, sous la forme (4.1) ou (4.23). Ici, on consid`ere le cas de contraintes lin´eaires sur les vitesses. Ainsi, on suppose qu’on a n coordonn´ees g´en´eralis´ees soumises ` a k contraintes : n X

(ν)

(0)

Aj q˙j + Aj

=0

ν = 1, . . . , k

(4.29)

j=1 (ν)

o` u les coefficients Aj sont des fonctions de (q1 , . . . , qn , t). Par cons´equent, les d´eplacements virtuels compatibles avec les contraintes au temps t doivent satisfaire : n X (ν) Aj δqj = 0 ν = 1, . . . , k (4.30) j=1

On obtient des conditions sur les δqj de la forme (4.25). Par cons´equent, la mˆeme d´emarche s’applique que pour le cas pr´ec´edent, aboutissant `a n ´equations


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

273

de Lagrange : d dt

∂T ∂ q˙j

k

X ∂T (ν) − Qj − Rν Aj = 0 ∂qj ν=1

(4.31)

On a ajout´e k inconnues, les Rν , aux n coordonn´ees g´en´eralis´ees, mais on a aussi les k ´equations (4.29). Exemple 4.14 Un cylindre sur une feuille de papier Un cylindre est pos´e sur une feuille de papier horizontale (fig. 4.10). On tire la feuille avec une vitesse v d´ependante du temps. On cherche les ´equations du mouvement du cylindre en supposant qu’il y a roulement sans glissement. y

G

A

VG

F

x

Fig. 4.10 Deux cylindres sur feuille de papier, vue de profil.

R´esolution par la m´ethode de Newton. Ecrivons la vitesse angulaire comme ω = ω zˆ. La position du centre de masse sera donn´ee par la coordonn´ee x. La condition de roulement sans glissement s’exprime comme : v G + ω ∧ GA = v En composantes sur le rep`ere (G, x, y, z) cela donne x˙ x ˆ + ωR zˆ ∧ −ˆ y = vx ˆ c’est-` a-dire x˙ + ωR = v. Il y a une force F qui assure le roulement sans glissement. Le th´eor`eme du centre de masse impose : m¨ x = F . Le th´eor`eme du moment cin´etique impose IG ω˙ = RF . On peut ´eliminer F et garder x comme seule coordonn´ee : x ¨ = IG /(IG + mR2 ) v. ˙ R´esolution par la m´ethode de Lagrange. La condition de roulement sans glissement r´eduit le nombre de degr´e de libert´e `a 1 en g´en´eral. Cependant, la contrainte est donn´ee ici en termes des vitesses, et comme v n’est pas sp´ecifi´ee, on ne peut pas op´erer une int´egration ! On a deux degr´es de libert´e et une ´equation de contrainte : x˙ + Rθ˙ − v = 0. On proc`ede alors en introduisant le coefficient R1 , qu’on notera ici F . Le lagrangien vaut L=T −V

T =

1 1 mx˙ 2 + IG θ˙2 2 2

V =0


274

Le formalisme de Lagrange

Les ´equations de Lagrange modifi´ees (4.31) prennent ici la forme d dt

∂L ∂ x˙

∂L − =F ∂x

d dt

∂L ∂ θ˙

∂L = FR ∂θ

La premi`ere de ces ´equations fournit le r´esultat du th´eor`eme du centre de masse et la deuxi`eme l’´equation pour le moment cin´etique.

4.3.4

Application aux circuits ´electriques et aux syst`emes ´electrom´ecaniques

Le trait´e de M. Spiegel [105] montre en d´etail comment appliquer le formalisme de Lagrange ` a l’analyse des circuits ´electriques et des syst`emes ´electrom´ecaniques. Seuls les principes de base sont donn´es ici, afin de signaler par cet exemple l’aboutissement du projet de d’Alembert (sect. 4.1) consistant `a exprimer les principes de la m´ecanique en des termes suffisamment fondamentaux pour qu’ils s’appliquent ` a d’autres domaines. Par exemple, il est possible de d´ecrire le fonctionnement d’un SQUID (superconducting quantum interference device) avec un lagrangien [107]. Pour fixer les id´ees, on imagine le circuit ´electrique de la figure 4.11. On peut d´efinir la charge Q de cette boucle de courant comme l’int´egrale dans le temps du courant Q˙ parcourant la boucle.

M

C Q

V R

Fig. 4.11 Circuit ´electrique comportant une inductance, une capacit´e, une r´esistance et une source de tension.

