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PORTRAIT Tétraplégique depuis l’âge de 15 ans, Manuela Leemann est aujourd’hui avocate, maman et défenseur des droits des défavorisé-es.

Ces moments partagés

Manuela joue à table avec Kira et feuillette un livre d’images.

Vivre sa vie comme on l’entend

Enfant, Manuela Leemann a subi un accident de sport. Malgré sa tétraplégie, elle est aujourd’hui avocate, maman depuis février dernier et engagée en politique en faveur des personnes défavorisées.

Un soir de février 2012, la famille est réunie autour de la table à manger lorsque Manuela Leemann déclare : « Je voulais vous dire... Cet été, je pars en Australie pour un an. » Tout le monde reste bouche bée. Un an en Australie ? Comment est-ce possible ? Étant tétraplégique, Manuela est tributaire de l’aide d’autrui. « Je ne sais pas ce que cela implique vraiment, mais je vais le faire », déclare-t-elle.

Rien ne peut l’arrêter. Elle prend l’avion jusqu’à Brisbane. Son compagnon, sa mère et sa sœur se relaient auprès d’elle. Au bout d’un an, Manuela rentre en Suisse avec un master en droit de l’Université du Queensland en poche.

Neuf ans après cette annonce incongrue à la table familiale, nous retrouvons Manuela, 40 ans, au bord du lac de Zoug. « Je vis tellement de moments forts que je ne peux pas me plaindre de ma qualité de vie. Bien au contraire. Lorsqu’on parvient à voir la beauté dans les choses et à apprécier ce que l’on a, le fauteuil roulant n’est qu’un détail », explique-t-elle. En effet, Manuela est une femme qui voit le potentiel et non le problème. Son attitude l’a aidée à grimper les échelons dans sa vie professionnelle. Cette avocate dirige aujourd’hui le service juridique de la Direction de l’intérieur du canton de Zoug. De plus, en février 2021, Manuela a mis au monde une petite Kira.

Un saut tragique

Juste avant son seizième anniversaire, Manuela subit un terrible accident. À 15 ans, la jeune fille est sportive, ne tient pas en place et n’a pas froid aux yeux. Le 10 août 1997, elle participe à une course de relais à Arosa avec son club de ski. Ce dimanche-là, Manuela donne tout pour gagner. Arrivée à un tunnel improvisé, la jeune fille plonge la tête la première pour gagner du temps, se cogne violemment la tête contre le matelas et reste allongée.

Tout le monde se précipite vers elle. Elle ne sent rien quand on la touche et des pensées terribles lui traversent l’esprit. Sur le moment, elle se souvient d’une visite au Centre suisse des paraplégiques (CSP) avec sa classe. Elle supplie intérieurement : « Pitié, tout sauf être paralysée ! »

Elle est emmenée à l’hôpital de Coire où un diagnostic bouleversant l’attend : sa 5e vertèbre cervicale est brisée et sa moelle épinière est sectionnée. Le lendemain de son opération,

« Tu ne peux pas toujours choisir ce qui se passe dans ta vie. »

Manuela Leemann

Manuela est transférée à Nottwil où la préparation à sa nouvelle vie de tétraplégique commence. Au début, elle ne réalise pas quelles conséquences son handicap aura sur son avenir.

Les premiers jours au CSP, elle reste allongée dans le lit, regarde fixement le plafond et ne peut que bouger la tête. Lorsqu’une personne vient lui rendre visite et lui tend la main, elle ne peut l’attraper. Plus d’une fois, elle détend l’atmosphère de gêne en assurant à son vis-à-vis que ce n’est pas grave. Plus tard, sa mère Margerita lui confiera que son papa rentrait souvent en pleurs de Nottwil. En effet, en tant que médecin, il savait très bien ce que signifiait être tétraplégique.

« Tu passeras ta matu »

Le destin frappe ainsi Manuela et sa famille. La jeune fille doit réapprendre les bases comme manger, garder l’équilibre en position assise, enfiler une veste, ouvrir une boîte ou encore taper au clavier à l’aide d’un crayon.

