Le manteau noir

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LE MANTEAU NOIR PA MALLET


J’aime les embruns de la ville. La coquetterie des grands magasins qui se reflète sur les bouches de métro. Le chant des voitures qui se rassemblent en cette fin de journée. Tant de petits détails qui font le charme des grands boulevards parisiens. Des passants attroupés devant les vitrine aux pigeons en quête de quelques miettes tombées d’une poche, en passant par le sombre béton qui se mue en œuvres architecturales typiques de la capitale, tout semble se fondre en une ronde romantique. C’est parce que j’aime cette atmosphère que je me trouve là, au milieu d’une douce agitation alors que le jour et la nuit se rencontrent en ces fins d’après-midi automnales. Quand les passants hâtent leur pas pour retrouver leur foyer ou courir d’une boutique à l’autre, je ralentis la cadence et profite de l’unicité de ce cadre. Quelques élans de brume, une fine pluie sur mon chapeau. Ce moment possède à chaque fois une part qu’il semble avoir dérobé au temps. Comme si les minutes se muaient en heures et les heures en secondes. Une chose à la fois douce et violence qui se répercute tendrement sur les toits des hôtels particuliers. Une chose à la fois lente et rapide, calme et agitée, innocente et tourmentée. Alors je déambule et j’observe. Je souris aux passants. Cette dame qui tient son enfant par la main. Ce cher monsieur qui incline les épaules sous le poids de sa sacoche. Ce couple dont les mains se frôlent sans oser se saisir. J’avance au milieu du boulevard haussman, du boulevard montmartre, du boulevard poissonnière. Et la nuit tombe, lentement, engloutissant petit à petit chaque pierre, chaque coin. Les recouvrant sous son manteau noir strié ça et là par la boutonnière d’un réverbère luttant contre l’obscurité. Cependant en cette soirée ce spectacle m’était étranger. Hermétique à cette description, je me perdais dans mes pensées, oubliant tout autour de moi et ressassais ma journée de travail. Chaque acte, chaque avancée mais aussi chaque échec. Bientôt je ne faisais même plus attention aux autres. Je manquais de percuter d’autres badauds sans même le remarquer. Le regard dans le vague. Je réfléchissais, encouragé par les façades austères dont l’ombre imposante semblait me donner leur accord tacite. Le travail laissait sa place aux amis, les amis à la famille et la famille à moi-même. C’est alors, au croisement entre 2 idées que je l’ai rencontré. Qui ? Je ne saurai vous le décrire ou ne serait-ce que vous le nommer. Mais soudainement j’ai senti sa présence, son souffle au fond de moi. Un frisson me traversa tandis que l’angoisse saisit ma gorge et serra jusqu’à m’en déchirer les veines. Je sentais l’air se bloquer dans mes poumons tandis que je tremblais. Et contre ma peau semblait couler une chose inconnue. Dans un effort surhumain, j’arrachais mes actes à mon agresseur et levais mes mains à mon visage.