Si le circuit est constitu´e de plusieurs boucles, on peut d´efinir un courant pour chaque boucle ou pour chaque branche (fig. 4.12). Les lois de Kirchhoff de conservation des courants imposent, par exemple : Q˙ 6 + Q˙ 1 + Q˙ 2 = 0 Par int´egration, on peut prendre Q6 = −(Q1 + Q2 ). Le nombre de degr´es de libert´e est ´egal au nombre de courants ind´ependants. A la place de l’´energie cin´etique en m´ecanique, on a l’´ energie emmagasin´ ee dans les inductances. S’il s’agit d’une bobine simple, d’inductance M , on


Principes d’applications des ´ equations de Lagrange

Q4

Q3

275

Q2

Q5

Q1

Fig. 4.12 Courants de branches.

prendra T = 12 M Q˙ 2 . S’il y a des ph´enom`enes d’inductances mutuelles, donn´ees par des coefficients Mij d´efinissant ces inductances mutuelles, alors on prendra T =

1 1 M11 Q˙ 21 + M12 Q˙ 1 Q˙ 2 + M22 Q˙ 22 2 2

La pr´esence d’une source de charges Q telle qu’une batterie ou un g´en´erateur sera exprim´ee par une ´energie potentielle : V = −EQ. Le signe est donn´e pour que le flux de Q soit dans la direction de E. S’il y a un condensateur de capacit´e C, sa charge Q donne lieu `a une 1 1 2 ´ energie potentielle V = 2 C2 Q . Si la charge initiale est Q0 , il convient de 1 1 prendre V = 2 C (Q + Q0 ) . Les termes dissipatifs se traitent comme les forces de frottement. On ´ecrit un accroissement infinit´esimal de l’´energie dˆ u `a un passage de courant dans les r´esistances : δW = − R1 Q˙ 1 δQ1 + R2 Q˙ 2 δQ2 + · · · Puis, on ´elimine les courants d´ependants pour trouver les coefficients des n courants ind´ependants : δW = [. . .] δQ1 + · · · + [. . .] δQn Ces coefficients sont les forces g´en´eralis´ees `a ins´erer dans les ´equations de Lagrange (4.22).

Exemple 4.15 Electrom´ecanique On peut consid´erer des syst`emes physiques o` u les effets m´ecaniques sont combin´es ` a des ph´enom`enes ´electriques. La figure 4.13 en donne un exemple. Un condensateur est fixe, l’autre est constitu´e de deux plaques parall`eles, dont l’une est fixe et l’autre est suspendue `a un ressort. Le lagrangien dans ce cas est la somme des termes m´ecaniques et des termes ´electriques : L = Tel − Vel + Tm´ec − Vm´ec


276

Le formalisme de Lagrange

M

R

E = E0 sin ωt

ressort

mobile

condensateur

fixe

Fig. 4.13 Exemple de circuit ´electrom´ecanique : une plaque d’un condensateur fait partie d’un oscillateur harmonique.

4.4 26.2

4.4.1

Introduction aux principes variationnels

Brachistochrone

La notion de calcul variationnel est introduite par la pr´esentation du probl`eme qui a stimul´e son d´eveloppement (sect. 4.1). A

x

26.3

B z

Fig. 4.14 Toboggan AB et syst`eme d’axes de coordonn´ees. Az dans la verticale vers le bas.

On consid`ere un point mat´eriel, pesant, descendant le long d’une courbe AB dans un plan vertical. Il pourrait s’agir d’un mod`ele de toboggan (fig. 4.14). On se propose de d´eterminer la forme de la courbe qui minimise le temps de chute, sachant que la vitesse initiale est nulle et qu’il n’y a pas de frottement. On notera que le probl`eme pos´e est de nature tr`es diff´erente de celui des objectifs habituels de la m´ecanique, qui consiste `a trouver les ´equations du mouvement pour une situation physique donn´ee par des forces et des contraintes. Il s’agit ici d’un probl`eme d’optimisation.


