Machrek - Décentralisation : défis et opportunités

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MASHREQ

DécentralisaTIon dans la région du Mashreq : défis et opportunités

Dialogue et renforcement des capacités des autorités locales et régionales des pays partenaires de l'UE dans les domaines du développement et de la gouvernance locale 2015


Décentralisation dans la région du Mashreq : défis et opportunités PLATFORMA – 2015 SKL – 2015 Auteurs : Omar Abdulaziz Hallaj, Myriam Ababsa, Karam Karam, Ryan Knox Ce document a été préparé en tant que document de référence pour le « séminaire pour le dialogue et le renforcement des capacités des autorités locales et régionales du Mashreq dans les domaines du développement et de la gouvernance locale » qui s'est tenu les 24 et 25 septembre 2014 à Amman, en Jordanie. PLATFORMA Partenaires du projet: Dialogue et renforcement des capacités des autorités locales et régionales des pays partenaires de l’UE dans les domaines du développement et de la gouvernance locale Conseil des Communes et Régions d'Europe (CCRE) Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) Association française du CCRE (AFCCRE) Agence pour la coopération internationale de l’Association des Communes Néerlandaises (VNG International) Association suédoise des autorités locales et des régions (SKL) Fédération Espagnole des Municipalités et Provinces (FEMP) Cités Unies France (CUF) Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) Association des Régions Frontalières Européennes (ARFE) Association internationale des maires francophones (AIMF) Forum des administrations locales du Commonwealth (CLGF) Ville de Paris Province de Barcelone Régions Unies – FOGAR Avertissement : La présente publication a été élaborée avec l’aide de l’Union européenne. Le contenu de la publication, relève de la seule responsabilité de PLATFORMA et de SKL et ne peut être considéré comme reflétant le point de vue de l’Union européenne. Design : acapella.be – Impression : Daddy Kate – Photo : EuropeAid Photo Library  Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.


Table des matières Résumé

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Partie 1 : Présentation de la décentralisation dans la région du Mashreq

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Gouvernement local et secteur public local dans la région du Mashreq

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Tendances globales de décentralisation ayant des impacts sur la région du Mashreq

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Études de cas (Jordanie, Liban, Yémen)

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Partie 2 : Analyse des diverses modalités de soutien de l'UE à la décentralisation

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Cadre de décentralisation de l'UE

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L'OCDE, la Déclaration de Paris et les chartes internationales

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Différentes approches européennes du soutien aux programmes de décentralisation

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Partie 3 : Recommandations

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Recommandations générales pour l'ensemble de la région

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Vers de nouvelles modalités de soutien de l'UE en faveur de la décentralisation dans la région

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Références

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Résumé Au cours des dernières années, la décentralisation a été l'un des principaux outils préconisés comme étant un processus permettant aux communautés locales d'entreprendre de façon plus efficace la direction de leurs propres processus de développement, d'améliorer leur prestation de services et la cohésion sociale et, surtout, de soutenir les changements démocratiques fondamentaux. Bon nombre de ces objectifs ont guidé les programmes d'aide internationaux au cours des dernières années. Ce document vise à analyser la manière dont ces processus ont été menés à bien dans le contexte de la région du Mashreq, dans le Proche-Orient, dont de grandes leçons ont été tirées pour les programmes d'aide à venir, notamment ceux soutenus par l'UE, et d'autres programmes bilatéraux européens. Une vaste analyse des questions et sujets actuels a été présentée afin de permettre aux acteurs à la fois régionaux et européens d'ouvrir le débat sur cette question et de construire de nouvelles visions et de nouveaux points d'entrée pour l'encadrement d'une coopération supplémentaire sur cette question. Ce document est divisé en trois parties. La première partie est une large présentation de l’évolution de la décentralisation dans la région du Mashreq, en contextualisant le processus au sein des transformations globales, ainsi qu'au sein des échanges et tendances régionaux. Plusieurs pays de la région se sont concentrés sur différentes approches de la décentralisation. Certains d'entre eux ont limité leur approche à un transfert de compétences centrales plus important en faveur de la périphérie à travers des corps centralisés, ou ce que nous appelons plus particulièrement la déconcentration, tandis que d'autres ont opté pour un transfert des pouvoirs et des ressources approfondi, de telle sorte qu'il pourrait vraiment être appelé décentralisation, ou encore, dévolution. Les moteurs principaux de ces processus ont été traités à partir du point de vue de leur impact sur le développement local et l'éradication de la pauvreté, la démocratisation, l'exploitation maximale des ressources publiques, ainsi que leur impact sur la résolution des conflits et la cohésion sociale. Dans tous les cas, le domaine a été largement schématisé afin d'expliquer comment les discours sur cette question et les pratiques ont lieu. La première partie de ce document traite également trois études de cas : la Jordanie, du Liban et le Yémen, afin de mettre en lumière les différents facteurs en jeu dans l’évolution vers la décentralisation dans la région. Les trois études de cas rendent compte des différentes priorités et préoccupations nationales, tout en exposant certaines communautés structurelles. L'intérêt porté sur la région du Mashreq a été considéré de façon très flexible, au-delà de la définition restreinte du Mashreq présente dans plusieurs manuels scolaires de géographie classiques. L'accent est mis sur la manière dont les processus historiques se sont développés dans la région. En ce sens, les expériences d'autres pays de la région (à la fois dans la région non arabe et au Maghreb) apportent des parallèles importants. Toutefois, le Mashreq fournit un domaine d'attention particulier à la fois pour des raisons historiques et d'encadrement des évènements de cette région depuis 2011. Dans la deuxième partie du document, l'attention est portée sur la manière dont les politiques européennes ont affecté le processus de décentralisation par le passé. Cette partie analyse l'expérience européenne en elle-même, dont les propres épreuves et les enseignements tirés ont montré que les modèles d'aide européens ont tenté de progresser dans le développement d'Initiatives européennes de voisinage et d'autres modalités de donation dans la région du Mashreq. Les réussites et les échecs sont analysés afin d'en tirer davantage de leçons pour l'avenir. Ainsi, tandis que des années d’échecs des programmes de réforme s'adressant aux gouvernements nationaux ont amené les bailleurs à se concentrer sur des projets et programmes à échelle plus petite et à éviter la bureaucratie et la corruption empêtrées au niveau national, aujourd'hui, le besoin d'amener la prochaine vague de programmes se fait ressentir, permettant aux autorités locales de répondre elles-mêmes aux problèmes structurels nationaux. Dans sa troisième partie, ce document fournit des recommandations générales pour la région ainsi que des recommandations spécifiques afin d’ouvrir le débat et le dialogue entre les décideurs au sein de l'UE, en ce qui concerne la prochaine génération d'aides au développement et à la réduction de la pauvreté destinée à la région. Les recommandations sont délibérément laissées au sens large dans leur nature, en se concentrant sur la contextualisation de la prochaine vague de projets et de programmes, plutôt que sur la définition de leur genre et de leur portée.

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Ce document vise à soutenir le dialogue entre les nombreux acteurs et participants. Il vise ainsi à attirer l'attention sur les points qui peuvent, et devraient, être traités, mais ne prétend pas avoir le dernier mot sur l'un quelconque de ces sujets. La méthodologie principalement adoptée consistait à analyser le domaine de littérature le plus large en abordant la question de la décentralisation du point de vue le plus large possible. Au cours de la préparation des Objectifs de développement durable post-2015, la question de la responsabilité locale pour le développement devrait être sérieusement reconsidérée, étant donné qu'elle aura des impacts directs sur les futures politiques des bailleurs de la région. Nous espérons que ce document pourra contribuer à ce débat. Toutefois, nous espérons également que ce document fournira une portée plus large sur la question que les paradigmes actuels qui limitent les discours des différents acteurs.

Partie 1 : Présentation de la décentralisation dans la région du Mashreq La zone s'étendant de l'Égypte à l'Irak, connue aujourd'hui sous le nom de Mashreq, fait partie du contexte géopolitique au sens large, comprenant une zone élargie des influences politiques, économiques et sociales. Au cours de leur histoire moderne, la plupart des pays de la région avaient leurs propres trajectoires d'évolution, depuis le moment où ils faisaient partie de l'Empire ottoman (ou de sa zone d'influence et d'interférence directe) jusqu'à ce qu'ils deviennent des États-nations modernes. Tandis que de forts liens culturels et linguistiques ont encadré des parallèles étroits entre eux, des liens similaires et/ou différents les connectent à leurs voisins régionaux. Ainsi, des constructions idéologiques différentes ont été proposées par le passé pour fixer une définition claire et spécifique du rassemblement de l'expérience historique de ces pays. Ce document n'a pas pour intention de prouver ou de réfuter toute délimitation spécifique de la région du Mashreq. Les systèmes administratifs ont été empruntés et transférés à travers la région au sens large, les statuts juridiques sont influencés par les normes culturelles qui dominent le contexte régional large, et les modèles économiques sont influencés par l'économie politique d'un monde globalisé, qui s'étend bien au-delà des frontières du Mashreq. Dans cette mesure, le terme « Mashreq » lui-même est utilisé dans ce document avec une grande prudence concernant ses limitations territoriales. De plus, étant donné que le champ de ce document couvre la décentralisation, un sujet qui se répand à travers les champs d'étude politiques, économiques et socioculturels, d'importants liens aux tendances régionales et mondiales larges ont été identifiés et intégrés dans l'analyse. Toutefois, de manière économique et administrative, les pays définis comme faisant partie de la région du Mashreq partagent certains points communs indéniables qui les distinguent des nombreux processus historiques de la région du Golfe (Conseil de coopération du Golfe) et du Maghreb (les pays arabes à l'ouest de l'Égypte). Tandis que certains parallèles existent avec ces voisins régionaux, il y a suffisamment matière à explorer pour les processus de développement du Mashreq de façon collective, et pour établir les enseignements tirés à échelle régionale. Dans cette mesure, le Yémen, qui s’étend au-delà de la définition classique du Mashreq, a partagé des expériences communes concernant la décentralisation. Ses processus fondamentaux, depuis sa séparation du système monarchique traditionnel en 1962, ont suivi les paradigmes étroitement liés à ceux du Mashreq. Ainsi, dans le cadre de ce document, il est entièrement intégré comme faisant partie de l'étude.

1.

ouvernement local et secteur public local dans la région G du Mashreq

La plupart des recherches publiées effectuées sur la décentralisation dans la région s’est concentrée sur deux sujets principaux. D'une part, elles se sont concentrées sur une représentation politique. La capacité des institutions locales à être incluses est souvent analysée du point de vue de son impact sur l’habilitation des acteurs locaux à s'engager dans des politiques nationales, ou dans la direction opposée, dans la codification de paradigmes et alliances de patronage aux niveaux nationaux à locaux (Maghames, 2005). D'autre part, une partie des recherches consistait à analyser le bilan des municipalités locales dans l'évaluation des compétences au niveau municipal, et dans la proposition d'un élargissement de la base des ressources aux autorités locales afin de suivre le niveau croissant de responsabilités qu'elles sont supposées prendre. Les recherches ne parviennent pas

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à couvrir suffisamment de terrain au niveau de la territorialité, en substance en étudiant l'économie politique des localités et la capacité des autorités locales à jouer un rôle majeur dans l'expansion des ressources au profit des communautés. Bien entendu, cela toucherait également la capacité des gouvernements locaux à développer des systèmes stables permettant de négocier avec des gouvernements centraux sur des bases solides. La plupart de ce qui a été décrit comme une avancée vers la décentralisation dans la région se concentrait sur la manœuvre timide des groupes d'administration locaux pour maximiser les ressources malgré un blocage juridique et politique qui contraint leur travail 1. La majeure partie de la région du Mashreq a traditionnellement connu une décentralisation à son niveau le plus rudimentaire. Techniquement sous les étendards de la « décentralisation administrative » 2, seuls les niveaux inférieurs des unités de gouvernance ont élu des conseils pour les représenter et superviser les prestations de services, toujours gérées par les organismes centraux. Le niveau supérieur des autorités locales restait sous le contrôle étroit du gouvernement central. Même lorsque certains niveaux de représentation régionale sont acceptés dans le système de gestion territoriale, ils sont souvent soumis minutieusement aux pouvoirs de véto de gouverneurs désignés, ou les bilans critiques entre les membres désignés ou élus du conseil 3. Le réel poids des prises de décisions budgétaires et la capacité à libérer des fonds d'investissement n'étaient pas aux mains des conseils élus (Attallah, 2012). La capacité des autorités locales à négocier des systèmes collectifs pour le développement et les avantages mutuels était souvent perçue comme une menace à l'unité nationale dans le contexte des contrats nationaux sociaux fragiles. Dans cette mesure, le problème apparaissant le plus fréquemment à propos du niveau de financement des municipalités est presque en train de détourner le réel problème. Dans le monde arabe, les fonds du secteur public constituent le réel moteur de la croissance du PIB. La majeure partie de ces budgets est souvent attribuée à des frais de gestion et au règlement des salaires, à des bureaucraties importantes mais inefficaces, notamment au niveau local (Banque mondiale, 2007). Le maintien du patronage politique a souvent été prioritaire sur le développement d'économies locales durables. La structure rentière de la plupart des économies nationales de la région a contribué à codifier les secteurs publics peu productifs et non viables (Fares, 2001, Ayubi, 2009). Dans l’ensemble, le processus de décentralisation n'a rien apporté de plus que le transfert de ces cadres budgétaires traditionnels aux autorités locales. Les fonds ne seront jamais suffisants. Ils ne l'étaient pas au niveau national, et ne vont pas le devenir au niveau inférieur. Comme nous l'avons vu précédemment, la théorie de la maximisation de l'impact des ressources limitées à travers la décentralisation n'a en pratique pas fonctionné, étant donné que les instruments essentiels à la réforme sont restés bloqués au sommet. L'attention portée sur le débat dans la région a été restreint à un ensemble très limité de priorités. D'une part, il y a les gouvernements centraux qui voient les autorités locales comme rien de plus qu'un intermédiaire satisfaisant un peu plus les communautés locales avec un cadre légèrement plus équitable dans la distribution des rentes nationales, permettant d'améliorer les services et de créer des effets multiplicateurs locaux modestes. En ce sens, le processus de décentralisation devient un processus purement technique permettant d'améliorer la capacité d'absorption des autorités locales à gérer de nouveaux mandats et de nouvelles compétences. Inévitablement, ceci était le discours tenu par de nombreuses organisations régionales et internationales (Organisation arabe pour le développement administratif, 2007, Banque mondiale, 2007). D'autre part, il y a les municipalités locales, représentant souvent les intérêts des élites locales, qui revendiquent un partage plus important des rentes nationales servant à élargir leur patronage politique, tout en améliorant les services. Dans de nombreux cas, les appels locaux à davantage de décentralisation n'étaient pas basés sur des demandes de pouvoirs accrus, mais sur le fait que davantage d'échelons du gouvernement au niveau local créent plus de droits pour la bureaucratie et les élites locales 4. Les acteurs se battent souvent sur la petite part du gâteau au lieu de penser à l’élargir. Un accord majeur sur cette compétition se manifesterait alors en termes de conflits sectaires et ethniques. Dans le contexte des identités locales hautement divisées dans la région, la lutte pour les rentes nationales a créé un cercle vicieux. La dépendance aux limites des rentes, l'émergence de nouveaux paradigmes de partage des ressources, et l'incapacité à partager les ressources nationales de façon productive crée à nouveau des systèmes politiques qui s'épanouissent dans le contrôle de la distribution des rentes nationales (Ayubi, 2009). n livre à paraître, préparé par le Lebanese Centre for Policy Research (LCPS), rassemble plusieurs études de cas autour du monde arabe, afin de tenter de U comprendre comment les autorités locales parviennent à élargir leurs compétences de manière ascendante, tandis que les processus de décentralisation descendants sont étroitement gérés par des mandats de gouvernement central. Attallah, Sami et Harb, Mona (eds). Decentralization in the Arab World. Beyrouth : 2014 (à paraître). 2 L a portée de ce document ne comprend pas d'analyse historique du contrôle territorial du centre sur la périphérie. Toutefois, une allusion devrait être faite au fait que le paradigme de la décentralisation administrative ait été souvent plus acceptable en tant que système de la région, car il correspond aux structures parallèles établies à la fin de la période ottomane, au cours de laquelle la police, l'imposition et les prestations de services étaient organisées afin d'accroître l'efficacité de la gestion territoriale par le souverain plutôt que d'autoriser les communautés locales à mettre en valeur leur capacité à maximiser leur productivité. Les autorités locales faisaient partie de l'économie de rente du gouvernement central. La productivité était uniquement recherchée dans l'esprit de la préservation des actifs que dans celui de l'investissement et de la croissance. Les réformes agraires de l'Empire ottoman et leur étroite corrélation avec les réformes municipales devraient être vues sous cet angle. Voir par exemple (Hallaj, 2003). 3 Tandis que le rôle des représentants du gouvernement central dans la gestion des affaires régionales est une fonction classique des systèmes administratifs et territoriaux de nombreux pays, dans la région du Mashreq, la question est ancrée dans les anciens modèles dans lesquels les gouverneurs détiennent quasiment la totalité des pouvoirs de manière non maîtrisée. Dans la plupart des pays de la région, le poste est souvent confié à un commandant militaire. 4 C ette attitude a été exprimée lors d'innombrables réunions et débats avec les figures des autorités locales dans la région au cours des quinze dernières années. 1

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L'expérience des sociétés européennes et leur façon de négocier leurs systèmes de gouvernance locaux d'après guerre pourraient être un processus pertinent à analyser, tout comme considérer comment la décentralisation peut être utilisée en tant que partie de renégociation du contrat social de façon approfondie et fondamentale, et non seulement au niveau utilitariste et administratif. Néanmoins, si l’on imagine que les municipalités sont des corps passifs, qui attendent le bon-vouloir et la générosité des gouvernements centraux, on est grossièrement à côté de la plaque. En particulier suite aux soulèvements arabes de 2011, les communautés locales deviennent encore plus exigeantes en termes de droits et de compétences. La société civile a également joué un rôle critique dans le déblocage des statuts quo à plusieurs niveaux. Les avancées timides et progressives des deux dernières décennies (principalement financées par les aides internationales) commencent à être fructueuses. Dans un premier temps, analysons les tendances globales et leurs manifestations dans la région. Puis, plus tard dans ce document, nous examinerons trois études de cas dans lesquels les longs processus de changement ont délogé les anciens paradigmes. Le patronage, consolidant les statuts quo, et l'impossibilité d'expansion de la réserve de financement par l'intermédiaire des rentes recherchées par l'élite ont atteint leurs limites, et les nouveaux paradigmes de négociation et d'intégralité sont en train d'émerger et de codifier de nouvelles valeurs pour la gouvernance locale. Dans une impasse critique, les autorités locales ont tenté de manœuvrer et de négocier, souvent avec succès. Toutefois, ce succès reste lent et limité dans sa portée, et peut ne pas répondre à la bombe à retardement du droit à la jeunesse de la région. Les trois études de cas représentent trois systèmes ayant été désignés et négociés au-delà des cadres classiques d'élargissement des compétences, d'expansion des ressources, et de renforcement des capacités. Dans tous les cas, une transformation fondamentale est en cours.

2.

T endances globales de décentralisation ayant des impacts sur la région du Mashreq

Les quarante dernières années ont été témoin des principaux changements de paradigme concernant la gouvernance locale. Depuis la fin du Moyen-Âge, les transformations ajoutant des pouvoirs féodaux locaux aux fonctions publiques centrales ont entraîné une méfiance naturelle des autorités centrales envers toute transformation contraire qui pourrait ébranler l'État-nation. La théorie politique moderne s'est principalement concentrée sur la légitimation des cadres centraux de souveraineté (Toulmin, 1992), que ce soit des monarchies dans un premier temps, ou des républiques par la suite. Certaines nations ont combattu lors des principales guerres afin d'établir le rôle central de l'État-nation (les cas de l'Espagne et des États-Unis sont des exemples remarquables). D'autres nations sont nées de négociations menées entre de petits fiefs afin de créer un gouvernement central leur permettant d'ajouter des ressources et d'augmenter leurs chances de rivaliser économiquement et politiquement dans un monde où la survie et l'indépendance des nations étaient en jeu (l'unification de l'Italie en fait partie). Toutefois, au cours des dernières années, ce paradigme centralisateur dominant a décliné. Plusieurs nouveaux paradigmes ont émergé pour mener une attitude plus détendue vers la décentralisation. Dans cette partie du document, l'accent sera mis sur la description de certains changements de paradigme les plus importants ayant façonné la théorie et la pratique de décentralisation et de la gouvernance locale au cours des dernières décennies, avec une attention particulière portée à la compréhension de la façon dont les tendances globales ont affecté la région du Mashreq en particulier.

2.a

Décentralisation comme démocratisation

1. Les origines politiques de la décentralisation, une perspective globale Dans l'Europe d'après la Seconde Guerre Mondiale, une tentative d'apprentissage des expériences passées afin d'éviter d'autres guerres a incité une plus forte surveillance des institutions politiques. De meilleurs systèmes de responsabilité étaient nécessaires. De nombreux pays européens ont subi certaines réformes constitutionnelles au cours de cette période. La séparation classique entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires n'était plus vue comme un cadre suffisant pour les vérifications et les bilans. La gouvernance locale a pris une mesure supplémentaire afin de maîtriser les gouvernements centraux en transférant les pouvoirs à travers le principe de subsidiarité aux niveaux appropriés de gouvernance (Caracassone, 2011). Ceci a en outre été codifié par la reconnaissance de l'Union européenne de la gouvernance locale comme une part essentielle du système politique européen dans ses différents traités. La mise en place du Comité des régions (CdR) constituait la manifestation politique directe de cette forte emphase locale. L'assemblée du CdR permet aux autorités locales et régionales de s'exprimer quant à la promulgation de lois européennes.

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A contrario, aux États-Unis, tandis que les institutions fédérales jouent un rôle majeur dans l'avancée des principaux droits civils et humains, ainsi que dans la conduite des transformations démocratiques profondes, principalement à travers l’implication du Premier Ministre et de la Cour Suprême, la tendance de concentration des pouvoirs au centre était contraire à compter de la moitié des années 70. Les pouvoirs publics étaient affirmés par les tribunaux sur toutes les autres questions. Certains affirmeraient que ce niveau de décentralisation servait en réalité à maîtriser l'élan démocratique des années 60 (Graeber, 2013). Dans l'un ou l'autre des cas, la décentralisation a évolué vers le centre du débat politique sur la démocratisation au cours des trente dernières années. Les paradigmes évoluant dans les économies les plus avancées se sont souvent transformés en un facteur de structuration normatif pour les organisations internationales. Les Nations Unies, la Banque mondiale, l'Union européenne, l'OCDE et d'autres acteurs majeurs ont adopté le changement. Les recherches ont été engagées afin de lier la décentralisation et la démocratisation au développement économique et anti-corruption (Binder et. al., 2007). Toutefois, le rôle de la décentralisation comme cadre essentiel de la démocratisation était également important pour son propre mérite. Qu'on le veuille ou non, le développement de nations toujours en lutte avec leur identité d'État-nation a commencé à recevoir une quantité obligatoire de programmes de gouvernance locale conjointement avec d'autres aides. Dans de nombreux États fragiles, l'attention des bailleurs au renforcement des capacités locales a en réalité créé un effet dissuasif au développement (Menkhaus, 2010). Les élites du pouvoir ont appris à tirer profite de la gouvernance locale pauvre afin d'usurper davantage de programmes d'aide internationaux. Néanmoins, dans quelques régions du monde, la transition vers la décentralisation a été réussie dans l'exploitation des transformations démocratiques majeures, bien qu'elles ne soient pas du tout parfaites. En Amérique latine, le rôle du renforcement des municipalités et du gouvernement local a permis aux communautés d'assurer une distribution plus équitable des revenus urbains locaux, d'impliquer des personnes dans la gestion de leurs propres affaires, et ainsi de réduire indirectement certaines tensions qui ébranlaient les processus politiques au niveau national (Torné, 2005). Ces processus peuvent avoir réduit certains des changements les plus urgents qui accompagnaient les transformations politiques des pays d'Amérique latine vers la démocratie, mais ils doivent toujours aller plus loin pour résoudre les problèmes de distribution équitable les plus ancrés. Le cas de Porto Allegre reste une expérience plutôt rare dans la décentralisation, capable d'effectuer un réel changement dans les favelas les plus pauvres des principales zones métropolitaines (Garnet, 2003). L'association de la gouvernance locale à la démocratisation est peut-être mieux comprise comme étant un résultat des systèmes formels et informels de gouvernance œuvrant ensemble, qu'un processus de décentralisation strictement formel (Hendriks, 2010). La Turquie est un autre cas dans lequel la décentralisation a joué un rôle majeur à la fin des années d'instabilité, née de l'échec des systèmes de gouvernance nationale. Le cadre juridique réformé en vue de la gouvernance locale a conféré aux communautés locales beaucoup de pouvoirs pouvant être ajoutés à leurs ressources et pour former des entités municipales capables de générer des fonds majeurs permettant de fournir de meilleurs services, tout en préservant les conditions spécifiques des municipalités inférieures pour gérer les différences ethniques et sectaires. La réduction des différences et des aspirations politiques des minorités alévis et kurdes a toujours été une source de conflit en Turquie (Massicard, 2013). D'autre part, la Turquie est un cas saisissant de la façon dont les partis politiques peuvent s'appuyer sur leurs réussites au niveau local pour construire le capital politique nécessaire au rassemblement des processus politiques nationaux, en substance en démontrant le pouvoir de décentralisation pour effectuer, non seulement des politiques locales, mais aussi des politiques nationales (Kumbaracibasi, 2009). Le succès du modèle a en fait eu un effet dissuasif pour de nombreux pays de la région du Mashreq de mener à bien une décentralisation plus approfondie, par crainte de permettre aux partis islamistes de construire des racines locales pouvant être utilisées comme levier pour les aspirations politiques au niveau national. 2. Modèles contestés de souveraineté nationale dans le Mashreq Dans la région du Mashreq, le discours politique a souvent été encadré par des paramètres spécifiques de gouvernance, strictement intégrés dans les discours religieux et politiques hérités du Moyen-Âge (al-Jaberi, 1990). La souveraineté est codifiée à travers plusieurs instruments symboliques et linguistiques. La légitimation du pouvoir est souvent réduite de manière descendante. Au 19e siècle, plusieurs tentatives de séparation des contrôles de l'État central ottoman ont eu lieu. Le pouvoir de l'État était le plus évident dans le système de taxation agricole, qui permettait à une classe d'élites locales de bâtir leur fortune de telle sorte qu'ils ne jugeaient plus utile de continuer à envoyer les parts du gouvernement central à Istanbul. Cette tendance, associée à la connaissance ethnique et religieuse croissante de leurs statuts privés, a encouragé les demandes de décentralisation formelle, si ce n'est d'indépendance absolue.