Mes yeux s’écarquillèrent devant un sombre spectacle. Affluant à travers ma peau, une substance noire s'agglutinait au bout de mes doigts, recouvrant peu à peu chaque phalange jusqu’à s’étendre sur ma peau. Le liquide s’animait d‘un mouvement de flux et de reflux régulier, comme si une respiration le parcourait. Malgré les lumières de la ville autour de moi, rien ne se reflétait à sa surface alors qu’elle continuait de s’étendre sur ma main. Je secouais mes doigts pour essayer de me débarrasser de cette étrangère mais rien n’y fit, son dangereux silence semblant me narguer alors qu’elle atteignait maintenant mes poignets. L’effroi me saisit, je retenais un cri muet et commençais à hâter mon pas. Autour de moi, aucun passant ne remarquait ma terreur. Je commençais à me frotter inconsciemment les paumes, constatant avec effroi que cela ne faisait qu’étaler encore plus ce poison. Avançant machinalement, je percutai un poteau. A l’endroit du contact une goutte noirâtre se déposa, commençant également à s’expandre. Rampant le long des rainures, recolorant l’écaillage d’une peinture datée. Je me reculais, ne réalisant pas ce qui se déroulait devant moi. Je percutai une femme dans mon dos. Me retournant pour m’excuser, mon souffle se coupa. La substance se déversait sur la malheureuse qui en était couverte de la tête aux pieds. Et pourtant, celle-ci reprit son chemin, ne semblant ne rien remarquer. Je tournais les talons et hatais mon pas, des décharges de terreur se répercutant dans mon souffle. Je croisais un nombre incalculable de promeneurs qui avançaient comme s’ils ne voyaient rien. Quand l’un d’eux me frôlait, il se retrouvait couvert de ce manteau noir qui continuait d’affluer du plus profond de moi. Je ne comprenais pas, j’avais peur. Je me sentais sale et salissais les autres. Je ne voulais qu’une chose, pouvoir rentrer chez moi afin de nettoyer de mon existence cette souillure qui ne répandait comme une traînée de poudre. Un coup brutal me fit perdre l’équilibre, tournant la tête je ne faisais à peine attention aux excuses de celui qui m’avait bousculé, son costume bleu se teintant peu à peu de noir. Me relevant, je tombais à genoux en regardant à nouveau devant moi : Partant de là où je m’étais réceptionné, une longue traînée zébrait le sol et remontait les murs, courant encore et encore à l’horizon. Je la voyais bientôt s'élancer sur le toit de l’opéra garnier, sur les marches de montmartre, bousculer les flèches de la basilique. Tout autour de moi se fondait dans cette seconde nuit, celle dont j’étais la cause. Et personne ne réagissait. Rassemblant les dernières forces qui me restaient, je me mis à courir, droit devant moi, hurlant et pleurant, sans regarder, ignorant les gens que je contaminais de mon


mal en les frôlant. Il ne restait que moi, mon angoisse et la substance qui se déversait sur la ville. Je voulais arracher ma peau et mes cheveux, brûler mes vêtements, noyer la semelle de mes chaussures. Ma peau frissonnait comme si la substance se mettait à onduler contre elle, se moquant de son propre triomphe. Quelle victoire avait-elle donc pu rencontrer en brisant ainsi un homme ? Quelques enfants riaient devant ce fou qui fuyait l’invisible. Que m’importait ? Avaient-ils seulement conscience que je courais ainsi pour ne pas les salir ? Que je voulais les protéger ? Et pourquoi personne ne remarquait cet envahisseur qui submergeait le paysage ? Je cessais de réfléchir. Combien de minutes s’était-il écoulé avant que je puisse claquer brutalement la porte de mon appartement derrière moi ? Autour de moi la vaisselle s’accumulait dans l’évier, des lingettes usagées s’empilaient sur le sol, quelques bouteilles vides gisaient sur le parquet au milieu de vêtements sales abandonnés à la hâte. Je clopinais jusqu’à ma salle de bain, retirant ma chemise et mon pantalon et les envoyant rejoindre leurs homologues je ne sais où. L’eau brûlante sur mon visage m’aida à me calmer. Je frottai ma peau avec le savon, m’attardant sur chaque centimètre carré, la moindre parcelle tandis que la substance se déversait dans le siphon. Je repassais encore et encore jusqu’à être sûr que mon épiderme soit purifié. Je nettoyais mon visage, mon cou, mon torse, mes cuisses, mes jambes, à nouveau mon torse puis mes cuisses tout en repassant sur mon visage avant de passer à mes cheveux, répétant ce manège des dizaines de minutes durant. Alors je me mettais au lit sans réfléchir, les larmes se mêlant aux restes de terreur qui flottaient encore dans l’air. Le lendemain je me réveillai sous un doux soleil. En me levant ma peau asséchée me tirailla. M’habillant avec ce qu’il me restait de linge propre, je me préparai à sortir. Qui sait ? Aujourd’hui peut-être mes crises m’épargneraient-elles.


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