l'eskabo, coté coulisse

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L’Eskabo, coté coulisse

Reportage sur la mise en scéne de « Fin de Partie » de Samuel Beckett Par la compagnie du théatre de l’Eskabo Par Mathilde Soliméo et Pierre Grasset


Avec En attendant Godot monté l’an dernier, et Fin de partie cette année, la compagnie de l’Eskabo poursuit l’aventure Beckett. Après plusieurs mois de travail à la table, nous les rencontrons au théâtre du Verso où les répétitions ont commencé. Au théâtre, on passe du livre au spectacle vivant. Des réglages constants sont nécessaires pour que les comédiens rendent et, la teinte du texte et, la consigne du metteur en scène. Ce grand écart exige des capacités aussi physiques qu’intellectuelles. A une semaine de la première la troupe est en pleine recherche. Sur le plateau, c’est l’effervescence...

Il est 15H. Au centre de la scène, Hamm trône dans un clair-obscur. Geste lent, il replie un mouchoir ensanglanté. Patrick Reynard, assis au premier rang, observe en prenant des notes. Puis il coupe la scène. Il rejoint le comédien. Ils règlent ensemble l’intention du geste. Ils le testent avec des hachures régulières qui marqueraient la personnalité de Hamm. Scène suivante, Clov intervient : «Je suis de retour, avec le biscuit.» La virgule pose problème. Pourquoi est-elle là? Que signifie t-elle? Il faut rouvrir le livre. Ils testent, sans la virgule, avec la virgule : elle marque un temps de satisfaction. Autre test : un temps d’exaspération. Que ressent Clov à ce moment? Le metteur en scène s’interroge.

« Fin de partie » de Samuel Beckett a été joué du 1ère au 8 octobre 2009 au théâtre le Verso et le 2 et le 9 octobre au théâtre du Parc Mise en scène......Patrick Reynard avec la distribution suivante : Nag.................Roland Boully Nell..........Françoise Gambey Hamm...........Julio Guerreiro Clov............Raphaël Pigache




Le comédien se remet en question. Un doute s’installe. A force de tenter, le danger est de se perdre.

leurs personnages, avec qui, ils ne font plus qu’un. L’heure s’est écoulée. Une tête se glisse dans l’encadrement de la loge, une voix Les couvercles des poubelles se douce, c’est Patrick : « Vous êtes prêts! soulèvent et les mains de Nell et Nagg C’est parti. » apparaissent, accrochées au rebord. Raphaël joue aussi le rôle de régisseur. Puis leurs têtes émergent. Il vérifie que la scénographie soit bien Leur condition de comédiens est en place. Les comédiens s’installent. La difficile. Il faut trouver des solutions lumière s’éteint. D’un bout à l’autre, pour supporter pendant 1H40 la la pièce sera jouée. Patrick s’assied, à station à genoux et le chaque fois à une place rebord coupant des différente pour multiplier « L’enjeu est d’incarner avec poubelles. Ils porteront ses points de vue sur force et rigueur toute la des genouillères et des l’action. Calepin à la complexité du texte de Beckett main, il est en attente. mitaines. pour le rendre accessible au Des plaques de tôle Patrick interrompt les public, sans perdre de vue le rouillées composent un répétitions. Il donne intérieur sans meubles. plaisir de jouer une œuvre rendez-vous dans une Aux murs de droite et de incontestable » heure aux comédiens gauche, vers le fond, il y pour la générale. Il leurs indique les a deux petites fenêtres haut -perchées, intentions de leurs personnages qu’ils rideaux fermés. doivent garder en souvenir. Ce temps A l’avant scène à droite, se trouve une va permettre à chacun de se préparer porte. Accroché au mur, près de la porte, mentalement. un tableau est retourné. Julio s’isole pour relire le texte. A l’avant scène à gauche deux poubelles, Patrick s’éloigne. Il laisse mijoter. Et il l’une contre l’autre sont recouvertes d’un en profite pour se relâcher. Après cinq vieux drap gris bleuté. heures de répétitions, il se projette dans Au centre, Hamm est recouvert lui aussi la réflexion du filage. d’un vieux drap. Il est assis dans un Dans le miroir de la loge, les fauteuil à roulettes. Immobile à côté du métamorphoses s’opèrent. Les acteurs fauteuil, Clov le regarde. enfilent leurs costumes. Ils maquillent leurs visages de blanc, accentuent leurs Face au metteur en scène comme tout expressions avec du noir. Ils s’incarnent public, les comédiens forment un front, au fur et à mesure dans la fiction de une ligne, comme dans un jeu d’échec. L’action de la pièce se situe dans un monde surréaliste, une fiction anticipe sur le futur ; le dernier souffle de l’humanité met en scène quatre personnages aux rapports sado-maso et pathétique. L’enjeu est d’incarner avec force et rigueur toute la complexité du texte de Beckett pour le rendre accessible au public, sans perdre de vue le plaisir de jouer une œuvre incontestable. A vingt minutes de la fin de la pièce, Patrick décide


d’interrompre le filage. Il a sentit ses comédiens en difficulté. En effet, certaines intentions ne passent pas. Le sens du texte est perturbé et des réglages s’imposent. Patrick, un calepin noirci dans l’aprèsmidi, Raphaël, Françoise, Roland et Julio se retrouvent dans les loges pour un débriefing. «Il faut régler vos énergies, et les rythmes. Vous devez marquer les contrastes d’humeurs, les sentiments. Insistez sur les réactions.» Il règne un silence introspectif. Patrick reprend avec enthousiasme : «Beckett joue avec l’ambiguïté des mots. N’oubliez pas que les personnages sont dans une farce inquiétante.» Il semble que chacun se trouve dans le même état. Les questions et les troubles vont obliger la compagnie à se replonger dans l’étude approfondie du texte. Mais il reste une semaine pour combler les manques avant la première. Comme dans le jeu de stratégie, on frôle « échec et mat », mais ce n’est pas encore la fin de la partie !

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Pour en savoir plus : http://theatredeleskabo.over-blog.com/


Le Travail du metteur en scène Il a fallu six mois pour disséquer le texte, au sens propre comme au sens figuré puisque trois livres de Fin de partie y sont passés. Le metteur en scène propose une lecture. Ce que le spectateur peut ne pas voir c’est le travail de précision au plateau. Les instants où Beckett et Patrick Reynard s’entrechoquent face aux acteurs. «Le centre du plaisir et de l’angoisse du défi c’est le ventre. Ça me prend aux tripes! Mon ventre est plus intelligent que ma tête. C’est plus physique que mental. Hamm personnage central dit qu’il est question de signifier. Signifier quoi? Nous-mêmes, l’homme dans toute sa complexité, sa folie, sa raison. Beckett fait de nombreuses références à l’histoire, à la philosophie. L’exigence de la mise en scène est poussée jusqu’à appuyer une virgule, maîtriser un silence, l’intentionnalité, la visibilité, l’ambiguïté des mots. Beckett joue avec les mots. Beckett ne fait que jouer!». Pessimisme absurde ou humour noir ? «Pour Beckett, la vie, le théâtre se confondent. La mise en scène demande des réglages permanents. L’équilibre du jeu est sans cesse menacé par les moments de ruptures, les contrastes des sentiments, des humeurs, des énergies. Il y a des moments de basses et de hautes tensions créant les mouvements des corps qui ont leur propre logique, leur propre esthétique.» Tout se passe comme si nous étions dans un film en noir et blanc, dont la distribution idéale aurait été, pour Beckett, Laurel et Hardy.








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