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Conscient du mécontentement naissant, l'Empire ottoman a entrepris de sérieuses réformes agraires et a engagé des réformes juridiques, municipales et institutionnelles. Hautement influencées par la théorie politique contemporaine de l'époque, ces réformes se sont concentrées sur l'efficacité gouvernementale. Les élites locales devaient être limitées. La meilleure solution était de les transformer en bureaucrates locaux et de contrôler étroitement leur capacité à revendiquer des mandats de représentation. Les services municipaux administratifs traditionnels contrôlés par un « mohtaseb » se sont transformés en une bureaucratie moderne appelée municipalité, et ont engagé quelques uns des fils instruits des notables urbains (Kawtharani, 1988). Toutefois, les réformes ottomanes ont été créées de manière descendante et reflétaient souvent les contradictions entre les textes de loi manuscrits et l'incapacité de l'État à surveiller leur mise en place. La région du Mashreq a grandement souffert de l'incapacité de l'État à maintenir le rôle central du domaine ottoman étant donné que l'économie mondiale connaissait des transformations majeures. L'élite du Mashreq regrettait particulièrement l'échec du cadre de gouvernance de l'Empire, mais d’après eux, les turcs prenaient plus qu'une part raisonnable de la richesse et des ressources du Califat, en ce qui concerne l'élite locale musulmane, tandis que les minorités religieuses ne voulaient plus accepter une situation dans laquelle ils étaient traités comme des citoyens de seconde classe. Lors de la convention de Paris de 1913, le ton a été largement haussé en faveur de la décentralisation (Hallaq, 2013). Pourtant, l'appel à la décentralisation n'était pas perçu comme un nouveau système démocratique de gouvernance, ni comme une première étape vers l'indépendance locale. Peu d'éléments dans les archives restantes suggèrent que le pouvoir de construction ascendant ait été aux esprits des représentants, ni la construction des petites entités territoriales lorsque le pouvoir pouvait encore être exercé de manière descendante. Pourtant, dans ce contexte politique, personne ne devrait ignorer l'expérience émergente des municipalités locales des centres urbains supérieurs, suite au code municipal ottoman de 1877. Des preuves issues de différentes municipalités dénoncent clairement les pouvoirs croissants des élites locales afin de résister aux gouverneurs désignés au niveau central. Des changements lents et progressifs dans les structures administratives ont en effet créé de nouveaux contrepoids aux autorités centrales, bien que toujours modestes (Sharif, 2014). Les États-nations fragiles ayant émergé après l'ère ottomane étaient toutefois inquiets quant au transfert de pouvoirs aux périphéries. La crainte de la fragmentation ethnique et sectaire a ébranlé de nombreuses expériences de décentralisation initiales de la région, telles que la constitution fédérale de 1920 du Levant, approuvée par les délégués syriens juste avant que les forces mandatées prennent le contrôle de Damas (Sabbagh, 2010), ou la tentative des communautés du sud de l'Irak de créer une république du Golfe (Visser, 2005). Par conséquent, la décentralisation a souvent été liée aux pouvoirs coloniaux tentant de codifier les gouvernements locaux sur la base des identités ethniques et sectaires. Le maintien de la souveraineté nationale a encadré à la fois les discours politiques nationalistes et islamistes depuis lors. Des théoriciens arabo-islamistes modérés n'ont pas égalé le modèle turc du pouvoir de légitimation à travers des processus realpolitik ascendants. À la place, des théoriciens tels que Abou Ya’rob al-Marzouqi et Rashed al-Ghanoushi ont élaboré des cadres de maintien des pouvoirs centraux de la souveraineté aux vérifications et bilans démocratiques, mais n'ont pas été aussi loin que la question de l'ajout important de pouvoirs au niveau central (al-Marzouqi, 2008, al-Ghanoushi, 2012). Ces deux théoriciens tunisiens ont eu un impact considérable sur la définition du cadre théorique de la gouvernance ayant conduit l'arrivée du Printemps arabe en Tunisie. Par conséquent, ils sont maintenant revus par de nombreux groupes de l'opposition espérant suivre des processus similaires au Mashreq. Mais la question du rôle central de l'État n'a pas été limitée aux théoriciens politiques islamistes. Même des théoriciens progressistes tendent à passer complètement le processus ascendant de gouvernance. Lorsqu'ils abordent la question de la démocratisation, ils se concentrent souvent sur les mécanismes permettant d’institutionnaliser et d’habiliter la société civile en tant que contrepoids de l'hégémonie publique au niveau national (Salameh, 1987, Badawi et Maqdisi, 2011). Dans le monde arabe de façon générale, et dans la région du Mashreq en particulier, la démocratisation n'a pas été source de motivation pour la décentralisation, à l'exception du Yémen, où cet objectif était au moins articulé nominalement à travers le processus (voir étude de cas). La plupart des pays de la région ont adopté des discours de réforme faibles et ont optimisé la priorisation des besoins de la communauté (à satisfaire par des polices et des corps exécutifs nationaux) comme prétexte pour leurs processus de décentralisation (Naser et Masri, 2005). Chose étonnante, la décentralisation s'est rarement retrouvée dans les discours de réforme politiques de la région, même parmi les défenseurs de la démocratie les plus bruyants. L'exception est peut-être le cas du Liban, qui a connu une frénésie de débats sur la décentralisation comme point d'entrée de la démocratisation suite aux élections de 1998, mais cet enthousiasme a ensuite disparu après avoir affronté la résistance majeure des élites traditionnelles contrôlant le gouvernement central (voir l'étude de cas ci-dessous).

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En 2002, les célèbres Rapports sur le développement humain dans le monde arabe produits par le PNUD ont formulé une proclamation des plus osées, selon laquelle le monde arabe serait en retard par rapport à la gouvernance et aux droits humains, et que ces questions ont ralenti toute avancée réelle dans la qualité de vie des personnes de la région (PNUD, 2002). Les rapports suivants continuaient d’alerter sur le fait que le manque de bonne gouvernance dans la région aura de graves répercussions sur le chômage, la capacité à maintenir la cohésion sociale, et la sécurité. Les rapports s'attaquaient à tous les domaines de réformes nécessaires mais ne sont pas allés jusqu'à désigner clairement la gouvernance locale comme une étape essentielle du changement. La lutte contre la corruption était souvent plus tolérée comme sujet de discours politique dans la région. La corruption détruisait les ressources vitales des nations de la région les plus prospères comme des plus démunies. Aujourd'hui, un grand mécontentement quant à l'impact croissant de la corruption sur le quotidien des personnes émerge dans la région. Les gouvernements centraux toléraient généralement quelques débats sur la question comme un moyen de neutraliser le mécontentement de la population. Pourtant, les débats et la littérature sur la résorption de la corruption utilisent le gouvernement local comme bouc émissaire de l’échec de la gouvernance, plutôt que de se concentrer sur des questions de responsabilité plus profondes liant la décentralisation à la démocratisation locale (Fawaz, 2005). En effet, dans de nombreux cas, les maires et administrateurs locaux parlent en privé sur le fait d'être menés à l'échec par les gouvernements centraux. 3. Une perspective de genre sur l’échec du paradigme de « décentralisation comme démocratisation » Afin d'illustrer la façon dont la question de la décentralisation a détourné celle de la démocratisation dans la région, la participation des femmes dans les gouvernements locaux peut être examinée pour comprendre le processus de manière plus approfondie. Les femmes se distinguent relativement bien parmi les électeurs des élections locales, mais semblent être beaucoup moins souvent présentes parmi les candidats et les membres du conseil, et presque jamais parmi les maires et les gouverneurs. Deux tendances peuvent être distinguées. D'une part, la première tendance implique les systèmes autoritaires, utilisant la symbolique de la participation des femmes comme façon de prouver la représentation de tous les genres, mais ne cédant pourtant aucun pouvoir. Piégées entre le besoin de mettre en valeur le progrès dans l'inclusion politique des femmes et la réforme au public externe, et la crainte de déranger les alliances sensibles avec les élites conservatrices locales, les femmes sont plus présentes dans les parlements que dans les conseils locaux. D'autre part, dans les systèmes électoraux les plus ouverts, la capacité des femmes à perdurer dans le maintien au pouvoir des élites nationales est plus faible que leur capacité à perdurer sur la base du mérite au niveau local. Au cours des dernières élections locales au Yémen, qui se sont déroulées en 2006, moins de 1 % des candidats étaient des femmes. Moins de 20 % d'entre elles ont en effet été élues. L'objectif déclaré du gouvernement visant à assurer au moins 15 % de présence féminine parmi les candidats ne s'est alors jamais concrétisé. Au niveau national, les femmes sont souvent représentées par un nombre réduit de candidates symboliques. Le niveau de représentation à échelle nationale est un peu plus élevé qu'à l'échelle locale, principalement car le Général qui fut longtemps à la tête du Parti du Congrès populaire voulait prouver aux bailleurs occidentaux qu’une certaine avancée avait lieu sur la question. Le système politique yéménite était lourdement contrôlé depuis le sommet, mais devait maintenir des bilans très complexes. Le processus électoral profitait de la participation accrue et des fortes contestations. L'adhésion à un parti politique est essentielle pour toute personne réussissant à occuper un poste local et national. Les femmes représentaient moins de 2 % des postes de direction de partis politiques. Seuls les partis n'ayant aucun doute sur l’obtention de la majorité dans un quartier pourraient présenter une candidate de sexe féminin. A contrario, 40 % des électeurs sont des femmes, et les partis politiques ne manquent pas de les inciter à voter. Les partis conservateurs islamistes ont souvent mobilisé des électeurs de sexe féminin contre les opposants plus libéraux. Les femmes sont incitées contre leur gré par les conservateurs à voter, comme moyen de représenter la laïcité. Dans un contexte où le patronage politique, et non le mérite, gouverne les élections, les femmes ont peu de chances de percer en tant que candidates, mais elles sont souvent contraintes moralement et socialement à voter pour les forces importantes qui souhaitent les maintenir à l’écart du pouvoir (Manea, 2011). La pression étrangère a en réalité prouvé qu'il était utile d'avoir un niveau de participation des femmes plus élevé au cours des derniers dialogues nationaux qui ont été conçus comme un mécanisme permettant de résoudre les grandes crises actuelles dans le pays depuis 2011. Toutefois, il reste à voir si le processus produira une quelconque déviation substantielle de la façon traditionnelle de faire de la politique. En Syrie, la situation relève encore plus de la symbolique. Le gouvernement syrien a toujours assuré que les femmes étaient représentées dans le parti de Baas. Néanmoins, même dans la base du parti laïc auto-proclamé Baas, et autres membres du Front Progressif, les femmes sont souvent rayées de la liste du parti dans les isoloirs. Au niveau national, l'instance du gouvernement sur un nombre minimum de représentation féminine assurera qu'au moins 10 à 12 % des sièges du Parlement seront

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occupés par des femmes. La surveillance au niveau inférieur est moins systématique étant donné que le gouvernement utilise souvent ces élections comme moyen de consolider les réseaux de patronage locaux. Les résultats les plus élevés s'élevaient à seulement environ 3,1 % des sièges de conseils locaux occupés par des femmes 5. Voici encore un exemple de l’inquiétude des gouvernements autoritaires envers la perturbation des systèmes de patronage locaux (Manea, 2011). L'analyse minutieuse de l'intégration des questions d'égalité entre les sexes peut révéler une vision importante de la façon dont la démocratie est ébranlée pour toute la société et non uniquement pour les femmes. Au Liban, malgré les progrès majeurs des trois dernières élections locales, le nombre de candidats de sexe féminin lors des élections locales de 2010 s'élevait à environ 11 %, mais les femmes n'ont remporté que 4,7 % des sièges 6. Toutefois, ce résultat est toujours nettement meilleur que celui des élections nationales, où leur représentation allait en fait en décroissant au fil des années. Les femmes se présentent généralement à des postes politiques nationaux des partis d’exécution. Toutefois, elles remportent les élections locales en étant indépendantes et en ayant une bonne réputation, une éducation certaine et du mérite professionnel (al-Hilou, 1998). Les partis politiques s’inquiétaient de la consolidation de leurs bases de pouvoir traditionnelles, et préfèrent souvent ne pas présenter de candidates de sexe féminin. Dans le cadre du patronage étroitement encouragé par l'élite politique nationale, les candidats représentent souvent des familles et des clans, plutôt que des communautés. Ces familles sont bien souvent honte d'envoyer une femme pour les représenter. La pression des bailleurs internationaux a permis d’accroître la visibilité des femmes candidates. Pourtant, cela n'a pas favorisé l'accès aux sièges en eux-mêmes. Les plus belles victoires de femmes élues aux conseils locaux ont eu lieu dans les petites communautés où les femmes ont plus de chances d'être connues et leur mérite d'être reconnu 7. Remporter le poste de maire est une autre histoire. Les partis politiques prêtent probablement attention aux candidates féminines victorieuses et les soutiennent probablement au poste dans un nombre de cas limité, souvent comme un compromis pour maintenir l'équilibre entre les acteurs sectaires traditionnels puissants. Ainsi, le paradigme de démocratisation ascendante devient clair depuis la perspective des genres. Au cours des dernières années, l'analyse politique de l'économie avancée par plusieurs des meilleurs théoriciens de la région arabe reste fixée au sommet de la pyramide politique (le patriarche) plutôt que sur les structures du patronage politique qui s'étend profondément à l'intérieur de chaque strate de la société (le patriarcat) comme paradigme de gouvernance dans la région 8. Pour la plupart de la région du Mashreq, la question de la décentralisation comme forme de démocratisation a obtenu un petit soutien politique formel de la part des gouvernements centraux ou également des réformistes. Comme nous le verrons dans les études de cas ci-dessous, les principales motivations en faveur de la décentralisation étaient basées sur les objectifs utilitaristes et non sur les objectifs politiques. Dans cette mesure, les gouvernements centraux ont toujours été en mesure de feindre la décentralisation approfondie en promulguant des polices de déconcentration. Les politiques désignées pour réduire l'écart entre le gouvernement central et les communautés locales (principalement en encourageant des réseaux de patronage plus forts avec des élites locales) ont été préférées aux politiques d’autonomisation des communautés locales pour la prise en charge de leurs propres intérêts économiques, sociaux, culturels et autres intérêts indispensables.

2.b

Décentralisation et développement économique

Globalement, le paradigme de décentralisation comme moyen de faire avancer la démocratisation s'est confronté à certaines critiques sérieuses, notamment à cause de l'incapacité perçue de la démocratie libérale à relever les défis de la globalisation (Berggruen et Gardels, 2013). Les flux économiques et la concurrence à échelle mondiale exigeaient un cadre plus flexible liant le local au mondial en évitant directement les cadres de responsabilité nationale. Surtout, pour rivaliser à échelle mondiale, une alliance plus forte entre l'État et les acteurs non Étatiques est nécessaire, remettant en question les modèles classiques de gouvernance. La gestion des systèmes de gouvernance à plusieurs niveaux a posé des difficultés à la fois dans la théorie et dans la pratique pour la région.

L es chiffres ont été répertoriés dans un rapport spécial préparé par l'ancienne députée Najwa Qassab Hassan au Parlement en 2007. L es chiffres sont listés sur : www.nclw.org.lb/Statistic , à partir des résultats officiels annoncés par le Ministre de l'Intérieur et des Municipalités du Liban. 7 Voir par exemple : http://www.al-akhbar.com/node/48432 . 8 Pour un exemple du type de littérature qui a émergé récemment dans la région, voir (Badawi et Maqdisi, 2011), (Bishara, 2012) et (al-Issawi, 2014). 5 6

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La démocratie a également été contestée au motif que, dans de nombreux pays, elle ne sert qu'à permettre la dictature de la majorité. Dépourvue de justice et manquant de surveillance des autres instruments de responsabilisation, la démocratie entraîne des politiques populistes (Sen, 1999). Il reste encore matière à faire à deux niveaux : d'une part, le développement économique a été mis en avant comme premier garant de la démocratie et de la liberté et, d'autre part, l'équité et la justice étaient nécessaires pour garantir que la croissance ne soit pas réduite au profit de quelques personnes. Dans de nombreux pays du monde, la décentralisation a été encouragée non pas comme un instrument de démocratisation en soi, mais comme un instrument de développement économique et de réduction de la pauvreté. De plus, les bailleurs ne souhaitant pas défier les gouvernements nationaux existants ont accepté d'encourager davantage de subsidiarité et de dévolution des pouvoirs nationaux au niveau local en utilisant le paradigme de la réduction de la pauvreté. Suite à la conférence de Second Habitat qui s'est déroulée à Istanbul en 1996, le précédent élan qui avait été lancé après Habitat I (qui eut lieu à Vancouver en 1976) devait être recentré sur le développement de davantage de conditions favorables pour réduire la pauvreté urbaine. La gouvernance locale a été codifiée à Istanbul comme pilier essentiel de la lutte mondiale pour fournir aux populations urbaines de plus en plus pauvres un logement et des services décents. Un accent sur la décentralisation comme premier moteur du développement économique local et un garant de réponses efficaces, réalistes et flexibles aux problèmes locaux a été codifié dans la déclaration finale d'Habitat II. Au-delà des déclarations formelles, l'ordre du jour d'Habitat guidait le travail et l'éthique de la plupart des aides internationales dédiées à la réduction de la pauvreté. ONU-Habitat est devenu l'organisation compétente des Nations Unies dans le traitement à la fois des questions de gouvernance locale et de logement, deux sujets indissociables. Des témoignages ont été recueillis à travers le monde pour lier les avancées dans la gouvernance locale au développement économique local. « L'épaisseur » institutionnelle au niveau local a montré une très forte corrélation avec une meilleure intégration dans des flux économiques globaux (Amin et Thrift, 1995). L'aide au développement de l'UE était étroitement inspirée par ce langage (Binder, 2007). L'habilitation de l'aide européenne à circuler d'un gouvernement local à un autre avait le double objectif de renforcer les régions de l'UE en intégrant leur contexte global et d'aider à la réduction de la pauvreté dans la région voisine 9. Au-delà du mandat direct de l'ONU-Habitat à travailler sur les questions de gouvernance locale, le PNUD, l'UNCDF, le FNUAP, la Banque mondiale et d'autres organisations internationales compétentes ont intégré un travail majeur sur les structures de gouvernance locale pour faire avancer les ordres du jour intersectoriels, qui semblent se trouver à des phases antérieures aux questions indépendantes. L'habilitation de l'interaction rapprochée entre la participation publique et la prestation de services était pratiquement affirmée à travers d'innombrables programmes et projets concentrés sur l'élargissement des compétences du gouvernement local. L'étude de cas du Yémen est un exemple clair de cette tendance. Le déroulement de l'ordre du jour d'Habitat a également débloqué d'importantes ressources permettant de développer la capacité administrative des gouvernements locaux, de renforcer leur capacité à surveiller leur économie et leurs environnement urbains à travers la mise en place d'observatoires urbains ainsi que d'intensifier les échanges de savoir-faire entre les gouvernements locaux du monde. Dans la région du Mashreq, ce travail a été mené via une intense collaboration de l'ONUCESAO, de l'ONU-Habitat, de la Ligue arabe et de nombreux réseaux de développement régional tels que la Banque arabe pour le développement économique et social, l'Institut arabe du développement urbain et l'Organisation des capitales et villes arabes.

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ucun témoignage concret n'est disponible pour évaluer l'équilibre actuel entre les impacts sur les partenaires européens et ceux des pays voisins. Cet auteur a A eu l'occasion de travailler et/ou de collaborer sur plusieurs de ces projets ou de les coordonner. Dans la plupart des cas observés, entre 30 % et 40 % des aides sont retenues par les partenaires européens de mise en place. Dans certains cas, ce ratio peut atteindre 70 % sur des projets purement techniques.

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La CESAO a organisé de nombreuses réunions régionales d'experts et a effectué plusieurs études dans un effort de cartographie des nouvelles tendances et d'évaluation de leur potentiel (ONU-CESAO, 2003). L'emphase sur le développement économique local comme étant opposé à la démocratisation a fourni un point d'entrée plus facile sur la question de la décentralisation. Néanmoins, le processus a permis à de nombreuses institutions locales et nationales de contourner les systèmes politiques centraux étroits et de se concentrer sur des approches ascendantes. Toutefois, dans de nombreux cas, le débat s'est concentré simplement sur la compétence du gouvernement local à communiquer des flux d'informations au gouvernement central. Le processus a été écourté et limité aux ajustements des ordres du jour du développement national afin de mieux cibler les besoins de développement local. La décentralisation, en ce sens, n'a pas pu se concentrer sur la véritable autonomisation des autorités locales afin qu’elles puissent gérer leurs propres économies locales 10. Les limites auxquelles se sont confrontées de nombreuses organisations de l'UE peuvent être attribuées à la nature même du mandat de l'ONU pour travailler avec des parties publiques 11. Dans la région arabe, le fait de contourner les filtres du gouvernement central afin d'atteindre les gouvernements locaux s’est heurté à des problèmes majeurs (Fawaz, 2005). Le gouvernement local représentait un moyen pour les régimes centraux de la plupart des pays arabes de canaliser leur patronage, ainsi qu'une ligne centrale face à de nouvelles réformes (Naser et Masri, 2005). Les tendances plus efficaces dans la victoire sur la résistance du gouvernement national au changement sont arrivées grâce à un travail bilatéral effectué sur les cadres de développement économique associés à la gouvernance locale. Le modèle d'ouverture de l'administration locale afin de gérer le développement économique local a été fortement testé en Égypte et n'a pas rencontré de franc succès en soi (Sawi, 2005). Toutefois, la capacité d'absorption de l'administration locale à recevoir des aides internationales s'est grandement améliorée. Les bouleversements majeurs qui ont eu lieu dans la région en termes de construction d'un cadre renforcé pour la décentralisation étaient certainement influencés par les pays bailleurs, en particulier l'UE, afin de canaliser une part croissante des aides à travers des programmes locaux. Cela s'est vérifié pour la région du Mashreq, comme cela l'a été pour de nombreuses autres régions du monde en développement. Être capable d'apporter un changement au niveau local et de faire évoluer une collaboration rapprochée avec le gouvernement local et la société civile locale émergeait comme un paradigme majeur (Mitlin et Satterthwaite, 2004). Toutefois, le principal problème était d'assurer une véritable habilitation des acteurs locaux et de ne pas créer une dépendance à l'aide internationale. Si en principe, la plupart des programmes d'aide sont conçus avec des stratégies de sortie afin d'assurer l'appropriation locale et l'autonomie progressive et d'éviter les problèmes typiques de dépendance, des évaluations de fin de projets ont souvent été effectuées lors de la dernière échéance de versement. Seuls quelques bailleurs se sont engagés envers un suivi et une évaluation sur le long-terme. Ils étaient encore moins nombreux à aider leurs partenaires à institutionnaliser les cadres de suivi et d'évaluation, au-delà des deux pages requises pour le dernier rapport à être publié avant la clôture des comptes de projet. Les programmes ayant rencontré un succès à cet égard ont souvent été centrés sur l'apport d'un soutien international progressivement plus élevé, étant donné que la capacité d'absorption locale a été améliorée. Les fonds de contrepartie se sont avérés être des outils plus efficaces que les subventions conditionnelles pour exploiter les ressources locales et nationales. De simples subventions ont en fait agi comme un élément dissuasif pour la réforme en fournissant des fonds dans un puits sans fond. Néanmoins, de nombreuses municipalités ont développé d'importantes compétences et ont été en mesure de négocier un accès supplémentaire aux ressources nationales en raison de leur implication dans les programmes allant du développement urbain stratégique, de la préservation de l'héritage urbain aux programmes d'émancipation des femmes, aux droits au logement, etc. Des alliances renforcées avec l'UE ont été jugées d'importance stratégique pour les gouvernements nationaux sur le plan politique. Ils étaient disposés à autoriser certaines concessions au niveau local en conséquence. Le programme MEDA et les initiatives euro-méditerranéennes ont été clairement définis selon cette logique 12. La capacité des autorités locales à fournir des résultats concrets en termes d'amélioration des services a été visible dans de nombreux cas. Toutefois, leur capacité à augmenter les opérations afin de couvrir des interventions de plus grande échelle et de transférer les impacts d'un secteur à un autre, a souvent été entravée par leur incapacité à rassembler leurs réussites et à les codifier à travers le changement de cadres juridiques. Les développements étaient effectués de matière trop lente pour correspondre à l'économie et répondre aux problèmes sociaux croissants. La récente évaluation des MDG montre très peu de progrès dans la région arabe dans son ensemble. P our avoir un exemple de la façon dont le discours sur la décentralisation se déroulait dans la région, consultez le compte-rendu de la conférence « Administration et municipalités locales dans le monde arabe », organisée par l'Organisation arabe pour le développement administratif en 2007. La structure de ces thèmes a été moins concentrée sur l'autonomisation et plus sur l'efficacité et l'efficience. 11 É videmment, le même dilemme est présent dans le cadre de la plupart des aides donatrices externes, la Banque mondiale, l'UE, et la plupart des partenaires de l'OCDE œuvrent par l'intermédiaire de partenariats avec les États membres. Toutefois, le principal problème, a souvent été d'autoriser la gouvernance au niveau local à traverser les plafonds de verre de leurs propres systèmes de gouvernance centralisée et d'exploiter les fonds de bailleurs directement. Parfois, l'USAID, comme dans le cas du Liban, a été en mesure de tirer profit des contrôles de l'État central faible pour imposer un accès direct aux autorités locales. Mais dans l’ensemble, de tels efforts restent de petites subventions et n'atteignent jamais les impacts des politiques. 12 C ela s'est particulièrement avéré en Syrie, par exemple, qui était un cas exceptionnel dans la réticence du gouvernement central à la réforme (Kawakibi, 2007). 10

13


Les croissances du PIB n'ont pas été accompagnées par un accès élargi à l'emploi, ou par la réduction de l'écart de dépendance sur le peu de membres actifs de la famille (ONU-CESAO, 2013). En substance, le développement économique dans la région du Mashreq ne s'est pas répandu de manière équitable à l'échelle nationale, locale, ou même au niveau inférieur. De récentes consultations conduites par l'ONU-CESAO afin de tirer les enseignements de l'OMD pour les Objectifs de développement durable (ODD) post-2015 révèlent une absence quasi totale de données réelles permettant de rassembler les indicateurs du développement sur l'échelon infranational. Les documents d'information commandés sur la responsabilisation traitent de tout le Parlement, la société civile, et le secteur privé. Toutefois, la gouvernance locale ne parvient pas à atteindre un niveau crédible de considération en tant que cadre de responsabilisation pour le développement. Dans cette mesure, le discours prononcé par la plupart des pays de la région pour justifier les modestes progrès vers la décentralisation dans la région en termes d'autonomisation des communautés locales pour prendre le contrôle du développement local comporte très peu de preuves empiriques pour soutenir une intention sérieuse parmi les gouvernements centraux d'abandonner même sur ce front apparemment moins chargé politiquement. Avant l'émergence du printemps arabe, des soulèvements et des révolutions, le point critique avait déjà été atteint. Malgré sa logique théorique, le paradigme de la décentralisation en tant que levier de développement économique avait atteint ses limites. Dans la ruée vers la sauvegarde de leurs régimes à partir du décès d'autres dirigeants arabes, de nombreux gouvernements centraux ont été ordonnés de bâcler des programmes d'investissement et de créer un rôle visible de l'État pour résoudre les problèmes de pauvreté. La logique chronophage et incrémentale du développement ascendant a souvent été jugée trop lente pour apaiser les foules en colère. À la place, de nombreux pays de la région ont opté pour des réponses populistes rapides en contournant entièrement le gouvernement local et en se précipitant vers les nouveaux grands projets depuis les centres avec un mépris total de leur validité, de leur logique de développement ou des externalités possibles. La même ruée a également été observée dans les pays qui venaient juste de connaître leurs révolutions. De nombreux arrangements rapides ont été apportés aux cadres de gouvernance locale, non pas pour habiliter une réforme, mais pour réaffirmer les cadres de patronage avec des tribus locales et des élites traditionnelles (Bou Taleb, 2012).