Introduction aux principes variationnels

277

Comme il n’y a pas de frottement, l’´energie m´ecanique est conserv´ee. 1 mv 2 2 V = −mgz T =

On a pris l’axe z vers le bas et V = 0 en A. En A, v = 0, donc E = T + V = 0, soit v 2 = 2gz. On va utiliser une ´equation param´etrique de la courbe qui est, par d´efinition du probl`eme, la trajectoire du point mat´eriel. Soit q le param`etre, variant de q = a en A ` a q = b en B. On ´ecrit la trajectoire sous la forme x = x(q) z = z(q) o` u q varie de a ` a b. Le mouvement de la masse est donn´e par q = q(t) o` u t est le temps. On calcule la vitesse en fonction de q et q˙ : x˙ =

dx q˙ dq

dz q˙ dq

z˙ =

La conservation de l’´energie implique s 2 2 dx dz dq p + = 2gz dq dq dt Par int´egration, on a p

Zb

s

2gt = I =

dx dq

2

+

dz dq

2

a

dq √ z

Ce qu’on cherche ce sont les fonctions x(q), z(q) qui rendent I minimal. Pour comprendre intuitivement le calcul qui va suivre, on peut s’imaginer devoir d´eterminer exp´erimentalement la courbe optimale. On partirait d’une courbe qu’on pense ˆetre la bonne. Puis on ´evaluerait la performance des courbes voisines et on chercherait ainsi l’optimum. C’est cette id´ee-l`a que nous allons utiliser dans le calcul des variations. Convenons de noter x(q), z(q) la solution, et consid´erons une courbe infiniment proche, donn´ee par x1 = x + εα(q) z1 = z ε est pr´esum´e infiniment petit et α(q) quelconque, mais nul `a q = a et `a q = b. On va substituer dans l’int´egrale I les valeurs x1 et z1 : Zb I1 = a

1 √ z

s

dx1 dq

2

+

dz dq

2 dq


278

Le formalisme de Lagrange

On veut calculer I1 − I. Il y aura des termes en ε et ε2 . Si x(q) et z(q) donnent le minimum de I, alors le terme en ε doit ˆetre nul. Au premier ordre en E : s

2 2 dx1 dz + dq dq s 2 2 2 dx dα dz = +ε + dq dq dq s " 2 2 #−1/2 2 2 dx dz 1 dα dx dz dx = + + ε + 2 dq dq 2 dq dq dq dq =R+ε

dα 1 dx dq R dq

o` u s R=

dx dq

2

+

dz dq

2

Ainsi, Zb I1 − I = ε a

1 dx 1 dα √ dq + ε2 R dq z dq | {z } | {z } u

dv

On op`ere une int´egration par partie : Zb

b 1 dx 1 1 1 dx

√ α(q) − α d √ I1 − I = ε R dq z z R dq a | {z } a (

) + ε2 . . .

=0 car α(a)=α(b)=0

Pour que le coefficient de ε soit nul, il faut donc √1z R1 dx dq = C, avec C constante. On tire ainsi : 2 dx = C 2 R2 z dq On peut ´ecrire x = x z(q) et appliquer la r`egle de d´erivation de fonction : dx dx dz efinition de R, il reste dq = dz dq . En introduisant la d´ dx = dz

r

z 1/C 2 − z

Cette ´equation diff´erentielle est connue pour ˆetre l’´equation diff´erentielle d’une cyclo¨ıde : x = R(θ − sin θ) z = R(1 − cos θ)


279

Introduction aux principes variationnels

4.4.2

Principe de Hamilton

L’int´egrale curviligne du lagrangien le long d’un chemin γ de l’espace de phase s’appelle l’action. Si le chemin γ est donn´e par les fonctions qi (t), q˙i (t) dans l’intervalle [t1 , t2 ], alors l’action S vaut Zt2 S=

L q1 (t), . . . , qn (t), q˙1 (t), . . . , q˙n (t), t dt

(4.32)

t1

Proposition 4.8 Extremum de l’action. L’action est extr´emale pour le chemin qui correspond ` a l’´equation horaire solution de l’´equation de d’Alembert. ´monstration. Pour simplifier les ´ecritures, on consid`ere le cas d’un point De mat´eriel soumis ` a une force conservative. On part de l’expression (4.4) du principe de d’Alembert, qu’on int`egre par rapport au temps : Zt2

dv dt F − m δr = 0 dt

t1

On choisit δr(t1 ) = δr(t2 ) = 0. Le point mat´eriel subit une force F donn´ee par F = −∇V . Le travail de la force dans le d´eplacement δr vaut F · δr = −∇V · δr = −δV δV est le changement de potentiel dans un d´eplacement δr. Par ailleurs, Zt2

t2 Zt2 dv d

dt(−m) · δr = −mδr · v + dt · v (δr) dt dt t1

t1

t1 0

Ecrivons r 0 = r + δr et d´efinissons δv par dr dt = v + δv. Comme dr d d + (δr), on voit que δv = (δr). On a donc obtenu dt dt dt Zt2

dv dt(−m) · δr = dt

t1

Zt2

dr 0 dt

=

Zt2 dtm · v · δv =

t1

dt δT t1

En rassemblant les termes, on obtient l’´equation de d’Alembert sous la forme Zt2

Zt2 dt δ(T − V ) = δ

t1

dt(T − V ) = 0 t1

qui exprime que l’action est extr´emale. Proposition 4.9 Principe de Hamilton et ´equations de Lagrange. Les ´equations de Lagrange impliquent l’extremum de l’action et r´eciproquement. Ce r´esultat est appel´e le principe de Hamilton.