Durant toute son enfance, ses parents lui ont insufflé la force de penser de manière positive et lui ont enseigné à faire face à l’avenir avec énergie. « Ils m’ont souvent dit que tout était une question d’organisation », explique Manuela Leemann. À la fin de la période de deuil, la famille affronte la nouvelle réalité avec optimisme et dynamisme, et tout le monde soutient Manuela dans chacun de ses projets.

Une phrase de Guido A. Zäch, le fondateur du CSP, l’a aussi beaucoup marquée : « Tu dois maintenant te concentrer sur l’école et tu passeras ta matu », lui dit-il un jour à l’hôpital. Après huit mois en rééducation, Manuela réintègre son ancienne classe et poursuit sa scolarité. Elle termine le lycée avec succès et commence des études de droit à Fribourg. Par la suite, elle devient greffière au Tribunal administratif à Lucerne et fait un master supplémentaire en Australie. Par ailleurs, elle s’engage en politique pour les personnes en situation de handicap. Elle mène une carrière exemplaire, derrière laquelle se cache un énorme travail. La paralysie médullaire la met face à des défis que les autres étudiant-es ne connaissent pas. En effet, Manuela doit sortir des sentiers battus et accepter le fait que de nombreuses choses ne sont plus possibles.

Elle ne peut pas bouger ses doigts, ses fonctions des bras sont si restreintes qu’elle ne peut faire le transfert du lit au fauteuil roulant de manière autonome et elle est incapable de ramasser un objet tombé par terre. Tout prend beaucoup plus de temps qu’avant et exige une planification minutieuse. Au début, tout cela la frustre énormément, mais elle ne s’apitoie pas sur son sort : « Le meilleur moyen d’y parvenir est de s’occuper pour se changer les idées. » Au fil des années, Manuela est devenue une organisatrice hors pair.

Ouvrir sa porte à des inconnus

Manuela reconnaît que la vie quotidienne en tant que tétraplégique est souvent pénible. Le plus grand problème pour elle est de vider sa vessie. Plusieurs fois par jour, elle est tributaire de l’aide d’autrui. Cela signifie qu’elle doit laisser d’autres gens l’aider en plus du personnel du service d’aide et de soins à domicile. Son intimité et sa vie privée en sont inévitablement affectées.

Durant ses études, alors qu’elle habitait en colocation, elle ne voulait pas constamment demander de l’aide à ses ami-es et à sa famille et vu que l’offre du service d’aide et de soins à domicile public n’a pas des horaires illimités, Manuela a dû engager un service privé pour l’aider à se lever et à faire sa toilette matinale. Elle a aussi mis des petites annonces pour trouver des gens pour l’aider à se mettre au lit le soir. Manuela a dû faire preuve d’une grande confiance envers des inconnu-es qui entraient dans son appartement. Aujourd’hui encore, elle trouve cela désagréable, mais souligne qu’elle n’a pas le choix, bien qu’il y ait au fond d’elle le désir de non seulement recevoir de l’aide, mais aussi d’en offrir aux autres.

Pour elle, s’engager en faveur des personnes défavorisées est une nécessité. « Elle se préoccupe des autres et trouve des solutions grâce à sa créativité et sa capacité à ne pas baisser les

« Je ne veux pas seulement accepter de l’aide, mais aussi en offrir. »

Manuela Leemann

bras face à des tâches difficiles », déclare sa sœur Angelika. Manuela Leemann souhaite sensibiliser les gens aux besoins des personnes en situation de handicap. En 2010, elle a l’occasion de le faire lorsqu’elle participe à l’élection de « Miss Handicap » et qu’elle peut faire passer son message : il est essentiel de supprimer les seuils ou encore de proposer un service d’aide et de soins à domicile 24 heures sur 24 pour améliorer la qualité de vie des personnes touchées.

À partir de 2018, Manuela défend ses idées aussi en tant que femme politique au sein du Conseil communal de la Ville de Zoug ainsi qu’au Grand Conseil zougois, duquel elle se retire en 2020 après avoir été choisie comme responsable du service juridique de la Direction de l’intérieur. La promotion d’un environnement sans obstacles ainsi que la conciliation de travail et famille représentent deux de ses chevaux de bataille. Elle se bat avec énergie pour l’égalité des personnes en situation de handicap et soutient qu’il est nécessaire que plus de personnes handicapées s’engagent en politique et au sein de différentes commissions. Par ailleurs, elle est non seulement membre du Conseil de fondation de la Fondation suisse pour paraplégiques (FSP), mais fait aussi partie de la commission des demandes pour des fonds à l’aide directe.