2.c

Décentralisation et manque de ressources nationales

Tandis que le développement économique était à l'esprit de nombreux bailleurs lorsqu'ils ont soutenu l'ordre du jour de la décentralisation, la plupart des gouvernements centraux sont devenus plus réceptifs à l'idée de décentralisation uniquement lorsque leurs ressources nationales n'étaient plus jugées suffisantes pour couvrir la planification du développement. La subsidiarité n'était pas examinée dans le sens positif de maximisation des options locales et d'habilitation des autorités locales à trouver des solutions innovantes. Malgré toute la rhétorique, la décentralisation n'a pas évolué par un besoin de tirer parti des ressources publiques et de créer un effet multiplicateur qui mènerait au développement économique. Au lieu de cela, le transfert des responsabilités centrales au niveau local a souvent eu lieu afin de décharger les gouvernements centraux de leurs devoirs et obligations (Fawaz, 2005). Le transfert de responsabilités n'a pas été suivi par le transfert de ressources et de droits. La décentralisation de la prestation des services n'a pas été suivie par la décentralisation fiscale (Bahl, 2002). Même lorsque certaines ressources ont été décentralisées, l'essentiel de celles-ci sont restées en tant que fonds discrétionnaires à la disposition des autorités locales afin de plaider au cas par cas, souvent en concurrence sur la même part. La décentralisation fiscale a souvent été menée par le maintien de la même logique de dépenses qui a été adoptée par les autorités centrales. En substance, tout ce qui a changé est le numéro de compte bancaire, mais les règlementations, les modalités, le ratio des dépenses sont restés les mêmes. Les autorités locales avaient augmenté leurs capacités à construire leurs propres réseaux de patronage, mais n'avaient pas de fonds pouvant être utilisés comme des investissements pour exploiter la poursuite du développement économique (Rao, 2002). Tandis que cela permettait aux autorités locales d'avoir un peu plus de souplesse dans la construction d'une confiance directe avec leurs communautés, la plupart du temps, cela a été utilisé comme un mécanisme pour acheter le soutien des partis politiques (Klitgaard et. al., 2000). En l'absence de véritables mesures de responsabilisation, la décentralisation fiscale est devenue un outil utile pour étendre le patronage des élites politiques nationales vers la plupart des clients locaux. En substance, libérer les élites politiques nationales de l'image négative d’imposition tout en gardant le contrôle sur la façon dont les fonds seront dépensés et en recevant les avantages politiques. Bien que la logique de la décentralisation afin de maximiser l'utilisation des ressources est certainement correcte, sa mise en œuvre n'a pas souvent été optimale (Mitlin et Satterthwaite, 2004). En son cœur, les autorités locales sont les mieux placées pour évaluer les besoins, comprendre les priorités et être en mesure de tirer profit de la société civile locale et d'autres acteurs

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locaux à réduire efficacement les dépenses des programmes de subvention inefficaces. La logique sous-jacente est celle selon laquelle le gouvernement central n'est pas facilement « réformable ». En commutant le fardeau et le peu de ressources aux autorités locales qui n'avaient pas les habitudes dépensières du gouvernement central, elles seraient plus économes avec leurs ressources. En effet, les gouvernements locaux se sentent souvent mal à l'aise de lever de nouveaux impôts 13. Les taxes sont susceptibles de les affecter directement en termes de réélection. Dans de nombreux pays, en particulier dans la région du Mashreq, les ressources nationales sont des éléments moteurs pour les économies de rente nationales. L'élite nationale laisse intentionnellement une ambigüité sur le besoin d'équilibre entre le droit aux rentes nationales et le besoin d'imposition. Toutefois, il est souvent perçu que les autorités locales sont plus expertes pour récupérer les frais pour leurs services, car elles sont les plus aptes à comprendre les coûts réels de ces services 14. Mais là encore, il est souvent difficile pour la plupart des citoyens de faire la distinction entre les taxes locales et les frais locaux, car elles sont très souvent perçues comme des extractions plutôt que comme des instruments financiers permettant d'améliorer les services. En outre, pour compenser le manque de financement du gouvernement central et élargir leur base de ressources locales, les autorités locales sont perçues comme plus souples afin d’établir un partenariat avec le secteur privé et la société civile et exploiter leurs propres ressources et celles de la communauté (Organisation arabe pour le développement administratif, 2007). Toutefois, la réalité est que, même dans les pays les plus développés, les partenariats avec la société civile ne participent pas concrètement à fournir des services locaux, comme promis par la théorie (Lewis, 2001). Une solution beaucoup plus facile était souvent de travailler en partenariat avec des entreprises et des sociétés à but lucratif, plus aptes à fournir un soutien technique important et non uniquement des fonds. Dans les pays les plus défavorisés, les gouvernements locaux ont souvent distribué des actifs publics et les ont vendu à des acteurs privés plutôt que de songer à investir ces actifs, et même lorsqu'ils investissaient leurs actifs, ils l'ont fait sans prendre dûment en considération les taux de remise adéquats ou d'autres alternatives réelles (Abou Omar, 2003). Dans les pays plus riches et plus ingénieux, les autorités locales attiraient souvent des investisseurs étrangers et de l'IDE. Indirectement, toutefois, l'essentiel de ces investissements serait injecté dans le secteur immobilier, par l'entremise de faux booms immobiliers de recherche de rente. Le résultat net mènerait à vendre l'immobilier trop cher, au-delà de la capacité des économies locales de tirer profit de la croissance locale. Il en découlerait l'embourgeoisement et la dispersion des citoyens pauvres. Alors que certaines personnes de l'IDE investiraient éventuellement au niveau local, l'impact global de ce genre de décentralisation est de pousser les transformations économiques néolibérales, en contournant les obstacles politiques nationaux et de faire progresser le processus aux collectivités locales peu méfiantes (Smith, 2010). Dans la région du Mashreq, bon nombre de ces questions prennent de plus en plus d'importance en raison des rares projets immobiliers hautement médiatisés dans les pays du Golfe (al-Shihabi, 2012). Dans cette mesure, de nombreux projets visant à faire avancer la décentralisation devaient s'attaquer à l'écart des connaissances au niveau local. Par exemple, amener plus de capacités techniques aux municipalités locales réduit leur manque de connaissances lorsqu'ils traitent avec les partenaires du secteur privé et augmente leur contrôle sur le processus de partenariat (Organisation arabe pour le développement administratif, 2007). Dans de nombreux cas, il a été noté que les autorités locales avaient de réelles compétences fiscales décentralisées à investir dans de nouveaux projets, mais les institutions nationales compétentes responsables de l'évaluation et de la préparation des dossiers techniques pour les projets n'ont pas été incluses dans le processus de décentralisation initial. Les autorités locales pourraient dépenser des millions dans des projets mais très peu dans des études de faisabilité, dans la conception et le suivi. Elles sont devenues complètement dépendantes des bailleurs potentiels et les partenaires privés doivent faire ce travail en leur nom (Mitlin et Satterthwaite, 2004). Divers programmes d'aide technique aux autorités locales et aux municipalités ont été extrêmement fructueux, alors que les modalités de l'appui n'étaient pas reproductibles. L'aide de coopération technique a rencontré certaines limites. Elle s'est principalement concentrée sur l'innovation, l'essai, le test de faisabilité et la création de meilleures pratiques. En tant que tel, une grande quantité de ressources a été allouée à la réussite de ces essais, qui ont réduit leur validité en tant que modèles fonctionnels. Il a été affirmé que l'aide au développement technique internationale a souvent été menée par des outils externes pouvant sembler théoriquement raisonnables mais qui ne contribue pas à améliorer la vie de leurs bénéficiaires cibles (Easterly, 2013). Dans la région du Mashreq, par exemple, malgré le grand travail novateur de quelques municipalités et l'incroyable avancée par les discours officiels des gouvernements ainsi que d'organisations internationales et régionales, les preuves de bonne gouvernance au niveau de l'autorité locale restent mal documentées (Fawaz, 2005). Il serait utile d'entreprendre une analyse complète de ce problème et d'évaluer ce qui a travaillé fonctionné sur le long terme et ce qui n'a pas fonctionné. 13 14

L 'expérience de l'Europe de l'Est dans la transition vers l'économie de marché a illustré ce dilemme ; voir (Malme et Youngman, 2001). L a plupart des systèmes comptables du gouvernement sont organisés autour de catégories de dépenses simples et non de centres de coûts, pour faciliter le déboursement et le suivi des cycles budgétaires. À cette fin, les coûts réels sont souvent très difficiles à suivre. Voir par exemple (Ives et al., 2009). Les coûts réels des services sont censés être mieux définis dans les budgets locaux, et ainsi, les frais reflètent davantage le coût réel du service. Cependant, indirectement, les gouvernements centraux subventionnent encore les services locaux par le biais des systèmes de taxe différentielle (Bouvier, 2013).

15


La reproduction d'impacts et le transfert de succès locaux vers des politiques nationales sont des actions extrêmement coûteuses. Au-delà de leurs coûts financiers, ils peuvent également être couteux politiquement en termes de perturbation des réseaux de patronage et de corruption. Les bailleurs internationaux ont souvent préféré travailler sur ces questions au niveau local, plutôt que d'essayer de développer des cadres nationaux pour les réformes. Ce dernier est généralement perçu comme inefficace (Klitgaard et. al., 2000). Un cercle vicieux a ainsi été mis en place. Le renforcement des capacités des autorités locales est couteux et ne peut se produire que par l'exploitation des ressources nationales réelles et leur canalisation pour soutenir les réformes locales. D'autre part, l'utilisation des ressources nationales requiert des connaissances et une expérience que la plupart des autorités locales n'ont pas. Dans l'étude de cas du Yémen, nous analyserons une initiative de la région du Mashreq ayant tenté de renforcer l'infrastructure humaine des autorités locales de façon ascendante et de faire progresser le processus de décentralisation au-delà des paradigmes juridiques et politiques normatifs. Ainsi, un déficit central dans le cadre européen du transfert de connaissances entre autorités locales est qu'il ne peut pas avoir d'impact sur les processus de dissémination plus larges. Les nouveaux modèles de canalisation de l'aide pour soutenir la collaboration entre les municipalités et de renforcement des capacités des gouvernements locaux à participer à la promotion des changements de politique peuvent s'avérer plus efficaces 15. Par conséquent, tandis que la décentralisation a souvent été justifiée sur la base de la maximisation de l'utilisation des ressources rares, l'essentiel des programmes de soutien n'a pas analysé la façon de maximiser les ressources locales par ce biais. Les budgets d'investissement des municipalités de la région arabe restent nettement inférieurs à ceux d'autres régions voisines (Banque Mondiale, 2007). En outre, les municipalités investissent des parties beaucoup plus petites du budget total du secteur public. Ainsi, dans les deux cas, la capacité des autorités locales à créer des effets multiplicateurs réels via leur investissement reste limitée. Au-delà de l'emphase portée sur l'obtention d'une base du revenu plus conséquente et plus sûre pour les municipalités, il existe un besoin d'étendre l'autonomie fiscale pour que les autorités locales puissent créer de nouvelles opportunités afin d'attirer des investissements réels dans leurs communautés, et d'accroître les revenus disponibles localement et d'assurer une distribution équitable de ceux-ci.

2.d

Décentralisation et résolution des conflits

Un autre paradigme important a émergé au cours des dernières années afin de justifier la décentralisation avec l'intérêt particulier pour la région du Mashreq, principalement la question de la réduction des guerres civiles et/ou des conflits ethniques et sectaires. Tandis que les paradigmes du partage des pouvoirs a souvent été au centre du mécanisme des résolutions de conflits, au cours des dernières années, ils ont été traduits au partage des pouvoirs territoriaux et non uniquement au partage des pouvoirs institutionnels (Roeder et Rothchild, 2005). Le modèle de résorption des pouvoirs locaux en faveur de la consécration de l'unité nationale, suivi au Liban, n'a été rendu possible que grâce au très large consensus international et régional et à un plan de reconstruction très onéreux financé par les États du Golfe. Ce modèle est aujourd'hui largement perçu comme étant non reproductible. Les opérations de construction de la paix descendantes ouvrent le chemin à la construction de la stabilité croissante dans différentes parties d'une nation malheureuse et à la reconstruction progressive du consensus pour rassembler la nation sur la base d'un nouveau contrat social. L'ultime solution est souvent d'être dirigé vers un certain niveau de fédéralisme, avec des modèles semblables à ceux de l'Espagne ou du Canada, comme référence (Gangnon, 2008).

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S KL International (http://www.sklinternational.se ) a lancé une nouvelle approche des partenaires municipaux intitulée « Partenariats locaux thématiques », qui semblent être des collaborations entre les autorités locales dans les pays en développement, les pays en transition ou les pays en cours de rapprochement de l'UE, et les autorités locales et régionales suédoises. Le travail est souvent soutenu par les associations nationales des gouvernements locaux. Les partenariats se concentrent sur la réalisation des résultats locaux dans des groupes de 3 ou 4 autorités, dans lesquels le produit fini est analysé, diffusé, agrandi et/ou utilisé par la promotion de la politique nationale par l'association concernée des autorités locales. L'outil fournit un mécanisme permettant d'assurer la durabilité des politiques et programmes par le biais d'une cartographie des pratiques existantes au niveau local et le test des innovations et nouveautés. Il a été appliqué en Turquie et en Serbie.

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Décentralisation dans la région du Mashreq : défis et opportunités | 2015


Toutefois, ces processus ne sont pas souvent dirigés par un logique claire de construction de la paix ni par des processus de concurrence parmi les différents acteurs régionaux et/ou internationaux, comme cela s'est produit en Somalie (Leonard et Ramsay, 2013). Et même lorsque le processus était dominé par un agent externe puissant, comme cela a été le cas de l'Irak, la question du fédéralisme était uniquement codifiée dans des cadres constitutionnels idéaux (Shimmari, 2013), en comprenant que la mise en œuvre se produirait uniquement de façon progressive au fil des années (ONU-Habitat, 2011). Le cas du Liban est expliqué en détail dans l'étude de cas ci-dessous. Il reflète la difficulté de renégocier des conventions de statut quo même des années après la fin des guerres civiles, et définit l'importance des dialogues rigoureux dans la réaffirmation des priorités de développement qui délogeraient les monopoles de pouvoir détenus par les seigneurs de la guerre, reconvertis en politiciens locaux. Le cas de la Somalie n'est pas abordé dans ce document, mais il fait partie des modèles pertinents à étudier en termes de renégociation du cadre national sur la base des intérêts collectifs des différentes régions, qui sont devenues, à de nombreux égards, plus fortes que l'État central. La construction du système fédéral dépend de la quantité de pouvoirs ces entités désormais locaux souhaiteront céder au gouvernement fédéral (Bryden, 2013). Ceci est en substance un renversement du paradigme de décentralisation en ce que, dans les situations d'après conflits, il existe un besoin d'ancrer à nouveau les autorités locales renégates dans un cadre national cohérent. Ce nouveau paradigme se répète avec une intensité croissante dans les différentes parties du monde. Plus récemment au Yémen (voir l'étude de cas ci-dessous), les États du Golfe limitrophes espéraient que le conflit qui a entraîné la démission éventuelle du Président Ali Abdallah Saleh ferait partie d'un processus de dialogue national. Toutefois, dans le cas du Yémen, le gouvernement central n'avait pas été autant divisé que la Somalie. Le gouvernement central est peut-être encore aujourd'hui le seul garant institutionnel viable des services et du bien-être, mais n'est plus fiable pour diriger le développement malgré tous les progrès qu'il a fait au cours des dernières années au niveau de la décentralisation. Ainsi, le dialogue national a orienté le pays vers le fédéralisme, nécessitant encore l'analyse de la question de la décentralisation du point de vue de la cession de pouvoirs de la périphérie vers le centre, afin de garantir une situation gagnant-gagnant avec des acteurs séparatistes. En termes realpolitik, libérer les anciens rivaux s'avère être une stratégie plus réaliste que la tentative de négociation d'un nouveau cadre pour la démocratisation et le partage des ressources nationales. Dans le futur proche, le modèle aura certainement un effet normalisant sur les futurs conflits de la région. Les cas de la Syrie et de la Libye peuvent être particulièrement sensibles à de telles solutions. La façon dont cette tendance touchera le processus de décentralisation dans la région du Mashreq n'est pas encore connue. Les régimes centraux ne seront certainement pas en mesure de conserver leurs privilèges et pouvoirs beaucoup plus longtemps. Certains tenteront de faire pression pour davantage de décentralisation administrative afin d'éviter de devoir faire un compromis sur les questions plus profondes de la décentralisation politique et fiscale. Cela pourrait être le cas de la Jordanie (voir l'étude de cas ci-dessous). D'autres tels que certaines monarchies du Golfe peuvent en fait choisi de contourner leurs autorités locales figuratives afin d'accélérer la prestation de services et de développement économique promis de longue date, même si cela doit se faire au prix de l'efficacité et de la construction de consensus. Toutefois, il est certain que la question de la décentralisation ne peut pas être débattue plus longtemps à partir de cadres restreints de l'efficacité technique, de la résorption de la corruption et de l'augmentation du patronage politique. Au-delà des questions typiques de la prestation de services, la question de la décentralisation a été de facto liée aux questions de la cohésion sociale, des réformes politiques et de la création de processus de développement équitables, afin d'assurer que la richesse nationale n'est pas limitée aux rentes étroitement monopolisée par l'élite nationale. La réticence du gouvernement arabe à aborder la décentralisation de manière raisonnable au cours des trente dernières années signifie que la question devra être traitée dans les conditions les plus défavorables aujourd'hui. Les processus qui demandent des décennies pour renforcer les capacités et développer les pratiques normatives doivent se produire plus rapidement que le déroulement des évènements de la région.

8

D onnées extraites du site du Ministère algérien de l’intérieur et des collectivités locales : http://www.interieur.gov.dz/Dynamics/frmItem.aspx?html=11&s=5

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3.

Études de cas (Jordanie, Liban, Yémen)

3.a

Première étude de cas : La Jordanie

1. Bref historique de la décentralisation Depuis son indépendance le 25 mai 1946, la centralisation prévaut en Jordanie. De 1949 à 1988, le territoire de la Jordanie comprenait la Cisjordanie, occupée par Israël depuis juin 1967. Les politiques de développement incluaient les deux rives du Jourdain afin de donner du travail à la population, dont 350 000 réfugiés palestiniens. De 1957 à 1989, la Jordanie se trouvait sous la loi martiale et aucun parti politique n'était autorisé, bien que les élections municipales fussent maintenues. Depuis 1992, les partis politiques ont été introduits, mais ils représentent moins d'un tiers des sièges du Parlement, étant donné que la plupart des sièges revient aux candidates indépendantes, membres des tribus et familles principales. Les municipalités ont été créées par la loi de 1955, soit trois ans après l'adoption de la Constitution. Il existait quatre sortes de municipalités : les centres du gouvernorat (onze plus le GAM), les centres régionaux (ayant une population de plus de 15 000 habitants), les centres du qada (ayant entre 5 000 et 15 000 habitants), et une quatrième catégorie pour toutes les autres municipalités. La loi sur les municipalités de 1955 s'est inspirée du système britannique. Elle confère de grandes responsabilités aux maires. Les municipalités ont progressivement perdu bon nombre de leurs responsabilités depuis la création de cette loi en 1955. En pratique, le gouvernement central fournit tous les services de base : eau, électricité, gaz, système d'évacuation, école primaire, santé, défense civile, transports publics, logement et environnement. Les municipalités sont désormais responsables de l'aménagement urbain, de la récupération des déchets, de l'entretien des routes, de l'éclairage, des marchés et des permis de construire. Elles n'ont aucun pouvoir politique et de très faibles ressources budgétaires. La première politique de décentralisation remonte à 1993. Elle est arrivée dans le cadre du processus d'ouverture démocratique. Au début, certaines unités de développement local ont été créées à l'intérieur des municipalités principales, sous le Ministère des affaires municipales. Elles sont devenues le théâtre de la participation publique avec un accent mis sur le développement économique et les nouveaux projets d'investissement. Entre 1994 et 1996, le PNUD et la Banque Mondiale ont fait pression en faveur de la fusion des 328 municipalités et des 324 conseils de village. Une réforme majeure a été mise en œuvre en seulement quelques mois en 2001. Le nombre de municipalités a été réduit à 99 et tous les conseils de village ont été dissouts. La fusion des municipalités était conçue afin de résoudre le problème de l'insolvabilité en réduisant le personnel municipal (optimisant le nombre du personnel pour les citoyens servis), tout en promouvant une plus grande participation de la population. Elle a également forcé les tribus à créer de nouvelles alliances afin de conserver un certain contrôle sur les municipalités occupant leurs territoires traditionnels. La décentralisation a été annoncée par Sa Majesté le Roi Abdallah II le 27 janvier 2005, qui a déclaré que « le développement politique devait commencer de zéro, puis évoluer vers les centres de prise de décisions, et non l'inverse ». Les programmes ont priorisé trois régions, qui devaient créer leur propres assemblées élues indirectement et leurs propres capitales régionales. L'intention était que chaque région gère ses propres services et opte pour une politique visant à encourager le développement local. Une plus grande marge de manœuvre dans la mise en place des programmes de développement au niveau local devait être accordée aux autorités locales. Toutefois, la création des régions n'a pas été poursuivie, partiellement à cause d'un manque de préparation politique, mais également à cause d'un manque de coordination interministériel. En octobre 2008, dans un nouveau discours, Sa Majesté le Roi Abdallah II a appelé à une participation publique plus importante au niveau des gouvernorats. Les programmes de développement local ont alors été transférés du Ministère de la Planification à Ministère de l'Intérieur. En novembre 2010, Sa Majesté a promis au Parlement un projet de loi sur la décentralisation, comprenant la création de conseils du gouvernorat. Un comité ministériel sur la décentralisation a été créé, comprenant quatre sous-comités (juridiques, cadre institutionnel, finance et renforcement des capacités). Pendant le printemps arabe, le projet de décentralisation a été remis à l'ordre du jour en réponse aux aspirations démocratiques accrues de la population. Le besoin de la participation des citoyens dans les processus de prise de décisions et pour la gestion des infrastructures et des projets de développement local est devenu une priorité étant donné qu'il semblait répondre à certaines demandes de plus grande autodétermination locale. La décentralisation a été fortement liée à un besoin urgent de créer des emplois. L'habilitation des autorités locales à entreprendre la participation des sociétés du secteur privé dans la lutte contre le chômage était jugée comme étant une partie importante de la stratégie. La création d'emplois à travers le pays à la

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fois dans les zones rurales et urbaines faisait partie des besoins critiques de ralentir l'exode vers la capitale. Différents projets ont ensuite été créés afin de soutenir le développement économique local tel que Baladyati, PLEDJ (UE) et LENS (USAID). Un point culminant des directives menées au niveau national et le programme de soutien international ont joué un rôle crucial dans la création d'un mouvement significatif, comme nous le verrons ci-dessous. Cela a abouti à l'élaboration d'un projet de règlement concernant les conseils des gouvernorats et l'amendement proposé à la Loi sur les municipalités en avril 2014. 2. Statut actuel La gouvernance locale œuvre sur deux niveaux administratifs complémentaires en Jordanie : les gouvernorats du Ministère de l'Intérieur, et un système municipal comprenant les municipalités et le conseil des services communs du Ministère des affaires municipales. Il est important de noter que le Grand Amman (GAM – Greater Amman Municipality), qui comprend un tiers de la population jordanienne, existe en vertu des différentes conditions préalables démocratiques d'autres municipalités jordaniennes. À cette structure, il convient d'ajouter la zone économique spéciale d'Aqaba, gérée indépendamment avec les juridictions plus larges que les autorités locales classiques et supervisée directement par le Premier ministre. De la même manière, l'autorité de la région de Pétra est placée sous un ministre compétent pour son extrême sensibilité en tant que première attraction touristique de Jordanie (Illustration 1). Illustration 1 : 

Le niveau du gouvernorat La Jordanie est divisée en 12 gouvernorats (Amman, Irbid, Zarqa, Mafraq, Balqa, Jerash, Madaba, Ajloun, Karak, Tafila, Aqaba) (Illustration 2). Les gouvernorats sont sous-divisés en circonscriptions (liwa') et sous-circonscriptions (qada'). Tous les ministères et les organismes de services publics (à l'exception des Ministères de la défense et des affaires étrangères) ont des services ou des bureaux régionaux dans les gouvernorats. Chaque gouvernorat est géré par un gouverneur qui est désigné par le Conseil des ministres, basé sur la recommandation du Ministère de l'Intérieur.

