Noire n°33 - Maux & Médecine

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L'ÉDITO DE CÉCILE Septembre 2021

Pour notre dernier numéro, on vous parlait de corbeau, l'heure est venue de nous focaliser sur notre beau corps ! Cette incroyable machine n'a de cesse de nous préoccuper, on a même inventé une science pour soigner ses désordres : vaste sujet vers lequel nous avons braqué notre microscope pour ce nouveau dossier "Maux et médecine". On s'attardera sur les maladies invisibles et les nombreuses difficultés rencontrées par les personnes qui en sont atteintes, les temples de soins de l'Antiquité Grecque, l'origine du lavage des mains ou encore le côté obscur de la médecine. Le corps, ce n'est pas que des maladies et bien heureusement ;

mens sana in corpore sano disait-on chez les Romains. Dolorès apporte un peu de bien être et de relaxation grâce à Diane alias Moonlight Cottage, une artiste ASMR française qu'elle a interviewée, dont le travail incroyable oscille entre histoire et fantasy. Cécile a aussi souhaité discuter avec une modèle photo entièrement

tatouée,

InspiredTattooPortraits,

l'occasion

de

casser les préjugés sur le tatouage chez les femmes. On espère que ce programme va vous plaire, que cela vous aidera à mieux comprendre ce que vous voyez dans le miroir et pourquoi pas à mieux vous aimer. N'oubliez pas que l'équipe de rédaction vous aime tels que vous êtes, chers lecteurs !

COUVERTURE : LEONCIO HARMR C'est avec plaisir que nous retravaillons avec Leoncio, après l'avoir interviewé pour une courte IGTV sur notre Instagram. L'artiste digital bordelais nous a confié ce superbe artwork représentant l'ombre menaçante d'un faucheur se découpant dans la brume. Toute l'œuvre de Leoncio est dans cette veine : mystérieuse et inquiétante. Pour ne pas en manquer une miette, direction son Instagram !


SOMMAIRE Maux & Médecine

DOSSIER Ouverture illustrée par Paulus Magnus • page 3 Monstruosités médicales : Quand Esculape dérape • page 5 Médecine incroyable • page 12 Soigner dans l'Antiquité • page 18 Maladies invisibles • page 21 Entrevue avec Aurélia • page 30 Depuis quand se lave-t-on les mains ? • page 33 CULTURE Interview Moonlight Cottage • page 36 Le thé : de la feuille à la tasse • page 44 Interview InspiredTattooPortraits • page 48

Limbes par Tom Rey • page 53 Les coups de coeur de l'été • page 57 Crédits • page 61

OUVERTURE DOSSIER : PAULUS MAGNUS

Ce designer graphique et illustrateur a réalisé spécialement pour Noire ce magnifique visuel mettant en valeur le Serment d'Hippocrate au cœur de notre dossier. Son travail rappelle celui des gravures anciennes. Il a même croqué le profil de notre rédactrice Dolorès à partir d'une photographie d'Anaïs !




MONSTRUOSITÉS MÉDICALES Quand Esculape dérape Cécile

L'humain est loin d'être infaillible. Si notre force et notre capacité d'adaptation ont pu nous permettre de mieux maîtriser notre environnement, nous n'en sommes pas immunisés pour autant. Nous avons donc cherché comment résister aux maladies et panser nos plaies. Une discipline scientifique est née de nos réflexions et de nos découvertes : la médecine. Hippocrate, Ambroise Paré ou Madeleine Brès ont tous contribué, chacun à leur manière à comprendre le corps humain et ses nombreuses affections. Cellule après cellule, nous avons appris à nous connaître nous-mêmes. Nous avons éradiqué de nombreuses maladies en détectant leurs causes, en expérimentant et en administrant par la suite un traitement approprié. Sans la médecine, il aurait été difficile de survivre.

ce soit de manière volontaire ou non. Il peut s'agir de vouloir le bien du patient mais de pratiquer des actes ou de dire quelque chose qui, au contraire, va lui nuire ou encore d'utiliser la médecine au service d'une idéologie. Cette discipline a donc un côté

Pour être médecin, il faut avoir, en plus d'un bagage de connaissances, une déontologie. Vous le savez, un toubib doit connaître et respecter les principes du Serment d'Hippocrate (vous pouvez le lire dans l'introduction de ce dossier). Ce dernier prône un respect du patient, une éthique ainsi qu'une entraide entre confrères et consœurs. Toutefois, au-delà de ces vertueux principes, de nombreuses dérives ont existé et existent toujours. Le médecin, figure d'autorité et de confiance pour le patient, outrepasse quelquefois son pouvoir et dévie le sens de sa profession que

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obscur, un jumeau maléfique, quelquefois insaisissable. [Spoiler alert : certains faits relatés ici peuvent heurter les personnes sensibles.]

lobes préfrontaux, afin de soigner schizophrénies, épilepsies ou céphalées chroniques (maux de tête). Enlever une partie de la cervelle de quelqu'un, ce n'est pas anodin. C'est le priver de certaines fonctions, certes non vitales, mais indispensables à son fonctionnement social. C'est effectivement dans ces lobes que logent les commandes de la personnalité, du langage ou de la libido. Les patients ayant subi des lobotomies n'étaient plus tout à fait les mêmes en sortant.

En premier lieu, quand on parle de monstruosités médicales, on pense souvent à certaines pratiques qui font froid dans le dos. On peut évoquer tout de suite la thérapie par électrochocs ou sismographie, qui a démontré pourtant une certaine efficacité chez les patients souffrant de dépression sévère. Carrie Fisher, par exemple, a considéré que ce traitement lui avait permis de se remettre de ce trouble mental, provoquée dans son cas par l'abus de drogues. Elle a d'ailleurs raconté son expérience dans son bouquin Shockaholic (paru en 2011). La thérapie électro convulsive (autre nom de cette pratique) reste controversée mais elle est toujours utilisée de nos jours malgré son aspect violent, les patients étant cependant anesthésiés avant la procédure. Les effets secondaires sont malheureusement lourds, les patients souffrent de pertes de mémoire après l'avoir subie.

Un médecin, Walter Freeman, a sillonné les États-Unis dans un camion spécialement équipé dans le but de promouvoir une technique qu'il a lui même mis au point : la lobotomie trans-orbitale. Cela consiste à introduire un genre de pic au-dessus de l’œil du patient et l'enfoncer à coups de marteau afin de pouvoir couper les fibres nerveuses. Simple et efficace : il a ainsi lobotomisé 4000 patients. Cet acte est désormais illégal dans de nombreux pays. Il existe aussi un autre procédé pour soigner les mêmes maladies : la trépanation. Là, au lieu de couper des tissus nerveux, on vient juste percer un trou circulaire dans la boîte crânienne avec un genre de forêt (le trépan). Utilisée

Par contre, les médecins ont retiré d'autres techniques de leurs mallettes. C'est le cas de la lobotomie. Cet acte brutal consiste à sectionner une partie du cerveau, plus exactement l'un des

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par un échec. Il s'est dit ensuite qu'il faudrait peut-être tenter l'inverse, c'est-à-dire d'inséminer des femmes avec du sperme de chimpanzé. Pour ce faire, il avait obtenu des financements (oui, oui !) et trouvé 5 personnes volontaires pour être maman d'un hybride singe – humain (oui, oui !). Toutefois, sa déportation dans un camp de travail soviétique (goulag) au Kazakhstan stoppa net ses recherches et cette horrible expérimentation n'a jamais pu voir le jour. depuis la Préhistoire, elle est aujourd'hui interdite en Europe et aux États-Unis, car dans certains cas, elle peut provoquer des thromboses (formation de caillots sanguins qui bouchent les artères), très souvent mortelles pour le patient.

Si celle-ci a pu être tuée dans l’œuf, si j'ose dire, ce n'est pas le cas d'autres expériences qui ont pu être menées sur le long terme. C'est le cas de l'étude de Tuskegee. Ce programme, engagé par le Service de Santé Publique des États-Unis, avait pour but de vérifier si les syphilitiques se portaient mieux sans traitement. Les expériences ont été conduites sur des volontaires AfroAméricains, les scientifiques ayant conclu que cette I.S.T (infection sexuellement transmissible) se propageait plus facilement dans cette communauté. Les volontaires ont été de surcroît blousés dès le départ, car on ne leur a expliqué que partiellement la

Traiter un patient, ce n'est donc pas sans risque. Avant de distribuer un médicament au plus grand nombre, il faut procéder à des tests, expérimenter dans diverses conditions et bien analyser les résultats. Les expériences sont donc indispensables en médecine. Certaines pourtant ont été conduites en dehors de toute éthique et parfois sans aucun fondement ni respect du patient. Dans une vidéo de Dr Nozman (je vous mettrai le lien dans un encart en fin d'article), il est question de plusieurs expériences médicales plus que douteuses. Je vous raconte ici seulement celle d'Ilia Ivanov, le Frankenstein Rouge. Ce biologiste, spécialiste de l'hybridation inter-espèces, a eu l'idée farfelue de croiser l'humain et le chimpanzé. Il tenta tout d'abord d'inséminer des femelles chimpanzés avec des spermatozoïdes humains. Ce premier coup d'essai se solda

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situation, leur indiquant qu'ils avaient du « mauvais sang » et qu'ils seraient soignés pour cette raison. En échange de leur participation, on leur promettait repas gratuits, assurance en cas de décès et des soins médicaux. En 1947, malgré la découverte de la pénicilline, l'étude s'est quand même poursuivie, laissant dans son sillage de nombreux morts. Au final, 400 personnes sont décédées des suites de cette abominable expérimentation. Raciste, sans

jouant sur les droits et devoirs du médecin. Le praticien doit en effet toujours expliquer les procédures qu'il utilise et les conséquences qu'elles peuvent engendrer. Il ne doit pas non plus se soumettre à une quelconque idéologie, qui pourrait déformer son jugement. Quand les nazis se sont intéressés à la médecine, ils ont voulu expérimenter en s'appuyant sur le dogme en place. Par conséquent, lorsque la société Ahnenerbe (Héritage Ancestral) est créée,

consentement éclairé, au fondement douteux, l'étude a heureusement pris fin en 1972, soit 40 ans plus tard. En 1997, Bill Clinton a exprimé lors d'un discours, ses excuses personnelles envers les victimes de ce drame : « I apologize and I am sorry ». Néanmoins, ces événements ont encore des répercussions aujourd'hui, car beaucoup d'Afro-Américains demeurent très méfiants face aux choix du Service de Santé Publique des États-Unis, notamment dans le cas de la crise Covid (plus d'infos sur l'étude en encart).

c'est dans le but de mener des études dans plusieurs domaines, dont la médecine, qui serait réalisées au prisme de la mythologie aryenne. A partir de là, tous ceux qui ne sont pas considérés comme citoyens du Troisième Reich, n'ont pas les mêmes droits que les autres. Aux yeux des scientifiques nazis, une expérience pourra être menée sans consentement de la part de ces patients. Les déportés des camps de concentration ont ainsi été les cobayes de sordides expériences, mises en place par des scientifiques fanatiques, ne voyant qu'à travers leur idéologie. On leur inoculait le typhus, on les brûlait au phosphore, on

L'expérience de Tuskegee a été conduite en

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main. On trouve de plus en plus de témoignages de médecins agressés par leurs patients, de patients victimes de propos déviants de la part de leurs praticiens. Ça chauffe dans les cabinets !

stérilisait les femmes, on tentait des traitements hormonaux sur les homosexuels... La liste est longue, terrible. A la fin de la guerre, en 1947, les médecins furent jugés aux procès de Nuremberg et eurent à répondre de leurs actes. C'est à ce moment-là que la communauté scientifique a décidé de mettre en place un code de conduite concernant les expériences car effectivement, le Serment d'Hippocrate ne suffisait pas à normer les droits et devoirs du praticien en la matière. Le Code de Nuremberg, c'est son nom, prend en compte l'importance du consentement, du bien-être du patient et du bien commun.

