"Conques, la quête". Les plaques poétiques à Conques-en-Rouergue

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« CONQUES, LA QUÊTE » Les plaques poétiques à l’entrée et à la sortie du village expliquées par l’auteur – Peter Wessel

“Conques, la quête” trouve sa force dans le contraste et la complémentarité entre la ville romane, immuable et éternelle, et la vie éphémère des voyageurs humains avec leurs désirs et leur quête spirituelle et existentielle. C’est de ces voyageurs que parle la deuxième strophe du poème à l’entrée de Conques en haut du village. C’est à eux que s’adresse L’envoi lorsqu’ils franchissent la Porte du Barry : Caracoles, søgende sjæle med hus på ryggen, almas en vilo con sus vidas a cuestas. Eager commerce, searching eyes, ojos en quête buscando, cherchant des yeux en paix. Bon voyage, fare thee well, ultreïa. Ce qui pourrait se traduire ainsi en français :

J’ai écrit “Conques la quête” en 2010 à l’occasion d’un récital que je donnais avec Mark Solborg et Salvador Vidal – les deux musiciens de “Polyfonías Poetry Project” – sous le tilleul de la Place Chirac à Conques, dans le cadre du Festival de musique La Lumière du Roman. Puisque ma poésie “polyphonique” surgit d’une vie où je me suis tour à tour intégré dans quatre cultures différentes, apprenant les langues tout d’abord à travers les sens, en contact physique avec les mots et les choses, mon poème dédié à Conques, ville de voyageurs et pèlerins, où j’ai trouvé un havre pour cultiver mon jardin et ma poésie, occupe sans doute une place emblématique dans ma production. Mon usage de différents registres linguistiques est spontané, et souvent ce n’est qu’à la fin de l’écriture que je me rends compte pourquoi la voix de telle ou telle langue, de telle ou telle période de ma vie, m’ont interpellé ou appelé précisément à ce moment-là, à cet endroit-là. Traduire ma poésie polyglotte dans une seule langue est comme reproduire une toile fauve en noir et blanc. Tout au plus, pourrait-on la traduire en plusieurs autres langues ; chaque langue est comme une couleur produite à base de plantes cultivées dans différents climats. Cependant, je vais prendre le risque de faire abstraction des couleurs du poème pour expliquer certains passages et certains principes de ma langue poétique. La deuxième strophe de “Conques, la quête” est la strophe où l’on trouve la plus grande palette de langues et c’est aussi la strophe qui sert d’envoi à la sortie de Conques, par la Porte du Barry, en bas du village (rue Charlemagne). L’envoi – une courte strophe placée en guise de dédicace à la fin d’une chanson – est une figure poétique fréquente dans la poésie médiévale. Partant de l’idée que la visite à Conques est une expérience transformatrice, la deuxième strophe de “Conques, la quête” n’est plus la même quand on part de la cité médiévale, que lorsqu’on y arrive par le GR65. Les lettres se sont libérées du poids de l’acier et se sont levées comme des voix, comme des voyelles, comme des traces dans le ciel des marcheurs. L’envoi s’est envolé et ne m’appartient plus. Pour cela, je ne l’ai pas signé. J’ai voulu qu’elle soit un chant populaire du chemin, une folk song, et donc, à partir de l’adieu de Conques, une chanson anonyme.

Escargots âmes en quête avec leur maison sur le dos âmes inquiètes, chargées de leur vie. Échanges animés, des yeux en quête, furtifs, cherchant des yeux en paix. Bon voyage, fare thee well, ultreïa. Cependant, dans la version unilingue se perd l’écho du mélange des langues qui ont toujours résonné dans les rues de Conques. Pour commencer, j’utilise l’escargot (caracol en espagnol, ici au pluriel) comme métaphore du marcheur, autant pour la lenteur de sa marche (vu la distance qu’il doit couvrir), que pour son allure avec son sac à dos. Søgende sjæle med hus på ryggen reflète deux traits opposés de la mentalité danoise : d’un côté l’angoisse et le doute (âmes en quête), et de l’autre le pragmatisme et le savoir bricoler (avec leur maison sur le dos). En danois cette dernière phrase med hus på ryggen est devenu pratiquement un synonyme d’escargot ; c’est l’association de ces mollusques aussi familiers avec l’expression consacrée ”âmes en quête” qui produit l’étincelle poétique. Le prochain vers est un bon exemple de ma technique de ”cubisme poétique multilingue” ou ”glissando du sens des mots”. Dans un premier temps on dirait qu’il s’agit d’une traduction de la phrase danoise en espagnol. En fait, c’est une traduction et ce n’est pas une traduction. L’idée et la construction sont semblables, mais les divers éléments sont composés à partir de combinaisons inattendues de paires de clichés – c’est-à-dire des dérivées spécifiques et sédimentées de deux cultures différentes : søgende sjæle med hus på ryggen, almas en vilo con sus vidas a cuestas.