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Illustration 2 :

Le gouverneur est actuellement assisté par deux conseils : le Conseil exécutif et le Conseil consultatif. Le Conseil exécutif comprend les responsables régionaux des différents ministères, particulièrement des ministères concernés par la prestation de services publics. Le Conseil consultatif comprend 15 membres désignés par le Ministre de l'Intérieur sur la base d'une recommandation faite par le gouverneur, et choisi parmi les acteurs locaux (députés, maires, organisations syndicales, secteur privé, organisations, société civile, etc.). Ce conseil, dont le rôle est purement consultatif, formule des recommandations qui sont soumises aux Conseil exécutif et au gouverneur. Ce dernier peut alors les adopter ou les rejeter. Malgré les politiques successives visant à encourager la participation publique et à développer la gouvernance locale depuis 1993, la Jordanie reste grandement centralisée. Douze gouverneurs « coordonnent » le travail des services gouvernementaux et les services publics des gouvernorats. Ils sont en charge de l'approbation du budget de 93 municipalités, à l'exception du GAM (qui relève directement de la compétence du Premier Ministre). Mais les gouverneurs ont très peu d'autonomie et peuvent uniquement prendre des décisions sur les projets de moins de 100 000 JOD (142 000 USD). En 2003, les unités de développement local ont été créées dans chaque gouvernorat, dans le but de développer les mécanismes de participation afin d'impliquer les acteurs locaux dans les processus de développement local. En février 2008, le bureau du Premier Ministre a émis une ordonnance transférant 92 fonctions du niveau des ministères aux gouvernorats. Le but était de rendre les services publics plus accessibles à la population, mais ces services étaient limités dans leur portée et ni les gouverneurs, les UDL ou les autorités locales n'avaient suffisamment de pouvoir pour adopter des rôles plus dynamiques. Aujourd'hui, les UDL continuent d'œuvrer dans un système déconcentré. Bien que les UDL aient en théorie assumé leur position lorsqu'elles pouvaient jouer un rôle majeur dans l'élaboration des stratégies de développement local, et des plans d'action de développement local pour leurs gouvernorats respectifs, en réalité, elles se concentraient d'abord sur le rapport rendu au centre sur la mise en œuvre des projets par d'autres autorités gouvernementales au niveau des gouvernorats. Le cadre juridique et institutionnel présente en fait un décor complexe au sein duquel les rôles des UDL ne sont pas clairement définis par rapport aux gouvernorats, aux gouverneurs, aux conseils exécutifs et consultatifs, aux ministres, aux municipalités et aux zones de développement, tous étant des acteurs du développement local.

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Dans certains cas, les UDL existent en vertu d'accords rudimentaires avec un personnel très limité, qui exercent des tâches réactives de saisie de données des déboursements financiers des projets capitaux dans les gouvernorats concernés, ainsi que d'autres tâches qui ne sont confiées à personne d'autre. Dans les meilleurs des cas, elles ont élargi leurs rôles, incluant la participation active dans les processus de planification stratégique au niveau des gouvernorats. Toutefois, les UDL sont de manière générale rarement impliquées dans la planification du développement local qui relève des projets d'infrastructure capitaux, par exemple dans l'analyse du potentiel de DEL du gouvernorat, la coordination avec les groupes d'intérêt du secteur privé et l'analyse de l'impact environnemental. Bien qu'il est possible de conclure que les UDL exercent des fonctions basiques, telles que définies dans les réglementations du Ministère du travail, ces tâches sont exécutées à différents degrés d'intensité et d'initiative, et le rôle prévu des UDL comme un catalyseur du développement et de la participation locale n'a par conséquent pas été respecté (Knox et Al-Mothaffar, 2014). Le niveau municipal Les municipalités jordaniennes constituent un composant partiellement décentralisé d'un système de gouvernance locale plus large, impliquant les ministères d'exécution déconcentré verticalement. Les élections municipales de 2013 constituaient une première étape vers la mise en œuvre de la promesse d'un système politiquement décentralisé du gouvernement local. Toutefois, l'absence de véritable volonté politique de prendre des mesures en faveur de la décentralisation administrative et fiscale, comme nous le verrons plus tard, représente un obstacle majeur dans la quête jordanienne de la décentralisation. Pour citer la Banque Mondiale : « l'un des aspects les plus marquants de la situation municipale en Jordanie est l'énorme fossé existant entre les grandes fonctions et responsabilités que la loi confère aux municipalités et qui les autorise à exercer, d'une part, le nombre extrêmement limité de services qu'elles fournissent et les fonctions qu'elles assument, d'autre part » (BM, 2005). Conformément à l'Article 41 de la loi de 1955, les municipalités exercent 39 fonctions qui concernent premièrement les services urbains, tels que le nettoyage, la pulvérisation d'insecticides, l'éclairage des voies publiques, la construction et l'entretien des routes, des abattoirs, des marchés, des parcs publics, des librairies et l'aménagement urbain. Les municipalités ont également un mandat général de développement local. Le Ministère de l'Intérieur et le Ministère des affaires étrangères jouent des rôles de tutelle majeurs sur le secteur et seuls 3 pourcent des dépenses totales du gouvernement sont effectuées en faveur des municipalités. En pratique, la plupart des municipalités sont désormais responsables de l'aménagement urbain, de la récupération des déchets, de l'entretien des routes, de l'éclairage, des marchés et des permis de construire. Les conseils de services communs ont été créés afin de fournir des services (en particulier, la récupération des déchets) pour plusieurs groupes de municipalités et de villages (leur nombre a été réduit de 44 à 21 en 2001), mais seuls 16 d'entre eux gèrent la récupération des déchets, et la majorité œuvre sous l'impulsion du Ministère des affaires municipales. Les municipalités ne sont pas en mesure de développer leur propre politique locale en réponse aux besoins locaux spécifiques. La loi ne permet pas aux municipalités d'influencer les politiques de prestation de services élaborées par les organismes publics et privés. Elles ne sont même pas impliquées dans, ou consultées par, les organismes fournissant des services urbains de base, tels que l'eau et l'électricité. Cela crée des problèmes de distribution majeurs. Les budgets municipaux (à l'exception du GAM) dépendent énormément du système de répartition des transferts qui remonte à l'année 2002 et prennent en compte un certain nombre de facteurs socio-économiques, dont la population. Plus de la moitié du budget municipal provient du transfert gouvernemental (8 % de taxes sur les dérivés de pétrole et 40 % sur les ventes de voitures). La formule de transfert a été réajustée en 2012-2013, mais elle doit pourtant être finalisée et les maires doivent exprimer leurs inquiétudes quant au manque de prévisibilité dans le système, avec le gouvernement central manquant à plusieurs reprises à ses engagements totaux, comme prévu par le partage des dérivés de pétrole et des ventes de voitures (Ababsa 2015). La seconde source est l'impôt foncier 16 et les permis de construire. Jusqu'à l'année 2011, seules les trois plus grandes municipalités (Amman, Zarqa et Irbid) parvenaient réellement à recevoir la part essentielle de cette ressource (55,1 millions de JD pour GAM et 19,1 millions de JD pour les 93 autres municipalités). Les autres municipalités dépendaient du Ministère des finances qui s'en chargeait pour leur compte. Le Ministère des finances conserve généralement 10 % de la somme reçue. Mais, afin d'entamer la décentralisation finale progressive, les municipalités reçoivent des impôts fonciers depuis 2011. Les municipalités peuvent également acquérir des prêts du Cities and Villages Development Bank (CVDB).

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1 5 % de la valeur locative annuelle estimée pour l'impôt foncier (y compris des impôts fonciers municipaux) (10 pourcent), la taxe d'assainissement (3 pourcent destinés au services des eaux) et la taxe pour l'éducation (2 pourcent destinés au Ministère de l'éducation).

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En plus de ceci, les municipalités jordaniennes souffrent actuellement d'un grand manque de compétences : matériel et moyens logistiques obsolètes permettant d'assurer la prestation et l'entretien des services et des biens ; attention limitée à la planification de la croissance urbaine et du développement local ; autorité se trouvant en réalité aux mains du maire avec des contrôles limités ; système de recrutement basé sur le patronage ; engagement civique inapproprié et déclin régulier des cotes de confiance ; charge salariale héritée et accablante et service de la dette non viable ; pratiques et systèmes de gestion financière dépassés ; capacité d'investissement sévèrement limitée (National Resilience Plan 2014). L'illustration ci-dessus n'est en rien uniforme et présente de grandes variations en fonction de la taille et de la capacité des municipalités. Afin de concevoir ces défis, il existe un cadre de régulation insuffisant permettant de guider les municipalités dans leurs responsabilités administratives et la transparence insuffisance dans la division des rôles entre les gouvernorats et les municipalités. 3. Principaux défis relatifs à l'environnement favorable La Jordanie est un petit pays de 7,5 millions d'habitant (6,5 millions d'habitants selon le Service des statistiques en 2014), qui copte le plus grand nombre de réfugiés dans le monde : 40 % de sa population est d'origine palestinienne (et ont reçu la nationalité à part entière en 1954) ou issue des récentes arrivées de réfugiés irakiens et syriens. Les réfugiés sont concentrés dans la principale conurbation d'Amman-Russeifa-Zarqa, qui réunit près de la moitié de la population. La décentralisation jordanienne a été principalement envisagée comme un outil permettant de soutenir le développement des zones périphériques. Ceci explique pourquoi, en termes de décentralisation politique, le GAM n'est pas traité de la même façon que les autres municipalités jordaniennes. Ceci explique également la nature quelque peu expérimentale de la politique gouvernementale concernant l'adoption de différents mécanismes institutionnels pour le développement local, y compris la création d'Unités de développement local de gouvernorat, d'unités de développement local de municipalités et de zones de développement (suivant la création de la Zone économique spéciale d'Aqaba et de la loi sur les zones de développement de 2008) (Knox et Al-Mothaffar, 2014). Suite à l'élection de certains maires islamistes en 1993, plusieurs changements ont effectués au niveau municipal. Les maires, ainsi que la moitié des conseils municipaux, ont été désignés par le gouvernement central entre 2001 et 2007. Le rôle des conseils municipaux au cours de cette période a ensuite été remis en question, dont certains membres du nouveau conseil municipal (élus en 2013) prétendaient que la situation financière pauvre actuelle des municipalités pouvait dans la plupart des cas être directement attribuée au manque de responsabilité au sein du système précédent. En 2009, le Ministère de la planification précédent a entamé un comité interministériel sur la décentralisation avec le soutien technique du PNUD. Son rôle principale était de donner aux maires les moyens d'exprimer leurs besoins et visions communautaires en augmentant leur engagement au sein du système centralisé existant, en substance en les intégrant de façon ascendante plutôt qu'en décentralisant les compétences de façon descendante. Cette stratégie était jugée comme trop risquée pour le gouvernement central. Afin de contrôler les tribus et d'empêcher les islamistes de prendre des pouvoirs dans les municipalités, une réforme a été proposée uniquement au niveau du gouvernorat. En mai 2009, un groupe de travail technique sur la décentralisation a été créé par le Premier Ministre afin de préparer un « cadre stratégique de décentralisation ». Ce cadre devait intégrer tous les maires élus dans les gouvernorats dans un « Conseil de municipalités du gouvernorat ». En parallèle, il y eut une première intention de réformer la loi relative aux élections municipales afin de redéfinir les circonscriptions électorales et d'assurer un niveau plus vaste de représentation des citoyens, par opposition à la règle de la majorité simple. Après les soulèvements du printemps arabe de 2011, des protestations poussant à restreindre les pouvoirs de la monarchie constitutionnelle et à mettre fin à la corruption ont été accompagnées de demandes pour la création de nouvelles municipalités. Toutes les personnes précédemment désignées pour les conseils municipaux ont été exclus le 1er mars 2011. De nouveaux maires ont été désignés jusqu'aux élections municipales de 2013. La Loi sur les municipalités de 1955 a également été modifiée en septembre 2011. Elle a augmenté le quota de sièges destinés aux femmes de 20 à 25 % et a fait passer la part des taxes sur le carburant allouée aux municipalités de 6 à 8 %. Six municipalités comprises dans le GAM en 2007 ont acquis leur autonomie en 2011. Toutefois, ces mouvements ont été perçus par certains journalistes comme étant des mesures d'apaisement populiste, plutôt qu'une véritable tentative de créer des possibilités de responsabilisation et de développement local.

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Aujourd'hui, un autre grand défi a fait son apparition, principalement celui de gérer l'afflux de réfugiés syriens dans le pays et le fardeau que cela a créé sur tous les niveaux de gouvernement, mais surtout sur les municipalités. La crise a exaspéré toute une gamme de questions de capacités et systémiques qui empêchent les gouvernorats et les municipalités (les conseils municipaux nouvellement élus) de répondre aux demandes de services, et dépassant les exigences de prestation de service et de développement local pré-crise. Les chiffres de l'UNHCR (2013) indiquent que 65 % des réfugiés syriens se sont installés dans les zones urbaines et, à travers les 12 gouvernorats jordaniens, 240 000 (39,1 %) vivent à Irbid, 135 000 (22 %) à Mafraq, 119 000 (23 %) à Amman, 46 000 (7,5%) à Zarqa et 47 000 (7,6 %) sont répartis à travers le reste du pays. Toutes les municipalités des gouvernorats de Irbid et Mafraq ont été témoins d'une augmentation de la population en raison de la crise, alors que certains ont connu une augmentation subite de la population non viable (Mafraq – 128 % ; Ramtha – 47 % ; Al Serhan – 45 %). Par conséquent, les évaluations initiales sur l'impact de la crise ont porté presque exclusivement sur les municipalités dans les deux gouvernorats du nord d'Irbid et de Mafraq. Davantage de données sont nécessaires afin de développer une compréhension globale de l'effet de la crise sur l'ensemble du système de gouvernance locale, et sur les populations touchées. Toutefois, il est évident que l'afflux soudain de la population syrienne a provoqué les impacts notables suivants : ➜ L a pression accrue sur les municipalités afin qu'elles fournissent davantage et de meilleurs services sociaux et municipaux, qu'elles traitent les manques en matière de logement, qu'elles entament le développement économique local, et qu'elles soutiennent la cohésion sociale des collectivités. ➜ L 'augmentation des tensions locales en particulier des citoyens jordaniens dans les communautés d'accueil qui commencent à exiger une réponse plus efficace à leurs propres besoins de la part des institutions publiques et des autorités locales, en particulier dans les petites collectivités. ➜ La nouvelle priorisation temporaire des programmes de développement planifié et électoraux et des cadres d'investissement dans les zones touchées, avec le potentiel à long terme d'avorter les efforts effectués pour introduire et soutenir un nouveau système de planification infranationale horizontal. ➜ Des décisions cruciales sur la future forme de la gouvernance infranationale menacent d'être retardées davantage en raison de l'urgente nécessité de répondre aux besoins pressants des communautés d'accueil. Le nombre de réfugiés syriens résidant à l'extérieur des camps de réfugiés dans les communautés jordaniennes ajoute une pression supplémentaire sur les municipalités ayant déjà des difficultés à fournir des services essentiels. La gestion des déchets solides (SWM) est une préoccupation majeure. L'afflux des réfugiés implique en principe une hausse des 340 tonnes de déchets estimées à éliminer par jour. Avant la crise, les capacités de SWM était à bien des égards déjà dépassées, les moyens logistiques étaient obsolètes et insuffisants, les moyens financiers dépassés en augmentant le coût du carburant, et les processus techniques et institutionnels inefficaces – et écologiquement non viables. Il existe d'autres grands défis de résilience (durabilité) liés à l'optimisation complète des dispositions de la loi sur les municipalités (p. ex., le rôle des conseils de services communs dans les derniers stades du cycle SWM - la manutention, la réduction du volume et le traitement et l'ensevelissement des déchets). Un certain nombre d'autres services municipaux et des fonctions de planification sont touchés directement par la crise : (i) la capacité de gestion urbaine et le contrôle du développement (liés à la croissance urbaine et aux nouvelles constructions) ; (ii) l'absence de routes, le drainage des eaux de pluie et l'éclairage des voies publiques dans de nouvelles zones d'extension des colonies ; (iii) la dégradation des routes due aux lourdes charges de transport; (iv) l'utilisation excessive des parcs et des espaces publics comme zones de transit pour les réfugiés; (v) une capacité inadéquate de cimetières municipaux; (vi) des solutions de logement inappropriées ; (vii) approvisionnement en eau et conditions sanitaires faibles en raison de l'infrastructure insuffisante (fournis par les organismes centraux du gouvernement) ; (viii) absence de priorisation des gains/initiatives de DEL antérieurs comme prestation de services urgente, aide humanitaire et les efforts de cohésion sociale sont prioritaires, etc. Selon un rapport publié récemment par le Ministère de la planification et de la coopération internationale (MOPIC), la présence des Syriens à l'extérieur des camps de réfugiés dans les gouvernorats du nord devra engager des coûts supplémentaires pour les finances municipales d'environ 40,5 millions de dollars américains par an d'ici la fin de l'année 2013 (MOPIC, 2013). Une analyse limitée des estimations budgétaires municipales et le recouvrement de l'impôt foncier pour les gouvernorats d'Irbid et de Mafraq pour les années 2012, 2013 et 2014 indique que le revenu des municipalités les plus en danger a diminué pour la majorité des municipalités au moment la demande de services a connu un essor considérable. Les données de l'estimation des dépenses municipales menées dans le cadre de la même étude indiquaient que les dépenses actuelles avaient augmenté dans la majorité (67 %) des 21 municipalités étudiées entre 2012 et 2014. En outre, il existe de grandes disparités

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entre les municipalités (de +22 % d'augmentation à -10 % de baisse), avec une augmentation totale du volume de 6 %. Certaines municipalités ont sensiblement augmenté leurs plan de dépenses actuel, tandis que d'autres ont contracté des dépenses. Une possible explication provient tant de la variance dans les capacités municipales que dans les défis associés aux sources de revenu municipales actuelles, à savoir : (i) les municipalités n'ont pas la capacité d'augmenter de façon significative leurs propres revenus ; (ii) les allocations du gouvernement central ne sont pas fortement corrélées aux chiffres de la population; et (iii) la plupart des municipalités sont déjà trop endettées pour emprunter davantage. Les services municipaux ont été durement touchés par la crise des réfugiés syriens, et les prestations sont en grande partie en train de diminuer rapidement. Sans un redressement significatif pour les mécanismes de calcul, de recouvrement et d'utilisation revenus et transferts propres, les perspectives en ce qui concerne la prestation de services municipaux demeureront peu prometteuses étant donné la perspective d'une augmentation soutenue de la population de réfugiés dans les zones touchées. Les collectivités d'accueil jordaniennes connaissent une baisse des niveaux de service et les tensions sociales sont à la hausse. Il est peu probable que ces défis seront relevés sans une modification importante de l'envisageant de l'ensemble du système de gouvernance locale en Jordanie. 4. Initiatives, politiques, et moteurs du changement Depuis 1989, la Jordanie a cherché à encourager la participation publique. La Jordanie est l'un des principaux bénéficiaires de l'aide au développement ; le rôle des Nations Unies et de l'Union européenne est donc crucial. Un moteur principal de la politique avait été touché par ces organismes, et d'autres partenaires de développement, en faisant de la participation publique une condition pour obtenir de l'aide. Entre 1980 et 1997, la Jordanie était un modèle dans le domaine de la régénération des bas quartiers urbains du Moyen-Orient, étant le premier pays arabe à appliquer les nouveaux cadres de développement préconisés par la Banque mondiale en Amérique latine et en Asie. Les habitants de zones informelles ont participé à tous les stades de la rénovation de leur maison et sont habilités à en devenir les propriétaires grâce à un meilleur accès à des prêts à long terme garantis par l'État. La nouvelle loi sur les municipalités, adoptée en 2007, a permis aux citoyens d'élire l'ensemble du conseil municipal, y compris le maire, avec un quota attribuant 20 % des sièges aux femmes. Plus récemment, en 2013, de nouvelles élections ont été menées avec succès 17. En plus des outils participatifs formels, les autorités locales ont à leur disposition une vaste gamme d'outils informels permettant de gérer le système tant que le gouvernement central est certain que, dans un petit pays comme la Jordanie, les politiques au niveau local n'imposent pas les préoccupations politiques au niveau national. Un exemple d'outils participatifs informels comprend la manière dont le GAM a engagé des consultations pour assurer la participation du plus grand nombre possible d'intervenants sociaux lors de la préparation de son plan d'aménagement urbain. Ces réunions réunissaient le maire, plusieurs ministres, des investisseurs et un large éventail de représentants de la société civile. En avril 2014, le Conseil des ministres a approuvé les plans préliminaires du-projet de loi régissant la décentralisation des conseils de gouvernorat, en plus d'un projet d'amendement de la loi sur les municipalités. Un comité spécialisé a été créé pour traiter la législation concernant les conseils du gouvernorat. Un projet ultérieur présenté au Parlement en octobre 2013 a été amené au niveau d'une loi de décentralisation. En vertu des nouvelles propositions, les Conseils de gouvernorat joueront un rôle dans l'approbation des budgets du gouvernorat, préparé par le Conseil exécutif. Ils seront également en mesure d'attribuer les tâches de préparation, de supervision et d'investigation aux Conseils exécutifs, en plus de l'examen et de l'approbation des procédures d'emploi du gouvernement au niveau des gouvernorats. Ils seront chargés d'examiner les plans et programmes stratégiques et opérationnels afin d'assurer qu'ils répondent aux « exigences du gouvernorat concernant les projets et services de développement apportés par les conseils exécutifs et ses priorités ». À cet égard, ils devront « identifier les domaines du gouvernorat qui souffrent d'un manque de services et de développement ou qui souffrent de problèmes d'urgence et proposent des solutions avec les autorités compétentes ». Dans ce système, il est prévu que les gouverneurs jouent un rôle majeur lié à l'intégration des efforts des différents acteurs vers l'objectif de développement local durable. Le Gouverneur et le Conseil exécutif joueront tous deux un rôle dans la préparation du budget du gouvernorat annuel et dans la discussion de celui-ci avec les autorités gouvernementales concernées.

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L e GAM n'était pas concerné par la loi, et son maire ainsi que la moitié du conseil municipal sont toujours désignés par le bureau du Premier Ministre.