Si, auparavant, on n'osait rien dire à cause du secret médical ou de peur de représailles, la parole se libère pourtant, surtout sur les réseaux sociaux. Je pense notamment à Balance ton utérus, un Instagram qui encourage les femmes à exprimer leurs expériences de maltraitance vécues en cabinet gynécologique. Des petites vignettes simples mettent en exergue des phrases assassines prononcées par des praticiens ou des praticiennes sans filtre.

La médecine et le médecin doivent être encadrés. C'est pour cette raison que l'Organisation Mondiale de la Santé existe. Elle trace un chemin pour cette discipline. Cependant, il faut parfois du temps pour que les changements dans la société puissent impacter ce domaine. Par exemple, l'homosexualité n'a été radiée de la liste des maladies mentales de l'OMS qu'en 1992. Cela a contribué très certainement à réduire les phénomènes discriminatoires, améliorant l'image de ces personnes au sein de la société.

AH, C'EST BIZARRE DE VOIR ÇA CHEZ VOUS. D'HABITUDE, ON VOIT ÇA CHEZ LES FEMMES AFRICAINES ET LES FEMMES DE MAUVAISE VIE. On a aussi tous lu fin des années 2010 de nombreux papiers sur la maltraitance en EHPAD, où des soignants à bout se mettaient à frapper les personnes âgées. Mais comment en est-on arrivé là ? Espace Ethique, un organisme ayant pour but d'exercer une veille sur le monde scientifique en termes d'éthique, a publié le 22 mai 2018 un rapport très intéressant sur la question (je vous le mets bien évidemment dans l'encart à la fin) : Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits

Au fil du temps, la santé est devenue plus facile d'accès, plus rapide, plus efficace. Elle s'est transformée en machine économique. Mais, ses rouages s'enrayent lorsque la pression est trop forte. Le patient et le soignant se confrontent au lieu de se tenir la

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fondamentaux . Dans ce PDF de 76 pages, on y expose les différents types de maltraitances (des « paroles maladroites, déplacées ou discriminatoires » aux « traitements inhumains et dégradants »), les raisons et les manières de lutter contre. Le but est de redonner confiance en notre système de santé qui se fragilise. Les causes de ces maltraitances évoquées sont bien sûr économiques (les soignants sont sous-payés, restrictions budgétaires, personnel manquant), mais aussi, dénonce un épuisement professionnel. A l'hôpital, le personnel ne bénéficierait pas du repos nécessaire pour pouvoir facilement déconnecter, la pression du rendement est de plus en plus forte. Faire plus, avec moins, voilà le maître mot. J'ai moi-même discuté avec une aide-soignante d'EHPAD qui me disait qu'elle gérait toute seule lors de son service deux étages de l'établissement, donc elle passait son temps à courir pour subvenir aux besoins des patients.

défauts du système de santé français. La maison brûle : manque de matériel, personnel manquant égalent services saturés. Si la priorité est de mettre des pansements sur des jambes de bois pour le moment, on ne peut qu'espérer que cette situation permette de véritablement ouvrir les yeux de nos dirigeants. Après tout ça, vous avez bien sûr compris le titre de l'article « Monstruosités médicales ». Parfois, oui, la médecine peut être un monstre, car elle est à notre image ! En constant apprentissage, elle est malgré tout soumise aux hiérarchies, aux règles, aux constructions sociales, aux points de vue. Grâce à elle, nous avons pu dominer des maladies qui étaient nos pires ennemies auparavant. Le seul problème, c'est qu'en l'état actuel, beaucoup n'ont plus confiance. Et cela empire avec la crise Covid. Quel sera l'avenir de la médecine ? Affaire à suivre...

Ce stress-là, il se répercute sur la santé du personnel, qui a tendance à la longue à être moins à l'écoute et parfois, quand la tension est trop forte, ils « dérapent ». Toutefois, il est exclu dans ce rapport qu'un professionnel de santé puisse être profondément malveillant.

SOURCES Pour aller plus loin :

Quid des solutions proposées ? Elles tombent sous le sens : sortir d'une « logique économique » , faire participer le patient à tous les événements qui jalonnent le parcours de soin, par l'information et le consentement, revoir la formation initiale et continue des praticiens. Dans la pratique, depuis 2018, les choses n'ont pas tellement changé. La crise sanitaire a encore pointé du doigt les

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MÉDECINE INCROYABLE 2021 : tour d'horizon des progrès les plus stupéfiants Dolorès

La médecine est fascinante. Il est incroyable de voir jusqu'où l'étude du vivant et les expériences du passé nous ont menés. La technologie y joue forcément un rôle, sans forcément parler de transhumanisme, vous le verrez. L'idée est plutôt de redonner espoir à celles et ceux qui en ont manqué. C'est aussi l'occasion de rendre hommage à cette belle discipline qui nous impressionne, dans l'équipe de rédaction de Noire, par son histoire et ses merveilles. Petit tour d'horizon des derniers progrès inattendus et incroyables de la médecine ! révolutionné la chirurgie cardiaque. Ce que propose l'entreprise française Carmat, avec l'invention du cardiochirurgien Alain Carpentier, c'est un cœur artificiel comme on l'imagine. Totalement implantable et auto-régulé, donc, définitif dans le sens où il n'est pas seulement posé en attente d'un nouveau cœur. Enfin, il est en réalité destiné à durer cinq ans, ce qui est déjà un bon score. Totalement recouvert de matériau biocompatible, le cœur est censé s'adapter à merveille au corps humain. Au lieu d'utiliser le système nerveux, ce sont des capteurs, des logiciels, des moteurs et des composants micro-électroniques qui prennent le relais. Des batteries au lithium alimentent l'ensemble.

A CŒUR OUVERT... En 1967, le premier cœur artificiel est implanté chez un animal en 1967. Les résultats sont modestes mais positifs. Cependant, que faire de cette nouvelle voie ouverte ? On pense d'abord à utiliser cette avancée pour que le cœur artificiel soit temporaire, qu'il fonctionne en attendant le bon greffon d'un donneur. C'est ce qu'on appelle le bridge to transplant, littéralement le pont vers la transplantation, qui a déjà

Depuis 2013, seulement une vingtaine de patients ont bénéficié de cette prothèse, en France mais aussi au Kazakhstan, en République Tchèque, au Danemark et aux Etats-Unis dans le cadre de son étude

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du patient en question, après un court temps d'élaboration. Son application ne nécessiterait ni anesthésie ni procédure complexe.

clinique. Il devrait être commercialisé en France d'ici la fin de l'année, et aux EtatsUnis pour 2024. Les études en cours permettront de juger du rapport coûtefficacité, car même si les greffes ont réussi, les patients n'ont pas tous survécu très longtemps après celle-ci. Il y a donc encore du chemin à parcourir, mais les premiers pas ont bien laissé leur empreinte dans le combat contre l'insuffisance cardiaque !

En février 2020, les premiers essais précliniques laissaient présager le début de l'aventure courant 2021. En collaboration avec les hôpitaux de Marseille, les essais devraient durer deux ans. Du labo, on devrait enfin passer à la première mondiale espérée : l'implantation chez l'homme d'un tissu bio-imprimé.

... OU À FLEUR DE PEAU A nouveau, pas de donneur biologique pour cette incroyable avancée, puisqu'il s'agit de bio-impression 3D de peau ! Cela peut sembler impensable, et pourtant, la société Poietis s'y attelle depuis 2014. L'idée est de constituer une peau quasi humaine en superposant des couches d'encre biologique puis d'entamer une croissance des cellules sur l'ensemble afin de créer des tissus fonctionnels.

DU BOUT DES DOIGTS Dennis Aabo Sørensen, un Danois ayant perdu sa main gauche dans un accident domestique, collabore aujourd'hui avec l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse pour développer une main bionique. D'abord en 2014, il a pu tester une prothèse expérimentale qui transforme les informations recueillies par des capteurs en signaux que le système nerveux peut reconnaître. Encore plus fou, c'est un véritable doigt bionique sensible qu'il a ensuite pu tester. Il est estimé qu'il a pu distinguer 96% des surfaces rugueuses ou lisses, dans une « sensation du toucher très proche de ce que

S'il s'agissait d'abord de pouvoir effectuer des tests cosmétiques avec cette nouvelle peau presque humaine, on songe plutôt à l'utiliser dans un but thérapeutique aujourd'hui. Des grands brûlés aux personnes ayant subi un cancer de la peau ou un accident pourraient retrouver une belle cicatrisation ! Le substitut serait créé à partir d'un prélèvement des cellules

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vous sentez avec un doigt normal » ! Nous ne sommes pas prêts de voir ce doigt bionique sur le marché mais on sait que cela fonctionne. Il faudrait en effet miniaturiser toute l'interface tout en la gardant très puissante, ce qui ne semble pas être très simple.

cerveau ! Testée sur un robot, la main n'est pas encore disponible pour les personnes amputées. Il faudra trouver comment adapter l'algorithme sur une prothèse !

SIMPLE POINT DE VUE

En parallèle, le travail sur la saisie des mains robotisées s'améliore. En 2019, trois patients amputés et sept non-amputés ont pu montrer la précision de ces mains robotisées. Elles allient en réalité deux concepts : celui qui permet à l'activité musculaire du moignon de transmettre une information aux doigts robotisés, en contrôlant individuellement chacun. L'intention musculaire dite pertinente est traduite en mouvements concrets ! S'ajoute aussi l'idée que la main robotisée vienne sécuriser le mouvement de l'humain en maintenant le contact pour assurer une saisie ferme. Grâce à des capteurs de pression, la main réalise que l'objet est en train de vous échapper avant même votre

L'optogénétique, jusqu'ici utilisée pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, peut être utilisée pour réparer la vue. Cette simple affirmation faisait rire de nombreux scientifiques il y a encore quelques années. Pourtant, en février 2020, un patient aveugle retrouve une vue partielle. A l'Institut de la Vision de Paris, José-Alain Sahel lance le projet aux côtés de Botond Roska. Le programme est suivi par de prestigieuses universités jusqu'à son succès, dont la publication est sortie en mars 2021. En injectant dans l’œil une protéine d'algue (pas n'importe laquelle, bien sûr), la rétine devient sensible à la lumière. Lorqu'on perd

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la vue, ce sont ces capteurs qui disparaissent et qu'il faut donc réactiver, les neurones devenant des pseudo-photorécepteurs. C'est finalement trois mois après cette injection que le patient a pu discerner des contours d'objets, ensuite aidé de lunettes spéciales qui précisent les formes. Il reste encore à prouver cette efficacité un peu plus fortement avant de généraliser ce type de traitement qui stupéfie déjà par ses premiers résultats.

C'est en réalité une bonne alternative aux autres traitements qui altèrent à la fois les cellules saines et celles cancéreuses. Cependant, elle n'a pour le moment été testée qu'en labo. On ignore comment le nanorobot pourrait réagir dans un organisme vivant proche de l'homme. Il pourrait être détruit par le corps avant même d'atteindre sa cible... Aux Etats-Unis, le test sur la souris a fonctionné, mais c'est loin d'être suffisant. Propulsé par des bulles de gaz provenant de l'estomac du rongeur lors de l'étude, on pense aujourd'hui à utiliser un champ magnétique externe pour guider le nanorobot. C'est ce que préconisent les chercheurs de l'École polytechnique fédérale de Zurich et du Technion, l'Institut israélien de technologie. Le nanorobot, minuscule, filaire et articulé, semble suivre le champ magnétique, même dans un liquide épais.