Une équipe bien rodée

Chris Heer et Manuela Leemann se complètent parfaitement : il habille Kira et elle lui donne à manger.

Le quotidien professionnel

Malgré sa tétraplégie, Manuela suit une carrière d’avocate et de femme politique.

La visite de la cigogne

Manuela Leemann est parvenue à concilier travail et famille. En 2001, elle fait la connaissance de Chris Heer. « Je peux toujours compter sur lui. Il m’accepte comme je suis et m’offre son soutien inconditionnel», déclare Manuela. Les deux amoureux voyagent à travers le monde et découvrent de nombreux endroits ensemble. Chris l’aide pour ses soins quotidiens et constitue un véritable pilier pour elle : « Je lui dois beaucoup. »

En janvier 2021, le couple se marie. Souvent, Manuela et Chris sont confrontés à des questions gênantes qui les incite à penser que certaines personnes feraient mieux de réfléchir avant de parler. Par exemple, il arrive qu’on leur demande comment un homme « en parfaite santé » peut être dans une relation amoureuse avec une femme en fauteuil roulant. Lorsque Manuela annonce sa grossesse, même les médecins se montrent réticents et demandent si son mari et elle ont vraiment bien réfléchi. « Si quelqu’un a bien réfléchi à ça, c’est bien nous», explique-t-elle. Tous les deux avaient un désir d’enfant et ils l’ont fait.

Manuela n’aime pas quand on ne la prend pas au sérieux. Avant, elle s’en faisait des cheveux blancs ; aujourd’hui, elle rejette simplement les commentaires inutiles et les remarques stupides. Elle a suffisamment confiance en elle pour savoir ce dont elle est capable. En février dernier, Manuela a mis au monde une petite Kira et, après six mois de congé maternité, elle est retournée au bureau. Chris Heer est père au foyer. Manuela et lui forment un duo parfait : Chris prépare la purée, met Kira dans sa chaise haute et Manuela lui donne à manger. Manuela sait que certaines des tâches de son rôle de maman demeureront impossibles pour elle. En effet, ce sera toujours Chris qui s’occupera de langer leur fille, de s’amuser sur le sol avec elle ou encore de la mettre au lit. La nuit aussi, seul Chris se lève si la petite pleure. La créativité est une fois de plus de mise. Cela dit, Manuela pourra non seulement offrir de l’amour et de la tendresse à sa fille, mais aussi jouer à table avec elle.

L’humour pour briser la glace

Manuela Leemann aime les rapports sincères et ouverts avec les autres et surtout les blagues. Lorsqu’elle est retournée au lycée après sa rééducation, plus personne n’osait faire de blague par peur de la blesser. « J’avais envie qu’on me traite normalement », explique-t-elle avant de raconter comment son frère Harald est parvenu à briser la glace. Un jour, il ne la salue pas comme d’habitude. « Lorsque je lui ai demandé pourquoi il ne me faisait pas la bise, il m’a dit ‹tu aurais au moins pu te lever › ... » Là, elle a tout de suite su que tout était redevenu comme avant.

Son mari Chris lui a tout de suite expliqué qu’il lui donnerait tout sauf de la pitié. Manuela est certes en fauteuil roulant, mais cela ne l’empêche pas de faire preuve d’innovation, de rêver, de voyager, de jouer au rugby en fauteuil roulant, de faire un saut en parachute et d’oser faire un saut à l’élastique. Elle ne cessera jamais de tenter de nouvelles choses.

Sur son site internet, on peut lire : « Tu ne peux pas toujours choisir ce qui se passe dans ta vie. Mais toi seul-e décides ce que tu veux en faire. » (pmb / j. ineichen)

Balade au bord du lac de Zoug

La petite famille apprécie les promenades au soleil.

Voilà à quoi sert votre cotisation

La Fondation suisse pour paraplégiques a soutenu Manuela Leemann pour la transformation de sa maison, notamment pour l’installation d’un monte-escalier.

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