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Décentralisation dans la région du Mashreq : défis et opportunités | 2015


Certains acteurs au sein de la société civile jordanienne ont mis en évidence un certain nombre de défis et d'opportunités au sein de l'actuel projet de loi. La création de conseils de gouvernorat a été considérée comme « une loi progressiste dans le développement démocratique de l'État jordanien, car elle augmente la capacité des conseils locaux à exprimer les espoirs et les besoins des citoyens, améliore la décentralisation, et donne la chance aux autorités municipales d'avoir un corps plus près des citoyens que le gouvernement central ». (Al Hayat, 2014). Toutefois, une lacune mise en évidence comme étant particulièrement problématique comprend la répétition de l'expérience du vote unique et non cessible (système de suffrage égalitaire) au niveau des conseils. Étant donné la prévalence des allégeances tribales en Jordanie, ceci est perçu comme étant fondamentalement problématique par de nombreux spécialistes, et une préférence a été exprimée pour un système électoral plus proportionnel afin d'assurer une représentation plus équitable des électeurs au niveau des gouvernorats, et d'améliorer le travail collectif et systématique. L'amendement de la loi sur les municipalités a été rédigé séparément de la loi sur la décentralisation, ce qui est un problème en soi. Toutefois, après les élections locales de 2013, un certain nombre de nouvelles voix a été pris en compte dans le débat sur la décentralisation jordanienne, et de nouveaux leaders locaux sont maintenant en mesure de négocier les préoccupations locales et d'influencer le débat sur le projet de loi sur les municipalités. Bien que le projet proposé permette aux municipalités de former des coalitions et de mettre en œuvre des projets conjoints, celui-ci reste plutôt abstrait, et certains leaders nouvellement élus craignent que davantage de pouvoirs soient supprimés des municipalités, essentiellement grâce à l'introduction d'un éventail de fonctions de contrôle réglementaire supplémentaires (articulées au sein et en dehors de ces deux textes de loi). La nouvelle loi introduite en 2014 peut être considérée comme une fusion de diverses formes de décentralisation, puisqu'elle introduit la délégation en tant que troisième pilier de la décentralisation jordanienne grâce à l'installation d'une nouvelle entité quasi-démocratique sous la forme de conseils de gouvernorat, appuyé par les conseils exécutifs 18, tout en introduisant une déconcentration horizontale par l'intermédiaire des gouverneurs et en conservant des aspects de la déconcentration verticale par le biais des gouverneurs des ministères d'exécution du gouvernement central, et la dévolution par les municipalités. Un défi majeur concernant le débat actuel, comme pendant les phases précédentes, est la nécessité d'aligner la pensée et les priorités des différents ministères, et des partenaires de développement, en vertu d'un cadre commun pour le développement national. Il semble donc nécessaire d'aligner les propositions actuelles sous un ensemble commun de lois clairement lié à un ensemble de priorités nationales de développement. Le débat est en cours et la période actuelle peut donc être considérée à la fois comme un catalyseur potentiel, ainsi qu'un inhibiteur à long terme de la décentralisation jordanienne. Les partenaires bailleurs de Jordanie ont un rôle vital à jouer dans ce débat et les lacunes actuelles dans leur propre coordination doivent également être abordées. Si elles sont mises en œuvre correctement, le nouveau programme de décentralisation de l'UE (lancé en octobre 2014 par le FENU) représente une occasion en or pour atteindre ces objectifs et entamer la première étape d'un long processus de décentralisation en Jordanie, qui n'a que trop tardé.

3.b

Deuxième étude de cas : Le Liban

1. Bref historique de la décentralisation En 1989, le Liban a mis fin à plus de 15 années de guerre civile à travers un pacte politique organisé par le biais de la médiation des principaux intervenants régionaux, qui ont commandité les divers groupes de militants. Un ensemble majeur de l'aide à la reconstruction a permis aux pays meurtris par la guette de fournir un niveau rudimentaire de fonctionnalité et de retrouver un peu de connaissances de base en économie. Toutefois, depuis ce jour, deux questions principales ont défini le conflit politique de ce petit pays. D'une part, l'équilibre du pouvoir entre les élites politiques principales était détenu par le biais d'une formule à somme nulle très fragile par laquelle tout gain pour un côté serait toujours perçu comme une perte par l'autre. D'autre part, cette situation de confrontation bloquait le développement économique du pays et entravait la création d'un cadre d'investissement public plus équilibré qui permettrait de distribuer équitablement des ressources nationales pour remédier progressivement aux causes profondes principales du conflit. La question de la décentralisation au Liban a été définie entre ces deux pôles.

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L es conseils exécutifs doivent être composés de gouverneurs administratifs, de services et bureaux du gouvernement, de zones industrielles et de développement, de services de la sécurité et de la défense civile et de cadres exécutifs des municipalités.

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L'élite nationale (dirigeants de parti politique, grandes familles foncières, anciens chefs de guerre, chefs religieux sectaires, etc.) contrôlait le parlement national et ne faisait plus de leur puissance une passerelle à travers laquelle leurs électeurs pourraient accéder à des emplois dans le secteur public, bénéficier de projets d'infrastructure, recevoir des services ou être protégé d'infractions sectaires. La décentralisation est en effet un défi aux processus par lesquels l'élite nationale maintient la base de son pouvoir (Favier, 2002). Le débat pour la décentralisation souvent avancé par les demandes de la société civile et sous la pression de bailleurs internationaux a cessé à des moments clefs sous le prétexte de la préservation de l'unité nationale. Le pacte de 1989 signé à Taïf était censé tracer une phase temporaire nécessaire pour reformuler un nouveau cadre constitutionnel, où les questions de justice transitoire, de développement équitable, de démocratisation et de l'éradication des causes profondes du conflit seraient abordées par le biais de diverses réformes politiques, y compris celles du cadre de gouvernance locale. Peu de ces réformes se sont concrétisées, étant donné que le statut quo était mutuellement bénéfique à la puissante élite d'après-guerre, revendiquant souvent leur droit sur la politique nationale par le biais d'un bilan critique du pouvoir au parlement. Dans un petit pays dans lequel il ne faut pas plus de deux heures pour rejoindre la capitale à partir de son extrémité la plus éloignée, les membres du Parlement sont souvent considérés comme fournisseurs du lien essentiel entre les citoyens des communautés locales et les services fournis par le gouvernement central. Plusieurs projets de réforme de la loi avaient été proposés au cours des vingt dernières années, pour ensuite être édulcorés ou entièrement avortés au parlement. Néanmoins, la loi de 1977 qui définit le cadre principal pour les structures municipales est en vigueur et fournit, en théorie, un large éventail de libertés et de compétences aux autorités locales. À certains égards, l'histoire de la décentralisation n'a pas toujours évolué vers plus de mandats pour les autorités locales mais en violation ultérieure de leurs compétences. Les décrets extra judiciaires des sections du pouvoir exécutif central et/ou du Parlement ont réduit progressivement la capacité des municipalités à exécuter leur mandat de supervision de « tous les travaux d'intérêt public au sein de la juridiction municipale », tel que prescrit par la loi. En théorie, la loi confère aux autorités locales le pouvoir d'assumer tout le travail normalement géré par le gouvernement central à l'exception de ce qui est généralement appelé les ministères souverains (défense, justice, affaires étrangères). Toutefois, dans son interprétation formelle, elle autorise uniquement les municipalités à proposer des projets aux ministères centraux et à s'opposer aux projets centraux, mais pas à les mettre en œuvre directement. La plupart des efforts de décentralisation au Liban, n'ont en réalité été qu'une déconcentration de la prise de décisions du gouvernement central aux unités de gestion régionales territoriales, administré par des personnes désignées par le gouvernement central (Sleiman, 1999). Le droit municipal fournit des liens très insuffisants entre les strates élues de la gouvernance locale et les gestionnaires régionaux et de district désignés. En outre, étant donné que les nominations aux pouvoirs régionaux déconcentrés sont gérées par les personnes désignées, les personnes en question doivent passer par le filtre des équilibres sectaires post-conflit codifiés dans le parlement, créant ainsi un effet de levier supplémentaire permettant à l'élite politique d'usurper le pouvoir local. Lorsque ces équilibres ne peuvent pas être trouvés, les postes sont délibérément laissés vacants. À un carrefour critique, les postes de gouverneurs ou de directeurs de district n'avaient pas de directeurs compétents et ont été délégués à des fonctionnaires centralement désignés dans les unités voisines pour couvrir sur une base temporaire. Néanmoins, l'élite politique libanaise n'a pas été en mesure de contourner certains droits précis tels que les élections locales. En dépit de l'impasse politique, des élections locales ont veillé à ce que de nouveaux visages apparaissent périodiquement au niveau local, et une nouvelle catégorie d'acteurs a ainsi été en mesure de revendiquer progressivement leurs droits à la légitimité, même avec des mandats limités confiés aux municipalités. 2. Statut actuel La loi de 1977 est l'aboutissement d'une longue tradition de l'administration locale dans la région qui a hérité des préceptes fondamentaux de l'Empire ottoman et des systèmes de gestion territoriale française, et maintient même certaines de leurs nomenclatures de base. Le système est basé sur deux strates parallèles de la gouvernance. Tout d'abord, il y a le niveau déconcentré de gouvernance représenté par le gouverneur qui préside les fonctions de sécurité de base en plus de ses fonctions de soutien et de supervision des conseils municipaux élus. Chaque gouvernorat est ensuite divisé en plusieurs Caza, qui sont administrés par des kaymakam désignés. Ces fonctionnaires supervisent les services de police locaux et fournissent des services de supervision basiques sur les conseils élus pour s'assurer qu'ils n'enfreignent pas leurs juridictions. Il y a 25 Caza au Liban répartis sur huit gouvernorats. Chaque gouvernorat a des sections régionales des principaux ministères exécutifs. Le Gouverneur exerce un pouvoir considérable dans la surveillance de leur travail, bien qu'au bout du compte, le gouverneur est un fonctionnaire public nommé centralement et ne peut pas souvent aller à l'encontre des mandats centraux. En ce sens, la

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plupart des gouverneurs ont défini leurs mandats principalement comme des conseillers du travail du gouvernement central, des solutionneurs de problèmes, et des garants de la cohésion sociale, plutôt que des défenseurs des espoirs et aspirations locaux (Antoun, 1999). Beyrouth, la capitale, a un statut spécial en ce qu'elle ne contient qu'une seule strate de la gouvernance et des vérifications et bilans sectaires spécifiques sur ses fonctions principales. D'autre part, il y a la municipalité élue, qui était imprégnée par la loi du statut d'une personnalité juridique indépendante. Les municipalités ont souvent été délimitées sur la base d'un sectarisme très critique. Ainsi, il n'existe pas de définition standard de taille pour elles. Une caza peut avoir un nombre faible ou élevé de municipalités. Il existe plus de 975 municipalités au Liban. Beaucoup d'entre elles sont trop petites pour avoir leurs propres conseils locaux. Les élections des conseils municipaux sont ouvertes aux électeurs sans fonction déterminée au niveau de la municipalité. Résider dans une municipalité est une condition d'éligibilité au vote. Toutefois, un pourcentage élevé de la population libanaise a déménagé soit suite aux conflits sectaires pendant la guerre pour des raisons économiques ultérieures. Pourtant, étant donné que résider dans la caza est un prérequis pour voter pour le Parlement, et que l'équilibre sectaire critique pour la représentation sectaire ne peut être maintenue que par la part archaïque garantie par l'ancien statut de résidence dans les municipalités, les partis politiques représentant les divers groupes d'élite ont fortement découragé les personnes de changer leur lieu de résidence officielle. En conséquence, une partie importante de la population admissible à voter aux élections municipales ne vit réellement dans la municipalité. En substance, même si les élections municipales sont une représentation fidèle de la volonté publique libre au Liban, elles représentent plus de propriétaires absents que de véritables résidents dans de nombreuses municipalités. Pour atténuer la petite taille de la plupart des municipalités, la loi autorisait le regroupement de certains services de base sur le niveau des syndicats municipaux. Les syndicats municipaux ne sont pas des organes élus. Ils ont des conseils d'administration auxquels appartiennent divers présidents de conseils municipaux et sont présidés par une personne qu'ils voudraient mutuellement nommer à cette fonction. Les syndicats municipaux jouent un rôle de coordination entre les municipalités membres et ne peuvent remplacer leurs juridictions. En effet, ils tirent leurs budgets et leurs ressources de base de leurs membres. Les syndicats municipaux ne sont cependant pas des associations libres. Elles suivent l'approche critique de l'équilibre sectaire. La plupart des 42 syndicats sont créés en ayant à l'esprit l'équilibre sectaire. De nombreuses municipalités n'ont pas été incluses, ou ont choisi de ne pas l'être sur cette base. Le succès des syndicats dans la coordination des fonctions de base parmi leurs membres dépendait beaucoup de la capacité des acteurs les plus puissants à forger des alliances avec les plus faibles. Certains syndicats gèrent à l'avance des programmes de développement local très sophistiqués, tandis que d'autres ne peuvent même pas s'entendre sur la prestation de services collectifs de base pour assurer un niveau minimum d'économies d'échelle. La plupart des municipalités ont eu peu de personnel administratif pour superviser leurs mandats de base. Pour tout le reste, elles dépendent entièrement des bureaux régionaux des ministères d'exécution, ou de l'administration du gouvernement central pour fournir des services techniques, sans parler de financer des projets d'investissement. La plupart des municipalités manque ressources humaines raisonnables étant donné qu'elles ont peu de pouvoir leur permettant d'embaucher et de licencier, et doivent suivre les décrets du gouvernement central dans la gestion de leurs affaires. Les kaymakam sont chargées d'assurer l'application des directives centrales pour les fonctions quotidiennes de base. Le gouverneur exerce la même fonction pour les principaux problèmes de ressources humaines et bureaucratiques et le Ministère de l'intérieur pour d'autres lois de nature réglementaire. Les municipalités reçoivent des parts des taxes nationales et ont une gamme considérable de taxes locales et de taxes sur les transactions à leur disposition. Toutefois, la plupart sont tributaires de fonds discrétionnaires avancés par le gouvernement central et du versement de leur part issue de taxes nationales spécifiques. Le recouvrement des revenus locaux n'est pas souvent optimal étant donné que la plupart des municipalités manquent de bureaucratie solide, et que la plupart des conseils ne veulent pas percevoir les revenus locaux de crainte d'indisposer les électeurs locaux. Quoiqu'il arrive, la plus grande partie de leurs budgets provient de fonds centraux, et le gouvernement central s'engage à couvrir tous les grands travaux d'infrastructures. Les municipalités doivent couvrir la maintenance de base des immobilisations et s'occuper des services de base tels que les déchets solides, sur leurs propres budgets. Pour toutes les autres fonctions, les conseils municipaux agissent en qualité de conseil de surveillance des services fournis par les ministères d'exécution. Les conseils locaux tirent la plus grande partie de leurs pouvoirs des questions de planification urbaine et de développement économique local. Les conseils peuvent utiliser leur droit de veto pour bloquer les travaux d'aménagement de l'espace et pour manipuler les résultats des plans d'aménagement urbain préparés par les autorités centrales. Cette fonction vitale a été cruciale pour la création d'un certain profit pour les collectivités locales d'influer sur la transformation démographique et de repousser les intrusions sectaires indésirables dans leurs communautés. Toutefois, dans de nombreux cas, cette pratique a été abusée pendant la spéculation immobilière, faisant

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de l'immobilier la principale préoccupation des conseils locaux au moment de réfléchir au développement économique local. Néanmoins, en principe, les conseils locaux ont une grande influence pour diriger et préconiser les différents types d'investissements. Les maires victorieux ont appris à utiliser l'intermédiation des membres du parlement régional et la persuasion des familles et entreprises puissantes, pour promouvoir des projets et faire en sorte que le gouvernement central approuve leur financement. 3. Principaux défis relatifs à l'environnement favorable Malgré la flexibilité de la plupart des conseils locaux pour utiliser le système et financer une part du budget national, le fait est que la plupart des municipalités restent sous-financées, et que leurs principaux outils permettant d'augmenter leurs ressources sont limités. Leur incapacité à établir leurs propres services techniques a limité leur capacité à défier les ministères d'exécution sur les priorités d'investissement. Les projets prônés par les municipalités locales tendent à être des projets d'investissements étant donné que ceux-ci sont les projets étant principalement financés par des bailleurs par le biais du gouvernement central. Les projets de développement doux sont plus difficiles à rendre visibles aux électeurs locaux et sont par conséquent moins utiles au lobbying d'électeurs potentiels. Un cercle vicieux doit être brisé. Les conseils locaux peuvent apporter une visibilité à ce qu'ils font uniquement s'ils parviennent à attirer des financements nationaux et amener des projets d'investissements à leurs communautés. Ces projets peuvent être vérifiés uniquement par le biais du patronage de l'élite puissante locale et régionale. Les réseaux de patronage de l'élite puissante assurent qu'aucun pouvoir décentralisé n'est divulgué du gouvernement central aux municipalités. Sans pouvoirs ni compétences réels, les municipalités ne peuvent jouer qu'un rôle mineur dans le développement de projets à forte valeur ajoutée, elles ne peuvent par conséquent pas convaincre leurs électeurs de payer de vrais taxes et impôts pour les services et les municipalités peuvent uniquement compter sur l'apaisement des principaux acteurs pour assurer la circulation d'un budget minimal à leurs communautés. Les conflits entre les acteurs de la politique locale et l'inversion continue de direction ont été joués à leurs conclusions ultimes. Les économies locales ont été réduites dans de nombreux cas afin de manipuler rapidement le marché immobilier, sans aucune vision claire permettant de mener le processus de développement économique local. Plus dangereusement, l'impasse a souvent mené à une baisse supplémentaire du conflit et de la pauvreté dans certaines zones urbaines. Dans certains cas, ceci a menacé de déclencher à nouveau le conflit sectaire, comme cela a failli récemment se produire à Tripoli et Saïda. L'arrivée de plus d'un million de réfugiés syriens issus de la guerre civile a ajouté un autre défi aux services et perspectives économiques des municipalités locales. La gestion des externalités a toujours été l'un des principaux défis d'un petit pays tel que le Liban. Aujourd'hui, l'ensemble du pays fait face à une crise importante en remportant ce défi. Les municipalités portent le poids principal du conflit régional. Elles se trouvent aux premières lignes afin d'assurer la continuité des services de base, d'atténuer les conflits locaux ainsi que de stopper une augmentation des crimes et menaces de sécurité de perturber la cohésion sociale. 4. Initiatives, politiques, « meilleures pratiques "», et exemples de « changements positifs » Malgré leurs limites, ou peut-être à cause de leurs limites, les municipalités locales ont dû apprendre à collaborer avec la société civile locale et les entreprises locales afin d'amener une quantité de projets, d'initiatives et d'investissements à toutes les échelles. Les maires à l'esprit d'initiative ont établi des groupes techniques consultatifs volontaires afin de compenser les faibles ressources humaines et de résoudre des problèmes spécifiques. Ils ont également créé des cadres pour la création d'emploi en collaboration avec des organisations non gouvernementales locales et internationales et ont organisé des évènements culturels et touristiques couronnés de succès afin de placer leurs municipalités sur la carte touristique. De plus, le Liban, contrairement à beaucoup d'autres pays de la région, n'a pas été vraiment concerné par l'ouverture à la collaboration avec des bailleurs internationaux. Beaucoup de projets doux et de projets d'investissement ont été garantis grâce à des contacts personnels des maires et des conseillers municipaux avec des expatriés, des bailleurs régionaux de programmes d'aide du Golfe, de l'Europe et des États-Unis. Plusieurs municipalités ont en fait profité de l'opportunité de collaborer avec des bailleurs internationaux afin d'exploiter la permission du gouvernement central ou des gouverneurs de contourner certaines restrictions. Bien que dans la plupart des cas ces réussites n'aient pas été soutenues au-delà des engagements des bailleurs, dans quelques cas le processus est parvenu à normaliser certaines pratiques, et ont été maintenus par la suite. Toutefois, le principal défi reste l'imprudence des conseils locaux envers les objectifs de développement à long terme. Leur vision est le plus souvent fixée sur les prochaines élections.

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Un changement de parti politique portant la majorité d'un conseil induit presque invariablement une inversion de la direction et un abandon des stratégies et projets antérieurs. 5. Moteurs de la décentralisation L'impasse politique au niveau national et les fluctuations continues des initiatives de développement local ne sont plus acceptables pour de nombreux groupes de société civile et des ardents défenseurs font leur apparition afin de défier le statut quo. Certains maires à l'esprit d'initiative en ont profité et ont utilisé ceci comme une influence afin de créer le dialogue locale entre les différents acteurs au sein de leurs juridictions. Dans certains cas, il existe des preuves de pactes à long terme émergeant afin de maintenir les efforts de développement local éloignés de l'impasse politique nationale. Des projets de collaboration avec les partenaires européens contribuent à un certain niveau de dialogue afin de renforcer le consensus et les cadres gagnantgagnant pour le développement à long terme. Ceux-ci sont toujours à l'État embryonnaire dans de nombreux cas, mais même les élites puissantes apprennent qu'ils doivent faire des compromis si elles veulent survivre. De plus en plus, des bailleurs font pression en faveur de la réforme des institutions comme précurseur de la poursuite de leur soutien au Liban. Suite à la crise des réfugiés, le Liban a manqué les opportunités majeures de financement car les bailleurs n'avaient pas confiance en le gouvernement central pour gérer la prestation de services nécessaires. Bien que cette situation ait frôlé des niveaux de crise, les bailleurs préfèrent octroyer leur aide humanitaire à des organisations non gouvernementales locales ou à des gouvernements locaux. En substance, bon nombre des ressources vitales n'atteignent pas le Liban à cause de la très faible capacité d'absorption des organisations non gouvernementales et des gouvernements locaux. La pression précédente pour plus de décentralisation est en train de gagner un nouvel élan et de l'urgence. Le dialogue national initié par le président précédent 19 ne s'est pas officiellement concrétisé au-delà d'un cadre général émis par ce qui allait être connu comme la déclaration de Ba'abda (nommé d'après le palais présidentiel dans lequel elle a été prononcée). Pourtant, à un certain niveau, une convergence d'idées s'est produite afin de permettre l'émergence d'une nouvelle version de la loi sur la décentralisation. L'idée générale de cette nouvelle loi est de garantir une plus grande corrélation entre les différents systèmes de gouvernance territoriale, de créer un cadre de représentation plus inclusif et de créer un cadre transparent et équitable pour la coordination entre les municipalités sur des questions d'intérêt collectif. Le projet de loi traite également le besoin d'assurer une utilisation maximale des ressources locales au service du développement local (Attallah, 2014). Les consultations techniques sur la loi ont amené un niveau raisonnable de compromis, bien qu'il reste à voir si une transformation majeure peut être accomplie dans le contexte actuel d'instabilité régionale.

3.c

Troisième étude de cas : Le Yémen

1. Bref historique de la décentralisation La décentralisation a émergé au Yémen à partir d'un paradigme différent de celui de la plupart des autres pays de la région. Le pouvoir n'a jamais été pleinement consolidé au niveau national en raison du conflit constant entre l'État-nation et la région-tribu (Mundy, 1995). La décentralisation du pouvoir au Yémen a été mandatée de facto à travers des réalités sociales et culturelles avant qu'elle ne devienne codifiée de jure. Le processus d'établissement d'un système hautement décentralisée avait toujours été au cœur des politiques nationales. En substance, il s'agissait bien d'un outil négocié afin de permettre au gouvernement central d'accéder aux régions de tribu locales étant donné qu'il s'agissait d'un processus d'extraction des pouvoirs et des ressources du gouvernement central. Au nord du pays, la révolution à l'encontre de la règle de l'Imam de 1962 établissait un gouvernement central imitant le modèle de gouvernance égyptien alors populaire. Toutefois, pour un contrôle effectif sur le terrain accidenté, des alliances entre les chefs de l'armée ayant mené la révolution et des chefs tribaux les plus influents ont dû être forgées afin de maintenir un équilibre du pouvoir entre les fédérations tribales les plus fortes (Al-‘Aini, 1999). Au sud, les autorités coloniales britanniques préféraient un modèle décentralisé, et travaillaient à la consolidation d'une fédération dans les différentes régions en attirant ou en forçant les sultans locaux dans des traités de paix permanents (Ingrams, 1936).

19

L e Liban n'a pas été en mesure d'élire un nouveau président à cause de l'impasse politique. Le président précédent a quitté ses fonctions en mai 2014 et le poste est toujours vacant.

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Finalement, lorsque les britanniques ont abandonné leurs colonies, le sud a été remis à une alliance révolutionnaire de gauche qui a tenté de forger un processus de prise de décision central basé sur le style soviétique. Les comités populaires locaux avaient une grande marge de direction locale aussi longtemps qu'ils ne s'éloignaient pas des politiques établies par le Politburo central. Aucun des deux gouvernements du sud comme au nord n'était capable de maintenir leurs idéaux modernes. Le contexte global de l'ère post-perestroïka privait le sud de ses principaux bailleurs internationaux. Sa faible relation avec son puissant voisin, l'Arabie saoudite, a constamment interféré avec la stabilité des deux parties. La négociation initiale a débuté en 1989 et s'est conclue par l'unification le 22 mai 1990. L'évolution était autant une nécessité pour le sud car il était l'accomplissement d'un idéal nationaliste moderne de réunification des deux parties du Yémen (Al-Naqib, 2012). L'union des deux parties demandait de fortes garanties pour l'autonomie du Sud, beaucoup plus faible. La décentralisation était au cœur de la négociation pour l'unité nationale (Egel, 2011). Un système de gouvernement basé sur le suffrage national aurait mis le sud à la merci des intérêts puissants des allégeances tribales du nord (Al-Rabi’i, 2012). Bien qu'il existe un accord sur les principes, les détails devaient être élaborés plus tard dans le processus politique. Les priorités ont été données à la fusion des bureaucraties nationales au niveau central pour absorber le secteur public beaucoup plus vaste du gouvernement de style socialiste du Sud. Néanmoins, l'intégration des deux systèmes s'est confrontée à de graves difficultés et certains dirigeants du Sud ont opté pour la sécession de l'union plutôt que de risquer d'être éclairés politiquement et physiquement. Une brève guerre civile a éclaté en 1994, et a été réglée brutalement en faveur des milices tribales beaucoup plus puissantes lancées sur le Sud par le gouvernement central du Nord. La guerre a été suivie par une mentalité de « le vainqueur emporte tout » (Al-Naqib, 2012). L'intention initiale d'évoluer vers la décentralisation a ralenti. L'échec dans l'apport de développement et de services aux zones renégates a été causé autant par un manque de ressources nationales que par la corruption et une culture de droits dominant l'ordre social tribal. Les efforts de développement ne parvenaient pas à atteindre le niveau local, tandis que les problèmes politiques augmentaient car les élites influentes (commandants militaires, hommes d'affaires et chefs tribaux) du Nord faisaient l'acquisition de monopoles majeurs et de droits fonciers à travers le sud. Par le biais de la coercition et en tirant parti du fait que les administrations locales pauvres du sud manquaient de ressources financières, l'élite du nord a usurpé des pans de terres de majeur la région du Sud la moins peuplée et a fixé un bastion sur ses réserves de pétrole et de gaz. Le processus de décentralisation, en un sens, a été en partie promulgué en vue de faciliter l'introduction des efforts de développement dans les différentes régions, mais il a également pu se produire par la puissante élite politique de Sanaa parce qu'ils ne pouvaient en bénéficier personnellement (Romeo et El-Mensi, 2008). Une grande partie du processus de décentralisation qui est apparu par la suite, a été engagé par le Président Ali Abdullah Saleh, qui souhaitait consolider la loyauté des grands chefs tribaux, soumettant ainsi ses pouvoirs à des vérifications parlementaires et judiciaires essentielles mais pas impératives. Le Parti du Congrès général (GCP), le parti au pouvoir du Président Ali Abdullah Saleh, a été créé pour consolider un réseau de clientélisme dans tout le pays. Les vérifications minutieuses avec la droite religieuse, les socialistes restants dans le sud et quelques petits partis politiques ont donné une marge de fond à organiser (Al-Rabi'i, 2012, Stifftung Bertelsmann, 2012). Les partis d'opposition ont réalisé qu'ils n'étaient pas en mesure de déloger le pouvoir du GCP et ont créé une alliance solide. Afin de retarder les réformes au niveau central, le Président Saleh a fait un compromis sur la décentralisation afin de donner à son adversaire une certaine arène pour se disputer le pouvoir sans avoir à effectuer de véritables concessions au niveau national. Les élections locales jouissaient d'une grande marge de liberté, avec des manipulations mineures par les élites locales, mais jamais dans la mesure où l'opposition a été incapable de dominer les parties principales des conseils locaux (Egel, 2011). La décentralisation a été codifiée dans la constitution, mais veiller à sa mise en œuvre exigeait un long processus de transformations juridiques, institutionnelles et économiques. En 2000, une loi progressiste pour la gouvernance locale « Qanoun alSiltah al-Mahaliyah » a été adoptée (loi numéro 4 pour l'année 2000). La loi a entraîné de grands pouvoirs locaux à des conseils élus. Au cours des dix années suivantes, différents instruments juridiques ont été utilisés pour délimiter ses détails financiers et techniques. La loi a créé les personnes juridiques/morales nécessaires pour les conseils locaux. En fait, la loi a été développé comme un cadre pour une gouvernance locale efficace, dont la mise en œuvre prend place progressivement à mesure que les structures institutionnelles des conseils locaux ont été renforcées. Le transfert progressif de compétences du centre aux localités a été codifié par les décrets du Premier Ministre et a permis une grande souplesse d'évolution selon les besoins techniques. Un cadre stratégique a été lancé en 2003, mais ne sera ratifié qu'en 2009 (Romeo et El-Mensi, 2008).

