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ENTRETIEN Martin Hartmann nous dévoile l’importance de la confiance pour notre vivre-ensemble.

Le philosophe Martin Hartmann est professeur et doyen de la Faculté des sciences culturelles et sociales à l’Université de Lucerne.

La confiance règne

Depuis vingt ans déjà, le philosophe Martin Hartmann s’intéresse à la problématique de la confiance. Dans son livre primé Vertrauen. Die unsichtbare Macht, le chercheur analyse pourquoi nous parlons aujourd’hui de crise de confiance et comment nous pouvons retrouver le chemin d’un meilleur vivre-ensemble.

Martin Hartmann, aujourd’hui, lorsque deux personnes se rencontrent, il est tout de suite question de masque ou de vaccin. Peut-on dire que c’est un signe de méfiance ?

Oui... Notre manière de vivre avec les autres a été ébranlée. Peut-on demander à quelqu’un s’il est vacciné ? Nous n’avons pas encore trouvé la bonne manière d’aborder cette question et assistons à la place à la création de différents groupes. Lorsqu’un des groupes insinue qu’un autre groupe est malveillant, la méfiance s’installe. C’est dangereux.

Les rapports sincères entre les personnes se perdent.

Dans de telles situations, nous ne savons plus si nous partageons encore un horizon de valeurs. Avant la pandémie, les choses étaient plus simples : nous discutions ensemble sans devoir constamment amener nos plus profondes convictions sur le tapis. Aujourd’hui, nous voulons connaître de tels détails, mais ne savons pas comment réagira notre vis-à-vis face à de telles questions.

À l’avenir, deviendra-t-il plus difficile de construire une relation de confiance ?

Nous pouvons définir la confiance ainsi : laisser quelqu’un tranquille et partir du principe qu’il est capable d’assumer la tâche ou de prendre soin de la chose confiée. C’est précisément ce qui est en jeu aujourd’hui dans d’importants domaines de notre société. Notre manière de vivre ensemble sera inévitablement redéfinie et nous devons trouver de nouvelles voies pour gérer notre incertitude.

La confiance est le ciment de la société.

Certaines sociétés totalitaires et autocratiques au sein desquelles il n’y a aucune confiance fonctionnent très bien. Toutefois, des valeurs de confiance élevées améliorent la qualité du vivre-ensemble. Les sondages que j’ai menés démontrent que des valeurs fondamentales ont été ébranlées. De nombreuses personnes sondées parlent même de « crise de confiance ». Notre vivre-ensemble est devenu plus difficile, mais pas impossible.

Dans quelle mesure des phénomènes tels que les informations fallacieuses (fake news) ou les faits alternatifs jouent-ils un rôle ici ?

Prenons pour exemple un populiste comme Donald Trump. Pourquoi autant de personnes lui font-elles confiance malgré toutes les choses qu’il a dites et qui se sont révélées fausses ? Il paraîtrait que ces personnes acceptent les mensonges dans la mesure où elles se reconnaissent dans certaines des valeurs défendues. De plus, ces personnes admirent même Donald Trump pour son audace et sa capacité à irriter et à inquiéter ses concurrents avec ses mensonges. Les populistes décrient la vérité objectivement observable, ce qui rend les actions politiques de leurs adversaires encore plus compliquées.

Jusqu’à présent, les mensonges avaient pour conséquence la méfiance.

Peut-être que nous apprenons justement de manière singulière que la confiance dépend davantage d’autres facteurs que de la qualité d’une déclaration ou de sa véracité. Tout à coup, des valeurs communes sont plus importantes. Vu de l’autre perspective : une personne en qui je n’ai pas confiance mais qui dit toujours la vérité aura beau dire tout ce qu’elle veut, je ne la croirai jamais. L’horizon de valeurs communes disparaît peu à peu si l’on peut déclarer ouvertement : c’est moi qui décide de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas. C’est l’un des points qui méritent réflexion au sein de la société.

Un plus grand contrôle, par exemple délégué à des ONG, pourrait-il améliorer la situation ?

Pour moi, le contrôle et la confiance s’excluent mutuellement. La confiance signifie donner la liberté à quelqu’un d’agir selon ce qui d’après moi est juste. Par exemple, je confie mon enfant à une personne et je pars du principe qu’elle s’en occupera bien. Lui laisser une marge de manœuvre pour décider librement de ses actes ne signifie pas contrôler mais plutôt lâcher prise.

Ainsi, je me rends « vulnérable », comme vous l’écrivez dans votre livre.

Le problème est le suivant : aujourd’hui, nous ne voulons plus paraître vulnérables, mais voulons garder le contrôle sur tout. Prenons par exemple le phénomène des « parents hélicoptères ». Nous mettons en place de plus en plus de technologies de contrôle et systèmes de sécurité qui attaquent les bases mêmes de la confiance. Je ne prétends pas que cela va mener à l’effondrement de notre société, mais du moins à une modification de la qualité de la vie en société.

Cependant, rien n’est jamais sûr.

En effet, certaines attentes concernant la sécurité sont illusoires. Plus les technologies

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