Par conséquent, leurs sens manifestent des ”couleurs” différentes, impliquant des sentiments dissimilaires et intraduisibles. Il me semble que le vers danois est plus métaphysique et l’espagnol plus viscéral. Ceci n’est pas le lieu d’une digression et dissection linguistique, donc, pour ne pas m’étendre davantage, je dirai simplement que je prononce le mot commerce (après eager dans la ligne suivante) en anglais, car – puisqu’il s’agit de Conques, haut lieu de pèlerinage – j’ai voulu profiter du double sens du mot, propre aux deux langues, l’anglais et le français : tant dans l’acception de l’échange de biens comme dans celle de l’échange d’idées, d’opinions et de sentiments. Et parlant de prononciation, cela me fait revenir au sens polychrome du poème. La poésie lyrique est intimement liée à la musique. Sa sonorité est un élément essentiel de son message. J’appelle mes poèmes polyfonías parce que ce sont des tapis sonores, tissés des voix de différentes langues, différentes cultures. La première et la troisième strophe de ”Conques, la quête” sont monocordes – en français – ce qui rime bien avec sa ”matière” : le village, austère et construit entièrement en lauze, la pierre du pays. La dernière strophe aussi est plutôt monocorde, mais cette fois-ci en espagnol, langue du destin compostellan de nos pèlerins (toutefois, mélangé avec quelques notes d’autres langues dans le chant du départ du clocher.) Et au milieu du silence minéral et immuable de la pierre, on entend la polyphonie des voix dans les rues, les places et les terrasses de Conques ; le monde de la quête humaine où toutes les cultures se retrouvent et se mélangent. .... À part entendre le poème dans nos rues, l’enregistrement du poème interprété par Polyfonías Poetry Project peut s’écouter avec le livre-disque ”Delta” disponible à Conques, à la librairie Chemins d’encre.

BIOGRAPHIE Peter Wessel est poète, professeur et journaliste spécialisé dans l’art, la linguistique et la musique. Né au Danemark, il écrit en Anglais depuis qu’il a 17 ans. Il vécut l’effervescence culturelle en Californie à la fin des années soixante, et à son retour en Europe, il passa quatre ans à Paris où est née sa fille, Tania. Après être diplômé en journalisme au Danemark, le poète entreprend, en 1977, un voyage en France, impulsé par un rêve d’une église romane en flammes. Quand il s’éveille de son rêve, il se trouve devant l’église de Sainte-Foy de Conques. Convaincu qu’il s’agit d’une sorte de baptême poétique, il achète l’ancienne maison du poète Rouergat Emile Roudié et s’installe dans le village. Ici, il écrit la première partie de son deuxième recueil de poèmes, In Place of Absence (Chestnut Hills Press, Baltimore 1990) qui inclut The Conques Poems I & II, poèmes salués par le poète américain John Ashbery comme « Lumineux, brillants, souples comme les rayons du soleil, avec la vivacité et la force de la riche campagne française où elles furent écrites ». En 2003, Peter commence à écrire et à réciter des poèmes polyglottes, en utilisant les ressources linguistiques des quatre cultures dans lesquelles il a vécu et qui ont terminé par l’habiter : la danoise, la française, l’anglo-américaine et l’espagnole. Les explorations musicales et poétiques de Wessel et son dialogue avec le compositeur et guitariste dano-argentin Mark Solborg lors d’une résidence artistique à la Fondation Valparaiso de Mojácar (Andalousie) mènent à l’enregistrement de neuf Polyfonías. Trois ans plus tard, les éditions Delsatélite (Madrid) publient ces enregistrements dans un CD-livre, et en mars 2008, l’œuvre est arrangée en trio et présentée au public dans un récital-concert au centre culturel La Casa Encendida à Madrid. Quatre mois plus tard, le poème « programmatique» Un Idioma Sin Fronteras remporte le second prix du concours artistique international 2008culturas.com, organisé par le Ministère de la culture espagnol, pour célébrer l’Année européenne du dialogue interculturel. En août 2010 Peter et ses musiciens, Mark Solborg et Salvador Vidal, sont revenus à leur base à Conques où ils ont offert un récital dans le cadre du Festival de musique « La Lumière du Roman ». C’est pour cette occasion que Peter a écrit et dédié au village le poème polyphonique « Conques, la quête », comme remerciement pour avoir été accueilli comme un Conquois parmi les autres. Peter Wessel vit la plupart de l’année à Madrid où il travaille sur son doctorat en Histoire de l’art médiéval pour réaliser une thèse sur l’iconographie carnavalesque dans l’église romane. En 2014 il a publié Delta – un livre pluri-sensoriel, à quatre voix, avec 20 photocollages de l’artiste espagnole Dinah Salama (ediciones de la Torre, Madrid).