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Le gouvernement central a conservé un contrôle politique constant sur les processus par lesquels les gouverneurs et les administrateurs de district locaux désignés ont été engagés. Il divulguait les pouvoirs une fois qu'il était certain des résultats. Finalement, en 2008, la loi a été à nouveau modifiée : les gouverneurs étaient élus par le biais d'un processus électoral de second degré. Les membres du conseil local dans tous les districts du gouvernorat ont voté pour un candidat local au poste. Le Parti du Congrès était certain d'avoir la majorité des votes car il était responsable de plus de la moitié des conseils locaux Les responsables de district local ont également assurés d'être réélu, mais cette étape ne s'est jamais concrétisée ; ils ont été de plus en plus nommé au poste, surtout dans le sud. Malgré les progrès importants dans le transfert des mandats, des fonctions et des budgets congruents larges des ministères d'exécution nationaux, et en dépit des élections locales relativement libres, le processus ne pouvait pas inverser les problèmes structurels qui liaient les mains des autorités locales derrière les lois nationales archaïques et les bureaucraties nationales corrompues. Le processus de décentralisation a pris beaucoup de temps pour résoudre les obstacles juridiques, libérer des ressources et renforcer les capacités humaines. Pendant les dix années qui se sont écoulées depuis sa création en 2000, le processus n'a pas réussi à répondre aux défis les plus profonds de création d'opportunités économiques permettant d'absorber les jeunes arrivants sur le marché du travail et de leur fournir un logement et des services décents. L'association de l'aggravation de la pauvreté et des problèmes politiques découlant des conflits régionaux signifiait qu'il y avait matière au mécontentement. À l'aube du printemps arabe, la jeunesse, les partis de l'opposition, la société civile, et les groupes de femmes yéménites étaient politiquement organisés et ont reçu un vaste soutien populaire afin de descendre dans la rue. Le sud a été privé du droit électoral et a rallié les dirigeants revendiquant la sécession, ou au moins un niveau élevé de décentralisation. Au nord, plusieurs régions étaient en désaccord avec le gouvernement central que ce soit pour des raisons culturelles et religieuses ou en raison de la corruption incontrôlée (Al-Rabi'i, 2012). La révolte soutenue contre le Président Saleh s'est conclue par un accord politique qui l'a destitué de son pouvoir. Une phase de transition a été tempérée par le Conseil de Coopération du Golfe. Un processus de dialogue national s'ensuivit. Les demandes de réforme et de décentralisation constituaient un thème principal du dialogue. Le sujet tant détesté du fédéralisme, souvent perçu dans le monde arabe comme un précurseur de la sécession complète, a soudainement été perçu comme un compromis acceptable (Hassan, 2014). Le document final du dialogue national est apparu avec un mandat fort pour l'évolution vers le fédéralisme (République yéménite, 2013). Ensuite, un débat controversé a été soulevé quant à la logique et la faisabilité d'un tel système de gouvernement. Le sud voulait que les unités fédérales reflètent l'ancienne dichotomie nord-sud, alors que le nord craignait que ceci crée en fait les conditions propices à une sécession. Une proposition visant à diviser le territoire en six gouvernements régionaux (dont deux d'entre eux dans le sud) sous un gouvernement fédéral avec des pouvoirs substantiels permettant d'assurer la répartition équitable des ressources, a été proposée, mais n'a en aucun cas résolue au moment de la rédaction de ce document (al-Mazhaji, 2014). 2. Statut actuel La loi définit deux niveaux de gouvernance locale, le gouvernorat et le district local. Initialement, il y avait 21 gouvernorats et un a été créé plus tard, amenant leur nombre total à 22. Les districts locaux couvert l'ensemble du territoire de la République. Un total de 333 circonscriptions locales a finalement été créé. Chaque gouvernorat a un conseil élu. Les membres du conseil sont élus à travers le suffrage universel fondé sur une majorité simple dans chaque district. Chaque circonscription a droit à un représentant au conseil du gouvernorat. La représentation proportionnelle n'est pas prise en compte par la loi, bien que chaque parti politique entraîne normalement ses candidats à être aussi représentatifs que possible dans tout le district d'exécution afin d'attirer des voix de différentes circonscriptions tribales et sociales. Les conseils de gouvernorat ont un comité exécutif, présidé par le gouverneur, qui a de larges pouvoirs décisionnels. En théorie, le parti majoritaire ne pouvait pas nommer ses membres au comité exécutif, privant par conséquent les partis minoritaires d'influer efficacement sur la prise de décisions. Pourtant, la plupart des partis ont tendance à considérer la recherche d'un consensus et à adopter volontairement une certaine forme de partage du pouvoir. Les conseils de gouvernorat approuvent généralement les plans soumis par le Comité exécutif et les budgets afférents. D'autres comités spéciaux sont formés dans le conseil du gouvernorat afin de superviser et de recommander des mesures au comité exécutif. Sur le plan administratif, chaque conseil du gouvernorat est pris en charge par une unité administrative (Diwan) composé principalement de bureaucrates non élus. Le Diwan fournissait une aide technique pour le Comité exécutif dans la supervision des services maintenant décentralisés. Les départements des ministères d'exécution ont été progressivement transformés en institutions locales avec leurs budgets congruents. Les ministères d'exécution ont conservé des rôles de supervision technique et se sont concentrés sur l'établissement de politiques nationales et le soutien du processus.

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Néanmoins, le courtier du pouvoir au niveau du gouvernorat était le gouverneur (désigné jusqu'en 2008, puis élu). En tant que chef du conseil, le gouverneur jouit de rôles à la fois exécutifs et de supervision. Il représente le conseil auprès des tiers devant la loi. Mais plus important, il est le décisionnaire désigné sur le budget d'investissement du gouvernorat indépendant (fonds discrétionnaires) (Romeo et El-Mensi, 2008). En outre, le gouverneur a des pouvoirs de police et de sécurité. À cet égard, il peut commander la garde nationale et la police de l'État dans son gouvernorat. Bien que la police et l'armée soient farouchement maintenues sous le commandement national centralisé, les gouverneurs exercent souvent leur pouvoir de commandement dans des situations de sécurité nationale en tant que représentants du gouvernement central plutôt que comme des fonctionnaires locaux. Cette fine ligne de séparation des divers pouvoirs du gouverneur ne serait définie que très lentement tout au long du processus de décentralisation. Les districts locaux ont été considérés comme une solution réaliste pour traiter avec les communautés rurales yéménites dispersées. Le point de référence nominal pour une circonscription locale a été fixé à environ 35 000 personnes, bien qu'il y ait des variations considérables entre les circonscriptions rurales et urbaines. Les membres du conseil de district sont élus conformément aux sous-districts électoraux, assurant ainsi une représentation équitable des parties les plus petites et les plus éloignées du district. Les conseils de district local ont un comité administratif qui agit en qualité d'organe exécutif afin de suivre les besoins quotidiens de la gestion des affaires de district. Avec la même logique que le comité exécutif au niveau des gouvernorats. Le directeur de district est le seul membre non élu. Chaque district a également un bureau administratif (Diwan) composé de bureaucrates employés qui aident le directeur du district et le comité administratif dans le secrétariat, la planification, la comptabilité et la logistique générale. La loi confère aux conseils de district local de larges pouvoirs pour définir des priorités pour les investissements et le développement, superviser le travail des autorités de service et des départements techniques dans leurs juridictions (y compris le droit de retirer les administrateurs locaux de services locaux de la plupart des ministères d'exécution). Les budgets locaux ont été augmentés progressivement par des transferts provenant du gouvernement central en faveur des conseils locaux pour financer les dépenses courantes. Cependant, les budgets d'investissement locaux ont été entièrement laissés aux mains des conseils locaux. Ils ont plus de 27 catégories d'impôts et de taxes à percevoir. En théorie, ils peuvent conserver une part appréciable pour leur propre usage, et le reste peut être retourné au niveau des gouvernorats. Ces derniers peuvent à leur tour distribuer leurs revenus en faveur de projets de développement régional et pour soutenir les districts locaux les moins développés au sein du gouvernorat. Les fonds en excès pourraient alors être transférés au niveau national. Toutefois, en réalité, la structure financière idéale définie par la loi ne devait pas être atteinte, après un investissement considérable dans le renforcement des capacités locales. Le processus d'abandon des ressources nationales au niveau local a d'abord été déposé (contre le mandat de la loi) au niveau des gouvernorats. La logique formelle de déplacement des ressources au niveau des gouvernorats était de laisser suffisamment de temps pour développer les capacités locales. Toutefois, cette évolution a été effectivement utilisée comme levier pour le patronage politique de la part du Parti du Congrès, pour assurer sa primauté dans la phase de transition (Romeo et El-Mensi, 2008). En général, après plus de 10 ans depuis l'introduction de la loi sur la décentralisation, l'augmentation du recouvrement des revenus au niveau local a été progressivement consommée par l'inflation. En conséquence, des contributions au budget du district local n'ont jamais augmenté au-delà d'une moyenne d'environ 12-14 % (DLDSP, 2008). La partie restante de budgets du district local provenait de subventions du gouvernement central (environ deux tiers, selon l'année) et du partage des ressources recueillies au niveau des gouvernorats (environ un tiers). La plupart de ces subventions étaient des contributions des ministères d'exécution visant à couvrir les coûts récurrents (90 %). Seulement 4 % ont été fourni par le gouvernement central pour de nouveaux investissements devant être gérés par les autorités locales. La loi stipulait clairement que les frais de fonctionnement demeureraient la responsabilité du gouvernement central, impliquant directement que les propres revenus du district local seraient dédiés exclusivement à la réalisation des projets d'investissement. La plupart des nouveaux investissements ont donc été financés au moyen des revenus propres du district local. Toutefois, les autorités nationales ont continué de développer des projets spéciaux et de les remettre aux autorités locales. Par exemple, le Fonds Social pour le développement fonctionnait sur cette base pendant de nombreuses années. Ce n'est que récemment qu'il a commencé à étudier l'alignement de ses entrées aux plans du district local (Jennings, 2009). L'entretien et l'exploitation ainsi que la dépréciation de ces projets ont souvent été relégués aux autorités locales sans grande considération de leur capacité de financement, sans parler de la gestion, de l'entretien et de l'exploitation techniques. Une bonne partie de ce qui est répertorié comme étant de nouveaux investissements de la part des districts locaux est en fait leur contribution à ces projets nationaux.

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Différents modèles de décentralisation des tâches et compétences particulières ont été émis en vertu de différents cadres juridiques. Les déchets solides, par exemple, ont été juridiquement décentralisés dès 1999 et complètement transférées aux conseils locaux sous la supervision des autorités au niveau des gouvernorats. Au contraire, l'eau urbaine a été décentralisée par le biais de sociétés d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées locales indépendantes. Les capacités techniques pour assurer une approche de gestion intégrée de l'eau et pour assurer les services équitables en eau potable équitable ont été jugées trop sensibles pour laisser à la volonté des conseils locaux, qui pourraient abuser de leurs position et ressources. Les sociétés locales d’approvisionnement en eau devaient coordonner avec les conseils locaux mais ont reçu une grande indépendance, au point d'établir leurs propres tarifs locaux et des mécanismes de recouvrement des frais (Al-Harithi, 2009). Également à l'appui du processus de décentralisation, d'autres lois permettant la responsabilisation et les vérifications ont été émises ou réformées (Hashem et Tietjen, 2004). L'organisation centrale pour le contrôle et la vérification (COCA) a été transformée pour permettre des procédures de vérifications locales. Des lois ont été émises afin de modifier le processus d'initiation des enquêtes et de les rendre plus réceptives à l'appropriation locale. En outre, les lois sur la liberté de la presse et la responsabilité publique étaient généralement plus souples. Dans l'ensemble, la presse était libre d'agir en qualité de défenseur des conseils locaux. La liberté de la presse est cependant une question portant à polémique au Yémen. Lorsqu'elle atteint la politique locale, la presse avait pour la plupart le champ libre pour agir sans crainte de représailles politiques. 3. Principaux défis relatifs à l'environnement favorable Le processus de décentralisation était contrôlé de façon descendante et l'arbitre final était le ministère de l'administration locale. D'autre part, le système était ouvert à l'examen public principalement par l'entremise du processus électoral. Les élections étaient le seul mécanisme institutionnalisé par lequel la volonté souveraine du peuple se manifesterait elle-même. D'autres types de responsabilités n'ont jamais été débattus ni développés. Le rôle des tribunaux et de la magistrature était à peine développé. De nombreuses questions faisaient manifestement défaut : le rôle des tribunaux pour renforcer la constitutionnalité ou la légalité des ordonnances locales, l'aptitude des citoyens à présenter des litiges à l'encontre des autorités locales, et même la capacité des juges à traiter les litiges complexes issus de ce processus. Un autre élément absent de la stratégie de décentralisation était la capacité à engager des travaux de planification régionale à travers le district, ou à lancer des programmes de développement régional. Des fonctions de gestion urbaines complexes, en particulier pour les grandes municipalités, pourraient ne pas être couvertes par des procédures simples de planification et de mise en œuvre conçues pour répondre aux besoins de taille moyenne du district local. Cette lacune était intentionnelle car on craignait que les alliances régionales leur permettent de forger des réalités politiques et de travailler progressivement vers la sécession. Le mouvement séparatiste pacifique du sud et l'insurrection houthi du nord était tous deux basés dans les régions éloignées se sentant privés du droit au partage équitable des ressources et du développement. La planification régionale reste l'un des processus les plus énigmatiques du Yémen, en dehors du cadre de gouvernance locale. Différents outils de développement urbain ont été introduits afin de tester les eaux au-delà du modèle imaginé par la loi sur la décentralisation. La Banque mondiale a collaboré avec des autorités locales sur le développement de stratégies de développement urbain et des plans de développement économique local, créant la toute première initiative yéménite de développement de zones d'investissement spéciales allant au-delà des limites classiques des districts locaux (Wahba, 2008). Les gouverneurs étaient les composants clés du programme et le but était de créer une autorité de développement locale permettant de soutenir les cadres de coordination régionales contrôlés au niveau central. Les districts locaux étaient engagés en qualité d'acteurs mais pas comme des électeurs directs. Le programme a rencontré des difficultés importantes en remplaçant les grandes délimitations des unités de gouvernance locale définies par la loi, en plus d'une quantité d'autres défis bureaucratiques. Toutefois, il est ensuite devenu évident que la démarcation des unités infranationales au Yémen ne serait pas suffisamment souple pour s'adapter à des processus économique plus modernes et plus mondialisés. Le processus de décentralisation au Yémen était destiné à subvenir aux besoins de la gouvernance administrative locale, mais sa capacité à relever les défis de développement économique dans un monde de plus en plus globalisé n'était certainement pas à l'ordre du jour.

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4. Initiatives, politiques, « meilleures pratiques », et exemples de « changements positifs » La pression en faveur de la gouvernance locale au Yémen est un domaine dans lequel le parti au pouvoir recherchait des compromis sur le plan politique afin d'apaiser l'opposition et de s'assurer que l'opposition continuerait à jouer le jeu politique et ne serait pas tentée de se révolter (al-Rabi'i, 2012). À ce titre, le processus a connu ses hauts et ses bas, avec un soutien politique donné à certains moments et retiré à d'autres. Néanmoins, le résultat net s'est conclu par une évolution progressive vers une plus grande autonomie locale (Romeo et El-Mensi, 2008). À cet égard, la décentralisation était un domaine où les véritables intentions étaient manifestes mais où les compétences devaient être renforcées progressivement pour s'adapter au processus. Le processus n'était pas mandaté par un désir de réduire les fardeaux centraux et de déconcentrer les responsabilités. Au contraire, la prestation de services dans de nombreux domaines a permis au début de s'adapter au processus. Pourtant, le processus, qui était nationalement priorisé, est parvenu à faire des progrès majeurs depuis son lancement. Une large gamme de services a été décentralisée du centre vers le niveau du gouvernorat dans un premier temps, puis au niveau de la circonscription locale, avec toutes ses enveloppes budgétaires. Des capacités ont été développées progressivement, et les responsabilités ont augmenté en conséquence. En fin de compte, si les délégués yéménites au dialogue national pouvaient envisager des solutions telles que le fédéralisme aujourd'hui, c'était parce qu'ils avaient subi un processus où leurs gouvernements locaux évoluaient de façon importante vers la décentralisation, même s'il reste des lacunes majeures de compétences dans de nombreuses régions du pays et dans de nombreux secteurs. La confiance construite au niveau local a permis à la plupart des conseils de mettre au point de nouvelles initiatives par eux-mêmes et de forger des alliances avec la société civile pour résoudre de nombreux problèmes de société. Toutefois, l'inconvénient est que certaines de ces alliances autorisaient les groupes radicaux à contourner la surveillance du système judiciaire national. La corruption et le manque de coordination sont toujours des problèmes majeurs, mais le processus est une preuve que la décentralisation peut atteindre une grande partie de ses objectifs lorsqu'il y a une volonté politique de la faire avancer. Au Yémen, ceci peut avoir à faire avec l'équilibre politique complexe entre l'armée et les tribus, mais néanmoins, il était vrai et a permis au processus d'évoluer. Même parmi les acteurs qui sont généralement réticents à la décentralisation, comme le ministère des Finances, il y avait des preuves solides de l'existence d'un rôle de soutien au renforcement des capacités au niveau local afin de gérer les budgets et de mener la comptabilité (Hashem et Tietjen, 2004). 5. Moteurs de la décentralisation Le cadre juridique de la décentralisation a évolué principalement grâce aux priorités politiques d'apaiser l'opposition. La vitesse à laquelle elle a été effectuée sur le plan politique n'a pas été égalée par la vitesse à laquelle sa faisabilité technique a été garantie. Il s’agit peut-être d’un renversement de la façon dont le processus s'est déroulé dans de nombreux autres pays arabes. Les conseils locaux se sont retrouvés avec un grand espace politique de manœuvre mais peu de capacités administratives à gérer. Le processus de décentralisation au Yémen n'était donc pas un processus portant à réticence, mais a été véritablement restreint aux capacités techniques et à la disponibilité des ressources. Les bailleurs internationaux, qui ont osés soutenir le processus, ont souvent été surpris par l'ouverture du processus politique à l'adoption de la transition uniquement pour être calmés par la difficile réalité du transfert des pouvoirs du centre vers une périphérie beaucoup moins développée (Hashem et Tietjen, 2004). Une grande partie du soutien international était destiné à aider le Yémen à concevoir et mettre en œuvre son processus de décentralisation. Le programme le plus important, le Programme de soutien à la décentralisation et au développement local (DLDSP), a été cofinancé par plusieurs bailleurs à travers le Fonds d'équipement des Nations Unies (FENU) et le PNUD en coopération avec le Fonds Social pour le développement du Yémen, en plus d'un soutien bilatéral de l'USAID, des gouvernements italien, français et danois. Des ressources internationales ont été fournies, principalement en faveur du soutien technique. Les transferts budgétaires aux conseils locaux (estimés à environ 60 % du budget total du projet) utilisaient principalement les contributions nationales, et apportaient seulement occasionnellement des financements extrabudgétaires, pour mettre en œuvre des projets qualitatifs. D'autres bailleurs ont soutenu des secteurs particuliers tels que l'eau et des déchets solides (p. ex. la coopération technique allemande). Pourtant, malgré tout ce soutien et la pression associée, le rythme et l'orientation principale du programme de décentralisation étaient toujours étroitement surveillés par le gouvernement yéménite. Le gouvernement persistait à vouloir un processus qui serait adapté à ses besoins, et les bailleurs internationaux ont dû se conformer (DLDSP, 2008).

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Il reste à voir, toutefois, si le processus de négociation du fédéralisme sera méticuleusement étudié et conçu, en s'appuyant sur les résultats des précédentes réalisations de décentralisation, ou s'il va être exécuté en urgence afin d'apaiser les principaux intervenants tribaux. En dépit de ses lacunes, le processus précédent a été en mesure de surmonter les principaux obstacles car le gouvernement central était relativement fort, comparé à toute force d'opposition régionale, et pouvait donc faire avancer le processus. Dans le contexte actuel, le gouvernement central de transition est affaibli. Une évolution vers la décentralisation politique au niveau imaginé dans le dialogue national découle normalement d'un contrat social central fort imposant et garantissant le processus (p. ex. l'Espagne), ou inversement d'entités régionales très fortes qui peuvent négocier en toute confiance un régime d'unification qui permettrait de maximiser leurs ressources collectives mais conserver une grande partie de l'indépendance locale pour s'adapter à la différence de culture ou d'intérêts (p. ex. l'Allemagne). Le moteur principal de l'évolution vers le fédéralisme au Yémen n'est né d'aucune réalité. Il s'agit d'un compromis politique qui ne répond aux aspirations d'aucun groupe spécifique. Le soutien international au dialogue national yéménite est impatient de passer à l'étape suivante et l'ensemble du mouvement est exécuté en urgence pour éviter la sécession ou la guerre civile. Pourtant, la façon dont la question est présentée peut très bien empresser les deux. La communauté internationale devrait faire le bilan des processus et évaluer minutieusement les modèles techniques qui ne sont pas nés d'expériences réelles et le contexte local. Dans la ruée vers la solution fédérale miracle et presque messianique, l'évaluation de récents enseignements tirés des précédents travaux de décentralisation ne doit pas être perdue.

Partie 2 : Analyse des diverses modalités de soutien de l'UE à la décentralisation L'UE a été à l'avant-garde du soutien à la décentralisation dans le cadre de ses divers programmes d'aide, en particulier en faveur des pays voisins de la région méditerranéenne. Bien que bon nombre de ces programmes ne relèvent pas directement du domaine précis de la décentralisation, ils créent un ensemble complet de modalités permettant de renforcer l'évolution vers la décentralisation des pays partenaires, que ce soit au niveau de la gouvernance, aux niveaux administratif, technique ou de développement. L'aide à la décentralisation est inscrite dans les convictions politiques profondes qui ont émergé en parallèle à la base même de l'UE elle-même selon lesquelles le développement et la prestation de services (bien-être) sont intimement liées à la responsabilisation démocratique aux niveaux les plus fondamentaux. Les modalités de l'aide devaient être réglementées en vertu de nombreux instruments stratégiques, dont l'un des plus importants et le cadre de l'OCDE avancé pour coordonner l'aide fournie suite à la Déclaration de Paris en 2005.

4.

Cadre de décentralisation de l'UE

Au cœur du cadre de soutien de l'UE en faveur de la décentralisation se trouve ses propres paradigmes de gouvernement local qui ont émergé des processus historiques de de construction, d'industrialisation et d'urbanisation de la nation. Les transformations effectuées dans la plupart des pays européens au XIXe siècle ont provoqué des transformations structurelles fondamentales ayant de graves répercussions sur la pauvreté, en particulier la pauvreté urbaine, et par conséquent sur la stabilité politique de ces pays (Knox, 1989). Des tentatives visant à réduire la pauvreté urbaine persistante ont été effectuées à différents niveaux. Une certaine approche technique de la question était répandue dans la plupart des discours réformistes (Rabinow, 1995). Chaque pays européen a dû mettre au point son propre mécanisme d'équilibre de l'intégrité territoriale dans le contexte spécifique de ses gouvernements locaux et régionaux afin d'avancer un modèle permettant d'améliorer le bienêtre de ses citoyens. Toutefois, ces problèmes structurels ont persisté malgré tous les efforts nationaux effectués pour les gérer. Au cœur de tous les soulèvements majeurs et des deux grandes guerres mondiales qui ont éclaté en Europe tout au long du XXe siècle, se trouvait la nécessité de s'attaquer à ces défis fondamentaux. Suite à la Seconde Guerre mondiale, les pays européens, décidés à éviter toute guerre à l'avenir, ont entrepris un long voyage vers l'intégration de leurs économies et administrations pour s'assurer que leurs intérêts communs l’emporteraient sur leurs différends. L'augmentation ultérieure des institutions européennes est née du besoin de parvenir progressivement à un niveau élevé de cohésion dans l'ensemble du territoire européen, à la fois nationale et locale.