DANS LA MÊME VEINE Parfois, l'actualité nous fait nager en pleine science-fiction. Difficile de croire que nous sommes désormais capables d'envoyer des nanorobots dans le sang des patients pour diffuser un traitement médical de manière très ciblée. Bon, nous ne sommes qu'aux premiers balbutiements de cette belle idée. Toutefois, en 2012, un premier test permettait de voir qu'un nanorobot avait réussi à cibler des cellules leucémiques tout en épargnant les cellules saines, permettant ainsi de détruire la moitié des cellules cancéreuses repérées ! Ce ne sont pas réellement des robots, mais des minuscules structures qui repèrent leur cible grâce à une protéine spécifique et y délivrent un médicament.

Mais c'est sans compter les spécificités du corps humain, telles que la pression artérielle qui pourrait chambouler les plans, ou encore certaines questions : que faire du nanorobot une fois qu'il a atteint sa cible ? On reste fascinées par ces mini-messagers porteurs de médecine !

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LES GRANDS ESPOIRS DES ANNÉES À VENIR

moyen... De nombreux scientifiques considèrent que d'autres médicaments plus efficaces devront voir le jour, mais c'est également l'approbation d'une première tentative, bien que controversée, qui permet de créer une certaine effervescence dans le domaine de recherche pour donner un petit coup de boost à celle-ci. Un petit pas qui devrait en amener d'autres, finalement.

VLA15, c'est le petit nom du vaccin en cours de développement par Valneva et Pfizer pour combattre la maladie de Lyme. Peutêtre est-ce à cause du réchauffement climatique, mais toujours est-il que les personnes infectées par des tiques sont de plus en plus nombreuses ces dernières années. Il est bien sûr recommandé d'adapter ses vêtements dans les zones à risques, de retirer la tique correctement si elle a mordu et de traiter avec succès la possible maladie avec des antibiotiques pendant quelques semaines. Toutefois, de nombreux cas ne sont pas traités dès les premiers symptômes, ce qui entraîne un fort signalement de cas depuis quelques temps. Courant juillet 2021, la phase 2 de test de ce nouveau vaccin était en cours ! Cela laisse présager une manière efficace de se protéger de la maladie de Lyme, notamment chez les enfants qui y sont très vulnérables, dans les prochaines années.

Cela reste, de toute manière, un immense espoir car aucun traitement n'avait été approuvé depuis 2003. En parallèle, une nouvelle thérapie est en cours de développement par des chercheurs de l'université de Caen. Le principe, cette fois, est de mettre en scène une nouvelle molécule, la donécopride et de viser plusieurs cibles, pouvant à la fois réduire les symptômes et ralentir la maladie. La première phase des essais cliniques devrait commencer en 2022. Sur la question de la mise sur le marché de nouveaux médicaments, c'est dans le combat contre la mucoviscidose que l'actualité est pleine d'espoir. En juin dernier, le ministre de la santé annonçait que deux nouveaux médicaments allaient être remboursés à 100% par l'assurance maladie. Ces traitements sont innovants et efficaces, et notamment l'un d'eux nommé Kaftrio, qui permet aux patients atteints de certaines mutations à retrouver une bien meilleure capacité respiratoire.

Parmi les actualités les plus récentes, il y a l'approbation de la mise sur le marché américain d'un nouveau médicament contre la maladie d'Alzheimer ! L'Aduhelm, qui était déjà testé auparavant sous un autre nom par l'entreprise Biogen, est pourtant controversé, avec des résultats positifs pas si positifs... Il semble viser les plaques amyloïdes qui, agrégées, empêchent les neurones de bien fonctionner mais son efficacité semble discutée et son prix fait également polémique. Environ 56 000 dollars par an, pour un Américain de poids

Dans un tout autre domaine, c'est du côté de la contraception que le ras-le-bol concernant

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analyse nos modes de vie ainsi que la qualité de notre environnement.

les hormones commence à bien se faire entendre. Un article paru au mois d'août 2021 par une équipe de chercheurs américains, évoque une nouvelle possibilité intéressante, bien qu'à nouveau destinée « aux femmes ». En observant un type de stérilité, on remarque que certains anticorps détectent et neutralisent les spermatozoïdes ! En s'inspirant de cette stérilité, malheureusement subie par de nombreuses personnes, il serait possible d'élaborer une nouvelle contraception non-hormonale. Le premier essai, effectué sur une brebis, a réduit considérablement le nombre de spermatozoïdes. Bien qu'il reste à tester son efficacité et sa tolérance chez les humains, il pourrait s'agir d'une alternative fiable pour les femmes et les personnes ayant un utérus cherchant à éviter une contraception hormonale.

Selon Isabelle Delattre, responsable éditoriale Innovation & Santé au Leem et codirectrice de cette étude :

LES PROJETS LES PLUS PROMETTEURS SONT LE FRUIT DE L’ALLIANCE ENTRE LES DISCIPLINES : GÉNÉTIQUE, ÉPIGÉNÉTIQUE, EXPLORATION DES DONNÉES DE SANTÉ PAR DES ALGORITHMES, NANOTECHNOLOGIES, MICROFLUIDIQUE, ÉTUDE DU MICROBIOTE, IMMUNOTHÉRAPIE, MÉDECINE RÉGÉNÉRATIVE, VACCINATION…

Parue en mars, l'étude Santé 2030 mettait en lumière des chantiers à ouvrir dès maintenant pour construire la médecine de demain. Alors que l'étude Santé 2025 se concentrait sur les progrès des sciences du vivant, cette nouvelle étude montre un tout autre cadre : vieillissement de la population d'une part, avec en 2030, une population des plus de 65 ans qui représentera un quart de la population, atteints de 4 à 6 pathologies. Ensuite, bien sûr, le dérèglement climatique, la modification des modes de vie et un rapport des patients à la médecine qui apparaît aujourd'hui complètement transformé par l'accès à l'information démocratisé. Il faut prévoir des pics au niveau des allergies, du diabète, des cancers et des troubles mentaux. L'idée est de se diriger vers une médecine prédictive, qui

Il reste évident qu'un équilibre est à trouver entre, d'une part, toutes les précautions nécessaires face à la nouveauté et, de l'autre, l'accès de plus en plus précoce aux solutions thérapeutiques innovantes. Il est également important de rappeler que, notamment en France, la santé fonctionne sur un principe de solidarité. Les innovations pourraient creuser certaines inégalités si elles n'étaient pas rendues disponibles à tout le monde, un point auquel il faut faire attention, en parallèle de tous les autres questionnements éthiques que la médecine et son alliance avec les technologies soulèvent. Pour plus d'informations, n'hésitez pas à consulter les sites des universités, chercheurs et entreprises dont il est question. Prenez soin de vous !

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SOIGNER DANS L'ANTIQUITE :

au cœur des sanctuaires de guérison de la Grèce antique Corail

Oniromancie, incubation, prêtres et médecins ont longtemps régi et interagi au cœur des temples de soins de l'Antiquité. Gardiens d'une discipline qui deviendra l'apanage même des civilisations occidentales, il est aujourd'hui totalement impossible de penser notre vie et notre quotidien sans la médecine. dieu Asclépios en l'honneur de qui les anciens grecs ont inauguré des centaines de sanctuaires (on en dénombre jusqu'à 320 et la construction de certains d'entre eux a été parfois financée par des fonds privés et deniers personnels comme dans les cas de l'auteur Sophocle ou du moins connu Télémakos d'Acharnai pour les temples érigés à Athènes), possédait même selon la tradition des dons de divination, d'oracle, de fertilité et se prêtait également à la réalisation de vœux.

Apparu dès la haute antiquité grecque et parcourant les mondes méditerranéens, cet art (comme on pouvait le signifier dès lors) se développe avant tout au contact de la sphère sacerdotale. Prêtres et chamans, prennent la responsabilité de « soigner » ou du moins d'apporter un remède à celui que la société venait d'exclure. En faisant intervenir différents rituels et cultes, il n'était pas encore commun ni habituel de procéder à des guérisons à l'aide de remèdes pharmaceutiques : jusqu'aux VIIe et VIe siècles avant notre ère, la prière, les sacrifices et la communication avec le divin prenaient le pas sur la pratique. Par ailleurs, de nombreux objets de dévotion, des stèles, gravures, peintures, ex-voto... ont pu être retrouvés par les archéologues parmi les strates de ces temples dédiés. En Grèce, le

Mais bien vite, autour de l'ère dite de « l'âge d'or » des VIe et Ve siècles avant Jésus-Christ, la pratique de la médecine se rationalise : dans ces lieux dédiés à la

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n'était pas encore tout à fait formalisée et il n'existait aucun enseignement institutionnalisé, les contrôles officiels étant bien évidemment inexistants. Ainsi, chacun pouvait se déclarer médecin à condition d'avoir suivi un simple apprentissage chez un praticien. Toutefois, certains lieux célèbres et reconnus pour leurs activités fournissaient un bien meilleur enseignement et surtout, une renommée bien plus intéressante : Cnide en Asie Mineure, le temple de l'île de Rhodes et par-dessus tout, à Kos d'où le très célèbre Hippocrate est issu. A son image de « rockstar » de l'Antiquité, il n'était pas rare que certains de ces praticiens obtiennent des honneurs quasi-héroïques ! C'est durant l'époque hellénistique que l'usage, la formation et l'expérimentation médicale se normalisent autour de la Bibliothèque guérison, l'utilisation de l'eau était notamment courante dans son application purifiante. De plus, le patronage exclusif d'Asclépios se diversifie lorsque sa fille Hygée (à qui l'on doit le terme « hygiène » en langue française) est ajoutée à son culte. Mais plus encore, les prêtres se font désormais médecins et pratiquent la chirurgie et l'alchimie. Le vocabulaire aussi se transforme au regard des mythes et des techniques : le mot « phármakon » par exemple, signifie aussi bien le remède que le poison. Tout est question de dosage ! En se développant, cette nouvelle caste se détache de la société au point d'entrer dans la littérature (dans l'Iliade par exemple) comme un corps puissant, officiant à la marge, à l'image de l'architecte et du législateur par exemple. Néanmoins, la pratique peu encadrée - et surtout totalement balbutiante –

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thérapeutiques. Au cœur de ces sanctuaires de guérison, entre temple et hôpital, la pratique médicinale a pris son ampleur, diffusant dans tout le monde connu son savoir et ses soins. La fréquentation même de ces temples était témoignée jusque dans les récits bibliques du Ier siècle !

d'Alexandrie et de son immense catégorisation de savoirs. Des manuels florissant d'anatomie, d'herboristerie et d'applications médicales s'écrivent sous son impulsion et certains d'entre eux, à l'exemple du de Dioscoride Pedanios (Ier siècle de notre ère), seront même utilisés jusqu'au XVIe siècle ! Souvent situés dans des endroits boisés ou près de la mer, ces temples se devaient aussi d'être agréables à vivre ; toute la dimension psychologique de la convalescence prenait un sens particulier pour ces médecins de l'Antiquité. Loin de la négliger, la spécificité thermale de certains de ces sanctuaires offrait aux patients de nombreuses possibilités de guérisons, de relaxation mais aussi de traitements : à l'image des sanatoriums suisses que la bourgeoisie européenne s'arrachait à la fin du XIXe siècle, ils pouvaient offrir au visiteur des spécialités et quelques modernités très pointues afin de garantir un accueil maximal et attirer des pèlerins toujours plus fortunés. Bassins d'eau chaude et d'eau froide, d'ingénieux mécanismes de canalisations, piscines individuelles, bains d'herbes médicinales, hydrothérapie, magasins, sanctuaires et salles de soins... Ainsi, entre miracles divins et approches rationnelles, la médecine de la Grèce antique s'est déclinée sous plusieurs prismes, à la fois religieux, mythiques mais aussi sensoriels, pharmaceutiques et

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MALADIES INVISIBLES

Entre culpabilisation et ras-le-bol Anaïs

Vivre

avec une maladie chronique ou un handicap est une expérience souvent compliquée à gérer, tant physiquement que psychologiquement. On doit s’occuper de nous, de notre pathologie, de nos traitements, mais aussi des autres, de leur regard, de leur peur face à la maladie et de leur ignorance. Ce rapport à la maladie est parfois même plus pesant que notre condition en elle-même, et l’apparition d’un certain Covid19 n’a fait qu’exacerber mes ressentiments envers une société validiste, égoïste et paradoxale, parce que les gens n’ont pas de filtres avec les personnes fragiles, d’autant plus lorsque la maladie est invisible.