280

Le formalisme de Lagrange

´monstration. Consid´erons L = L q, q, De Ë™ t . Une seule coordonn´ee est indiqu´ee, pour simplifier les ´ecritures. Soit q(t) qui minimise l’action S. Calculons S pour q(t) + δq(t) o` u δq(t) est quelconque, avec δq(t1 ) = δq(t2 ) = 0. Alors Zt2 δS =

L q + δq, qË™ + δ q, Ë™ t dt − L q, q, Ë™ t dt =

t1

Zt2 t1

∂L ∂L δq + δ qË™ dt ∂q ∂ qË™ |{z} | {z } u

dv

Une int´egration par partie du deuxi`eme terme donne Zt2 δS = t1

t2 Z ∂L ∂L d ∂L δq dt + δq − δq dt ∂q ∂ qË™ dt ∂ qË™ t1

Zt2 =

∂L d − ∂q dt

∂L ∂ q˙

δq dt

t1

Comme on doit avoir δS = 0, pour δq quelconque, il faut et il suffit que d ∂L ∂L − =0 dt ∂ qË™ ∂q Remarques •

•

On peut montrer de plus qu’il s’agit d’un minimum, pour autant que l’intervalle [t1 , t2 ] ne soit pas trop grand [108] Pour cette raison, on appelle aussi le principe de Hamilton le principe de moindre action. M. R. Flannery a montr´e que le principe variationnel s’applique `a des syst`emes soumis ` a des contraintes lin´eaires sur les vitesses seulement si les expressions (4.29) constituent des diff´erentielles totales. Toutefois, les ´equations (4.31) pour des contraintes lin´eaires sur les vitesses peuvent ˆetre d´eduites du principe de d’Alembert, comme on l’a montr´e. Si les contraintes sur les vitesses sont des fonctions non lin´eaires, on ne peut pas d´eduire du principe de d’Alembert des ´equations de Lagrange et on ne peut pas non plus les obtenir d’un principe variationnel [109].


Chapitre 5

Probl` emes r´ esolus


282

Probl` emes r´ esolus

5.1

Rotations

5.1 Th´eor`eme d’Euler (rotation) D´emontrer que la transformation g´eom´etrique qui am`ene un solide ind´eformable d’une position ` a une autre, tout en gardant un point fixe, est une rotation (th´eor`eme d’Euler). Consid´erer un rep`ere li´e au solide, et une origine du rep`ere fixe. Solution

Consid´erons deux rep`eres O, zˆ 1 , zˆ2 , zˆ3 et O, x ˆ1 , x ˆ2 , x ˆ3 . On commence par projeter le rep`ere O, zˆ1 , zˆ2 , zˆ3 dans le rep`ere O, x ˆ1 , x ˆ2 , x ˆ3 : zˆ1 = zˆ1 · x ˆ1 x ˆ1 + zˆ1 · x ˆ2 x ˆ2 + zˆ1 · x ˆ3 x ˆ3 zˆ2 = zˆ2 · x ˆ1 x ˆ1 + zˆ2 · x ˆ2 x ˆ2 + zˆ2 · x ˆ3 x ˆ3 zˆ3 = zˆ3 · x ˆ1 x ˆ1 + zˆ3 · x ˆ2 x ˆ2 + zˆ3 · x ˆ3 x ˆ3 La transformation qui permet de passer d’un rep`ere a` l’autre peut donc ˆetre d´efinie par une matrice A, dont les ´el´ements sont αij = zˆi · x ˆj : 