Plaques réalisées par Bernard Marc, ferronier d’art - Crédits photos : Peter Wessel, Balancin de Blancos, Anne Romiguière


Conques, la quête – Conques the Quest The multilingual poetry plates at the gates of the medieval French pilgrims’ town of Conques-en-Rouergue I wrote “Conques la quête” in 2010, for the concert-reading that Polyfonías Poetry Project (Mark Solborg, Salvador Vidal and myself) gave in the shade of the huge linden-tree on Place Chirac in Conques as part of the annual music festival La Lumière du Roman. We have since featured it in most of our recitals, and it has become the central metaphor in the poetry, music and art book « Delta », which Ediciones de la Torre in Madrid published last year. Conques has, after all become my hometown – mi pueblo – where I grow my polyfonías, the multilingual crop of a life steeped in four cultures, along with the Mediterranean and Nordic trees that I have planted in my « sacred grove » just inside the city walls. My use of different linguistic registers is spontaneous, and often it is only when I finish the writing of a poem that I realise why the voice of this or another language from this or another period of my life has come to me at this particular moment. Translating my polyglot poetry into one single language would be like reproducing a Fauve painting in black and white. At best we could translate it into a combination of four other languages ; each tongue is like a color produced from a plant cultivated in a specific climate. Like the natural dyes we obtain from plants, each tongue has the tone of the soil from which it sprang. I shall, nevertheless, venture to make an abstraction from the colors of the poem in order to explain certain passages and the linguistic processes that produced them. The second stanza in « Conques, la quête » is the one in which the linguistic palette is most colorful, and it is also the stanza that serves as an envoi at the Porte du Barry, the gate halfway down Rue Charlemagne through which pilgrims and walkers leave Conques. The envoi – a brief stanza placed at the end of a poem as a dedication to an imagined or actual person – is a common feature in French medieval poetry, specially ballads. Imagining that the passage through Conques is a transformative experience, the second stanza in « Conques, la quête » is no longer the same when one leaves the medieval village as it was when one arrived there by the GR65. The letters have freed themselves of the weight of the steel and have risen like voices, like vowels, like luminous footprints across the night sky. The envoi has taken wing and has ceased to be mine. That is why I haven’t signed it. I want it to be a song of the road, a folk song, and therefore – from the farewell to Conques – an anonymous chant.

The strength of « Conques, la quête » lies in the contrast and complementarity of the Romanesque town, inviolate and eternal, and the ephemeral lives of the human voyagers with their desires and spiritual and existential quest. They are the voyagers that are described in the second stanza of the poem at the entrance to Conques above the town. They are the transformed voyagers with a deeper vision that the envoi salutes as they pass through the Porte du Barry : Caracoles, søgende sjæle med hus på ryggen, almas en vilo con sus vidas a cuestas. Eager commerce, searching eyes, ojos en quête buscando, cherchant des yeux en paix. Bon voyage, fare thee well, ultreïa.

Which could be translated thus into English : Snails in procession, Seeking souls, your abodes on your backs, restless souls hauling your lives uphill. Eager commerce, searching eyes in perpetual quest, seeking eyes of peace. Bon voyage, fare thee well, ultreïa.

But in the translation into a single language the mixture of tongues that have always lingered in the streets of Conques is lost. Besides, the ambiguity of the Spanish possessive pronouns and the minimalism of Danish grammar allow me to speak simultaneously about and to the voyagers. To start with, I use snails (caracoles in Spanish) as a metaphor for the pilgrims and caminantes, due to both the slowness of their progress in view of the distance they have to cover, and their appearance, hunched under their backpacks. Søgende sjæle med hus på ryggen hints at two opposite traits in the Danish national character: on the one hand angst and doubt (restless souls) and on the other pragmatism and do-ityourself spirit (abodes on your backs). In Danish this last phrase med hus på ryggen has become almost a synonym, or paraphrase, for snail: it is the surprising


association of these familiar slugs with another commonplace – seeking souls – that produces the poetic spark. The next stanza is a good example of my technique of «multilingual poetical cubism » or « meandering of meaning ». At first one would think that we’re dealing with an intertextual translation of the Danish phrase into Spanish. In fact, it is a translation and it isn’t a translation. The idea and the construction of the sentences are similar, but the different elements are composed of unexpexted pairs of clichés – that is, specific and sedimented derivatives from two different cultures : søgende sjæle med hus på ryggen, restless souls hauling your lives uphill. As a consequence of this, their meanings are infused with different « colors », implying dissimilar and untranslatable emotional landscapes. To me the Danish metaphor is more metaphysical and the Spanish more visceral. This is not the place for linguistic digressions or dissections so, for the sake of brevity, let me just say that I have coupled the word « commerce » with « eager » - a combination which conjures up poems and travel prose from bustling ports in English literature – because Conques as a main halt on the Camino to Santiago does bustle with both commercial and spiritual intercourse, and these two meanings are implied in both the English and French word « commerce » in spite of their different pronunciation. Which makes me come back to the issue of the polychrome sense of the poem. Lyrical poetry is closely related to music. The sound is an essential element of its message. I call my poems polyfonías because they are tapestries of sound, woven from the voices of different languages, different cultures. The first and the third stanza of « Conques, la quête » are basically monolingual – in French – something which rhymes well with their « matter » : the village – austere and entirely built of chist, the local stone. The last stanza is also monolingual, but in this case Spanish, the tongue of the pilgrims’ Jacobean destination (mixed with the sounds of other tongues in the farewell chimes of the bells. And in the middle of the mineral and inmutable silence of the stone you hear voices in the streets, squares and terraces of Conques ; the place of the human quest where all cultures blend and unite.


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