C’est un sujet qui me tient à cœur puisque j’en fais les frais depuis 2005, l’année où mon pancréas a décidé de ne plus fonctionner et où l’on m’a annoncé que je serais diabétique jusqu’à la fin de ma vie. Une nouvelle que j’ai très bien pris et que j’accepte toujours très bien malgré le fait que ma maladie soit très instable depuis quelques années. Il faut croire qu’à 9 ans ou 25, l’aspect irréversible de la chose fait relativiser. C’est donc pour ça que cet article sera sûrement très amer, puisqu’il est principalement basé sur mon expérience et mes ressentis (ça sera très autocentré voire thérapeutique). Après de nombreuses années de culpabilité, je suis maintenant dans une phase de colère. Désolée si ça peut secouer ou culpabiliser, ce n’est pas le but, je tiens juste à présenter un vécu qui est une réalité, en espérant semer des petites graines qui pourront faire réfléchir certains et aider d’autres. Je ne parlerai pas forcément des mécanismes derrières les actions que je

« dénonce », je les comprends et ils sont logiques (il paraît qu’on vit dans une société toussa), mais laissons place à des voix encore trop discrètes. Vous trouverez quand même d’autres ressources à la suite de ce petit pavé, avec d’autres expériences, et notamment celle d’Aurélia qui a gentiment accepté de participer sous forme de petite interview. Il sera donc question de validisme, c’est-àdire tous les comportements et systèmes discriminants envers les personnes handicapées et/ou malades, que ce soit envers une maladie chronique comme mon diabète, mais aussi envers certains troubles mentaux et hormonaux. Parce qu’outre le diabète, j’ai également des troubles anxieux sévères et des problèmes qui agissent beaucoup sur mes hormones. Tous sont diagnostiqués et traités, c’est aussi pour ça que je me sens d’en parler. Donc oui, ça fait beaucoup et globalement, oui, j’ai toujours

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quelque chose. C’est une phrase que j’entends souvent, ou alors que je suis mal foutue. Je l’ai moi-même dit, sur le ton de l’humour, mais c’est un fait qu’on ne devrait pas balancer à quelqu’un. D’autant plus lorsque c’est une réalité souvent difficile à vivre. Si j’arrive à passer plus de trois jours par mois sans symptômes et douleurs, c’est un petit miracle, mais c’est souvent inconcevable pour les autres, puisque je ne montre rien et que mes maux ne sont pas perceptibles (ou presque) de l’extérieur et en parler, c’est se plaindre.

LE DIABÈTE C'EST QUOI ?

On commence donc doucement vers le rapport aux autres qui m’a été le plus difficile à gérer et dont la prise de conscience a été longue, celui de la culpabilisation. Personnellement, elle se traduit de deux façons. La première concerne plutôt ma maladie chronique, donc physique et palpable, qui est reconnue en tant que telle autant dans le monde médical que dans la société. Comme je le disais, j’ai eu mon diabète à 9 ans, un âge où les adultes pensent toujours qu’on n'entend et ne comprends pas les choses. Un âge où les gens expriment leur soutien à nos parents devant nous, en leur disant qu’ils n'ont pas de chance, que ça doit être compliqué, que c’est triste d’être malade aussi jeune. Un comportement qui se répercute un peu partout. Certains de mes camarades de classe de primaire m’ont dit que leurs mères ne voulaient pas m’inviter à un anniversaire parce que trop compliqué à gérer, d’autres parents m’ont demandé si j’étais diabétique parce que j’avais mangé trop de sucre. Du coup, certains enfants ne voulaient plus en

manger pour ne pas être comme moi. Si ces petites anecdotes montrent une méconnaissance et une naïveté très maladroite de la part des autres, elles sont aussi les fondations d’une perception de

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nous-mêmes, enfants malades, assez désastreuse. Les papiers pour prévenir l’école et la cantine pour que tu aies des régimes spéciaux (où certains osent dire que tu en fais trop avec ta maladie), les absences, les rendez-vous à l’infirmerie sans jamais aucune explication de la part d’adultes au reste de la classe. Tout un système qui crée un décalage avec les autres pouvant pousser jusqu’à des moqueries et du harcèlement scolaire, ce n’est pas mon cas, mais il est important de le rappeler. Les adultes posent une distance et un regard différent sur nous donc on se sent forcément en marge et les autres enfants s’imprègnent de cette idée. Alors en plus de devoir expliquer nousmême, de devoir faire de la pédagogie à 10 ans, on se sent coupable d’imposer notre maladie aux autres. D’autant plus dans notre cercle familial, parce que même à cet âge-là, on est conscient du bouleversement que la maladie crée dans son entourage, le poids qu’on devient et on ressent la peine que nos proches ressentent, qu’ils s’en cachent ou non. Alors on commence à culpabiliser encore un peu plus, notamment de faire du mal aux autres, on s’efface pour ne pas inquiéter et on ne laisse plus rien transparaître à tel point que lorsqu’on craque, tout le monde semble étonné. Mais cette culpabilité est un mécanisme de défense logique quand on fait face à des tas de comportements et de préjugés aussi tenaces à notre société qu’une moule à son rocher. Et je trouve qu’elle est encore plus importante lorsqu’elle concerne, la santé mentale. Avec les confinements, la santé mentale est enfin devenue un vrai sujet et de plus en plus de ressources et de témoignages sont

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« pourquoi ? Tu as pas l’air stressée » et des « pourtant tu n’es pas tarée », du coup je n’ai rien dit quand j’ai aussi dû consulter une psychiatre. Les idées reçues autour de certains professionnels de santé sont encore très répandues et la question des médicaments est toujours un peu controversée. À tel point qu’on m’a plus souvent conseillé (alors que je n’ai jamais

disponibles. Le tabou de la folie est quasiment terminé, mais le mal a bien eu le temps de planter ses racines pour les personnes ayant des troubles ou besoin d’aide psychologique. Une fois de plus, le mutisme est de mise pour ne pas faire peur aux autres. La première fois que j’ai dit à des proches que j’allais, et devais pour ma santé, voir une psychologue, j’ai eu le droit à des

L'AUTO-DIAGNOSTIC

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rien demandé) des magnétiseurs, des énergéticiens et autres naturopathes plutôt que de consulter, même pour mon diabète. Parce que mon diabète est dans ma tête apparemment et mes médicaments ne font qu’entretenir ma maladie d’après certaines personnes, donc maintenant ça va être de ma faute si mon pancréas est mort. Heureusement, c’est plus souvent dans une moindre mesure que j’ai affaire à des apprentis médecins, dont le fond n’est souvent pas mauvais, mais qui ne se rendent pas vraiment compte que leurs conseils non sollicités ne sont pas utiles et peuvent même être dangereux. On est tous différents et on a tous des besoins propres à nous. Personnellement sans ma psychologue, je ne serais probablement pas en capacité d’écrire cet article (et un énorme merci à elle). Et quand bien même il y a effectivement de gros problèmes capitalistes dans la médecine et que j’ai une petite dent contre certains professionnels du corps médical, il n’empêche qu’ils m’ont sauvé la vie sur tous les plans. Et je pensais que ce passage était une parenthèse, mais finalement ça rejoint un autre aspect de la culpabilisation que l’on peut vivre au quotidien. Sans faire étalage des choses qui m’ont menée à avoir des troubles anxieux, la prise de conscience que j’en souffrais a été très compliquée, notamment parce qu’on ne se sent pas légitime à les avoir. Quand on se tait pendant des années, qu’on se cache et qu’on nous considère comme « fort » (dénomination que je trouve merdique et toxique de par son énorme jugement de valeur), on intériorise tout ça. Ou alors on

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nous rabaisse régulièrement, on a beaucoup de difficulté à se sentir autrement que moyenne, place où les gens n’ont jamais cessé de nous remettre, alors le fait de ne pas réagir semble normal. Mais le jour où ça pète, ça étonne tout le monde et nous aussi, de là à nier l’évidence.

qu’handicapants et terrifiants. Et c’est également ingérable. Vertiges, maux de ventre et de tête, douleurs éparses et soudaines, abcès surprises, palpitations, nausées, douleurs dans le dos et la mâchoire tellement l’entièreté de nos muscles sont contractés constamment. On se met à avoir peur de nous-même, de nos idées sombres et des pulsions qui vont avec, de nos dissociations, de nos changements d’humeur et surtout, dans mon cas, des rechutes régulières. On anticipe tout, mais on s’habitue vite à nos quelques jours de répit, où on reprend goût à ce qu’on aime, où on arrive à créer des choses. Actuellement, réussir à lire quelques pages d’un livre sans penser à autre chose est exceptionnel, m’en souvenir également. Réussir à écouter ou à regarder pleinement des œuvres nouvelles me manque terriblement, parce que c’est difficile à concevoir quand l’Art est quasiment vital pour nous. Les pertes de mémoire et les difficultés de concentration sont aussi exténuantes et notre charge mentale est décuplée puisqu’on doit souvent expliquer aux autres (tout en sachant pertinemment que la plupart pensent juste qu’on en fait trop ou qu’on se cherche des excuses). Parce qu'eux, ils y arrivent, eux, ils n’ont pas ces problèmes-là et ils ne feraient pas comme ça et eux, puis eux, toujours eux, sans jamais de réelle empathie et d’intérêt pour des choses qu’ils ne connaissent pas (et puisque s'ils ne connaissent pas, c’est que ça n’existe pas).