  zˆ1 zˆ1 · x ˆ1 zˆ2  = zˆ2 · x ˆ1 zˆ3 zˆ3 · x ˆ1

zˆ1 · x ˆ2 zˆ2 · x ˆ2 zˆ3 · x ˆ2

  zˆ1 · x ˆ3 x ˆ1 zˆ2 · x ˆ3  x ˆ2  zˆ3 · x ˆ3 x ˆ3

On pourrait chercher inverse, A−1 , en calculant les pro la transformation jections de x ˆ1 , x ˆ2 , x ˆ3 dans zˆ1 , zˆ2 , zˆ3 :    x ˆ1 x ˆ1 · zˆ1 x ˆ2  = x ˆ2 · zˆ1 x ˆ3 x ˆ3 · zˆ1

x ˆ1 · zˆ2 x ˆ2 · zˆ2 x ˆ3 · zˆ2

  x ˆ1 · zˆ3 zˆ1 x ˆ2 · zˆ3  zˆ2  x ˆ3 · zˆ3 zˆ3

L’´el´ement (1, 2) de cette matrice A est l’´el´ement (2, 1) de la matrice inverse A−1 . Il en va de mˆeme pour les autres ´el´ements de matrice. Ainsi la matrice de la transformation inverse est obtenue en intervertissant le num´ero de ligne et de colonne de la matrice de la transformation directe. La r´esultante de cette op´eration sur les lignes et les colonnes s’appelle la transpos´ee d’une matrice. La matrice AT transpos´ee de A est d´efinie par les ´el´ements de matrice : AT ij = αji . Nous avons ainsi obtenu AT ij = αji = A−1 ij L’inverse de la matrice A est donc ´egale `a sa transpos´ee. Une matrice qui a cette propri´et´e est dite orthogonale. Aux cours de math´ematiques, il est montr´e qu’une transformation orthogonale admet toujours une solution non triviale `a l’´equation : Au ˆ=u ˆ


283

Rotations

Donc il y a toujours un axe fixe ! De plus, les angles entre les vecteurs et les longueurs sont conserv´es dans une telle transformation. En effet :   ! X X X   (Ax) · (Ay) = αij xj αik yk i

=

j

XX j,k

k

T αji αik xj yk

=

i

X

δjk xj yk =

X

j,k

xk yk = x · y

k

Il s’agit donc bien d’une rotation. On conclut ainsi que la transformation qui am`ene un rep`ere en un autre de mˆeme origine est une rotation. 5.2 Composition des rotations On consid`ere un vecteur r = OP auquel on fait subir une rotation < d’axe et d’angle donn´e. Quelle est la relation entre les composantes du vecteur r et celles de son image par la rotation < sur un syst`eme d’axes cart´esiens Ox1 x2 x3 donn´e ? Deux rotations diff´erentes seront consid´er´ees : une rotation <3 d’axe Ox3 , d’angle φ (fig. 5.1) et une rotation <1 (fig. 5.2), d’axe Ox1 , d’angle θ. Obtenir aussi la transformation des coordonn´ees de r quand r subit la composition des deux rotations, celle d’axe Ox1 d’abord, suivie de celle d’axe Ox3 . Solution

On pose : r = x1 x ˆ 1 + x2 x ˆ 2 + x3 x ˆ3 . L’image de r par la rotation <3 peut se calculer comme la somme vectorielle : <3 r = x 1 <3 x ˆ 1 + x 2 <3 x ˆ 2 + x 3 <3 x ˆ3

(5.1)

x3

O x1

φ y1

x1

y2

φ

x2

φ

x2

R3r

r P

Fig. 5.1 Rotation des axes cart´esiens autour de l’axe 3. Le point P est ici consid´er´e fix´e.

Dans cette expression, <3 x ˆ1 est compris comme l’image d’un vecteur unit´e parall`ele au vecteur unit´e identique `a x ˆ1 , et de mˆeme pour les deux autres directions. On se souvient que la rotation agit dans cet exemple sur le vecteur r,


284

Probl` emes r´ esolus

mais pas sur le rep`e re. Les projections des vecteurs images y ˆ1 , y ˆ2 , y ˆ3 sur le rep`ere O, x ˆ1 , x ˆ2 , x ˆ3 s’obtiennent par inspection de la figure : y ˆ1 = <3 x ˆ1 = cos φˆ x1 + sin φˆ x2 y ˆ2 = <3 x ˆ2 = − sin φˆ x1 + cos φˆ x2 En substituant dans (5.1), les composantes du vecteur <3 r = x01 x ˆ1 +x02 x ˆ2 + sont donn´ees par  0     x1 cos φ − sin φ 0 x1  x02  =  sin φ cos φ 0   x2  (5.2) x03 0 0 1 x3

x03 x ˆ3

On d´esignera par A cette matrice et on d´esignera symboliquement la transformation par <3 r = Ar. La deuxi`eme rotation consid´er´ee, <1 , d’axe Ox1 , agit dans le plan Ox2 x3 (fig. 5.2). x3

x3 θ

y 3z 3

y3

x3

x2

θ O x1 y1

θ

x2

x2

θ

φ φ

y2

x 1y 1 x1

Fig. 5.2 Rotation des vecteurs unit´es sous l’action de la rotation <1 .

z1

y2

z2

Fig. 5.3 Image des vecteurs unit´es sous l’action de <1 puis de <3 .

