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Structures sélectives
Les effets psychosociaux de la sélection scolaire Fabrizio Butera
Un programme de recherche montre que la sélection scolaire (les notes, les filières) amène à évaluer le travail et les résultats des élèves de classe sociale défavorisée de façon discriminatoire par rapport aux élèves de classe sociale favorisée. Lorsque l’évaluation est faite avec un objectif de formation, la discrimination n’apparaît pas. La réflexion sur l’égalité des chances doit prendre en considération l’effet des structures sélectives propres à l’école.
L’un des rêves de beaucoup de familles migrantes qui arrivent dans les pays du nord global est que l’école des pays démocratiques permet à leurs enfants de jouir de chances égales et de réussir aussi bien que les enfants autochtones. Il est vrai, en effet, que les états occidentaux modernes se sont développés en poursuivant le principe du mérite comme critère d’évaluation de la performance scolaire : l’accès à l’éducation et la réussite scolaire dépendent de la motivation et des capacités de l’élève et non pas de son origine sociale (Batruch et al., 2019a). C’est ce principe qui fonde la croyance en la légitimité de l’égalité des chances.
Sélection scolaire et égalité des chances Or, de nombreuses études internationales montrent que l’origine sociale des élèves a un effet prépondérant dans leur réussite scolaire et que les enfants de classe sociale défavorisée ont des performances scolaires inférieures à celles des enfants de classe sociale favorisée (p. ex., OECD, 2013). Les explications de cet effet sont nombreuses, mais concentrons-nous sur un élément structurel des systèmes éducatifs, la sélection scolaire, qui produit des effets psychosociaux intéressants, dans la mesure où ils augmentent les inégalités scolaires. Les systèmes éducatifs remplissent deux fonctions complémentaires (Darnon et al., 2009). La première, presque un synonyme d’école, est la fonction de formation, qui vise le développement chez les élèves des connaissances et des compétences. La deuxième est la fonction de sélection, celle qui consiste à évaluer la performance des élèves de façon à quantifier leur réussite, comparative-
ment à celle de leurs camarades, et à les orienter sur cette base vers les formations et les diplômes qui correspondent à leur performance (Butera et al., 2020). C’est cette deuxième fonction qui assure qu’un système méritocratique peut être considéré juste : si tout le monde a accès à l’école, que les chances sont égales et que l’école s’est dotée d’un système de quantification des performances (les notes), alors les différences de performance qui seront relevées pourront être attribuées à des différences de motivation et de capacités des élèves. Cependant, le supposé caractère juste de la sélection méritocratique se heurte à deux problèmes. L’un est un problème de principe : l’égalité des chances suppose que toutes les élèves arrivent aux « starting blocks » avec les mêmes ressources et ne tient pas compte des inégalités de départ dues à l’origine sociale des élèves. Le deuxième problème vient des conséquences psychosociales de la sélection méritocratique : c’est la fonction même de sélection qui crée artificiellement des inégalités de réussite. Voyons ces conséquences pour les étudiants et pour les évaluateurs.
Sélection et réussite scolaire En ce qui concerne les étudiants, une série d’études expérimentales a montré que le simple fait de présenter l’évaluation comme un moyen de sélection créait des différences de résultats en fonction de la classe sociale des étudiants (Smeding et al., 2013). Des étudiants dont on connaissait la classe sociale d’origine suivaient un cours et devaient ensuite passer une évaluation. Celleci était présentée comme un moyen de sélectionner les meilleurs étudiants pour la moitié des participants, alors