Dans mon cas, telle une cocotte-minute, j’ai longtemps gardé jusqu’au moment où la soupape s’est brusquement mise en action de façon physique. État que je pensais lié au diabète, parce que ça m’arrangeait bien et que je ne me sentais pas légitime à avoir des problèmes psychologiques. Ma vie est normale, j’ai un toit, de quoi me nourrir, un entourage, pourquoi j’aurais des troubles anxieux ? Et c’est bon, tout le monde est stressé et ça ne les empêche pas de gérer leur vie normalement. Et c’est le retour des conseils non sollicités et l’arrivée de la minimisation. « Tu ne sors pas assez », « tu ne vois pas assez de monde », « faut se bouger », « tu es fainéante », « détendstoi ! » , « fais de la méditation », « t’as essayé le yoga ? », « pourquoi tu vas chez un psy », « tu peux me parler à moi », « tu fais vraiment aucun effort », « quand on veut, on peut »… Vous la sentez la culpabilisation ? Et surtout le manque d’éducation sur le sujet de la psychologie ? Parce que bon, si c’était si facile, pas grand monde resterait dans cet état. Parce que les troubles psychologiques, ce n’est pas uniquement des pensées un peu stressantes, c’est beaucoup plus que ça. C’est aussi des torrents d’angoisses et de questionnements, des phobies, des symptômes physiques qui sont tout aussi divers et nombreux

C’est là que le paradoxe entre en jeu et que le gaslighting commence. Par méconnaissance et manque de sensibilisation, mais aussi par pression

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sociale. Si une personne ne produit pas quelque chose et n’est pas rentable, que ce soit pécuniairement, matériellement ou intellectuellement, à quoi sert-elle ? Pourquoi j’aurais le droit de ne rien faire alors que d’autres bossent et ont aussi des problèmes ? Et la sécu hein ? Quelle joie de se sentir soutenu et compris. Et ce point est extrêmement important, parce qu’il est très impactant pour nous de par sa violence, mais aussi de par son omniprésence. Le manque de prise en considération des personnes handicapées dans de nombreux espaces et leur mise à l’écart des revendications actuelles sont déjà très significatives, mais avec la crise sanitaire actuelle, le sentiment de solitude déjà bien trop présent n’est que plus important. Si les personnes âgées, les cas à risques meurent, ce n'est pas si grave, ils sont déjà malades alors qu’une personne en pleine santé qui

décède, c’est triste. Et ça fait qu’on se prend une charge mentale de plus, on doit se surprotéger parce que d’autres en face ne font même pas le minimum parce qu’ils en ont marre de ne pas pourvoir sortir, parce qu’ils ont du mal à respirer avec un masque et parce qu'eux risquent (d’apparence) moins. Ces sentiments de ras-le-bol des valides sont évidemment légitimes, beaucoup ont découvert le calvaire des angoisses et autres problèmes de santé, mais c’est triste de voir que les autres doivent vivre ces choses pour enfin comprendre les choses. Et ceux qui manifestent pour les libertés de tous alors qu’ils n’ont pas bougé le petit doigt lorsque de nombreuses associations se sont levées contre le projet de loi qui vise à rendre les personnes handicapées encore plus dépendantes de leur conjoint (je vous laisse taper AAH et revenus du conjoint sur Google si vous n’avez pas vu passer les

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pétitions)… Comment ne pas être blasé quand on est invisibilisé à ce point ?

courage aussi et effectivement, pour s’en prendre dans la gueule passivement aussi régulièrement, il en faut. Parce qu’au final, jamais personne ne se soucie réellement de nous, personne ne nous écoute vraiment. Même si je comprends tous ces mécanismes et le fait qu’on ne soit pas vraiment éduqué sur ces sujets, la plupart des échanges qui se veulent rassurants ou aidants ressemblent plus à de la minimisation et à des réflexes pour cacher son malaise. Et malgré le côté parfois drôle des réflexions que j’ai pu avoir, c’est toujours aussi triste de voir que notre maladie n’est pas vraiment prise au sérieux. Alors, oui, je suis diabétique, comme ton chat, comme ton grand-père, sauf que le mien est très différent dans sa gestion et j’avoue qu’avoir un organigramme des diabétiques du coin ne m'intéresse pas vraiment. On se retrouve alors en plein dans le paradoxe, on prend pitié, on a peur de la

Mais tout ça est finalement guidé par la peur. Tels des petits monstres, on fait peur et les gens ne veulent pas être comme nous, parce qu’on n'est pas normal, parce qu’on nous pense faible, diminué et que la société nous retire une partie de notre valeur humaine. C’est le serpent qui se mord la queue. On est associé à la maladie et par conséquent à la mort, une fois de plus on nous met au second plan et on apprend à s’effacer pour rassurer les autres. Quand je dis aux gens que je suis diabétique, les premières réactions sont généralement de la pitié, mais aussi une certaine peur. « Moi, je ne pourrais pas vivre avec » doit être aussi récurrent que lorsque je dis à quelqu’un que j’ai fait des études d’archéologie et qu’on me sort, « c’est mon rêve d’enfant ». On me dit que j’ai du

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d’humilité, de courage ou de vie et pour vous rassurer. On entend tout ce que les gens disent, pensent et ça nous touche parce que même si on est des humains avec parfois des bouts en moins, certes, ça ne change pas notre valeur et notre importance dans la société.

maladie et de ses conséquences, puis on dédramatise en généralisant, mais rarement en essayant de comprendre la personne malade qui est en face, l’être humain dans son unité. Mais c’est aussi une contradiction que certains malades peuvent avoir, ne souhaitant pas être défini par leur maladie, mais dont l’indifférence face à elle peut être violente. Personnellement, je considère ma maladie et mes troubles comme une partie de moi, de ma personnalité, et même si j’ai énormément de mal à parler de certaines choses par peur d’inquiéter mes proches, je commence doucement à revenir dessus parce que la place de ma santé est très importante dans ma vie, parce qu’elle est handicapante et malgré mon tempérament solitaire et débrouillard, j’ai besoin qu’on comprenne la complexité de mon système. Et c’est peut-être lié à un sentiment d’abandon général que j’ai pu ressentir, mais le fait de devoir répéter tout le temps les mêmes choses, répéter pourquoi je ne peux pas faire telle chose, manger telle nourriture, réexpliquer parce que les gens oublient la maladie puisqu’elle ne se voit pas ne fait qu’intensifier mes ressentiments. Cette partie de moi fait peur aux autres, mais en l’occultant, on m’occulte également.

SOURCES Pour aller plus loin :

Où consulter des psychologues autrement ?

Cela dit, cette volonté d’inclure mes maladies dans ma caractérisation est peut-être une façon pour moi de faire relativiser les gens sur la maladie et la mort, pour qu’ils perçoivent que même si cela peut être une fatalité et qu’il faut le garder en tête, ce n’est pas une fin en soi et que la pitié ou l’indifférence n’aide en rien. Et surtout que nous ne sommes pas un reflet de vous-même. On n'est pas là pour vous donner des leçons

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MALADIES INVISIBLES

Rendez-vous avec Aurélia Anaïs

Bonjour Aurélia, merci beaucoup de participer à cet article. Tu as pu le lire en avantpremière, on va donc pouvoir en discuter et surtout échanger autour de ton parcours personnel, celui d’une jeune artiste photographe et malade. Peux-tu te présenter et nous expliquer un peu tes maladies ? Oui, alors je vais essayer d’être la plus claire possible par ce que je m’y perds parfois ! Alors ma maladie principale s’appelle l’anémie de Fanconi, c’est en gros une maladie génétique rare du sang qui provoque une insuffisance de la moelle osseuse, des leucémies aiguës, des malformations et diverses autres choses. Moi, personnellement, j’ai pris énormément au niveau des malformations (pouces, petite taille, rein atrophié que l’on m’a retiré,

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ça va aller, à des jours où je serai paralysée de douleur, c’est assez variable ! Par exemple, aujourd’hui j’ai eu des douleurs extrêmement fortes de neuropathie qui m’ont presque paralysée. Mais, généralement, que j’aie mal ou non, j’essaye au maximum de faire ce que j’ai prévu dans la journée quitte à serrer les dents. Tu m’as confié que mon article t’avait touchée, quels sont les points dans lesquels tu te reconnais ? Et ceux qui te semblent loin de ton expérience ? Je me reconnais quand tu dis qu’avoir une maladie, un handicap invisible, est quelque chose de pesant à gérer au quotidien, avec entre autres le regard des gens qui est très lourd parfois, le fait que la maladie soit irréversible fasse relativiser ou encore quand tu dis que quand tu passes 3 jours par semaine sans symptômes c’est un « miracle » ou quand tu dis que tu te sens coupable d’imposer ta maladie aux autres, je le ressens encore aujourd’hui ! Pour ceux qui me semblent loin de mon expérience, je dirais la colère et les troubles anxieux, parce que j’ai appris (même si c’est encore en cours) à accepter la maladie.

atrésie de l’œsophage, etc.) et au niveau du système digestif qui m’handicape énormément. Ma deuxième maladie est une neuropathie des petites fibres, ce sont des douleurs neurologiques, que j’ai personnellement moi dans les jambes, bras et crâne, de l’hypersensibilité des nerfs et de la peau (ressentir 10x plus fort une douleur normale par exemple). Les douleurs s’apparentent à des chocs électriques et parfois elles peuvent même me paralyser.

Tu es toujours très positive et bienveillante sur les réseaux, mais est-ce que tu as de la colère également ou est-ce que tu as un sentiment différent vis-à-vis de cette forme de validisme ?

A quoi ressemble une journée typique avec elles ?

Pour le coup je suis d’habitude très positive mais là je suis pareille que toi, très en colère vis-à-vis de cette forme de validisme. Comme si l’on y pouvait nous quelque chose !

Cela varie beaucoup, je peux passer des journées où je vais avoir des douleurs mais

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Tu ne caches pas tes maladies, tu en parles régulièrement sur ton compte instagram, qu’est-ce que ça t’apporte personnellement ?

SUIVRE AURÉLIA Miss Blue Carter

C’est pour moi une sorte de sensibilisation aux maladies invisibles, mais aussi un moyen pour moi d’extérioriser. Généralement, j’ai des gens qui viennent en plus de mon entourage m’apporter un soutien supplémentaire ou me parler par ce qu’ils ont la même maladie que moi et je me sens parfois enfin comprise sur plein d’aspects de la maladie. Et est-ce que tu as remarqué une évolution du regard des gens ? Pas du tout, bien au contraire, surtout dehors dans la rue. Par exemple quand je suis sur une place handicapée sur un parking je me fais dévisager ou encore dans le bus je me fais limite insulter et il serait temps que cela change. Est-ce qu’il y a un sujet, une anecdote, un message qui te tient à cœur et que tu voudrais partager ? Oui il y a un sujet que j’aimerais aborder, le fait que c’est pas parce qu'on est malade que de un, on ne peut pas prendre soin de nous ni nous habiller super bien, de deux, celui qui est le plus important à mes yeux : ce n’est pas parce que tu as une maladie, qu’elle soit grave ou non, que tu ne peux pas vivre normalement, bien au contraire !

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DEPUIS QUAND SE LAVE-T-ON LES MAINS ? Dolorès

Vous le savez, il est important de se laver les mains et on l'entend aujourd'hui encore plus fort que jamais. Mais savez-vous de quand date cette véritable révolution de l'hygiène, par un geste qu'on appelle aujourd'hui « barrière » et qui peut sauver des vies ? Dès le XVIIIe siècle, on se pose des questions concernant les maladies et leur transmission. C'est notamment Claude Pouteau qui propose d'arrêter de réutiliser les pansements d'un patient à l'autre et de les fabriquer en dehors de l'hôpital... Une ancienne habitude qui nous semble absurde aujourd'hui, bien évidemment ! Il propose également de se laver les mains et d'éviter d'opérer plusieurs patients à la suite, mais ses idées ne prennent pas vraiment et s'éteignent après sa mort.

fièvre puerpérale lors des accouchements, avant de réaliser qu'ils la transmettaient ainsi des macchabées aux femmes enceintes... Le taux de mortalité baisse clairement, grâce à ses préconisations concernant l'hygiène des mains, non pas au savon mais en frottant cinq minutes avec de l'hypochlorite de calcium, un produit très abrasif ! D'origine hongroise, le médecin Semmelweis tente d'imposer de manière un peu agressive le lavage de mains systématique à Vienne, une méthode qui ne sera pourtant pas bien reçue par les médecins viennois, malheureusement, qui se sentent un peu trop accusés de transmettre des maladies. A l'époque, on pense encore que les maladies sont dues aux

En 1846, c'est une certaine observation d'Ignace Semmelweis à l'hôpital de Vienne qui ramène l'idée sur la table. Il remarque qu'une maternité enregistre plus de décès qu'une autre : l'une avec des sages-femmes, l'autre avec des étudiants en médecine réalisant des accouchements mais aussi des autopsies. Il fait le lien entre les mains des étudiants qui passent d'un travail à l'autre. Le comble, c'est bien que bon nombre de médecins réalisaient des autopsies dans le but de comprendre ce qui avait pu causer la

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l'accès à l'eau courante, l'installation de robinets mais aussi par des campagnes de santé publique !

changements des « humeurs » du corps. Malgré ses essais à Vienne puis en Hongrie et la transmission de son savoir à ses élèves, il meurt majoritairement incompris, presque pris pour un fou, sans que la théorie ait eu un réel impact à grande échelle. On sait pourtant aujourd'hui à quel point il avait raison.