Cette rotation est donn´ee sous forme matricielle par  0     x1 1 0 0 x1  x02  =  0 cos θ sin θ   x2  0 x3 0 − sin θ cos θ x3 On notera B cette deuxi`eme matrice et on notera <1 r = Br. On consid`ere alors la composition des rotations, en prenant soin de sp´ecifier l’ordre dans lequel les rotations sont faites. On pose que la premi`ere rotation est celle d´efinie par la matrice B. Alors le vecteur r = OP devient, sous l’effet des deux rotations successives : <3 (<1 r) = <3 (Br) = A(Br) = ABr. Cette notation n’a de sens que si le produit AB est d´efini. C’est bien le cas : le produit des matrices dans cet ordre donne la matrice de la composition des


Point mat´ eriel

285

rotations, dans ce mˆeme ordre. On peut s’en convaincre en explicitant en toute g´en´eralit´e A(Br) ou bien, de fa¸con g´eom´etrique, en cherchant les composantes des images zˆ1 , zˆ2 , zˆ3 vecteurs unit´es sous l’effet de la composition des rotations (fig. 5.3). On constate alors qu’on retrouve les ´el´ements de la matrice AB :   cos φ − cos θ sin φ − sin θ sin φ sin θ cos φ  AB =  sin φ cos θ cos φ 0 − sin θ cos θ 5.3 Rotation infinit´esimale Trouver la matrice d’une rotation d’angle infinit´esimal dφ autour d’un axe. Solution

Dans le cas d’une rotation d’axe Ox3 , si l’angle est infiniment petit, not´e dφ, les d´eveloppements limit´es au premier ordre des ´el´ements de matrice de la rotation obtenue dans le pr´ec´edent probl`eme (5.2) fournissent :  0     x1 1 −dφ 0 x1  x02  =  dφ 1 0   x2  x03 0 0 1 x3

5.2

Point mat´eriel

5.4 Saut du bateau sur le rivage Quel est l’angle optimal avec lequel un homme doit sauter de son bateau pour atteindre le rivage ? Le bateau et le rivage sont suppos´es ˆetre ` a la mˆeme hauteur et le bateau reste horizontal en tout temps. Solution

On se donne : •

v, la vitesse de l’homme par rapport au sol

α, l’angle de v par rapport `a la horizontale

V , la vitesse du bateau par rapport au sol

u, la vitesse de l’homme par rapport au bateau

αu , l’angle de u par rapport `a la horizontale

On applique la conservation de la quantit´e de mouvement et la loi de composition des vitesses v = u + V . En projection, on a M V = m cos αv

(5.3)

v sin α = u sin αu

(5.4)

v cos α + V = u cos αu

(5.5)


286

Probl` emes r´ esolus

(5.4) donne : r

v2 sin2 α u2 Si on reporte (5.3) et (5.6) dans (5.5), on obtient r vh mi v2 1+ = 1 − 2 sin2 α u M u cos αu =

1−

R´esolue par rapport ` a v 2 , on a : m 2 2 2 2 2 v = u cos α 1 − + sin α M

(5.6)

(5.7)

(5.8)

Les ´equations de mouvement donnent y = − 12 gt2 + v sin α t et x = v cos α t. En posant y = 0, on trouve t = 2gv sin α, ce qui donne : x = 2gv 2 sin α cos α

(5.9)

Pour que x soit maximale on doit avoir ∂x = 0 ∂α

(5.10)

∂ (2gv 2 sin α cos α) = 0 ∂α

(5.11)

En reportant (5.8) dans (5.11) on peut d´eriver par rapport `a α et donc trouver l’angle optimal en r´esolvant l’´equation (5.11). 5.5 Bille dans un anneau en rotation Une bille roule dans un anneau vertical en rotation uniforme ` a une vitesse angulaire ω (fig. 5.4). A petite vitesse de rotation, la bille oscille autour du point le plus bas de l’anneau. A plus grande vitesse, la position d’´equilibre est hors de l’axe de rotation de l’anneau. Un des aspects les plus int´eressants