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Les différents cadres historiques, juridiques et politiques des pays européens ont posé un défi particulier dans la perspective d'affiliations. La plupart des pays européens ont lancé leurs propres processus de décentralisation bien avant leur adhésion à l'UE. La question n'était pas d'homogénéiser la relation du gouvernement central envers le gouvernement local mais de concevoir des modules de base qui encourageraient la coopération et l'interdépendance (Charbit, 2011). L'adhésion des différents systèmes politiques et administratifs impliquait un effort concerté et systémique de participation de tous les niveaux de gouvernance afin de travailler en tandem dans le mandat supranationale de l'UE. Le besoin d'établir un système équitable pour la coordination des fonds visant à habiliter le développement économique et l'interdépendance entre les différents territoires d'Europe a nécessité le développement d'outils de normalisation pour assurer une convergence graduelle en modèles parallèles et compatibles de la gouvernance locale. Un bilan critique a dû être créé entre la préservation de la souveraineté nationale, tout en assurant une transition progressive vers une plus grande cohésion territoriale sur le plan économique dans l'ensemble de l'UE (Bailo et Meynier, 2011). À ce jour, il n'existe pas de cadre européen juridique direct permettant de mandater ou de à faire appliquer directement toute forme particulière de gouvernance locale. Au lieu de cela, il existe diverses pratiques normatives qui ont contribué à forger un meilleur alignement des pratiques de gouvernance locale. Certaines de ces pratiques ont été entreprises très tôt dans le cadre de la Commission européenne et de la mobilisation d'un large cadre de coopération européen. La Charte européenne de l'autonomie locale du Conseil de l'Europe, signée à Strasbourg en 1985, a été l'un de ces outils. Au fil des années, l'évolution vers une harmonisation plus étroite entre les pays européens a eu un impact considérable sur la gouvernance locale. La législation de l'UE a joué un rôle particulièrement influent dans la définition des divers niveaux de modalités de réglementation, de financement et de prestation de services. Près de 60 à 70 % de l'ensemble de la législation de l'UE a eu des répercussions directes sur la gouvernance locale d'une manière ou d'une autre. Minutieusement guidées dans les gouvernements nationaux, les politiques liées à l'environnement, la coopération économique, la démocratisation et aux droits de l'homme, etc. sont tissés dans les fonds et les mécanismes de mise en œuvre de la gouvernance locale (Guderjan, 2012). Des outils techniques normatifs tels que la création de la NUTS (Nomenclature des unités territoriales statistiques) ont également servi à soutenir la poursuite de l'alignement. L'UE a réussi à partir du haut pour habiliter la gouvernance locale dans les diverses régions européennes dans le but d'égaliser la performance économique non seulement au niveau national mais aussi au niveau local. Pourtant, à ce jour, cela n'a pas encore mené les acteurs locaux à contourner les décisions nationales, bien que les gouvernements locaux aient acquis une grande expérience et capacité pour s'adresser aux institutions européennes directement. Dans le cadre des programmes d'aide et de coopération pour les pays voisins, le manque d'un modèle de gouvernance unique de l'UE à offrir ou à appliquer ne l'autorisait pas à promouvoir de modèle ou de prototype hégémonique spécifique. Au lieu de cela, les programmes d'aide sont enracinés dans les valeurs européennes et des expériences dans le lien entre la démocratisation, la gouvernance locale et le bien-être. Le MEDA puis l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) étaient fondées sur de telles valeurs fortes. Naturellement, la transformation normative de ses propres cadres de gestion territoriale était également dans le contexte de l'organisation de grand nombre de ses programmes d'aide et de partenariat avec les pays voisins. Un cadre de responsabilisation des gouvernements locaux dans l'UE pour promouvoir des programmes de partenariat a été rendu possible par le biais d'une myriade d'instruments axés sur le développement des capacités, le transfert de connaissances et l'amélioration de la communication. L'accent mis sur les acteurs non Étatiques et les autorités locales a été alloué à plus de 700 millions d'euros d'aide entre 2007 et 2013, sur un budget total d'environ 11,2 milliards d'euros d'aides versées par l'IEVP au cours de la même période 20. Toutefois, une grande partie du budget total était orienté vers les programmes entre autorités locales. Les institutions décentralisées ont été l'une des principales cibles de financement. À ce titre, l'UE a tiré profit de ses propres processus normatifs de gouvernement local pour soutenir et bénéficier de programmes d'aide. Dans le nouvel instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), l'accent est davantage mis sur l'exploitation des programmes d'aide « permettant de promouvoir le développement régional intégré et durable et la coopération entre les régions frontalières voisines et l'intégration territoriale harmonieuse dans toute l'Union et avec les pays voisins». Bon nombre de ces programmes doivent être tout particulièrement adaptés à l'habilitation des autorités locales moins développées en Europe à s'engager dans des partenariats internationaux. Le financement de certains programmes n'est pas accessible aux pays décentralisés plus avancés, afin d'encourager les moins avancés à se porter candidat (voir les programmes spécifiques ci-dessous).

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5.

L'OCDE, la Déclaration de Paris et les chartes internationales

L'un des cadres les plus importants permettant de guider l'aide au développement, y compris celui des principaux bailleurs européens, a été avancé par l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). La Déclaration de Paris de 2005, puis sa déclaration d'Accra en 2008 adoptée afin de refléter les préoccupations de l'OCDE concernant l'efficacité de l'aide, ont codifié un cadre axé sur les résultats afin d'orienter et de coordonner l'aide au développement. Le point essentiel de la nouvelle approche était de garantir une meilleure appropriation de la part des pays bénéficiaires sur leurs propres processus de développement. Les programmes d'aide devaient être intégrés dans les stratégies nationales de développement. L'approche impliquait une plus grande coordination entre bailleurs afin de réduire la redondance, d'améliorer le suivi et l'évaluation des impacts et d'assurer le regroupement des programmes d'aide. L'OCDE a mis au point plusieurs indicateurs permettant de suivre les progrès. Ces indicateurs sont publiés régulièrement. La décentralisation ne se présente pas de façon indépendante comme un thème dans le cadre OCDE, comme la plupart de l'attention est portée sur les gouvernements nationaux et leur capacité à promouvoir l'exercice collectif de visions pour le développement et la réduction de la pauvreté. La participation des autorités locales est considérée comme faisant partie du processus de création de cette vision, et les consultations avec les autorités locales faisaient partie du processus d'ajustement des visions nationales aux priorités locales. En dépit de l'emphase fortement portée sur la coordination au niveau national, les programmes d'aide n'étaient pas compatibles à l'échelle locale. La coordination des bailleurs a souvent conduit à la division sectorielle du travail entre les bailleurs, comme le prouve le cas jordanien. La gouvernance locale n'était pas perçue comme une question transversale synthétique dans l'aide des bailleurs, mais souvent comme un secteur de développement technique indépendante de l'aide adaptée à d'autres secteurs. À ce titre, les programmes de développement dans les différents secteurs ne se sont pas regroupés au niveau local. Si certains secteurs étaient décentralisés, d'autres étaient déconcentrés. Dans de nombreux cas, le soutien des réformes de gouvernance a été lent et les gouvernements centraux ont été réticents à autoriser les réformes au niveau local. L'aide a été apportée dans les secteurs moins menaçants dans l'espoir que le changement sera effectué une fois que les capacités des gouvernements locaux seraient renforcées sur le plan technique afin défier les monopoles centraux sur les processus de prise de décisions. Six ans après Paris, en 2011, l'OCDE a évalué l'habilitation du gouvernement local vers une plus grande participation dans l'établissement de priorités en matière de développement de façon plutôt négative (OCDE, 2012). Néanmoins, l'OCDE continue d'imposer un poids fort sur la façon dont l'aide est conçue et les budgets des bailleurs commencent à refléter cette priorité. Un accent supplémentaire a été attribué à la gouvernance locale en tant qu'instrument de développement économique et social et une condition sine qua non de la durabilité de l'environnement. La conférence Rio+20 a renforcé les attitudes concernant la nécessité d'intégrer davantage le niveau local dans les processus de développement. Les discussions sur l'évaluation des OMD et la préparation du terrain pour les objectifs de développement durable post-2015 (SDG), doivent examiner sérieusement les succès et les lacunes du processus de décentralisation. L'aide des bailleurs devraient à l'avenir aller au-delà de la prestation des services afin d'analyser le coût réel de ces services et d'examiner les structures de prestation, les coûts environnementaux et autres facteurs externes, ainsi que l'autonomisation des structures institutionnelles locales pour soutenir le processus.

37


6.

ifférentes approches européennes du soutien aux D programmes de décentralisation

Malgré de graves lacunes, le soutien de l'UE en faveur de la décentralisation, associée à des programmes d'aide bilatéraux et en collaboration avec différents types de financements communs ont réussi à obtenir différents degrés de succès dans différents pays de la région du Mashreq. Dans cette mesure, les programmes de l'UE ne devraient pas être comme un vide, mais devraient être considérés comme faisant partie d'un plus grand cadre de soutien à la décentralisation. Dans ce cadre, il est soutenu que le développement économique et la réduction de la pauvreté sont clairement liés aux réformes en matière de gouvernance locale et à une meilleure gestion des territoires (Binder et al. 2007). Les programmes de soutien européens se sont essentiellement concentrés sur les modalités suivantes : ➜ P rogrammes de soutien municipaux : Ces programmes sont souvent d'ordre technique afin de renforcer les capacités des municipalités à gérer leurs propres processus, à construire des cadres de responsabilisation plus responsables à l'égard de leurs collectivités, à élaborer une meilleure capacité d'absorption pour les futurs programmes d'aide, et à créer indirectement un contrepoids collectif aux monopoles du gouvernement central sur la prise de décisions. Des douzaines de programmes ont été élaborés selon ces principes. Certains étaient de nature locale, tel que le Programme MedCities sur la stratégie de développement durable urbain (USUDS), la Coopération en matière de développement urbain et de dialogue (CIUDAD) et, plus récemment, les Projets de démonstration urbain durable (SUDEP), qui œuvre directement sur le développement des compétences et des capacités des municipalités à gérer le développement local stratégique, la prestation des services et la non exclusion. Ces programmes sont souvent mis en œuvre à travers des collaborations entre gouvernements locaux. Ils impliquent des avantages pour le partage des connaissances, les programmes homologues et même les ressources substantielles pour la mise en œuvre de projets de développement clefs en partenariat avec la société civile et les partenaires du secteur privé. Indirectement, ces programmes améliorent la gouvernance locale en élargissant l'interaction entre les autorités locales et leurs communautés constituantes. D'autres programmes de soutien technique étaient des politiques orientées vers et/ou exploitées au niveau national pour développer une corrélation plus étroite entre les réformes du gouvernement central et du gouvernement local. Les exemples comprennent notamment le programme de modernisation de l'administration municipale (MAM) en Syrie, le Baladyati et le PLEDJ en Jordanie. Sinon, d'autres programmes sont de nature thématique comme le NSA & LA (voir ci-dessous pour plus d'informations). En tout, ces programmes sont examinés périodiquement afin d'ajuster les instruments utilisés 21. Toutefois, la plupart de ces programmes se concentraient sur la gestion urbaine. En particulier, les petites et moyennes villes devenaient de plus en plus le point de mire de programmes de coopération européens, car il s'agissait également d'une priorité essentielle pour les institutions de contrepartie en Europe. ➜ Gouvernance locale et décentralisation : Ceux-ci ont tendance à se concentrer davantage sur les instruments de démocratisation politiques. Ils ont été abordés soit directement par les gouvernements locaux, soit par des groupes de société civile afin de permettre leur promotion dans les affaires de gouvernance locale. Bon nombre des programmes financés en Irak à la suite de l'invasion menée par les États-Unis et le renversement du régime totalitaire centralisé en 2003, étaient destinés à soutenir la transformation du système politique irakien de l'intérieur vers l'extérieur (Bayati, 2013). L'Organisation des Nations Unies a supervisé l'essentiel de ces programmes politiques par le biais d'initiatives mises en œuvre par le PNUD et ONU-Habitat (ONU-Habitat, 2011). Bien que le soutien européen de la décentralisation politique ait une base solide dans le cadre de la politique de l'UE (Binder et al., 2007), l'UE apportait souvent son soutien indirectement en finançant les organismes des Nations Unies compétents plutôt qu'en menant des programmes de réforme politique directement depuis Bruxelles. Bon nombre de ces programmes collaboraient avec des acteurs politiques et se sont engagés dans des cadres électoraux et ont examiné les questions politiques profondes relatives à la décentralisation. Dans cette mesure, ils se situent dans une catégorie distincte des programmes de soutien technique aux municipalités mentionnés ci-dessus.

21

Voir par exemple : http://ec.europa.eu/europeaid/how/evaluation/evaluation_reports/2012/1300_docs_en.htm

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➜A pproches de financement commun et bilatéral : Bien que le soutien de l'UE en faveur de la décentralisation ait joué un rôle important dans la normalisation du discours sur la décentralisation, l'impact des programmes bilatéraux menés par les différents organismes de développement et organes de coopération des pays européens ne devrait pas être sousestimé. Divers programmes avancés par la coopération technique allemande (GIZ), et certains programmes bilatéraux des pays nordiques, ont joué un rôle déterminant dans l'amélioration de la politique de décentralisation et le renforcement des capacités locales. En outre, certains pays européens ont grandement contribué au financement commun visant à soutenir les des processus de décentralisation plus élaborés et plus complexes. La décentralisation et le Programme de soutien du Développement Local au Yémen en est un parfait exemple. Bien que mis en œuvre par le FENU, le besoin rendre compte aux partenaires européens a contribué à une proclamation supplémentaire des standards normatifs européens, comme il sera décrit plus en détail plus tard dans ce document. À l'avenir, la question de la décentralisation prendra probablement davantage d'attention. Cependant, elle doit être manipulée avec précaution. La décentralisation en essence va au cœur même de la définition de la territorialité et donc au cœur même de la souveraineté. En Europe, la question de la subsidiarité était un problème encombrant le passage de la Constitution européenne. La plupart des pays de la région du Mashreq traiteront l'intervention par des bailleurs externes afin de soutenir la décentralisation de manière similaire. Néanmoins, certains programmes de coopération positive ont déjà été testés. La récente progression des aides attribuées à la gouvernance locale et à la société civile en tant que partie des initiatives de quartier européennes constitue une étape naturelle vers la normalisation du besoin d'amener la décentralisation au cœur même du discours du développement mondial. Pourtant, dans le contexte fragile après le printemps arabe, le défi sera encore plus grand. De nombreux gouvernements nationaux, comme nous l'avons vu ci-dessus, se concentrent sur la dynamisation du rôle du gouvernement central comme fournisseur de services visible. Les avantages fournis à travers l'IEVP ne compenseront par le risque perçu de fragmentation et l'attitude défensive des autorités centrales. L'avancement de proposition de décentralisation supplémentaire doit être clairement lié aux mécanismes de solidification du contrat social national. Cette approche, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, s'est heurtée à certaines limites car les bureaucraties centrales ont peu de chances de permettre que des fonds et des avantages réels circulent au niveau local. L'expérience européenne de financement des projets de réforme nationale a eu un taux de succès varié, dans le meilleur des cas. Le défi sera de tirer des enseignements des programmes passés et de définir des nouvelles formes de responsabilité au niveau local comme partie des programmes d'aide. De nombreux diplomates européens sont las d'effectuer de telles manœuvres délicates. Ils préfèreraient maintenir de bonnes relations diplomatiques avec les partenaires nationaux et ne pas risquer de les bouleverser dans cette période critique. Toutefois, l'Europe doit dresser minutieusement le bilan de ses intérêts en maintenant les relations amicales à court terme avec les États nations d'une part, et en répondant aux défis à long terme du développement inéquitable, d'autre part. Une analyse sérieuse de la façon dont le développement local malheureux a provoqué la fragmentation des États tels que la Syrie et l'Irak doit être entreprise par les politiques européens. La menace pour le reste de la région et l'Europe due à la radicalisation d'entités infranationales sans scrupule, et l'émergence de nouvelles réalités locales, nécessitera une reconsidération sérieuse des priorités.

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Partie 3 : Recommandations 7.

Recommandations générales pour l'ensemble de la région

Comme cela a été démontré dans les trois études de cas, chaque pays de la région a testé son propre processus de décentralisation et a connu des aléas, étant donné que les négociations entre les différents acteurs nationaux et locaux ont évolué en fonction de leurs besoins de positionnement politique, de leurs intérêts personnels et collectifs, ainsi que de leurs craintes et aspirations. Il serait impossible de donner des recommandations à tous les pays de la région, tout comme il ne serait pas recommandé de prédire les succès et les échecs de chacun de ces pays. Pourtant, il existe d'importants enseignements pouvant être utiles dans la conception de progrès supplémentaires des processus de décentralisation dans la région. Dans cette mesure, cette section ne se concentrera que les questions stratégiques qui devraient être considérées, sur la base des expériences parallèles dans différents pays. Cette approche stratégique sera adaptée à différents types de processus, et à des cas spécifiques de certains pays. Bien sûr, il ne relève pas de la portée de ce document d'effectuer des recommandations spécifiques à certains pays, mais à titre d'exemple, des références ponctuelles à des processus de décentralisation spécifiques peuvent s'avérer utiles.

7.a

Autonomie gouvernementale locale

Au moment de la rédaction de ce document, la région connaît des réactions violentes secondaires issues de la transformation rapide ayant émergé à la suite de ce qu'on appelle les « révoltes du printemps arabe ». Dans de nombreuses parties de la région, des pays ayant réussi à évincer les précédents régimes autoritaires, ou connaissant un changement, ont plongé dans la guerre civile. D'autres sont sur le point d'en connaître une autre. L'État de la plupart des pays de la région est construit sur une faible définition des contrats sociaux nationaux (Ayubi, 2009). Même les pays étant relativement stables ont quelque chose à craindre lorsque leurs voisins les plus proches subissent des conflits majeurs. La crainte de la sécession, comme nous l'avons vu précédemment, fait partie de l'histoire politique de la région. Aujourd'hui, elle est plus réelle que jamais. Les grandes étendues de certains des États les plus importants de la région ne peuvent plus être gouvernées à partir du centre. Les régions voisines devront évaluer toute renonciation d'autorité aux zones périphériques en gardant cette crainte à l'esprit. Il y aura probablement deux tendances principales parmi les gouvernements centraux à cette étape. L'une sera de ralentir tout processus de décentralisation afin de garantir une prise plus étroite de l'unité nationale. Les pays plus développés évitent déjà bon nombre des progrès qu'ils ont effectués dans le passé en créant et en habilitant les autorités locales. Ils font cela afin de démontrer le contrôle important de l'État central (à la fois en termes d'effets dissuasifs et de motivations). D'autre part, il s'agit peut-être du bon moment pour trouver un compromis sur les nombreuses questions politiques concernant la décentralisation, afin d'habiliter davantage, de façon contrôlée et mesurée, les autorités locales. Cette dernière approche a été privilégiée par les États ayant le moins de ressources. Toutefois, dans certains cas, comme celui de la Syrie, les réformes sont trop faibles, trop tardives, et même lorsqu'elles l'ont été, elles étaient vidées de leur substance avant d'être mises en œuvre. L'enseignement sans doute le plus important à cet égard est de ne pas essayer de duper le processus, ponctuellement désigné « décentralisation défensive » (Identity Centre). La décentralisation confère certains droits réels. Ne pas prendre ces droits au sérieux est plus dangereux que de négocier des processus plus lents mais plus transparents. Toujours le long de la même ligne, les gouvernements centraux ont négocié le processus de décentralisation principale comme un outil permettant d'élargir sa portée. De nombreux régimes de la région ont perçu la décentralisation du point de vue de la consolidation des réseaux de patronage plus importants. Ils ont coopté les élites locales et les acteurs puissants aux processus dans lesquels l'utilisation des ressources était très peu ouverte. En créant des monopoles artificiels d'accès aux fonds discrétionnaires, subventions et autres budgets du gouvernement central, l'État central peut manipuler les résultats des processus politiques sur le terrain. Tel était le mode de fonctionnement d'une grande partie des États de la région. Cette approche ne peut plus être maintenue. La plupart des révoltes du printemps arabe visait autant les réseaux de patronage du gouvernement central que les niveaux supérieurs de l'État. À nouveau, les processus de décentralisation ne peuvent pas être trompés.

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Une corrélation plus importante sera nécessaire afin de faire correspondre les réformes politiques au niveau national avec celles du niveau local. Dans un processus dans lequel les gouvernements centraux contrôlent toujours les ressources nationales les réformes parlementaires seront nécessaires afin de dégager les pouvoirs de l'élite régionale puissante et d'autoriser la décentralisation à s'intégrer progressivement dans les niveaux les plus faibles de la représentation locale. Dans cette mesure, la plupart des pays de la région devront repenser non seulement leur décentralisation administrative, mais également toute la façon dont ils définissent leurs territoires. De nouveaux paradigmes de gestion territoriale seront devront être prioritaires à l'ordre du jour pour les pays subissant des dialogues nationaux ou ayant besoins de dialogue nation pour résoudre leurs conflits actuels. Toutefois, à cette étape, la plupart des pays de la région bénéficieraient d'un certain niveau de dialogue ouvert sur la question. Plutôt que de poursuivre la décentralisation de manière descendante, il est important d'impliquer les communautés locales dans la conception du processus et la construction d'un consensus national afin d'atteindre un partage des droits et des devoirs plus équitable. Dans de nombreuses parties de la région, la gouvernance locale formelle a presque complètement disparue. La société civile en paie les frais. Même dans les pays où les gouvernements locaux sont actifs nominalement, les maires dépendent de plus en plus des acteurs informels afin de soutenir leurs missions. Le rôle de la société civile dans le processus de gouvernance locale doit être étudié en détail. La reconnaissance de leur rôle est une première étape importante. Pourtant, les institutions informelles posent leurs propres défis, en termes de garantie de la transparence. La plupart des structures de société civile de la région œuvre selon des paradigmes de patronage fermés, encouragés par le cadre juridique archaïque de la région gouvernant le travail des ONG. Le mode de fonctionnement classique de la plupart des ONG est ce que nous appelons souvent en arabe « mojtama’ ahli ». Ils œuvrent sur des réseaux de patronage sociaux (clan, famille) ou personnels fermés. Pourtant, les ONG ont eu des points d'entrée majeurs afin de toucher la politique locale et nationale (Ben Nafisa et al, 2005). Leur rôle ne peut pas être vu comme secondaire au processus de décentralisation. Il se trouve au cœur du processus, étant donné qu'il fusionne à travers la pratique sur le terrain. Dans les pays divisés par la guerre civile, relier les rôles informels de la société civile à la gouvernance locale est en train de devenir une des stratégies principales permettant de consolider les communautés défiant la menace émergeant de, par exemple, l'État islamique en Irak et en Syrie (ISIS). Il en sera de même pour le développement d'un cadre de processus de construction de la paix de manière ascendante. Il existe de nombreux points d'entrée explorés à cet égard en collaboration avec la société civile. Tandis qu'au Liban, comme nous l'avons vu, les maires ont appris à intégrer les groupes de société civile afin de maximiser le rendement de leurs ressources limitées. Plus important encore, l'autonomie gouvernementale locale doit assurer une représentation juste et inclusive. La définition des circonscriptions locales ne peut pas être gérée à partir du gouvernement central. Les processus électoraux ne peuvent pas être basés sur les simples majorités de grandes circonscriptions conçues afin de consolider les clients traditionnels de l'État central. Les minorités ethniques, sectaires et politiques, les femmes et les jeunes, tous sont capables de distinguer les avantages et les inconvénients des différents systèmes électoraux. L'information est facilement disponible en arabe et accessible par tous. De plus, les processus électoraux qui se sont déroulés dans plusieurs pays de la région ont bénéficié des enseignements tirés. En bref, les recommandations au niveau de l'autonomie gouvernementale locale sont les suivantes : ➜U tiliser les opportunités créées par le Printemps arabe afin de débloquer les impasses historiques entre le centre et la périphérie, s'éloigner des politiques centrales populistes et renforcer la confiance entre le centre et la périphérie à travers le dialogue et des responsabilités claires. ➜ L a transparence dans le travail des acteurs privés et l'habilitation de la société civile à jouer un rôle actif en défiant les relations patron-client et en formalisant les outils de gouvernance. ➜R enforcer la représentation inclusive et soutenir les processus électoraux garantissant la responsabilité et la participation publique. Construire une culture de responsabilité ne peut pas concerner le niveau politique seulement. Modifier la structure de patronage des politiques locales demandera un travail considérable de construction d'une culture de citoyenneté active et d'expansion des possibilités de la société civile à engager et surveiller les gouvernements locaux.