C'est dans les années 90 que Didier Pittet, médecin à Genève et le pharmacien William Griffiths inventent le gel hydro-alcoolique dans l'idée de gagner du temps sur l'activité chronophage qu'est l'hygiène des mains au savon et à l'eau. Sa formule est gratuitement mise à disposition de l'OMS dès le début du XXIe siècle, pour permettre au plus grand nombre d'avoir accès à ses bénéfices ! On sait désormais que l'hygiène et notamment celle des mains sauve de nombreuses vies au quotidien.

La pensée hygiéniste sera enfin incarnée par Louis Pasteur, qui prouve scientifiquement le lien entre l'hygiène et l'infection. Il préconise, à son tour, le lavage des mains mais aussi la stérilisation ou le nettoyage des instruments par le feu. Grâce aux progrès de la théorie microbienne, ses affirmations reçoivent un bien meilleur accueil. La pratique se répand, pas seulement dans le milieu médical mais également dans le quotidien. Facilitée par

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CULTURE


MOONLIGHT COTTAGE Rencontre avec la vidéaste ASMR française Dolorès Des tissus satinés d'un autre temps, des fioles d'apothicaires, un écho de légendes poussiéreuses, un vieux coffre qui grince et une douce voix... Vous voilà dans l'univers de Diane, qui tient la chaîne Youtube intitulée Moonlight Cottage. L'objectif ? Trouver une forme de relaxation en visionnant ses vidéos, cinématiques et historiques, qui vous immergent dans un scénario aux tendres sonorités. En fait, on parle de produire chez celui ou celle qui regarde ce qu'on appelle l'ASMR... On vous en dit plus au fil de cet entretien ! Propos recueillis le 26 août 2021 et, à ce jour, la chaîne de 400 000 abonnés et 61 vidéos. Bonjour Diane, peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?

Moonlight Cottage cumule plus

Qu'est-ce qui t'a menée vers l'ASMR ? Depuis toute petite, je suis réceptive à cette sensation qui peut être déclenchée autant par un stimulus visuel qu'auditif dans mon cas et c'est seulement en 2013 que j'ai découvert que certaines personnes réalisaient des vidéos dans le but de déclencher l'ASMR.

Bonjour Dolorès, et merci de me donner la parole pour parler de l'ASMR ! Je suis vidéaste et cela fait bientôt 2 ans que je réalise des vidéos destinées à la relaxation et à l'endormissement, via ce qu'on appelle l'ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response en anglais), cette sensation de picotement agréable qui procure un bien-être immédiat. Je cherche, via mes vidéos, à déclencher ce phénomène chez les spectateurs. Mon historique dans le domaine de l'art, notamment mes études en école spécialisée et ma -courte- carrière de peintre, ainsi que ma fascination pour l'image, m'ont naturellement menée au support vidéo que j'explore avec plaisir depuis mes débuts sur Youtube.

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Auparavant, cela pouvait venir de quelqu'un dans mon entourage (salle de classe...), d'une scène d'un film ou même parfois d'une scène d'un livre. Mais ces vidéos ont été une véritable découverte pour moi car cela m'a permis de réaliser que je n'étais pas seule et que cela n'avait rien de « bizarre » ! Pendant des années j'ai songé à m'y mettre aussi mais il semblerait que j'aie mis du temps à me décider !

scénario bien ficelé où tes trésors viennent ajouter du sens à tes mots pour créer un univers unique. Est-ce que le thème de la vidéo pousse à la recherche de certains objets ou est-ce que les objets t'inspirent un scénario ? Comment les trouves-tu ? Un peu des deux à vrai dire. Souvent, je me mets en quête d'objets après avoir décidé de mon thème et des grandes lignes du déroulé de la vidéo. Mais dans quelques cas, l'idée d'une vidéo peut partir d'un objet en particulier, qui va tout de suite m'évoquer une histoire ou un univers.

Et puis, un beau jour, j'ai voulu m'essayer au support vidéo que je ne connaissais pas du tout, avec une première vidéo courte qui était juste « pour essayer », et cela a été un déclic. L'ASMR s'est révélé pour moi le terrain de jeu idéal pour mes velléités artistiques et mon envie de créer des univers.

C'était notamment le cas avec un coffret ancien de lentilles d'ophtalmologiste, tellement évocateur de souvenirs d'enfance pour moi quand les ophtalmos n'utilisaient pas encore les machines d'aujourd'hui !

Ta particularité est de mêler les roleplay ASMR avec des objets anciens. A chaque vidéo, nous sommes plongés dans ce petit

Mes principaux « terrains de chasse » pour

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les objets sont les magasins ou sites d'occasion (brocantes, Vinted, Le Bon Coin, Ebay...) mais aussi certains objets artisanaux que je peux trouver sur des marchés ou sur Etsy, une vraie caverne d'Ali Baba. J'évite généralement les objets d'usine ou fabriqués à l'autre bout du monde dans des conditions inconnues, car cela ne correspond pas à mes valeurs et ne conviendrait de toutes façons pas à l'univers de mes vidéos. Tout participe à créer une bulle : du son à l'image. Tournes-tu dans une pièce ou un studio dédié que tu décores ? Est-ce que tu peux nous parler un peu des costumes que tu portes dans les vidéos également ? Tu dois avoir une sacré garde-robe ! Jusqu'à très récemment, je tournais mes vidéos dans un coin de notre salon. Le concept était simple : mon conjoint et moi déplacions les meubles afin que je dispose de quelques mètres carrés, je tendais des tissus et je pouvais installer mon décor et tout mon matériel. Cela transformait notre pièce de vie en champ de bataille et ça n'a pas toujours été facile ! D'autant que nous vivions dans une maison très mal isolée et le moindre bruit extérieur m'obligeait à couper ma vidéo. Si je voulais une chance d'être au calme, je devais attendre le soir, voire la nuit, pour pouvoir commencer à tourner. Nous avons eu la chance de déménager il y a quelques semaines dans une maison où j'ai pu rénover une petite dépendance pour en faire un studio dédié, je viens juste d'y tourner ma toute première vidéo et c'est un sacré changement !

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Les costumes que je porte proviennent la plupart du temps d'Etsy, de costumières spécialisées dans les périodes historiques et/ou fantastiques. Mais parfois, c'est aussi un assemblage de plusieurs éléments trouvés d'occasion. Porter ces costumes, c'est un peu comme un rêve de petite fille ! Mais ma garde-robe n'est pas si fournie car la plupart du temps, si je sais que je ne ré-utiliserai pas un costume, je le revends. Je fais de même avec certains accessoires, cela me permet de garder une certaine clarté dans mes objets et de ne pas accumuler plus que nécessaire. Et puis, j'aime l'idée des objets ou costumes qui circulent !

historiques du Moyen Âge jusqu'au milieu du XXe siècle, et mon inspiration prend souvent racine dans des scènes de films historiques/fantastiques ou certains romans que j'ai pu lire. Ça a été le cas avec Outlander, roman que j'ai commencé à lire il y a presque 20 ans et dont la série a été pour moi une sacrée inspiration autant par sa photographie que ses décors pour créer un personnage d'apothicaire. Mais je peux aussi être fortement inspirée par la musique, la photographie, la poésie, ou tout simplement un décor naturel. Et bien sûr, les autres créateurs ASMR peuvent être également une source d'inspiration sans fin, comme dans toute autre domaine artistique. Même si nous sommes des dizaines à exploiter une même idée nous apportons toujours notre propre vision !

Y a-t-il une période historique que tu affectionnes particulièrement ou des œuvres de fiction qui t'inspirent pour Moonlight Cottage ?

L'ASMR en vidéo et sa popularisation énorme dans les années 2010 a

Je suis attirée par toutes les périodes

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C'est assez difficile pour moi de choisir une étape préférée... Il y a bien sûr ce moment où les idées se bousculent et où on ressent cette « euphorie créatrice », et je sens que je tiens le début de quelque chose. Et c'est véritablement grisant et gratifiant de voir prendre corps quelque chose qu'on a imaginé, même si le résultat final ne correspond jamais tout à fait à ce qu'on avait en tête au départ. Mais je pense que l'étape la plus intéressante reste celle des recherches : une fois les grandes lignes de ma vidéo établie, je fais de nombreuses recherches visuelles (pour les décors) ou historiques (pour mon « scénario ») et j'apprends énormément. Par exemple, pour une vidéo qui avait pour thème un remboursement de dettes au XVe siècle, j'ai passé de nombreuses heures à me documenter sur les différentes formes d'impôt et de monnaie au Moyen Âge ! C'est un aspect très intéressant que j'aime

complètement fait évoluer ce petit monde sur Youtube ! Aujourd'hui, les vidéastes les plus ambitieux(ses) sont de véritables professionnel(le)s, on parle même d'artiste avec le terme ASMRtist. Les roleplay se sont extrêmement développés, avec des parties de décor impressionnantes, des effets spéciaux, des maquillages et des costumes hors du commun, parfois même imaginés pour l'occasion (univers science-fiction, fantasy, etc.). Je suivais notamment la chaîne Goodnight Moon pour ces ambiances stupéfiantes que la vidéaste arrive à créer et partager. Il y a aussi, bien sûr, un jeu d'acteur et une partie montage son et vidéo très développée. Quelle est ton étape préférée du processus de création ? Elles sont nombreuses et demandent des compétences extrêmement variées. Comment te positionnes-tu face au terme AMSRtist par exemple ?

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en anglais : cela m'enlève une certaine pression. Et, outre le fait que j'aime beaucoup le phrasé de la langue anglaise, cela me permet de m'adresser à un grand nombre de personnes à travers le monde, et de faciliter la mise en place de sous-titres, bien plus facile pour de nombreuses personnes à faire à partir de l'anglais plutôt que du français !

particulièrement dans mon activité. Et, bien sûr, la recherche d'un costume ou de certains objets est toujours un plaisir aussi ! Je n'ai pas d'opinion spécifique sur le thème « asmrtist », même si je comprends bien l'idée. Du scénario jusqu'au montage final, cela demande beaucoup de travail dans de multiples domaines et, quand j'ai débuté, je ne connaissais rien à la vidéo, c'est un apprentissage au long cours. Ce qui est certain, c'est que les créateurs rivalisent maintenant d'imagination et le support ASMR est devenu un vrai stimulateur de créativité pour beaucoup ! Et entre création et art, la frontière est mince.

Quel est ton rapport personnel à l'ASMR ? En regardes-tu beaucoup ? Qu'est-ce que cela te procure : de la détente, les fameux tingles, ces fourmillements synonymes de détente extrême que beaucoup recherchent en visionnant ce genre de vidéos ?

Personnellement, je regarde presque exclusivement du contenu en anglais car cette langue me permet de comprendre de quoi il est question sans souci sans que mon cerveau s'attarde trop sur le texte, car ce n'est pas ma langue maternelle, afin de véritablement déconnecter. Toutes tes vidéos s'adressent à un public anglophone alors que tu es française : pourquoi ce choix ?

Je suis effectivement une grande adepte, et je ne m'en lasse pas... Et si je regarde rarement des vidéos ASMR au moment de dormir (les écrans ont l'effet inverse sur moi), je les regarde surtout pour ces fourmillements agréables que cela procure, ou parfois en guise d'ambiance de travail. Certains créateurs ont vraiment un don pour nous changer les idées ou nous permettre de nous évader.