9.3

Fig. 5.4 Bille roulant dans une rainure astreinte a ` une rotation autour d’un axe vertical


287

Point mat´ eriel

de ce syst`eme est l’existence d’une vitesse de rotation critique ωc ` a laquelle la position d’´equilibre change fonci`erement. A cette valeur de ωc , la fr´equence des petites oscillations s’annule (ce point-ci est difficile ` a mettre en ´evidence sur le montage de la figure 5.4). Ce ph´enom`ene ressemble a ` celui observ´e dans des cristaux ferro-´electriques, o` u un mode propre de vibration du cristal a sa fr´equence qui s’annule ` a une temp´erature critique. En dessous de cette temp´erature, certains ions du cristal changent leur position d’´equilibre, donnant lieu ` a la ferro-´electricit´e du cristal. Montrer ces effets en mod´elisant le syst`eme m´ecanique par un point mat´eriel de masse m, pesant, c’est-` a-dire soumis ` a l’action de la pesanteur, et en supposant de plus qu’il est astreint ` a se d´eplacer sans frottement sur un cercle dans un plan vertical en rotation autour d’un grand axe du cercle ` a la vitesse angulaire ω constante. Solution

On prend pour r´ef´erentiel le chˆassis qui tient l’axe de l’anneau et le dispositif le faisant tourner. Sur le graphique 5.5, le syst`eme d’axes cart´esiens est suppos´e li´e ` a ce r´ef´erentiel. Les coordonn´ees sph´eriques sont particuli`erement bien adapt´ees pour exprimer les liaisons (fig. 5.5). Les projections sont faites dans le rep`ere associ´e aux coordonn´ees sph´eriques. x3 er eφ

θ

R

O

x2 φ

x1

anneau

Fig. 5.5 Pour garder le sch´ema habituel des coordonn´ees sph´eriques, la bille est repr´esent´ee dans une position tr`es ´elev´ee.

Le fait que le point mat´eriel soit astreint `a se d´eplacer dans l’anneau, alors que l’anneau tourne ` a vitesse angulaire constante, se traduit par les contraintes g´eom´etriques suivantes : r = R = constante φ˙ = ω = constante Bilan des forces

Il y a bien sˆ ur la pesanteur : mg = −mg cos θer + mg sin θeθ


288

Probl` emes r´ esolus

De plus, l’anneau exerce sur le point mat´eriel une force de r´eaction. Cette force est telle que, en tout temps, on peut « remplacer » l’anneau par cette force. L’effet de l’anneau sur la bille s’exprime par cette force. Il n’y a pas de force de liaison dans la direction eθ . Alors on ´ecrit : N = Nr er + Nφ eφ . Cin´ematique

Il faut exprimer les contraintes dans les expressions de vitesse et d’acc´el´eration : R=r

ω = φ˙ =⇒ r¨ = r˙ = 0

φ¨ = 0

φ˙ = ω

Dans les expressions des composantes de l’acc´el´eration en coordonn´ees sph´eriques, il reste les termes non nuls suivants : ar = −Rθ˙2 − Rω 2 sin2 θ aθ = Rθ¨ − Rω 2 sin θ cos θ aφ = 2Rω θ˙ cos θ Equations du mouvement

Les ´equations du mouvement sont donc m −Rθ˙2 − Rω 2 sin2 θ = −mg cos θ + Nr m Rθ¨ − Rω 2 sin θ cos θ = mg sin θ m 2Rω θ˙ cos θ = Nφ

(5.12) (5.13) (5.14)

Il faut noter un fait remarquable : la contrainte Nφ est non nulle si θ˙ 6= 0, c’est-` a-dire que l’anneau doit exercer une force transverse quand le point mat´eriel bouge par rapport ` a l’anneau. Dans le formalisme du mouvement relatif (sect. 1.15), cette force de liaison peut ˆetre associ´ee `a l’acc´el´eration de Coriolis dont il faut tenir compte quand le mouvement est d´ecrit dans le r´ef´erentiel li´e ` a l’anneau (1.24). Equilibres

On aborde maintenant un nouveau type d’examen des ´equations du mouvement. On va chercher les ´equilibres relatifs, discuter leur stabilit´e et d´eterminer la fr´equence des petites oscillations autour des ´equilibres stables. Pour trouver l’´equilibre de la bille relatif a` l’anneau, il suffit de poser θ˙ = θ¨ = 0 dans les ´equations du mouvement : −mRω 2 sin2 θ = −mg cos θ + Nr 2