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7.b

Finance locale

Un changement de paradigme majeur est nécessaire à tous les niveaux dans la région. La revendication d'augmenter le financement des municipalités est tout à fait légitime et importante. Toutefois, la question en jeu est souvent soulevée au sein d'un cadre de droits et non au sein d'un cadre d'équilibre des droits et des devoirs. Les ressources du gouvernement central sont souvent perçues comme des droits, particulièrement dans les pays les plus développés de la région. Indirectement, ils travaillent à renforcer une mentalité de rente au niveau local. Le cadre d'augmentation du financement local devrait arriver parallèlement aux efforts visant à attirer de nouveaux investissements. En atteignant un certain niveau de durabilité, il faudra également envisager de créer de nouveaux partenariats avec le secteur privé pour la prestation de services. Une grande variété de Partenariats publics-privés (PPP) pour la prestation de services peut être utilisée afin d'attirer de plus grands partenariats pour le développement économique local sur le long terme, une fois que les capacités locales existent pour gérer de tels processus avec un niveau de transparence suffisant. Comme nous l'avons vu dans l'étude de cas du Liban, le mandat spécifique des conseils locaux a encouragé uniquement le développement immobilier à l'exclusion des autres investissements. Dans un système où les autorités locales obtiennent la plupart de leurs ressources des transactions immobilières, il ne serait pas surprenant de voir les maires se concentrer sur le développement de terrains et la sous-division immobilière. Seules quelques études ont été effectuées sur la faisabilité des municipalités de la région et afin d'évaluer si le cadre économique et politique œuvrant autour du processus actuel de décentralisation atteint actuellement les impacts de développement qui lui sont posés. Dans le cas du Yémen, la dévolution des fonds centraux supplémentaires a été mesurée au recouvrement des frais et impôts locaux. Toutefois, ceci est resté à un niveau rudimentaire, étant donné que, bien souvent, le risque politique d'imposition est plus important que le bénéfice à gagner de l'argent supplémentaire du gouvernement central. Tandis que les risques sont personnels et réels pour les politiciens locaux, les bénéfices étaient abstraits et impersonnels. L'analyse comparative doit être minutieusement conçue contre les impacts et non contre les résultats. Certaines villes de la région ont appris à gérer leurs processus de développement stratégique et à comprendre comment concevoir des cadres logiques. Il serait utile d'évaluer les impacts à long terme de ces processus et de voir s'ils sont réellement capables d'élargir la portée des investissements. Les effets multiplicateurs des investissements privés et publics doivent être solidement compris et diffusés. La plupart des rapports sur le sujet dans la région reste généralisée, délimitant les gains abstraits. Une corrélation plus importante entre les sources fiscales disponibles aux gouvernements locaux et leurs investissements est nécessaire. Des douzaines de stratégies de développement urbain ont déjà débuté dans la région. Elles pourraient constituer un excellent point d'entrée afin de ne pas commencer le processus à partir de zéro. L'accès aux finances et aux crédits a été proposé dans de nombreux nouveaux cadres juridiques de la région. En effet, ceci a été un des moteurs principaux du développement économique local à travers le monde. Toutefois, la plupart des municipalités de la région ont des déficits chroniques et empruntent souvent pour couvrir les frais courants. Le risque moral de conservation des prêts et de la dette publique est élevé. L'accréditation et la capacité financière des municipalités seront une question cruciale à examiner à l'avenir. Dans la culture de rente qui définit les subventions nationales comme des droits, il n'existe aucune chance pour les véritables entreprises de fournir un financement aux gouvernements locaux Au lieu de cela, la plupart des gouvernements locaux de la région estime qu'il est plus efficace de conclure des contrats non transparents de construction, exploitation et transfert (BOT). Les paramètres nationaux de régulation de tels contrats sont toujours très faibles et nécessitent une attention particulière afin de permettre aux municipalités de maximiser l'utilisation de leurs ressources. Dans les cas où il existe un engagement de politique nationale clair envers la décentralisation dans le cadre d'un exercice de renforcement de l'État (par ex., comme défini dans le chapitre 7 de la Constitution tunisienne), une nouvelle analyse plus rigoureuse des systèmes de financement inter-gouvernementaux sera nécessaire. Le transfert de compétences aux autorités locales et régionales devra être effectué avec un financement adéquat, juste et prévisible, non pas comme un droit, mais comme une partie de l'ensemble de priorités de développement national. À un autre niveau, les propre contrôles et audits horizontaux des gouvernements, vitaux car ils concernent les conseils locaux, ne sont pas suffisants. Les expériences des différents pays de la région ont montré que les audits internes et les fonctions de contrôle se laissent distancer même par les conseils locaux faibles. Sans crédibilité dans leur travail, la plupart des autorités locales ne parviendront pas à attirer des fonds nationaux, et en l'occurrence, ne garantiront pas la confiance de leurs citoyens à payer leurs frais et impôts dus. Un redressement de la relation de contrôle est vital pour renforcer la confiance de la communauté dans le gouvernement local. Dans cette mesure, les programmes de surveillance verticale devraient également être intégrés aux cadres de responsabilité des gouvernements locaux. Ils devraient être appliqués ex-post et non ex-ante. De nombreux pays de la région ont commencé à mettre en œuvre certains cadres simples d'e-gouvernement. Toutefois, ces

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derniers ont été perçus dans leur niveau le plus rudimentaire comme des outils fournissant des services de base. Il est essentiel d'élargir ces outils virtuels afin de garantir également une responsabilité plus élevée à la société. Des groupes de société civile peuvent jouer un rôle majeur dans ce processus. Certains pays de la région effectuent en fait des explorations de données pour évaluer la satisfaction sociale des personnes envers ces services. Le processus a souvent conduit à d'importants changements de direction. Toutefois il doit être plus ouvert et plus transparent en formalisant le processus de responsabilité et en ne le laissant pas à la discrétion de l'élite, désireuse de maintenir ses privilèges. En bref, les recommandations pour un accès amélioré aux financements locales sont les suivantes : ➜ é viter les conflits de partage entre le centre et la périphérie et travailler sur l'habilitation des autorités locales à développer des opportunités d'investissement productives afin de s'éloigner des contraintes économiques (en particulier, les marchés d'investissement immobilier spéculatifs). ➜ L 'égalisation du financement central prévisible et juste et des transferts directs. ➜ É tablir des indicateurs clairs afin d'évaluer l'impact et non le résultat des programmes. L'accent devrait être mis sur la façon dont les gouvernements locaux élargissent leur base de ressources locales et non uniquement sur leur capacité à fournir des services et à mettre en œuvre des projets. ➜ É tablir des systèmes de contrôle efficaces et relier l'amélioration des performances dans ce domaine pour un investissement et un accès accru aux PPP, l'emprunt et les investissements basés sur des directives de responsabilité claires.

7.c

Prestation de services

La prestation de service a été rigoureusement interprétée dans la plupart des cadres de décentralisation de la région. Même parmi les pays les plus riches, une certaine économie d'échelle a été considérée lors du rassemblement de la prestation de services. Les lois décentralisatrices de la région définissent les mandats du gouvernement local dans des termes abstraits, comme dans le cas du Liban, ou créent des mandats larges que les autorités locales ne peuvent remplir, provoquant de faux espoirs et des déceptions. Les pouvoirs délégués pour la prestation de services sont souvent établies sous la forme de compromis effectués par le gouvernement central afin d'apaiser les élites locales et de renforcer leur crédibilité de patronage. Dans la plupart des cas, il n'existe aucune logique financière ou technique claire à la délégation de pouvoirs. Un cadre national ou une matrice de pouvoirs nationale est nécessaire pour la plupart des pays de la région. À cette fin, une définition claire de la subsidiarité est essentielle pour renégocier les relations des gouvernements centraux et locaux. Les dictionnaires arabes sont presque d'aucune utilité pour définir les équivalents arabes des mots tels que (mandat, spécialisation, supervision, délégation, autorité, coordination, responsabilité, rôle, compétence, etc.). Ces termes sont souvent utilisés de façon interchangeable, laissant ainsi une grande marge d’interprétation. L'une des conditions les plus importantes pour la prestation de services est de définir la structure de gestion responsable à chaque niveau. Dans de nombreux cas, la prestation de services requiert un certain regroupement des ressources ainsi que l'établissement d'économies d'échelle. La plupart des processus de décentralisation de la région craignait que le gouvernement local se voit conférer le pouvoir de libre association, soit pour créer des fédérations plus larges ou pour établir de plus grandes alliances thématiques (petites villes, ports côtiers, villes historiques et touristiques, etc.). Les alliances peuvent aider les municipalités à maximiser les ressources. Elles peuvent autoriser les gouvernements locaux à faire pression pour de plus grandes subventions de la part du gouvernement central, et créer de meilleurs cadres de surveillance et d'évaluation afin d'étudier la performance des différents services. Plus important encore, la libre association permettra non seulement un meilleur regroupement des ressources pour une prestation de service améliorée, mais également de négocier et de construire un consensus afin que la décentralisation puisse se produire. Des exemples de l'Europe et de la région (Turquie, Tunisie, etc.) pourraient être utiles.

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La région jouit d'une grande expérience dans l'établissement d'observatoires urbains. Toutefois, la plupart de ces institutions a besoin de s'ouvrir à des mécanismes plus inclusifs afin d'évaluer la prestation de services. Les fonctionnaires du gouvernement considèrent souvent le service du point de vue du matériel. Dans de nombreux pas cas de la région, les services techniques des municipalités considèrent que leur travail est terminé une fois qu'un système d'égout est construit aux alentours. Dans la plupart des cas, les personnes en charge ne disposent d'aucun mécanisme permettant d'évaluer si le système d'égout a été connecté aux utilisateurs à l'une des extrémités, et aux mécanismes de déchargement de l'autre. Évaluer si le service a été effectué de manière rentable est presque impossible. La plupart des budgets de la région ne sont pas organisés le long de centres de coût mais le long de projets publics facilement réalisables. L'un des mécanismes les plus importants de surveillance des services publics est de comprendre combien cela coûte réellement et par conséquent pourquoi des frais ont été prélevés pour le service. Lorsque les utilisateurs paient une part équitable du coût du service, ils ont tendance à reconnaître la prestation de ce service et à investir en en faisant la critique. Pour rappel, dans le contexte actuel de bon nombre des pays de la région, les institutions informelles ne devraient pas être considérées en dehors du système de prestation de services mais imaginées et préparées comme se trouvant en son cœur. Par le passé, le débat de la région tournait autour de la prestation ou de la privatisation du secteur public. Le monde a progressé. La participation privée et publique n'est plus une question de faire appel à un partenaire du secteur privé, mais de nouveaux modèles de partenariat avec la société civile, les entreprises sociales, et de capital-risque sont tous des mécanismes de création d'opportunités plus grandes, non seulement pour accroître les fonds et les ressources, mais, plus important encore, développer les mécanismes innovants de prestation de service. Le résumé des recommandations concernant la prestation de services locale sont les suivantes : ➜ Définir les responsabilités et pouvoirs à tous les niveaux : central, régional et local. ➜ Permettre aux gouvernements locaux de construire des alliances et de rassembler les ressources afin de créer un mécanisme efficace pour le dialogue inter-gouvernemental, ainsi que créer des économies d'échelle lors de la prestation de services. ➜R elier les services à des outils participatifs et de responsabilité tels que les observatoires urbains afin d'évaluer les impacts des projets, de comparer les investissements et comprendre la façon dont les budgets publics fonctionnent afin d'évaluer les priorités sans la prestation de services et le recouvrement des frais à travers les taxes. ➜ Élargir la collaboration avec le secteur privé et la société civile, non seulement pour fournir des services mais également pour trouver des solutions innovantes et en faire la promotion.

8.

ers de nouvelles modalités de soutien de l'UE en faveur de V la décentralisation dans la région

L'UE a été un partenaire crucial dans les différents processus de décentralisation, soit directement en qualité de bailleurs, dans le cadre de fonds communs en faveur de projets, soit en qualité de fournisseur de financements des partenariats entre gouvernements locaux. Elle peut ainsi jouer un rôle important en tant qu'acteur dans les processus supplémentaires et en tant que catalyseur majeur du changement. Toutefois, l'UE a besoin de repenser le positionnement de son rôle. Une réévaluation majeure des investissements passés est nécessaire pour analyser les impacts à long terme des différentes modalités de soutien 22. Bon nombre des idées de projet précédentes ont connu des niveaux initiaux de succès uniquement pour faire face aux plafonds de verre lorsqu'ils ont été élargis. Les autres n'ont pas pu être maintenues après que l'argent des bailleurs ait été dépensé. Pourtant, certains processus présentent un grand potentiel. Toutefois, les principales recommandations à cette étape devraient se concentrer sur deux paradigmes et plusieurs suggestions thématiques pratiques.

22

U ne étude a été menée pour le Liban et la Jordanie, mais a besoin d'être élargie à toutes les régions.

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8.a

L iaison du soutien de la gouvernance au soutien du développement technique

Il existe un besoin critique d'amener des bonnes pratiques de gouvernance au cœur de tous les projets de renforcement des capacités et de développement urbain local. La démocratisation doit se trouver au cœur de tout progrès supplémentaire sur la décentralisation. La gouvernance locale ne peut pas être renforcée sans faire partie d'un cadre équitable de gestion territoriale. Comme nous l'avons remarqué dans de nombreux cas ci-dessus, une forte corrélation est nécessaire entre les réformes parlementaires et les réformes locales. Sans cette corrélation, les élites régionales continueront de ralentir le processus de décentralisation, et même de l'usurper. Comme nous l'avons également mentionné ci-dessus, le processus ne peut pas être géré depuis le haut. Les gouvernements centraux ont un besoin urgent d'ouvrir le dialogue à tous les niveaux avec leurs membres. Les processus de dialogue sont souvent donnés sous un cadre consultatif ; la participation à son niveau le plus rudimentaire. Le dialogue doit être élargi mais doit également recevoir des mandats spécifiques. Une grande quantité des financements futurs doit être dirigée afin de s'appuyer sur les succès limités des processus de participation des projets passés. Toutefois, une analyse critique est nécessaire afin d'en tirer les enseignements. La société civile locale devrait être engagée dans le processus d'évaluation des projets et non seulement consultée pour la conception et la mise en œuvre. Leur implication dans la surveillance et l'évaluation des projets de l'UE leur fourniront les compétences et la confiance nécessaires afin de débuter un processus de surveillance verticale pour les autres fonctions et devoirs municipaux. Actuellement, la plupart de ces fonctions sont compartimentés dans les différents programmes et aides de l'UE. La gouvernance et la décentralisation ne sont pas des secteurs distincts. Il s'agit d'un processus qui coupe les programmes de coopération européens dans la région. À l'avenir, les aides européennes devraient particulièrement examiner : ➜ L es programmes et projets qui relèvent d'une économie politique plus large de la réforme dans les pays partenaires. Les programmes de soutien des processus de réforme nationale ont toujours connu des taux de succès variés, si ce n'est un échec total. Ces expériences ne devraient certainement pas être répétées. Pourtant, l'utilisation du paradigme de la décentralisation devrait aborder et manipuler prudemment ces questions critiques, et non simplement les ignorer. Une grande partie de l'impact des processus de réforme peut être effectué dans le cadre du processus de décentralisation. Ceci ne devrait pas rester au niveau abstrait, et devrait être clairement planifié et surveillé. ➜ Les programmes encourageant l'association libre des municipalités afin de consolider leurs connaissances et ressources. Les associations thématiques et géographiques d'autorités locales devraient être habilitées et amenées à toucher le dialogue et la promotion de la politique. Les partenariats avec d'autres organisations homologues devraient être encouragés. ➜ Différents types d'implication citoyenne à travers le processus de prestation de services sont nécessaires. Les partenariats publics sont tout aussi nécessaires pour les partenaires privés (PPP) ainsi que pour les organisations de la société civile (CSO). Au-delà du cadre formel participatif, les programmes d'aide de l'UE doivent analyser la création d'alliances civiques entre les gouvernements locaux et les CSO. Les municipalités doivent évoluer au-delà de la position d'instruments de patronage politique, pour devenir des instruments de responsabilité civique, de démocratie locale et de prestation de services.

8.b

mélioration de l'égalisation des ressources nationales et de A l'accès au financement des investissements

Le processus d'autonomisation des gouvernements locaux afin qu'ils élargissent leurs ressources financières devrait éviter de créer des dépendances et un sens du droit. L'aide doit être utilisée afin d'exploiter les potentiels locaux pour maximiser les ressources. Un mécanisme important permettant de corriger les futurs programmes d'aide ne doit pas inciter les municipalités simples à puiser dans les ressources. La même logique que celle utilisée pour financer les municipalités à travers le bassin méditerranéen devrait être utilisée au niveau local. Les fonds ne devraient pas être limités à une municipalité dans chaque pays, mais encourager la construction de réseaux de municipalités dans chaque pays. Ceci est aussi important pour les partenaires européens que pour les partenaires de la région du Mashreq. Par le passé, les programmes de l'UE étaient pires au niveau national qu'au niveau local. La tendance était de réduire le soutien aux processus et institutions nationaux et de travailler sur un modèle local ayant plus de succès. Ceci est peut-être encore vrai. Ce qui est recommandé ici c'est le regroupement

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des résultats au niveau local, et l'autonomisation des gouvernements locaux afin de rassembler leurs résultats. L'argument a été soulevé à travers une analyse critique des trois études cas, mais a été un thème constant dans littérature récente, comme nous avons pu le voir précédemment. Certaines des plus belles réussites peuvent être analysées régionalement en Turquie, ou dans les pays transitoires de l'Europe de l'est. Encourager les échanges entre les fédérations municipales peut déclencher d'importantes économies d'échelle. En pratique, l'aide européenne devrait être conçue afin d'aborder : ➜ L es projets visant à tester et fournir un meilleur cadre de régulation de l'accès des gouvernements locaux au financement et au crédit. Ceci entraînera un renforcement des capacités à surveiller les procédures financières et à améliorer la transparence et la responsabilité. La plupart des municipalités de la région ont un besoin urgent d'améliorer leurs cadres horizontaux et verticaux de surveillance des comptes municipaux et d'assurer leur efficacité et effectivité. ➜D e plus, le débat politique devrait se concentrer sur l'assurance que les systèmes de financement inter-gouvernementaux soient justes et prévisibles, dans l'objectif que les gouvernements locaux devraient recevoir un solde des revenus suivants : (i) les transferts (sans réserve), (ii) les revenus communs, (iii) les revenus propres, (iv) l'accès aux subventions concurrentielles et aux programmes d'aide. Certains programmes de la région (voir l'exemple du Liban) ont déjà réfléchi à de nouveaux modèles de financement. Afin de passer outre l'obstruction nationale du processus de décentralisation, des approches gagnant-gagnant peuvent être fournies à la fois au gouvernement central et local à travers des mécanismes de financement parallèles. La Banque mondiale a avancé certaines de ces approches, bien que leur proclamation ne soit pas aisée étant donné qu'elles imposent des obligations aux gouvernements nationaux avant que le gouvernement local soit capable de respecter sa part du marché sur ces affaires. L'égalisation pourrait être soulignée sur la base de la quantité des expériences de l'UE existant ou ayant été appliquées par le passé. ➜ Les projets améliorant la communication municipale avec les acteurs et électeurs, en particulier ceux visant à améliorer le recouvrement des revenus des municipalités en créant une meilleure compréhension de ce qu'ils accomplissent pour servir leurs communautés. Les services de relations publiques des municipalités sont un moyen de transférer l'attention du patronage politique de l'élite et de mettre l'accent sur l'institution. La plupart des municipalités peut bénéficier de l'avancée d'une « connaissance culturelle » de la démocratie et de la fiscalité en tant que partie des devoirs et obligations de redéfinition et de la consolidation de pactes sociaux forts.

8.c

L ien entre programmes de décentralisation et réduction de la pauvreté

La pauvreté restera le défi le plus important de la région. Toutefois, la question de la pauvreté devrait être redressée à partir des paradigmes simples jusqu'ici traitée par les MDG. La plupart des progrès de la région sont apparus comme un résultat des politiques et pratiques non viables. Fournir de l'eau aux personnes démunies ne devrait pas être investissement exceptionnel. Elle devrait être liée à l'amélioration de la gestion des ressources en eau, une meilleure estimation des solutions en intégrant les coûts réels en eau, l'entretien de l'infrastructure et la capacité des autorités locales à mesurer et développer des barèmes tarifaires réalistes afin de récupérer les dépenses d'amortissement. Les communautés locales devraient être habilitées à prendre de grandes décisions face à leur consommation en eau et un organisme local fort est nécessaire pour garantir le développement futur. Les municipalités devraient recevoir des aides afin d'établir, de communiquer et d'introduire efficacement des structures de prix appropriées pour les services et ressources municipaux. Il est important que tous les indicateurs simples soient intégrés aux ODD post-2015.

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En particulier, l'aide devrait se concentrer sur : ➜ L es projets d'incorporation des autorités locales aux cadres nationaux de réduction de la pauvreté et l'assurance que le mandat de la Déclaration de Paris ne prenne pas la gouvernance locale au niveau de consultation mais également au niveau de la mise en œuvre et de l'évaluation. Ceux-ci peuvent comprendre : (i) des engagements à long terme, tel que cela s'est produit dans le cas des économies transitoires de l'Europe de l'est, afin de soutenir des approches de « donner plus pour recevoir plus » de travail avec les pays sur des cadres à plus long terme (10 à 15 ans) où le soutien supplémentaire dépend de la réalisation des objectifs ; et (ii) différentes modalités et différents partenariats dans le cadre des projets de l'UE en dehors des mécanismes normaux d'accords de financement avec les ministères et le rapprochement des gouvernements locaux. ➜ Les projets devant se concentrer sur l'amélioration de la responsabilité vers les réalisation des ODD commencent en (i) évaluant les précédent soutien de la décentralisation de l'UE-MENA, et son lien avec les réalisations des OMD ; (ii) impliquant les gouvernements locaux dans la conception des ODD et dans l'intégration des OMD dans les plans de développement local ; (iii) développant un cadre de soumissions des fonctions du gouvernement déconcentré aux mécanismes de responsabilisation locaux comme une première étape vers davantage de décentralisation (voir le chapitre sur le Yémen) ; (iv) explorant les facteurs économiques et politiques et non uniquement des solution techniques ; (v) soutenant les associations, comme cela s'est produit pour habiliter les gouvernements locaux de l'Europe de l'est à négocier la transition à partir de modèles forts d'État centralisé ; (vi) investissant dans le renforcement des capacités de prestation de services par les institutions locales et en encourageant le consensus sur le transfert des compétences du niveau national au niveau local sur la planification, la mise en œuvre ainsi que la surveillance et l'évaluation.

8.d

Travail de renforcement de la cohésion sociale

Dans la région du Mashreq en particulier, les défis de cohésion sociale augmentent rapidement. Les États centraux ne seront pas en mesure de limiter la crise émergeant en Syrie, en Irak et au Yémen depuis longtemps. La question de la décentralisation peut en fait fournir des points d'entrée à la résolution des conflits et à la construction de l'État. Pour le reste, les priorités de cohésion sociale peuvent être moins dramatiques mais toujours importantes. La gouvernance locale fournira un pilier d'un contrat social renouvelé. Ceci demandera une grande emphase sur le dialogue ascendant. L'aide européenne devrait amener cette priorité au cœur de sa politique du Mashreq. L'accent devrait être mis sur : ➜ L es projets encourageant le dialogue local et la construction de la paix, en particulier dans les pays connaissant des hostilités majeures et des guerres. L'accent européen porté sur la résolution des conflits en Syrie et en Irak de façon descendante a gâché d'importantes opportunités de construction de la paix de façon ascendante. La gouvernance locale peut fournir des points d'entrée pour les arrangements négociés pouvant éventuellement être exploités au niveau national. Ces projets devraient également se concentrer sur les questions de justice réparatrice, en association avec des avantages intelligents pour des solutions gagnant-gagnant aux conflits locaux. Plus important encore, l'expansion récente du radicalisme peut être directement attribuée à l'échec des systèmes de gouvernance. Le rétablissement de la confiance dans le gouvernement local sera l'un des instruments les plus importants dans la fin de l'expansion rapide des groupes tels que l'ISIS et de l'empêchement de leurs mutations et expansion à d'autres parties de la région. ➜ Le soutien afin de remédier aux lacunes structurelles des systèmes des gouvernements locaux dans des pays forcés à accueillir un nombre massif de réfugiés suite au conflit, en parallèle avec le soutien au développement des capacités locales concernant la prestation de services et la cohésion sociales dans les communautés d'accueil. ➜ Les projets de renforcement de la loi au niveau local et de liaison de ceux-ci aux questions de cohésion sociale. Des cadres de cohésion sociale faibles ont privé de nombreuses municipalités de la région d'importantes opportunités d'attraction d'investissements nationaux et internationaux, et leur ont refusé l'accès aux ressources vitales du gouvernement central.

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8.e

Développement d'une base de connaissance inclusive

Les processus de décentralisation dans la région du Mashreq ont été particulièrement ébranlés par l'incapacité des autorités locales à accéder aux connaissances pertinentes afin d'encadrer leur prestation de services régulière, leurs projets d'investissement et leur stratégie de croissance. La plupart des conseils locaux et des maires dirigent leurs municipalités en absence totale de la plus grande image les entourant. Dans de bien des façons, leur avantage dans la compréhension des situations locales est ébranlé par leur incapacité à anticiper des externalités. Dans certains cas, comme cela a été prouvé dans la discussion ci-dessus, ceci était intentionnel de la part des gouvernements centraux, les mettant en place presque pour échouer. Si les politiques européennes ont réellement l'intention d'habiliter les communautés locales, elles doivent se concentrer sur l'amélioration de l'accès aux connaissances pertinentes de la région. L'accent devrait être mis sur : ➜ L es projets visant à établir des services techniques capables de recueillir les données urbaines pertinents (au-delà des modèles d'observatoires urbains classiques) et de créer des unités de développement local pouvant construire des partenariats avec les entreprises locales et la société civile et contribuer au marquage local. Ces outils seront importants afin de promouvoir un climat de transparence, vital pour assurer de nouveaux investissements. ➜H abiliter des centres de recherche et académiques dans la région afin de générer les connaissances pertinentes et de participer à la promotion. Les connaissances devraient être produites localement et non uniquement utilisées localement. Les associations nationales des gouvernements locaux devront également jouer un rôle important dans ces processus.

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Décentralisation dans la région du Mashreq : défis et opportunités | 2015



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