Pour les mêmes raisons que toi à vrai dire ! J'avoue ne jamais (ou presque) regarder de vidéos en français, mais surtout en anglais ou en japonais (que je comprends beaucoup moins, j'avoue !) car ma langue natale ne m'aide pas à lâcher prise, et c'est pour cette même raison que je préfère faire mes vidéos

Il y a peu, j'ai participé à une étude sur l'ASMR menée par une étudiante en Physiologie, Neurosciences et Comportement. J'ai toutefois l'impression que tout cela ne fait que commencer car il est encore difficile d'expliquer

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scientifiquement comment le mécanisme fonctionne réellement. On sait par exemple que tout le monde ne ressent pas l'ASMR, mais celles et ceux qui le ressentent en tirent bien des bénéfices sur l'humeur, le stress ou les insomnies par exemple. Est-ce que les questions scientifiques liées à ce domaine t'intéressent dans ta démarche ?

Qu'est-ce que tu imagines pour le futur des vidéos d'ASMR et pour ta chaîne ? Certains parlent (à tort) de « mode », comme si la recherche du bien-être n'était qu'une tendance passagère, mais je pense que ces vidéos ont encore beaucoup d'avenir. Les 10 dernières années ont montré à quel point ce domaine ne cesse d'évoluer et de susciter des vocations chez les plus jeunes réceptifs à l'ASMR. On y trouve de tout bien sûr, comme dans n'importe quel milieu, mais face à une société de plus en plus en proie aux insomnies et au stress, je pense que cette alternative aux médicaments et autres somnifères a un bel avenir !

Je suis en effet surprise qu'il n'y ait pas davantage de recherches sur le sujet, tant il pose de questions intéressantes ! Je regarde régulièrement les avancées dans le domaine et il y en a peu, alors que ce phénomène est probablement aussi vieux que l'être humain lui-même. Bien sûr, chacun a sa théorie sur le sujet (et je ne fais pas exception !), et il n'y a pas de mal à garder une part de mystère. Dans ma famille, nous sommes tous réceptifs sans exception... Alors, y aurait-il une piste génétique à explorer ?

Pour ma part, je continue d'explorer l'aspect cinématique en espérant y trouver toujours autant de plaisir. J'ai peut-être débuté un peu « tard » et je ne sais encore combien de temps je me montrerai devant une caméra,

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mais ce qui est sûr, c'est que je ne me lasse pas d'apprendre et de découvrir ! Merci Diane d'avoir accepté de répondre à mes questions ! C'est un plaisir de connaître l'envers du décor et on te souhaite beaucoup d'idées inspirantes et de tingles pour l'avenir. Merci beaucoup :) Et si certains veulent découvrir les vidéos ASMR cinématiques , je recommande chaudement Atmosphere, Made in France ASMR, Goodnight Moon (Babblebrook series), Atlas ASMR, Bluewhisper, ASMR with Anna... et d'autres sont à venir, à n'en pas douter.

SUIVRE DIANE Moonlight Cottage

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LE THÉ : DE LA FEUILLE À LA TASSE Le gou-thé de Noire Cécile

Bienvenue dans le boudoir de Noire ! Installez-vous, mettez-vous bien à l'aise dans ce fauteuil crapaud. Une petite tasse de thé, cela vous plairait ? On en a toute une collection ! Thés verts, thés blancs, thés Oolong, aromatisés ou pas... Difficile de choisir ! Et si je vous en disais un peu plus sur ce breuvage ? Vous me direz ensuite ce que vous préférez ! Je sors une théière et les petits gâteaux du placard alors que je vous narre son histoire. Dans les livres de botanique, le thé s'appelle Camellia sinensis. La légende raconte que le premier thé aurait été consommé par l'empereur chinois Shennong, en l'an 2737 avant notre ère. Alors qu'il prenait une tasse d'eau chaude sous un arbre, une feuille serait tombée dans le récipient, révélant ainsi des goûts inédits. En vérité, on déguste le thé en Chine depuis 200 avant notre ère, avant que cette boisson s'exporte dans toute l'Asie du Sud Est dans un premier temps, puis dans le monde entier.

pratiquant une cérémonie aux codes stricts, le chanoyu (cf vidéo en encart). Chaque geste est très important et a une signification qui lui est propre. La personne qui pratique cet art doit absolument connaître par cœur le thé qu'il utilise, la calligraphie et même la

Sous la dynastie Tang (Chine – règne entre 618 et 907), on le conservait sous forme de briques (vous trouverez un tutoriel en encart pour connaître la préparation de ce thé, hache non indispensable). Sous la dynastie Song du Nord (Chine – règne entre 960 et 1279), on broyait les feuilles sous une meule, ce qui donnait l'aspect d'une fine poudre que l'on fouettait dans l'eau chaude, afin d'obtenir une texture mousseuse (un peu comme le matcha japonais). Au Japon, on éleva le service du thé au rang d'art en

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religion, puisque la cérémonie a de profonds liens avec le bouddhisme zen.

aussi le fumer. Il est meilleur infusé dans une eau à 85° où il montrera le meilleur de lui-même. Les plus célèbres d'entre eux sont le Lapsang Souchong (fumé) ou le Darjeeling (légèrement fleuri, notes épicées).

C'est ensuite à l'époque coloniale que le thé a commencé à s'exporter un peu partout et notamment en Europe. Les Anglais étaient spécialistes en la matière car ils contrôlaient d'importants comptoirs en Asie et plus particulièrement à Canton, qui était la plaque tournante de la production de thé à l'époque.

On a également le thé vert. Il est chauffé dans des woks ou dans des bains à vapeur d'eau afin de préserver la couleur originelle du produit. Ses feuilles développent un goût d'herbe subtil, bien plus léger que le précédent. Le mieux est de l'infuser à 75°C s'il provient de Chine et entre 50° et 60° s'il est japonais. Le matcha japonais bien sûr est très connu (goût sucré, riche en chlorophylle) mais vous pouvez aussi tenter du long jing chinois alias Puits du dragon (frais, aux accents de noisette).

Aujourd'hui, le thé est la boisson la plus bue au monde après l'eau. Outre son pouvoir désaltérant, elle possède de nombreuses vertus thérapeutiques, tant que l'on en abuse pas, comme des propriétés anti-oxydantes (vous protégeant ainsi du vieillissement prématuré de vos cellules), diurétiques et de drainage. Ainsi, en buvant une ou plusieurs tasses de thé par jour, vous faites du bien à votre corps !

Le thé blanc, quant à lui, est constitué des bourgeons de la plante. C'est le plus raffiné de tous. Il est beaucoup moins transformé que les autres et se cueille qu'en début de saison, dès que la floraison pointe le bout de son nez. Pour ne pas l'agresser, on préfère une eau entre 60° et 70°. Essayez par exemple le Pai Mu Tan chinois (Pivoine Blanche) aux parfums délicats.

Cela ne vous aide pas pour autant à sélectionner le bon thé pour notre goûter ! Il existe en effet de nombreux types de thés et chacun développe des odeurs et des saveurs particulières. Tout d'abord, je peux vous parler du thé noir. La feuille est torréfiée jusqu'à ce qu'elle acquiert cette couleur sombre, proche de celle du café. Il a plus de théine et en général, on l'infuse beaucoup plus longtemps que les autres. On peut

Vous pouvez aussi découvrir le thé Oolong. Ce dernier est semifermenté, son goût se situe entre celui du thé noir et du thé vert. Il est issu

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d'une longue préparation. Après récolte, on met les feuilles à sécher dans une salle bien aérée. Ensuite, on les roule, on les sèche encore et on les passe au tamis pour séparer les tailles de feuilles. A déguster après infusion à 90° C. On a ici du thé Tieguanyin chinois, dont la saveur évoque le miel.

ainsi une autre forme de dégustation. Bien sûr, vous n'êtes pas obligé de prendre un thé en sachet. Il est vrai que ceux-ci sont parfois fabriqués avec des matières douteuses et certains contiennent même des micro-particules de plastique, polluant à la fois notre corps et notre planète. De plus, il altère le goût du thé et est souvent plus cher que le thé en vrac. Le sachet type mousseline est plus respectueux des arômes de notre boisson, cela dit.

N'oubliez pas de bien suivre les recommandations du distributeur en terme de durée d'infusion, de température de l'eau. Cela peut gâcher votre thé s'il est mal préparé (vidéo tuto en encart par « Palais des thés »). Attention aussi à la qualité de l'eau, si elle est trop calcaire, mieux vaut opter pour une eau filtrée ou peu minéralisée.

Le thé en vrac est une alternative séduisante. Encore faut-il savoir bien le préparer. Pour ce faire, le mieux est d'utiliser une bouilloire (si vous en avez une avec sélection de température, c'est le top), une théière ou une boule à thé (il en existe de multiples formats). Pour la quantité, une cuillerée pour les thés en petites feuilles, roulés (Oolong) ou en aiguilles, deux pour les grandes feuilles et les thés blancs avec beaucoup de bourgeons (d'autres conseils en encart).

Les marques procèdent aussi à d'audacieux mélanges (blends). Ceux-ci regroupent plusieurs thés d'origine différentes afin de varier les goûts. Il existe aussi des thés aromatisés, où on ajoute des ingrédients comme des épices ou d'autres plantes offrant

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Comment ? Vous avez envie de déguster du thé récolté en France ? C'est encore confidentiel, mais il existe des projets de théiculture à la française comme celle de Michel Thévot, qui a tenté l'aventure en Nord-Finistère (go encart). Toutefois, j'ai eu du mal à trouver des boîtes de thé français à la vente, même sur Internet. Si vous en connaissez, nous sommes preneuses ! Néanmoins, la France a une certaine expertise dans les blends et les thés aromatisés, que vous pouvez déguster chez Mariage Frères ou chez Kusmi par exemple.

SOURCES

NOS THES PREFERES

Voici une petite tasse en porcelaine et vos deux biscuits bretons. Dites-nous sur les réseaux quels thés et quels modes de préparation ont votre préférence ! En attendant, je vais en racheter, j'ai soif de découvertes!

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INSPIREDTATTOOPORTRAITS

Entretien avec Céline, modèle photo Cécile

C'est traditionnel chez Noire, on aime la photographie, que l'on pratique chacune en amateur devant ou derrière l'objectif. Cela nous permet de nous exprimer d'une autre manière que par nos écrits. C'est pourquoi nous apprécions rencontrer des professionnels du milieu, qui nous inspirent et qui ouvrent chacun une fenêtre sur cet art indissociable de notre époque. Aujourd'hui, c'est au tour d'Inspired Tattoo Portraits, modèle photo, qui a pris le temps de répondre à mes questions au sujet de sa démarche artistique, la perception de son propre corps et de ses tatouages. Bonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?

insatiable de créer. J’aime travailler sur la projection de ma propre image, telle une mise en abyme. Un

Bonjour, je m’appelle Céline, j’ai 33 ans, je suis artiste et je vis à Paris. Vous êtes modèle photo. Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous lancer ? Quels seraient les conseils que vous pourriez donner à un modèle débutant ? Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre activité ? J’ai toujours eu un lien très fort avec la photographie. Mon père est photographe et aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, j’ai toujours eu un appareil photo argentique entre les mains. Je suis vraiment devenue modèle par hasard car ça ne faisait initialement pas partie de ma démarche. C’était même plutôt l’inverse car je n’étais pas à l’aise devant l’objectif. Puis, c’est devenu un moyen d’expression qui a répondu, en partie, à mon besoin

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peu à l’image de Claude Cahun (NDLR : une photographe nantaise associée au courant surréaliste) qui se mettait en scène ou encore ORLAN (NDLR : Mireille Porte, plasticienne transmedia).

univers bien à eux, c’est cette sincérité synonyme d’authenticité que je recherche. Puis vient la dimension humaine qui fait toute la magie de la création, les échanges, l’émulation, la volonté de créer ensemble !