−mRω sin θ cos θ = mg sin θ 0 = Nφ De l’´equation (5.16) il vient les solutions possibles suivantes : (sin θe = 0) =⇒ θe = 0

θe = π g (sin θe = 6 0) =⇒ cos θe = − Rω 2

(5.15) (5.16) (5.17)


Point mat´ eriel

289

Pour cette derni`ere solution, il faut d´eterminer le signe du cosinus : π cos θe < 0 =⇒ ≤ θe ≤ π 2 Comme le cosinus est une fonction born´ee, | cos θe | < 1, il faut que la vitesse de rotation de l’anneau soit assez grande pour que cette solution existe : ω ≥ p ωc = g/R. Equilibre ` a θe = 0. On pose θ = 0 + δθ pour exprimer une d´eviation petite de la position d’´equilibre. Dans la limite o` u δθ est petit : cos(δθ) ≈ 1

sin(δθ) ≈ δθ

L’´equation du mouvement (5.13) fournit alors ¨ = Rω 2 + g δθ Rδθ Cette ´equation implique qu’une petite d´eviation positive ∆θ entraˆıne une acc´el´eration positive, donc un accroissement encore plus grand de ∆θ. Le syst`eme est donc instable ` a cette position d’´equilibre. Equilibre ` a θe = π. On pose θ = π + δθ pour exprimer une d´eviation petite de cette position d’´equilibre. Dans la limite o` u ∆θ est petit : cos(π + δθ) ≈ −1

sin(π + δθ) ≈ −δθ

L’´equation du mouvement (5.13) fournit : ¨ = − g − Rω 2 δθ Rδθ g Si la vitesse de rotation de l’anneau est lente dans le sens que ω 2 < R , soit ω < ωc , alors la position est stable et les petites oscillations constituent un oscillateur harmonique de fr´equence ν donn´ee par g (2πν)2 = − ω2 R

Au contraire, si ω 2 >

g R,

alors l’´equilibre est instable.

Equilibre ` a cos θe = −g/Rω 2 = −ωc2 /ω 2 . On pose θ = θe + δθ. On a donc ¨ − Rω 2 sin(θe + δθ) cos(θe + δθ) = g sin(θe + δθ) Rδθ Des d´eveloppements limit´es au premier ordre effectu´es sur l’´equation du mouvement selon e ˆθ fournissent ¨ − Rω 2 sin(θe ) + δθ cos(θe ) cos(θe ) − δθ sin(θe ) Rδθ = g sin(θe ) + δθ cos(θe ) Les termes d’ordre z´ero s’annulent, par d´efinition de θe . Les termes de deuxi`eme ordre sont n´eglig´es, parce que tout le calcul est limit´e au premier ordre en ∆θ. Il reste ainsi ¨ − Rω 2 δθ − sin2 (θe ) + cos2 (θe ) = g δθ cos(θe ) Rδθ


290

Probl` emes r´ esolus

On obtient ainsi une ´equation de type oscillateur harmonique : ¨ = −ω 2 sin2 (θe ) δθ δθ Par cons´equent, sous les conditions d’existence de cet ´equilibre, la fr´equence des petites oscillations autour de cet ´equilibre est donn´ee par ωc4 2 2 (2πν) = ω 1 − 4 ω En r´esum´e, l’´equilibre est stable `a la position θe = π quand ω < ωc et `a g 2 cos θe = − Rω quand ω > ωc . La pulsation des 2 , ou θe = Arc cos −(ωc /ω) petites oscillations vaut s 2 2πν ω = 1− quand ω < ωc ωc ωc Elle est donn´ee par 2πν = ωc

s

ω2 ω2 − c2 2 ωc ω

quand ω > ωc

La fr´equence des petites oscillations passe par z´ero au changement entre les (1) deux r´egimes (fig. 5.6) . θe –– π

1

2

3

4

1

2

3

4

ω –– ωc

0.9 0.8 0.7 0.6 4

2πν ––– ωc

3 2 1 ω –– ωc

Fig. 5.6 Position angulaire de l’´equilibre et fr´equence des petites oscillations en fonction de la vitesse angulaire de rotation de l’anneau. On parle de « mode mou » quand la fr´equence de vibration passe par z´ero alors que le syst`eme change qualitativement d’´equilibre.

(1)

Dans Mathematica : Plot[If[x > 1,

x^2 − x^-2,

1 − x^2]}, {x, 0, 4}].




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