Le seul et modeste conseil que je pourrais donner à un modèle débutant est de bien choisir les photographes avec qui travailler et de se constituer un book en cohérence avec sa personnalité.

Vous avez une particularité qui saute tout de suite aux yeux : vous êtes entièrement tatouée. Quand avez-vous effectué votre premier tatouage ? Et à quel moment et pourquoi avez-vous eu envie de passer le cap de quelques tatouages à tout votre corps tatoué ? Est-ce le travail d'un seul tatoueur ?

Vous avez travaillé avec de grands noms de la photographie comme Eric Keller ou Le Turk. Qu'est-ce qui est important pour vous dans la relation entre le photographe et son modèle ? Qu'est-ce qui vous donne envie de travailler avec un photographe plutôt qu'un autre ?

J’ai fait mon premier tatouage à 15 ans mais c’est à 21 ans que j’ai su que je voulais un intégral. J’ai tout de suite été séduite par le charisme et la puissance de cet art poussé à son paroxysme. Je n’ai pas eu à intellectualiser ma démarche. C’était une décision très instinctive, telle une absolue évidence.

Ce qui est important pour moi c’est que nous ayons un vocabulaire visuel commun. J’affectionne les photographes qui ont un

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cela peut sublimer le corps et inspirer les artistes. Est-ce qu'en tant que femme, il a été plus difficile d'assumer un choix aussi marqué ? C’est effectivement une posture qu’il faut pouvoir assumer aux yeux du monde. Je pense que cette dimension est souvent sousestimée par les personnes qui se lancent dans cette aventure. En ce qui me concerne, cela n’a pas été facile avec mes parents pour commencer. Nous avons été dans l’opposition dès le départ et je dirais que ça a été une lutte pour devenir moi-même ! Je ne me suis jamais laissée influencer par ce que les gens pensent et leur avis m’importe peu pour être honnête. Si je n’ai pas de difficulté à assumer ce choix, c’est parce qu’il me symbolise. Et c’est un sentiment très libérateur. Qu'est-ce que vos tatouages représentent pour vous ? Nous formons un tout. Comme disait Matisse « l’œuvre est l’émanation, la projection de soi-même. » Mes tatouages sont indissociables de ma personne.

Ce que je revêts sur mon corps est le fruit d’un énorme travail collaboratif qui a duré près de dix ans. De nombreux artistes ont apporté leur pierre à l’édifice mais il y en a un, Guy le Tatooer, qui a réalisé la très grande majorité de ce que je porte.

Votre visage n'est pas tatoué. Est-ce que vous franchirez le cap un jour ?

Les corps entièrement tatoués sont difficilement acceptés dans notre société, d'autant plus si l'on est une femme. Souvent, on entend dire que les femmes ne devraient porter que des tatouages "discrets", que ce n'est pas esthétique d'en avoir trop. Pourtant vous êtes la preuve que

Non, aucune chance ! J’ai volontairement gardé des zones non tatouées pour créer un équilibre. Vous semblez être attirée par les pays d'Asie du Sud-Est et vous avez voyagé d'ailleurs au Myanmar ou en Thaïlande.

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Qu'est-ce qui vous attire dans ces destinations lointaines ? Qu'est-ce qui vous a marquée durant vos voyages ?

Un dernier mot pour nos lecteurs ? Je vais exposer mes travaux photographiques personnels du 8 au 14 octobre 2021 à la Py Sphère, 10 rue Gustave Rouanet, 75018, Paris.

Je voyage en Asie depuis mon plus jeune âge. Ce sont des cultures qui ont accompagné mon développement et ma vision du monde. Je suis très influencée par la spiritualité et l’art sacré que j’ai observé dans de nombreux pays asiatiques.

SUIVRE InspiredTattooPortraits

Quelles sont vos sources d'inspirations au quotidien ? Je lis, je vais au musée au moins une à deux fois par semaine, je regarde beaucoup de documentaires et de films. Mon esprit a besoin d’une grande quantité de nourriture intellectuelle.

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LIM


MBES Série réalisée par Tom Rey.

Le projet « Limbus » (limbes en latin) est inspiré de la « divine

comédie de Dante » et des limbes selon le christianisme.

Les limbes sont l’endroit dans lequel les personnes qui n’ont pas été baptisées, ainsi que celles qui sont nées avant la naissance de JésusChrist et qui donc n’ont pas pu recevoir la vraie foi, vont après être décédées. L’accès au paradis ou à l’enfer leur ayant été interdit, les âmes dans les limbes sont en attente de leur libération qui aura lieu lorsque le Christ mourra et rejoindra le paradis. Ce lieu étant resté fermé depuis le péché d’Adam et Eve, il est légitime que la première âme à pouvoir le rejoindre soit celle de Jésus, le fils de dieu. Dans ce travail, je montre le point de vue d’une personne venant de mourir qui arrive dans les limbes, les explore et ne comprend pas forcément tout ce qu’il voit, mais dont les explications lui sont fournies par un mystérieux narrateur qui le suit le long de son périple. - Tom Rey




NOS COUPS DE COEUR DE L'ÉTÉ


Le coup de coeur de Dolorès Cinéma | Pablo Agüero

AKELARRE - 2021 « Rien n'est plus dangereux qu'une femme qui danse. »

Je m'attendais à voir un film de sorcières parmi d'autres, après tous les The VVitch, Gretel & Hansel et compagnie. Bien que j'aie adoré ces films, ils sont une pièce du puzzle de cette mode grandissante d'une esthétique « witchy » qui n'aide pas forcément à donner de la crédibilité à tout ce qui est présenté. Akelarre n'a pourtant rien à voir avec tout cela. Sorti il y a tout juste quelques semaines en France, le scénario était en cours d'écriture dès 2012, l'excluant un peu de toute cette tendance. De toute manière, la ligne directrice diffère : ici, pas d'étrangeté ésotérique, pas de tension fantastique, uniquement un réalisme si frappant qu'on a du mal à imaginer que cette histoire ne soit pas totalement vraie. Peut-être parce qu'elle l'est... En 1609, le Pays Basque et notamment le Labourd, région entre la France et l'Espagne qui sont en guerre, est la cible d'une chasse aux sorcières. Lorsque les hommes partent en mer, les femmes ont un peu plus de pouvoir et de liberté qu'ailleurs, ce qui ne plaît pas forcément. Le film montre bien sûr, sous prétexte de sorcellerie, comment l'autorité reprend l'ascendance sur les femmes dans un concours d'absurdité et de violence, tant verbale que physique. Interrogatoires, tortures, accusations et bûchers... Mais ce qu'on retient finalement surtout, c'est la force des jeunes filles, portée par des actrices incroyables. Leur complicité, leur intelligence, leur beauté aussi bien sûr, mais surtout cette puissance qui fait monter les larmes aux yeux et vient glisser un frisson ou deux. Leurs rires, leurs regards, leurs chants et leurs danses, leur folklore et leurs paysages, jusqu'au fameux Sabbat entre stratagème pour gagner du temps et illusion amusante. Un énorme coup de cœur pour ce film hispano-franco-argentin qui a reçu cinq prix aux Goya 2021. « Les hommes ont peur des femmes qui n'ont pas peur. »


Le coup de coeur de Cécile Cinéma | Paul Verhoeven

BENEDETTA - 2021

Il y a quelques numéros de cela, je vous ai fait l’éloge de Mécaniques du de Dabitch et Gonzalez : l’histoire d’une nonne défroquée qui s’acoquinait avec les milieux interlopes de la prostitution sadomaso parisienne. Voilà que je persiste et signe avec une nouvelle religieuse. A croire que j’ai des tas d’appels manqués de Dieu sur mon téléphone.

fouet

Si Paul Verhoeven du haut de ses 83 ans est loin d’être à son coup d’essai (il a réalisé entre autres Starship Troopers, Total Recall ou Black Book), voilà qu’il revient encore alors qu’on ne l’attendait plus avec Benedetta. J’ai mis du temps à digérer ce long-métrage inouï tellement j’ai été frappée par la qualité du scénario, la prestance des acteurs et la beauté des plans. Le film est une adaptation de la vie de Benedetta Carlini, une nonne sulfureuse ayant vécu à cheval entre le XVIe et le XVIIe siècle. Femme miraculeuse ou femme scandaleuse, théatine ou sorcière, la limite est floue et le film en joue. Plusieurs axes sont à noter dans cette œuvre cinématographique. On note une critique évidente des structures religieuses, des hiérarchies pontificales. J’y ai aussi vu un miroir déformant montrant un monde pourri par la maladie, la corruption, la haine ou la jalousie. Il y a également une évidente dimension anti-patriarcale parce qu’il y a peu d’hommes au casting et que Benedetta dérange les structures masculines de par sa toute puissance et sa proximité avec Dieu. D’ailleurs, en parlant des acteurs et des actrices, le choix de Virginie Efira pour camper la mystique bonne sœur apparaît tout de suite évident. Les autres font bien le job également : Charlotte Rampling brille en ex-abbesse revancharde, Lambert Wilson en arroseur arrosé écarlate. En bref, voilà un long-métrage qui a de la gueule et qui a plein de choses à dire. J’ai envie de le revoir, rien que pour le passer à la moulinette encore une fois !


Le coup de coeur d'Anaïs Série |

Netflix

LES CURIEUSES CRÉATIONS DE CHRISTINE MCCONNELL - 2020

Une fois de plus, j’arrive longtemps après la guerre et je découvre seulement maintenant que Christine McConnell a sa propre série Netflix. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, elle est pâtissière, créatrice, photographe, ébéniste… Elle fabrique des choses, en rénove d’autres, elle coud, peint, cuisine, sculpte… Bref, une véritable sorcière des travaux manuels qui ne cesse de m’inspirer depuis que je l’ai découverte sur Instagram avec son gâteau bébé xénomorphe et son style mêlant horreur et couleurs pastel. C’est donc avec joie que j’ai regardé ses Curieuses Créations, une émission où elle nous présente différents tutos enrobés d’une histoire aussi simple que charmante. Elle vit dans une maison victorienne, accompagnée de quelques monstres, un chat momie, une raton-laveur ressuscité et un loup-garou gentil, elle fait peur aux voisins, mais elle est généreuse et créative. On la voit créer, donner quelques conseils, et même si la plupart des tutos sont impossibles à réaliser chez soi et qu’il y a rarement les recettes, on rêve quand même de faire la même chose. Mais ce qui m’a le plus plu dans cette série, c’est que je l’aurais adoré à 8 ans, lorsque je passais mes journées à créer des choses avec des rouleaux d’essuie-tout et que j’essayais de coudre avec des tutos trouvés dans des livres de loisirs créatifs. Elle regroupe tout ce que j’aime, la création et la bricole, avec un univers très burtonien et décalé, beaucoup d’élégance, de finesse et de beauté à travers la monstruosité. J’en fais sûrement des tonnes et beaucoup seront probablement déçus, mais Christine McConnell représente à la perfection ma vision de la créativité, de l’esthétisme et du gothique édulcoré. Elle me donne envie de fabriquer des tas d’accessoires, de faire les choses par moi-même et de briser les barrières apparentes entre mes goûts qui semblent parfois très opposés. La petite fille que je suis toujours ne la remerciera jamais assez.


CRÉDITS

COUVERTURE : LEONCIO HARMR

OUVERTURE DOSSIER : PAULUS MAGNUS

GUEST : TOM REY DOSSIER Quand Esculape dérape Depuis quand se lave-t-on les mains ?

CULTURE COUPS DE COEUR Rencontre avec Moonlight Cottage Médecine incroyable Le thé : de la feuille à la tasse

Inspired tattoo portraits Soigner dans l'Antiquité

Maladies Invisibles


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